Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.

Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, avant de laisser au débat la place qui lui revient, je précise mon propos : j’ai parlé non d’une inaction du Gouvernement, mais des limites de son action, qui sont bien réelles !

Quant aux chiffres que vous citez, ils sont exacts, à ceci près qu’ils correspondent à un budget transversal, dans lequel sont comptabilisés par exemple les fonds alloués aux programmes internationaux d’aide au développement ou les efforts d’éducation à l’égalité entre les filles et les garçons, calculés en rapportant les salaires des enseignants à la part consacrée, auprès de leurs élèves, à cette thématique.

Quand on parle de budget, il faut s’accorder sur ce dont il est question. Des mesures ont été prises, certes, mais on voit bien qu’elles manquent de portée, à défaut d’une réelle volonté politique et surtout d’écoute des associations. (Mme Pascale Gruny applaudit.)

Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comment ouvrir ce débat sans avoir une pensée pour les 113 femmes tuées par leur compagnon ou ex-compagnon en 2021, ainsi que pour les 13 femmes déjà victimes d’un féminicide en 2022 ?

Ce décompte doit encore et toujours nous alerter sur la réalité des violences faites aux femmes. Aussi, je tiens à remercier le groupe CRCE d’avoir inscrit à l’ordre du jour ce débat, dont l’organisation prouve une nouvelle fois l’importance que le Sénat accorde à ces questions – en témoignent également les travaux de la délégation aux droits des femmes ou encore de nombreux rapports d’information, comme celui que nos collègues Éric Bocquet et Arnaud Bazin ont rendu en juillet 2020.

La question qui nous est posée aujourd’hui est de savoir si les moyens dévolus à la lutte contre les violences faites aux femmes sont à la hauteur. Ma réponse sera nuancée.

D’un point de vue juridique, on peut estimer que les moyens consacrés à cette politique, qui permettaient déjà de sanctionner les violences faites aux femmes, ont été complétés ces dernières années, comme nous le souhaitions. Je pense au projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, adopté en 2018, ou encore aux diverses propositions de loi déposées au Sénat.

Cet arsenal juridique est-il cependant suffisant pour prévenir, combattre et éviter les violences faites aux femmes ? Je ne le pense pas.

Tout d’abord, le principe de réalité nous rattrape : le nombre de ces violences est en constante augmentation – les seules violences sexuelles ont augmenté de plus de 30 % en une année. Quand bien même cette hausse serait due à la libération de la parole, elle demeurerait indéniable, et chaque violence est une violence de trop.

Dans les Hautes-Pyrénées, près de 220 faits de violences sexuelles ont été recensés en 2021, contre 90 en 2020, le plus souvent au sein de la structure familiale.

Ensuite, l’arsenal juridique reste insuffisant, car il existe encore des failles, pour ce qui est notamment de la prise en compte de la parole des victimes. En 2019, selon l’inspection générale de la justice, 80 % des plaintes concernant ce type de violences ont abouti à un classement sans suite, de quoi laisser penser qu’une part d’impunité demeure…

Souvenons-nous de Chahinez Daoud, brûlée vive par son ex-mari : celui-ci avait bénéficié d’une sortie de prison anticipée malgré les plaintes pour menaces de mort qu’elle avait déposées.

Aussi est-il nécessaire de mieux motiver le classement sans suite des affaires, mais aussi de raccourcir le délai de traitement de ces plaintes. Ce sont bel et bien, à cet égard, des moyens humains et financiers qui doivent être mobilisés ; j’axerai la suite de mon propos sur ce point.

Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes préconise qu’une enveloppe de 1 milliard d’euros soit allouée à cette politique. Je suis consciente qu’une telle somme ne réglera pas le problème des violences faites aux femmes d’un coup de baguette magique. Mais elle doit permettre d’assurer dans l’immédiat un meilleur accueil des femmes victimes de violences, ainsi qu’une meilleure sensibilisation à leur situation.

Si des efforts ont été réalisés en matière d’accueil, il est nécessaire de créer des places d’hébergement supplémentaires, notamment dans les établissements d’accueil sécurisé mère-enfant, pour les cas où le maintien à domicile est rendu impossible.

