M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mercredi 12 octobre 2022, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Alain Richard.)

PRÉSIDENCE DE M. Alain Richard

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Atteintes aux droits des femmes et aux droits de l’homme en Iran

Débat d’actualité

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat d’actualité sur le thème : « Atteintes aux droits des femmes et aux droits de l’homme en Iran ».

Madame la ministre, mes chers collègues, par ce débat, retenu par le président du Sénat sur le fondement des propositions des groupes politiques, le Sénat souhaite rappeler la mémoire de Mahsa Amini, décédée le 16 septembre dernier en Iran, après avoir été arrêtée pour une mèche de cheveux qui dépassait de son voile, et celle de Hadis Najafi, exécutée par la police parce qu’elle réclamait sa liberté en tant que femme et Iranienne.

Nous souhaitons, lors de ce débat, rendre hommage à l’ensemble des victimes de la répression du puissant mouvement de contestation en Iran et à toutes ces femmes et ces hommes qui revendiquent aujourd’hui leur liberté et dont nous saluons unanimement le courage.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Le temps de réponse du Gouvernement à l’issue du débat est limité à cinq minutes.

Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura regagné sa place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Annick Billon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 16 septembre dernier, la mort de Mahsa Amini, âgée de seulement 22 ans, après son arrestation par la police des mœurs pour avoir porté une tenue jugée non appropriée, nous a profondément choqués.

Depuis lors, l’Iran connaît une contestation populaire d’une ampleur inédite. Des femmes, des hommes, la jeunesse iranienne manifestent chaque jour dans les villes d’Iran pour exprimer leur colère.

Le mouvement de contestation entre dans sa troisième semaine et ne faiblit pas, tout comme la répression sanglante organisée par le pouvoir en place.

Les dernières nouvelles qui parviennent à sortir du pays, malgré les coupures d’internet organisées par le gouvernement, font état d’une centaine de morts et de plus d’un millier d’arrestations arbitraires.

La police n’hésite plus à entrer dans les universités pour réprimer les étudiants soupçonnés d’apporter leur soutien à la lutte pour le droit des femmes.

La persécution des femmes en Iran perdure depuis de nombreuses années. Si l’on a pu espérer quelques améliorations de leur statut sous le mandat de Hassan Rohani, l’élection du président Ebrahim Raïssi a mis un terme aux espoirs de progrès en faveur du droit des femmes.

Dans son dernier rapport annuel sur l’Iran, Amnesty International est sans concession. Les discriminations envers les femmes sont nombreuses : mariage, divorce, emploi, succession ou encore accès aux fonctions politiques… Les inégalités perdurent.

Les droits des femmes et des filles sont bafoués par le régime iranien. Par exemple, l’âge légal du mariage est toujours fixé à 13 ans. Les pères peuvent même obtenir des autorisations pour marier leurs filles à un âge encore plus jeune.

Le port du voile, imposé par la loi, est synonyme de harcèlement quotidien, d’invisibilisation des femmes, de détentions arbitraires, d’actes de torture et d’autres mauvais traitements de la part des gardiens de la révolution.

Ces contestations, qui se sont levées à la mort de Mahsa Amini, ne reflètent pas seulement le recul du droit des femmes ; elles dénoncent tout un régime et ses abus.

« Femmes, vie, liberté ! » : nous devons faire nôtre ce magnifique slogan des manifestantes et manifestants qui ont le courage de défier le pouvoir en place pour mettre fin aux terribles discriminations dont sont victimes les femmes iraniennes.

La communauté internationale, si elle est attachée à la défense des droits des femmes, doit envoyer un signal fort et unanime pour soutenir cette contestation historique.

Madame la ministre, quelles actions en faveur de la contestation populaire iranienne le Gouvernement compte-t-il mettre en place ? Le sujet fera-t-il l’objet d’échanges lors de la réunion informelle des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne ? Des sanctions semblent être en discussion. Qu’en est-il ?

Que penser de l’élection de l’Iran à la Commission de la condition de la femme des Nations unies en 2021 alors que la persécution des femmes y est systématique ? Ce pays a-t-il vraiment sa place dans une instance internationale ayant pour objet de promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes ?

Faisons nôtre ce slogan : « Femmes, vie, liberté ! » (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, en Iran, depuis la mort de Mahsa Amini, interpellée voilà trois semaines par la police des mœurs parce qu’une mèche dépassait de son foulard, la contestation ne retombe pas.

