M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’Ukraine n’a jamais menacé la Russie, encore moins les Russes. Ces Russes qui, par milliers, sont aujourd’hui détenus dans les geôles poutiniennes pour avoir courageusement marché dans les rues de Moscou et de Saint-Pétersbourg contre cette guerre infâme dans laquelle Vladimir Poutine les a entraînés.

L’Ukraine n’a jamais menacé la Russie ni les Russes. En revanche, le choix de l’Ukraine pour la démocratie menace la dictature de Vladimir Poutine : c’est bien de cela qu’il s’agit.

Cette guerre n’est pas une guerre entre les Ukrainiens et les Russes. C’est une guerre entre la volonté d’un peuple d’être libre et celle d’un tyran de l’en empêcher.

Cette guerre n’est pas une guerre entre l’OTAN et la Russie. C’est une guerre entre la démocratie et la dictature, une guerre existentielle pour l’Europe entière, une guerre qui a réveillé la conscience de ce que nous sommes en tant que citoyens européens.

Vladimir Poutine voulait affaiblir l’Europe : il a récolté sa force.

Vladimir Poutine voulait diviser l’Europe : il a récolté sa plus puissante unité.

Jamais on n’aura vu les Européens se mobiliser autant, dans toute l’Europe, pour crier leur refus de la brutalité, leur refus des chars et des missiles, leur solidarité sans équivoque avec le camp de la démocratie et de la paix.

Jamais on n’aura vu les institutions européennes si unies et si efficaces, réagir si vite, si clairement et si massivement, ensemble. L’Europe renaît à Kiev.

Elle renaît lorsque, au milieu des bombes, sous les tirs de missiles, Zelensky signe la demande d’adhésion à l’Union européenne. Ce faisant, il n’affirme pas seulement l’identité européenne de l’Ukraine : il affirme l’identité politique de l’Europe. Il rappelle pourquoi et contre quoi nous avons construit l’Europe. Il nous rappelle ce que nous sommes et ce que nous devons faire pour le protéger.

Il nous rappelle que nous devons nous doter d’une politique de défense commune, arrimée à nos valeurs, et sortir sans attendre des énergies fossiles, ce qui implique notamment de sortir Total de la Russie.

Nous devons investir massivement dans les énergies renouvelables, qui sont des énergies de paix, et dans l’efficacité énergétique. (Murmures sur des travées du groupe Les Républicains.)

Ce n’est pas une lubie des écologistes… (Exclamations ironiques sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Loïc Hervé. Pas du tout…

Mme Pascale Gruny. En tout cas, cela y ressemble !

Mme Mélanie Vogel. C’est un enjeu purement et simplement vital !

Enfin, nous devons tenir ensemble pour nos valeurs.

Jamais une crise ne l’aura démontré à ce point : la solidarité européenne est la condition sine qua non de la protection de nos démocraties. En effet, les sanctions sans précédent qui ont été décidées affecteront les Européens, en premier lieu celles et ceux qui vivent dans les États dépendant encore massivement du gaz russe. C’est notre honneur de les assumer collectivement et de venir en aide, en Européens, à celles et ceux qui paieront le prix le plus fort pour protéger la paix de toutes et tous.

Nous devons aux Ukrainiens, qui paient de leur vie la défense de nos valeurs, d’être à la hauteur du moment. Nous devons poursuivre avec eux la construction de notre projet commun : celui d’une Europe libre, d’une Europe de la solidarité et de la paix. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’offensive russe contre l’Ukraine provoque une onde de choc, en Ukraine d’abord, où l’on déplore déjà tant de victimes civiles, mais aussi dans tout le continent européen.

Renouant avec des heures sombres qu’on espérait révolues, l’Union européenne se trouve directement menacée à ses frontières par une Russie qui, après l’annexion de la Crimée en 2014, a décidé d’agresser l’Ukraine, ébranlant ainsi l’ordre international établi et menaçant la démocratie, la paix et la liberté, qui sont les valeurs fondatrices de l’Union européenne.