Un énorme travail de maillage reste à faire également pour ce qui est des médecins légistes effectuant, après un viol, l’examen de la victime. J’en prends pour preuve deux exemples scandaleux issus de mon département : celui, premièrement, de cette enfant violée à plusieurs reprises, que l’on refuse d’examiner dans les Pyrénées-Atlantiques, à 25 kilomètres de Tarbes, sous prétexte qu’elle n’est pas originaire de ce département, le procureur devant intervenir pour qu’elle puisse être enfin examinée.

Deuxième cas : celui de cette femme, renvoyée de l’institut médico-judiciaire de Pau, que les policiers de Tarbes finiront par conduire à Toulouse, à 190 kilomètres de là.

Il y a là autant de situations qu’il faut éradiquer si l’on prétend faire de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes la grande cause du quinquennat.

Ne pourrait-on pas réfléchir, plus profondément, à la première des réponses à fournir : quel accueil médical et psychologique réserve-t-on aux victimes ? Que proposons-nous, dans cette perspective, pour renforcer le maillage du territoire en unités médico-judiciaires (UMJ) ?

À la question de savoir si les moyens accordés à la lutte contre les violences faites aux femmes sont à la hauteur, je ferai pour conclure la réponse suivante : s’il y faut certes davantage de moyens humains et financiers, ladite lutte ne saurait se réduire à cette dimension. Il faut également éduquer, sensibiliser et s’assurer de l’efficacité de la réponse juridique et pénale que nous apportons. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Annick Billon et M. Daniel Chasseing applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Madame la sénatrice Carrère, je voudrais tout d’abord avoir une pensée pour votre collègue, le sénateur Olivier Léonhardt, qui nous a quittés après avoir beaucoup œuvré, au sein de cette assemblée et en tant qu’élu local, pour la défense de valeurs profondément humanistes, comme en témoignent ses combats contre le racisme.

Madame la sénatrice, comme vous, j’ai une pensée très émue pour toutes ces femmes qui ont été assassinées par leur conjoint ou ex-conjoint – vous avez mentionné les 113 victimes de l’année dernière. Mais je pense également à toutes les femmes qui ont été sauvées grâce aux différents dispositifs mis en place depuis 2017 – je vous rappelle qu’en 2008, par exemple, 168 femmes périssaient sous les coups de leurs conjoints ou ex-conjoints, contre 113, donc, l’année dernière.

Chaque féminicide est un féminicide de trop. Mais laisser penser que les dispositifs publics que nous créons pour sauver ces victimes ne fonctionnent pas n’aidera pas ces dernières à libérer leur parole et à demander secours et accompagnement.

Je souhaite également rappeler que nous avons sensiblement amélioré la formation de 90 000 policiers et gendarmes ; ce sujet a été trop longtemps ignoré et l’on n’enregistre pas les plaintes des femmes victimes de violences de la même manière que les autres.

En outre, des intervenants sociaux ont été recrutés pour améliorer la compréhension de ce sujet au sein des gendarmeries et des commissariats. Une grille d’évaluation du danger a été créée pour mieux mesurer le danger auquel font face ces victimes.

Quant au recueil des plaintes, il a considérablement évolué : nous menons actuellement des expérimentations visant à permettre aux victimes qui n’osent pas franchir le seuil des commissariats et des gendarmeries de déposer plainte auprès d’une association, d’une mairie ou d’un membre de leur famille.

J’entends ce que vous dites ; tant qu’il restera une femme mourant sous les coups de son conjoint ou de son ex-conjoint, le travail devra continuer. Néanmoins, je ne peux pas vous laisser dire que nous ne progressons pas sur ces sujets.

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour la réplique.

Mme Maryse Carrère. Loin de moi l’idée de soutenir que rien n’a été fait, madame la ministre. En matière législative, en tout cas, nous avons beaucoup travaillé, y compris au sein de cet hémicycle, pour tâcher de faire avancer les choses.

Simplement, je voulais insister sur un point : ces violences n’épargnent aucun territoire ; elles touchent aussi, fortement, les territoires ruraux. Or on observe, à cet égard, un déficit : pour accéder à une unité médico-judiciaire, il est nécessaire de se rendre dans un grand hôpital. Il convient donc de travailler à rapprocher ces UMJ de nos populations rurales, en expérimentant par exemple la création de structures allégées. Je compte sur vous, madame la ministre !

