Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, votre question me permettra de répondre une fois pour toutes aux inquiétudes qui ont cours sur la suppression de telle ou telle cour d’appel.

En effet, je vois fleurir des initiatives assez singulières. Récemment, dans un théâtre, des avocats se sont réunis pour dénoncer la suppression d’une cour d’appel, alors qu’elle n’avait jamais été annoncée. J’ai appelé le bâtonnier pour lui dire qu’il était curieux de crier « aïe ! » avant de recevoir un coup que personne ne voulait porter.

Je veux donc vous rassurer et vous dire très clairement qu’aucune suppression de cour d’appel n’est prévue.

Je rappelle, en outre, que j’ai créé des audiences foraines et que j’ai rouvert des tribunaux jusqu’alors fermés. Je considère, en effet, que la proximité doit résonner dans les territoires. À Agen, par exemple, un certain nombre de nos compatriotes doivent prendre la route pour se rendre à la cour d’appel. Plutôt que cette situation compliquée, ils préféreraient sans doute l’audience foraine de Villeneuve-sur-Lot. Je pourrais multiplier les exemples.

Par conséquent, il n’est pas question de supprimer des cours d’appel et il n’en a jamais été question. Je vous remercie, encore une fois, madame la sénatrice, de m’avoir permis de m’exprimer sur ce sujet, même si je doute que ce soit la dernière fois que j’aie à le faire. Les fantasmes ont cela de singulier qu’ils reviennent de manière récurrente. (M. François Patriat applaudit.)

Mme le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, pour la réplique.

Mme Christine Bonfanti-Dossat. Vous ne m’empêcherez pas de craindre que, si la cour d’appel d’Agen devient secondaire, elle risque d’être condamnée à fermer. Monsieur le ministre, je plaide coupable d’avoir peut-être raison trop tôt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Conclusion du débat

Mme le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Philippe Bas, pour le groupe auteur de la demande.

M. Philippe Bas, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le garde des sceaux, ce débat n’a pas été organisé pour discuter de votre bilan, mais pour examiner ensemble les perspectives ouvertes par les États généraux de la justice. C’est un débat très intéressant et vous avez eu à cœur de répondre, généralement avec précision, à l’ensemble des questions qui vous ont été posées.

Bien entendu, je ne prétends pas, en prenant la parole à cette tribune, clore le débat. Il continuera entre nous, car il nous reste beaucoup de travail à accomplir ensemble.

En outre, j’admets la manière dont vous avez présenté la situation : sur la justice, le Gouvernement et le Parlement doivent, comme ils le font sur la politique étrangère ou sur la politique de défense, trouver les voies, sinon d’un consensus, du moins d’une action commune de redressement d’où émergera un grand service public régalien de la justice. Nous ne pouvons pas en rester au système actuel.

Monsieur le garde des sceaux, je sais à quel point vous êtes sensible à ce que l’on reconnaisse les efforts que vous fournissez et je veux bien le faire. Toutefois, si vous souhaitez obtenir le concours du Sénat, il faut mettre les problèmes sur la table. Cela signifie qu’il ne suffit pas d’afficher les efforts accomplis, mais qu’il faut aussi montrer les difficultés qui résistent au redressement de la justice.

Je tenterai de le faire brièvement, dans le peu de temps qui m’est imparti, car la transparence et le réalisme sont les gages d’un dialogue équilibré entre nous.

Se pose tout d’abord la question des moyens. Monsieur le garde des sceaux, il est absolument exact que, depuis le gouvernement Castex et sous votre impulsion, les moyens de la justice ont fortement augmenté. Il est également exact que l’on a procédé à d’importants recrutements de magistrats et de greffiers, malgré les nombreuses vacances de postes qui demeurent pour ces derniers. Nous ne remettons pas en cause ces efforts.

Toutefois, il faut aussi prendre la mesure, y compris en matière budgétaire et d’effectifs, des difficultés qui subsistent. N’oublions pas tout de même que cette année sera celle d’une inflation à plus de 6 %, de sorte qu’un budget en augmentation de 8 % ne pourra pas garantir une hausse équivalente du pouvoir d’achat. Sans relativiser à l’excès l’effort qui est produit, il faut tout de même constater que, si le pouvoir d’achat de la justice progressait effectivement de 8 %, l’effet de souffle serait tout différent. En réalité, cette augmentation représente environ un quart du chiffre nominal de 8 % et il en ira de même pour le budget de l’année prochaine.