Face à ce séisme, l’Union européenne a réagi rapidement et a fait preuve d’unité en adoptant des sanctions particulièrement sévères contre la Russie : gel des avoirs et interdiction de séjour pour les plus hauts dirigeants russes, y compris le président Poutine, suspension des vols vers la Russie, bannissement des médias d’État russes qui mènent des actions de désinformation en Europe et exclusion de plusieurs banques russes du système interbancaire international Swift. La banque centrale russe elle-même est bannie de toute transaction et ses avoirs en devises ont été gelés, ce qui a provoqué l’effondrement du rouble.

J’ai pu m’entretenir précédemment avec mes homologues des pays frontaliers de l’Ukraine et de la Russie : tous sont satisfaits de cet arsenal inédit de sanctions.

En complément, l’Union s’est mobilisée pour soutenir l’Ukraine. Elle a activé la Facilité européenne pour la paix (FEP), ce nouvel instrument extrabudgétaire de réponse aux crises internationales, qui est dotée de 5 milliards d’euros pour la période 2021-2027.

À ce titre, l’Union européenne a ainsi débloqué 500 millions d’euros, qui s’ajoutent aux livraisons d’armes décidées de façon bilatérale par les États membres, dont certains, comme l’Allemagne ou la Finlande, ont rompu ce faisant avec un tabou ancien. (M. le Premier ministre opine.)

Par ailleurs, on a décidé de mettre les règles de l’espace Schengen entre parenthèses pour ne pas entraver les ressortissants ukrainiens fuyant la guerre.

En outre, le Conseil a déclenché le dispositif intégré de l’Union européenne pour une réaction au niveau politique dans les situations de crise (IPCR), afin de permettre une prise de décision rapide et coordonnée, comme lors de la crise migratoire de 2015, puis pour faire face à la pandémie.

Les ministres se sont aussi entendus pour accorder la protection temporaire à l’ensemble des ressortissants ukrainiens qui ont trouvé refuge dans les États membres, sans préjuger de leur qualité de réfugiés.

Au-delà de l’urgence, cette crise ébranle profondément l’Union, qu’il s’agisse de sa sécurité, de son équilibre, de son unité ou même de son identité.

Tout d’abord, nous vivons un moment déterminant pour la sécurité de l’Union européenne. Si l’Ukraine tombe, nul ne sait où l’agresseur va s’arrêter.

Le peuple ukrainien mène son combat pour toute l’Europe : en défendant sa liberté, il défend la nôtre. C’est pourquoi nous lui devons reconnaissance, admiration et soutien. (M. le Premier ministre acquiesce.)

Les États baltes sont particulièrement inquiets – cette après-midi même, je me suis entretenu par téléphone avec leurs représentants. Le sort de la Moldavie ou de la Géorgie doit aussi nous préoccuper.

Il s’agit de préserver l’espace démocratique que nous avons construit depuis soixante ans : nous sommes donc à un tournant. Non seulement la défense européenne doit devenir opérationnelle, mais sa capacité de projection est en jeu.

Ensuite, nous devons faire face à l’exode de guerre et à l’afflux de réfugiés. Selon l’ONU, à l’heure où nous parlons, 677 000 Ukrainiens ont déjà quitté leur pays. Plus de la moitié ont rejoint la Pologne, les autres la Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie. L’Union européenne doit se préparer à une crise humanitaire d’une ampleur historique, touchant plus de 7 millions de personnes.

Ce défi gigantesque frappe d’abord les pays limitrophes, lesquels nous ont déjà fait valoir les limites de leurs capacités d’accueil, malgré leur bonne volonté.

Aujourd’hui, l’ensemble des États membres se disent prêts à accueillir les réfugiés ukrainiens, mais la question se posera rapidement de leur répartition entre les pays. La solidarité entre les États membres sera alors, une nouvelle fois, mise à rude épreuve.

La crise ukrainienne aura aussi des répercussions économiques certaines : d’ores et déjà, elle renchérit encore davantage les prix de l’énergie.

