M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Je souscris à 98,5 % à votre intervention, monsieur Rapin… Et pour le reste, j’aurai bientôt la réponse ! (Sourires.)

L’agenda européen est extrêmement ambitieux, et nos réponses devront évidemment s’inscrire dans ce cadre. Ma conviction, lorsque nous parlons d’industrie française, c’est que nous portons tous le même maillot – je l’ai dit dans cet hémicycle et ailleurs, sur les travées de gauche comme de droite, dans ma position comme dans la vôtre.

Bien sûr, certains élus, d’un extrême ou un d’un autre, n’aiment pas beaucoup l’entreprise ni l’industrie, par méconnaissance, ou pire, parce qu’ils doivent en partie leur succès au déclin de l’industrie depuis des décennies. Mais ici, au Sénat, après avoir entendu les prises de parole, je crois pouvoir dire que presque tout le monde aime l’industrie française. Pour l’essentiel, nous sommes alignés sur les mêmes objectifs.

Je partage plusieurs des constats formulés dans votre rapport. Quant aux recommandations, je le répète, la plupart sont déjà appliquées ou figurent sur notre feuille de route.

En revanche, je veux être clair : la protection, oui ; le protectionnisme, non. L’industrie française, pour être forte, doit être solide sur ses bases, mais aussi capable de conquérir des marchés dans une logique de réciprocité loyale – vous êtes nombreux à avoir insisté sur cette loyauté, qui est effectivement importante.

L’industrie française doit aussi être capable d’attirer des investisseurs internationaux. À cet égard, le sommet Choose France est une vraie réussite ; nous allons accélérer sur ce point.

Ce rapport, très fouillé, nous sera utile, car il établit un panorama et dresse une feuille de route de nos collaborations à venir, sur des sujets très concrets, tels que la simplification des installations industrielles.

Je veux affirmer mon engagement très fort à agir sur deux points.

Le premier a été abordé et figure dans le rapport : c’est la mobilisation de la commande publique. Nous avons voté ensemble – j’étais alors député, donc je peux recourir à la deuxième personne du pluriel – des dispositions concrètes, dans la loi Pacte, dans la loi dite Asap ou dans la loi Climat et résilience. Il faut désormais les appliquer.

Trop souvent, les acheteurs publics n’osent pas les utiliser. Nous devons les rassurer : oui, nous devons acheter durable et innovant ; oui, nous pouvons acheter local et en circuit court. Respecter ces critères, ce n’est pas systématiquement acheter français, mais cela commence tout de même à y ressembler…

J’ai rencontré et mobilisé la direction des achats de l’État et l’Union des groupements d’achats publics et des acheteurs publics. Nous allons former davantage, faire du sourcing, promouvoir nos start-up et PME et faciliter les échanges en amont des procédures.

Par ailleurs, nous devons impérativement accélérer sur la question de la formation. Le quinquennat qui s’est achevé a engrangé des succès : nous n’avons jamais eu autant d’apprentis en France – nous en comptons autant que l’Allemagne. Nous devons aller plus loin encore et donner envie à de jeunes femmes et de jeunes hommes de rejoindre l’industrie et les y former, à un âge plus précoce qu’actuellement. Je m’y attacherai et j’espère que vous nous y aiderez.

Notre industrie connaît une actualité forte avec la crise de l’énergie, qui agit comme un nouveau choc pétrolier. Je le dis très clairement : l’industrie française ne sera pas la victime collatérale de la guerre en Ukraine. Mon rôle est de la protéger, de l’aider, de l’accompagner et de la soutenir partout où je le puis.

Mon cabinet travaille d’arrache-pied avec les commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises, les fameux CRP, qui, dans les régions, aident les entreprises à naviguer parmi les dispositifs d’aide, encore trop complexes malgré notre effort de simplification.

Le Gouvernement travaille à l’échelle européenne pour parfaire l’arsenal de protection de l’industrie française. Nous avons signé ce matin une charte avec les distributeurs d’énergie, de manière qu’ils informent bien en amont, offrent systématiquement des contrats et permettent, notamment à nos PME, qui souffrent aujourd’hui du prix de l’énergie, de faire jouer à plein la concurrence.

Le Gouvernement a pris des mesures ambitieuses pour les entreprises, mais les prix de l’énergie, c’est un fait, ne seront plus jamais aussi bas. C’est la fin d’une disponibilité abondante et sans limites, raison pour laquelle nous devons œuvrer à guérir notre industrie de sa dépendance aux hydrocarbures. L’industrie de la décarbonation sera le nouveau fer de lance de l’économie française et européenne.

En conclusion, nous tenons un cap stratégique et y affectons des moyens au travers des plans France Relance et France 2030. Sans naïveté, nous nous montrons offensifs. Depuis 2017, l’effort collectif que nous avons fourni avec les chefs des entreprises industrielles a permis de créer plus de 50 000 emplois nets.

De la même manière que la désindustrialisation résulte de trente ans de cécité collective, la réindustrialisation sera le fruit d’une vision commune. Vous y prendrez toute votre part, ici, à Paris, mais surtout dans vos territoires, où je me rends semaine après semaine et où je serai très heureux de vous accompagner. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques. (Applaudissements.)

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous remercie sincèrement de ces échanges, qui nous ont permis de partager et d’approfondir les conclusions de ce rapport.

