Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, je suis évidemment très préoccupé par la situation guyanaise et mahoraise. Je rentre d’ailleurs de Guyane, où je me suis rendu avec Gérald Darmanin et Gabriel Attal. Nous avons considérablement renforcé les moyens des douanes, des forces de sécurité et des magistrats de ce territoire.

Pour ce qui concerne mon ministère, le problème principal est l’attractivité des postes. Face à cette difficulté, nous avons créé une brigade de soutien au sein de la Chancellerie. Le rôle de cette structure est de convaincre des magistrats métropolitains de partir six mois et un jour – ce délai a été retenu pour des raisons fiscales que vous devinez sans peine – dans les territoires ultramarins afin d’aider les magistrats sur place.

Nous mettons en place ce dispositif en Guyane et nous l’étendrons bien sûr à Mayotte, où nous enverrons, en outre, des personnels supplémentaires. En effet – je l’ai indiqué lors de mon déplacement à Mayotte –, pour un magistrat comme pour un greffier, une telle affectation doit être un tremplin. Nous faisons d’ailleurs en sorte qu’après avoir exercé leurs fonctions à Mayotte ils sachent exactement où ils seront nommés.

En parallèle, d’importantes opérations immobilières sont prévues : cité du ministère de la justice à Saint-Laurent-du-Maroni, cité judiciaire à Cayenne, cité judiciaire et centre éducatif fermé à Mayotte, auxquels s’ajoutera bientôt un second établissement pénitentiaire.

Les outre-mer ont besoin de moyens accrus : nous le savons.

Monsieur le sénateur, je tiens à saluer l’engagement total dont vous faites preuve en la matière, pour votre territoire et pour la justice. Vous êtes toujours au rendez-vous, vous nous rappelez ce que nous devons faire et ce que vous dites nous oblige.

M. Alain Richard. Très bien !

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Harribey.

Mme Laurence Harribey. Monsieur le garde des sceaux, le rapport des États généraux de la justice préconise l’augmentation du nombre de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP),…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Oui !

Mme Laurence Harribey. … mais pas seulement. Il recommande aussi la généralisation de la présence de psychologues dans tous les services. C’est une nécessité que ma collègue Marie Mercier et moi-même avons largement mesurée lors de la mission d’évaluation que nous avons consacrée aux Spip.

Nous avons également pu constater le faible nombre des assistants sociaux : on n’en dénombre qu’un par département. Or ces professionnels sont fondamentaux, à l’heure où les CPIP voient leur métier évoluer : désormais, on leur demande davantage de mesurer le risque de récidive, non de se consacrer à la seule réinsertion.

Ma question est donc simple : quelle suite allez-vous donner au volet du rapport portant sur l’interdisciplinarité à l’intérieur des Spip ?

En parallèle, nous avons remarqué le problème d’attractivité dont souffrent ces postes. En particulier, on déplore un manque d’accompagnement face à l’évolution même des métiers. À l’évidence, il est nécessaire de développer un écosystème des acteurs : quelle suite entendez-vous donner à ces autres propositions du rapport ?

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, vous posez là une question très importante : celle de l’interdisciplinarité.

Telle est notre boussole pour les recrutements à venir. En répondant à M. Benarroche, j’ai déjà souligné l’intérêt que nous portons aux CPIP, qui sont absolument indispensables. Je rappelle pour mémoire que nous avons engagé 1 500 CPIP depuis 2018. J’ai cité tout à l’heure les mesures de revalorisation prises en leur faveur ; elles témoignent elles aussi de notre intérêt pour cette profession, que nous considérons comme essentielle.

Dans la politique de réinsertion et de lutte contre la récidive des personnes placées sous main de justice, la priorité est de valoriser le travail des CPIP et d’en embaucher davantage. Voilà pourquoi j’ai souhaité que la dotation correspondante soit portée à 122,5 millions d’euros en 2023. Elle augmentera ainsi de 12,9 millions d’euros, soit une hausse de 13 % par rapport à 2022.

Enfin, nous menons une politique active de préparation à la sortie et à la réinsertion, en lien étroit avec les services de l’État, les collectivités territoriales et les partenaires privés. S’y ajoutent les dispositifs de formation professionnelle des personnes prévenues et le développement du travail en détention, auquel je suis particulièrement attaché.

