Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Wattebled, parmi les points de consensus figure bien la nécessité de simplifier la procédure pénale.

Vous l’avez dit, une multitude de textes sont venus complexifier la procédure pénale, si bien que, de leur propre aveu, les professionnels ont aujourd’hui beaucoup de mal à s’y retrouver.

Voilà pourquoi l’on envisage une simplification. Les policiers, les gendarmes, les magistrats, les greffiers comme les avocats la demandent.

Cela comprend une unification des délais, par exemple, ainsi que le traitement de la question de l’enquête préliminaire et de l’enquête de flagrance. On ne peut cependant pas supprimer la notion de flagrance, laquelle figure à l’article 26 de la Constitution et permet d’ailleurs d’arrêter un parlementaire sans autorisation du bureau de l’Assemblée nationale ou du Sénat, en cas de crime flagrant.

Ce clin d’œil mis à part, beaucoup de choses peuvent être simplifiées, tout en respectant, évidemment, les droits de la défense, les libertés individuelles et les libertés publiques. C’est vers cela que nous nous dirigeons.

Nous estimons que ce travail durera deux ans. Les parlementaires seront, bien sûr, associés de près à son élaboration et les études d’impact seront conduites. En la matière, nous ne pouvons pas avancer à l’aveugle, soyez parfaitement rassurés sur ce point.

Nous avons commencé à étudier ces sujets, ils sont colossaux, et notre objectif est extrêmement ambitieux, mais le Parlement y sera associé. Ce travail répond aujourd’hui à une demande ; il est absolument indispensable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour la réplique.

M. Dany Wattebled. Je me contenterai de remercier M. le garde des sceaux pour sa réponse.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le garde des sceaux, nous vous savons attaché au renforcement de l’indépendance du parquet, et nous sommes nombreux, sur ces travées, à partager le souhait de voir enfin aboutir une réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) permettant d’y parvenir.

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) refuse d’assimiler le ministère public français à une véritable autorité judiciaire au sens au sens de l’article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, lequel garantit le droit à la liberté et à la sûreté.

Le Sénat avait adopté, en juillet 2013, un projet de loi constitutionnelle qui avait pour objectifs de renforcer l’autorité du CSM et de mieux garantir l’indépendance et l’impartialité des magistrats. Malheureusement, il aura fallu attendre avril 2016 pour que ce texte soit voté en des termes identiques par l’Assemblée nationale. Depuis lors, plus rien.

Près de deux ans plus tard, lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation en janvier 2018, le Président de la République avait lui aussi affirmé ce souhait de renforcer l’indépendance du ministère public et indiqué que la réforme que préparait alors votre prédécesseure, Mme Nicole Belloubet, devait intégrer ces éléments.

Il y a une quinzaine de jours, lors de son audition par la commission des lois du Sénat à l’occasion du rapport remis sur les États généraux de la justice, M. Jean-Marc Sauvé a d’ailleurs indiqué, au sujet du statut du parquet, qu’il avait eu à soumettre au Président de la République un « décret de convocation du Congrès » sur cette réforme, puis un décret de « démontage du Congrès », ajoutant que c’était « la seule fois dans l’histoire de la République qu’un tel acte avait été pris ».

Aujourd’hui, monsieur le garde des sceaux, pouvez-vous nous éclairer sur le calendrier de cette réforme nécessaire pour qu’enfin ce renforcement de l’indépendance du parquet soit effectif ?

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Leconte, je n’ai pas de réponse à vous fournir sur le calendrier. Vous avez rappelé qu’une réforme du statut du parquet ne peut se faire que par une modification de l’article 65 de la Constitution. Le rapport Sauvé l’indique dans les mêmes termes.

Pour être tout à fait précis, cette proposition est discutée et ne fait pas consensus. Je vous propose, quant à moi, de mettre ce sujet à l’ordre du jour de la commission transpartisane.

Vous comprendrez, dès lors, que je sois incapable de vous en dire plus en termes de calendrier.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.

M. Jean-Yves Leconte. Nous avons absolument besoin d’avancer sur ce sujet essentiel pour notre État de droit. Le développement des missions des procureurs de la République exige également cette réforme.

En outre, compte tenu des débats en cours sur l’État de droit dans l’Union européenne et du rôle qu’y joue la France, nous devons être exemplaires et faire évoluer notre droit de manière à répondre à l’ensemble des exigences de la CEDH.

