Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Tabarot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Tabarot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’aborde l’examen de ce texte avec gravité et émotion, car nous sommes à un rendez-vous de l’histoire.

J’en suis convaincu de longue date : le temps est venu d’honorer les harkis, citoyens français à part entière ; d’engager enfin la réparation d’un drame humain ; d’écrire la dernière page de cette histoire et de fermer ce livre de l’ombre.

Abandon, massacres, déracinement, camps, discrimination, misère sociale : non seulement cette vérité doit être dite, mais il faut programmer le règlement définitif de la dette immense de la France envers les harkis.

Parce que ces hommes courageux avaient servi sous le drapeau français, ils furent, avec leurs familles, victimes de représailles après le cessez-le-feu, car privés de la protection de la France. Pour survivre et ne pas subir le sort de près de 100 000 de leurs compatriotes, massacrés par l’organisation terroriste du FLN, ils furent condamnés à un exil précipité.

M. Philippe Tabarot. Oui, en Algérie, la France a abandonné une partie de ses propres soldats.

Lorsqu’ils débarquèrent en métropole, sans ressources, sans attaches et sans perspectives, ils furent accueillis dans des conditions indignes ; puis au déracinement s’ajouta l’oubli. Les harkis aimaient la France, mais la France les a abandonnés.

Madame la ministre, avec ce projet de loi, vous accomplissez une avancée louable. Le présent texte traduit, je l’espère, la volonté de réparer l’une des plus grandes injustices du XXe siècle. Je ne saurais croire qu’il ait en fait un but électoraliste, encore moins qu’il résulte de pressions juridiques ou judiciaires du Conseil d’État ou de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Je veux simplement croire que le Président Macron se repent – oui, se repent ! – des propos ignobles qu’il a tenus en 2017 à Alger, en qualifiant la présence française en Algérie de crime contre l’humanité. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Henno applaudit également.)

Toutefois, ce texte cristallise beaucoup de déceptions : derrière les avancées, votre engagement est trop restrictif pour être réparateur. Ce texte entend opérer un tri entre les mémoires et créer des catégories entre les harkis. Certes, dans les camps et hameaux de forestage, il n’y avait ni eau ni électricité et l’on ne mangeait pas à sa faim. Mais, ailleurs, les conditions de vie pouvaient être tout aussi précaires.

Certains ont voulu croire en la parole du chef de l’État. Leur espoir était immense, pour qu’enfin soit reconnue l’indignité de leurs conditions d’accueils. Malheureusement, cet espoir est déçu.

Personne n’a jamais dit que près de la moitié des harkis seraient exclus de la réparation. (Mme Brigitte Micouleau acquiesce.) Leur seul tort est de ne pas avoir vécu entourés de barbelés. En hiérarchisant la souffrance, vous bafouez leur honneur et leur loyauté ; en les condamnant à leur sort, vous créez une défiance qu’il vous faudra réparer pour me convaincre de la portée de ce texte, d’autant qu’il demeure incomplet.

Ainsi, ce projet de loi ne dit rien de la reconnaissance de la qualité de Français aux harkis ; rien de la reconnaissance de la responsabilité de la France dans cet abandon ; rien de l’instauration d’une sanction pénale lorsque est portée à l’égard d’un harki une injure ou une diffamation ; rien de l’abrogation de la journée du 19 mars, date funeste qui, par l’ampleur des massacres commis, n’a pas empêché le sang de couler, bien au contraire. Les harkis ont eu le choix entre la valise et le cercueil !

J’ai noué très tôt des liens d’amitié durables qui m’ont valu d’entrer dans la blessure de ces familles déracinées. Ayant bien connu la précarité de la cité des Mimosas, à Cannes-la-Bocca, je peux en témoigner.

À cet exode forcé, j’associe les rapatriés pieds-noirs…

M. Gérard Longuet. Absolument !

M. Philippe Tabarot. En effet, leur sort est intimement mêlé à celui des harkis. Ils ont été chassés d’une terre où ils étaient nés et où leurs aînés reposent encore, fuyant une mort que leur loyauté rendait certaine. Cet exode aurait dû inspirer une hospitalité digne de leur engagement.

M. Philippe Tabarot. Voilà ce que je défends.

À l’heure où, soixante ans après les faits, des extrémistes se détournent de notre pays selon une logique victimaire anti-France, comment ne pas ériger en héros et en exemples ces musulmans qui ont combattu pour la France ?