À cela s’ajoute le fait que l’addition des problèmes, que ce soit en matière de défense nationale, en pleine crise ukrainienne, d’éducation nationale ou de santé, rend la bagarre d’autant plus difficile dès lors qu’il s’agit de défendre le budget de chaque grand service public. Sachez que vous aurez notre soutien en ce qui concerne le redressement de la justice, parce qu’il s’agit pour le Sénat d’un engagement de longue haleine.

Je dois dire aussi que, s’agissant de l’effort financier, vous répondez avec exactitude sur la consommation des crédits de la justice ; mais, ce faisant, vous oubliez de préciser que vous vous heurtez à un problème que nous voulons bien faire nôtre, à savoir que vous ne parvenez pas à dépenser vos crédits d’investissement. En trois ans s’est accumulé l’équivalent d’une année de crédits d’investissement que vous n’avez pas pu dépenser.

Certes, nous n’ignorons pas qu’il y a eu la crise de la covid-19, mais le problème existait déjà auparavant, et cela se traduit par la difficulté que vous avez à réaliser le programme des prisons. Je ne veux pas vous associer à ce tour de passe-passe, mais alors que le Président de la République annonçait, en 2017, 15 000 places de prison supplémentaires, il a finalement réparti l’effort sur ses deux mandats. Heureusement qu’il en fait un deuxième !

M. François Bonhomme. C’est Gérard Majax ! (Sourires.)

M. Philippe Bas. Selon lui, 7 000 places ont déjà été créées. Or si l’on fait le compte, le nombre de places nettes ouvertes est de 2 081. Quel travail ! Mettez les difficultés sur la table !

Je ne dis pas qu’il était réaliste d’annoncer que l’on créerait d’un claquement de doigts 15 000 places de prison, mais il se trouve que c’est un engagement présidentiel. Par conséquent, il faut admettre que nous ne nous sommes pas donné les moyens d’atteindre ces résultats et que nous sommes face à un énorme problème, parce que nos prisons sont saturées. Or nous ne sommes pas d’accord avec la conclusion des États généraux qui consiste à dire que pour incarcérer des condamnés, il faudra désormais libérer des détenus. Nous ne pouvons pas l’accepter.

Il est donc essentiel que nous puissions travailler ensemble, sans escamoter les problèmes, mais en les mettant sur la table, afin d’aboutir à des mesures plus fortes que celles qui ont été prises jusqu’à présent.

Enfin, je suis attaché à la stabilité des règles, notamment en matière pénale. Toutefois, il faut simplifier le code de procédure pénale. Les graves problèmes que nous rencontrons sont liés au fait que la police judiciaire est exsangue et qu’elle a besoin d’être encadrée par le parquet. Il n’en reste pas moins que les règles sont tellement compliquées que nos malheureux policiers peinent à mettre en état des affaires qui permettraient ensuite aux magistrats de condamner comme ils le voudraient. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les États généraux de la justice.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures douze, est reprise à seize heures quatorze.)

Mme le président. La séance est reprise.

9

Urgences hospitalières et soins non programmés

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur les urgences hospitalières et les soins non programmés.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande disposera d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. René-Paul Savary, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. René-Paul Savary, pour le groupe Les Républicains. Madame le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre groupe a souhaité inscrire ce débat à l’ordre du jour afin de permettre au Sénat de connaître les intentions du Gouvernement en matière de politique de santé, plus particulièrement celle concernant les urgences, maillon clé de notre système de soins.

Un chiffre peu connu, dont je veux souligner l’importance, concerne la saturation des urgences. Elle est concentrée sur un nombre relativement faible de patients qui vont en moyenne cinq fois par an aux urgences, avec un délai médian entre deux passages de quarante jours. C’est énorme.

Ces quelque trois millions de patients réguliers des urgences sont surtout des personnes âgées, polypathologiques, des usagers qui n’ont pas d’autre recours médical à proximité, ainsi que des personnes exclues socialement, parmi bien d’autres cas.

