Mme le président. La parole est à M. Daniel Breuiller.

M. Daniel Breuiller. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens pour commencer à saluer, comme l’ont fait les orateurs qui m’ont précédé, les travaux de la mission d’information relative à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales lancée sous l’impulsion de Jean-François Husson et de Claude Raynal. Je vous remercie également, mes chers collègues, pour ce débat en séance publique.

Si le groupe écologiste a voté les recommandations de ce rapport – ce n’est pas si fréquent –, c’est qu’il répond aux enjeux du civisme, de la dissuasion et de la répression. À cette fin, évidemment, il faut en premier lieu une véritable volonté politique. Le Gouvernement veut-il se donner les moyens de lutter plus vigoureusement contre la fraude et l’évasion fiscales ?

La réponse réside sans doute en partie dans le fameux « en même temps » jupitérien : si des avancées majeures sont à noter, subsistent néanmoins des ambiguïtés idéologiques et des mesures pensées, sans doute, pour ne pas trop effrayer les milliardaires et les champions du CAC 40. En d’autres termes, on observe, d’un côté, une attitude dure avec les fraudes des pauvres et, de l’autre, une attitude parfois plus conciliante, au nom de l’efficacité et de la rapidité des procédures – c’est ainsi que vous l’avez justifiée, monsieur le ministre –, avec la fraude des multinationales ou des plus riches.

Le sujet est difficile, car la marge est étroite entre la fraude fiscale et l’évasion fiscale ; dans cette marge grandissent les populismes.

Je pense notamment au président Macron faisant le choix de l’opacité lorsqu’il défend, en 2021, la « clause de sauvegarde », qui empêche la publication d’informations indispensables pour lutter contre l’évasion fiscale.

Je pense aussi – vous venez d’en parler – au choix de la France, lorsque Joe Biden propose une imposition minimale à hauteur de 21 % des 7 000 ou 8 000 plus grandes entreprises du monde, de se ranger plutôt, dans un premier temps, du côté de l’Irlande, qui ne compte pas vraiment parmi les pays les plus allants en la matière…

En décembre, l’Europe est parvenue à un accord, adoptant un impôt minimum global au taux de 15 %. C’est une victoire, vous venez de le souligner, et nous ne la boudons pas, mais ce n’est pas assez.

Selon nous, en effet, il reste injuste, et même inacceptable, de taxer moins les multinationales que des TPE et des PME. Ces écarts nourrissent un sentiment d’injustice.

Il est indispensable d’amplifier les actions menées contre l’opacification des flux financiers mise en lumière, entre autres, par les affaires des Pandora Papers, des Panama Papers ou des CumEx Files.

Il est indispensable de doubler le nombre d’officiers fiscaux judiciaires, comme cela est préconisé dans le rapport de la mission d’information, et de leur donner les moyens de traiter aussi la fraude à la TVA. Au passage, chacun des postes créés génère des recettes bien supérieures aux coûts salariaux afférents, ce qui démontre tout l’intérêt du service public. Ne nous en privons pas ! Là où il y a une volonté d’agir, il y a des résultats.

Pendant les derniers débats budgétaires, monsieur le ministre, vous n’avez cessé, sur tous les sujets, d’opposer à nos propositions un sempiternel « combien ça coûte ? ». Mais demandons-nous aussi un instant combien cela coûte de ne pas se donner les moyens de mieux lutter contre la fraude et l’évasion fiscales !

Le coût de la fraude à la TVA est estimé à 20 milliards ou 25 milliards d’euros par an par l’Insee, qui montre également que les pertes de recettes globales dues au non-respect des droits fiscaux seraient de l’ordre de 80 milliards à 100 milliards d’euros par an.

Au niveau européen, on estime que plus de 7 900 milliards d’euros d’avoirs sont cachés dans des places offshore, échappant à l’impôt du pays d’origine. C’est près de dix fois le montant du plan de relance européen ! C’est vertigineux.

