Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Les auteurs de ces deux amendements ne mentionnent pas le fait qu’une réforme des inspections a d’ores et déjà été lancée pour rendre leur travail plus lisible et plus efficace.

Le rapport annexé prévoit déjà la publication des rapports des inspections, ce qui améliorera la transparence, le renforcement de la formation en matière de déontologie des policiers et des gendarmes ou encore l’instauration au sein de l’inspection générale de la police nationale d’un comité d’évaluation de la déontologie incluant des représentants de la société civile.

L’avis est donc défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Les sénateurs Durain et Benarroche soulèvent ici une question très importante, même si l’amendement n° 82, certes tempéré par celui de M. Durain, ne constitue pas vraiment une marque de confiance envers les forces de l’ordre… Monsieur Benarroche, vous semblez être pris d’une folie de contrôles et de sanctions, emporté par une sorte d’autoritarisme finalement, qui ne ressemble guère à la manière dont vous abordez d’autres sujets…

L’absence de fait divers dans l’actualité récente devrait nous permettre d’avoir une discussion apaisée sur ce sujet.

Je soulignerai d’abord un paradoxe : ce sont les magistrats instructeurs qui saisissent librement – c’est l’article 12-1 du code de procédure pénale – le service qui mène une enquête. C’est bien de manière tout à fait libre que le procureur de la République ou le juge d’instruction saisit l’IGPN, l’IGGN ou tout autre service de police judiciaire. L’IGPN et l’IGGN, en tant que services enquêteurs, ne s’autosaisissent pas, elles sont saisies par un magistrat.

Or je pense pouvoir dire que nous sommes tous très attachés au libre choix du service enquêteur par le magistrat instructeur.

J’ajoute que si l’IGPN ou l’IGGN ne respectaient pas les règles déontologiques ou démocratiques, celles d’un État de droit, les magistrats instructeurs ne les saisiraient pas !

Par ailleurs, votre intervention, monsieur Durain, me paraît datée. Depuis le Beauvau de la sécurité, j’ai nommé un magistrat à la tête de l’IGGN comme à celle de l’IGPN, en l’occurrence dans cette dernière une ancienne procureure de la République.

Ces nominations n’ont pas de précédent dans l’histoire du ministère de l’intérieur ! Je le redis, c’est la première fois que le ministre de l’intérieur nomme à ces postes des personnes qui ne sont ni des policiers, ni des gendarmes, ni des préfets, ni des fonctionnaires du ministère de l’intérieur. Ce sont donc bien des magistrats, qui plus est de l’ordre judiciaire, qui sont dorénavant chefs des inspections, c’est-à-dire responsables des enquêtes qui sont menées.

Ces nominations, qui découlaient directement des débats que nous avons eus lors du Beauvau de la sécurité, n’ont pas suscité de contestation dans les rangs des policiers ou des gendarmes.

Par conséquent, il est désormais faux de dire que ce sont des policiers ou des gendarmes qui dirigent les inspections.

Par ailleurs, l’IGPN et l’IGGN ne sont pas seulement des services d’enquête, ce sont aussi des services d’inspection à la disposition des directeurs d’administration centrale et du ministre de l’intérieur, comme cela existe dans d’autres ministères avec l’inspection générale de la justice, l’inspection générale des finances (IGF) ou encore l’inspection générale de l’environnement et du développement durable.

C’est donc « mon » inspection, si j’ose dire, et elle me rend des rapports à ce titre. Ainsi, personne n’a contesté le fait que l’IGPN était qualifiée pour rédiger un rapport sur la réforme de la police judiciaire.

Il me semble que vos amendements devraient distinguer clairement les fonctions d’enquête et d’inspection de ces services. Personne n’imagine que l’inspection générale de la justice soit indépendante du ministre de la justice ou que l’inspection générale des finances le soit du ministre de l’économie et des finances. C’est le principe même d’un service d’inspection de dépendre de son ministre de tutelle !

J’ajoute que l’IGF peut, comme l’IGPN et l’IGGN, être saisie par la justice pour effectuer un contrôle, par exemple lorsque la question du secret fiscal se pose. Ce n’est pas très fréquent, mais cela existe. Personne ne dit dans ce cas que l’IGF est juge et partie.

