Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur Le Rudulier, je vous rejoins à propos de la nécessité d’alléger la pression fiscale qui pèse sur les particuliers et les entreprises. C’est la politique que nous menons depuis 2017. Nous sommes d’ailleurs parfois critiqués dans le débat, notamment en ce qui concerne la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et l’instauration de la flat tax.

Pour autant, les résultats de cette politique ont été visibles immédiatement, avec un nombre de retours en France de personnes assujetties à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) désormais supérieur au nombre des départs. C’est une première. Ce phénomène ne s’est pas démenti depuis. L’enjeu est donc bien réel.

Nous devons également garantir l’attractivité de notre pays au niveau des entreprises. Voilà pourquoi nous avons tenu, y compris lors de la dernière lecture du projet de loi de finances, à réintroduire la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui avait été rejetée par le Sénat. Il est en effet important de suivre la même logique que pour les particuliers en ce qui concerne les entreprises et le secteur industriel.

M. Michel Canévet. Et pour les finances publiques ?

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Pour les finances publiques, c’est aussi plus de recettes à la fin : si vous baissez les impôts, mais que plus de contribuables y sont assujettis, en volume, vous percevez davantage. C’est ce que nous avons constaté pour entreprises : nous collectons plus de recettes au titre de l’impôt sur les sociétés depuis que le taux est à 25 % qu’à l’époque où il était à 33 %, car la baisse de l’impôt a permis le développement de l’économie.

En revanche, je ne pense pas – mais telle n’était pas votre intention, je crois – que l’on puisse « excuser » la fraude au motif qu’il y aurait trop impôts. Heureusement, le Conseil constitutionnel veille : lorsqu’un impôt est considéré comme confiscatoire, il est aussitôt censuré. Quoi qu’il en soit, je suis d’accord avec vous : il est nécessaire de diminuer la pression fiscale dans notre pays. Nous continuons à travailler en ce sens, car la France reste le deuxième pays en matière de pression fiscale. C’est la raison pour laquelle je me suis opposé avec Bruno Le Maire à des propositions de création d’impôts même temporaires. Dès lors que l’état des finances publiques le permettra, nous poursuivrons cette politique de baisse de la pression fiscale.

Conclusion du débat

Mme le président. En conclusion du débat, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. J’ai déjà apporté beaucoup de réponses dans ce débat. Il existe une constance sénatoriale et, me semble-t-il, transpartisane sur le sujet de la lutte contre la fraude fiscale, comme en témoigne le rapport de la mission d’information. Celui-ci, d’une très grande qualité, s’inscrit dans la logique et dans la politique qui est la nôtre.

Nous tâcherons d’en suivre les préconisations, au-delà des mesures censurées par le Conseil constitutionnel dans le cadre du projet de loi de finances. Je le redis, mon intention est de construire dans les prochains mois avec les parlementaires une feuille de route pour lutter contre les fraudes fiscale, sociale et douanière. Je proposerai aux présidents des groupes des deux chambres de désigner un représentant pour travailler avec le Gouvernement, dans la logique des dialogues de Bercy. Je constate que M. le rapporteur général s’en réjouit d’ores et déjà… (Sourires.)

Je vous remercie de nouveau pour votre participation à ce débat et je me tiens à votre disposition pour travailler avec vous sur ces sujets.

Mme le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat a été de bonne tenue. J’en remercie évidemment chacun d’entre vous, même si nos discussions ont quelque peu dérapé à la toute fin sur la question de la baisse de l’impôt (Sourires.), mais c’est marginal par rapport à l’ensemble des interventions.

Sans prétendre faire une synthèse de tout ce qui a été dit, chacun faisant son miel de ce qu’il a pu entendre, je soulignerai l’intérêt de cette mission voulue par la commission des finances. Je remercie également certains de nos collègues non-membres de la commission des finances d’avoir participé à ce débat et d’avoir donné leur avis sur les sujets qui ressortaient de nos échanges.

Le premier axe, rappelé par plusieurs intervenants, c’est le sujet de l’évaluation de la fraude fiscale et des « zones de risque » dans ce domaine. C’est un exercice délicat, qui ne sera d’une certaine manière jamais totalement abouti, car les techniques de fraude évoluent au fur et à mesure. Néanmoins, en termes d’équité fiscale, il est indispensable de connaître l’ampleur des sommes qui sont soustraites à l’impôt pour avoir une approche la plus fine possible.

