compte rendu intégral

Présidence de M. Alain Richard

vice-président

Secrétaires :

Mme Esther Benbassa,

M. Daniel Gremillet.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

État B (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Moyens des politiques publiques et dispositions spéciales

Loi de finances pour 2023

Suite de la discussion d’un projet de loi

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Travail et emploi
Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Travail et emploi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2023, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution (projet n° 114, rapport général n° 115, avis nos 116 à 121).

Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.

SECONDE PARTIE (suite)

MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

Travail et emploi

Deuxième partie
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
État B

M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Travail et emploi » (et articles 47 à 49).

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Daniel Breuiller, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur, madame les ministres, mes chers collègues, avec plus de 20 milliards d’euros, la mission « Travail et emploi » est, après la mission « Écologie, développement et mobilité durables », celle qui connaît la progression la plus forte par rapport à la loi de finances initiale pour 2022.

Cependant, compte tenu du volume très important de crédits supplémentaires provenant, en 2021 et en 2022, de collectifs budgétaires, du plan de relance et de fonds de concours, nous serons en réalité dans des ordres de grandeur comparables à ceux qu’on a pu constater ces deux dernières années.

Ces mouvements en cours d’exercice et les écarts considérables entre crédits votés et exécutés ont notablement brouillé la lisibilité du budget de l’emploi et de la formation professionnelle depuis deux ans. Nous espérons nous prononcer aujourd’hui sur des bases plus conformes à ce que sera réellement l’impact de ce budget en 2023.

J’évoquerai plus particulièrement le volet de la mission relatif à la politique de l’emploi.

Tout d’abord, je voudrais dire que les moyens très importants consacrés depuis 2020 à la politique portée par cette mission ont certainement joué un rôle dans l’amélioration de la situation de l’emploi ; je pense notamment à l’apprentissage, la hausse du nombre de contrats d’apprentissage représentant près de la moitié de la baisse du nombre de chômeurs.

La dépense budgétaire s’est alourdie, mais d’autres dépenses ont diminué, et l’assurance chômage n’est plus en déficit.

En ce qui concerne la mission, le recul du chômage entraîne une nette diminution des dépenses d’allocations prises en charge par l’État, de l’ordre de 500 millions d’euros. Inversement, la progression de l’emploi majore de près de 700 millions d’euros la compensation à la sécurité sociale des exonérations de cotisations. Cette dépense atteint 5 milliards d’euros, soit un quart du budget total de la mission.

S’agissant des actions en faveur de publics spécifiques, le budget destiné aux entreprises adaptées poursuit sa progression. Le contrôle effectué par Emmanuel Capus pour la commission des finances montre que plusieurs freins subsistent au développement de ce type d’emplois. L’expérimentation de nouvelles formes d’insertion dans l’emploi des personnes handicapées n’a pas encore donné les résultats escomptés.

Les dotations pour l’insertion par l’activité économique (IAE) sont maintenues au niveau de 2022, ce qui aura pour effet de diminuer le nombre d’emplois finançables. Elles ont certes notablement augmenté depuis trois ans, mais cette stabilisation pose question, car les rémunérations des bénéficiaires de l’IAE, indexées sur le Smic, vont augmenter. À crédits égaux, il pourrait donc y avoir moins de bénéficiaires. Les acteurs de l’IAE manquent de visibilité sur la répartition territoriale de l’enveloppe entre les différents types de structures, alors que le coût des contrats sera plus élevé qu’en 2022.

Les actions en faveur de l’accompagnement renforcé des jeunes vers l’emploi prennent, quant à elles, une part accrue dans le budget de la mission, avec le contrat d’engagement jeune (CEJ) mis en place depuis le 1er mars dernier, dont la dotation atteint 1 milliard d’euros.

Ce dispositif a été introduit dans des conditions critiquables, sans évaluation préalable, au cours de l’examen du PLF pour 2022. Le recul manque pour en effectuer une évaluation approfondie, mais les premiers éléments recueillis sont plutôt encourageants.

Sa montée en charge, pour atteindre un objectif de 300 000 contrats conclus cette année, concerne essentiellement les missions locales, sur lesquelles repose en majorité cet accompagnement intensif des jeunes présentant, selon l’expression pudique de rigueur, des « besoins périphériques importants ». L’État apporte aux missions locales un soutien sensiblement supérieur à celui dont elles bénéficiaient il y a trois ou quatre ans.

Les conditions d’orientation des jeunes, soit vers Pôle emploi, soit vers les missions locales, ont été clarifiées, et il semble que le CEJ ait même permis d’améliorer les échanges entre les deux opérateurs, qui agissaient jusqu’à présent de manière trop cloisonnée.

La gestion du dispositif pourrait toutefois induire une charge administrative assez lourde, au détriment des tâches d’accompagnement, notamment pour satisfaire aux conditions d’activité minimale. Il y a sans doute matière à simplifier dans ce domaine.

De même, il faudra veiller à ce que le CEJ s’articule au mieux avec des structures comme les écoles de la deuxième chance ou l’Établissement pour l’insertion dans l’emploi (Épide).

En résumé, le CEJ me paraît améliorer le dispositif de la garantie jeunes et mérite d’être consolidé.

J’ai mentionné Pôle emploi. La subvention de l’État avait baissé jusqu’en 2021. Elle a été stabilisée en 2022 et augmente de 136 millions d’euros en 2023, mais, dans le même temps, les crédits attribués au titre de la mission « Plan de relance » ne sont pas reconduits.

Le plafond d’emplois de Pôle emploi, en très légère baisse, sera globalement maintenu en 2023 au même niveau que ces deux dernières années. Ses moyens ont été renforcés pour le CEJ, l’accompagnement des chômeurs de très longue durée et le plan de réduction des tensions de recrutement.

Toutefois, les évolutions de Pôle emploi au-delà de 2023 sont suspendues aux résultats des travaux lancés sur France Travail. Le Gouvernement, monsieur le ministre, s’est défendu de vouloir fusionner ou refondre l’organisation des acteurs du service public de l’emploi. Pour autant, à ce jour, vous n’avez pas indiqué en quoi consisterait cette réforme, vous contentant de préciser ce qu’elle ne serait pas.

À mon sens, l’enjeu porte sur une réelle coordination des acteurs de terrain, pour mieux identifier les personnes nécessitant un accompagnement, mieux orienter, mieux partager les données et assurer un meilleur suivi. Je ne sais pas, à ce stade, si France Travail répondra réellement à ce besoin.

Je relève que les prévisions indicatives pour les dépenses de fonctionnement du programme « Accès et retour à l’emploi », constituées à près de 90 % de la subvention à Pôle emploi, marquent une diminution de 11 % en 2024 et de 12 % en 2025.

Le recul du chômage ne doit pas masquer la persistance d’un nombre encore bien trop important de personnes très éloignées de l’emploi, notamment parmi les jeunes. C’est pour ces publics que les besoins d’accompagnement sont les plus élevés. L’effort en leur direction doit être maintenu, et même renforcé.

En matière d’apprentissage et de formation professionnelle, je souhaite également qu’une attention prioritaire soit portée à ceux qui ont le moins de facilité à s’insérer sur le marché du travail ou à accéder aux formations.

Telles sont les observations que je souhaitais formuler sur cette mission, dont les crédits sont confortés dans ce projet de budget. La commission des finances, qui a suivi les recommandations formulées par Emmanuel Capus et moi-même, vous en propose l’adoption. (M. Marc Laménie applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, je vais pour ma part aborder le second volet de la mission, à savoir le financement de l’apprentissage et de la formation professionnelle.

Le succès de l’apprentissage, au-delà de toute prévision, est paradoxalement à la source de l’une des difficultés budgétaires majeures de cette mission, avec un poids financier qui dépasse largement celui de toutes les autres actions de ses différents programmes. C’est un sujet d’inquiétude exprimé à de multiples reprises, en commission comme en séance publique, particulièrement à l’occasion des « rallonges » budgétaires successives accordées à France Compétences.

Ces inquiétudes sont légitimes, mais l’apprentissage et la formation professionnelle constituent aussi un enjeu essentiel si nous voulons progresser vers le plein emploi. Or il reste beaucoup de chemin à parcourir, même si la situation s’est améliorée. En effet, par rapport à la fin de 2019, les emplois salariés ont progressé de 800 000 et le nombre de demandeurs d’emploi a diminué de près de 400 000.

Présenté de longue date comme la meilleure voie d’insertion professionnelle des jeunes, l’apprentissage a longtemps stagné. Le nombre annuel de contrats conclus a même baissé de 2012 à 2017, avant de remonter nettement en 2018 et en 2019, puis de « décoller » à un rythme tout à fait inattendu : près de 740 000 contrats ont été conclus en 2021, deux fois plus qu’en 2019, et autant, sinon plus, en 2022.