Par ailleurs, n’oublions pas qu’en 2019 une grève massive des urgences a alerté les pouvoirs publics sur l’état dégradé des services.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Au fil du temps, des décisions ont été prises qui peuvent être lourdes de conséquences – il faut le reconnaître.

Pour certains, cela a été la mise en œuvre des trente-cinq heures. Il est vrai qu’on a demandé aux gens de compter leur temps, ce qui a entraîné une désorganisation au niveau de l’hôpital.

Pour d’autres, cela a été la tarification à l’activité (T2A). Il faut reconnaître également que cette mesure s’est traduite par une course à l’acte de sorte que la tarification, initialement instaurée pour compenser les difficultés de la dotation globale, a parfois eu un effet inflationniste.

Du côté de l’hôpital, la difficulté majeure tient à la prise en charge en aval des urgences, qui implique de tenir compte du manque de lits dans les services spécialisés et de la pénurie de places dans les structures extrahospitalières. Lors des auditions organisées en 2017 par notre commission, un chef de service indiquait très justement que l’enjeu était moins d’empêcher les patients de venir aux urgences que de réussir à les en faire sortir.

La prise en charge en aval des urgences répond à un double objectif : il s’agit non seulement d’assurer le désengorgement de ces services, mais également de garantir le bon aiguillage des patients vers la structure spécialisée adéquate, de manière à éviter un retour aux urgences ou des hospitalisations multiples.

Les établissements de santé privés et les médecins de ville ne participent pas tous également à la prise en charge de ces soins non programmés. Selon le chirurgien Bernard Kron, auteur du livre Blouses blanches, colère noire, les contraintes liées à une tarification insuffisante les en ont détournés, car celle-ci est en moyenne quatre fois inférieure à celle pratiquée à l’hôpital, pour les actes non programmés.

Le défaut de formation participe également à cette crise – nous aurons l’occasion d’en reparler.

Par ailleurs, peu de cabinets médicaux restent ouverts le soir pour accueillir les urgences, sans doute à cause d’une rémunération insuffisante et de la nécessité d’adapter les contraintes de la vie professionnelle à celles de la vie familiale – nous devons en tenir compte, désormais, dans notre réflexion.

On constate toutefois des points positifs. Certaines communes ont mis en place des services d’accueil médical initial (Sami) qui sont ouverts en soirée et le week-end. Des médecins généralistes s’y relayent volontairement et traitent les urgences en dehors des heures d’ouverture des cabinets médicaux.

Je veux également évoquer la situation post-covid, qui est révélatrice du malaise de l’hôpital, mais pas uniquement. En mars 2020, la pandémie de covid-19 a provoqué une vague importante de recours aux soins, qui a mis le secteur hospitalier sous tension. Les hôpitaux ont dû s’adapter pour gérer l’afflux de patients, notamment dans les services d’urgence, en recourant à des transferts vers d’autres établissements et à la mobilisation de la réserve sanitaire. L’hôpital a tenu le coup.

Après plus de deux ans de crise sanitaire, le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France a pointé une aggravation du malaise hospitalier. Malgré une revalorisation des salaires pour les personnels soignants, selon les accords de Ségur, la dégradation des conditions de travail de l’ensemble des personnels a généré une désaffection à l’égard de l’hôpital, qui reste préoccupante. Les milliards d’euros injectés n’ont pas produit les résultats escomptés. L’hôpital, ce n’est pas qu’une question d’argent.

La médecine libérale, également très engagée dans la crise sanitaire, est elle-même en crise. Les Français ont de plus en plus de mal à trouver des médecins traitants – on le sait.

Dans l’immédiat, ce n’est pas l’annonce de la fin du numerus clausus qui remédiera à cette crise, pas plus que la suppression de la quatrième année d’internat de médecine envisagée pour 2026.

En ce qui concerne le bilan des mesures prises avant l’été, nous noterons que les propositions de la mission flash sur les urgences et soins non programmés portent principalement sur la régulation. Elles ne traitent pas bien sûr les racines du mal, mais nous avions déjà eu l’occasion de souligner l’importance de redonner du corps au métier d’assistant de régulation médicale.

Madame la ministre, il y a des rendez-vous à ne pas manquer, comme celui de la convention médicale, qui doit permettre aux médecins de ville de prendre en charge davantage de patients en libérant du temps médical et en revalorisant l’activité libérale.