Mes chers collègues, posons aujourd’hui un acte global de reconnaissance de cette histoire…

M. Gérard Longuet. Très bien !

M. Philippe Tabarot. … pour mettre un terme à sa méconnaissance.

Un peuple sans mémoire est un peuple sans histoire. Les commémorations n’ont pas la force de guérir à elles seules les blessures. Ce texte fera date s’il apporte une complète réparation et s’il assure l’hommage de la Nation aux membres de cette communauté qui a choisi de défendre notre pays librement, avec son cœur et, trop souvent, avec son sang.

Les harkis ont montré la voie dans cet inconnu permanent de l’avenir qui, un jour, devient histoire.

J’en appelle à votre sens du devoir pour que les harkis, qui ne demandent pas la charité, ne subissent pas une énième trahison, eux qui avaient choisi de se ranger du côté de la France. Tout doit commencer par la vérité ; tout doit finir par la justice. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Devésa. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

Mme Brigitte Devésa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier notre collègue Marie-Pierre Richer : je salue le sens de l’écoute et du consensus dont elle a fait preuve durant l’ensemble de nos travaux.

Mes premiers mots iront aux harkis, à leurs familles, aux blessés, aux âmes écorchées, aux morts. Je tiens à rendre hommage à l’ensemble d’entre eux, où qu’ils aient vécu, avant ou après 1975.

Les auditions du Sénat et de l’Assemblée nationale ont fait ressurgir en moi, fille de pieds-noirs, nombre de souvenirs, de témoignages, d’histoires et de visages.

Ils m’ont laissée muette face à la douleur vécue, face à la blessure de l’histoire, face à la vérité criante qui domine chacun de ces témoignages : le cessez-le-feu n’en était pas un ; la guerre a continué ; les accords de paix cachaient une paix bâclée.

Au sommet de l’État français régnait la peur – peur laissée par le souvenir de la guerre d’Indochine, peur de s’enliser dans une guerre interminable. La peur a mené à la précipitation. Doublée d’un manque de considération, elle a rendu l’État, la France, lâche.

C’est la lâcheté qui a conduit à l’abandon de citoyens français ; un abandon grossier, d’abord, qui conduira aux pires massacres. Je pèse mes mots : il s’agissait de massacres.

Persécutés, martyrisés, les harkis ont subi un nouvel abandon, plus sournois que le premier. L’oubli est un abandon. Il aura duré presque soixante ans.

Rendons hommage à Jacques Chirac, grâce à qui l’État cessa de s’enliser dans le déni. Les Présidents Hollande et Sarkozy ont eu des mots forts pour les harkis ; le Président Macron aussi. Ils savent que les harkis n’oublient pas et que jamais au grand jamais ils n’accepteront un énième abandon, une énième lâcheté.

Les harkis honorent la Nation et le peuple français par leur courage, par leur patriotisme, par leur amour de la France. Ils donnent une chance à l’État de sortir d’un silence sournois, d’une pudeur qui entache l’esprit français. N’oublions pas qu’il s’agit d’une réparation par la France, pour la France, pour son unité. Voilà pourquoi l’injure faite aux harkis est une injure faite à la Nation.

Déclassifions les archives, continuons les auditions : les préjudices ne sont pas encore tous établis.

Madame la ministre, je forme le vœu que l’office national indépendant, création de ce gouvernement, fasse toute la lumière sur l’histoire des harkis et leur permette de témoigner de l’ampleur des préjudices subis et des réparations attendues.

Ce texte de loi vient bien tard ; mais nous avons aussi le sentiment qu’il arrive trop tôt, peut-être parce que le Président de la République, qui se décrivait lui-même comme le « maître des horloges », s’en est laissé dicter le tempo par la Cour européenne des droits de l’homme.

En résulte, in fine, un sentiment de frustration. Cette sensation, qu’éprouvent bon nombre d’associations de harkis, m’a conduite à m’interroger longtemps, et avec gravité, sur le sens de mon vote.

Aux associations de harkis, je veux dire que la loi peut paraître froide, mais qu’elle n’est jamais une fin en soi. N’ayez pas peur, car le chemin ne s’arrête pas là.

Ce gouvernement instaure, le 25 septembre, la journée nationale d’hommage aux harkis. Chaque année, mesdames, messieurs les harkis, la République vous entendra. Chaque année, nous essaierons ensemble de faire un pas de plus vers l’apaisement.