Bref, l’interdisciplinarité fait partie des réponses que nous envisageons : d’ailleurs, il n’est pas possible de s’en dispenser et il est logique qu’elle trouve écho dans les recrutements à venir.

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour la réplique.

Mme Laurence Harribey. Monsieur le garde des sceaux, plus que sur les CPIP, au sujet desquels vous aviez déjà répondu en partie, ma question portait sur les assistants sociaux.

Dans ce domaine, nous sommes bien à la croisée des chemins. De nouveaux métiers apparaissent et ils exigent une approche beaucoup plus transdisciplinaire.

En résumé, les CPIP sont passés d’une culture d’assistance sociale et d’accompagnement à l’insertion à une culture de la mesure du risque de récidive. Il est donc nécessaire de développer d’autres métiers à leurs côtés pour défendre une autre ingénierie de la sanction.

Ces considérations nous renvoient à un certain nombre de constats dressés par la mission d’information relative à la lutte contre la délinquance des mineurs. L’augmentation du nombre de places de prison n’est clairement pas une solution. Le rapport Sauvé le souligne lui aussi très clairement.

Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le garde des sceaux, le rapport du groupe de travail sur la simplification de la procédure pénale prévoit – c’est une première – le recours à l’intelligence artificielle comme outil d’aide à la décision pénale.

Certes, le droit pénal et la procédure pénale sont devenus très complexes. Certes, je ne suis pas de ceux qui rejettent par principe la science et la technologie, qui peuvent aller dans le sens de l’émancipation humaine. Pour autant, recourir à l’intelligence artificielle lors du jugement, n’est-ce pas s’en remettre à un juge robot déshumanisé ? (M. Jérémy Bacchi acquiesce.)

En entrant dans une logique d’automaticité, la justice perdrait tout son sens. Le but, rappelons-le, est de rendre justice au nom de tous en prenant en compte la situation de chacun.

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, comme vous, je préfère une justice humaine, merveilleusement humaine, parfois terriblement humaine, à n’importe quel robot. S’il suffisait d’introduire je ne sais quelle carte informatisée dans une machine pour obtenir une solution, nous n’aurions tout simplement plus de raison d’être : il n’y aurait plus la moindre difficulté ou la moindre problématique.

Comme vous, je suis très attaché à l’indépendance de la justice. En corollaire, certaines décisions nous font parfois un peu tiquer… (Sourires.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est comme ça !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Dans les États totalitaires, la justice est à la botte. Pour ma part, je préfère une justice indépendance. D’ailleurs, on ne parle que des choses qui vont mal, jamais de celles qui vont bien et qui sont pourtant extrêmement majoritaires.

Je le répète : je préfère une justice humaine, qui peut se tromper, à une justice informatisée. Je crois que nous sommes tous d’accord sur ce point. Par exemple, je ne sais pas comment l’intelligence artificielle pourrait assurer une quelconque personnalisation de la peine : je n’ai toujours pas trouvé de réponse à cette question.

Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la réplique.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le garde des sceaux, puisque vous m’y invitez, je pourrais vous dire, comme dans un meeting politique : « L’humain d’abord ! » (Sourires.) Cela me semblait si évident, venant de notre groupe, que j’ai préféré éviter une répétition inutile dans cet hémicycle. (Nouveaux sourires.)

Plus sérieusement, nous avons toujours estimé et nous continuons de penser que la justice ne peut pas se passer de l’humain et de ses émotions. Par définition, l’émotion peut être contestable, mais elle permet de rendre la justice la plus juste possible.

Sans aucun parallèle avec quelque actualité que ce soit, je reprendrai les propos liminaires de M. le président Buffet : la justice est effectivement un lieu qui apaise. Pour apaiser, elle a besoin de ces moyens humains ; de ces personnes qui écoutent, entendent, parfois réparent, réinsèrent, jugent ou contrôlent, notamment les lieux de privation de liberté.

Cette justice qui apaise est indispensable à notre société. Elle est l’exact contraire d’un jugement sur la place publique, qui, lui, hystérise, cristallise et oppose les gens entre eux. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je suis d’accord avec vous !