La crise ukrainienne met en lumière la fragilité que constitue, pour l’Union, sa dépendance au gaz russe : elle est de l’ordre de 43 % en moyenne, mais le taux peut atteindre 80 % pour certains pays. Il est de 55 % pour l’Allemagne, laquelle a renoncé à mettre en service le nouveau gazoduc Nord Stream 2 – ce dernier aurait privé l’Ukraine des ressources qu’elle tire du transit sur son sol du gaz russe exporté vers l’Union.

Cette crise exige de penser la transition énergétique au prisme de l’autonomie stratégique. Elle annonce des hausses de prix accrues pour les Européens, si bien que la Commission européenne envisage de développer la « boîte à outils » qui, depuis l’automne dernier, permet aux États de répondre à la crise de l’énergie par des aides publiques et des abattements fiscaux.

Se profilent aussi une flambée des prix des matières premières, y compris agricoles, des difficultés d’approvisionnement de certaines filières industrielles européennes en composants et métaux critiques, comme le titane ou le nickel, et des ruptures dans les chaînes de production européennes en Russie, sans compter l’impact des représailles russes, qu’il faudra bien sûr assumer.

L’Union européenne revoit d’ores et déjà à la baisse ses prévisions de croissance, de l’ordre de 0,3 % à 1 %, et l’inflation s’accentue encore après le record de ce mois de janvier.

Un dernier défi ébranle l’Union : la demande officielle de l’Ukraine d’entrer sans délai dans l’Union européenne.

La présidente de la Commission européenne a répondu hâtivement de façon positive, rejointe par plusieurs États membres d’Europe centrale. Exprimée de longue date, cette demande reflète la volonté majoritaire du peuple ukrainien ; mais nous parlons de décisions qui engagent durablement et qui, de ce fait, doivent être mûries.

Ce n’est pas un hasard si la procédure d’adhésion est un processus au long cours : il faut du temps pour rapprocher la législation du pays candidat du droit européen et remplir différents critères, comme la stabilité politique ou une économie de marché viable. C’est aussi pourquoi la décision même d’octroyer à un État le statut de pays candidat relève de l’unanimité des Vingt-Sept.

N’oublions pas que les trois pays baltes ont dû patienter près de neuf ans pour entrer dans l’Union et que quatre pays des Balkans occidentaux, officiellement candidats, sont bloqués depuis des années dans l’antichambre de l’Union européenne, sans compter les deux autres, qui ne sont encore que candidats potentiels.

L’Ukraine, elle, est liée à l’Union européenne par un accord d’association signé en 2014 dans le cadre du partenariat oriental, qui concerne aussi la Moldavie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie et le Belarus. Lancé en 2009 par l’Union, ce partenariat propose des relations économiques et politiques plus étroites en échange de réformes, mais sans promesse d’adhésion.

Je rappelle que la tragédie que traverse l’Ukraine depuis novembre 2013 a commencé par une manifestation pro-européenne, en réaction à la décision du président d’alors de ne pas signer l’accord d’association avec l’Union européenne, document paraphé dès mars 2012. C’est ce qui a conduit au changement de gouvernement et aux élections législatives d’octobre 2014, lesquelles ont porté au pouvoir des partis réformistes pro-européens. (M. le Premier ministre le confirme.)

Cet accord d’association, qui prévoit un libre-échange complet, offre de nouveaux débouchés économiques tant à l’Union qu’à l’Ukraine. Il a permis à l’Union de conforter sa position de premier partenaire économique de l’Ukraine : en 2019, le volume des échanges bilatéraux s’élevait à 43,3 milliards d’euros et l’Union représentait plus de 40 % du total des échanges commerciaux de l’Ukraine.

En outre, depuis 2014, l’Union européenne et ses institutions financières ont mobilisé plus de 15 milliards d’euros sous la forme de subventions et de prêts.

Aujourd’hui plus que jamais, nous devons miser sur cet outil – le partenariat oriental –, qui a fait la preuve de son efficacité et peut nous permettre de renforcer sans délai le soutien de l’Union à l’Ukraine.