Comme l’indiquait ma collègue Jocelyne Guidez, les membres du groupe Union Centriste voteront en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions. – Mme Valérie Boyer applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Rachid Temal. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous réunit aujourd’hui se doit de répondre enfin aux aspirations de milliers de nos compatriotes : les harkis et leurs familles.

Les harkis servaient dans les forces armées françaises. Ils étaient moghaznis, tirailleurs, spahis, membres des forces régulières, des groupes mobiles de sécurité, des groupes d’autodéfense et des sections administratives. Ils furent 200 000. Nous leur devons remerciements et reconnaissance. Ils ont risqué leur vie pour une patrie qui était et qui demeure la leur : la France.

Pourtant, après la proclamation du cessez-le-feu le 19 mars 1962, les plus hautes autorités de l’État n’ont pas tenu la promesse qui leur avait été faite : leur offrir une protection et la citoyenneté française.

Oui, la citoyenneté française est une promesse, parce que nulle autre au monde ne porte en elle l’idéal républicain.

Les harkis ne furent ni protégés ni rapatriés, mais abandonnés à leur triste sort. Alors, il fallut le courage et la parole de nombreux militaires français, au nom de la fraternité d’armes, pour assurer le rapatriement en France de près de 90 000 soldats harkis et de leurs familles. Ces militaires sont l’honneur de la France.

Près de la moitié des harkis ainsi rapatriés furent condamnés aux camps, de sinistre mémoire, et à leurs violences. Des enfants morts de faim et de froid, enterrés sans sépulture, d’autres déscolarisés, des femmes violentées et humiliées, parfois même violées, l’internement en cas de rébellion, l’insalubrité et la promiscuité au quotidien, la spoliation des maigres revenus par les chefs de camp : chacun peut imaginer les conséquences de telles épreuves sur ces vies brisées.

L’horreur – c’est bien de cela qu’il s’agit –, dura officiellement jusqu’au 31 décembre 1975, soit treize longues années d’inhumanité.

On sait désormais que les autres harkis vécurent une situation d’enfermement social ; qu’ils furent rejetés de l’autre côté de la Méditerranée et mal acceptés ici même, dans leur pays, la France. Les harkis durent attendre douze années après la fin de la guerre d’Algérie pour obtenir le statut, pourtant légitime, d’anciens combattants.

Les Présidents de la République qui se sont succédé – Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et désormais Emmanuel Macron – ont, avec dignité, reconnu la responsabilité de la France.

Reconnaître n’est pas se repentir ; c’est admettre l’expression de la douleur vécue. Il nous faut être respectueux. Le respect est la marque à laquelle on reconnaît l’humanité et c’est toujours l’honneur d’un pays.

Madame la ministre, les associations de harkis attendaient beaucoup de ce projet de loi, né de la volonté présidentielle, le 20 septembre dernier, à l’Élysée – j’y étais. Elles sont déçues et parfois même en colère. Il n’y a pas eu de concertation et ce texte présente bien des lacunes.

Avec mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, je défendrai plusieurs mesures d’importance.

Tout d’abord, il faut reconnaître la qualité de Français à tous les harkis. Cette disposition doit figurer dans l’ensemble du texte et même dans son titre.

Ensuite, la réparation ne peut pas conduire à établir des distinctions entre les harkis : elle doit valoir pour l’ensemble des 90 000 harkis et leurs familles.

En outre, comme le souligne la commission, ce projet de loi ne saurait valoir solde de tout compte. Dans la rédaction actuelle, c’est pourtant le cas. En effet, une réparation forfaitaire qui ne tiendrait pas compte des situations particulières n’apporterait qu’une réponse froidement administrative, ce qui est bien entendu inacceptable : un tel dispositif ne garantirait pas réparation à chacune des personnes.

Enfin, l’État doit favoriser la création d’une fondation mémorielle – j’y reviendrai dans la suite du débat.

Madame la ministre, nous attendons que vous fassiez preuve d’humanité et d’écoute. Saisissez la main que nous vous tendons en retenant nos amendements, voire en les reprenant, afin de faire avancer les choses. C’est ainsi que les harkis pourront rejoindre les grandes pages de notre histoire nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Cathy Apourceau-Poly et M. Guy Benarroche applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Burgoa. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre-Antoine Levi applaudit également.)