Mme la présidente. Madame la ministre, je tiens à vous remercier des propos que vous avez eus pour Olivier Léonhardt. Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen y est très sensible, de même, je le sais, que notre collègue Mme Laurence Rossignol, dont il était l’ami intime.

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Je tiens en préambule à remercier le groupe CRCE d’avoir pris l’initiative de ce débat.

Je concentrerai mon propos sur trois points ; mes collègues, je n’en doute pas, aborderont les questions relatives aux moyens, le Sénat ayant acquis au cours des dernières années une compétence reconnue en matière de lutte contre les violences faites aux femmes et contre les violences intrafamiliales.

Premier sujet : les violences conjugales commises par des policiers. Le dernier féminicide en date a conduit à ce que l’on recherche l’ex-conjoint de la victime, qui se trouvait être un policier. J’observe que, contrairement à ce qui se produit dans le cadre d’autres affaires similaires, il n’y a eu ni appel à témoins ni diffusion d’un portrait ou d’un nom. Pourtant, lorsque l’auteur présumé d’un féminicide disparaît, il est d’usage courant qu’un appel à témoins soit publié dans la presse.

Au-delà de cette remarque, quelques questions se posent.

Comment est-il possible qu’un policier connu pour des faits de violences conjugales continue de détenir son arme de service ? Vous allez sans doute me rétorquer que, comme le mentionne une dépêche parue cet après-midi, une enquête administrative vient d’être diligentée afin de déterminer si le fait que ce policier ait conservé son arme de service était conforme à la loi.

Mais combien sont-ils dans ce cas ? Comment les services de police et de gendarmerie gèrent-ils leurs membres connus pour des faits de violences conjugales ? Reste-t-il de tels profils à l’accueil des gendarmeries ou des commissariats, susceptibles de recevoir les plaintes de femmes victimes de violences ? Nous ne le savons pas et, en réalité, personne n’en sait rien…

Seconde question sur les policiers : depuis la parution du livre de Sophie Boutboul, nous savons que les femmes de policiers ou de gendarmes sont celles qui ont le plus de difficultés pour porter plainte et se faire entendre. Quelles sont les mesures qui ont été prises, au sein de la police et de la gendarmerie, pour garantir à ces femmes la même prise en charge qu’aux autres ?

Deuxième sujet dont je souhaite parler : les violences post-séparation.

Tout d’abord, malgré les différentes réformes de l’ordonnance de protection que nous avons adoptées, nous n’avons pas encore réussi à rendre le dispositif efficace. La stricte interprétation par les juges et par les avocats du conjoint de la règle du cumul de deux conditions – menaces et violences – aboutit à priver un certain nombre de femmes d’une ordonnance de protection alors que les menaces sont certaines, bien que les violences n’aient pas été constatées. Quand un homme dit : « Je vais te tuer ! », il n’a certes pas déjà tué son ex-conjointe, il ne l’a peut-être même pas frappée, mais il la harcèle et menace de la tuer. Cependant, s’il n’y a pas menaces et violences, il n’est pas possible de prononcer une ordonnance de protection.

Ensuite, je souhaite dire un mot de la dissimulation de l’adresse de la victime. Si le juge décide de maintenir l’autorité parentale conjointe, le père violent peut facilement retrouver la mère, par le biais de l’adresse, qu’il a le droit de connaître, de l’établissement scolaire dans lequel l’enfant est scolarisé.

Troisième sujet, enfin : l’articulation entre justice pénale et justice familiale.

Je reçois beaucoup – beaucoup trop – de dossiers du même type : à la suite d’une séparation, le plus souvent décidée sur l’initiative de la mère et mal vécue par le père, des enfants se plaignent d’attouchements sexuels ou de viols commis à l’occasion du droit de visite et d’hébergement du père. « Papa touche mon zizi, mais ce n’est pas pour le laver, c’est pour jouer » ; voilà ce que racontent certains enfants en rentrant de chez leur père. Le plus souvent commence alors pour la mère un parcours kafkaïen, car, tant que la justice pénale n’a pas tranché sur les faits allégués, les enfants doivent continuer d’aller, un week-end sur deux, chez leur père…

Pis, une mère vient de porter plainte contre l’État après avoir découvert que le père, à qui elle avait été obligée de confier sa fille chaque week-end pendant quatre ans, avait fait l’objet, plusieurs années auparavant, d’une plainte pour viol sur mineur. Elle n’arrivait pas à faire entendre à la justice pénale que le père violait son enfant quand le même homme était poursuivi, dans une autre juridiction, pour viol sur mineur ! Ainsi, pendant quatre ans, ces faits commis sur un enfant ont-ils perduré…

Je ne sais comment faire que de tels scénarios ne se répètent plus, si ce n’est en amorçant une révolution dans la justice, une révolution des pratiques et une révolution des moyens.