Parallèlement, la construction de l’Union européenne doit se poursuivre sans que nous soyons aveuglés par l’urgence : c’est un projet de long terme, qui doit rester au service de la promotion des valeurs européennes.

Soyons actifs, mais prudents. La véritable urgence, c’est d’assurer la désescalade ; c’est de rétablir la paix sur le sol ukrainien. Ce sera l’honneur de l’Union européenne ! (Applaudissements sur toutes les travées, à lexception de celles du groupe CRCE.)

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, en une semaine nous avons changé d’époque. L’invasion dramatique de l’Ukraine par la Russie a rebattu en un instant toutes les cartes géopolitiques, changé nos références et bouleversé nos perspectives. Il nous faut maintenant dresser un constat lucide de la situation, en tirer les conséquences et déterminer enfin dans quelle voie il convient d’avancer.

Le constat, c’est d’abord celui d’un véritable choc de valeurs. En effet, nous assistons à une mobilisation puissante, déterminée et rapide de l’ensemble des démocraties occidentales contre la guerre, contre cette guerre inutile et sale voulue par un homme seul.

Très clairement, les gouvernements et, désormais, les opinions publiques de nos pays ont conscience qu’il s’agit d’une agression contre la démocratie et contre la liberté. Les Ukrainiens veulent vivre libres : Vladimir Poutine ne le supporte pas.

Ce choc a entraîné de façon quasi instantanée des révisions spectaculaires. Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne et la Suède vont livrer des armes à un pays belligérant. La Finlande envisage désormais d’adhérer à l’OTAN. Même la Suisse décide de s’aligner sur l’ensemble des sanctions européennes. Le monde du sport, d’habitude réfractaire à toute idée de positionnement politique, exclut la Russie de toutes les compétitions.

Face au dynamitage de l’architecture de sécurité conçue à la fin de la guerre froide, ceux qui, comme nous tous, ont cru à la possibilité et même à la nécessité de dialoguer avec la Russie de Vladimir Poutine doivent aujourd’hui se rendre à l’évidence : pour dialoguer, il faut être deux.

Il est tout à fait légitime que la Russie ait le souci d’assurer sa sécurité, mais l’Ukraine ne la menace nullement ; et de telles considérations ne sauraient en aucun cas conduire un pays à dépecer un État souverain voisin ou à lui interdire les choix de société qu’il entend faire.

Les Ukrainiens ont choisi collectivement de vivre selon un modèle démocratique, et c’est leur droit.

La conséquence de ce constat, c’est qu’en cinq jours, par cette folle action, Poutine a tiré l’OTAN de sa léthargie. Il a fait avancer la défense européenne de trente ou cinquante ans, en réveillant l’esprit de défense qui sommeillait dans le cœur des Européens. (M. le Premier ministre opine.)

Aujourd’hui, il semble que le pouvoir russe soit surpris par la vigueur et l’unanimité des réactions occidentales. C’est bien là le cœur du problème.

Les régimes autoritaires sont profondément convaincus que les démocraties sont faibles et incapables de faire face à la violence. C’est une profonde erreur, mais elle se paye au prix fort. Ce soir, près de 700 000 réfugiés sont sur les routes et des milliers de morts sont déjà à déplorer.

En cet instant, je tiens à rendre hommage au peuple ukrainien, qui nous donne une si grande leçon de courage et de dignité au moment où il subit tant de souffrances, ainsi qu’à son chef, le Président Zelensky. Je sais que nous éprouvons tous ce sentiment.

Alors que les Russes viennent de bombarder la tour de la télévision ukrainienne pour faire taire les médias, pour faire taire la voix de l’Ukraine libre, il faut que le peuple ukrainien le sache : nous continuerons d’entendre sa voix, d’entendre la voix dénonçant les crimes qu’il subit.

Contrairement à nos démocraties, Poutine n’accorde que peu d’importance et de valeur à la vie humaine et aux libertés. Son bilan effroyable en Tchétchénie, dans les conflits gelés, avec ses milices ou contre ses opposants, en donne une sinistre illustration.

