compte rendu intégral

Présidence de Mme Pascale Gruny

vice-président

Secrétaires :

Mme Marie Mercier,

M. Jean-Claude Tissot.

Mme le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix-sept heures.)

1

Procès-verbal

Mme le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 6 janvier 2022 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

 
Dossier législatif : proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques
Discussion générale (suite)

Circulation et retour des biens culturels appartenant aux collections publiques

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques
Article 1er

Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, de la proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques, présentée par Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Max Brisson, Pierre Ouzoulias et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 41, texte de la commission n° 303, rapport n° 302).

Mes chers collègues, je vous rappelle que le port du masque – correctement ajusté sur le nez ! – est obligatoire dans l’hémicycle, y compris pour les orateurs s’exprimant à la tribune, conformément à la décision de la conférence des présidents réunie le 1er décembre dernier. J’invite par ailleurs chacune et chacun à veiller au respect des gestes barrières.

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, auteure de la proposition de loi et rapporteure.

Mme Catherine Morin-Desailly, auteure de la proposition de loi et rapporteure de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat a toujours joué un rôle moteur dans la réflexion sur les modalités d’une gestion plus éthique de nos collections publiques.

C’est la chambre haute qui fut à l’initiative, grâce à notre ancien collègue, Nicolas About, de la loi relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, dite « la Vénus hottentote », à l’Afrique du Sud, loi qui a été promulguée en 2002.

C’est elle aussi qui, par mon intermédiaire, fut à l’initiative de la loi visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections, définitivement adoptée en 2010.

C’est le Sénat encore qui fut à l’initiative, dans le cadre de cette seconde loi, de la création de la Commission scientifique nationale des collections, pour encadrer les déclassements de biens appartenant aux collections et pour définir une doctrine générale en matière de déclassement et de cession.

Notre ancien collègue Philippe Richert, rapporteur de cette loi et rapporteur en 2021 du projet de loi relatif aux musées de France, jugeait cet outil indispensable pour faire progresser la réflexion sur la possibilité d’aliéner des biens appartenant aux collections sans compromettre le patrimoine de la Nation.

Malheureusement, la volonté du législateur n’a, une fois encore, guère été suivie d’effet. La réflexion sur un sujet dont l’importance devenait pourtant prégnante n’a nullement avancé en raison des préventions manifestées par le ministère de la culture et par une partie des conservateurs, qui, il faut bien le dire, ont été formés d’abord pour garder les objets dont ils sont chargés.

La Commission scientifique nationale des collections a même fait les frais de la politique de rationalisation du nombre des commissions consultatives et a été supprimée, sur l’initiative du Gouvernement, par la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dite « loi ASAP », il y a un an, contre notre volonté. Cette décision me paraît d’autant plus regrettable que je suis convaincue, avec mes collègues, que les problèmes de fonctionnement de la commission auraient pu être corrigés facilement par voie réglementaire.

Voilà ce qui explique que nous nous retrouvions aujourd’hui sans aucune doctrine pour répondre aux demandes de restitution pendantes, et sans aucun garde-fou pour contrôler les velléités de répondre positivement et hâtivement aux demandes, qu’elles soient ou non fondées.

Le mouvement des demandes de restitution n’a pas été correctement anticipé malgré les alertes lancées par le législateur depuis dix ans. Notre pays est donc acculé à prendre dans l’urgence des décisions dictées uniquement par des considérations diplomatiques, en contradiction avec les objectifs mêmes qui sous-tendent le principe d’inaliénabilité des collections.

Cette situation a conduit la commission de la culture à engager en 2020, sous mon égide, un travail approfondi sur les questions du retour des biens culturels vers leur pays d’origine, afin de dresser le bilan de l’action de la France et de formuler un certain nombre de recommandations.

Max Brisson et Pierre Ouzoulias, dont je tiens à saluer une nouvelle fois le travail remarquable, étaient les rapporteurs de cette mission d’information dont j’assumais la présidence. La proposition de loi dont nous débattons constitue, en réalité, l’aboutissement de ces travaux.

Le retour des biens culturels n’est pas une question facile, reconnaissons-le, tant elle met en présence des enjeux multiples et souvent contradictoires. Elle suppose de parvenir à concilier le droit de chacun à avoir accès, dans son pays, à son propre patrimoine et au patrimoine commun de l’humanité, sans obérer les capacités de nos propres musées à remplir leurs missions.