Le Gouvernement doit mettre des moyens pour réaliser davantage d’études sur le sujet. Pour sa part, la commission des finances s’est engagée depuis plusieurs années sur le sujet de la lutte contre la fraude à la TVA, avec des mesures concrètes qui ont été adoptées, notamment sur la responsabilité solidaire des plateformes en ligne pour le paiement de la TVA. Au départ, il n’a pas été évident de convaincre sur ce point, mais cela a produit ses effets. Il faut aller encore plus loin dans ce domaine en développant les partages d’informations entre les administrations publiques en matière de déclaration de TVA.

Un deuxième axe, qui a été mis en lumière par les travaux de la mission d’information et pour lequel nous attendons une implication du Gouvernement, car tout ne dépend pas du législateur, est l’approfondissement et la fluidification de la coopération entre l’administration fiscale et l’autorité judiciaire. Elle est bien meilleure aujourd’hui qu’elle n’a été dans le passé, mais il reste encore des progrès à accomplir.

Depuis la réforme du verrou de Bercy, davantage de dossiers de fraude fiscale sont traités par la justice. Or la question de la fraude fiscale n’est pas le sujet central pour notre justice : il faut donc une impulsion, mais aussi une formation des magistrats et des moyens dédiés pour que ce sujet, très technique, prenne toute sa place.

Par ailleurs, certains critiquent les instruments de justice négociée comme les conventions judiciaires d’intérêt public et les comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité, mais il me semble qu’il faut surtout déployer tous les moyens possibles pour permettre de faire revenir dans les caisses de l’État les sommes qui lui sont dues, sans oublier bien sûr la responsabilité pénale des fraudeurs lorsqu’elle est avérée.

Un troisième axe me semble résider dans les enjeux de coopération européenne et internationale. Ils sont évidemment très importants. La fraude peut démarrer par les logiciels de caisse non certifiés chez des petits commerçants, mais la plus difficile à combattre est celle qui implique des mouvements transfrontaliers et des intermédiaires financiers spécialisés dans ce type de montages, quand ce ne sont pas des États eux-mêmes qui se spécialisent dans ce domaine.

Il existe des circuits extraordinairement sophistiqués pour éluder l’impôt par le biais de montages offshore. Nous avons vu le sujet particulièrement complexe et, me semble-t-il, non résolu des CumEx Files. Un important effort doit être réalisé pour lutter contre ces montages et faire « rentrer dans le rang » les États qui ne coopèrent pas en matière d’échange d’informations fiscales.

Enfin, nous devons tous être attentifs à la conciliation entre respect des libertés individuelles et lutte contre la fraude, sans tomber dans l’excès de protection des fraudeurs. Les libertés individuelles ne sauraient être brandies pour échapper au contrôle fiscal.

L’accès à des données « librement accessibles » sur les réseaux sociaux, et non plus seulement à celles qui sont « publiquement accessibles » au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, permettrait des avancées concrètes.

Soyez sûr, monsieur le ministre, que la commission des finances du Sénat restera mobilisée sur ce sujet important, tant ces questions de fraude ou d’évasion fiscale sont insupportables pour nos concitoyens, comme tous les intervenants l’ont souligné à juste titre.

J’espère que le Gouvernement saura entendre les propositions du Sénat et trouver les moyens d’aller toujours plus loin sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – M. le rapporteur général applaudit également.)

Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)

PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

7

Politique du logement dans les outre-mer

Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation aux outre-mer, sur la politique du logement dans les outre-mer.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à M. le président de la délégation.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les besoins en logements dans les outre-mer sont criants. En 2021, notre délégation a consacré un rapport détaillé en écho au constat d’échec dressé par la Cour des comptes concernant le premier plan Logement outre-mer, dit Plom 1.

Face à la gravité de la crise du logement et pour contribuer à la réussite du Plom 2 du Gouvernement, notre délégation a procédé à un travail très approfondi de contrôle et de propositions sur cet aspect fondamental dans la vie quotidienne de nos concitoyens.

Le fort investissement de nos collègues rapporteurs dans ce travail les a conduits à élaborer un véritable programme d’actions pour « reconstruire cette politique ».

Leurs propositions sont articulées autour de trois axes majeurs.