En préambule de ce propos conclusif, je me permets de formuler quelques commentaires sur notre politique énergétique. Monsieur le ministre, il est urgent, et même urgentissime, de définir enfin une véritable stratégie de l’énergie et de fixer un cap clair. Malgré les belles et optimistes paroles entendues ce soir, je ne vois pas la preuve de l’engagement du Gouvernement sur cette voie.

Par exemple, je regrette que le Gouvernement ait choisi de légiférer en la matière dans la panique et le désordre.

Dans la panique, tout d’abord, car nous avons été sommés de légiférer cet été en urgence : quinze jours d’examen d’une loi sur le pouvoir d’achat pour remettre à plat notre régulation nucléaire et notre sécurité d’approvisionnement, clairement, ce n’est pas sérieux.

Dans le désordre, ensuite, car il eût fallu examiner la loi de programmation de l’énergie au préalable, pour définir une véritable vision de notre politique énergétique, avant de travailler, ensuite et seulement ensuite, aux lois d’exécution de cette stratégie, par le truchement des projets de loi d’accélération du nucléaire ou des énergies renouvelables. Or nous faisons l’inverse.

Au regard de ses répercussions, la politique énergétique ne s’improvise pas : elle nécessite une vision, des convictions, du courage, de la constance et de l’anticipation.

Par exemple, la relance du nucléaire, tant attendue, est encore au milieu du gué. Des fautes graves ont été commises dans le passé, certes, mais la reconversion préélectorale du président n’a rien changé : les annonces de discours de Belfort sont très insuffisantes. Notre commission a en effet évalué nos besoins de nouveaux réacteurs à quatorze unités, alors que seulement six sont prévues.

Le développement massif de l’hydrogène issu de l’énergie nucléaire, pourtant nécessaire, n’a pour sa part pas été clairement annoncé. Pour cela, nous devons redonner à la filière des moyens financiers, bien sûr, mais aussi humains, et présenter à nos jeunes une perspective positive de leur avenir.

Par ailleurs, que dire des énergies renouvelables, si ce n’est que le Sénat vous presse d’agir ? Depuis 2020, notre commission a fait adopter quelque trente solutions de simplification dans les domaines de l’hydroélectricité, de l’hydrogène, du biogaz, de l’éolien, du photovoltaïque…

Lors de l’élaboration de ce rapport, nous avons orienté nos travaux vers les deux impensés du renouvelable : l’insuffisance du stockage des énergies renouvelables et notre dépendance minière en métaux stratégiques indispensables.

Ces aspects relèvent pour l’heure du débat d’experts, se tenant en quelque sorte à huis clos. En responsabilité, nous devons partager ce débat avec nos concitoyens et leur expliquer que, s’il faut bien sûr recycler, il est aussi important de se poser la question en France de l’extraction des métaux rares, notamment du lithium.

Nous allons devenir de gros consommateurs, et il nous faut non seulement assurer notre approvisionnement, mais aussi prendre nos responsabilités éthiques, en ne transigeant pas sur les conditions sociales et environnementales d’extraction.

Au bout du compte, les ménages comme les entreprises ont besoin d’une énergie disponible, abordable et décarbonée. C’est à la fois nécessaire pour notre vie économique et sociale et impératif au regard de nos engagements climatiques.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, en conclusion, je crois que nos échanges témoignent de deux choses.

Tout d’abord, la prise de conscience est là : débattre des vulnérabilités de notre économie n’est plus tabou. Cela nous permet de regarder en avant, ce qui constitue la première étape de la reconstruction attendue. L’impératif de souveraineté économique est désormais présent dans toutes les têtes – enfin !

Ensuite, cette politique de souveraineté n’est pas la caricature que certains veulent en faire : elle n’implique ni repli, ni contrainte, ni décroissance. Elle est porteuse d’espoir, et non source de division, et elle doit être menée à l’échelle européenne.

Que ce soit sur la question de la souveraineté industrielle, du numérique ou de l’énergie, notre assemblée peut et sait transcender les différences politiques : rédigé à six mains, voté à l’unanimité des membres de notre commission, ce rapport le démontre. Nous partageons un objectif de résilience, un projet pour refaire société et reconstruire ensemble le sens de notre nation.

Au-delà de l’exercice de ce soir, monsieur le ministre, j’émets le vœu que vous continuiez à associer pleinement le Parlement à ces débats essentiels, vous qui connaissez la vertu du travail parlementaire. Cela n’a pas été le cas pour la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP), dont le cahier des charges, annexé à la loi Pacte, était une tartufferie, ni pour la vente des Chantiers de l’Atlantique, ni pour le débat autour des traités de libre-échange, ni, plus récemment, pour les discussions sur l’avenir d’EDF.

Enfin, je remercie les équipes de la commission des affaires économiques et nos collaborateurs, qui nous ont permis de produire un rapport de cette qualité.

Monsieur le ministre, je le réaffirme devant vous : le Sénat est prêt à être une force d’engagement et de propositions pour amorcer la nécessaire reconstruction de notre souveraineté. J’espère que le Gouvernement saura se montrer à l’écoute. (Applaudissements.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport intitulé Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique.

9

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 6 octobre 2022 :

À dix heures trente :

Vingt-neuf questions orales.

À quatorze heures trente :

Débat sur les conclusions du rapport Transformer lessai de linnovation : un impératif pour réindustrialiser la France ;

Débat sur le thème : « Quelle place donner aux acteurs du médico-social dans l’organisation des soins de demain sur nos territoires ? »

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures quarante.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER