Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous entamons la discussion de cette proposition de loi, due à l’initiative de Frédéric Descrozaille, dans une conjoncture marquée par le retour de l’inflation, ce qui nous place, en tant que législateurs, au centre des crispations entre les acteurs de chaîne de l’agroalimentaire, alors que des négociations commerciales sont en cours.

D’abord, il y a les consommateurs, que les distributeurs déclarent vouloir protéger contre l’inflation. C’est aujourd’hui la principale source d’inquiétude des Français. Cette inflation a d’ailleurs un double impact sur nos concitoyens : sur leur portefeuille, mais aussi sur leurs choix de consommation, donc sur l’amont. On assiste ainsi à une descente en gamme, avec une moindre consommation de produits frais et premium.

Le Gouvernement a fait beaucoup d’efforts pour contenir cette inflation. Elle est à 7 % en janvier, alors que la moyenne de la zone euro est plutôt à 8,5 %. On voit que le bouclier tarifaire et d’autres dispositifs ont porté leurs fruits.

Ensuite, il y a les industriels, qui font face aussi, depuis la reprise post-covid et le conflit ukrainien, à une explosion des coûts de fabrication.

Enfin, en amont, il y a ceux sans qui l’ensemble de l’aval ne pourrait pas fonctionner : je veux parler des producteurs et des agriculteurs, qui font face, eux, au renchérissement d’un certain nombre d’intrants et de l’énergie. Ils doivent en outre composer avec les enjeux liés aux changements climatiques et à la souveraineté alimentaire, ce qui nécessite investissements et ajustements. C’est pourquoi il est important de leur assurer une juste rémunération.

Voilà pour la conjoncture.

Ce texte répond par ailleurs à des problèmes structurels.

Le ministre et la rapporteure ont fait le même constat sur la dégradation des relations commerciales depuis quinze ans.

Ces relations commerciales révèlent des intérêts contradictoires, mais aussi une relation d’interdépendance très forte, ainsi que, en principe, une responsabilité réciproque. Je dis bien « en principe », car, lorsque des centaines de fournisseurs font face à un nombre très restreint d’acheteurs, qui se comptent sur les doigts des deux mains, on voit bien que l’équilibre ne s’établit pas naturellement.

J’ajoute que, depuis la loi de modernisation de l’économie, dite LME, de 2008, soit depuis quinze ans, une guerre des prix s’est installée, fragilisant nos commerces et nos agriculteurs par la destruction de valeur. Je rappelle que cette loi, dont le sigle LME a donné naissance à de nombreuses interprétations, rétablissait la liberté tarifaire sans supprimer les marges arrière, ce qui a permis des contournements de la loi sur la loyauté et l’équilibre des relations commerciales, dite Galland, laquelle imposait aux distributeurs de facturer de la même façon tous leurs fournisseurs.

Le quinquennat précédent a permis de rectifier ces déséquilibres au profit des agriculteurs, en premier lieu grâce aux lois Égalim 1 et 2, qui ont su mieux encadrer ces pratiques pour sécuriser l’avenir de nos filières agricoles et agroalimentaires. Au sein de notre groupe, au côté du président Patriat, Bernard Buis a été très attentif à ce travail parlementaire. Ce corpus législatif a permis d’imposer plus d’éthique dans la négociation, avec la non-négociabilité de la matière première agricole et les conventions écrites. Savez-vous qu’à une époque, certains faisaient signer des contrats sans que le fournisseur puisse repartir avec une copie ? Je tiens cela de Jean-Paul Charié…

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Cela ne date pas d’hier !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est vous dire d’où l’on vient et tout le travail d’encadrement qu’il a fallu mener.

Enfin, je n’oublie pas le SRP+10 et l’encadrement des promotions.

Le texte qui nous occupe aujourd’hui vise à ajuster, retoucher, clarifier Égalim 1 et 2 au regard des différentes évaluations qui ont été faites. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’Égalim 3 ; il s’agit plutôt d’Égalim 2+, qui tire les leçons des dernières années, avec notamment les ajustements sur les marques de distributeur et le DPH. Sur ce dernier point, monsieur le ministre, j’ai entendu vos réserves, mais j’estime moi aussi que le secteur des DPH fait figure de victime collatérale. Nous devons donc faire en sorte d’aider ces industriels à faire face à cette situation.