Il est vrai qu’il existait un certain nombre de difficultés dans le fonctionnement de l’IGPN et de l’IGGN, par exemple le faible nombre d’enquêteurs – nous l’avons augmenté –, l’absence de publication des rapports – comme le rapporteur l’a indiqué, j’ai décidé la publication de tous les rapports – ou encore l’absence de délai fixé aux directeurs généraux pour réagir à ces rapports – je leur ai demandé de prendre, dans un délai de deux mois, les sanctions demandées par l’IGPN ou l’IGGN.

Je pense que ces améliorations, notamment la nomination de magistrats à la tête des inspections, ont été largement relevées, y compris par la Défenseure des droits – je l’en remercie.

Autre critique que j’ai entendue : le Gouvernement n’a pas créé d’organe de contrôle parlementaire. C’est tout de même une drôle de critique, sachant qu’il y a séparation des pouvoirs ! Il ne revient évidemment pas à l’exécutif d’intervenir dans le fonctionnement des assemblées. Nous sommes favorables, de notre place, à la création d’un tel organe de contrôle, comme cela existe pour les services de renseignement, mais c’est au Sénat et à l’Assemblée nationale de prendre cette décision, s’ils le souhaitent. Cette critique s’adressait donc non pas à l’exécutif, mais plutôt à votre assemblée !

Il se trouve en outre que l’IGPN et l’IGGN ne sont pas la reproduction du corps des policiers et des gendarmes, qui ont d’ailleurs souvent une image assez peu positive des inspections.

Ainsi, le film Bac Nord ne met pas vraiment à l’honneur l’IGPN : on a l’impression que les policiers sont broyés par un service d’inspection technocratique venu de Paris, les « bœufs carottes » comme on les appelle dans la police.

Cela ne fait évidemment plaisir à aucun policier ou gendarme de répondre de ses actes devant l’IGPN ou l’IGGN. Ce sont de véritables services enquêteurs, avec une grande conscience professionnelle, et il n’est guère agréable de devoir leur répondre.

À partir de là, il est vrai, monsieur Durain, qu’il existe un débat de société : devons-nous créer sur ce sujet, comme nous l’avons fait sur beaucoup d’autres, une autorité administrative indépendante ? L’exécutif doit-il se dessaisir de son pouvoir disciplinaire ?

Je n’ai rien contre les autorités administratives indépendantes, mais nous rognons, en les créant, les pouvoirs de l’exécutif et du législatif. Vous n’aurez pas le débat que nous avons en ce moment même dans l’hémicycle avec le président d’une autorité administrative indépendante – il ne pourrait pas répondre à cette place à vos interpellations ou à vos critiques. Il n’est pas possible d’avoir ces mêmes échanges qu’avec un membre du Gouvernement.

Réfléchissons donc bien avant de transférer un tel pouvoir. La démocratie britannique a aussi des défauts et je ne suis pas certain que toutes ses qualités soient transposables dans la nôtre.

De plus, devons-nous dissocier la mission d’enquête des missions de conseil et d’audit ? Je ne le pense pas, parce que, lorsque nous constatons qu’une personne a commis une erreur ou une faute, nous devons bien sûr en tirer les conséquences pour cette personne, mais aussi pour la chaîne de commandement et l’organisation de la profession, par exemple en termes de formation, de matériel ou de formalisation des ordres.

Lorsqu’une sanction est prise contre un policier ou un gendarme, l’administration s’interroge également sur son propre fonctionnement et elle engage le cas échéant un certain nombre d’évolutions dans ses procédures.

Si nous séparons les missions d’enquête, d’une part, de conseil et d’audit, d’autre part, nous n’assurons pas cette fluidité.

J’ajoute que la Défenseure des droits, une autorité administrative indépendante, peut déjà être saisie de manquements sans passer par l’IGPN ou l’IGGN et qu’elle contrôle l’action des inspections – elle publie des rapports sur ce sujet, elle a d’ailleurs participé au Beauvau de la sécurité.

Bien sûr, tout n’est pas parfait, mais les réformes que nous avons engagées – nomination de magistrats à la tête des inspections, publication des rapports, délai de deux mois pour prendre des sanctions, etc. – ont permis d’améliorer les choses. Nous essayons de nous inspirer des bonnes pratiques que nous voyons ailleurs, mais il ne me paraît pas cohérent de demander au ministre de l’intérieur, et à lui seul, de se séparer de son service d’inspection.