Premièrement, il s’agit de refonder les cadres d’action de la politique du logement outre-mer pour la rendre plus efficiente.

Deuxièmement, il s’agit d’assurer un habitat pour toutes les populations dans leur diversité.

Troisièmement, il s’agit de faire de l’habitat ultramarin un modèle d’adaptation et d’innovation capable de répondre aux nouveaux défis de la politique du logement, en particulier à celui du vieillissement dans certains territoires et du réchauffement climatique.

Après le report de ce débat pour des raisons sanitaires il y a un an, nous nous félicitons de sa tenue, car le diagnostic est toujours d’actualité et la volonté de nos rapporteurs de rompre radicalement avec la « méthode descendante » qui a prévalu, au profit d’une approche territorialisée, fondée sur une évaluation fine des besoins exprimés par les collectivités elles-mêmes et dotée d’un pilotage permettant une meilleure coordination et concertation locales, apparaît toujours aussi pertinente.

Je souhaiterais insister sur quatre points.

Tout d’abord, il convient de diminuer le coût des opérations immobilières dans nos outre-mer en libérant notamment davantage de foncier aménagé, ce problème étant commun à l’ensemble des territoires.

Par ailleurs, le chantier de l’adaptation des normes doit être accéléré, l’inadaptation normative étant, là encore, un des facteurs du renchérissement des coûts. Un travail important reste à conduire avec la Commission européenne, nous le savons. Le travail mené par la Nouvelle-Calédonie est, de ce point de vue, précurseur et devrait servir de modèle. En octobre, vous nous aviez confirmé que votre objectif était bien de faire évoluer certaines normes européennes. Où en est-on aujourd’hui après la présidence française du Conseil de l’Union européenne et la présidence de la Conférence des présidents des régions ultrapériphériques (RUP) européennes en 2022 ?

Ensuite, on doit s’atteler à la résorption des habitats indignes de la République. Le nombre d’habitats indignes se chiffre à 110 000 dans les départements d’outre-mer et le phénomène est de plus en plus diffus. Les opérations d’autoconstruction et d’autoréhabilitation peuvent apporter des réponses. Pourtant, elles sont encore trop peu utilisées, notamment du fait du manque de soutien des assurances.

Enfin, il est nécessaire d’accélérer la construction de logements sociaux et très sociaux. Faut-il rappeler que seuls 15 % des ménages des départements et régions d’outre-mer (Drom) résident dans des logements sociaux, alors que 80 % d’entre eux sont éligibles au logement social et 70 % au logement très social ? Le Plom 2 fixait un objectif de 30 % de logements très sociaux.

Monsieur le ministre, où en sommes-nous à l’heure actuelle ? Quel bilan dresserez-vous du plan Logement outre-mer 2019-2022 ? Quelles initiatives avez-vous prises à la suite de vos rencontres avec les bailleurs sociaux et les acteurs majeurs que sont la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et Action Logement ? Quelles sont donc les perspectives pour les outre-mer en 2023 ?

Permettez-moi d’insister aussi sur la situation à Mayotte et en Guyane, car le manque de logements et la multiplication des bidonvilles ont d’innombrables répercussions, notamment sur la santé, l’éducation, l’environnement ou la sécurité de leurs populations.

Mes collègues compléteront ce court propos liminaire, mais, à nos yeux, le chantier du logement est prioritaire, immense et absolument vital pour nos outre-mer ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et SER. – Mme Marie Mercier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, au nom de la délégation aux outre-mer.

M. Guillaume Gontard, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le président Artano vous a présenté succinctement les axes majeurs du riche rapport de la délégation aux outre-mer La politique du logement dans les outre-mer.

Mes excellents corapporteurs, Micheline Jacques et Victorin Lurel, que je remercie de leur confiance pour m’avoir laissé m’exprimer au nom de la délégation, vous préciseront nos travaux et nos propositions sur les deux premières parties du rapport.

La première partie vise à refonder les cadres de la politique du logement outre-mer, qu’il s’agisse des financements, mais également du besoin de penser une politique plus adaptée à chaque territoire et plus en appui des collectivités locales.

La deuxième partie vise à faciliter l’accès des populations à un habitat décent, en diminuant le coût des opérations immobilières, notamment via une adaptation normative, mais aussi en résorbant l’habitat indigne, en réhabilitant le parc existant et en accélérant la construction de logements sociaux.