Mme le président. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Monsieur le garde des sceaux, en cette rentrée parlementaire, il est important de reprendre tout de suite nos bonnes habitudes : comme vous l’avez deviné, je vais donc vous parler d’informatique ! (Sourires.)

En effet, je vous alerte depuis longtemps sur cet enjeu, en particulier sur les logiciels, Cassiopée en tête.

C’est une question plus centrale qu’il n’y paraît, tant le personnel de justice peut se trouver découragé face à des applicatifs obsolescents qui accumulent les lourdeurs, les incompatibilités et les bugs. Votre ministère évoque même le « goût amer laissé aux agents », comme le note le rapport des États généraux de la justice.

Le comité en appelle ni plus ni moins qu’à une refondation complète de la maîtrise d’ouvrage informatique ainsi qu’à la fondation d’un véritable socle informatique commun, au sein de la justice comme avec les ministères partenaires – l’intérieur par exemple.

Pour mémoire, la procédure pénale numérique (PPN) qui se met en place souffre elle aussi des bugs de Cassiopée, en particulier dans le cadre des transferts entre la gendarmerie et la justice. J’ai pu le constater moi-même à la gendarmerie de Toucy.

Ma question est simple : quel plan d’action entendez-vous mettre en œuvre à ce titre ? Le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) prévoit la création d’une agence numérique. Une seule agence pour les deux ministères serait-elle envisageable ? (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice Vérien, nous travaillons en concertation avec Bercy pour répondre à la préoccupation légitime que vous exprimez.

En outre, j’ai nommé il y a peu un secrétaire général adjoint du ministère dédié au numérique.

Vous le savez – cela n’a échappé à personne –, la Cour des comptes nous a adressé un certain nombre de critiques. Elle relève néanmoins que nous avions fait beaucoup d’efforts, que je compte évidemment poursuivre.

Le rapprochement des maîtrises d’ouvrage et maîtrises d’œuvre, projet par projet, est une priorité clairement identifiée. Il permettra aux différents chantiers de gagner en cohérence et en efficacité.

Cela étant, je tiens à vous apporter deux précisions au sujet de l’informatisation.

D’une part, je ne crois pas qu’il existe, en la matière, un modèle unique ou un dispositif qui soit nécessairement le plus efficace pour tous les ministères.

D’autre part, au-delà de sa spécificité, la Chancellerie ne doit plus être perçue comme le ministère des vieilles pierres, mais comme un ministère moderne, efficace et exemplaire dans sa gouvernance comme dans son exécution budgétaire. C’est dans cet esprit que nous venons d’imposer un certain nombre d’indicateurs. De même, je serai très attentif à ce que la gouvernance numérique soit organisée de la meilleure manière possible. Je ne doute pas que, dans un avenir proche, je serai interrogé sur ce sujet.

Enfin – je suis d’accord avec vous –, la transformation est un sujet majeur pour l’avenir du ministère. Nous aurons, j’en suis sûr, l’occasion d’en débattre, ne serait-ce qu’à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances.

J’espère vous avoir un peu rassurée !

Mme le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour la réplique.

Mme Dominique Vérien. Monsieur le garde des sceaux, vous nous avez parlé de Bercy. Vous disposez effectivement d’une interface pour le paiement des amendes,…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Oui !

Mme Dominique Vérien. … qui semble avoir été conçue par Bercy et qui fonctionne bien. Ce ministère, lui, a très bien su se mettre en ordre de marche en matière informatique pour prendre nos sous… Il serait bon d’avancer de même pour rendre la justice.

De plus, il me semble indispensable de travailler sur ces sujets avec le ministère de l’intérieur. La procédure pénale numérique concerne ces deux ministères : ils doivent donc se parler. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Mes chers collègues, les conclusions des États généraux de la justice confirment l’état déplorable de notre institution judiciaire.

Une des premières décisions du garde des sceaux fut d’augmenter les magistrats judiciaires de 1 000 euros. Je salue cette initiative, mais les magistrats et greffiers souffrent surtout du manque de moyens humains et matériels.

Dans quelques semaines, nous étudierons le projet de loi de finances pour l’année 2023. Il nous appartiendra d’être particulièrement exigeants quant à la répartition des crédits.