Ne faut-il pas y voir la conséquence d’une attitude qui, consistant à répéter inlassablement qu’il y a trop d’impôts, finit par accréditer l’idée que l’impôt n’est pas une ardente nécessité ? De l’optimisation fiscale à la fraude fiscale, la marge est parfois ténue. Cela engendre une délinquance qui se croit au-dessus des lois, au-dessus des droits, au-dessus du pacte républicain et du contrat social.

Ces fraudeurs font baisser les recettes publiques, diminuant les capacités de l’État à financer des politiques publiques ambitieuses indispensables au quotidien des Français ou à la si nécessaire transition écologique, mais aussi, tout simplement, à équilibrer les comptes publics.

M. le ministre Le Maire nous a assuré qu’il serait « intraitable avec ceux qui ont triché ». Tant mieux ! Car les personnalités mises en cause par les Pandora Papers sont des gens de pouvoir : anciens dirigeants, élus, familles royales, milliardaires. Flanqués d’armées de juristes, ils maîtrisent les lois, s’en exonèrent et profitent de l’opacité du système financier international.

Il est donc urgent, au niveau national, de renforcer encore davantage les moyens de l’administration fiscale et, au niveau européen, d’étendre la liste des paradis fiscaux en y incluant tous les pays impliqués dans les Pandora Papers. Le travail de la commission des finances représente à cet égard un point d’appui utile, et le Gouvernement gagnerait, ou plutôt gagnera, à l’intégrer pleinement.

Quelques mots en guise de conclusion : vive le journalisme d’investigation, la presse libre et les lanceurs d’alerte ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Je rejoins le sénateur Breuiller lorsqu’il dit qu’il faut lutter contre toutes les fraudes et se garder d’être fort avec les faibles et faible avec les forts. Toutes les fraudes doivent être poursuivies et sanctionnées, tous les impayés recouvrés.

Je vous livre un chiffre important : 40 % du montant total des fraudes recouvrées par la DGFiP chaque année est issu des enquêtes de la DVNI, cette direction que j’ai citée voilà quelques instants à propos de l’affaire McDonald’s et qui enquête sur les très grandes entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 400 millions d’euros.

On voit combien est importante la part des très grandes entreprises dans les montants recouvrés par la DGFiP chaque année.

N’opposons pas une fraude à une autre : je l’ai dit, toutes les fraudes doivent être combattues. Parfois, dans le débat politique, on peut avoir le sentiment que certains portent leur regard sur la seule fraude fiscale, quand d’autres ne considèrent que la fraude sociale, dans une logique de stigmatisation. Telle n’est pas du tout ma position : mon souhait est que nous luttions contre toutes les fraudes, fiscale, sociale, douanière, sans stigmatisation, sans instrumentalisation, en ayant simplement à cœur de renforcer notre cohésion et notre pacte social. C’est ce que les Français attendent de nous.

Mme le président. La parole est à M. Didier Rambaud. (M. Julien Bargeton applaudit.)

M. Didier Rambaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la fraude fiscale consiste à échapper ou à tenter d’échapper à l’impôt, par tout moyen. C’est le détournement illégal d’un système fiscal. Un peu plus de quatre ans après l’adoption de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, nous pouvons affirmer que, depuis 2017, notre pays a considérablement progressé en la matière.

Je commencerai par évoquer, de ce point de vue, la réforme de ce que l’on désigne comme le verrou de Bercy. Antérieurement seule habilitée à engager les poursuites en cas d’infraction de fraude fiscale, l’administration fiscale est désormais tenue d’informer le procureur de la République, qui décide seul de l’opportunité de poursuites pénales, dans le cas où le montant des droits fraudés est au moins égal à 100 000 euros.

De surcroît, la coopération entre les services de Bercy et la justice a été renforcée. Par exemple, les dossiers des personnalités enregistrées à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique peuvent être transmis au parquet, sous certaines conditions, lorsque le montant des droits fraudés est au moins égal à 50 000 euros.