Pour ma part, je me concentrerai sur la troisième partie du rapport que j’ai plus directement pilotée. Au-delà des difficultés structurelles dont le constat est posé dans ce rapport, l’habitat dans les outre-mer peut être un modèle d’adaptation et d’innovation pour répondre aux nouveaux défis de la politique du logement, et ce pour trois raisons principales.

D’abord, les outre-mer sont de véritables laboratoires des évolutions des besoins de logement et des modes d’habitat. Ensuite, ils sont déjà un terrain d’expérimentation pour l’adaptation de dispositifs et de procédures innovants. Enfin, les outre-mer ont un formidable potentiel de systèmes constructifs locaux, adaptés aux nouveaux défis du logement, comme le réchauffement climatique, qu’il conviendrait surtout de mieux promouvoir et mutualiser.

Autrement dit, comment sortir de la standardisation de la production de logement et du tout béton ? Comment réduire les coûts de construction tout en améliorant la qualité ? Comment limiter la dépendance énergétique des logements et respecter les ambitions de la stratégie bas-carbone ? Comment renforcer la résilience du bâti face aux catastrophes naturelles ? Comment construire pour s’adapter aux évolutions démographiques, notamment au vieillissement et aux modes de vie tournés vers le plein air, tout cela en favorisant les économies locales ?

La bonne nouvelle, c’est que la réponse à tous ces défis est presque unique : développer une filière locale du bâtiment en s’appuyant sur le savoir-faire des architectes ultramarins, notamment sur la mémoire de l’habitat vernaculaire, sur les matériaux locaux et biosourcés – le bois, le bambou, la brique de terre compressée, etc. –, pour bâtir de nouvelles formes d’habitats légers, ouverts, moins gourmands en énergie et plus résilients face aux risques climatiques. À rebours de notre jacobinisme historique, l’enjeu est de s’adapter aux spécificités de chaque territoire ultramarin.

Cela passe naturellement par un assouplissement ou par une adaptation des normes en vigueur que le rapport détaille. Pour ne prendre qu’un exemple, il est indispensable de faciliter la certification des matériaux biosourcés venant des pays voisins de nos Drom pour leur permettre de raccourcir les circuits d’approvisionnement. Cela passe également par une meilleure utilisation des financements publics pour soutenir notamment des éco-quartiers.

Cela doit permettre de penser un habitat, notamment social, plus ouvert et inclusif, avec des espaces extérieurs et des espaces verts, favorisant une meilleure aération, une diminution des frais de climatisation et un mode de vie souvent plus collectif qu’en métropole, tourné vers l’extérieur.

S’agissant des risques sismiques et cycloniques, la problématique est grande. L’habitat léger est plus résilient face au risque sismique, l’habitat en béton plus résilient face au risque cyclonique. Pour concilier les deux et rester cohérent avec sa philosophie générale, le rapport suggère de favoriser l’habitat léger et de prévenir le risque cyclonique en prévoyant des pièces sécurisées dans les logements, ainsi que des refuges collectifs.

C’est donc une filière économique complète et totalement locale – architecture, matériaux majoritairement biosourcés, bureaux d’études, maîtrise d’œuvre, etc. – qu’il nous faut développer, une filière pourvoyeuse d’activité économique et d’emplois, une filière écologiquement beaucoup plus vertueuse, une filière permettant de bâtir mieux pour moins cher.

Pour ce faire, nous préconisons l’organisation d’assises pour la construction ultramarine, qui réuniraient l’ensemble des acteurs publics et privés et auraient notamment pour objet de valoriser les initiatives, les techniques, les matériaux et les expériences locales. L’objectif serait également de mutualiser les bonnes pratiques, les réussites et les retours d’expérience, ainsi que de proposer une révision des normes de construction, etc.

Faisons de nos territoires ultramarins un laboratoire de l’innovation écologique et sociale en matière de logement. Monsieur le ministre, nous n’attendons que votre signal ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.

Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis pour discuter d’un sujet important et dont les réponses ne sont toujours pas à la hauteur des besoins : le logement.

C’est un sujet qui nous concerne tous. Les demandes explosent, la précarité est grandissante, la population a besoin de compter sur une réelle politique du logement pour faire face à l’ensemble des enjeux. C’est d’autant plus vrai en outre-mer, où trop souvent les problématiques métropolitaines se trouvent exacerbées.

