Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de lorganisation territoriale et des professions de santé. Comme cela a été rappelé à de nombreuses reprises, nos services d’urgences font face à des tensions majeures, reflétant les difficultés de notre système de santé.

Les urgences se situent à la jonction des difficultés de la médecine de ville en amont et de celles de l’hôpital en aval. Trop de postes demeurent vacants, non pas par manque de financement, mais par manque de candidats – je tenais à le souligner pour éviter toute ambiguïté. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER.)

Cette pénurie de ressources humaines concerne tous les services hospitaliers : au niveau national, 30 % des postes de praticiens hospitaliers et 6 % des postes infirmiers sont vacants, comme vous l’avez souligné.

Nous œuvrons à renforcer l’attractivité des métiers du système de santé.

Mme Laurence Cohen. Heureusement !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Tel est l’un des axes majeurs du volet santé du Conseil national de la refondation, que j’ai lancé hier avec le ministre de la santé et de la prévention.

Nous apportons aussi des solutions de court terme, notamment les mesures de la mission flash de cet été et la mobilisation de solutions réunies dans une boîte à outils et mises à la disposition de chaque territoire. Nous avons également rappelé à nos concitoyens cette recommandation simple : n’allez pas directement aux urgences et appelez d’abord le 15 si votre médecin traitant n’est pas disponible.

Mme Laurence Cohen. On ne trouve plus de médecin traitant !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Nous avons favorisé une plus grande disponibilité des professionnels de santé, via des incitations : les médecins de ville ayant pris en charge des patients adressés par le 15 bénéficiaient d’une majoration de consultation de 15 euros.

À l’hôpital, nous avons reconnu les contraintes inhérentes au travail de nuit en doublant les majorations pour les personnels soignants et en revalorisant les gardes des médecins de 50 %. Une évaluation de ces mesures est en cours ; nous pérenniserons toutes les solutions qui auront fait leurs preuves.

Mme le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Depuis la présentation de votre mission flash, le moral des soignants continue de baisser.

Selon l’enquête de l’observatoire Odoxa-Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH), un quart des soignants travaillent plus de quarante-cinq heures par semaine, un quart d’entre eux pensent être en mauvaise santé à cause du travail et ils sont deux fois plus nombreux que le reste de la population active à recourir aux arrêts de travail pour stress.

Des conditions de travail dégradées et un manque de personnel et de lits sont leur lot quotidien. À Strasbourg, le 30 août dernier, 50 patients se trouvaient aux urgences pour seulement 30 places. Pas moins de 50 % des lits d’hospitalisation d’urgence étaient fermés par manque de personnel et 26 personnes ont attendu plus de douze heures sur un brancard.

Un homme de 81 ans a attendu plus de vingt-deux heures sur un brancard avant de mourir. Ce drame s’est produit malgré la politique de régulation que vous avez mise en place. Celle-ci a conduit le personnel à faire grève, notamment au CHU de Bordeaux. Le problème ne réside pas tant dans les flux de patients que dans le manque de lits et de soignants.

Dans son rapport d’évaluation de la mission flash, le syndicat Samu-Urgences de France indiquait clairement que la non-disponibilité des lits en aval des services d’urgence restait le principal dysfonctionnement. Par conséquent, il faut ouvrir des lits. Les urgences ne souffrent pas d’un problème de régulation, mais d’un manque de moyens et d’attractivité des métiers.

À cet égard, le PLFSS pour 2023 reste insuffisant, malgré la fin annoncée des économies. La Fédération hospitalière de France (FHF) estime que l’augmentation du volet hospitalier de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) est insuffisante pour absorber l’inflation, les mesures du Ségur, la revalorisation du point d’indice et le paiement des heures supplémentaires ; elle ne permettra aucune embauche supplémentaire, alors qu’il est crucial d’augmenter le ratio de deux soignants par patient.

Eu égard aux conséquences mécaniques des coûts que je viens d’évoquer et compte tenu de l’avis de la FHF, envisagez-vous de revaloriser l’Ondam afin de répondre enfin aux causes structurelles des difficultés de l’hôpital ?

Mme le président. Mes chers collègues, je vous rappelle la nécessité de bien respecter votre temps de parole : quand bien même les dépassements n’excèdent pas cinq secondes, un tel écart, au regard du nombre d’intervenants, entraîne finalement un décalage important.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de lorganisation territoriale et des professions de santé. Le plafond de l’Ondam est relevé afin d’accorder des moyens financiers supplémentaires par rapport à l’année précédente. L’Ondam tel qu’il figure dans le PLFSS pour l’année 2023 ne comprend aucune mesure d’économie reposant sur l’hôpital ; au contraire, les dépenses relatives aux établissements sont en hausse de 4,1 %, soit 4 milliards d’euros supplémentaires par rapport au budget de l’année 2022.

Dans les prochaines années, nous continuerons à porter une attention particulière à ce volet de l’Ondam, d’une part pour mettre en œuvre des réformes relatives à l’organisation des soins et pour défendre une ambition d’excellence, d’autre part pour garantir l’attractivité des métiers.

Ce niveau d’Ondam permettra aussi, sur cette période, de faire face à l’inflation, toujours croissante, en apportant un soutien financier tant aux professionnels de santé qu’aux établissements afin de résister à l’augmentation des charges hors rémunération des personnels.

Par ailleurs, pour soutenir les hôpitaux et les personnels, nous lançons, dans le cadre du volet « Santé » du CNR, un chantier pour mieux vivre à l’hôpital, afin d’aborder le sujet des conditions de travail. L’enjeu est de permettre aux soignants actuellement en exercice de retrouver le sens de leur engagement, de façon qu’ils restent en poste et que les jeunes aient envie de rejoindre les établissements de santé.

L’Ondam prévu pour l’année 2023 est bien supérieur à celui des années précédentes. Pour le budget de l’année 2016, son taux de progression avait été fixé à 1,8 %, et à 2,2 % pour 2017. Avec une progression prévue pour l’année 2023 de 3,7 %, hors dépenses de crise, le Gouvernement investit donc massivement dans notre système de santé.

Mme le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Émilienne Poumirol. Madame la ministre, beaucoup d’annonces, beaucoup de consultations, comme celle du CNR, ont été mises en avant ; pourtant, peu de mesures structurelles répondent à la crise de l’accès aux soins en France, et, en particulier, au problème des déserts médicaux. Pourtant, l’organisation territoriale des soins représente un enjeu majeur pour répondre aux besoins de santé de notre population, permettant une meilleure articulation, nécessaire, entre acteurs de ville et acteurs hospitaliers.

La question cruciale de l’engorgement des services hospitaliers est connue depuis longtemps. Tout le monde s’accorde sur le fait qu’au moins 30 % des passages de patients à l’hôpital auraient pu être évités par une régulation préalable. Or, depuis la décision de l’ancien ministre de la santé Jean-François Mattei, en 2002, de supprimer l’obligation de garde des médecins libéraux, une érosion constante de cette permanence des soins s’observe.

Le volontariat n’est plus suffisant pour répondre à la demande sur le territoire, en particulier dans les déserts médicaux. Je reprendrai la question de ma collègue Laurence Cohen : à quand une permanence des soins ambulatoires (PDSA) obligatoire pour l’ensemble des médecins, généralistes compris ?

Au regard de cette situation, votre gouvernement a mis en place cet été différents dispositifs, à la suite d’une – énième – mission flash sur les urgences et les soins non programmés, pilotée par le professeur Braun, comme s’il s’agissait de découvrir les problèmes rencontrés par nos hôpitaux.

Face à des problèmes structurels, vous répondez encore et toujours par des mesures prises dans l’urgence – pour ne pas dire dans la précipitation – en fixant des objectifs de court terme.

Je souhaite centrer mes interrogations sur les mesures qui ont établi une majoration SNP (soins non programmés) pour les actes effectués par les médecins généralistes après régulation. Ce type de consultation – comme vous l’avez évoqué – est soumis à un supplément de 15 euros. Malheureusement, selon MG France, le cadre de cette régulation inclut les actes effectués par SOS Médecins, mais apparemment pas ceux des CPTS, ce qui est incompréhensible ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de lorganisation territoriale et des professions de santé. Nous avons souhaité encourager cet été les médecins libéraux à prendre leur part dans la prise en charge des soins non programmés.

Pour cela, nous avons suivi la recommandation, issue de la mission flash sur les urgences et les soins non programmés, de créer une majoration en attribuant à titre dérogatoire et temporaire un supplément de 15 euros pour tout acte effectué par un médecin libéral à la demande de la régulation du Samu et du SAS pour un patient qui ne fait pas partie de sa patientèle habituelle.

Cette majoration n’a été utilisée que par 4 % des généralistes libéraux, sur un total d’environ 50 000 actes. Beaucoup de médecins généralistes nous ont cependant signalé qu’ils prenaient en charge des soins non programmés sans que ceux-ci soient nécessairement orientés par le Samu ou les SAS.

Nous sommes en train d’analyser ces données pour déterminer le meilleur schéma de financement des soins non programmés.

Je tiens à mettre en avant la mobilisation des médecins libéraux cet été. Dans beaucoup de territoires, ils ont monté des organisations pour permettre la prise en charge, de manière temporaire, des soins non programmés, afin de soutenir le système hospitalier particulièrement en tension. Cela a très bien fonctionné.

Mme le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Olivier Henno. Madame la ministre, lorsque nous abordons le sujet des urgences hospitalières et des soins non programmés, une question vient à l’esprit : comment en sommes-nous arrivés là ?

Au-delà du constat, il nous faut apporter des réponses au problème autour duquel nous tournons, à savoir le temps médical disponible.

Cela relève pourtant de l’évidence : le temps médical disponible assurera la « bientraitance » des patients et permettra que les personnels soignants retrouvent ce qui fonde leur dévouement : apporter des soins dans des conditions dignes.

Les dernières politiques publiques visent à redonner du temps médical. Le bouquet de solutions est de plus en plus large, mais, dans le même temps, l’accès aux médecins généralistes est de plus en plus difficile sur nos territoires, a fortiori les soirs et les week-ends, notamment en province, où grandit un sentiment d’abandon face au droit fondamental à l’accès à la santé pour tous.

Dans son bilan de l’année 2021, le Conseil national de l’ordre des médecins précisait que « le taux de participation global des médecins généralistes à la permanence des soins ambulatoires […] est » – malheureusement ! – « reparti à la baisse ». Il constate ainsi que « 36 % des territoires de permanence de soins sont couverts par moins de 10 médecins volontaires » et « 20 % des territoires de permanence de soins sont couverts par moins de 5 médecins volontaires ». Cela est grave !

Pas loin de chez moi, nos amis belges ont mis en place une permanence de médecine générale sur le même site que leur service d’accueil des urgences, avec un accès unique et un triage commun. Ainsi, les urgences traitent des urgences et les médecins généralistes traitent de ce qui est de leur compétence, à savoir le suivi médical.

Face à l’urgence, chacun doit prendre sa part. La méthode que je viens de citer, madame la ministre, pourrait être bénéfique. La santé des Français en dépend.

Par conséquent, ma question est la suivante : le Gouvernement entend-il soutenir l’ouverture de ce type d’unités, dont les équipes seraient constituées de médecins généralistes volontaires, voire réinstaurer l’obligation de garde des médecins généralistes pour assurer l’efficience de ces structures ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de lorganisation territoriale et des professions de santé. Nous avons assurément à nous inspirer des bonnes pratiques mises en œuvre dans les pays voisins, notamment en Belgique. Les services des urgences en Wallonie reposent souvent sur un modèle d’accueil par une infirmière dont les fonctions sont assez proches du dispositif de l’infirmier organisateur de l’accueil, déployé en France.

La régulation des appels d’urgence en Belgique ne comprend pas de régulation médicale comme en France ; je crois que, sur ce point, nous devons garder la plus-value du système français, lequel associe les opérateurs dédiés, les assistants de régulation médicale et des médecins présents dans les centres de régulation.

Nos voisins belges sont malheureusement confrontés aux mêmes problèmes que les nôtres, rencontrant les mêmes difficultés à recruter dans les hôpitaux et faisant face à des taux d’absentéisme élevés. Le gouvernement fédéral a adopté des mesures, au mois de juillet 2022, destinées à contrer le manque de personnel soignant dans les hôpitaux, en favorisant la reprise d’activité de soignants retraités.