Au fond, c’est toujours la même histoire : les femmes seraient des menteuses, des manipulatrices ; elles utiliseraient leurs enfants et porteraient plainte contre le père pour régler des conflits qui n’existent, le plus souvent, que dans la tête des juges !

Faudra-t-il donc un jour que l’on fasse une loi disposant que toute décision de justice faisant référence au syndrome d’aliénation parentale ou au contenu de ce syndrome est nulle et non avenue ?

Il y a là un véritable problème. La justice doit agir, vraiment, parce que je ne sais que répondre à ces femmes ; leur vie est un enfer, comme celle de leurs enfants. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon et M. Daniel Chasseing applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Madame la sénatrice Laurence Rossignol, il ne m’appartient pas, vous le savez, de commenter une affaire en cours, mais je tiens à rappeler qu’il existe des procédures administratives et judiciaires permettant de prendre des mesures à l’encontre d’un policier ou d’un gendarme, qui peuvent aller, lorsque cela est jugé nécessaire, jusqu’à l’exclusion ou à l’interdiction d’exercer. En vertu de la séparation des pouvoirs, je le répète, il ne m’incombe pas, en tant que ministre, de commenter un cas d’espèce, mais les dispositifs existent et nous espérons toujours que les juges ou les autorités hiérarchiques s’en saisiront.

Pour ce qui concerne les armes, la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales permet la saisie des armes dès le dépôt de plainte de la victime. Cette disposition s’applique à tous, plombiers, vendeur de légumes ou policiers. Les policiers, qui peuvent être des personnes dangereuses, pour elles-mêmes ou pour autrui, sont donc bel et bien concernés par cette possibilité de saisie des armes offerte par les procédures administratives que j’évoquais à l’instant.

Vous avez mentionné également les ordonnances de protection, sujet extrêmement important. Il me paraît essentiel, en la matière, de séparer la sanction de la protection des victimes. Or ces ordonnances, instituées par la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, permettent justement de protéger la victime quand bien même celle-ci serait sous emprise, n’oserait pas déposer plainte ou aurait peur.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous savons tout cela !

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée. La durée d’application de ces ordonnances a été portée de quatre à six mois par la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. La loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a encore renforcé l’effet de ces ordonnances de protection en prévoyant que celles-ci sont délivrées dans un délai de six jours à compter de la fixation de la date de l’audience.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n’est pas le Gouvernement qui l’a voulu, c’est le Parlement !

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée. Ce délai a été considérablement raccourci, puisqu’il était de trente-deux jours auparavant.

Un bref rappel des chiffres les plus récents : en trois années, le nombre de demandes d’ordonnance de protection a crû de 138,5 %. L’amélioration est donc considérable et mérite d’être saluée, d’autant que cette rapide croissance du recours aux ordonnances de protection a donné confiance à beaucoup de femmes, les demandes continuant d’augmenter. Il faut maintenant que les professionnels, les avocats et la justice se saisissent de ces questions.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour la réplique.

Mme Laurence Rossignol. Madame la ministre, je ne vous demande pas de nous décrire le monde merveilleux de la loi ; je vous expose le monde réel des femmes et des enfants. Il y a un écart entre ces deux mondes, et c’est de cet écart que je vous ai parlé.

Bien sûr, l’ordonnance de protection existe et représente un progrès, mais je vous ai dit tout ce qui manque encore à ce dispositif. J’ai également évoqué l’articulation entre justice pénale et justice familiale.

Je ne nie pas votre bonne volonté ni votre engagement, mais nous apprécierions si vous pouviez reconnaître, de temps à autre, qu’il est nécessaire de modifier à nouveau la loi, d’approfondir nos efforts en direction du monde judiciaire ou de mieux articuler les différents dispositifs existants.