L’échec du premier plan Logement outre-mer, entre 2015 et 2019, témoigne d’une inefficacité du Gouvernement à apporter collectivement, avec tous les acteurs des territoires, des réponses locales et concrètes face à la diversité et à la spécificité de chaque territoire ultramarin. Apporter une réponse verticale n’a pas été la solution.

Le second plan Logement outre-mer, qui a été allongé d’un an afin de prendre en compte la crise sanitaire, a pour ambition d’agir avec tous les acteurs concernés par la politique du logement en outre-mer : les collectivités, les services déconcentrés, les bailleurs, les représentants de locataires et tant d’autres. Est-ce la réalité dans les faits ? La route est encore longue et les difficultés sont encore présentes.

Pour mémoire, 80 % de la population en outre-mer est éligible au logement social, alors que ce dernier constitue uniquement 18 % du parc immobilier. Ce taux d’éligibilité est supérieur à la moyenne nationale, qui tourne autour de 73 %.

Le vingt-septième rapport de la Fondation Abbé Pierre sur l’état du mal-logement revenait sur la situation en outre-mer. L’État n’est toujours pas au rendez-vous. « Plus un seul sans-abri », disait le Président de la République en 2017 : aujourd’hui, le nombre de sans domicile fixe explose, l’accès au logement n’est pas garanti pour tous, la pauvreté en outre-mer est deux à cinq fois plus élevée qu’en France métropolitaine.

Le droit de vivre dignement est condamné, c’est d’autant plus frappant à Mayotte et en Guyane. Les loyers sont chers, l’accès au logement devient difficile face à des revenus, là encore, inférieurs à la moyenne nationale. Il faut accompagner nos concitoyens ; on ne peut imaginer une politique du logement sans prendre en compte la détresse sociale.

Monsieur le ministre, il convient d’élaborer une réelle stratégie autour du logement, une stratégie efficace, efficiente pour répondre à ces problématiques, y compris en outre-mer. Les associations vous interpellent : il faudrait produire 15 000 logements par an pour répondre à la demande globale des territoires ultramarins. Aujourd’hui, nous n’arrivons guère à atteindre les 10 000 logements par an fixé par la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer.

L’habitat indigne représente 13 % du parc immobilier en outre-mer. Rien qu’à Mayotte, il y a autant de personnes vivant dans un bidonville que dans tout l’Hexagone.

L’habitat privé est également fortement dégradé, des moyens sont indispensables pour accompagner les réhabilitations et les opérations de désamiantage.

La rareté du foncier, le réchauffement climatique, la croissance démographique sont des enjeux centraux à intégrer pour permettre à chaque habitant d’outre-mer de vivre dignement.

La réponse à ces objectifs doit passer par des discussions et des échanges, en associant tous les acteurs liés à la politique du logement en outre-mer. Les territoires ultramarins font partie intégrante de la République et doivent être représentés dans chaque instance nationale, y compris pour les questions de logement. Les dispositifs existants doivent être plus lisibles, plus transparents, afin que chacun puisse accéder à ses droits concernant le logement, la propriété, les travaux…

Le développement de l’ingénierie locale, mais aussi l’accroissement de l’accompagnement de l’État sont essentiels. Il faut accompagner les collectivités territoriales en leur octroyant plus de moyens humains et financiers pour qu’elles puissent assurer leur mission de service public. L’accompagnement des bailleurs sociaux est également important pour protéger le parc social et les locataires, ainsi que pour développer l’offre.

J’espère fortement que ce débat et le travail engagé sur le sujet permettront d’avancer sur la politique du logement, en France métropolitaine et en outre-mer. Le conseil interministériel des outre-mer qui se tiendra au printemps prochain sera un moment décisif pour les territoires ultramarins. Nous espérons que les annonces seront à la hauteur des engagements pris par le Gouvernement, mais surtout à la hauteur des besoins, car la détresse est grande.

Monsieur le ministre, je termine en vous posant une question : parviendrez-vous à atteindre l’objectif de construction de 15 000 logements par an en outre-mer, malgré la baisse drastique des moyens alloués ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice, je partage votre analyse sur les besoins – on y reviendra tout au long de ce débat –, mais pas l’idée selon laquelle le Gouvernement est le seul responsable.

Nous sommes tous collectivement responsables !

Je rappelle d’ailleurs que, dans un certain nombre de territoires, le Gouvernement n’a aucune compétence en matière de logement – n’est-ce pas, monsieur Artano ? Nous en reparlerons également.

J’en viens à votre question, madame la sénatrice. Oui, nous devons changer. J’ai décidé de proposer non pas un Plom 3, mais un objectif Logement outre-mer pour la période à venir, territorialisé et signé cette fois par les collectivités locales, par les présidents d’association des maires, par les représentants des organismes HLM. Il nous faut changer de méthode. C’est pourquoi je propose cet objectif logement partagé avec tous les partenaires.

Cependant, un problème foncier et un problème de simplification se posent.

Dans le cadre du comité interministériel de l’outre-mer (Ciom), à la suite de l’appel de Fort-de-France et de la réunion organisée par le Président de la République le 7 septembre dernier, un certain nombre de données m’ont été transmises. Nous commençons à mettre en œuvre des mesures. Il faut bien calibrer notre action, car nous ne prendrons pas 500 mesures, mais seulement celles qui accroissent véritablement notre capacité à faire, ensemble, du logement.

Pour ce qui concerne le foncier, je le dis très simplement, les collectivités locales qui sont largement propriétaires de foncier disponible seront sollicitées, et fermement. Nous ferons du name and shame : nous désignerons les collectivités qui veulent construire du logement sans donner de foncier.

La situation ne date pas d’hier ; elle dure depuis quarante ans… Ce qui va changer, sous l’impulsion du Président de la République, c’est que nous allons agir ensemble.

M. le président. La parole est à Mme Nassimah Dindar.

Mme Nassimah Dindar. Vous venez de le dire, monsieur le ministre, le Plom 1 n’a pas tenu son objectif de construction et de réhabilitation de 10 000 logements par an. Malgré les outils mobilisés et les plans successifs, le constat est sans équivoque : le secteur du logement reste en crise dans l’ensemble des territoires ultramarins.

Nous n’avons pas encore le bilan détaillé du Plom 2 et nous souhaitons vivement en connaître les résultats concrets. Quant aux perspectives, vous venez de les indiquer, monsieur le ministre.

En clair, avons-nous vraiment reculé sur le nombre d’habitats indignes, encore trop important dans les Drom, alors même que l’insalubrité affecte la santé physique et mentale des publics vulnérables ? Je pense aux habitats infestés de moustiques, à l’épidémie de dengue qui sévit encore à La Réunion, à la déscolarisation précoce, à la précarisation des femmes battues qui ne trouvent pas de logement social alors qu’il est prévu qu’elles en bénéficient.

Quels sont les résultats en matière d’amélioration de l’habitat privé ? Entre le 1 % logement, MaPrimeRénov’ accordée par l’État et les aides régionales existantes – il y a donc des moyens financiers ! –, force est de constater que l’éparpillement des dispositifs freine leur mobilisation respective.

Autre point de vigilance : le vieillissement de la population ultramarine, particulièrement accéléré aux Antilles, nécessite un véritable plan stratégique, comme le préconise le rapport interministériel sur l’adaptation des logements, des villes, des mobilités des territoires à la transition démographique de Luc Broussy du mois de mai 2021.

En 2050, la Martinique sera le département le plus vieux de France. Face à ce scénario catastrophe, ce plan doit être élargi aux autres territoires également touchés par la transition démographique, comme La Réunion, qui comptera 1 million d’habitants avant 2030, et Mayotte.

Pour ce qui concerne la jeunesse, tous les acteurs, notamment les bailleurs sociaux, reconnaissent qu’elle a de plus en plus de mal à accéder à un logement. Qu’il soit jeune travailleur ou étudiant, le Domien a des difficultés pour se loger.

Je ne donnerai que ce chiffre : à La Réunion, le centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) dispose de 1 381 places d’hébergement pour 21 000 étudiants. Un tel constat n’est pas différent dans les autres départements ultramarins.

Vous avez raison, monsieur le ministre, ce n’est pas seulement « de la faute de » : l’incurie est collective. Par exemple, la réserve foncière n’a pas été mise en place. Nous le constatons, les défis sont nombreux et variés. Aussi plaidons-nous pour une plus grande territorialisation de la politique du logement, car il convient de mieux prendre en compte les particularités de chaque territoire pour mieux répondre aux attentes de nos concitoyens.