Par ailleurs, les agents de l’administration fiscale ne sont plus tenus au secret à l’égard du parquet, même pour des dossiers ne faisant pas l’objet d’une transmission. Une telle réforme permet aujourd’hui de constater qu’une action conjointe des services de la justice et de Bercy, moderne et efficace, est possible. C’est l’occasion de saluer le travail réalisé par les femmes et les hommes de ces services.

De nouveaux outils ont également été votés en matière de lutte contre la fraude sociale, à l’image de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et de la convention judiciaire d’intérêt public. Rappelons, en outre, que la liste des paradis fiscaux dressée par l’Union européenne a été transposée en droit français.

À l’échelle internationale, l’extension du projet de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, mené sous l’égide de l’OCDE, doit également être soulignée. La quinzième et dernière action du projet consistait en l’élaboration d’une convention multilatérale, outil juridique innovant qui fait gagner du temps puisqu’il permet d’aménager automatiquement l’ensemble des conventions liant les États. Autrement dit, la convention multilatérale ne se substitue pas aux conventions bilatérales, mais elle les modifie. Une fois encore, la France a été pionnière dans la mise en œuvre de cette convention, grâce à l’impulsion donnée par la majorité présidentielle.

Force est de constater qu’en matière de lutte contre la fraude sociale et l’évasion fiscale les gouvernements successifs, depuis 2017, agissent. En 2020, M. le ministre le confirmera, l’État a récupéré près de 7,8 milliards d’euros grâce aux contrôles effectués dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale.

C’est la raison pour laquelle la mission d’information conduite par M. le président de la commission des finances et par M. le rapporteur général ne conclut pas à la nécessité d’une « révolution fiscale », mais préconise plutôt un certain nombre d’ajustements et d’évolutions. Une telle conclusion atteste qu’il existe d’ores et déjà, à ce jour, des dispositifs efficaces pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. Est-ce pour autant suffisant ? Bien évidemment, non !

Paradise Papers, Panama Papers, LuxLeaks, SwissLeaks, voilà autant d’exemples qui démontrent que, en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, des progrès peuvent indéniablement être réalisés.

À cet égard, certaines recommandations du rapport d’information semblent pertinentes, à commencer par l’augmentation du nombre d’officiers fiscaux judiciaires jusqu’à leur doublement à l’horizon de cinq ans. Le service d’enquêtes judiciaires des finances ne dispose à l’heure actuelle que de 40 officiers fiscaux judiciaires alors qu’il a été saisi de 169 affaires de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale.

Pour ce qui est de la fraude à la TVA, sujet complexe – nous le savons tous, il s’agit d’un gisement important de ressources budgétaires –, nous pourrions envisager de permettre aux agents des douanes de sanctionner directement ce type de fraude dans le cadre du dédouanement à l’importation, via la création d’un délit douanier spécifique dans le code des douanes.

Enfin, parce que les montages fiscaux complexes sont réalisés en tenant compte des différences juridiques d’un pays à l’autre, les solutions les plus efficaces exigent d’être conçues à l’échelle internationale. Pourquoi ne pas envisager une réflexion sur la création d’un dispositif de name and shame envers les pays qui ne jouent pas le jeu de la coopération en matière d’échange d’informations, en complément des listes européennes ?

La complexité de la fiscalité internationale requiert en effet des efforts concertés pour avancer, notamment à l’échelle européenne. C’est bien en ce sens que la France doit continuer d’être moteur et force de proposition, comme elle sait l’être depuis 2017, avec l’objectif de renforcer la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Je remercie le sénateur Rambaud d’avoir rappelé tous les apports majeurs de la loi de 2018 en matière de lutte contre la fraude : il y a un avant et un après concernant les outils, les moyens et les résultats.

Je salue aussi le fait qu’il ait mentionné l’enjeu essentiel de la communication et du partenariat entre les services fiscaux et le monde économique, c’est-à-dire les entreprises.