Le texte présenté prévoit une nouvelle hausse de 8 % du budget de la justice. Cette augmentation représente 710 millions d’euros supplémentaires par rapport à l’année dernière, dont 41 % reviendraient à l’administration pénitentiaire.

Je me réjouis qu’un tel budget soit alloué aux établissements pénitentiaires. Toutefois, j’émets quelques réserves sur ces dépenses, qui concerneraient en partie le parc immobilier pénitentiaire.

Monsieur le garde des sceaux, je comprends votre volonté de mettre fin à la surpopulation carcérale ; mais, comme vous le savez, la construction de nouvelles prisons n’est pas la seule solution. Plus on construit, plus on remplit. La réponse à ce problème structurel se trouve du côté de la prévention de la récidive, de la réinsertion et des peines de substitution sous certaines conditions.

J’en viens à ma question. La loi de finances pour 2022 accordait aux solutions alternatives à l’incarcération un budget stagnant à 39,8 millions d’euros, quand près de 1 milliard d’euros étaient alloués à l’investissement immobilier pénitentiaire. Pour 2023, comment comptez-vous répartir l’enveloppe budgétaire entre réinsertion et mesures alternatives à la prison ?

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, puisque vous m’y invitez, je vais vous répondre sur le registre budgétaire.

La programmation immobilière de 15 000 nouvelles places est essentielle pour mettre fin à la surpopulation carcérale, même si ce n’est pas la seule solution. Comme vous, j’attache une attention toute particulière à la lutte contre les conditions indignes de détention.

Les missions accomplies par les Spip, notamment en milieu ouvert, sont tout aussi essentielles. Elles doivent continuer à se développer.

Le ministère poursuit une politique volontariste en faveur des mesures alternatives à l’incarcération et des aménagements de peine. Pour répondre précisément à votre question, la dotation correspondante s’élèvera à 53,4 millions d’euros en 2023, en progression de 34 % par rapport à 2022.

Ainsi, 28 millions d’euros sont consacrés au placement sous surveillance électronique. Le placement extérieur bénéficiera d’une dotation de 11,3 millions d’euros : le complément de 2,5 millions d’euros accordé est destiné au relèvement du prix de la journée, pour favoriser l’octroi de ces mesures. En outre, 2,6 millions d’euros sont prévus pour accompagner le déploiement du contrôle judiciaire sous placement probatoire. Enfin, la dotation allouée à la politique de réinsertion des personnes placées sous main de justice sera portée, en 2023, à 122,5 millions d’euros. Elle bénéficiera d’une hausse de 13 % par rapport à 2022.

Vous savez combien je suis attaché au sens du travail, à l’effort des publics qui exécutent une peine, qu’elle soit accomplie en milieu ouvert ou en détention. Je vais naturellement favoriser la venue massive de ceux qui peuvent offrir ce travail, car il permet une meilleure réinsertion.

Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le garde des sceaux, il me semble nécessaire de consacrer prochainement un travail aux lieux de privation de liberté. Ce sujet a certes été abordé par les États généraux de la justice, mais un tel état des lieux permettrait de le traiter spécifiquement.

Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre. (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)

Mme Nathalie Delattre. Monsieur le garde des sceaux, le 13 septembre 2021, je déposais une proposition de loi visant à développer le recours à la médiation.

Le groupement européen des magistrats pour la médiation (Gemme) et plusieurs autres acteurs du monde judiciaire relevaient alors le caractère essentiel de ce texte. S’il nous reste du chemin à parcourir pour promouvoir le recours à la médiation dans notre pays, je tiens à vous remercier de votre engagement personnel pour le développement de ce dispositif, notamment en réaction au dépôt du rapport des États généraux de la justice.

Le recours à la médiation est encore trop peu développé en France, même si des expériences ponctuelles, comme aux référés du tribunal judiciaire de Paris, donnent d’excellents résultats.

J’ajoute que l’usage de ce dispositif est fortement encouragé par nos concitoyens. En effet, d’après un sondage du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) réalisé pour le Sénat en 2021, 90 % des Français interrogés plébiscitaient le recours à la médiation et à la conciliation. (M. le garde des sceaux le confirme.)