L’article 3 de la proposition de loi, qui vise la situation où il n’y aurait pas d’accord au 1er mars, a considérablement évolué entre la version d’origine de l’Assemblée nationale et ce qui est proposé par la commission des affaires économiques du Sénat. Notre rapporteure a proposé habilement d’ajuster par deux fois la rédaction de cet article pour prendre en compte dans le code de commerce les conditions économiques du marché et prévoir les voies et moyens nécessaires pour résorber les litiges qui pourraient subsister.

Je salue également l’encadrement des pénalités logistiques et les amendes administratives renforcées en cas de dépassement de la date butoir du 1er mars, qui constituent des apports pertinents.

Jusqu’à ce matin subsistait un point de blocage qui aurait pu nous conduire à nous abstenir, ce qui ne sera finalement pas le cas : je veux parler de la suspension du SRP majoré de 10 %, qui, pourtant, a permis de redonner 12 % d’excédent brut d’exploitation aux agriculteurs, chiffre attesté. Nous nous réjouissons que la commission ait pu ce matin adapter sa position initiale. Ainsi, l’ensemble de la cathédrale Égalim édifiée depuis 2017 pourra subsister avec cette pierre angulaire, dont l’expérimentation se poursuivra.

Pour conclure, je dirai que nos travaux de commission ont permis beaucoup d’avancées et je suis sûr que d’autres sont à venir dans la suite de la procédure législative, jusqu’à la commission mixte paritaire. Le groupe RDPI votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Mérillou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme la présidente de la commission des affaires économiques applaudit également.)

M. Serge Mérillou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation de l’agriculture française ne cesse de se dégrader ! Trop nombreux sont les agriculteurs qui ne parviennent pas à se payer décemment.

Cette proposition de loi s’éloigne toutefois de notre cœur de cible issu de l’esprit des lois Égalim, à savoir garantir la juste rémunération des agriculteurs. Ce texte se concentre sur les relations entre les distributeurs et les fournisseurs. On peut donc légitimement s’interroger sur les conséquences pour les agriculteurs, qui sont en amont de la chaîne.

Je crains que cette proposition de loi ne soit un énième essai, une nouvelle tentative face à l’inefficience des lois Égalim successives, en attendant une grande loi agricole censée, nous l’espérons, traiter les problématiques de fond.

Pour l’heure, les dispositifs adoptés ces dernières années ont abouti à des échecs. Les auteurs de ce texte, issus de la majorité présidentielle, font le constat que la crise ukrainienne et la covid-19 ont rendu impossible l’atteinte des objectifs contenus dans les deux premières lois.

Il faut l’admettre, ces événements n’ont pas aidé… Mais la conjoncture n’est pas la seule responsable de ce manque de résultats. Le groupe socialiste avait alerté le Gouvernement sur le manque d’ambition de ces textes au vu de la gravité de la situation de notre agriculture.

Notre priorité doit être de consolider notre modèle agricole, ainsi que les maillons qui constituent la chaîne de transformation et de distribution.

Redevenir une véritable puissance agricole, assurer à nos concitoyens une alimentation française de qualité, garantir notre souveraineté alimentaire : ces objectifs, nous les approuvons sur de nombreuses travées. Les atteindre n’est possible que grâce à un juste partage de la valeur.

Agriculteurs, transformateurs, distributeurs, tous doivent trouver leur compte dans les négociations commerciales. Pour ce faire, notre rôle de législateurs est de veiller à une régulation et à une transparence totale de ces dernières. En cela, je salue l’article 1er, qui vise à lutter contre les stratégies de contournement du droit par la grande distribution, laquelle constitue des centrales d’achat à l’étranger pour ne pas être soumise aux règles encadrant les négociations commerciales telles que les ont fixées les lois Égalim.

Comme l’a affirmé mon collègue député Gérard Leseul, notre rôle est de « corriger les dispositifs au fur et à mesure pour apporter un cadre qui permet de rééquilibrer ce qui est déséquilibré ».

En ce sens, mon groupe et moi-même sommes opposés aux intentions initiales de Mme la rapporteure à l’article 2. Bien que sceptiques sur les retombées concrètes du dispositif SRP+10 pour les revenus des producteurs, nous considérons qu’une suppression pure et simple sans autre option n’est ni une solution opportune ni un bon signal donné aux acteurs de la négociation.