C’est aussi le cas de la conférence des parties prenantes, qui doit associer l’ensemble des corps intermédiaires, les syndicats de professionnels de santé, les associations d’usagers et de patients et les représentants des collectivités, qui n’ont pas souvent été entendus ni considérés durant ces dernières années. Elle reposera sur une « approche globale de la santé et de la restauration de l’éthique », dixit le ministre de la santé. Derrière ces termes bien génériques, il est difficile de cerner l’ambition réformatrice du Gouvernement.

Deux sujets restent majeurs pour l’avenir de notre système de santé, à savoir son financement et sa gouvernance.

En conclusion, tous ces constats nous conduisent à considérer qu’il est nécessaire de réformer structurellement et profondément notre système de santé. La situation tendue aux urgences n’est que l’une des facettes d’un mal plus profond. Désormais, la problématique n’est plus celle d’un accès aux soins à plusieurs vitesses, mais de l’accès aux soins tout court.

Les manifestations s’enchaînent pour inciter le Gouvernement à proposer ou à trouver des solutions garantissant l’accès aux soins urgents de la population. C’est à l’échelle des territoires, en concertation avec les acteurs du soin et de la prévention, avec les patients et avec les élus que doivent être élaborées des réponses concrètes et pérennes : telle est notre conviction.

Voilà ce que je souhaitais vous dire en préambule, au nom de mon groupe. Madame la ministre, vous qui vous déplacez dans les territoires – nous avons eu l’honneur de vous recevoir –, vous qui êtes spécifiquement chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, entendez notre message et n’hésitez pas à nous exposer vos ambitions pour cette mandature.

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de lorganisation territoriale et des professions de santé. Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis honorée de m’exprimer devant le Sénat sur un sujet qui nous tient tout particulièrement à cœur et qui est au centre des préoccupations quotidiennes de nos concitoyens, à l’occasion de ce débat sur les urgences hospitalières et soins non programmés.

Les difficultés que cristallisent les urgences sont le symptôme aigu d’une crise plus large qui touche l’ensemble de notre système de santé, celle de l’accès aux soins. Les urgences sont ainsi le point de convergence des fragilités structurelles qui parcourent notre système de santé – démographie médicale inadaptée, difficultés d’articulation entre la médecine de ville et l’hôpital, perte d’attractivité et de sens de certains métiers, désertification médicale.

Ce système de santé doit pourtant, à bien des égards, faire notre fierté. En effet, nous pouvons être fiers des valeurs d’égalité et d’universalité sur lesquelles il est fondé.

Nous pouvons aussi être fiers d’un système qui a fait preuve d’une remarquable résilience pendant les vagues successives de covid qui ont ébranlé notre pays. À ce titre, je considère qu’il n’est pas excessif de saluer une fois encore la mobilisation exemplaire de nos soignants.

La crise des soins non programmés et les difficultés d’accès mettent en péril l’essence même de ce système de santé, qui est notre héritage commun. Nous nous devons d’entreprendre les réformes nécessaires pour le préserver, autant pour faire face aux défis du présent que pour les générations à venir.

Dans cette perspective, la première urgence consiste assurément à repenser l’organisation de la prise en charge des soins non programmés. Les attentes des professionnels de santé, comme de nos concitoyens, sont fortes et légitimes en la matière.

Le Gouvernement a répondu présent dès son installation. Les quarante et une mesures opérationnelles de la mission flash menée par le médecin urgentiste François Braun, avant sa nomination comme ministre, ont permis de mobiliser des leviers nouveaux pour répondre aux défis immédiats des urgences durant la période cruciale de l’été. Je le dis sans triomphalisme et avec la gravité qui sied à ce sujet : la catastrophe annoncée n’a pas eu lieu et notre système de santé a globalement tenu.

Certes, cela ne fut pas sans effort et nous devons avant tout saluer la mobilisation des professionnels et des administrations impliqués dans la mise en œuvre de ces mesures transitoires, dont certaines pourraient être rapidement pérennisées.

En effet, l’inspection générale des affaires sociales (Igas) vient de remettre un rapport d’évaluation de ces solutions. Nous sommes en train d’en instruire les données et nous réunirons une nouvelle fois le comité de suivi, dans une dizaine de jours, pour travailler sur les dispositions à conserver.