Je donne un chiffre : 20 000 rescrits sont transmis chaque année par l’administration fiscale aux entreprises, avec, dans l’écrasante majorité des cas, un délai de transmission de moins de trois mois, et un taux de satisfaction des entreprises de 95 % quant à leur confiance dans les services de la DGFiP. Ces données sont extrêmement positives.

Vous avez également mentionné les outils nouveaux qui ont été créés par la loi de 2018, dans le domaine du numérique notamment. Il en est un que l’on cite souvent – ce fut le cas notamment pendant les débats budgétaires –, le web scraping. Sur ce sujet, je proposerai à un groupe de travail incluant les parlementaires d’analyser les résultats issus de l’expérimentation avant de statuer sur une éventuelle généralisation.

Nombre d’efforts et de progrès ont été réalisés grâce aux outils numériques à la suite de la réforme de 2018. Dans un certain nombre de cas, nous avons procédé par expérimentation ; il nous faut maintenant poser la question de savoir lesquels de ces outils nous décidons de généraliser ; je sais, monsieur le sénateur Rambaud, que vous serez au rendez-vous pour y travailler avec nous.

Mme le président. La parole est à M. Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite, au nom de mon groupe, remercier la commission des finances, son président, Claude Raynal, et son rapporteur général, Jean-François Husson, ainsi que les membres de cette mission d’information relative à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, pour le travail technique d’évaluation qui a été conduit.

Ma conviction est que les préconisations qui sont émises dans ce rapport peuvent utilement aider les législateurs que nous sommes à faire évoluer la portée et l’efficacité des dispositifs de lutte contre la fraude.

En la matière, il me semble que la prudence ne doit pas entraver l’ambition, car, au-delà des milliards d’euros de recettes récupérées par l’État, la lutte efficace contre l’évasion et la fraude fiscales constitue un enjeu fondamental de justice sociale autant qu’un défi administratif et financier, recouvrant, de fait, des enjeux éthiques, politiques et démocratiques.

Je souscris sans réserve à l’ensemble des recommandations faites dans ce rapport, et singulièrement à celles qui sont relatives aux moyens techniques et budgétaires nécessaires pour mieux chiffrer et mieux appréhender l’ampleur de la fraude.

Au-delà de la complexité des montages et des schémas de dissimulation, il reste incompréhensible qu’en 2023 nos services ne parviennent toujours pas à savoir si le contrôle fiscal réussit à recouvrer 1 %, 10 %, 20 %, ou davantage, des montants fraudés.

Il est vrai, depuis vingt ans, la DGFiP est l’administration qui connaît les plus importantes baisses d’effectifs.

Je l’affirme donc : bien que relativement efficaces – nonobstant leurs ambiguïtés idéologiques et philosophiques, évoquées par l’un de mes collègues –, ni le data mining ni les nouveaux outils de ciblage ne remplaceront parfaitement, à mes yeux, le travail d’un enquêteur.

Je souhaite aussi profiter de cette tribune pour formuler un point d’alerte à l’adresse de notre assemblée. Au travers des évolutions législatives récentes en matière de contrôle fiscal, je crains en effet que nous n’encouragions une dérive de la philosophie même du contrôle, dérive consistant à requalifier ou à réapprécier les comportements de fraude pénalement répréhensibles en tant que simples « erreurs » ou « optimisations » pouvant faire l’objet, parfois dans l’opacité, de transactions ou d’arrangements de gré à gré, ce qui modifierait la nature même de ce contrôle.

Je pense ici, naturellement, au recours aux conventions judiciaires d’intérêt public pour les personnes morales et aux comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité pour les personnes privées.

Certes, le développement d’une logique préventive est louable, mais faire primer l’absolution des fraudeurs me paraît une voie glissante, donc dangereuse.

C’est la raison pour laquelle je reste particulièrement réservé quant à l’usage croissant des CJIP, qui permettent aux grandes entreprises d’échapper à une condamnation pénale. Initialement réservées aux faits de corruption, les CJIP ont été étendues en 2018 aux faits de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale, sans par ailleurs, et contrairement à ce qui se passe dans le cas des CRPC, que les condamnations soient inscrites au casier judiciaire.