La médiation est un outil précieux pour notre système juridique. Grâce à elle, les justiciables peuvent se réapproprier le procès en en devenant des acteurs responsables. En outre, elle permet de résoudre des situations qui semblaient bloquées en renouant le dialogue avec l’aide d’un tiers compétent, neutre et impartial.

En 2021, la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire a marqué une étape en facilitant le recours à la médiation et en actant la création du Conseil national de la médiation. Mais il est nécessaire d’aller plus loin et d’engager une véritable politique nationale de l’amiable judiciaire dans notre pays.

Monsieur le garde des sceaux, pouvez-vous m’assurer que vous développerez le recours à la médiation en faisant évoluer la législation ? Ma proposition de loi est à votre disposition. En attendant, envisageriez-vous de prendre rapidement des mesures concrètes en valorisant la médiation dans l’organisation des juridictions, en développant la formation des acteurs judiciaires et en adoptant des mesures incitatives ? (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, je sais avec quelle sévérité Mme la présidente veille au respect des temps de parole. S’il me fallait vous répondre en trois mots, je vous dirais : oui, oui et oui ! (Sourires.)

M. Antoine Lefèvre. Alors, tout va bien ! (Nouveaux sourires.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Tout d’abord, je crois en la médiation, car une décision à laquelle on a participé est une décision que l’on accepte mieux. Par ailleurs, la médiation permet d’économiser du temps judiciaire, pour le consacrer, par exemple, au « déstockage ».

Dans le cadre des États généraux de la justice, la médiation fait ainsi l’objet d’un très large consensus. Je pense notamment à une procédure dont j’aurai l’honneur et le plaisir de vous reparler, à savoir la procédure de césure, laquelle est inspirée de l’étranger.

Nous avons uniformisé la liste des médiateurs. Nous avons actualisé les formulaires de candidature. Nous avons triplé la rétribution à l’aide juridictionnelle pour les avocats qui participent à la médiation.

Je sais que vous défendez un texte de loi portant sur ces sujets et je serais ravi de vous recevoir à la Chancellerie pour les évoquer avec vous. Je pense en particulier aux questions de droit civil, dont M. le président Buffet a rappelé toute l’importance.

Nous n’avons pas encore arbitré : les discussions se poursuivent, car j’ai souhaité que tout le monde participe à ces États généraux. Je le répète, venez à la Chancellerie – naturellement, il s’agit là d’une invitation et non d’un impératif. Il faut faire progresser la médiation car, à l’évidence, c’est la justice de demain. Je vous attends ! (Sourires.)

Mme le président. La parole est à Mme Agnès Canayer.

Mme Agnès Canayer. La confiance dans nos institutions est le cœur de notre pacte républicain et, aux côtés des pouvoirs législatif et exécutif, la justice y contribue grandement. Il s’agit là d’un enjeu fondamental.

Je me félicite du travail mené par les États généraux de la justice de manière systémique et globale, en associant l’ensemble des acteurs pour tracer d’ambitieuses pistes de réflexion. Mais on voit aujourd’hui que le travail est abyssal ; il va exiger beaucoup d’investissements et une priorisation.

Monsieur le garde des sceaux, j’entends bien que votre méthode consiste à définir de manière concertée ces actes de priorisation. Toutefois, comme l’a justement rappelé M. le président de la commission des lois, pour redonner confiance dans la justice, il faut d’abord assurer la proximité en investissant dans la justice du quotidien. (M. le garde des sceaux opine.)

Or la justice qui répond aux besoins de chaque jour, c’est avant tout la justice civile et, à cet égard, un sujet nous tient particulièrement à cœur.

Dans un rapport remis il y a déjà trois ans, Mme Delattre, Mme Gruny, Mme Féret et moi-même avons formulé de nombreuses propositions pour restaurer la confiance dans cette justice du quotidien qu’est la justice du travail. Aujourd’hui, alors que le nombre d’affaires a beaucoup diminué – il a baissé de 55 % –, les délais de jugement restent très longs en la matière : ils sont en moyenne de seize mois. De toute évidence, une réforme systémique est nécessaire : cette réforme de la justice prud’homale figure-t-elle parmi vos priorités ? (Mme Nathalie Delattre applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, au risque de me répéter, la réponse est oui !