M. Laurent Burgoa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est avec beaucoup d’émotion et de gravité que nous abordons ce projet de loi et, avant tout, je tiens à remercier notre rapporteure, Marie-Pierre Richer, de son travail et de son sens de l’écoute.

Cette reconnaissance de la Nation envers les harkis découle d’un long processus, engagé dès 2001 par le Président Jacques Chirac et qu’il convient de poursuivre. À quelques mois d’une élection importante, je refuse d’imaginer que cette initiative est entachée par une tentative de récupération. Que ceux qui s’y laisseraient aller fassent preuve de décence !

L’épreuve de la guerre d’Algérie saigne encore dans le cœur de nombreux Français. Je pense en particulier aux anciens combattants de ce conflit : il suffit d’avoir croisé leur regard embué pour mesurer à quel point la paix est précieuse.

À la fin de cette guerre, la France a rapatrié une partie des anciens supplétifs, accompagnés de leurs familles, dont la sécurité était désormais menacée sur la terre qui les avait vus naître.

Sur ce même sol, plusieurs dizaines de milliers de harkis furent assassinés. Aujourd’hui, comment ne pas rendre hommage à ces victimes, qui ont cru en notre idéal républicain et pour lesquelles la République n’a pas été à la hauteur ?

Parmi les harkis ayant pu être rapatriés, 82 000 étaient d’origine algérienne, dont 42 000 furent accueillis dans des conditions indignes se traduisant par des atteintes aux libertés individuelles, une forte précarité, des brimades ou encore la non-scolarisation des enfants.

Rien ne pourra réparer ces outrages, rien, jamais ! Mais j’en suis intimement persuadé : les grandes nations se reconnaissent à leur faculté de regarder leur histoire droit dans les yeux.

Il ne s’agit pas de se gargariser de ce projet de loi, qui, par ailleurs, a fait naître un grand espoir. Nous devons faire preuve d’humilité face à ceux qui ont été rapatriés, comme face à ceux qui n’ont pu rejoindre notre rive.

Nous sommes nombreux, au sein de cet hémicycle, à déplorer le communautarisme. Oui, notre République, riche de sa diversité, nourrit l’ambition humaniste de ne faire qu’un ! Toutefois, lorsque ces rapatriés sont arrivés sur notre sol, nous avons indéniablement manqué de fraternité à leur égard. En réaction, une formidable solidarité s’est développée au sein de cette communauté : comment le leur reprocher ? À l’instar de certains représentants d’associations, je regrette que ce texte les divise et les segmente.

Bien sûr, les souffrances ont été diverses, elles ont duré plus ou moins longtemps ; mais nous devons cette reconnaissance à l’ensemble des harkis. Certains d’entre eux vivaient certes en milieu ouvert, mais leurs conditions d’existence n’en étaient pas moins précaires.

Ce projet de loi a sans doute été inscrit à l’ordre du jour avec un peu de précipitation, mais je le voterai dans un esprit de responsabilité, à condition que l’amendement cosigné par de nombreux sénateurs de mon groupe, à l’article 3, soit adopté.

Au cours de nos discussions, je veillerai également à garantir l’indépendance de la commission nationale de reconnaissance et de réparation. Ma collègue Christine Bonfanti-Dossat et moi-même avons déposé un amendement en ce sens.

Madame la ministre, mes chers collègues, c’est cette garantie qui permettra à la commission nationale d’exprimer pleinement notre reconnaissance envers les harkis, même si – je le sais parfaitement – cette page douloureuse ne se tournera pas facilement. Il faudra poursuivre notre travail. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Hussein Bourgi applaudit également.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

projet de loi portant reconnaissance de la nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de séjour dans certaines structures sur le territoire français

Chapitre Ier

Reconnaissance et mesures de réparation

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français
Article 1er bis

Article 1er

La Nation exprime sa reconnaissance envers les harkis, les moghaznis et les personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local qui ont servi la France en Algérie et qu’elle a abandonnés.

Elle reconnaît sa responsabilité du fait de l’indignité des conditions d’accueil et de vie sur son territoire, à la suite des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 relatives à l’Algérie, des personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et des membres de leurs familles, hébergés dans des structures de toute nature où ils ont été soumis à des conditions de vie particulièrement précaires ainsi qu’à des privations et à des atteintes aux libertés individuelles qui ont été source d’exclusion, de souffrances et de traumatismes durables.

Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, sur l’article.

Mme Émilienne Poumirol. En vertu de l’article 1er, la nation française exprime sa reconnaissance envers les harkis et les personnels des différentes formations supplétives bénéficiant du statut de civil de droit local, qui l’ont servie en Algérie et qu’elle a abandonnés.

Nous saluons cette reconnaissance, très attendue par les anciens harkis.

L’article reconnaît également la responsabilité de la Nation à l’égard de ces personnes pour l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans les camps et hameaux de forestage, entre 1962 et 1975.

Par le biais d’un amendement, Mme la rapporteure précise et élargit la notion de « structures » présente dans le texte initial. Toutefois, il nous semble que la reconnaissance de l’État et sa responsabilité dans les conditions d’accueil et de vie sur le territoire devraient valoir pour l’ensemble des harkis et membres de leurs familles rapatriés.

Veillons à ne pas écarter celles et ceux qui n’ont pas transité dans ces structures. Dans bien des cas, il s’agit de familles arrivées en France par leurs propres moyens, sans bénéficier d’un rapatriement militaire. Rien ne justifie qu’on les exclue du bénéfice des réparations : elles ont droit, elles aussi, à un traitement équitable.

Nous en sommes convaincus, un droit à réparation individuelle et une reconnaissance non discriminatoire seront sources d’apaisement.

Mme la présidente. La parole est à M. Hussein Bourgi, sur l’article.

M. Hussein Bourgi. Madame la ministre, l’article 1er du projet de loi reconnaît la responsabilité de la France dans les conditions indignes et même inhumaines dans lesquelles notre pays a rapatrié et accueilli ces citoyens français, dont le seul tort aura été d’aimer la France, de la servir et de la défendre.

Le patriotisme des harkis a été bien mal récompensé : la mère patrie pour laquelle ils se sont engagés au péril de leur vie les a abandonnés.

L’histoire des harkis, j’ai appris à la connaître en parlant, depuis trente ans, avec ces hommes et ces femmes. J’ai écouté les souffrances endurées et les sévices subis. J’ai écouté le profond sentiment d’injustice qu’ils portent en bandoulière, en lieu et place des armes qui leur servaient à défendre la France et qui leur ont été retirées, de sorte qu’ils ont été livrés aux représailles. J’ai écouté le silence assourdissant de ces hommes et de ces femmes qui, par pudeur ou par épuisement, ne pouvaient ou ne voulaient plus évoquer les exactions et les humiliations endurées.

À force d’écouter les harkis, j’ai épousé leur cause et leur combat. L’histoire des harkis est aussi la nôtre.

Longtemps, ces hommes, ces femmes et leurs enfants ont été relégués dans certains lieux, notamment les hameaux de forestage de mon département, à Saint-Pons-de-Thomières, à Lodève et à Avène, et les centres de transit de ma région, à Rivesaltes dans les Pyrénées-Orientales, à La Cavalerie en Aveyron et à Saint-Maurice-l’Ardoise dans le Gard.

Très longtemps, ces hommes et ces femmes ont aussi subi une relégation mémorielle, comme s’ils étaient la mauvaise conscience de la France.

Madame la ministre, vous nous proposez aujourd’hui de réparer les fautes commises à l’encontre des harkis. Nous y sommes naturellement favorables, mais pas à n’importe quel prix, pas en divisant les harkis, en sélectionnant ceux qui seraient dignes de prétendre à une réparation contre ceux qui le seraient moins.

Certes, le préjudice n’a pas été le même pour tous et il conviendra de l’évaluer de manière individuelle avant de l’indemniser. Mais, de grâce – je vous en conjure –, il ne faut ni mégoter ni barguigner ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud, sur l’article.

M. Olivier Paccaud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il est dans l’histoire de France bien des heures glorieuses, mais il est aussi des pages plus sombres, enfouies sous un oubli gêné. C’est le cas de la guerre d’Algérie, dont notre mémoire collective a tant de mal à s’emparer.

Les plaies ne sont pas cicatrisées, peut-être parce que ces « tristes événements », comme on les a longtemps faussement appelés, ne sont pas si lointains ; peut-être aussi parce que notre nation souffre de n’avoir pas su trouver une issue moins sanglante et cruelle à ce conflit.