Les demandes de restitution questionnent la légitimité de la conception universelle de nos musées. Elles ébranlent le principe d’inaliénabilité des collections, qui constitue, depuis des siècles, leur colonne vertébrale, en prévenant le risque qu’elles ne soient dilapidées par la seule volonté du prince.

La recherche d’une solution solide et pérenne pour répondre aux demandes légitimes de restitution est pourtant nécessaire.

Les débats autour de cette question s’intensifient ces dernières années, notamment dans les instances internationales comme l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, l’Unesco. Les revendications se multiplient : notre pays a reçu récemment des demandes de la part de sept États africains, à savoir le Bénin, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie, le Tchad, le Mali et Madagascar. La loi que nous avons votée l’an passé n’a d’ailleurs pas intégralement répondu à celles qui émanaient du Bénin et du Sénégal.

La France n’est bien sûr pas le seul pays concerné. Toutes les anciennes puissances coloniales le sont aussi. La réflexion progresse d’ailleurs chez plusieurs de nos voisins.

Ainsi, l’Allemagne vient de consacrer des moyens financiers importants pour faire la lumière sur la provenance d’une partie de ses collections. Elle a par ailleurs conclu, il y a quelques mois, un accord avec le Nigéria en vue de lui restituer des centaines de bronzes du Bénin, présents dans ses collections et pillés par l’armée britannique à la fin du XIXe siècle.

Quant à la Belgique, elle est en passe d’adopter une loi-cadre pour faciliter la restitution des objets de ses collections qui ont été acquis de manière illégitime.

Pour autant, il n’y a pas de réponse unique. D’une part, chaque pays a son histoire coloniale propre, et, d’autre part, nous n’avons pas tous le même régime de protection de nos collections et la solution retenue par tel pays n’est pas forcément transposable dans tel autre.

C’est pourquoi la France doit absolument engager un travail de fond dans ce domaine, d’autant que le discours du Président de la République, Emmanuel Macron, à Ouagadougou, le 28 novembre 2017, et le rapport – quelque peu contesté et contestable – de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, qui s’est ensuivi, placent clairement notre pays au pied du mur.

Quelle méthode doit présider à l’examen des demandes de restitution ? Telle est la question qui nous est posée et à laquelle il nous faut répondre.

Il est clair que la manière dont ont été conduites les dernières restitutions n’a pas été satisfaisante.

Premier constat, le Parlement a été dépossédé de son pouvoir,…

M. Pierre Ouzoulias. Absolument !

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. … alors qu’il est pourtant le seul habilité à autoriser la sortie de biens culturels des collections. Le législateur a la compétence exclusive de faire exception au principe d’inaliénabilité des collections, qui est de valeur législative.

Malgré ce principe, soit le Parlement a été sollicité pour entériner la restitution de biens culturels que le Président de la République ou le Gouvernement s’était déjà engagé à rendre – ce fut le cas pour le sabre revendiqué par le Sénégal et pour le trésor d’Abomey revendiqué par le Bénin –, soit il a été contourné, dès lors que l’on a remis aux pays concernés les biens qu’ils revendiquaient sous la forme d’un dépôt.

Ce fut la méthode retenue par le Gouvernement pour restituer, à la veille de dates symboliques pour les pays concernés, le dais en forme de couronne revendiqué par Madagascar ou les crânes algériens revendiqués légitimement par l’Algérie. Une autre manière d’opérer, sans doute plus digne, restait à mon avis possible.

Deuxième constat, l’instruction des demandes a été menée dans une grande opacité, donnant le sentiment que les considérations diplomatiques l’emportaient sur tout le reste. Le travail scientifique que les musées ont effectivement réalisé pour instruire les demandes de restitution n’a, hélas, jamais été rendu public.

Troisième constat, les pays demandeurs – ils nous l’ont dit – ont été frustrés par le processus. Ils observent un manque de clarté de la procédure et un déficit de concertation dans l’instruction. Le risque, à terme, est que les restitutions ne se résument à des opérations sans suite et ne se traduisent pas, comme nous le souhaitons, par le lancement de coopérations dans le domaine culturel et patrimonial, dont toutes les parties pourraient pourtant bénéficier.

Pour éviter ces dysfonctionnements, il faut disposer d’une véritable méthode permettant de traiter les demandes de restitution avec la plus grande rigueur et la plus grande transparence, au plus près de la vérité historique. C’est le seul moyen de préserver le principe d’inaliénabilité des collections et de garantir une cohérence et une permanence aux décisions que notre pays sera amené à prendre sur les demandes de restitution, malgré les alternances politiques et au-delà de celles-ci.

La proposition de loi dont nous débattons vise à nous doter d’une telle méthode, qui se veut avant tout transparente, collégiale et scientifique.

L’article 1er vise à créer un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour des biens culturels extra-européens. Cette instance doit permettre de combler les faiblesses de la procédure actuelle, que nous avons identifiées, et de compenser l’inertie du ministère de la culture sur les questions de restitution.

Vous vous souvenez peut-être que telle était déjà la solution que le Sénat avait adoptée, sur ma proposition, dans le cadre du projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.

Ce conseil aura une triple mission : premièrement, rendre un avis sur les demandes de restitution, afin d’apporter aux pouvoirs publics un éclairage scientifique dans leur prise de décision ; deuxièmement, mener une réflexion prospective en matière de circulation et de retour des biens culturels ; troisièmement, formuler des recommandations sur la méthodologie et le calendrier des travaux consacrés à la recherche de provenance des biens culturels conservés dans les collections publiques.

La commission de la culture juge en effet essentiel qu’un coup d’accélérateur soit donné à la recherche de provenance d’un certain nombre de pièces de nos collections. Ce travail commence tout juste dans les musées et il s’agit clairement d’un élément crucial pour répondre correctement aux demandes de retour et aux questionnements actuels sur la légitimité de nos collections.

C’est en connaissant mieux et en faisant mieux connaître le parcours des pièces qui composent nos collections que nous pourrons restaurer leur image et leur conception universaliste. Nous pourrons également démontrer ainsi que l’essentiel des pièces originaires de pays tiers n’a pas été acquis de manière illégitime.

La réalisation de ce travail dans des délais raisonnables suppose néanmoins des moyens humains dont les musées manquent cruellement ; leurs représentants nous l’ont dit lors des auditions. Il faut que le Gouvernement en fasse une priorité politique et lui alloue des moyens adéquats.

Par ailleurs, pour tenir compte des problèmes de fonctionnement rencontrés par la Commission scientifique nationale des collections, le champ de compétences du conseil porte clairement sur les demandes de restitution et sa composition se trouve réduite à douze membres, ce qui garantira son efficacité.

Il s’agit, pour l’essentiel, de personnalités qualifiées, choisies pour leurs compétences scientifiques parmi les conservateurs, les archéologues, les historiens, les historiens de l’art, les anthropologues, les ethnologues ou encore les juristes. Elles seront nommées par le ministère de la culture et le ministère de la recherche, ce qui contribuera à remettre au centre du jeu ces deux ministères de tutelle, tout en les incitant à engager une véritable réflexion sur ces questions.

La création d’une instance scientifique pérenne apparaît opportune pour apporter plus de transparence à la procédure, pour recentrer l’examen des demandes sur la vérité historique et pour garantir une plus grande permanence dans les décisions de la France, malgré les alternances politiques.

Ce type d’instance a déjà fait la preuve de son efficacité dans d’autres domaines. Pensons au rôle joué par la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture dans le dossier concernant la cathédrale Notre-Dame de Paris, ou encore au rôle joué par la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations, la CIVS, sur la question des œuvres spoliées. Nous aurions là une véritable garantie en matière de transparence et de contrôle, sur des sujets complexes, comme celui des restitutions, qui échappent aujourd’hui très largement au ministère de la culture.

Cette instance n’est pas non plus un « gadget » redondant, compte tenu de l’examen des demandes mené par les musées, contrairement aux arguments avancés par le Gouvernement et les députés de la majorité lors des discussions qui ont eu lieu l’an dernier sur le projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.

D’une part, il s’agit d’un véritable outil de protection pour éviter que les seuls intérêts politiques et activistes prennent le pas sur les considérations culturelles, historiques et scientifiques. Il s’agit également d’une protection contre les pressions dont les autorités politiques – nous en faisons partie – pourraient faire l’objet.