Elle touche l’ensemble du pays. La répression est féroce ; le nombre de morts et de personnes arrêtées augmente chaque jour.

Les revendications dépassent la seule question du port du voile : le Guide suprême et le régime sont désormais remis en question.

De son côté, que fait la France ? Notre président se drape dans un silence opportuniste. On ne touche pas trop à l’Iran, utile en cette période de guerre à l’est, avec le probable retour sur le marché international de ce grand vendeur de pétrole.

Au cours de son entretien, à New York avec le dirigeant ultraconservateur iranien Ebrahim Raïssi en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, le Président de la République a juste demandé une enquête transparente sur la mort de Mahsa Amini, les échanges se concentrant sur le dossier nucléaire iranien.

Les manifestants, femmes et hommes, s’organisent actuellement hors partis ; c’est à la fois leur force et leur faiblesse. Une telle spontanéité pousse des cinéastes, athlètes, musiciens et artistes à exprimer leur solidarité.

Le pouvoir annonce qu’il s’en prendra aux célébrités qui auront soufflé sur les braises. Le réalisateur Asghar Farhadi, deux fois oscarisé, a invité « tous les artistes, cinéastes, intellectuels, militants des droits civiques du monde entier à exprimer leur solidarité ». Et l’artiste franco-iranienne Marjane Satrapi d’insister : « Il faut envoyer un signal fort. »

En France, une cinquantaine de personnalités et d’artistes femmes ont diffusé une vidéo dans laquelle elles se coupent une mèche de cheveux en soutien aux femmes iraniennes. J’appelle tout le milieu artistique français et les personnalités à rejoindre largement cette mobilisation.

Quant à nous, les politiques, ne devons-nous pas, au-delà des protestations d’usage, faire pression avec vigueur et conviction sur l’exécutif pour qu’il sorte de sa frilosité ?

Mobilisons-nous et évitons d’instrumentaliser la lutte des Iraniennes pour régler nos différends intérieurs sur la question du voile en France.

L’enjeu de nos engagements est clair : la liberté et les droits humains. Je regrette qu’il y ait aujourd’hui si peu de collègues présents dans l’hémicycle quand nous devrions converger par des actes symboliques pour manifester notre soutien aux Iraniennes et aux Iraniens. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Guylène Pantel. (M. André Guiol applaudit.)

Mme Guylène Pantel. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, au nom du groupe RDSE, je remercie les organisateurs de ce débat d’actualité ô combien fondamental pour quiconque se réclame de l’humanisme.

À plus ou moins cinq heures d’avion de Paris, la mort à 22 ans de la jeune Mahsa Amini le 16 septembre dernier a déclenché un grand mouvement de libération des femmes et de contestation contre le régime autoritaire de la République islamique d’Iran.

La disparition de la jeune fille d’origine kurde résulte d’une arrestation violente de la police locale des mœurs ayant pour motif un « port de vêtement inapproprié ». Le média d’opposition en exil Iran International a diffusé un scanner de son crâne mettant en évidence une fracture osseuse, une hémorragie et un œdème cérébral compatibles avec un passage à tabac.

Le rappel d’une telle tragédie est fondamental pour prendre la mesure de la mécanique infernale d’oppression instaurée dans ce pays.

Voilà de quoi il retourne lorsque l’on parle d’atteintes aux droits des femmes et des hommes en Iran : un État totalitaire et répressif !

Selon plusieurs organisations non gouvernementales (ONG), les femmes, les personnes lesbiennes, gay, bisexuelles et transgenres (LGBT) et les membres de minorités ethniques ou religieuses font face à des violences et discriminations quotidiennes dans toutes les sphères de la société, et ce, naturellement, avec l’approbation et les encouragements des autorités politiques et religieuses, dont les relations sont particulièrement poreuses.

Les observateurs constatent également des atteintes au droit aux libertés d’expression, d’association et de réunion. L’interdiction de partis politiques indépendants, de syndicats et d’organisations de la société civile et la censure des médias sont monnaie courante.

Idem en ce qui concerne le système judiciaire : l’égalité devant la loi, la séparation des fonctions, le secret de l’instruction, les droits de la défense, la présomption d’innocence, la possibilité de voies de recours et le principe du contradictoire sont totalement piétinés. La peine de mort y est pratiquée impunément, à l’issue de procès grotesques.