Le pseudo-référendum biélorusse de dimanche dernier est tout aussi préoccupant.

M. Jean Castex, Premier ministre. Bien sûr !

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Cette consultation revient sur l’accord de 1994, lequel consacrait le statut dénucléarisé de la Biélorussie et de l’Ukraine. C’est un facteur de risque supplémentaire, ainsi qu’une preuve que le dessein de Vladimir Poutine dépasse largement la seule Ukraine.

Poutine sera au moins parvenu à ce résultat : rendre à l’Europe son unité et sa détermination.

Il y a seulement dix jours, qui, dans cet hémicycle, aurait cru que l’Union européenne financerait la livraison d’avions de combat à un pays en guerre ne comptant pas parmi ses États membres ? De même, l’ouverture de la Facilité européenne de paix à l’achat d’armes létales est un tournant majeur.

S’y ajoute une autre conséquence, plus étonnante : après avoir commis de nombreux actes hostiles dans la période récente, la Turquie se range maintenant clairement du côté de l’OTAN. Cela changera-t-il la donne en Méditerranée ? Il est sans doute trop tôt pour le dire. Du moins le monde entier voit-il qu’un coup de force militaire est une option qui peut se révéler très coûteuse.

C’est aussi cela, l’enjeu de cette crise : l’affirmation par les pays occidentaux que le droit international existe et que nous pouvons le faire respecter si, ensemble, nous le voulons.

Tirons immédiatement les conséquences de cette nouvelle donne et, avant tout, portons un regard neuf sur l’état de notre propre défense.

La loi de programmation militaire (LPM), que le Sénat a votée à plus de 95 %, marquait une remontée salutaire de notre effort de défense. Mais le monde a changé plus vite que nous ne l’avions prévu et nous devons accélérer la réponse au sujet de nos points plus faibles.

Ainsi, nous devons faire un énorme effort pour augmenter nos stocks de munitions, en particulier de munitions complexes. Lorsque, sur Kharkiv, des lance-roquettes russes tirent en une minute ce qu’un régiment français tire en un an à l’entraînement, nous devons bien sûr réagir tous ensemble. (Mme Jocelyne Guidez approuve.)

De même se pose la question de notre aviation de combat.

Monsieur le Premier ministre, madame la ministre des armées, vous le savez : le Sénat reste inquiet du prélèvement de 10 % de nos Rafale pour des contrats à l’export. Certes, nous les avons soutenus ; mais, à présent, il faut remplacer ces avions sans tarder, car nous ne pouvons rester au niveau envisagé. Il en est de même pour les frégates de la marine.

Dans les trois armées, il nous faut fournir les efforts nécessaires pour que nos forces gagnent en masse et en épaisseur. C’est indispensable pour faire face, le cas échéant, à des conflits de longue durée.

Nous devons également tirer la leçon de cette crise pour nos coopérations européennes.

En décidant un quasi-doublement de son budget de la défense, l’Allemagne vit une véritable révolution. Mais ces chiffres considérables doivent surtout nous inciter à construire avec elle, comme avec tous nos voisins européens, cette Europe de la défense qui renforcera notre sécurité collective.

Alors, qu’allons-nous faire maintenant ?

Bien sûr, la priorité est au soutien à l’Ukraine. Nous devons notamment assurer des livraisons d’armes, le plus vite possible.

Madame la ministre des armées, notre commission a auditionné ce matin votre directeur de cabinet et nous vous le répétons : la France doit pouvoir apporter ce soutien au plus vite. C’est une priorité. (Mme la ministre des armées le confirme.)

S’y ajoute une autre urgence : la protection des frontières de l’Union et de nos amis et alliés de l’Est – États baltes, Pologne, Moldavie, Géorgie et Roumanie. La France est présente auprès de ses alliés et elle demeure à leurs côtés. Ainsi, des Rafale français décollent désormais deux fois par jour pour aller protéger la frontière polonaise. Cette opération mobilise 600 de nos aviateurs.

Mes chers collègues, c’est cela, l’Europe d’aujourd’hui ; c’est du concret.

Il nous faudra donc faire des choix collectifs. L’exécutif qui sortira des élections du printemps prochain sera confronté à toutes ces questions, dont la première sera : comment aller plus loin que la loi de programmation militaire actuelle ?

J’ai bien dit « aller plus loin ». Notre commission se bat depuis 2019 pour la pleine exécution de la LPM. Il faudra avoir le courage d’accorder réellement les 3 milliards d’euros d’augmentation promis par le Président de la République à partir de 2023. Sans doute faudra-t-il faire plus encore. C’est à ce prix que nos coopérations européennes élargies pourront être à la hauteur des menaces nouvelles qui émergent.

Le drame affreux que vit l’Ukraine doit nous servir de leçon.

Bien sûr, notre diplomatie doit être renforcée dans ses moyens et dans son statut pour prévenir et écarter de tels dangers. Dans les moments extrêmes comme celui que nous vivons, nous mesurons toute l’importance des très grands professionnels de notre corps diplomatique : en de telles circonstances, les négociations sont évidemment fondamentales. C’est un atout de notre pays, et il a trop souvent été victime de logiques comptables à courte vue.

Il nous faudra réinvestir dans notre diplomatie, car il faudra bien que, tôt ou tard, la diplomatie succède à la violence. Il faudra rebâtir une architecture de sécurité pour l’Europe et assurer le retour à une paix durable.

En effet, ne soyons pas dupes : d’autres conflits tout aussi atroces peuvent surgir ailleurs dans le monde.

Aujourd’hui, la France et l’Europe mettent enfin un terme à leur naïveté. En soutenant l’Ukraine contre cette agression inqualifiable, nous agissons pour que cesse au plus vite ce martyre. Mais nous montrons aussi au reste du monde que, dans notre combat pour la liberté et la démocratie, nous disposons de moyens tout aussi redoutables que les armes pour garantir la paix dans le monde ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI, INDEP, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des armées.

Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat au titre de l’article 50-1 de la Constitution fait honneur à notre pays.

Il lui fait honneur, car il marque l’unité de la Haute Assemblée pour témoigner au peuple ukrainien et à ses courageux dirigeants l’amitié, la solidarité et le plein soutien du peuple français.

Le 24 février dernier, la Russie a lancé une attaque illégale et massive contre l’Ukraine. Cela fait maintenant six jours que l’armée ukrainienne et le peuple ukrainien se battent avec courage et héroïsme contre l’agresseur.

M. Premier ministre l’a rappelé : pendant plusieurs semaines, nous avons observé le déploiement progressif d’un dispositif militaire massif le long de la frontière de l’Ukraine et en Biélorussie, sous couvert d’exercices militaires. Vladimir Poutine s’était engagé à retirer ce dispositif militaire à l’issue desdits exercices, ce qu’il n’a pas fait malgré tous les efforts diplomatiques déployés, au premier rang desquels ceux du chef de l’État.

Tout d’abord, je tiens à vous indiquer très rapidement ce que nous observons. Nos moyens de renseignement, notamment nos satellites, nous permettent d’avoir une appréciation souveraine de la situation, que nous communiquons bien sûr à nos alliés.

Ce que l’on peut dire à cette heure, c’est que les Russes poursuivent leur offensive sur tous les fronts : au sud, depuis la Crimée ; dans l’est, depuis le Donbass, en appui des forces séparatistes ; et au nord, où ils mènent une offensive importante. Kiev est encerclée et des frappes sont en cours.

Les frappes des premiers jours ont principalement ciblé des équipements, des infrastructures militaires et stratégiques. Le but, pour la Russie, était de conquérir la supériorité aérienne. Mais aujourd’hui la situation est plus confuse et les informations sont difficiles à vérifier. Les forces russes maintiennent un blocus naval en mer Noire et en mer d’Azov.