Prenons le temps de voir ce que ces réformes, mises en œuvre voilà seulement quelques mois, changeront dans la pratique, d’autant qu’elles constituent déjà une révolution pour la maison.

Telles sont les raisons pour lesquelles je suis défavorable à ces amendements.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 82.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 121.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. L’amendement n° 122, présenté par M. Durain, Mme de La Gontrie, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur, Gillé et Jacquin, Mmes Le Houerou, G. Jourda et Artigalas, M. Cozic, Mmes Conconne, Meunier et Carlotti, M. Cardon, Mmes Monier et Rossignol, MM. Tissot, M. Vallet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 175

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

Mise en œuvre de la doctrine du maintien de l’ordre au regard des règles de déontologie

La multiplication des tensions et des incidents, parfois graves, entre les forces de l’ordre et les participants aux manifestations conduira à s’interroger sur les conséquences de la doctrine du maintien de l’ordre et de sa mise en œuvre au regard des règles de déontologie qui s’imposent en la matière. Plusieurs recommandations seront formulées en vue d’apaiser la gestion du maintien de l’ordre, notamment en améliorant la formation des forces de l’ordre, en encadrant davantage l’usage des armes de force intermédiaire et en distinguant mieux les missions de police administrative de celles relevant de la police judiciaire.

La parole est à M. Lucien Stanzione.

M. Lucien Stanzione. À la lecture du rapport annexé, nous avons ressenti une certaine déception, car les sujets du maintien de l’ordre et du meilleur encadrement des interventions de police ne sont pas du tout abordés au fond.

Pourtant, la multiplication des tensions et des incidents, parfois graves, entre les forces de l’ordre et les participants aux manifestations auraient dû conduire le ministère à s’interroger sur les conséquences de la doctrine modifiée du maintien de l’ordre et de sa mise en œuvre.

Cette doctrine a apporté des garanties, mais elle prévoit le durcissement des conditions du maintien de l’ordre dans une logique de confrontation pouvant aboutir à de très fortes tensions.

Au contraire, la relation entre la police et la population devrait être fondée sur une recherche de confiance, en privilégiant le contact avec la population.

Ce constat s’inscrit dans une logique d’ensemble que nous avons dénoncée – notre amendement n° 21 contre les risques de réintroduire la politique du chiffre en était l’illustration. Cette logique conduit à évaluer les agents des forces de sécurité non pas selon leur rapport étroit avec la population et leur bonne connaissance des foules qu’ils côtoient, mais selon l’atteinte de certains indicateurs, par exemple le nombre des interpellations.

Il est nécessaire de recentrer le maintien de l’ordre sur sa mission de prévention et d’accompagnement des manifestations. Le choix du modèle dit de désescalade permettrait de diminuer la conflictualité. Cela suppose que les services de renseignement connaissent les profils et les motifs qui sont au cœur de la contestation.

Cette orientation suppose de développer le dialogue et la concertation, conditions d’une amélioration des relations entre la police et la population, de réexaminer avec courage l’équipement des policiers et des gendarmes, en le prenant en compte dans les stratégies du maintien de l’ordre, et enfin de renforcer la formation initiale et continue des agents des forces de sécurité.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Comme l’amendement n° 88, cet amendement entre dans le champ de la mission d’information sur les moyens d’action et les méthodes d’intervention de la police et de la gendarmerie, dont Mmes Carrère et Di Folco sont rapporteures.

L’avis est donc défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. J’ai moi-même évoqué une crise de l’ordre public, monsieur le sénateur.

Nous devons améliorer la formation – j’ai déjà indiqué que nous avions porté de huit à douze mois la durée de la formation initiale et que nous recrutions 750 formateurs pour les seuls besoins en formation continue.

Nous devons aussi améliorer le matériel. Je ne partage pas complètement l’idée selon laquelle la désescalade ne se fait que par le matériel. À certains moments, il n’est pas nécessaire que les policiers ou les gendarmes du maintien de l’ordre aient un matériel lourd – cela peut être perçu de manière non positive et contribuer à l’escalade. À d’autres moments, cela se justifie. Il y a aussi un aspect pratique des choses : plus le matériel est lourd, moins les policiers ou les gendarmes sont mobiles…

Le meilleur moyen pour améliorer le maintien de l’ordre, une science particulièrement difficile, c’est de disposer de plus d’effectifs !