Compte tenu de tels éléments, et dans le contexte de mobilisation citoyenne, les informations qui nous parviennent au compte-gouttes ne peuvent que provoquer notre stupeur. En effet, bien que l’accès aux réseaux sociaux soit devenu presque impossible en Iran depuis le début de la contestation, des images et des vidéos édifiantes parviennent à franchir la censure et soulignent le danger auquel les manifestants s’exposent.

Au-delà de l’émotion éprouvée à juste titre, notre pays se doit d’être à la manœuvre pour promouvoir les valeurs que nous portons fièrement dans notre devise républicaine.

Notre premier réflexe doit être d’envoyer un message d’unité et de solidarité dans le combat pour le droit des femmes à disposer de leur corps, à arborer leur chevelure, à interrompre une grossesse non désirée, à circuler librement, à accéder au marché du travail… Ces combats sont universels, contre un patriarcat qui tue, mutile et blesse psychologiquement.

Notre deuxième réflexe doit être de se coordonner à l’échelon européen et d’élaborer une stratégie diplomatique pour soutenir concrètement les populations en danger. Dans cette optique, nous devons manipuler avec une très grande précaution les mesures restrictives, car elles peuvent avoir pour effet pervers d’appauvrir les plus fragiles.

Il nous semblerait par exemple cohérent, au vu des risques avérés de persécution, d’accorder une protection, en France ou dans d’autres pays européens, aux Iraniens qui en ont besoin. Cette protection doit être maintenue jusqu’à la mise en conformité du droit interne iranien avec le droit international.

En outre, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies doit être saisi pour ouvrir une enquête indépendante sur place, afin de recueillir des preuves des agissements du régime à l’encontre de son peuple et d’engager ainsi des poursuites en temps utile.

Le recueil de preuves d’exactions peut aussi être facilité via une stratégie d’offensive numérique d’accompagnement aux initiatives permettant à la population de retrouver un accès normal à internet et de communiquer avec le reste du monde.

Quelles que soient les mesures engagées par notre pays, leurs finalités doivent être : « L’humain d’abord ! » et « Femmes, vie, liberté ! » (M. André Guiol, Mme Marie-Arlette Carlotti et Mme Nassimah Dindar applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 16 septembre, pour avoir « mal porté son voile » dans les rues de Téhéran, une jeune femme, Mahsa Amini, est morte aux mains de la police des mœurs : pour avoir « mal porté son voile » ! La futilité confondante des raisons ayant mené à son décès ne rend celui-ci que plus révoltant, plus avilissant pour ceux qui s’en sont rendus coupables.

Ce drame vient rappeler au monde, s’il en était besoin, la réalité de ces millions d’Iraniennes qui vivent sous le joug de la révolution islamique. Il expose aux yeux de tous la brutalité des sbires de ce régime anachronique, qui considère – littéralement ! –, au travers de la diyya, que la vie d’une femme ne vaut que la moitié de celle d’un homme. Il souligne également le profond mépris des mollahs pour les minorités du pays, dont les cultures n’ont, depuis longtemps, plus droit de cité en Iran.

Car Mahsa Amini, en plus d’être une femme, avait un autre tort : celui d’être kurde. Sa mort aura été l’étincelle qui a embrasé la contestation qui couvait, d’abord, dans sa région natale du Kurdistan, puis presque immédiatement, à Téhéran, à Mechhed, deuxième ville du pays, et, comme une traînée de poudre, dans tout l’Iran.

La mobilisation n’a cessé depuis. Cette « révolution des femmes », comme certains n’hésitent pas à la nommer, provoque des scènes que nous aurions tous crues impensables voilà encore quelques semaines : des Iraniennes descendant en masse dans la rue, tête nue, sous les acclamations de la foule ; d’autres se coupant les cheveux ou brûlant ce voile ayant coûté la vie à l’une des leurs et illustrant, plus que tout autre symbole, le statut d’infériorité dans lequel a voulu les enfermer un islam rigoriste et théocratique. Ces femmes iraniennes sont – il est fondamental de le rappeler – soutenues et accompagnées par les hommes iraniens.

Leur appel, qui s’exprime au cri de « Femmes, vie, libertés ! » est plus qu’un cri de colère. C’est évidemment un rejet, mais c’est aussi un projet, car il est porteur de valeurs, ces valeurs qu’elles incarnent là-bas, avec un courage étourdissant, et que nous défendons ici, parfois bien timidement face aux coups de boutoir qu’elles ne cessent de subir depuis ces dernières années !

Quelle peut être l’issue de ce mouvement ? Nous nous souvenons des grandes manifestations de 2017, puis de 2019, qui, déjà, avaient violemment remis en cause le pouvoir en place.

Les émeutes actuelles, d’une ampleur plus importante et d’une nature plus profonde, préfigurent le vacillement d’un régime contesté dans son essence et les prémices de son effondrement.

Une certitude s’est rapidement imposée : la réponse des autorités sera féroce, et ne fera, pour reprendre les mots du chef du système judiciaire iranien, « preuve d’aucune indulgence ». Elle s’est déjà traduite par des milliers d’arrestations, des dizaines de morts et des centaines de blessés. Pour ajouter à l’intolérable, elle menace désormais la stabilité régionale en projetant la violence au-delà du territoire iranien. Téhéran, prétextant la crise, a frappé à coups d’artillerie, de drones et de missiles balistiques les locaux des partis d’opposition kurdes réfugiés de l’autre côté de la frontière avec l’Irak, accusés de souffler sur les braises de la contestation contre le régime.

Le gouvernement iranien vient en outre de lancer un avertissement sans équivoque à ceux qui, dans les médias, ont pris fait et cause pour le mouvement, qu’il s’agisse de journalistes, d’acteurs, de musiciens ou de sportifs. On pense notamment à ces joueurs de l’équipe nationale de football qui ont assené publiquement cette phrase lourde de sens : « Les cheveux de nos filles sont recouverts d’un linceul. »

Cette répression est avant tout une meurtrissure faite au peuple iranien et une nouvelle insulte aux valeurs de liberté et de dignité, que nous avons en partage avec les manifestantes et manifestants d’Iran.

Nous ne pouvons donc pas rester sans réaction et nous tenir à l’écart de ce qui est plus qu’un soubresaut de l’Histoire, même si nos moyens d’action sont – il faut bien le reconnaître – très limités.

Il est probable que l’Union européenne adopte des sanctions, comme elle le fait à chaque nouvelle violation grave des droits de l’homme en Iran. Malgré leur absence prévisible d’effets concrets, il est indispensable que de telles mesures soient prises, car nous ne pouvons plus nous contenter des nécessaires condamnations de principe émises jusqu’à présent.

La France, madame la ministre, devra jouer un rôle majeur dans ce processus européen, mais aussi dans la mobilisation internationale, en œuvrant à ce que toutes les instances compétentes des Nations unies se saisissent d’urgence de la situation iranienne.

Cela ne suffira sans doute pas à infléchir le cours des événements, et encore moins la nature profonde du régime iranien, mais il est essentiel que ce dernier, mis sous pression de l’intérieur, le soit également de l’extérieur.

Surtout, il est fondamental que les Iraniennes sentent qu’elles ne sont pas seules, qu’elles sachent que le monde les regarde et est à leurs côtés. Il faut, en d’autres termes, faire nôtre le précepte du philosophe Ali Shariati, cité par Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix iranienne, dans son ouvrage La cage dorée : « Si vous ne pouvez éliminer l’injustice, au moins, racontez-la à tous. » (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret.

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le temps des dictateurs est revenu. Les démocraties, au terme d’une lutte implacable, avaient vaincu au XXe siècle les deux totalitarismes aux dizaines de millions de morts. Certains les croyaient disparus à jamais.

Sous nos yeux, l’internationale des tyrans se reforme. Le boucher de Moscou, le génocidaire des Ouïghours en Chine, le docteur Folamour de Corée du Nord, le massacreur de femmes de Téhéran et quelques autres se sont regroupés. Leur seul but : se venger, abattre l’Occident, mettre à bas la liberté et, en premier lieu, celle des femmes.

Le pire est que, comme au siècle précédent, ils comptent des alliés dans nos propres pays : les adorateurs de Poutine, indifférents au massacre des Ukrainiens ; les complices de Xi, qui se moquent des Ouïghours et de Taïwan ; les alliés de Khamenei, expliquant, au moment où les Iraniennes meurent, que le voile est seyant ; en un mot, les populistes de tous bords, qui partagent une idée fixe avec les despotes : la haine de la démocratie.