De même, le ministre fédéral des affaires sociales et de la santé publique de Belgique a annoncé au mois de juin 2022 un new deal visant à réformer l’organisation de la médecine générale en Belgique, partant du constat du nombre insuffisant de médecins généralistes et, dès lors, de la nécessité d’améliorer l’accessibilité à l’égard des patients.

Par conséquent, les difficultés que nous rencontrons ne nous sont pas propres : nos voisins européens connaissent les mêmes. En recherchant les bonnes initiatives dans nos territoires ou chez nos voisins, nous pourrons construire ensemble des solutions durables.

Quant à la problématique de la permanence des soins, nous sommes conscients des enjeux. Le ministère abordera ce sujet avec les médecins lors des négociations de la prochaine convention médicale en mettant sur la table la question de la responsabilité commune. C’est ensemble que nous trouverons des solutions.

Mme le président. La parole est à Mme Florence Lassarade. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Florence Lassarade. Madame la ministre, dans un contexte de démographie médicale tendue, notre système de santé connaît de fortes tensions qui frappent notamment les services d’urgences. Ma question portera sur la crise des urgences en Gironde.

Au sud du département, les urgences vitales dépendent d’une seule équipe : celle des urgences mêmes et du Smur du site de Langon du Centre hospitalier Sud Gironde.

Pendant toute la période estivale, ce service a assuré ses missions, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, sans fermer ses portes. Une fois de plus, le service d’urgences a tenu grâce aux professionnels de santé, malgré des conditions d’exercice très difficiles.

Cet investissement est lié à une équipe d’urgentistes fidèle à l’esprit hospitalier, investie dans le système depuis plusieurs années. Les internes du service y sont encadrés dans leurs apprentissages. Le stage aux urgences du site de Langon est plébiscité par les internes de Gironde.

Pour motiver les jeunes internes urgentistes à intégrer cet hôpital de périphérie, un plan d’accompagnement hospitalier a été élaboré. L’objectif est de leur faire découvrir une médecine polyvalente, exigeante et difficile sur un vaste territoire, une médecine cependant riche et intéressante, permettant de se sentir porté par une solidarité d’équipe.

Or, ces jeunes spécialistes de la médecine d’urgence qui ont pourtant apprécié venir travailler à Langon se tournent ensuite vers les centres hospitaliers voisins qui proposent des contrats très lucratifs sur le long terme.

Madame la ministre, la situation du service des urgences de l’hôpital de Langon n’est pas un cas isolé. Il ne faudrait pas en arriver à la situation des urgences d’Arès, sur le bassin d’Arcachon, qui viennent de fermer leurs portes pour un mois, faute de médecins !

Aussi, madame la ministre, envisagez-vous une valorisation des gardes des urgentistes à la hauteur de l’engagement fourni et de leur activité à très haute responsabilité, afin de maintenir et de consolider les services d’urgences dans les territoires périphériques ? Quelles sont vos propositions pour lutter contre le recours massif à l’intérim, dont le coût est prohibitif ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de lorganisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, comme vous l’indiquez, le service des urgences de Langon a continué à assurer ses missions 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 sans fermer ses portes. Il faut en premier lieu saluer l’engagement des soignants de cet établissement pour le faire fonctionner.

Au sujet de la concurrence des rémunérations, l’ARS Nouvelle-Aquitaine a analysé la situation, notamment après avoir pris connaissance des départs vers l’hôpital de Marmande. Il ressort que cet hôpital ne pratique pas des conditions statutaires ou de rémunération dérogatoires à la réglementation.

J’en profite pour souligner le rôle remarquable cet été du centre hospitalier de Sud Gironde pour venir en appui des évacuations de population dans le cadre des incendies massifs du département.

L’enjeu de la rémunération et de la valorisation des gardes est bien sûr un des facteurs de reconnaissance. À ce titre, les recommandations de la mission flash sur les urgences et les soins non programmés permettent de reconnaître pour la première fois la pénibilité du travail de nuit, en mettant notamment en place pour trois mois un doublement des indemnités de sujétion en raison du travail nocturne pour les personnels paramédicaux, et une majoration de 50 % applicable aux personnels médicaux.

De manière plus globale, le ministre de la santé et de la prévention a annoncé hier, lors du lancement du volet « Santé » du CNR, l’ouverture d’un chantier au niveau national pour mieux vivre à l’hôpital. Il aura vocation à aborder ces sujets relatifs aux conditions de travail.

Créons les conditions pour que les soignants actuellement en exercice retrouvent le sens de leur engagement, pour que les jeunes se sentent accueillis dès la première heure de leurs études en santé, dès le premier jour de leur stage, afin qu’ils aient envie de rejoindre les établissements de santé, et que les plus expérimentés aient envie d’y rester.

Je reviendrai à présent sur la lutte contre les dérives de l’intérim, qui est un sujet majeur. Face à de telles pratiques, le risque est grand que se fissure profondément l’esprit d’équipe dans nos hôpitaux.

La députée Stéphanie Rist a fait adopter, par la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, l’encadrement des rémunérations : il est temps de la mettre en application. Le ministre de la santé a annoncé un calendrier : à compter du printemps 2023, il ne sera plus possible de payer démesurément un intérimaire. D’ici cette échéance, les situations à risque devront être identifiées dans les territoires, avec le concours des ARS.

Parce que les hôpitaux nous le demandent également, il ne sera plus possible à la sortie de sa formation de soignants de démarrer son exercice professionnel par de l’intérim. Il s’agit de l’une des mesures inscrites dans le PLFSS pour l’année 2023.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Luc Fichet. Madame la ministre, le pire a été évité grâce à l’investissement exceptionnel des soignants, mais notre système de santé est à bout de souffle.

Les personnels n’ont pas d’espoir d’amélioration de leurs conditions de travail. Il est à craindre que l’hémorragie de démissions à l’hôpital continue, ce qui entraînerait encore des fermetures de lits et de services.

À Morlaix, par exemple, entre arrêts de travail et postes non pourvus, ce sont les gardes et les remplacements qui sont difficilement assurés, et ce malgré la surmajoration des heures supplémentaires.

En oncologie, des chimiothérapies sont pratiquées dans les couloirs ; les services sont embolisés ; les patients demeurent aux urgences : le retour à domicile est compromis face au manque d’ambulanciers.

Malgré cela, l’ARS Bretagne déclare, le 21 septembre 2022, dans un grand quotidien, que « l’été s’est globalement bien passé »: quel mépris, quel déni de la réalité !

Six millions de Français n’ont pas accès à un médecin traitant ; 15 000 personnes dans le Finistère n’ont pas de médecin référent. Dès lors, l’hôpital absorbe de plus en plus de soins non programmés ; pourtant, une baisse du nombre des médecins généralistes est annoncée jusqu’en 2030.

Le système de santé dans son ensemble est à revoir. Depuis la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, nous alertons sans cesse sur la disparition de l’offre de soins dans les territoires. Nous proposons en vain des solutions qui devront nécessairement être coercitives, pour que l’offre de soins hospitaliers et de médecine de ville soit au plus près des besoins réels.

Il ne doit plus y avoir de place pour les « mercenaires » de la médecine – comme les appelait Mme Buzyn – qui mettent à mal les budgets des petits hôpitaux du fait de leurs exigences financières exorbitantes.

Madame la ministre, il y a urgence : quelles décisions pensez-vous prendre immédiatement pour les Françaises et les Français qui n’ont plus accès aux soins médicaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de lorganisation territoriale et des professions de santé. Si le ministère dont j’ai l’honneur d’avoir la charge s’intitule ministère de l’organisation territoriale et des professions de santé, c’est bien parce que le Président de la République et la Première ministre, après ces quatre mois de campagne, ont pris conscience, comme tout le monde ici, de l’urgence à agir. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)

Pourquoi une urgence ? Parce que les décisions prises lors du dernier quinquennat sont des mesures de temps long et qu’elles ne produisent pas encore l’effet escompté.

Pourquoi une urgence ? Parce qu’après deux ans de crise sanitaire, nous avons des personnels soignants qui sont épuisés.

Pourquoi une urgence ? Parce que nous vivons un phénomène sociétal. Les nouveaux entrants sur le marché du travail, les nouveaux médecins, ne souhaitent plus travailler comme leurs prédécesseurs : actuellement, un médecin qui part à la retraite doit être remplacé par trois autres !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous racontez des conneries !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Je ne pense pas raconter de conneries, madame la sénatrice. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Burgoa. On n’est pas à l’Assemblée nationale, ici !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Nous sommes vraiment dans une situation où l’urgence à agir est là.

Nous travaillons depuis le mois de juillet avec les collectivités territoriales, les professionnels de santé ; quant au CNR, il n’est pas chargé d’établir un énième diagnostic. Nous proposons déjà dans le PLFSS des mesures.

J’insiste : il est urgent de travailler ensemble pour permettre à nos personnels, sur les territoires, de répondre aux besoins de soins de nos concitoyens. Malgré la suppression du numerus clausus, il faut compter dix ans pour former un nouveau médecin.

Mme Laurence Cohen. Il faut aussi des moyens pour l’université !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Nous abordons avec les professionnels tous les sujets, notamment l’évolution des formations : laissez-nous encore quelques mois pour pouvoir y répondre. Ce n’est pas le ministère de la santé seul qui édictera des mesures qui s’appliqueront sur les territoires : elles devront s’adapter à chacun d’entre eux, et nous devons faire œuvre collective. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour la réplique.

M. Jean-Luc Fichet. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Pensez aux élus locaux, tous les jours sollicités face à des administrés qui ne reçoivent pas de réponses à leurs questions.

Je m’occupe de ces sujets depuis dix ans ; je peux vous dire que les réponses sont toujours les mêmes, à savoir des augmentations salariales, des stages, mais jamais de vraies réponses dans les territoires où des administrés ne disposent plus actuellement de médecins.

La situation est extrêmement grave ; il y a urgence à apporter immédiatement de vraies réponses. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Mme le président. La parole est à M. Jean Sol. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Sol. « J’ai mal, j’ai mal, j’ai mal. J’ai 90 ans, j’ai mal ; j’attends au fond d’un couloir depuis vingt-quatre heures sur un brancard inconfortable que l’on vienne me prendre en charge.

« J’ai mal, mal de savoir que ma grand-mère, mon père, ma femme ou mon enfant souffrent, et d’attendre interminablement des nouvelles les concernant.

« J’ai mal de ne pas pouvoir gérer l’afflux de patients au risque d’entraîner une perte de chances de survie, mal de voir mon serment d’Hippocrate bafoué par le poids des normes, par la charge administrative et le manque de moyens humains. »

Comme vous le savez, madame la ministre, nos services d’accueil des urgences, véritables vitrines des établissements, sont en souffrance. Toute une chaîne d’hommes et de femmes en pâtit, alors que l’accueil, la qualité et la sécurité de la prise en charge devraient naturellement s’imposer à tous.

Cependant, nous ne voyons pas dans nos territoires d’améliorations significatives : je le regrette. Les prévisions démographiques en matière de vieillissement ne rassurent pas : flux à prendre en charge dans un contexte de désertification médicale, médecine de ville essoufflée, dégradation des conditions de travail.

Cet été, le président du Samu-Urgences de France nous a rappelé que le Smur et le Samu Centre 15 étaient aussi en grande difficulté de fonctionnement. Le nombre de prises en charge aux urgences a doublé en vingt ans, passant de dix à vingt millions.

J’interrogeais ici même Mme Buzyn en 2018 sur l’ensemble de ces préoccupations : à l’heure actuelle, les mêmes problèmes remontent, non seulement du terrain, mais aussi des enquêtes. En effet, le Samu-Urgences de France pointait récemment l’insuffisance de lits d’avals et de soins de suite et de réadaptation (SSR), la fermeture de certains services d’urgences ou les inquiétants départs en masse de nos soignants.

Alors, madame la ministre, qu’allez-vous faire pour éviter la fuite de nos personnels, épuisés depuis la crise sanitaire, pendant laquelle ils ont tout donné ? Qu’allez-vous faire pour lutter contre la désertification médicale, qui aggrave l’engorgement aux urgences ?