Face à cela, nous avons de bonnes raisons de penser que les forces armées ukrainiennes résistent bien. Elles livrent des combats acharnés et font mieux face à l’invasion que ce que les Russes avaient anticipé. Cette combativité est le reflet du courage de tout un peuple, qui s’est levé pour défendre son indépendance et ses valeurs, lesquelles sont aussi les nôtres.

J’en viens maintenant à ce que nous faisons, aussi bien à titre national qu’avec nos partenaires et nos alliés.

Nous agissons dans deux directions : tout d’abord, pour aider les Ukrainiens à se défendre ; ensuite, pour assurer notre posture de défense, afin que la Russie comprenne bien à quoi elle s’exposerait si elle s’en prenait à l’Alliance.

Comme vous le savez, un engagement direct de nos forces ou de celles de nos alliés pour soutenir l’armée ukrainienne face à la Russie n’est pas une option. Il ferait de nous des cobelligérants de ce conflit. Or un pays comme la France ne peut recourir à la force que s’il est directement attaqué ou dans le cadre des alliances auxquelles il appartient.

Pour autant, nous ne pouvons pas rester les bras croisés et laisser la résistance ukrainienne démunie face à un ennemi résolu à l’écraser, au mépris de toutes les règles du droit international. C’est pourquoi nous avons décidé de répondre à l’appel de l’Ukraine et de lui livrer des équipements de défense.

Vous le comprendrez aisément, je ne puis en donner ici le détail. Sachez toutefois que nous parlons non seulement d’équipements de protection et de carburants, mais aussi de missiles et de munitions. Comme vient de l’indiquer le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des formes armées, des détails ont été donnés à huis clos ce matin quant à la nature de cette aide.

L’Europe, elle aussi, est pleinement engagée dans cette voie. Elle a pris la décision de livrer pour 500 millions d’euros d’équipements de défense à l’Ukraine – vous avez certainement suivi cette annonce. C’est la première fois que la Facilité européenne de paix est utilisée depuis sa création, il y a un an, après des mois d’efforts auxquels la France a pris toute sa part.

En effet, cette Facilité européenne de paix n’a pas surgi miraculeusement des tiroirs des bureaux bruxellois : c’est le résultat des efforts engagés sous l’impulsion du Président de la République dès le discours de la Sorbonne, en septembre 2017. C’est donc un pas historique pour l’Europe, qui a su agir vite et fort.

À l’heure de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE), nous sommes déterminés à aller encore plus loin pour donner à l’Europe de la défense tous les outils dont elle a besoin.

Nous avons aussi décidé hier, avec l’ensemble des ministres de la défense européens, des moyens de coordonner nos aides bilatérales à l’Ukraine. L’état-major de l’Union européenne a été désigné pour répondre aux demandes ukrainiennes, qu’il s’agisse des équipements de protection, des armements ou des munitions. L’Union européenne va également pouvoir s’appuyer sur un hub logistique en Pologne.

Comme vous le savez, la France est un contributeur majeur à la sécurité de ses alliés. Au lendemain de l’annexion illégale de la Crimée par la Russie en 2014, les chefs d’État et de gouvernement de l’Alliance atlantique s’étaient accordés pour le déploiement d’une présence avancée renforcée dans les États baltes et en Pologne. Il s’agissait de montrer à tout agresseur potentiel que le territoire des pays baltes et de la Pologne était bien couvert par la garantie de l’Alliance ; nous y avons pris toute notre part depuis le début et nous continuons de le faire.

La situation créée par l’agression russe nous a conduits à décider le renforcement de ces dispositifs, non pas dans le sens d’une escalade, mais tout simplement pour défendre et rassurer nos alliés de l’Est. Le Président de la République a été très clair lors du Conseil européen, jeudi dernier, et lors du sommet de l’Alliance atlantique, le lendemain.

Nous allons donc accélérer et renforcer le déploiement déjà prévu de nos avions de chasse dans les États baltes. Dès la mi-mars, quatre Mirage 2000, appuyés par une centaine d’aviateurs, seront déployés en Estonie. Depuis le 24 février, des patrouilles quotidiennes de deux Rafale et d’un avion ravitailleur s’envolent depuis la France pour réaliser des patrouilles dans les espaces aériens situés sur le flanc Est de l’Europe.