Depuis le début de la révolte en Iran, et jusqu’à la manifestation de dimanche dernier à Paris, ces professionnels de l’indignation, ceux qui battent le pavé chaque semaine pour crier que la police tue ou dénoncer le racisme systémique en France, avaient disparu. Où étaient-ils lors des deux premiers rassemblements en soutien des femmes iraniennes ? En week-end sans doute, comme lors des manifestations pour l’Ukraine ! Leurs comptes Twitter, qui dénoncent chaque jour le patriarcat et l’islamophobie, sont devenus muets : pas un mot de soutien, pas un appel contre la « mollarchie » et sa police des mœurs ! Pendant qu’à Téhéran, les femmes meurent sous les coups et les balles, ils préfèrent dénoncer le virilisme du barbecue, faire l’éloge d’un gifleur ou juger les harceleurs dans des « comités de transparence », qui sont l’oxymore le plus grotesque inventé depuis la dictature du prolétariat.

Quelques-uns d’entre eux ont réapparu dimanche dernier lors du rassemblement place de la République à Paris. Les Iraniens et les Iraniennes présents leur ont donné une grande leçon de laïcité. En signifiant à Mme Rousseau qu’elle n’était pas la bienvenue, ils ont rendu clair pour tout le monde cette évidence : on ne peut pas en même temps être pour le voile à Paris et défendre celles qui brûlent leur voile à Téhéran. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.) En sifflant Mme Manon Aubry, ils ont signifié qu’un parti ne peut pas marcher avec les islamistes en 2019 et soutenir les victimes de la République islamiste en 2022. En un mot, ils nous ont montré qu’on ne peut à la fois être communautaristes et universalistes : il faut choisir.

En Iran, des femmes risquent leur vie pour se débarrasser du voile. Ici, les intersectionnels le présentent comme une liberté. Écoutons ce que leur répond Chantal de Rudder : « Le voile n’est pas un objet cultuel, mais un objet politique. C’est le produit phare de l’islamisme. Et c’est désormais une affirmation anti-occidentale et antidémocratique. »

Ce morceau d’étoffe, Bourguiba l’appelait « l’épouvantable chiffon ». Aux naïfs qui croient que se voiler est un choix, aux décoloniaux qui n’ont jamais lu un livre d’histoire, il faut rappeler que la lutte contre le voile n’est pas une oppression néocoloniale : les grands dirigeants musulmans ayant compris que la soumission de la femme était l’une des causes principales du déclin de leur pays l’ont combattu. Atatürk, le premier, l’a interdit dans les années 1920 en Turquie ; puis, ce fut Reza Chah dans les années 1930 en Iran, et Bourguiba plus tard en Tunisie. Nasser, en Égypte, s’en moquait publiquement devant le grand mufti d’al-Azhar.

Ce combat, gagné par eux, a été perdu depuis la révolution islamique de 1979. Les femmes iraniennes reprennent aujourd’hui ce flambeau contre les mollahs, les ayatollahs, les dictateurs, les talibans et leur police des mœurs.

C’est un coup de poignard dans le dos de ces combattantes qu’enfoncent certaines néoféministes en condamnant toute critique du voile au prétexte de ne pas nourrir l’islamophobie. C’est un coup de poignard dans le dos lorsque Sandrine Rousseau déclare que le voile peut être un « embellissement » ou que Rokhaya Diallo ose affirmer : « La liberté peut aussi être dans le hijab. »

Combien faudra-t-il de morts à Téhéran pour que l’héroïsme des Iraniennes les force à ouvrir les yeux et les oreilles et pour qu’elles cessent de danser le moonwalk de Michael Jackson en faisant semblant de faire avancer la cause des femmes tout en la faisant reculer ?

Le XXIe siècle s’annonce aussi dangereux que le précédent ; il est temps de s’en rendre compte. Ceux qui croient que nous ne sommes pas en guerre ou qui, pour se rassurer, se forcent à le croire commettent une erreur tragique, car les dictateurs et les ayatollahs, eux, savent qu’ils sont en guerre contre nous.

Puissent les admirables femmes iraniennes, les héroïques soldats ukrainiens et les courageux dissidents chinois nous convaincre de nous rallier à leur cri : « Liberté ! » (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, mes chers collègues, je me permets de commencer par quelques mots qui ne sont pas de moi :

« Pour danser dans la rue

« Pour toutes les fois où nous avons peur de nous embrasser

« Pour ne plus avoir honte d’être pauvres

« Pour l’enfant qui, jusque dans ses rêves, doit fouiller dans les poubelles

« Pour respirer un air pur

« Pour les arbres qui meurent […]

« Pour ces larmes qui ne cessent de couler

« Pour les étudiants, pour leur avenir

« Pour les enfants afghans

« Pour cette petite fille qui rêve d’être un garçon

« Pour femmes, vie, liberté ! »

Ces paroles sont celles d’une chanson de Shervin Hajipour, emprisonné après l’avoir publiée. Il ne l’a pas composée, puisqu’elle est formée à partir de tweets postés courageusement par celles et ceux qui se dressent en Iran contre l’oppression. Ces paroles démontrent une chose qui est insupportable pour le pouvoir en place : ce qui se passe en Iran est profondément différent de ce qui a pu se passer lors des dernières révoltes.