Mme le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le ministre, le rapport sur les États généraux de la justice insiste sur le fait que la justice connaît une crise systémique.

Pourtant, force est de constater que, dans les réponses transmises au Président de la République, il envisage des réponses sectorielles.

Par quel bout aborder une crise systémique ? C’est toute la question !

Je vous ai entendu faire référence à un plan d’action détaillé, à des volets réglementaires, à une loi de programmation 2022-2027, à une feuille de route sur la réforme de la procédure pénale, à une nouvelle politique pénitentiaire, à une politique ambitieuse de l’amiable. Les priorités sont multiples…

Mais vous le savez bien, monsieur le garde des sceaux : quand tout est prioritaire, il n’y a plus de priorité !

Quelle sera donc votre priorité ?

Une autre approche de ce sujet ne consisterait-elle pas à tirer les conséquences et les avantages de l’effort budgétaire massif que vous avez obtenu – il faut vous en faire crédit ! –, à laisser les recrutements produire leurs effets dans le monde de la justice, les nouveaux moyens financiers stabiliser la structure, avant de passer, dans un deuxième temps, à une série de réformes plus sectorielles, même si l’on sent bien que vous bouillez d’impatience sur ces sujets ? Quelle est donc la bonne temporalité pour traiter ces questions ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Bonnecarrère, il y a beaucoup de « en même temps » dans tout cela ! (Sourires.)

En matière budgétaire, d’abord, car sans les moyens, rien n’est possible : le renforcement, grâce à ce budget, des moyens humains est très attendu par tout le monde. L’un d’entre vous a rappelé ce que nous avions fait en termes d’embauche : 10 000 personnels supplémentaires, 1 500 magistrats, 1 500 greffiers et des contractuels.

S’agissant du civil, cela sera fait de façon réglementaire et l’on ne pourra pas me reprocher d’ajouter à l’inflation législative par une loi nouvelle. Néanmoins, vous serez naturellement associés de près à ces évolutions. Celles-ci auront pour objet de favoriser la médiation et d’en simplifier l’usage.

Ensuite, il y aura du législatif : une loi de programmation, la réforme de la procédure pénale et, très vraisemblablement, une loi organique, puisque les États généraux de la justice suggèrent un certain nombre de modifications qui nous y conduisent. Tout cela sera mené – si j’ose dire – en même temps, quoi qu’il en soit rapidement. Je veux aller vite.

Pour ce qui relève du réglementaire, ce sera le cas ; la loi de programmation est attendue pour janvier 2023, en début d’année, de sorte que ses effets soient étalés jusqu’à la fin du quinquennat et le reste suivra naturellement son cours ordinaire, mais, à mon sens, le consensus me permettra d’obtenir l’adhésion des parlementaires : si tout le monde est d’accord, forces de sécurité intérieure, magistrats, greffiers, avocats, il me semble que les parlementaires constateront cet accord. Ils n’ont qu’une envie : améliorer la justice du quotidien.

Mme le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.

M. Antoine Lefèvre. Monsieur le garde des sceaux, les États généraux de la justice ont été convoqués à point nommé, alors que l’institution judiciaire semblait condamnée à s’enfoncer toujours plus dans la détresse soulignée par les conclusions du rapport. Il est impératif aujourd’hui de ne pas laisser s’éteindre la dynamique qui est née de cette large concertation.

Cela a été dit maintes et maintes fois, la toute première urgence de nos tribunaux est le renforcement des moyens humains, proportionnellement au volume de contentieux en attente de jugement.

C’est pourquoi, s’il est important de saluer la revalorisation salariale des magistrats que vous avez appelée de vos vœux le 12 septembre dernier, celle-ci ne doit pas faire oublier la véritable priorité financière de l’institution judiciaire : sortir ses tribunaux de la déshérence et ses outils informatiques de l’archaïsme.

Je solliciterai, monsieur le ministre, vos précisions sur le point suivant.

Les directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation (DPIP) vous ont récemment fait part de leur souhait de voir engager une réforme de revalorisation de leur statut et de leurs indemnités. Cette revendication intervient après qu’une amélioration apportée en 2017 au statut des conseillers d’insertion et de probation (CPIP) a effacé les différences de traitement et de statut entre les deux corps pourtant hiérarchiquement distincts.

La responsabilité exercée par les directeurs sur les conseillers d’insertion souffre ainsi d’une perte de légitimité préjudiciable au bon exercice de leurs missions.