Certes, il faut définir un schéma d’intervention. Cela a été fait, mais la première version de ce schéma a été retoquée par le Conseil d’État, si bien que nous l’avons réécrite. Je pense que ce schéma, qui n’est évidemment pas parfait, constitue une véritable avancée – il a d’ailleurs été validé par la profession.

Mais il faut d’abord davantage d’effectifs spécialisés dans le maintien de l’ordre public. Par conséquent, j’espère, monsieur le sénateur, que vous voterez la restauration de onze unités de forces mobiles. Avec plus de policiers et de gendarmes, vous permettez à chacun d’eux de se reposer et de se former. Quand il n’y a pas assez de policiers, on les fait trop travailler. Or je disais tout à l’heure que le ministère doit déjà cinq semaines de congés payés aux forces mobiles, qui sont fatiguées.

Ces agents font des centaines de kilomètres dans des fourgonnettes pas toujours très reluisantes, ils vivent souvent loin de leurs familles et ont peu de week-ends de repos, ils sont parfois insultés à longueur de manifestation – il arrive que des manifestants n’aiment pas la police, cela existe –, ils agissent parfois dans un climat de violence, voire d’hyperviolence, et sont désormais surveillés à chaque instant – ils sont filmés, sans aucun contrôle pour le coup de la CNIL… Ils exercent donc un métier extrêmement difficile.

Si en plus on sollicite des policiers dont la spécialité est non pas l’ordre public, mais la sécurité publique, on en arrive aux difficultés que nous connaissons.

C’est pourquoi il est si important de recréer des unités de gendarmerie et de CRS – les précédents gouvernements en ont malheureusement supprimé 15 en vingt ans, c’est donc une grande nouvelle pour la République ! Cela permettra aux gendarmes et aux policiers de bénéficier de temps de repos.

C’est aussi le nombre de policiers et de gendarmes déployés sur le terrain qui permet d’assurer le calme d’une manifestation : plus il y en a, moins les gens cherchent la confrontation. S’il n’y a pas assez d’effectifs, le dispositif montre des faiblesses et alors les policiers peuvent paniquer – c’est tout à fait possible – ou des manifestants, en particulier ceux qui sont venus non pas pour défendre une cause, mais pour casser du flic, peuvent avoir encore plus envie d’en découdre…

Le débat soulevé par cet amendement est extrêmement intéressant, mais je me range à l’avis de la commission pour l’ensemble des raisons que je viens d’évoquer : ce n’est pas tout à fait l’objet du texte, votre commission a lancé des travaux et nous avons nous-mêmes déjà pris un certain nombre de mesures. J’espère en tout cas que vous voterez, monsieur le sénateur, en faveur des augmentations d’effectifs et des recréations d’unités de forces mobiles que nous proposons.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 122.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. L’amendement n° 123, présenté par M. Durain, Mme de La Gontrie, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur, Gillé et Jacquin, Mmes Le Houerou, G. Jourda et Artigalas, M. Cozic, Mmes Conconne, Meunier et Carlotti, M. Cardon, Mmes Monier et Rossignol, MM. Tissot, M. Vallet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 175

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

Réexamen de la législation relative à l’usage des armes par les forces de l’ordre

Depuis la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique et l’introduction de l’article L. 435-1 dans le code de la sécurité intérieure visant à mettre en place un cadre commun de l’usage des armes par les forces de l’ordre, les relevés statistiques montrent l’augmentation des tirs mortels sur les conducteurs ou passagers de véhicule en mouvement à la suite d’un refus d’obtempérer ou dans les cas d’interpellations. Cette augmentation des homicides déclenche un très légitime débat public autour des causes d’un tel phénomène. Au vu de ces faits, dans une approche pragmatique, il est nécessaire de reconsidérer la pertinence du champ d’application de la législation en vigueur permettant de recourir à la force armée pour arrêter la fuite d’une personne qui ne serait que probablement dangereuse au regard des informations dont les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale disposent au moment où ils font usage de leurs armes.

La parole est à M. Jérôme Durain.

M. Jérôme Durain. La commission des lois a fait le choix d’aborder la question du refus d’obtempérer par un accroissement des sanctions – c’est l’objet du nouvel article 7 bis du projet de loi.

Je vais essayer de peser mes mots, parce que c’est un sujet extrêmement délicat, qui touche à des vies humaines, celles des policiers qui se trouvent parfois mis en danger par des refus d’obtempérer et celles de ceux qui sont dans les véhicules, qu’ils soient auteurs des faits ou passagers.

Je veux aussi éviter la litanie des exemples récents de personnes ayant été tuées dans de telles circonstances.

Fait aggravant, si je puis dire, le nouveau cadre légal de 2017 sur l’usage des armes est une loi socialiste. Je ne l’ignore pas et je ne souhaite pas que nous ayons un débat sur qui a voté quoi… Selon des études récentes, la modification de la loi a sans doute induit plus de tirs policiers lors de refus d’obtempérer. Un certain nombre de vies humaines sont perdues à cause de cela.

Nous avons déjà eu une discussion sur ce sujet avec le ministre dans un autre cadre. Il est évident que les policiers agissent pour se défendre et que leur propre vie est brisée par de tels événements.

Pour autant, on constate une augmentation des tirs mortels lors de refus d’obtempérer, ce qui n’est pas le cas dans les autres situations, ainsi qu’une augmentation plus forte du nombre de personnes tuées dans ces circonstances que celle du nombre des refus d’obtempérer eux-mêmes – leur nombre augmente, on ne peut le contester.

C’est pourquoi nous proposons de réfléchir à une modification de la loi de 2017. Cela ne résoudra sans doute pas complètement les difficultés, mais ce sujet est central pour améliorer la qualité des relations entre la police et la population – je le dis avec gravité et solennité. Nous devons trouver une solution pour améliorer les choses et éviter cette triste et malheureuse actualité de policiers qui tuent des contrevenants.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. En moyenne, il y a 75 refus d’obtempérer par jour, ce qui représente une augmentation de 28 % depuis 2015.

Mme Sophie Primas. C’est un fléau !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Le ministre l’a lui-même dit, les policiers aux funérailles desquels il assiste sont très souvent décédés à la suite d’un refus d’obtempérer. Et on voudrait désarmer les policiers ? C’est inconcevable !

Selon les auteurs de cet amendement, des études montrent l’incidence de la loi de 2017. Pour ma part, j’ai lu des études qui disent le contraire !

La commission est défavorable à cet amendement, d’autant qu’elle a adopté, sur ma proposition, un nouvel article, l’article 7 bis, qui vise à réprimer plus sévèrement les refus d’obtempérer. Il me semble que cette mesure sera plus efficace que si nous adoptions l’amendement n° 123.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

Mme le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.

M. Jérôme Durain. J’apprécie le travail réalisé par Marc-Philippe Daubresse sur ce texte, mais je crois que nous devons garder de la dignité dans nos débats – en tout cas, c’est ce à quoi nous nous efforçons.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Nous aussi !

M. Jérôme Durain. Il ne s’agit aucunement dans cet amendement de « désarmer » les policiers !

Le fait est que la situation sociale est parfois tendue et qu’elle pourrait s’aggraver dans les temps à venir pour un certain nombre de raisons qui sont extérieures à ce débat.

Dans ce contexte, laisser prospérer des situations lors desquelles on confronte la population aux policiers n’est pas responsable. Encore une fois, je le dis de manière d’autant plus sereine que la loi dont il est question a été votée lors d’un quinquennat socialiste. Si nous continuons à connaître des faits de ce type, l’efficacité promise tout à l’heure par Marc-Philippe Daubresse ne sera pas au rendez-vous.

Nous estimons que durcir le quantum des peines ne suffira pas et que nous devons travailler autrement. Le ministre a eu l’occasion de dire qu’il n’y avait pas de solution intermédiaire entre ne rien faire et tirer.

En ce qui me concerne, j’ai confiance dans les études et les travaux de fond qui sont menés sur ces sujets, qui montrent que la loi entraîne sans doute une perte de contrôle dans certaines circonstances. D’ailleurs, des commissaires, qui reconnaissent que cela leur pose un problème, estiment eux-mêmes que certains policiers ont parfois fait un usage inadapté de leur arme.

Nous avons la responsabilité, en tant que parlementaires, de poser cette question de fond et de ne pas en rester à des solutions faciles qui ne seront pas efficaces.

Mme le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le sénateur, je ne suis pas intervenu plus avant sur votre amendement, parce que nous aurons un débat demain ou après-demain sur les refus d’obtempérer à l’occasion de l’examen de l’article 7 bis du texte, qui a été inséré sur l’initiative du rapporteur, je le rappelle, et non du Gouvernement.