Sous l’angle budgétaire, la question de l’apprentissage se pose à deux niveaux assez différents. Le premier est celui du soutien de l’État à travers les aides à l’embauche. L’aide exceptionnelle mise en place en 2020 – elle concerne toutes les entreprises, y compris celles de plus de 250 salariés, et les formations allant jusqu’à bac+5 – a certainement joué dans l’essor de l’apprentissage. Mais le coût budgétaire a bondi de 1,3 milliard en 2020 à 4,2 milliards en 2021. Pour 2022, le montant sera certainement du même ordre.

La question d’un nouveau paramétrage de cette aide est aujourd’hui posée. Elle fait l’objet de discussions entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, ce qui me paraît tout à fait approprié. Il est certainement nécessaire de faire la part des choses entre de probables effets d’aubaine et les incitations vraiment utiles au maintien de la dynamique actuelle de l’apprentissage.

Il semble exclu de revenir purement et simplement à l’aide unique d’avant 2020, mais nous ignorons, pour l’heure, si l’on s’oriente vers une diminution du montant de l’aide actuelle ou vers un ciblage sur certaines entreprises ou certains niveaux de formation. Peut-être serez-vous en mesure, madame, monsieur les ministres, de donner quelques indications sur les options privilégiées ?

En tout état de cause, tous les contrats conclus avant la fin de l’année 2022 bénéficieront pour un an de l’actuel régime des aides à l’embauche. L’effet budgétaire d’une révision à la baisse ne se fera sentir qu’à l’échéance des contrats actuels et à la conclusion de nouveaux contrats, c’est-à-dire majoritairement sur les quatre derniers mois de 2023. C’est la raison pour laquelle un amendement de réduction de crédits ne me paraît pas nécessairement efficace.

Mais c’est surtout la situation financière de France Compétences qui pose le problème budgétaire le plus difficile. L’État a dû intervenir à hauteur de près de 3 milliards d’euros en 2021, puis de nouveau de 4 milliards d’euros en 2022, ce qui n’évitera pas un déficit estimé autour de 3,5 milliards d’euros en fin d’année.

Je rappelle qu’à sa création, aucun soutien de l’État à cet opérateur n’a été envisagé. À l’inverse, la loi de 2018 prévoit le versement à l’État, par France Compétences, d’une contribution à la formation des demandeurs d’emploi de 1,6 milliard d’euros par an depuis 2019.

L’écart s’est rapidement creusé entre les ressources de France Compétences, qui évoluent en fonction de la masse salariale, et ses dépenses, à savoir le financement de l’alternance et celui du compte personnel de formation (CPF), ces deux dispositifs constituant des enveloppes ouvertes.

S’agissant plus particulièrement du CPF, qui représente environ un cinquième des dépenses, un certain nombre de mesures de lutte contre la fraude, de sécurisation et de déréférencement d’organismes ont été prises. Des dispositions législatives figurent dans la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale qui sera discutée au Sénat le 8 décembre.

Le très large éventail de formations finançables rend incontestablement nécessaire une régulation, dont le principe a été introduit dans l’article 49 du projet de loi de finances, rattaché à la mission. Je soutiens ce principe et proposerai de le préciser par un amendement que nous examinerons tout à l’heure.

Par ailleurs, à travers le projet de loi de finances, l’État décharge France Compétences d’une bonne part de la contribution qu’elle lui verse au titre de la formation des demandeurs d’emploi. Comme l’a souligné la Cour des comptes, le niveau de cette contribution paraissait excessif, d’autant que les dotations du plan d’investissement dans les compétences, qu’elle vient abonder, ne sont que partiellement consommées et font l’objet de reports importants.

Une subvention à France Compétences d’un montant de 1,7 milliard d’euros est inscrite d’emblée dans les crédits de la mission. De ce point de vue, le PLF pour 2023 m’apparaît plus sincère que celui de 2022, qui passait totalement sous silence ce déficit.

L’ensemble de ces mesures atténuent la contrainte financière sur France Compétences, sans pour autant assurer, nous le savons bien, son équilibre financier.

Une révision des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage est intervenue en septembre dernier, pour des économies évaluées à 200 millions d’euros en 2023. Une autre révision doit intervenir en avril 2023. Au-delà, il faudra sans doute définir des priorités en termes de niveau de soutien selon les différents types de structures et de formations.

L’image de l’apprentissage s’est profondément transformée ; c’est un acquis majeur de la réforme qu’il faut préserver. Mais il est maintenant indispensable que l’État, en lien avec les partenaires sociaux, définisse une trajectoire soutenable pour le financement de la formation professionnelle et de l’apprentissage, sans casser la dynamique en cours.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances vous propose donc, mes chers collègues, comme l’a indiqué avant moi notre collègue Daniel Breuiller, d’adopter les crédits de la mission « Travail et emploi » pour 2023. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.  M. Marc Laménie applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Frédérique Puissat, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, pour 2023, la mission « Travail et emploi » se caractérise par une progression considérable de ses crédits – +42 % – et par de nombreuses incertitudes. Nous devons nous prononcer alors que de nombreux changements sont attendus en 2023 : lancement de France Travail, redéfinition des aides à l’apprentissage, fin attendue du plan d’investissement dans les compétences (PIC), financement toujours incertain de France Compétences…

Dans ce contexte, la commission des affaires sociales propose de diminuer les crédits de cette mission sur deux postes de dépense : la subvention à France Compétences et le PIC.

Si l’on veut continuer de développer l’apprentissage et la formation professionnelle, il est urgent de sécuriser leur financement. Or, à ce stade, aucune réponse pérenne n’est apportée au déséquilibre financier de France Compétences. L’établissement accumule les déficits, alors même qu’il va recevoir 4 milliards d’euros de subventions en 2022 et qu’une enveloppe de 1,6 milliard d’euros est prévue pour 2023. Il est urgent de régler cette situation, aujourd’hui insoutenable. De premières mesures de régulation des dépenses sont engagées, mais il faut aller plus loin. Nous proposons à cet égard d’instituer un plafonnement de la prise en charge par le CPF du coût de certaines formations.

Dans cette logique, la commission propose de diminuer de 300 millions d’euros la subvention à France Compétences, la contrepartie étant une plus forte régulation des dépenses d’apprentissage et du CPF ainsi qu’une réduction plus significative de la contribution de France Compétences au PIC.

Concernant le PIC, prolongé jusqu’en 2023, nous pensons que l’année prochaine devrait être marquée par une revue des dispositifs financés par ce plan, afin d’évaluer l’opportunité de maintenir leur financement. À ce stade, les annonces du Gouvernement n’ont pas apporté de précisions sur l’avenir de ces dispositifs, ni même sur la fin effective du PIC. Sans affecter le développement de la formation dans les régions, il nous semble qu’une telle évaluation doit être rapidement engagée, et que les moyens du PIC doivent correspondre à ceux d’une dernière année d’exécution.

Considérant que ce plan doit prendre fin prochainement, que sa contribution directe à la formation et à l’insertion n’est pas mesurée, et que son pilotage n’est toujours pas satisfaisant, nous proposons de diminuer les moyens du PIC de 500 millions d’euros en autorisations d’engagement.

Si nous nous réjouissons de la diminution des dépenses d’allocation de solidarité pour les demandeurs d’emploi, signe d’une conjoncture favorable, nous n’observons pas de corrélation dans les moyens alloués à Pôle emploi, qui, eux, progressent de 17 %. Il faudra, sans tarder, évaluer la pertinence du maintien des effectifs de Pôle emploi qui avaient été accordés à titre exceptionnel lors de la crise sanitaire.

En matière d’insertion dans l’emploi, la réduction des objectifs d’entrées en contrat aidé et en emploi franc paraît adaptée à l’amélioration de la situation de l’emploi. La trajectoire de montée en charge du contrat d’engagement jeune est également cohérente. Il faudra mesurer les effets de ces dispositifs sur l’insertion dans l’emploi durable, en particulier dans le cadre de la mise en place de France Travail.

Sous réserve de ces observations, la commission a donné un avis favorable sur l’adoption des crédits de la mission et aux articles qui lui sont rattachés.

Vous l’aurez noté, monsieur le président, mes trois minutes d’intervention peuvent rapporter gros au budget de l’État ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. D’autant qu’il vous restait encore dix secondes, madame Puissat… (Nouveaux sourires.)

Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de quinze minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Bernard Jomier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Bernard Jomier. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le budget de la mission « Travail et emploi » pour 2023 s’élève à 20,9 milliards d’euros.

Si la progression de ce budget par rapport à 2022 semble importante, il convient de la relativiser.

D’une part, ces chiffres sont le résultat d’une plus grande compensation des exonérations de cotisations sociales, lesquelles représentent à présent un quart des crédits de la mission.

D’autre part, cette hausse affichée des crédits résulte de changements de périmètres, certains dispositifs étant financés l’an prochain par le budget du ministère du travail, après avoir été pris en charge jusqu’à la fin de 2022 par les crédits du plan de relance.

Au final, à bien y regarder, l’exercice 2023 débutera avec un niveau de crédits proche de celui de l’an dernier, et l’avenir n’est pas franchement rieur, puisque le Gouvernement a déjà acté une baisse importante du budget de la mission pour 2024 et 2025.

Il ne s’agit évidemment pas de nier que le taux de chômage s’élevait à 7,4 % à la fin du deuxième trimestre. Mais nous voulons rappeler que l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) prévoit une remontée du nombre de demandeurs d’emploi en 2023 et en 2024. Nous gardons surtout à l’esprit que nos concitoyens les plus éloignés du marché du travail sont ceux pour qui les freins préalables au retour à l’emploi sont les plus nombreux. Il est donc indispensable que les politiques publiques soient adaptées pour mieux prendre en charge ceux pour qui les obstacles semblent parfois insurmontables.

Il y aurait beaucoup à dire sur notre marché du travail. Tout d’abord parce que nous avons eu la confirmation, la semaine dernière, dans le rapport annuel de Proxinvest, que les rémunérations des dirigeants des 120 plus grandes sociétés cotées ont augmenté en moyenne de 22 % par rapport à 2019, portant la rémunération moyenne à 4,5 millions d’euros, record historique depuis quinze ans.

Quasiment le même jour, vous nous présentiez, monsieur le ministre du travail, les nouvelles règles de l’assurance chômage, de nouveau en défaveur des plus fragiles et des seniors.

Je rappelle tout de même que seuls 55 % des 55-64 ans travaillent dans notre pays, et que ce taux d’emploi reste de six points inférieur à la moyenne des pays européens.

Malgré ces constats largement partagés, le Gouvernement a choisi de réduire de 25 % la durée d’indemnisation pour tous les salariés en fin d’indemnisation nouvellement inscrits à Pôle emploi à compter du 1er février prochain. De 3 à 4 milliards d’euros d’économies seront ainsi réalisés au détriment des salariés et des chômeurs, ce qui n’est pas acceptable selon nous.

L’idée selon laquelle une baisse des droits des demandeurs d’emploi améliorerait leur entrée sur le marché du travail est un leurre. Les difficultés de recrutement actuelles viennent d’abord d’un déficit de compétences au regard des besoins des entreprises et des conditions de travail proposées. Nous ne pouvons l’ignorer.

Nous ne souscrivons pas à l’idée selon laquelle il faudrait donner toujours moins aux allocataires indemnisés par l’assurance chômage et affaiblir encore davantage le service public de l’emploi.

La réalité, aujourd’hui, c’est qu’il est toujours plus difficile d’obtenir un rendez-vous avec un conseiller Pôle emploi. Les délais sont d’autant plus importants que les horaires d’accueil sont réduits. On demande aux allocataires de se débrouiller seuls face à leur ordinateur, en somme de faire leurs démarches en ligne, ce qui occasionne de réelles difficultés pour nombre d’entre eux, car rien ne remplace un accueil physique par un professionnel formé et à l’écoute ! Le résultat, c’est qu’il n’y a jamais eu autant de contestations pour cause d’erreurs dans le calcul des indemnités notamment. Il n’y a jamais eu autant de conseillers agressés verbalement – ou pire –, tant les tensions sont importantes. Nous doutons que les choses aillent mieux avec la nouvelle réforme, qui va encore apporter de la complexité et accroître les incompréhensions.

J’entends le Gouvernement nous expliquer qu’il faudrait faire des économies… Nous lui répondons qu’un budget est constitué de dépenses, mais aussi de recettes, et que les choix opérés aujourd’hui sont avant tout politiques.

Depuis l’ouverture des débats sur le PLF, et auparavant sur le PLFSS, notre groupe a formulé de nombreuses propositions en matière de recettes. Malheureusement, le Gouvernement les rejette toutes.

Au final, qui sera impacté ? Toujours les mêmes, les plus fragiles, ceux qui subissent les contrats précaires et les périodes d’inactivité.