À cela s’ajoute l’importante perte d’attractivité du métier, qui a déjà conduit cet été à ce que seuls six des vingt-deux postes proposés au concours interne soient pourvus. Les demandes de détachement à l’extérieur, quant à elle, ont triplé en quatre ans.

Quelle place souhaitez-vous accorder aux revendications des directeurs d’insertion et de probation dans les chantiers que vous souhaiterez entreprendre à la lumière des conclusions de ces États généraux ?

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Lefèvre, vous m’interrogez sur ce que le ministère compte faire pour rendre le métier de DPIP plus attractif. Il est vrai que les réformes interministérielles engagées depuis 2017 ont abouti à revaloriser les salaires des CPIP, mais pas ceux des DPIP. Il en va de même, d’ailleurs, des directeurs des services de la protection judiciaire de la jeunesse.

En ce qui concerne les DPIP, le ministère s’engage à revaloriser leurs primes en 2022 d’environ 700 000 euros, qui viennent s’ajouter aux 600 000 euros octroyés à ce corps en 2021.

En 2023, je porterai la poursuite de la hausse des primes à hauteur de 1 million d’euros, une réforme du statut pour faciliter la promotion professionnelle et des parcours de carrière plus attractifs ainsi qu’une revalorisation de leur rémunération indiciaire à hauteur de 1,3 million d’euros.

Ces évolutions sont légitimes. Nous avons reçu, il y a quelques jours, les représentants des DPIP ; ils savent ce que nous comptons faire, c’est-à-dire mettre en avant bien sûr le service qu’ils rendent à la justice par des revalorisations adéquates.

Mme le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, pour la réplique.

M. Antoine Lefèvre. Je vous remercie de ces précisions, monsieur le ministre. Un service public judiciaire clair, organisé et performant est la garantie de la solidité de notre État de droit.

Mme le président. La parole est à M. Hussein Bourgi.

M. Hussein Bourgi. Monsieur le ministre, lors des audiences solennelles des tribunaux judiciaires comme lors des conseils de juridiction des cours d’appel, deux sujets reviennent de manière récurrente.

Le premier concerne les moyens humains : de nombreux chefs de cour regrettent que les postes de magistrats qui leur ont été alloués lors de la dernière loi de finances ne soient toujours pas pourvus. Cette situation est d’autant plus difficile à comprendre que, dans d’autres juridictions, des postes de juges sont en surnombre.

Comment, et dans quel délai, la Chancellerie entend-elle remédier à cette difficulté ?

Un second point a été soulevé lors de ces réunions : les dysfonctionnements du logiciel Cassiopée déployé depuis une dizaine d’années, à l’époque du ministre Michel Mercier.

Nous en sommes à une cinquantaine de versions et il ne donne toujours pas satisfaction. Ce constat est d’autant plus regrettable que nous ne disposons pas de référentiels d’activité pour évaluer les besoins de chaque juridiction avec des indicateurs et des éléments objectifs.

Dès lors, l’attribution de moyens par la Chancellerie ne se fait pas dans des conditions tout à fait équitables. Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, où en sont les travaux de la Chancellerie pour nous doter d’outils informatiques efficients et d’un référentiel d’activité opérationnel ?

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Bourgi, nous devrions disposer du référentiel en décembre, il faut du temps pour créer un tel outil.

J’en ai demandé la mise en place, il y a trop longtemps sans doute. C’est un très bel outil pour la direction des services judiciaires (DSJ), dont nous disposerons donc en décembre. Vous en serez informés.

S’agissant de Cassiopée, il est exact que des difficultés techniques ont été soulevées à Paris et à Versailles, quant à l’utilisation de sa version pour les cours d’appel. Celles-ci sont en cours d’analyse et de résolution, les solutions seront probablement apportées au premier semestre 2023. Le système Cassiopée pour les tribunaux est généralisé sur tout le territoire.

Pour ce qui est des effectifs de magistrats au sein de la cour d’appel de Montpellier, en juin dernier, j’ai décidé d’augmenter les effectifs de magistrats dans cette cour de manière substantielle : pas moins de quatre postes ont été créés, deux juges du siège et deux magistrats du parquet. Ces postes sont encore vacants, nous poursuivons les efforts de recrutement de magistrats.