Cette territorialisation doit aussi passer par une meilleure représentation des outre-mer dans les instances nationales du logement. En effet, le ministère des outre-mer n’est membre ni du conseil d’administration de l’Agence nationale de l’habitat (Anah), laquelle n’est pas suffisamment mobilisée dans nos territoires, ni de celui de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) ; on peut s’interroger sur une telle absence, mes chers collègues…

Si nous voulons résorber les habitats indignes, si nous reconnaissons l’inadaptation normative dans le secteur du bâtiment, décriée depuis de nombreuses années comme étant l’un des facteurs du renchérissement des coûts de la construction, si nous reconnaissons l’exiguïté de la réserve foncière et le manque de financements du fonds régional d’aménagement foncier et urbain (Frafu), principal ou secondaire, nous savons aussi qu’aucune collectivité n’aura la réserve foncière, notamment dans les territoires où il y a des pentes, pour aménager ces terrains – je pense, par exemple, aux communes des Hauts, à La Réunion.

Reconnaissons, alors, qu’un véritable plan Marshall du logement outre-mer est nécessaire, bien plus qu’un Plom 3.

Au-delà de la ligne budgétaire unique (LBU), nous pourrions être de véritables laboratoires à ciel ouvert, car les outre-mer sont des terres d’innovation et d’expérimentation. Les grandes tendances de l’habitat de demain y sont déjà perceptibles et identifiées, avec l’utilisation du bambou et des galettes de chanvre pour la construction par exemple, ou encore du bois de goyavier et du cryptomeria à La Réunion et dans d’autres territoires. Quant à l’habitat local de type « bangas », présent à Mayotte, il a vocation à être amélioré.

Nous pourrions développer une filière de recherche et de développement de l’habitat innovant avec des nouveaux matériaux, ce qui constituerait un levier important permettant de mobiliser davantage de financements européens dédiés à l’innovation. Des lignes budgétaires européennes sont en effet largement sous-utilisées dans le secteur de l’habitat.

À cet égard, le chantier de la performance énergétique des bâtiments constituerait un test, comme vous le savez en tant qu’ancien président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), monsieur le ministre.

Dans le même ordre d’idées, on pourrait envisager de modifier la réglementation thermique, acoustique et aération (RTAA DOM), avec une obligation d’installer des panneaux en complément des chauffe-eau solaires, lesquels sont très présents à La Réunion, par exemple. Développer le photovoltaïque pour tendre, à terme, à l’autonomie énergétique dans l’ensemble de nos territoires me semble de bon aloi pour améliorer les trop nombreux habitats indignes. Le Sénat a d’ailleurs adopté un amendement qui vise à rendre de nouveau éligibles les installations de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil.

Pour ce qui concerne le plan de réhabilitation des logements sociaux anciens, malgré les moyens alloués par l’État, les bailleurs rencontrent de grandes difficultés financières pour répondre à leurs obligations.

Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, au cours des dernières décennies, nous ne sommes parvenus ni à traiter le mal-logement dans les outre-mer ni à corriger l’accroissement des disparités. En effet, les prix immobiliers ont doublé de manière disproportionnée par rapport aux niveaux de revenus. Il est de plus en plus difficile de devenir propriétaire lorsque l’on habite outre-mer.

En clair, tout cela dessine les contours de territoires inégalitaires sur le critère de la capacité à constituer un patrimoine et à accéder à un cadre de vie adapté aux aspirations et à la diversité des compositions familiales. La lutte contre le mal-logement et la politique du logement social demeurent donc un défi à relever pour l’ensemble de nos territoires, pour les maires qui doivent faire face à ce problème, et pour la population qui se sent oubliée.

Ces disparités fortes sur les marchés, aux conséquences directes sur la capacité d’accès au logement des ménages, posent également la question du creusement des inégalités. Les territoires ultramarins ont parfois l’impression d’être – j’y insiste – les grands oubliés de la politique nationale, alors même que des moyens financiers existent.

Les débats restent ouverts sur l’application de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU, et, plus encore, sur les moyens d’atteindre l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) dans les départements d’outre-mer.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je plaide, comme vous, pour une plus grande territorialisation de la politique du logement et pour un plan d’urgence, que je nommerai « plan Carenco », afin qu’aucun Domien ne soit laissé sur le bord du chemin.