Par ailleurs, nous renforcerons ponctuellement notre dispositif en Estonie, où une compagnie d’infanterie de montagne, composée de 200 militaires, sera déployée aux côtés de nos alliés danois et britanniques.

Enfin, nous avons accéléré le déploiement de moyens en Roumanie dans le cadre de l’OTAN, comme le Président de la République l’avait proposé dès le mois de janvier dernier. Le déploiement des premiers militaires a eu lieu ce week-end, et la montée en puissance du dispositif jusqu’à 500 militaires avec leurs véhicules blindés se poursuivra tout au long de la semaine.

Dans un second temps, nous serons rejoints par des alliés et la France assurera le rôle de nation-cadre au sein d’un nouveau dispositif créé par l’OTAN.

Pour terminer, je souhaite partager avec vous quelques réflexions sur ce à quoi nous nous préparons. La crise que nous vivons a fait brutalement prendre conscience à l’opinion publique que la guerre n’était pas une réalité se résumant à des conflits asymétriques sur des théâtres éloignés. (Mme Françoise Gatel le confirme.) L’invasion de l’Ukraine et les menaces proférées par le président Poutine à notre égard montrent que notre sécurité se joue directement en Europe.

Ce constat – vous le savez bien, ici, au Sénat – n’est pas nouveau pour le ministère des armées. Dès 2017, dans le cadre du travail stratégique engagé pour préparer la loi de programmation militaire, nous avions décrit le retour des stratégies de puissance et leurs conséquences.

L’hypothèse d’un conflit majeur en Europe a été pleinement prise en compte dans l’élaboration de la loi de programmation militaire 2019-2025, qui, comme le Président de la République l’a voulu, est une loi de remontée en puissance. Elle a donné lieu à un travail conceptuel sur la notion de conflit de haute intensité, qui nous a conduits à poser trois questions et, surtout, à commencer d’y répondre.

Tout d’abord, quelle est notre crédibilité face à un agresseur puissant et déterminé ? C’est tout l’enjeu de la remontée en puissance de notre outil de défense. Après des décennies de sous-investissement, la dernière loi de programmation militaire a précisément inversé la tendance pour moderniser nos forces et pour sécuriser un modèle d’armée complet à l’horizon de 2030.

Ensuite, quelle est notre capacité à agir en commun avec nos alliés et nos partenaires ? Soyons clairs, il y a peu d’hypothèses dans lesquelles la France serait engagée seule dans un conflit de haute intensité. Les mesures que j’ai évoquées, il y a un instant, montrent à quel point notre engagement au sein de l’Union européenne comme de l’Alliance atlantique est une composante essentielle de notre défense. Depuis cinq ans, nous avons fait grandir l’Europe de la défense et, grâce aux dispositifs que nous avons construits, comme la FEP, nous sommes désormais capables de réagir vite et fort pour faire face à une situation inédite.

Enfin, quel est le niveau de résilience de la Nation et est-elle en mesure d’encaisser un choc ? Là aussi, c’est un enjeu essentiel que nous avons d’ores et déjà pris en compte, en bâtissant une capacité à surmonter des attaques cyber massives ou des tentatives qui viseraient à paralyser nos satellites, ce qui n’est pas une situation totalement inédite.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous vivons, vous l’avez tous dit, un moment historique. Il est historique pour l’Ukraine, qui lutte pour sa survie en tant que Nation et pour les valeurs que tous les Européens ont en partage. Il l’est aussi pour l’Europe, qui doit être à la hauteur. Soit l’Europe fait face, soit elle s’efface.

Avec les mesures très fortes prises au cours de ces derniers jours, et cela dans l’unité – je le souligne –, l’Europe fait face et nous faisons face. La France, vous pouvez en être certains, continuera de jouer un rôle moteur dans cette action européenne. (Applaudissements sur toutes les travées, à lexception de celles du groupe CRCE. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)