Certes, rien n’était simple. Entre l’attachement des pieds-noirs au sol d’Afrique, la détermination des indépendantistes algériens et l’impatience de la métropole à sortir de ce bourbier, où tant d’appelés laissèrent leur vie ou leur jeunesse, l’Algérie fut un récif tranchant sur lequel se brisèrent plusieurs gouvernements et même une République.

À la fois guerre civile et guerre d’indépendance, la tragédie algérienne est une page de ce passé qui ne passe pas.

S’il était difficile, voire impossible, de résister au vaste mouvement de décolonisation, si le terrorisme à outrance du Front de libération nationale (FLN) et de l’Organisation armée secrète (OAS) ne cessait de fortifier ce nid de scorpions, le sort réservé aux harkis à la fin du conflit n’est à l’honneur ni de la France ni de l’Algérie.

Ces citoyens français fidèles à la France furent, après les accords d’Évian, doublement persécutés. Abandonnés d’un côté, pourchassés de l’autre, ils périrent par milliers. Pour ceux qui eurent la chance de traverser la Méditerranée et de rallier la France, l’accueil, souvent dans des camps ou des structures de fortune, ne fut pas toujours chaleureux.

Injustement oubliés et négligés, nos amis harkis méritent l’hommage de la nation française tout entière, car c’est leur nation. Leur sacrifice et leur amour de la France ont longtemps été ignorés. Il est temps de le reconnaître. Il est temps de rendre aux harkis, à ces braves et à leurs descendants, ce que la France leur doit.

Ce texte constitue une avancée réelle, mais perfectible. À nous de l’améliorer pour que la France puisse enfin regarder ses fils harkis droit dans les yeux. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Boyer, sur l’article.

Mme Valérie Boyer. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous accordons tous ce point : nous parlons aujourd’hui d’un drame français.

Pour ma part, je n’aborderai qu’un seul sujet. Depuis des années, nous demandons la reconnaissance de la République pour tous les anciens combattants d’Afrique du Nord et bien évidemment les harkis, forts de leur sens du devoir, de leur courage et de leur fraternité d’armes. Ils ont appris combien être français exigeait de sacrifices. Ils ont vu leurs camarades tomber. Ils ont droit au respect de la Nation.

Il faut le dire aux harkis : notre pays sait ce que nous leur devons. Ils ont tout donné et ils ont tout quitté, parce qu’ils avaient fait le choix de leur pays, la France. Pour savoir ce qu’est l’identité nationale, il suffit de les écouter. Leur histoire nous dit qu’être français c’est choisir la France et l’aimer par-dessus tout.

N’oublions pas ce que fut la guerre d’Algérie, non pas pour raviver les plaies d’un passé douloureux, mais, comme je l’espère, pour construire une mémoire réconciliée, sereine et apaisée. Toutefois, il faudra une volonté mutuelle, ce qui pose quand même problème de l’autre côté de la Méditerranée. En France, tout au moins, il nous faut assurer la justice et la vérité.

Madame la ministre, le discours du Président de la République aux harkis a été bien accueilli, mais le texte que nous examinons aujourd’hui a déçu. Le discours comportait des avancées sans être dénué d’angles morts. Ce moment de l’histoire de France n’est pas celui des fidélités déçues, mais celui des fidélités trahies. La réparation ne pourra pas tout effacer, surtout soixante ans après les faits.

À mon sens, la France ne pourra pas exprimer sa reconnaissance envers les harkis tant qu’elle continuera de célébrer les tragiques accords d’Évian qui marquent le début du drame pour les harkis, comme pour les Français d’Algérie, les Européens et les autres – je pense notamment à la fusillade de la rue d’Isly et au massacre d’Oran. (Protestations sur les travées du groupe SER.)

Nous présenterons des amendements, non pas pour satisfaire les associations, même si celles-ci accomplissent un travail remarquable – je les salue, d’autant que j’ai toujours beaucoup de plaisir et d’émotion à les accompagner –, mais pour donner à ce texte un supplément d’âme grâce auquel la République, dont nous sommes les représentants, retrouvera ses valeurs, son histoire et sa mémoire.

Au moment même où, en Algérie, les harkis devaient se cacher, où ils ne pouvaient sortir que la nuit, d’autres Français traversaient la Méditerranée. Or le ministre de l’intérieur de l’époque, également maire de Marseille, déclarait à leur intention : « Qu’ils aillent se réadapter ailleurs ! Qu’ils repartent d’où ils viennent ! » (Protestations sur les travées du groupe SER.)