S’il est vrai que les membres du conseil ne seront sans doute pas toujours experts des biens qu’ils auront à examiner, ils auront tout loisir d’entendre des spécialistes avant de rendre leur avis, comme le font les commissions parlementaires. Ils auront également l’obligation d’entendre le personnel scientifique du pays demandeur, afin d’assurer la bonne prise en compte de ses positions et de garantir la construction d’un dialogue propice à la mise en place de coopérations globales dans le domaine culturel et scientifique.

D’autre part, ce conseil pourra contribuer à la formation progressive d’une doctrine en matière de restitution, sur la base de ses avis, ainsi que dans le cadre de la mission de réflexion prospective qui lui est dévolue.

Cette mission pourra être menée de manière autonome ou en s’appuyant sur les saisines des ministres ou des commissions parlementaires dont le conseil fera l’objet. C’est la raison pour laquelle la commission estime que la création de cette instance n’est pas du tout incompatible avec la perspective d’une éventuelle loi-cadre sur le sujet, puisque le Président de la République a confié à M. Jean-Luc Martinez une mission en ce sens, il y a quelques semaines.

Nous ne savons absolument pas à quel moment ce travail pourra aboutir. Il y a un an encore, le Gouvernement estimait qu’une loi-cadre n’était pas envisageable et qu’il serait extrêmement difficile d’établir une critériologie suffisamment précise et exhaustive pour convenir à la multiplicité des cas susceptibles de se présenter.

Il craignait que l’adoption de critères ne fasse obstacle à des restitutions qui seraient pourtant souhaitables. C’est en tout cas ce qui figure dans l’étude d’impact du projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.

On peut s’interroger sur ce brusque revirement, compte tenu de l’état d’avancement du travail sur la recherche de provenance. La commission estime qu’il serait regrettable d’attendre l’adoption de ladite loi-cadre pour renforcer la transparence de la procédure de restitution et sa méthode.

Le conseil national peut faire progresser de manière collégiale cette nécessaire réflexion sur les critères de restitution, dès à présent. La meilleure méthode n’est-elle pas de mener cette réflexion de manière collégiale, plutôt que de la confier à un seul homme, qui plus est ancien président-directeur de l’établissement public du musée du Louvre, quelles que soient ses grandes qualités et sa longue expérience, au risque qu’il se voie reprocher sa partialité ?

Si la loi-cadre vient à être adoptée, le conseil national se révélera utile comme instance de contrôle, dans la mesure où le Parlement ne sera alors plus saisi des différentes restitutions.

J’en viens à présent à l’article 2, dont l’objet est de faciliter la restitution de certains restes humains conservés dans les collections publiques.

Cet article a été intégralement réécrit par la commission lors de l’élaboration de son texte, même si l’objectif reste strictement identique.

Le besoin de faciliter la restitution de certains restes humains est réel. Plusieurs pièces conservées dans les collections publiques mériteraient d’être restituées. Divers cas ont été portés à notre connaissance pendant les auditions, comme celui d’un groupe d’Inuits emmenés en Europe en 1880 pour être exposés dans des spectacles, morts de la variole, puis enterrés, et dont les squelettes ont été exhumés cinq ans plus tard à des fins de recherches scientifiques.

Notre collègue Pierre Ouzoulias nous parlera aussi des crânes de femmes arméniennes, victimes du génocide de 1915, ou des restes de tous les sujets anonymes, originaires de nombreux pays, prélevés dans des cimetières identifiables et dont la présence dans nos collections est choquante.

À la suite de la loi relative à la restitution des têtes maories, un groupe de travail pluridisciplinaire, animé par Michel Van Praët, muséologue français, professeur émérite des universités et l’un des grands savants du Museum national d’histoire naturelle a été mis en place par le ministère de la culture et le ministère de l’enseignement supérieur, à la demande de la Commission scientifique nationale des collections, pour examiner les voies possibles de restitution des restes humains sans avoir à recourir au vote de lois spécifiques. Il s’agissait de concrétiser une mesure votée à l’unanimité de la représentation nationale.

Ce groupe de travail, constitué de membres dont la liste est très diversifiée, a produit deux rapports, en 2015 et en 2018, qui ont permis de dégager un accord autour d’un certain nombre de critères de restituabilité.

Sur la base de ces critères et de ceux qui avaient guidé l’examen de la loi relative à la restitution des têtes maories, l’article 2 définit un cadre général fixant la procédure et les conditions de restitution des restes humains par l’administration qui en est propriétaire.