Si je reconnais volontiers qu’un tel dispositif permet d’enregistrer des rentrées directes de recettes fiscales et d’éviter de longues procédures judiciaires, je dois avouer que la relative impunité pénale accordée à ces entreprises fraudeuses continue de me poser problème.

Dès lors que les justifications apportées à l’utilisation de la CJIP découlent, pour la plupart, du manque de moyens des différentes institutions concernées, je crois de bonne politique de renforcer les moyens humains et matériels de la justice et des services fiscaux et de simplifier les procédures.

En conclusion, je souhaite une nouvelle fois remercier notre président et notre rapporteur général pour la richesse des conclusions de cette mission ; je souhaite ardemment qu’elles inspirent le Gouvernement dans l’effort d’amélioration de notre arsenal législatif et qu’elles nourrissent les propositions de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur Lurel, l’enjeu de la réforme de 2018, il faut le rappeler, c’est précisément que davantage de dossiers soient transmis à la justice. J’ai entendu, dans votre intervention, s’exprimer la crainte que certains dossiers de fraude n’échappent à l’examen de la justice, alors que celui-ci serait justifié.

Je le répète, le fait d’avoir fait sauter le verrou de Bercy vise précisément à transmettre davantage de dossiers à la justice en nous rendant capables, notamment, de distinguer les fraudes d’un montant important, les fraudes « à enjeux », d’erreurs qui ne relèveraient pas de la fraude, et ce pour mieux sanctionner les premières. Mais je suis d’accord avec vous : l’enquête se doit d’être toujours véritablement exhaustive.

Je veux revenir sur les outils dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises, sur l’initiative du sénateur Bocquet notamment, et en particulier sur les conventions judiciaires d’intérêt public : ces conventions sont largement négociées par le PNF, puis homologuées et validées par le juge. Ces outils, qui permettent de recouvrer des créances fiscales de manière beaucoup plus rapide, mais surtout de manière certaine – nous retrouvons le débat que nous avions plus tôt –, sont donc bel et bien examinés et validés, in fine, par l’autorité judiciaire.

Mme le président. La parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Michel Canévet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste est particulièrement heureux du travail qui a été réalisé par la commission des finances autour du président Claude Raynal et du rapporteur général Jean-François Husson concernant la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, car ces sujets le préoccupent tout spécialement. Des amendements ont notamment été déposés en la matière, au fil des sessions et des textes, par notre collègue Nathalie Goulet, dont la persévérance n’est plus à démontrer ; mon collègue Alain Duffourg y est également très attentif, et notre groupe est particulièrement attaché à la mise en œuvre des valeurs d’équité et de transparence.

Le montant de la fraude fiscale a récemment été évalué par l’Insee, en décembre dernier, à 80 milliards d’euros environ, dont un quart correspondrait à la seule fraude à la TVA. Je ne reviendrai pas sur ce dernier point, notre collègue Sylvie Vermeillet l’ayant largement évoqué. Je veux simplement vous rendre attentifs, mes chers collègues, au développement considérable, dans notre pays, du commerce en ligne et du commerce à distance ; il faut redoubler de vigilance à cet égard. La commission des finances s’est rendue en particulier à Roissy, pour voir comment travaillent les douaniers : elle a pu constater qu’il leur fallait des moyens tant humains que techniques pour mieux appréhender la nature des colis, éviter la fraude et, in fine, l’évasion fiscale.

Dans un contexte où les préoccupations budgétaires sont fortes, il importe que nous trouvions et mobilisions tous les outils permettant de renflouer les finances publiques, parmi lesquels, précisément, un effort accru de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, tout en évitant, autant que possible, de recourir à l’endettement.

La commission des finances a présenté, dans son rapport, une vingtaine de recommandations, qui ont été largement commentées par les orateurs précédents.