L’année 2023 verra la plus grande promotion d’auditeurs de justice de l’histoire de l’École nationale de la magistrature, avec 380 auditeurs. Ainsi, dès cette année, nous réduirons la vacance de postes.

C’est une réalité : la justice a subi plus de vingt ans d’abandon budgétaire, humain et politique, on ne peut pas tout régler d’un claquement de doigts. Nous nous y attachons, avec les différents budgets qui ont été obtenus, plus de 40 % de hausse, dont 26 % de mon fait – vous savez que, en matière budgétaire, trois fois huit ne font pas vingt-quatre, mais vingt-six ! (Sourires.)

C’est un effort considérable qui montre l’intérêt que nous portons à la justice de ce pays.

Mme le président. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour la réplique.

M. Hussein Bourgi. Monsieur le ministre, je reconnais volontiers les efforts budgétaires que vous évoquez, nous nous en sommes tous félicités en commission des lois.

La difficulté vient du fait que ceux-ci ont du mal à se traduire rapidement sur le terrain et dans les juridictions, singulièrement dans la cour d’appel de Montpellier, qui est celle du ressort où je suis élu.

Effectivement, les postes de magistrats ou de directeur de greffe qui ne sont pas pourvus, comme c’est le cas actuellement au tribunal judiciaire de Béziers, ne facilitent pas la réduction des délais et l’efficacité de la justice.

Nous tous ici, sénatrices et sénateurs, vous saurions gré de nous aider à remédier à ces difficultés.

Mme le président. La parole est à Mme Nadine Bellurot.

Mme Nadine Bellurot. Monsieur le garde des sceaux, le constat dressé par le comité des États généraux est particulièrement sévère sur l’état et le fonctionnement d’une institution qui ne remplit plus, ou très mal les missions de service public que les Français sont en droit d’attendre.

La tonalité de ce rapport se rapproche de celui de Philippe Bas en 2017, intitulé Cinq ans pour sauver la justice ! Malheureusement, cinq ans plus tard, nous en sommes toujours au même point, rares étant les préconisations à avoir été mises en œuvre au cours de la précédente législature.

Deux des constats du rapport Bas se retrouvent dans celui du comité.

En premier lieu, l’augmentation continue des ressources allouées à la justice, dont vous vous êtes encore récemment félicité, n’a pas permis d’améliorer significativement son fonctionnement et le service public rendu aux justiciables.

En second lieu, l’institution judiciaire est confrontée au risque de rater la révolution numérique. Les innovations technologiques les plus récentes font émerger de nouveaux acteurs privés, qui peuvent concurrencer l’institution judiciaire, appelant à une nécessaire régulation.

Il existe donc deux voies de réforme.

La première concerne les procédures en matière civile, pénale, sociale et commerciale ; nous en connaissons la nécessité comme les contraintes internes et conventionnelles.

La seconde concerne le management de la justice : quelle organisation du ministère envisagez-vous pour assurer la bonne exécution des budgets votés, la fluidité de la gestion des ressources humaines, la maîtrise des frais de justice, la mise à niveau d’une informatique judiciaire dont, à chaque visite que nous faisons dans les juridictions, nous constatons l’incroyable inefficacité ?

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, cela ne vous étonnera pas : je ne suis pas d’accord avec vous. Nous avons embauché 700 magistrats, 850 greffiers, 2 000 personnels contractuels. À propos de ces derniers, certains parlaient de « rustines », et demandaient pourquoi nous n’embauchions pas des magistrats ; je répondais benoîtement qu’il faut 31 mois pour les former !

Ces contractuels ont été envoyés dans toutes les juridictions, 1 000 auprès des parquets et 1 000 au civil, ils ont permis une réduction des stocks de 28 %. Vous trouvez que cela n’est rien ?

Mme Nadine Bellurot. Non, je n’ai pas dit cela !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pardon, mais il s’agit de la moyenne nationale ; dans certaines juridictions, c’est bien plus encore.

Naturellement, une justice qui déstocke va plus vite. Je ne partage donc pas votre sentiment.

S’agissant de la sous-exécution budgétaire au niveau du ministère, sur les quinze dernières années, en moyenne, moins de 1 % des crédits votés en loi de finances initiale n’ont pas été consommés, soit environ 100 millions d’euros, sur un budget de 9,6 milliards. C’est au fond assez faible.