Tout ce que vous nous dites, je le sais ! Je connais les lois et les décrets qui ont été adoptés en la matière. D’ailleurs, le plus souvent, il a fallu s’y reprendre à plusieurs fois et le Sénat a dû revenir à la charge pour faire adopter des amendements que le Gouvernement avait précédemment écartés.

Mme Laurence Rossignol. Bref, l’histoire, nous la connaissons bien. Ce que je dis, simplement, c’est que nous ne sommes pas au bout du chemin. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – Mmes Annick Billon et Pascale Gruny ainsi que M. Bruno Belin applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à remercier le groupe CRCE d’avoir fait inscrire ce débat très important à notre ordre du jour.

Le Gouvernement a placé la lutte contre les violences faites aux femmes au cœur de ses priorités. Le Grenelle des violences conjugales, qui s’est tenu à l’automne 2019 et dont les conclusions ont été rendues publiques le 25 novembre 2019 – journée symbolique consacrée, dans le monde entier, à la lutte contre les violences faites aux femmes –, a débouché sur 46 mesures.

Entre l’ouverture de 2 000 nouvelles places d’hébergement d’urgence à l’échelle nationale, la formation de 90 000 policiers et gendarmes, la mise à disposition de 1 000 bracelets anti-rapprochement ou la disponibilité vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept de la plateforme téléphonique d’écoute, d’information et d’orientation des victimes de violences sexistes et sexuelles, nombreuses sont les réalisations qui ont permis de concrétiser ces annonces.

Sur le plan législatif, la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a représenté une avancée majeure dans la lutte contre les violences conjugales. Cette loi a réformé l’ordonnance de protection, donné un nouvel essor au téléphone grave danger, permis le déploiement du bracelet anti-rapprochement et prévu la prise en compte de l’impact des violences sur les enfants via la possibilité pour le juge pénal de se prononcer sur l’autorité parentale en cas de poursuite ou de condamnation pour violences conjugales.

La loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, issue d’une proposition de loi présentée par les députés Bérangère Couillard et Guillaume Gouffier-Cha, a permis notamment l’attribution à titre provisoire de l’aide juridictionnelle de plein droit dans le cadre des procédures présentant un caractère d’urgence comme l’ordonnance de protection. Elle a également accordé au juge la faculté de suspendre le droit de visite et d’hébergement de l’enfant mineur dont le parent violent est titulaire, de décharger de leur obligation alimentaire les ascendants, descendants, frères ou sœurs de personnes condamnées pour un crime ou un délit portant atteinte à l’intégrité de la personne commis par un parent sur l’autre parent, ou encore de lever le secret médical lorsque les violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et lorsque celle-ci se trouve sous l’emprise de l’auteur des violences.

Ces textes, sur lesquels le Gouvernement avait engagé la procédure accélérée, ont été adoptés à l’unanimité, preuve, s’il en était besoin, d’une volonté transpartisane de faire reculer ces violences et, sinon de faire disparaître les féminicides en France, à tout le moins d’en infléchir la courbe.

Notre arsenal de protection et de prévention est désormais bien fourni et les moyens financiers ont été renforcés, le budget consacré à aider les victimes de telles violences augmentant substantiellement – +77 % – entre 2019 et 2022. Les dispositifs essentiels de protection, tels que le téléphone grave danger ou le bracelet anti-rapprochement, que j’évoquais précédemment, ont bénéficié de crédits importants au cours de ce quinquennat. J’en veux pour preuve la hausse de plus de 145 %, entre 2018 et 2021, de la dépense totale destinée au téléphone grave danger.

Il serait malhonnête de ne pas reconnaître que des progrès significatifs et indéniables ont été accomplis ces dernières années dans la lutte contre ce fléau des violences conjugales, dans le traitement des plaintes ou encore dans le suivi des victimes.

D’ailleurs, M. Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance, confirmait, mi-novembre dernier, l’objectif défini en 2019 consistant à installer d’ici à la fin de l’année 2022 sur tout le territoire, y compris dans les départements d’outre-mer, trop souvent oubliés, des unités d’accueil pédiatriques des enfants en danger, vers lesquelles seront orientés et pris en charge les enfants témoins de féminicides ou victimes de violences. Il promettait, à cet effet, une enveloppe de 14 millions d’euros. Madame la ministre, quand le département de Mayotte bénéficiera-t-il de ce dispositif ?