J’évoquerai, outre la question de la fraude à la TVA, celle des montages financiers complexes, qui doit retenir toute notre attention. Notre collègue Éric Bocquet l’a très savamment abordée ; son traitement requiert une coopération accrue avec les autorités douanières et financières des pays tiers, notamment européens, l’objectif étant de lutter efficacement contre l’évasion fiscale et de faire revenir tout le monde dans le droit chemin.

Il est un autre sujet auquel nous devons être attentifs, monsieur le ministre : celui de la connaissance de l’identité des bénéficiaires effectifs des sociétés. Un registre a été mis en place en 2017, il est rendu public depuis 2021. Je déplore, car c’est anormal, qu’à la faveur de la dématérialisation des formalités légales nous n’ayons plus accès, dorénavant, à ce registre des bénéficiaires effectifs des sociétés. Il paraîtrait logique que ce registre soit de nouveau consultable par chacun auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi).

J’ajoute – cette question figure dans le rapport – que la renégociation des conventions de coopération internationale doit pouvoir se faire ; en la matière, aucun tabou n’est de mise. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur Canévet, je veux revenir sur l’un des sujets que vous avez abordés, celui du commerce en ligne. Cela fait maintenant plusieurs années que ce secteur est en plein essor ; son chiffre d’affaires annuel a récemment dépassé les 130 milliards d’euros. On mesure l’enjeu essentiel qu’il y a à garantir notre capacité de recouvrer les montants dus, notamment en matière de TVA.

Des législations ont d’ores et déjà été adoptées, je pense évidemment au paquet TVA sur le commerce électronique, mis en œuvre à compter de juillet 2021. La véritable innovation est que les plateformes sont rendues redevables de la TVA pour certaines activités de vente à distance. Il s’agit bel et bien d’un outil utile. Pour preuve, un chiffre : entre juillet et décembre 2021, dans les premiers mois de la mise en œuvre de ce paquet TVA sur le commerce électronique, nous avons recouvré 700 millions d’euros via le guichet unique permettant aux plateformes de verser de manière simple la TVA qu’elles doivent à l’État.

Il faut évidemment continuer et aller plus loin ; des discussions et des négociations sont en cours au niveau européen pour garantir le bon encadrement fiscal de ces plateformes.

Mme le président. La parole est à M. Michel Canévet, pour la réplique.

M. Michel Canévet. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour ces explications sur le commerce en ligne. C’est très important ! Le groupe Union Centriste est bien sûr particulièrement attaché aux efforts réalisés en ce domaine. Nous voyons bien que, pour ce qui concerne la lutte contre la fraude fiscale, les résultats s’améliorent : nous réussissons à recouvrer davantage. Mais il faut intensifier ces efforts, en particulier, comme je l’ai dit, par des moyens humains obtenus par redéploiement au profit des missions de contrôle.

Dialoguant avec le service interrégional qui s’occupe du contrôle en Bretagne, j’ai pu constater qu’il travaillait de manière particulièrement efficace. Il faut continuer sur cette voie en dotant les services concernés des outils nécessaires à une meilleure appréhension des risques de fraude – je pense notamment au data mining.

Mme le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Mme Laure Darcos applaudit.)

M. Stéphane Le Rudulier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le thème de la lutte contre la fraude fiscale revient régulièrement dans le débat national, et pour cause : frauder, comme cela a été largement rappelé, c’est en quelque sorte refuser d’apporter sa contribution au financement des politiques publiques et à la solidarité nationale ; il y va du consentement à l’impôt.

On peut légitimement s’interroger sur le montant du manque à gagner pour l’État. Plusieurs estimations ont été faites ; on évoque souvent le chiffre, qui tourne en boucle, de 100 milliards d’euros de fraude fiscale. Ce chiffre a notamment été régulièrement avancé par le syndicat Solidaires finances publiques, étant entendu que le recouvrement d’un pareil montant permettrait sans nul doute de diminuer considérablement notre déficit structurel.

Seulement voilà, personne n’est en réalité capable de mesurer précisément le montant de la fraude fiscale, et ce chiffre est fortement sujet à caution. Ces 100 milliards d’euros allégués, en effet, ne concernent pas exclusivement la fraude fiscale au sens juridique du terme, mais correspondent à une extrapolation opérée à partir de l’ensemble des manquements fiscaux : ils incluent non seulement l’évasion fiscale et l’optimisation fiscale abusive, mais aussi les erreurs et les divergences d’appréciation entre l’administration fiscale et le contribuable.

D’autres évaluations, comme celle du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), nous indiquent qu’on serait plus vraisemblablement en réalité autour de 30 milliards à 40 milliards d’euros de « vraie » fraude fiscale au sens juridique du terme, ce qui est déjà considérable étant donné que les services fiscaux ne détectent qu’entre 5 % et 10 % de ces affaires.

Étonnamment, et malgré l’arsenal législatif et technologique renforcé ces dernières années – je pense au desserrement du verrou de Bercy ou à l’instauration, en 2024, de la facture électronique, qui contribuera sans doute largement à l’amoindrissement de la fraude à la TVA –, les résultats annuels sur les droits et pénalités mis en recouvrement et encaissés franchissent péniblement la barre des 10 milliards d’euros en 2021, preuve de l’efficacité toute relative de la seule coercition.

La France est le pays de l’OCDE où les prélèvements obligatoires sont les plus élevés. C’est un élément essentiel et peut-être trop souvent minoré lors de nos débats dans l’explication de la fraude fiscale. Si l’on se réfère à la courbe de Laffer, un accroissement des taux d’imposition se traduit au-delà d’un certain seuil par un amoindrissement des recettes fiscales. En clair, trop d’impôt tue l’impôt !

Un pays attractif et dynamique économiquement retient ses talents et ne les fait pas fuir ! Faire revenir des exilés politiques dans un pays d’origine suppose de garantir un changement de cadre politique garant de leur sécurité. Il en va de même pour l’exil fiscal : sans changement de cadre fiscal, il n’y a pas de retour possible.

Dans une économie mondialisée, dans un monde interconnecté, maintenir des prélèvements obligatoires records en se révoltant – à juste titre – contre la fraude et surtout l’évasion fiscale se révèle être une utopie dangereuse.

Aux États-Unis, en 2004 et 2005, sous l’administration Bush, années où les mesures de réduction d’impôt sont entrées en vigueur, les recettes fiscales du gouvernement ont augmenté de 8 % et de 9 %. La hausse s’est poursuivie en 2006, avec une augmentation de 10 % au premier semestre, alors que la croissance de l’économie a été de 3,9 % par an.

Au Royaume-Uni, la tranche marginale de l’impôt sur le revenu passa sous Margaret Thatcher de 83 % à 60 %, puis à 40 %, ce qui entraîna simultanément une hausse des recettes fiscales de plus de 1 milliard de livres sterling entre 1985 et 1986.

Si nous voulons faire reculer la fraude fiscale et augmenter les recettes fiscales, alors il faudra baisser les impôts, bien que cela paraisse intuitivement paradoxal ! Car, nous aurons beau débattre de tous les moyens normatifs, de tous les carcans, de toutes les armes possibles, la seule et meilleure façon de réduire la fraude fiscale consiste avant tout à baisser massivement les impôts et les charges, il n’y en a pas d’autre !

Encore une fois, la fraude fiscale est évidemment et bien sûr condamnable, parce qu’elle est le refus d’obéissance à une loi démocratique de la République. Elle doit être le combat de chaque instant et nous ne pouvons en aucun cas la défendre ici. Mais force est de constater que fraude fiscale résulte essentiellement, voire exclusivement, de l’asphyxie fiscale. Pour sept Français sur dix, le poids de la fiscalité est excessif.

Pour conclure j’aimerais citer Winston Churchill, qui disait ceci : « Une nation qui essaie de prospérer par l’impôt est comme un homme dans un seau qui essaie de se soulever par la poignée. » C’est peine perdue, alors changeons de logiciel et osons la liberté !