Mes chers collègues, parce qu’elles sont, selon nous, un levier pertinent pour mieux rémunérer les agriculteurs dans les filières en difficulté, nous proposons de pérenniser les conventions interprofessionnelles alimentaires territoriales qui lient une coopérative ou une organisation de producteurs, un ou plusieurs transformateurs et un distributeur. Elles sont une alternative intéressante dans les filières peu allantes sur la contractualisation individuelle.

Nous défendrons donc un amendement visant à revenir à la rédaction votée à l’Assemblée nationale, sur la proposition de nos collègues socialistes.

En outre, nous proposons de rétablir le montant des taux de service mensuel pouvant donner lieu à des pénalités, mais à hauteur de 97 %.

Mes chers collègues, la discussion de ce texte est l’occasion de remettre l’agriculture au cœur du débat public. Notre modèle agricole est en grande difficulté. La concurrence, l’absence de clauses miroirs, le manque d’attractivité du secteur sont d’autant de facteurs qui plombent notre agriculture. Pourtant, les enjeux auxquels nous faisons face nous imposent de trouver des solutions rapides et efficaces qui permettent à la France de se doter d’un modèle agricole efficient:

Cette proposition de loi n’est qu’une goutte d’eau. Elle doit s’inscrire dans une réflexion plus large, une réforme globale de notre modèle agricole. Je souhaite qu’un texte permette un rééquilibrage des relations entre industriels et distributeurs et qu’il ait, par ruissellement, des répercussions sur les producteurs.

Après l’annonce par le Gouvernement d’une grande loi agricole dans les prochains mois, nous aurons, j’en suis convaincu, l’occasion de défendre la juste rémunération des agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en l’espace d’un an, l’inflation alimentaire a atteint des proportions sans précédent : 12 % de plus sur le panier de courses. Du jamais vu depuis les années 1980 !

Plusieurs facteurs expliquent cette inflation, à commencer par la situation internationale et les tensions qui la caractérisent : pandémie de covid-19, conséquences du réchauffement climatique sur les récoltes, agression de l’Ukraine par la Russie.

Pour la production agricole, les crises de grande ampleur s’enchaînent et affectent toute la chaîne de valeur. Le coût des intrants et des matières premières s’envole, les tensions pour l’approvisionnement sont grandes.

Du côté des entreprises agroalimentaires, la crise de l’énergie se répercute sur les coûts de production, dans un contexte où elles ne sont plus éligibles aux tarifs réglementés de vente.

Pour les consommateurs et les consommatrices, qui sont au bout de la chaîne, c’est l’asphyxie : +60 % sur une bouteille d’huile, +22 % pour la farine, +20 % sur le paquet de pâtes, +16 % sur la volaille. La vie est chère, le caddie a un coût de plus en plus élevé, mais les salaires et les pensions, eux, n’augmentent pas ! Quand on est mère ou père de famille, étudiante ou étudiant, retraité ou jeune actif, l’inflation est insupportable, et l’on redoute le passage en caisse.

Des produits plus chers, en moins grande quantité, ou tout simplement retirés du panier… Cette situation ne peut plus durer, et pas plus pour les consommateurs et les consommatrices que pour les agriculteurs et les agricultrices.

Mais il faut être honnête sur un point : il y a des intérêts inconciliables.

On ne peut pas, à la fois, faire baisser les prix pour les consommateurs, garantir des marges à la grande distribution, préserver des entreprises agroalimentaires intermédiaires, et assurer une juste rémunération aux producteurs et aux productrices. Aucun texte n’est capable de faire cela, parce que ce n’est pas possible !

L’intérêt des négociations commerciales – peu importe qui est autour de la table –, c’est d’avoir l’ascendant sur l’autre, de remporter l’avantage.

Il n’y a pas de consensus possible entre la grande distribution, qui cherche à maintenir ses profits, et des entreprises intermédiaires qui doivent amortir leurs coûts.

Il n’y a pas, dans ce système, de place pour le consommateur ou la consommatrice qui veut avoir accès à une alimentation de qualité à des prix raisonnables.

Il n’y a pas non plus de juste rémunération du producteur et de la productrice, parce que la grande distribution n’est pas là pour ça.

On peut souhaiter travailler sur un seuil de revente à perte, mais il faut alors en faire un outil concret, et conditionner son existence à une obligation de résultat et de transparence des marges.