Par ailleurs, si l’on doit reconnaître ces avancées considérables, force est de constater que, bien que l’année ne fasse que commencer, plusieurs femmes ont déjà perdu la vie sous les coups de leur compagnon. Madame la ministre, que répondez-vous à ceux qui prétendent que le Gouvernement s’est davantage concentré sur la protection des victimes que sur la dissuasion des auteurs ?

Enfin, vous ne m’en voudrez pas d’évoquer la situation globale en outre-mer.

Selon l’Insee, les violences intrafamiliales, mesurées à partir des dépôts de plainte, sont plus répandues en outre-mer que dans l’Hexagone. En 2017, déjà, le Conseil économique, social et environnemental rapportait que les violences intrafamiliales étaient plus fréquentes et plus graves en outre-mer, en raison de l’insularité ou de la faible superficie de certains territoires, qui peuvent entraver la libération de la parole et rendre inopérants l’éloignement du conjoint violent ou le choix d’un lieu anonyme offrant la possibilité d’être accueillie et écoutée sans crainte.

À Mayotte, chaque année, environ 650 femmes franchissent courageusement la porte du commissariat de Mamoudzou ou d’une brigade de gendarmerie de l’île pour signaler des violences conjugales. Seuls 150 de ces signalements donnent lieu à des procédures judiciaires et, de surcroît, nous savons que le chiffre des dépôts de plainte conduit à sous-estimer largement la réalité des violences, certaines victimes refusant de porter plainte, soit parce qu’elles sont économiquement dépendantes de leur bourreau soit en raison de la pression sociale.

Depuis le mois d’octobre dernier, 5 bracelets anti-rapprochement et 5 téléphones grave danger sont disponibles à Mayotte. Pouvez-vous nous préciser si ces équipements ont été utilisés et si d’autres appareils vont être commandés ? Leur déploiement sur un territoire comme celui de Mayotte est-il pertinent, compte tenu de la taille dudit territoire ?

Le 23 juillet 2021, M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer, a lancé, en coordination avec le service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes, l’appel à projets « Mobilisés contre les discriminations et les violences faites aux femmes en outre-mer ». Une enveloppe de 325 000 euros devait permettre d’accompagner 38 projets dans 9 territoires ultramarins. Les lauréats ont-ils d’ores et déjà reçu ces fonds ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur de nombreux points, mais je ne pourrai répondre, dans le temps qui m’est imparti, que sur deux sujets : les bracelets anti-rapprochement et la situation dans les territoires ultramarins.

Je profite de cette réponse pour vous remercier de votre implication sur ces sujets en tant qu’élu de Mayotte, mais aussi en tant qu’avocat.

Pour répondre à votre question sur le renforcement du maillage territorial de tous les dispositifs mis en place pour lutter contre le fléau des violences conjugales, je veux préciser qu’il n’existe pas un seul dispositif mis en place dans l’Hexagone qui n’ait pas été décliné de manière exactement identique dans les territoires ultramarins, où, je le sais, de telles violences prospèrent également, parfois de manière plus grave encore – d’où l’importance de mesures adaptées.

En 2021, nous avons spécifiquement investi 2,3 millions d’euros dans les territoires ultramarins pour traiter ce sujet. En outre, si, comme vous l’avez indiqué, depuis le 30 août dernier, nous avons étendu les horaires de la plateforme téléphonique du 3919, désormais accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, c’est en partie pour permettre aux résidents des territoires ultramarins d’y recourir beaucoup plus facilement qu’auparavant.

Pour lutter contre la récidive, nous avons créé des centres de prise en charge des auteurs de violence, dont cinq en outre-mer : à La Réunion, en Guyane, en Guadeloupe, à Mayotte et en Martinique. Fin 2022, nous aurons augmenté de plus de 80 % le nombre de places d’hébergement disponibles, dont 10 % se trouveront dans les territoires ultramarins.

En ce qui concerne le bracelet anti-rapprochement, ce dispositif a fait l’objet d’une longue expérimentation, à compter de la fin de l’année 2020. À ce jour, 689 placements sous bracelet ont été prononcés et 489 bracelets sont actifs – dont 14 dans les territoires ultramarins –, contre 228 en août dernier ; c’est dire l’accélération qui s’est produite sur ce sujet.