La question est extrêmement difficile.

Personne ne peut se satisfaire d’un décès, pas plus de celui d’un policier ou d’un gendarme victime d’homicide – il n’y a pas d’autre mot – que de celui de toute personne, contrevenante ou accompagnante, qui viendrait à perdre la vie lors d’un contrôle routier.

Personne ne peut non plus accepter que l’autorité de l’État soit à ce point bafouée. C’est pourtant le cas quand on ne s’arrête pas lorsqu’un policier ou un gendarme dit « stop ! ». Force doit rester à la loi. Alors que faire devant un refus d’obtempérer ? Car il y en a désormais toutes les demi-heures, en zone de police comme de gendarmerie.

Je vous prie de bien vouloir excuser cette tautologie, mais peut-être faut-il rappeler cette évidence à nos concitoyens : il faut s’arrêter quand un policier ou un gendarme vous demande de le faire. C’est le b.a.-ba ! Je sais que vous n’avez pas dit l’inverse, monsieur le sénateur, mais on ne parle pas d’une situation où il y aurait en quelque sorte égalité entre le policier et celui qui ne se serait pas arrêté.

Dans le cas d’espèce, une personne a commis un délit, à savoir un refus d’obtempérer. Lorsqu’elle est arrêtée, d’une manière ou d’une autre, on constate malheureusement très souvent qu’elle conduit sans permis ou sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants, ou qu’elle devrait être en prison ou encore qu’elle a dans sa voiture de la drogue ou d’autres substances illicites. Ceux qui décident de ne pas s’arrêter à un contrôle de police alors même qu’ils n’ont rien à se reprocher, comme on dit dans le langage policier, sont extrêmement rares. (Marques dapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.) Cette remarque vaut également pour nos amis douaniers, qui vivent les mêmes situations.

Nous ne sommes manifestement pas d’accord sur les statistiques, mais nous aurons peut-être l’occasion d’en reparler d’ici à la présentation de l’amendement proposé par le président Bruno Retailleau et le rapporteur Marc-Philippe Daubresse, car il est important de confronter nos chiffres. À ma connaissance, il n’y a pas eu davantage de tirs par les policiers et par les gendarmes en 2021 qu’avant la loi portée par votre majorité – il y en a même eu moins, si j’ai bonne mémoire, en 2021 qu’en 2017. Durant les années covid, c’est-à-dire en 2020 et 2021, durant lesquelles le nombre de voitures en circulation était censé avoir diminué, il y a eu plus de 150 tirs. On constate donc des refus d’obtempérer même quand on interdit aux gens de conduire, ce qui n’est pas totalement illogique…

Il est donc statistiquement faux, me semble-t-il, de dire que les policiers et les gendarmes tirent plus à cause de la disposition législative que vous avez fait voter ou en raison d’un défaut de formation, alors même que, comme le rapporteur l’a rappelé, le nombre de refus d’obtempérer a augmenté. Pour résumer, le nombre de tirs a légèrement diminué et celui des refus d’obtempérer s’est accru. Mais il est vrai qu’il y a eu davantage de tirs mortels, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

La question à se poser est donc triple.

Les policiers et les gendarmes causent-ils plus de décès en tirant en raison d’une mauvaise formation au maniement des armes ?

Les personnes refusant d’obtempérer prennent-elles de plus en plus de risques en fonçant délibérément sur les forces de l’ordre, au lieu de simplement chercher à les éviter, ce qui pousse ces dernières à tirer devant ce que l’on peut appeler – il revient bien sûr à la justice de qualifier les faits, mais j’évoque cette possibilité pour les besoins de ma démonstration – une tentative d’homicide ?

À l’école de police, on apprend qu’il ne faut pas tirer lorsqu’une voiture prend la fuite sans foncer sur le policier. En revanche, si elle se dirige à vive allure vers l’agent, il peut, dans le respect de certaines règles déontologiques, sortir son arme et tirer.

Devons-nous considérer que nous n’avons pas trouvé les moyens techniques permettant d’arrêter des véhicules autrement que par des armes à feu ? On a inventé le LBD pour que les policiers et les gendarmes ne tirent pas avec des armes à feu sur les manifestants. On peut toujours discuter de son utilisation, mais force est de constater qu’elle emporte moins de risques létaux qu’un revolver : nous disposons donc d’une arme intermédiaire pour les manifestations. Aujourd’hui, le ministre de l’intérieur que je suis n’a pas d’arme intermédiaire à proposer, entre l’arme à feu et ne rien faire, pour arrêter un véhicule.

La loi pour une sécurité globale a permis une avancée, puisqu’il est désormais possible d’utiliser des stop sticks sans autorisation judiciaire. Jusque-là, personne, y compris les policiers municipaux, ne pouvait y recourir sans être officier de police judiciaire. C’était absurde, je vous le concède, et, avec le rapporteur Marc-Philippe Daubresse, nous avons supprimé la mesure dans cette loi. Mais c’est insuffisant.

Nous devons être un peu moins définitifs dans l’analyse des tirs mortels ou des tentatives d’homicide, selon la façon dont on regarde les choses. Monsieur le sénateur, il est plus facile d’avoir ce débat lors d’une soirée sénatoriale comme celle-ci ou dans la moiteur et le confort de mon bureau. De même, j’ai beaucoup de respect pour les commissaires de police, que vous avez évoqués, mais il se trouve que ce sont rarement eux qui se retrouvent, à deux heures du matin, avec le policier adjoint, sur une route du Lot-et-Garonne : même si certains commissaires le font, ce sont le plus souvent les gardiens de la paix ou les brigadiers-chefs qui effectuent des contrôles en pleine nuit.

Je le répète, c’est toujours facile de juger quand on n’est pas face à une voiture qui roule à 150 kilomètres à l’heure, la nuit sans phares, et qui fonce sur un de vos collègues.

Soyez-en convaincu, je suis toujours le premier à demander des précisions : quelle est la formation suivie par ces policiers ? Comment ont-ils tiré et fallait-il vraiment utiliser quinze cartouches ? Pourquoi ont-ils tiré sur le passager ? Dispose-t-on d’une vidéo ? Pourquoi n’ont-ils pas utilisé leur caméra ?

Mais je me mets aussi un instant à la place des policiers et des gendarmes quand ils m’expliquent qu’à 3 heures du matin, après cinq heures de contrôle dans le froid et déjà trois refus d’obtempérer, ils n’ont eu que quelques secondes pour décider d’utiliser ou non leur arme devant le danger représenté par une voiture fonçant dans le noir sur un de leurs collègues.

J’ai du mal à jeter l’opprobre sur eux, monsieur le sénateur, et je ne dis d’ailleurs pas que c’est ce que vous faites. On aura beau faire des études statistiques et sociologiques, examiner les modalités de la formation – et il faut sans doute les faire –, à la fin des fins, ce n’est pas nous qui sommes devant ces véhicules qui foncent à 150 kilomètres à l’heure, quand les pères et mères de famille que sont les policiers et les gendarmes se demandent comment réagir.

Leur réaction peut parfois être considérée comme excessive, mais c’est à la justice d’en décider ; mais quelquefois on se dit que leur comportement est compréhensible. Je constate d’ailleurs qu’une affaire évoquée par les médias ne fait souvent plus parler d’elle au bout de quelques jours, alors qu’il serait intéressant de regarder dans le calme ce qu’il en est.

C’est parce que l’IGPN et l’IGGN ont une bonne réaction en mettent systématiquement en garde à vue les policiers ou les gendarmes qui ont tiré, même si ceux-ci sont parfaitement dans leur droit. Elles attendent ensuite par précaution la décision du procureur de la République pour savoir s’ils sont mis en examen, ce qui peut arriver. Cela montre bien qu’on ne laisse pas faire n’importe quoi à des gens qui incarnent la violence légitime.

On ne peut pas dire non plus, mais vous le savez bien, monsieur le sénateur, qu’il ne se passe rien quand un policier tire. Pour lui, c’est toujours un problème personnel, humain et juridique.

Je le répète, à mes yeux, ce sujet est très important. J’entends bien que certains réclament un meilleur encadrement, mais il faut aussi prendre en compte la détresse de ceux qui incarnent l’autorité de l’État, policiers ou gendarmes, lorsqu’une personne ne s’arrête pas devant leurs injonctions. La question se pose à tous ceux qui sont au pouvoir, quelles que soient leurs sensibilités politiques.