Car, précisément, il ne s’agit pas d’une révolte. On avait déjà vu, dans le passé, une partie de la société iranienne, plutôt la jeunesse des villes, courageuse, engagée, réprimée, se mobiliser.

Nous assistons à quelque chose d’une tout autre dimension. Un mouvement de masse, guidé par des femmes, est en train d’agréger tout ce que la société iranienne compte de personnes qui veulent être libres et vivre dignement : les femmes, d’abord ; les hommes aussi ; les minorités ethniques, politiques, religieuses, sexuelles, de genre ; les jeunes, qui ne voient pas d’avenir ; les pauvres, qui ne peuvent pas survivre, dans un pays où l’inflation est de plus de 40 % ; les universitaires, qui ne peuvent pas enseigner ; les paysans, qui ne peuvent pas cultiver leurs champs à cause de la gestion désastreuse de l’eau ; toutes celles et tous ceux qui, au fond, veulent simplement respirer, vivre, aimer.

Le féminisme – la lutte féministe – déploie en ce moment même en Iran, et je pèse mes mots, sa puissance révolutionnaire !

Ce qui est en train de se passer en Iran n’est pas une révolte. C’est une révolution : une révolution pour la démocratie, pour la justice, contre la tyrannie religieuse ; une révolution pour les femmes, pour la vie et pour la liberté. Or une révolution ne se calme pas, elle ne passe pas ; elle se fait.

Ce sont donc les femmes qui entraînent et entraîneront, un jour ou l’autre – je ne sais pas quand –, la chute de ce régime.

Ce sont les femmes qui, en luttant pour leurs droits, pour leurs libertés, tracent en ce moment même le chemin des droits et des libertés tout court.

Ce sont les femmes qui, en réclamant l’égalité pour elles, peuvent conquérir l’égalité tout court.

En France, comme ailleurs dans le monde, on entend souvent dire que les féministes mènent des combats marginaux, que les luttes des femmes sont secondaires, qu’il y a plus urgent et mieux à faire, que la vraie, la grande et la sérieuse politique, c’est autre chose.

Les Iraniennes, qui, au prix et au péril de leur vie, brûlent leur foulard, dansent dans la rue et crient à la fin de la dictature font en ce moment même la démonstration puissante, bouleversante et irréfutable que, dans notre monde, les combats des femmes sont l’avant-garde des combats pour toutes et tous. Les valeurs pour lesquelles se battent les Iraniennes et les Iraniens, réprimés dans le sang, ne sont pas des valeurs occidentales, importées des États-Unis ou d’Israël. Ce sont des valeurs universelles, bien ancrées en Iran. Ce sont leurs valeurs, et nous les partageons.

Aussi, face à cette révolution, face à sa répression dans le sang, face à ces morts pour la liberté, nous devons, bien sûr, relayer leurs voix, mais nous devons aussi agir.

Lorsque Vladimir Poutine a envahi l’Ukraine le 24 février 2022, le soir même, les dirigeants européens se réunissaient pour s’accorder sur un premier train de sanctions, entré en vigueur dès le lendemain, le 25 février. Or, nous sommes au dix-neuvième jour de la révolution ; cela fait dix-neuf jours qu’un régime massacre son peuple ! Jusqu’à présent, pas grand-chose n’a été fait. (Mme la ministre de lEurope et des affaires étrangères le conteste.) Les négociations relatives au nucléaire iranien continuent comme si de rien n’était. Il n’y a pas à l’échelon européen de nouvelles sanctions. On entend dire qu’il s’en préparerait pour la réunion du Conseil des ministres des affaires étrangères le 17 octobre prochain, soit un mois après le début de la révolution… Ce n’est pas possible ! Il faut agir !

Cet après-midi, en plus de débattre ici, nous pouvons faire autre chose : écouter sans crainte quelques instants l’hymne révolutionnaire qu’il est interdit d’écouter librement en Iran. (Loratrice diffuse, à laide de son téléphone portable, un extrait sonore de la chanson quelle a citée au début de son intervention.) Je vous remercie. (Applaudissements.)