Ce chiffre n’a pas beaucoup varié. Il était de 1,9 % en 2008, 0,4 % en 2015, 1,8 % en 2021. Je vous concède effectivement une hausse en 2020, à 2,6 %, imputable à la crise sanitaire. Le pays était à l’arrêt pendant des mois et des mois, ce qui n’a pas permis aux ministères de dépenser leurs crédits normalement, pas plus que cela n’a permis à mon ministère de faire pousser les prisons, car, dans un instant, j’entendrai cela, monsieur le sénateur Bas ! Je ne lis pas dans vos pensées, mais je les anticipe… (Sourires.)

M. Philippe Bas. Vous lisez en moi à livre ouvert ! (Nouveaux sourires.)

Mme le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti.

Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le garde des sceaux, les constats issus du rapport Sauvé associent une crise de l’autorité judiciaire et une crise du service public de la justice.

Je voudrais insister sur le lien étroit qui les unit, en vous interrogeant sur une cause commune qui ne devrait pourtant pas être un problème : les variations démographiques.

En tant qu’élue de Moselle, je suis sensible aux disparités de peuplement dans les zones rurales, mais je le suis plus encore à leur évolution lorsque nous soutenons les politiques urbaines et la croissance démographique de certaines zones.

Or, ainsi que j’ai pu le vérifier dans ma région comme lors d’un stage d’immersion au tribunal de Bordeaux, l’accroissement de la population urbaine, particulièrement dans les métropoles, s’accompagne naturellement d’une augmentation des affaires pénales et civiles. C’est le cas récemment des atteintes aux personnes, mais aussi des affaires familiales.

Face à cette dynamique démographique, l’accroissement d’une déjudiciarisation de certains contentieux, ou l’invention d’une énième réforme de la carte judiciaire n’auront qu’un effet limité.

Adapter la justice nécessite davantage : outre une augmentation généralisée des moyens, il faut une meilleure anticipation et une meilleure gestion dans l’emploi des ressources humaines et matérielles de la justice. Je pense par exemple à la gestion des carrières, à la mobilité géographique ou à des instruments de suivi des masses contentieuses, entre autres.

Quelle stratégie le ministre de la justice entend-il adopter afin de réussir cette anticipation des évolutions démographiques et d’améliorer la réponse de la justice dans ce contexte ?

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, les moyens humains des juridictions, qu’il s’agisse des magistrats ou des greffiers, sont ajustés chaque année après examen des données d’activité des juridictions.

L’outil que j’évoquais précédemment et qui sera à notre disposition dès le mois de décembre permettra à la DSJ d’affiner les besoins des différentes juridictions.

Les évolutions démographiques ont un impact déterminant sur l’activité des juridictions puisqu’une augmentation de la population d’un ressort donné entraîne nécessairement une hausse des contentieux.

De même, nous sommes particulièrement attentifs au profil socio-économique de la population d’un ressort donné. À titre d’exemple, nous aurons tendance à favoriser la localisation de postes de juge des enfants dans les départements à la population particulièrement jeune. Je pense par exemple à Mayotte, où nous avons localisé en juin 2022 un poste supplémentaire de juge des enfants.

J’ajoute que les évolutions démographiques et l’activité des juridictions ont également une incidence sur l’évaluation de la charge des magistrats. Il s’agit d’un chantier important qui sera finalisé d’ici le mois de décembre 2022. Nous pourrons ainsi localiser les postes de magistrats au plus près des évolutions d’activité des juridictions.

La direction des services judiciaires suit avec attention ces évolutions démographiques pour y répondre au mieux.

Mme le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour la réplique.

Mme Catherine Belrhiti. Merci de votre réponse, monsieur le ministre, mais il faut toutefois regretter que ces constats et ces propositions aient déjà figuré, en vain, dans les rapports sénatoriaux, dont celui du sénateur Philippe Bas de 2017, éloquemment intitulé Cinq ans pour sauver la justice ! Je forme le vœu que ce travail soit enfin suivi d’effet aujourd’hui.

Mme le président. La parole est à M. Gilbert Favreau.

M. Gilbert Favreau. Monsieur le garde des sceaux, le rapport du comité des États généraux de la justice, présidé par M. Jean-Marc Sauvé, souligne la crise profonde de la justice, résultat de décennies de politiques défaillantes, que seule une augmentation substantielle des moyens qui lui sont alloués permettra de résoudre.

Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit une augmentation de 8 % du budget de la justice, qui serait porté à 9,57 milliards d’euros. C’est un effort notable, même s’il sera sans doute insuffisant.

Le rapport Sauvé est également sévère avec les acteurs de la justice ; il considère qu’il faudra clarifier leur rôle dans la société et envisager une réorganisation globale de l’institution ; il met en garde les magistrats contre « l’illusion de croire que la justice seule peut préserver son office et garantir son indépendance ».

Selon ce rapport, il faut maintenir les rôles respectifs du Gouvernement et du Parlement dans les grandes orientations de la justice, tout en associant plus étroitement le Conseil supérieur de la magistrature, à condition de questionner en même temps le rôle et la composition de cette instance, dans le souci de renforcer l’indépendance de la justice.

Au-delà des critiques faites au système judiciaire, le rapport souligne la complexification du droit et la multiplication des procédures, les délais de jugement excessifs, l’augmentation des missions assignées à la justice et, surtout, l’incompréhension des justiciables.

Ce rapport affirme la nécessité d’une réforme, je vous pose donc la question : à quand une grande réforme de la justice en France ?

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Elle arrive, monsieur le sénateur !

Nous avons pris connaissance du rapport Sauvé, puis de ses annexes. Le jour où le président Sauvé a transmis son rapport au Président de la République, les annexes ont été adressées à tout le monde. Depuis lors, j’ai assisté aux conférences, j’ai reçu des chefs de juridiction, des chefs de cour, le Conseil supérieur de la magistrature, les forces de sécurité intérieure, des citoyens, qui veulent que la justice aille plus vite et qu’elle soit mieux connue. C’est pourquoi aussi je mets en place un « passeport éduc droit » avec Pap Ndiaye.

J’ai reçu les huissiers, les notaires, les syndicats qui ont bien voulu venir, bref, tout le monde. Nous sommes maintenant dans une phase d’arbitrage.

Mme la sénatrice Canayer m’a dit qu’il fallait de temps en temps être un peu directif, mais concertation ne signifie pas mollesse ; les arbitrages seront pris et vous y serez associés.

La loi de programmation sera présentée en début d’année prochaine, le volet réglementaire va se mettre en place dans les meilleurs délais, parce que nous sommes dans une forme d’urgence. Cela demandait des moyens financiers et humains, il faut embaucher, il faut prendre des textes qui permettent une simplification et une fluidité plus importante, et donc de la rapidité, de la proximité et une meilleure protection pour nos compatriotes.

Tout cela est en route et nous aurons très prochainement l’occasion d’en discuter. Je suis incapable de vous donner un calendrier précis, mais la feuille de route est la suivante : le plan d’action sera prêt pour l’automne, il sera communiqué et discuté et nous mettrons en œuvre ce que nous aurons dégagé de ces États généraux. Je ne peux pas vous donner une précision au jour près.

Mme le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Bonfanti-Dossat. Monsieur le ministre, j’ai lu non sans une certaine stupeur les préconisations définitives du rapport Sauvé relatives aux cours d’appel.

Le groupe de travail Ronsin a veillé à adapter les ressorts des cours d’appel aux populations en évitant qu’elles puissent dépendre de deux régions judiciaires distinctes.

Pourtant, il reste difficile de comprendre en quoi le fonctionnement de la justice serait amélioré par le fait de calquer la carte des ressorts des cours d’appel sur celle des régions administratives ; il ne le serait tout au plus que de manière extrêmement marginale pour les parquets généraux. Le groupe de travail raisonne en fonction des limites administratives, et non par rapport aux bassins de population.

Il reconnaît dans le même temps qu’une telle réforme souffrirait de plusieurs difficultés sérieuses. Elle aurait notamment des conséquences sur l’activité de quinze juridictions, et huit juridictions d’appel verraient la leur réduite de plus de 25 % en raison du rétrécissement de leur ressort.

Qu’il s’agisse du rapport Ronsin, pour les raisons que j’ai évoquées, ou du rapport Sauvé, qui n’exclut pas la fusion des cours d’appel, l’avenir de celles-ci, notamment celle d’Agen, semble menacé, de sorte qu’elles risquent d’être condamnées in fine à disparaître.

Avez-vous pour projet de retirer aux cours d’appel ne siégeant pas dans les grandes métropoles leurs prérogatives de gestion ? Allez-vous retirer ces prérogatives à la cour d’appel d’Agen au profit de celle de Bordeaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)