Nous pouvons cependant déjà tirer un bilan positif de ces mesures. Elles ont permis de mobiliser les professionnels dans une logique de responsabilité collective, partagée entre la ville et l’hôpital. Elles ont aussi contribué à sensibiliser nos concitoyens à la fragilité du système de santé, en général, et des soins non programmés, en particulier, générant de premiers changements notables de comportement chez les Français, notamment dans le recours aux urgences et l’appel préalable au 15.

Une idée forte de cette mission, sur laquelle je tiens à insister, est de retrouver le sens de ce que signifie le mot « urgence ». Une urgence médicale se définit en des termes précis, qui la distinguent par nature d’un soin non programmé. C’est une « situation requérant une intervention médicale immédiate afin de secourir une personne dont le pronostic vital ou fonctionnel est susceptible d’être engagé ».

L’urgence relève ainsi nécessairement d’une décision médicale et répond à des critères stricts et limitatifs. Or, au cours des vingt dernières années, le nombre de passage aux urgences a plus que doublé. Nous le savons, les patients qui se présentent aux urgences sont en partie – et même souvent – ceux qui ne pourraient pas avoir accès autrement à notre système de santé, parce qu’ils n’ont pas de médecin traitant ou parce qu’ils ne parviennent pas à obtenir un rendez-vous dans un délai rassurant. C’est en cela que les urgences sont, comme je le disais, un symptôme du malaise que nous connaissons.

Elles sont en quelque sorte victimes de leur succès et cela pèse sur la sécurité des patients. L’inflation du recours crée des situations d’engorgement et le temps de passage dans les services a de ce fait beaucoup augmenté.

Il n’est pas question de limiter ou de restreindre de quelque manière que ce soit l’accès aux soins et encore moins de filtrer ou de trier les malades, comme certains ont pu le laisser entendre, parfois sous l’effet d’une inquiétude légitime, parfois guidés par des raisons politiques.

Il s’agit donc de replacer chacun dans son rôle, le long de la chaîne de prise en charge, afin d’être en mesure de proposer à chaque patient le parcours de soins le mieux adapté à sa condition. Concentrer les urgences sur leur cœur de mission et leur plus-value nécessite de mettre en place, comme nous l’avons fait, un travail de régulation pluridimensionnel.

Garantir une meilleure orientation dans le système de santé, tel a été l’objet d’une campagne de sensibilisation sur le bon usage des services d’urgence.

Il est en effet important de faire évoluer les mentalités, d’où cette campagne menée depuis plusieurs mois pour inciter nos concitoyens à contacter d’abord le 15 pour être orientés vers la solution la mieux adaptée à leur problématique de santé. Pour reprendre un slogan de l’assurance maladie que nous avons tous encore à l’esprit : « Les urgences, c’est comme les antibiotiques, ce n’est pas automatique. »

M. François Bonhomme. Bravo ! L’imagination est au pouvoir. (Sourires.)

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Cet effort de pédagogie va de pair avec une mise à niveau des effectifs d’assistants de régulation médicale (ARM) dans les services d’aide médicale urgente Samu-Centre 15 et un renforcement du déploiement des services d’accès aux soins. Leur ouverture à l’ensemble des professionnels de santé favorisera notamment le développement des filières directes de prise en charge dans d’autres spécialités médicales.

En effet, la régulation des urgences est un sujet transversal qui dépasse les murs des hôpitaux et doit mobiliser l’ensemble du système de soins, par l’optimisation du temps médical et l’augmentation des capacités de réponses non programmées en ville.

Le comité de suivi de la mission flash nous a permis d’avoir, en continu, un tour d’horizon du déploiement de l’application et de l’effet de nos mesures en ce sens.

Ainsi, nous savons que les mesures dérogatoires prises à l’été dernier ont facilité le recrutement d’assistants de régulation médicale. Ces professionnels ont pu orienter les patients dont l’état le justifiait vers des cabinets médicaux en ville ou des maisons médicales de garde. Le nombre de celles qui restent ouvertes le samedi matin a quasiment doublé sur la période considérée.