Concrètement, il faut que ces 10 % fassent l’objet d’une évaluation, que l’on prouve qu’ils sont effectivement reversés aux producteurs et aux productrices. Si tel n’est pas le cas, si l’on établit que ces marges vont directement dans les poches de la grande distribution, alors ce mécanisme devra être supprimé. Telle est la condition claire que nous avons posée au travers d’un amendement à cette proposition de loi.

Il est important de comprendre ceci : nous ne faisons, avec ce texte, que corriger légèrement un système ne fonctionnant pas et ne pouvant pas fonctionner. Si nous avons l’objectif de mieux rémunérer nos agriculteurs et agricultrices, c’est une réforme en profondeur qu’il faut conduire.

J’aborderai, en premier lieu, la politique commerciale.

Quel est l’impact des traités de libre-échange sur nos producteurs et productrices ? J’entends souvent parler des exportations de la France prétendument permises par ces traités. Mais, concrètement, en termes de rémunération des filières françaises, sait-on mesurer la préférence du consommateur pour une viande moins chère venue de l’autre bout du monde ? Aucun bilan ne peut prouver que ces traités profitent aux producteurs et aux productrices ; pourtant, ils continuent d’être signés à tour de bras.

J’en viens, ensuite, à la commande publique.

Il y a eu quelques avancées dans la loi Égalim 2, notamment l’objectif de 50 % de produits durables et de qualité dans la restauration collective, dont 20 % de produits bio. Mais il nous faut aller plus loin : faisons des marchés publics le cœur d’une rémunération juste pour nos producteurs et productrices ; augmentons les seuils de la commande publique en circuits courts et en alimentation durable ; protégeons aussi nos agriculteurs et agricultrices des prédations de la grande distribution en imposant des prix planchers, avec un socle basé sur les coûts de production et un pourcentage en marge qui garantirait une rémunération minimale, quelle que soit la conjoncture.

Des solutions existent pour protéger les consommateurs et rémunérer justement nos agriculteurs, mais elles doivent passer par des politiques publiques qui encadrent fermement les négociations commerciales.

Cette proposition de loi ne permettant pas d’atteindre ces objectifs, mon groupe s’abstiendra.

Mme la présidente. La parole est à Mme Amel Gacquerre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme la rapporteure applaudit également.)

Mme Amel Gacquerre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2018 puis en 2021, nous avions posé les fondations de relations commerciales plus équilibrées entre producteurs, distributeurs et industriels afin que n’aient plus cours les pratiques de prédation de certains distributeurs au détriment de nos agriculteurs et de nos petites entreprises.

Les lois Égalim étaient fondées sur des principes initiaux salvateurs. Je reviens rapidement sur certains d’entre eux.

Égalim, c’est une meilleure répartition de la valeur entre les acteurs du secteur, une plus juste rémunération de nos agriculteurs et, enfin, l’annonce de la fin des relations particulièrement conflictuelles entre acteurs de la distribution et fournisseurs lors de l’exercice redouté des négociations commerciales.

La non-négociabilité des matières premières agricoles, le plafonnement des promotions sur les produits agricoles et l’encadrement de l’application des pénalités logistiques ont ainsi permis de façonner un dispositif robuste et prometteur, dans l’optique de rémunérer au juste prix agriculteurs et producteurs.

La généralisation des contrats écrits et pluriannuels a permis d’opter pour une plus grande transparence en matière de négociation contractuelle et de construction des prix. Parallèlement, l’introduction dans les contrats d’une clause de renégociation, librement déterminée par les parties, activable en fonction de l’évolution du coût des matières premières agricoles et du coût de l’énergie, a démontré toute sa pertinence.

Malgré notre insistance, nous n’avions cependant pas été écoutés sur des sujets cruciaux. Nous avions tiré la sonnette d’alarme au sujet du phénomène d’évasion juridique et alerté à propos de l’encadrement déficient des marques de distributeurs. Le Gouvernement ne peut le nier aujourd’hui.

C’est donc bien une loi Égalim 3 que nous examinons aujourd’hui, mes chers collègues. Il est en effet nécessaire de tirer les enseignements des dispositions législatives votées et de faire en sorte qu’elles s’appuient sur des fondations durables et pérennes.