Bien sûr, j’ai connaissance de votre rapport ; nous sommes en fait face à une question de temporalité. Un certain nombre de mesures ont été prises – je ne les rappellerai pas aujourd’hui. Je ne pense pas que nous ayons chômé ou perdu notre temps. Néanmoins, le moment est effectivement venu de réfléchir de nouveau à la justice prud’homale.

Ce que nous voulons, c’est une justice plus proche, plus rapide et plus efficace. Les propositions formulées en ce sens seront incluses aux travaux des États généraux. Je vous invite, vous aussi, à venir me présenter les solutions que vous souhaitez voir reprises. J’y insiste, les arbitrages ne sont pas rendus et je suis tout à fait ouvert au dialogue.

Puisqu’il me reste un peu de temps de parole, je tiens à revenir sur la méthode que nous avons retenue. Je ne suis intervenu ni dans les travaux du comité des États généraux ni dans ceux des différents ateliers : je ne voulais pas que l’on dise qu’ils ne faisaient, en somme, que traduire les souhaits du ministre.

Puis, quand le rapport Sauvé et ses annexes ont été remis, j’ai réuni tout le monde. Ce que je souhaite garder, c’est ce qui est consensuel. Voilà notre méthodologie.

Notre modèle de gouvernance n’est pas caporaliste : ces États généraux n’ont pas vocation à partir d’en haut pour irriguer vers le bas, mais à mener une discussion avec tout le monde. Si certains syndicats ne sont pas venus, c’est leur problème. Une porte que l’on ne franchit pas n’est pas une porte fermée. Reste qu’un certain nombre de points très consensuels se dégagent de ces travaux et que c’est ainsi que l’on progressera.

Ces États généraux sont l’affaire de tous et tout le monde a compris qu’il s’agissait là d’un moment historique pour notre justice. Je vous dis donc bienvenue, madame la sénatrice !

Mme le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour la réplique.

Mme Agnès Canayer. Merci, monsieur le garde des sceaux. Bien entendu, nous participerons à ce travail afin d’étoffer la réflexion engagée.

J’entends votre volonté de consensus. Néanmoins, un certain nombre de réformes devront tôt ou tard s’imposer.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Oui !

Mme Agnès Canayer. Si le consensus peut être nécessaire, nous avons également besoin de réformes systémiques. Or, pour revenir au sujet de ma question, la justice prud’homale reste au milieu du gué : dans ce domaine, nous devons aller beaucoup plus loin.

Mme le président. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled. Dans notre pays, la justice est en crise depuis trop longtemps. Alors que, pour la troisième année consécutive, le Gouvernement s’apprête à consentir un effort budgétaire sans précédent en sa faveur, les difficultés de l’institution n’ont toujours pas été surmontées.

À l’occasion des États généraux de la justice, plusieurs dizaines de milliers de contributions de nos concitoyens, tant professionnels du droit que simples justiciables, ont été recueillies. Elles ont souligné la place fondamentale de la justice au sein de notre société démocratique et de notre État de droit.

Il est crucial que la justice fonctionne correctement et efficacement, non seulement pour les parties, mais aussi pour l’ensemble de notre société.

Le rapport du comité des États généraux de la justice rappelle qu’entre 2009 et 2020 le code pénal a été modifié par onze lois chaque année en moyenne et le code de procédure pénale par dix-sept lois. Cette évolution complexifie à n’en pas douter le quotidien des policiers et des gendarmes. En parallèle, elle allonge encore et toujours les procédures.

Au-delà de l’inflation normative, le comité estime que la refonte de la procédure pénale est nécessaire. Il se prononce en faveur du maintien du juge d’instruction, mais surtout envisage d’unifier les cadres de l’enquête de flagrance et de l’enquête préliminaire. Il propose, pour ce faire, de conduire une étude d’impact sur les différents scénarios de l’unification des régimes d’enquête.

Monsieur le garde des sceaux, comptez-vous mener cette étude d’impact ? Que pensez-vous de l’opportunité et de la faisabilité d’une telle fusion ?