Je l’ai déjà mentionné : un quart des crédits de la mission se résument à des compensations d’exonérations de cotisations sociales. Nous pensons que leur impact mériterait d’être mieux évalué, d’autant que ces politiques s’inscrivent dans la durée. Ce désarmement fiscal n’est pas sans conséquence ; il coûte très cher, soit à la sécurité sociale, soit au budget de l’État…

S’agissant de l’insertion par l’activité économique, qui apporte une contribution réelle à l’insertion des personnes les plus éloignées de l’emploi, nous ferons des propositions. Si ce secteur a bénéficié d’un soutien au cours des dernières années, et qu’il emploie aujourd’hui près de 150 000 salariés, nous ne pouvons passer outre l’inquiétude des parties prenantes.

En raison de la hausse du Smic, sur lequel les rémunérations des bénéficiaires de l’IAE sont indexées, on peut craindre qu’à enveloppe constante, le nombre de postes finançables soit moindre, ce qui remettrait en cause l’élan constaté. Le secteur regroupe par ailleurs des structures de statuts différents – entreprises intermédiaires, associations intermédiaires, ateliers et chantiers d’insertion – présentant de forts écarts en matière d’aides au poste. Les acteurs de l’IAE soulignent un certain manque de visibilité pour 2023 dû aux incertitudes sur la répartition territoriale de l’enveloppe entre les différents types de structures, alors même que le coût des contrats sera plus élevé qu’en 2022.

Concernant France Compétences, je rappelle que la commission des affaires sociales a adopté, au mois de juin dernier, un rapport très complet, intitulé France Compétences face à une crise de croissance, dont Corinne Féret était corapporteure aux côtés de Frédérique Puissat et de Martin Lévrier. Nos collègues avaient formulé quarante propositions pour une meilleure régulation, tant du CPF que de l’apprentissage.

Là encore, personne ne peut ignorer que, dès 2020, France Compétences s’est trouvée dans une situation financière très déséquilibrée, occasionnant un important déficit. Celui-ci a des causes structurelles, dont les conséquences auraient dû être mieux anticipées. En pratique, les deux principaux dispositifs financés par France Compétences, l’apprentissage et le CPF, constituent des enveloppes ouvertes.

Ainsi, le nombre de places en centres de formation d’apprentis (CFA) n’est plus contingenté, chaque contrat d’apprentissage ouvrant droit à une prise en charge sur les fonds de France Compétences. Quant aux droits à la formation professionnelle, désormais monétisés, ils peuvent être directement mobilisés par les titulaires du CPF, avec tous les excès dont nous discuterons prochainement, dans le cadre de l’examen d’une proposition de loi.

Pour faire face, des subventions au titre du soutien à la trésorerie de France Compétences sont inscrites au budget pour 2023. Nous avions déjà, cet été, lors du vote de la loi de finances rectificative pour 2022, acté un soutien à cette instance, encore renforcé ce mois-ci par une nouvelle subvention de l’État à hauteur de 2 milliards d’euros.

Globalement, rien ne pourra se faire sans une plus grande responsabilisation et mobilisation des acteurs de la formation professionnelle et de l’apprentissage, ce qui passe par un dialogue renforcé avec les branches professionnelles et les partenaires sociaux. Il n’appartient ni au Parlement ni au pouvoir réglementaire de se substituer à ces derniers et de faire passer en force les réformes, aussi nécessaires soient-elles.

Je terminerai en soulignant que l’examen de cette mission intervient dans un contexte de préfiguration, encore très floue, de la réforme du service public du travail, avec la création de France Travail, censée devenir le pendant de France Compétences. Compte tenu de la situation de cette instance de gouvernance nationale, nous émettons des craintes et réaffirmons notre souhait d’une meilleure coordination des acteurs de l’emploi sur le terrain, pour mieux identifier les personnes nécessitant un accompagnement, mieux orienter, mieux partager les données et assurer un meilleur suivi.

Vous vous en doutez, mes chers collègues, dans la mesure où ce budget acte une réduction des dépenses du programme 102, dans la mesure où le compte n’y est pas davantage pour la jeunesse, notre groupe, plus que jamais opposé à toutes les coupes budgétaires et à tous ces dispositifs et contrats dont vous vantez les mérites – vous les dites fondés sur « des droits et des devoirs » alors qu’ils procèdent d’une volonté unilatérale de l’État –, n’approuvera pas les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)