Il s’agit d’une procédure en deux étapes.

La première, qui est destinée à faire automatiquement sortir des collections un certain nombre de restes humains, dès lors qu’ils répondent à une série de critères, se traduit par une inscription provisoire sur un inventaire transmis aux États d’origine des restes.

La seconde prévoit la restitution par l’administration des restes humains, lorsqu’elle est demandée, sous réserve que ce retour réponde à une série de conditions supplémentaires.

L’adoption de cette disposition constituerait une réelle avancée pour permettre à notre pays de répondre plus rapidement aux demandes de restitution portant sur des restes humains identifiés et pour accélérer l’identification des cas sensibles présents dans les collections. Il serait d’ailleurs important que les pays d’origine soient associés aux différentes étapes de la procédure.

L’article 2 offre donc à notre pays une méthode pour traiter de cette problématique délicate selon un processus fondé d’un point de vue scientifique, ainsi que dans le respect de la dignité humaine et des croyances des autres peuples. Il permet de régler un certain nombre de cas et d’en régulariser d’autres a posteriori, par exemple celui de la mise en dépôt des crânes algériens en juillet 2020, ceux-ci ayant été, depuis lors, inhumés par les autorités algériennes au cimetière d’El Alia, dans la banlieue d’Alger.

Je crois savoir que le ministère de la culture préférait la rédaction initiale de cet article, qui visait à créer une procédure judiciaire permettant, au cas par cas, l’annulation de l’acquisition par les musées de certains restes humains, en vue de leur restitution, comme l’avait préconisé le groupe de travail pluridisciplinaire en 2018, en s’inspirant de la procédure d’annulation de l’acquisition des biens culturels qui se révéleraient avoir fait l’objet d’un trafic illicite.

Souvenez-vous, mes chers collègues, cette procédure avait été mise en place par la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, dite « loi LCAP ».

Toutefois, lors des auditions, le ministère de la justice a été très clair quant aux fragilités juridiques de ce dispositif, susceptibles de le rendre inopérant. En tout état de cause, il aurait fallu qu’un décret d’application fixe les critères pour permettre au juge de prononcer l’annulation.

Or le fait que le décret d’application relatif à la disposition similaire qui figure dans la loi LCAP n’ait toujours pas été publié, plus de trois ans après l’adoption du texte, nous a inspiré quelques craintes.

Enfin, compte tenu de l’encombrement des tribunaux, nous avons estimé qu’il n’y aurait pas grand intérêt à transférer cette charge au juge. Par ailleurs, le juge administratif peut toujours être saisi en cas de restitution litigieuse par l’administration, ou même en cas d’inaction de sa part.

C’est pourquoi la commission estime que la rédaction de l’article 2, telle qu’elle vous est soumise, constitue la meilleure voie pour avancer en matière de restitution de restes humains, ce qui représente un enjeu essentiel pour manifester la volonté sincère de notre pays de progresser en matière de gestion plus éthique de nos collections.

Tel est donc le contenu des deux articles qui composent cette proposition de loi, dont l’objectif essentiel est de doter notre pays d’une méthode pour traiter les questions de retour et de circulation des biens culturels vers les pays d’origine. Elle s’inscrit en cela dans la continuité des réflexions menées par le Sénat – nous pouvons en tirer une légitime fierté collective –, depuis vingt ans, en matière de collections publiques. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, SER, GEST et CRCE.)

Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de léducation prioritaire. Madame la présidente, madame la rapporteure – chère Catherine Morin-Desailly –, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous prie, au préalable, de bien vouloir excuser ma collègue Roselyne Bachelot, ministre de la culture, qui ne peut être avec nous cette après-midi compte tenu du changement d’ordre du jour, puisqu’elle participe au lancement du volet culturel de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, à Bruxelles, en ce moment même.

Comme vous le savez, un travail considérable a été engagé depuis plusieurs années par le ministère de la culture sur la restitution de biens culturels des collections publiques, en particulier des œuvres d’art issues du continent africain et d’un contexte colonial.

Le Président de la République s’était prononcé, à Ouagadougou, en faveur du renouvellement et de l’approfondissement de la coopération culturelle entre la France et les pays africains. Il avait souhaité notamment que « d’ici à cinq ans, les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ».

M. Max Brisson. Nous n’y sommes pas !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. Une première étape historique a été franchie, à la fin de l’année dernière, au service de cette ambition, grâce à l’adoption de la loi du 24 décembre 2020 relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.

Pour la première fois dans son histoire, la France a décidé le retour dans leur terre d’origine de biens culturels d’une valeur patrimoniale et symbolique de première importance pour les pays intéressés. Fait remarquable, le principe de cette restitution au Bénin et au Sénégal a été soutenu par l’ensemble des parlementaires, tous bords confondus. In fine, la Haute Assemblée n’a pas approuvé le texte qui lui était soumis, mais pour un motif qui n’était pas lié au projet de restitution lui-même – j’y reviendrai.

En quelques années, quel chemin a été parcouru ! Rappelons que, en 2016, le Gouvernement avait opposé un refus à la demande qui lui avait été adressée par les Béninois. Cette évolution est due à l’immense travail collectif qui a été mené par le Gouvernement, par les musées et bien évidemment par les parlementaires. Je veux particulièrement saluer l’implication du Sénat, qui a largement contribué, par ses réflexions, à éclairer les débats.

Nous pouvons être fiers de cette loi, qui a d’ailleurs eu un grand retentissement en Europe, en particulier en Allemagne, en Belgique ou aux Pays-Bas, pays concernés par des problématiques comparables.

Depuis sa promulgation, nos engagements ont été tenus de bout en bout.

Les vingt-six œuvres du trésor d’Abomey ont fait leur retour au Bénin, en novembre dernier, après une dernière exposition à la fin du mois d’octobre, au musée du quai Branly-Jacques Chirac, dans le cadre d’une très réussie semaine culturelle du Bénin. Une cérémonie de restitution a eu lieu au musée, présidée par le Président de la République, avant la signature par les ministres de la culture français et béninois du transfert de propriété officielle au Bénin, le 9 novembre dernier. Une exposition aura lieu au printemps prochain, au Bénin.

Quant au sabre dit « d’El Hadj Oumar Tall », son dépôt à Dakar par le musée de l’Armée a pris fin en décembre dernier, pour se transformer en transfert de propriété.

Pendant toute cette période, de manière plus générale, nos musées nationaux ont été extrêmement mobilisés sur la question des restitutions. C’est grâce à leur travail sur l’histoire de leurs collections que d’autres restitutions, après celles qui ont été faites au Bénin et au Sénégal, pourront être réalisées à l’avenir.

De nombreux séminaires de recherche se sont tenus sur la question, et nous avons procédé au recrutement de plusieurs chercheurs de provenance. Dans le même temps, des partenariats entre les musées français et africains se sont noués.

Le Nouveau Sommet Afrique-France, voulu par le chef de l’État, s’est tenu le 8 octobre 2021 à Montpellier. Il a contribué à ce que des musées européens et africains progressent dans leur coopération en matière de recherche de provenance et de circulation des collections.

Par ailleurs, les restitutions, je tiens à le rappeler, ne constituent qu’un aspect et non pas l’enjeu principal de la nouvelle coopération patrimoniale que nous voulons construire avec les musées africains. C’est ainsi que le musée du quai Branly-Jacques Chirac organisera, en partenariat avec le musée Picasso, une grande exposition sur Picasso qui se tiendra, en avril prochain, au musée des civilisations noires, à Dakar.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la loi du 24 décembre 2020 constitue un commencement plutôt qu’elle ne signe un aboutissement. D’autres demandes de restitution nous ont été adressées par l’Éthiopie, le Mali, le Tchad, Madagascar ou encore la Côte d’Ivoire. À chaque fois, nous engageons une discussion avec le pays demandeur et ses experts. La ministre de la culture s’est ainsi récemment entretenue avec son homologue de Madagascar à ce sujet.

Pour traiter ces différentes demandes, notre méthode reste la même. Elle consiste à mettre nos musées au cœur de l’instruction des dossiers et à instaurer un dialogue étroit avec le pays demandeur, afin de parvenir à une analyse partagée de l’historique des pièces restituées.

C’est cet historique qui permet de déterminer l’éventuelle origine violente de l’entrée des œuvres dans les collections publiques nationales, laquelle est susceptible de justifier leurs restitutions. Or seul le travail des musées est en mesure de l’établir, lorsque c’est possible.

Ces derniers mois, des travaux ont été menés au sujet de la restitution du tambour atchan, à la demande de la Côte d’Ivoire : le musée du quai Branly a conclu avec certitude que ce tambour avait été acquis dans le contexte d’une prise coloniale. C’est la raison pour laquelle nous avons annoncé sa restitution future et entamé des discussions sur les coopérations qu’il serait possible de mettre en œuvre autour de cette restitution. Des projets similaires sont en cours avec le Tchad et le Mali.

Le travail des musées sur chaque cas et les échanges avec les professionnels africains contribuent à approfondir une doctrine sur ce qui peut être restitué, ou non, et comment. Chaque cas est particulier et s’inscrit dans une histoire coloniale particulière, mais il nourrit une réflexion globale.

De même, les échanges renforcés entre les pays européens concernés par des demandes de restitution permettent de trouver des points de convergence sur les méthodes de travail à appliquer – je pense notamment à l’instruction des œuvres par les musées ou à la définition du parcours de celles-ci –, malgré des histoires très diverses.

C’est de cette réflexion globale que résultera, le moment venu, ainsi que l’a souhaité le Président de la République, la proposition au Parlement d’un dispositif-cadre, qui permettra de procéder plus facilement, en fonction de critères définis précisément, à de nouvelles restitutions d’objets culturels issus du contexte colonial africain.

Pour nous aider à concevoir un tel dispositif, le Président de la République a confié à Jean-Luc Martinez, ancien président-directeur du Louvre et ambassadeur pour la coopération internationale dans le domaine du patrimoine, une mission visant à approfondir les consultations que la loi de 2020 a permis d’entamer.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite insister sur deux points essentiels pour le ministère de la culture et le Gouvernement en général.

Tout d’abord, les musées et leurs experts doivent être au cœur du dispositif d’instruction des demandes de restitution et, plus largement, des politiques sur la recherche de provenance.

Ensuite, il est crucial que les professionnels – musées français et européens, musées et experts africains – travaillent en réseau. L’histoire des pièces et de leur arrivée dans les musées doit être au cœur de toute instruction. Cette dernière ne peut être réalisée avec précipitation, car elle doit s’inscrire dans le temps long de la recherche.

Les éléments de doctrine et de contexte que je viens de rappeler à cette tribune expliquent l’opposition réitérée du Gouvernement à la création d’une instance extérieure aux musées, qui serait chargée de se prononcer sur les projets de restitution.

Certes, nous partageons avec les auteurs de cette proposition de loi l’objectif d’associer les scientifiques et les experts pour éviter tout fait du prince – nous l’avons démontré dans le traitement des dossiers béninois, sénégalais et ivoirien –, mais cette collaboration ne peut se concevoir indépendamment du travail des musées ni s’y substituer, les musées étant les mieux placés et donc les meilleurs experts de leurs propres collections.

Aussi, un conseil des restitutions – nous avons déjà eu l’occasion de le dire l’année dernière – ne serait au mieux qu’un doublon si on lui confiait la mission d’instruire les dossiers au fond.

Venons-en maintenant à la question de la restitution des restes humains, abordée à l’article 2.

C’est un sujet de nature tout à fait différente, car il touche à la dignité de la personne. Nombre de travaux ont été conduits ces dernières années dans ce domaine, notamment sous l’égide de Mme Morin-Desailly, avec l’implication sans faille du ministère de la culture et du Muséum national d’histoire naturelle, qui est concerné au premier chef par la question.

Contrairement aux restitutions d’objets, il existe plusieurs précédents de restitution de restes humains par la loi, notamment le retour de la dépouille de Saartjie Baartman en Afrique du Sud ou la restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande. Nous sommes en outre saisis de nombreuses demandes émanant de pays comme l’Australie, l’Argentine ou Madagascar.

La ministre de la culture a encore récemment eu l’occasion d’évoquer le sujet avec Bruno David, le président du Muséum national d’histoire naturelle. Elle est déterminée à trouver une solution contribuant à faciliter les restitutions sans avoir à passer systématiquement par la loi.

L’affaire est néanmoins complexe. Elle ne l’est pas moins, dans son genre, que celle des restitutions d’objets que nous venons d’évoquer.

Là encore, il n’existe pas de critères simples pour définir le caractère restituable ou non des objets. En effet, il ne saurait s’agir de considérer comme « restituables » tous les restes humains ou objets composites incluant des restes humains conservés dans les collections publiques.