Sur prescription de la régulation, les ambulanciers ont été mobilisés pour assurer un transport sanitaire des patients vers ces structures.

Preuve de la nécessité du renforcement des effectifs et du succès de la démarche, le taux de recours au 15 a augmenté de 20 % au cours de l’été. L’appel au 15 tend à devenir un réflexe, comme nous le souhaitons.

Nous avons assumé la responsabilité d’absorber cette hausse, notamment en donnant toute leur place aux médecins libéraux régulateurs. Le renforcement des équipes de régulation est donc une mesure que nous inscrirons dans le temps long, dès le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023.

Nous le ferons grâce à deux leviers. D’une part, nous encouragerons la reprise d’activité des médecins retraités sur des activités de régulation médicale téléphonique, en les faisant bénéficier du régime simplifié des professions médicales pour faciliter leurs démarches administratives ; d’autre part, nous permettrons à tout médecin participant à la régulation en dehors de la permanence des soins ambulatoires de bénéficier de la couverture assurantielle de l’établissement support du centre de régulation, afin qu’ils n’aient pas à souscrire individuellement un contrat d’assurance – il s’agit là d’une revendication ancienne.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale comporte une autre mesure forte liée aux urgences, qui est l’exonération du ticket modérateur sur les transports sanitaires urgents pré-hospitaliers. Elle s’inscrit dans notre politique volontariste en faveur de l’accès aux soins, dans un contexte d’urgence, en supprimant le reste à charge des bénéficiaires qui n’auront plus rien à débourser.

Tout cela est efficace, puisque le nombre de passage aux urgences, toutes causes confondues, a diminué dans une proportion de 5 % à l’été 2022 par rapport à l’année précédente. C’est un progrès concret et une tendance encourageante que nous devons confirmer et approfondir.

Un autre chantier majeur sur lequel il nous faut œuvrer porte sur la pénibilité du travail de nuit que la mission flash sur les urgences et soins non programmés a reconnue pour la première fois. Celle-ci a été mieux valorisée, grâce à la majoration des indemnités de nuit pour les personnels non médicaux et à la majoration des indemnités de garde pour les personnels médicaux.

Je tiens également à souligner que la hausse du point d’indice…

Mme le président. Madame la ministre déléguée, il faut conclure.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Avec le ministre de la santé et de la prévention, nous nourrissons l’ambition de fonder un nouveau modèle pour répondre toujours mieux aux besoins de santé de nos concitoyens, partout sur le territoire, aujourd’hui et demain. Je vous invite donc à participer au Conseil national de la refondation pour la santé (CNR Santé) qui aura lieu dans chacune de vos régions.

Débat interactif

Mme le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Patricia Schillinger. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Patricia Schillinger. Affaibli par deux années de crise sanitaire, notre système de santé a connu cet été une situation de tension majeure : les services d’urgence étaient sur le point de ne plus pouvoir assurer la continuité des soins durant la période estivale.

Si les difficultés rencontrées par ces services ne sont que le symptôme d’une crise plus large touchant notre système de soins hospitaliers, il a fallu rapidement trouver des solutions. La mission flash commandée par le Président de la République a ainsi formulé de nombreuses recommandations. L’une d’entre elles visait à réguler les entrées au service d’urgence en orientant les patients dont l’état de santé ne relevait pas de la médecine d’urgence vers une offre de soins adaptée. La désertification médicale aggrave l’engorgement des urgences. Ainsi, de nombreux patients se tournent vers elles pour des soins qui pourraient être dispensés par la médecine de ville ou d’autres professionnels de santé.

Une autre recommandation de la mission tendait à accroître le recours à la télémédecine, dont la pertinence et les bienfaits ont été mis en évidence durant la crise sanitaire. Plus largement, le numérique constitue un vivier d’outils potentiels, qui demeurent en France largement sous-exploités. En s’appuyant largement sur ces nouveaux outils, le Danemark a favorisé une utilisation complémentaire de l’hôpital et de la médecine de ville, tout en préservant l’universalité et l’accessibilité du système.

Madame la ministre, quelle place entendez-vous accorder à l’innovation numérique en vue de la nécessaire transformation de notre système de santé ? Poursuivrez-vous le développement du recours à la télémédecine afin de répondre de manière pérenne à la crise des urgences ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)