Le présent texte permet de mettre en lumière les défauts du droit en vigueur, tout en apportant les nécessaires éléments de réponse aux problématiques rencontrées par les acteurs sur le terrain. Ce sont des changements majeurs qui sont opérés, tant pour les consommateurs que pour les producteurs et les distributeurs.

Les pratiques d’évasion juridique des grandes enseignes seront désormais plus durement sanctionnées.

L’efficace plafonnement des promotions en valeur et volume a été prolongé et étendu aux produits de droguerie, parfumerie et hygiène. C’est un signal fort envoyé à l’ensemble de nos PME et de nos entreprises de taille intermédiaire (ETI).

La période de renégociation contractuelle annuelle a été redessinée afin d’éviter toute asymétrie dans la relation commerciale.

L’exclusion des fruits et légumes frais du dispositif SRP+10 était demandée par la profession ; nous l’avons prévue.

Sur la disposition de majoration SRP+10, un débat s’est engagé, à juste titre, non pas sur la remise en question du dispositif final ni sur ses objectifs, mais sur son effet. Comme je l’ai précisé en amont, il est de notre devoir d’évaluer les dispositions législatives engagées pour mieux les conforter ou, si nécessaire, les adapter.

Les producteurs ont-ils bénéficié de cette majoration ? La question mérite d’être posée. En tout cas, je le redis, il ne s’agit pas aujourd’hui de revenir sur cette disposition.

Enfin, l’application des pénalités logistiques, cette arme ultime permettant à certains distributeurs mal intentionnés de réaliser des marges au détriment des producteurs, a été plus strictement encadrée et les sanctions en cas de pénalités frauduleuses ont été fortement durcies.

Au travers de l’examen de ce texte, le Sénat s’affirme plus que jamais comme la chambre de l’agriculture française et des agriculteurs. Cependant, je crois qu’il nous faut être prudents.

Prudents, d’abord, face à la prolifération des normes, source d’une instabilité juridique pénalisant l’ensemble des acteurs du secteur.

Prudents, ensuite, face à l’empilement de dispositifs juridiques qui peuvent manquer de cohérence et de lisibilité. En nous appuyant sur les travaux du groupe sénatorial de suivi des États généraux de l’alimentation, nous devons poursuivre notre tâche avec vigilance et exigence.

Prudents, enfin, quant à la tentation de modifier trop rapidement le droit sans avoir le recul nécessaire pour le faire. Il nous faut éviter de confondre vitesse et précipitation et, par là, œuvrer méthodiquement.

Je propose donc que, en matière de relations entre distributeurs et fournisseurs, nous nous fixions un principe très clair : l’adoption de toute nouvelle norme doit être motivée par l’existence d’un dysfonctionnement clair des dispositifs déjà en place ou par un impératif d’intérêt général. En cas de dysfonctionnement, celui-ci doit faire l’objet de discussions avec les acteurs concernés.

C’est en ayant à l’esprit cette exigence d’efficacité que la majorité des membres de mon groupe votera en faveur de la présente proposition de loi, car ce texte rétablit un juste équilibre entre fournisseurs et distributeurs.

Nous voterons en faveur de cette proposition de loi, car elle pose les fondations d’une relation commerciale plus saine, à l’heure de l’inflation galopante ainsi que de l’envolée des prix des matières premières et de l’énergie, qui mettent à mal nos petites entreprises et nos agriculteurs.

Nous voterons en faveur de cette proposition de loi, enfin, car elle permet de perfectionner le dispositif Égalim dans le cadre de notre volonté initiale : mieux rémunérer nos agriculteurs, nos producteurs et nos petites entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme la rapporteure applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà trois fois en moins d’un mois que nous débattons de sujets agricoles : les retraites, la compétitivité et, aujourd’hui, l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation. Chaque fois, il y a presque le même nombre de sénateurs dans l’hémicycle, nous entendons les mêmes orateurs exprimer les mêmes idées, les mêmes convictions.

Pourtant, le contexte au fil des ans reste, lui aussi, le même : perte de compétitivité, perte d’exploitations, perte de foncier, perte de revenu. Nous ne pouvons que constater notre impuissance face à cette situation, face à cette érosion, et nous nous efforçons de poser un petit sparadrap au coup par coup là où cela fait le plus mal.

Notre agriculture ne vaut-elle pas mieux ? Ne peut-on pas se poser pour réfléchir globalement ?

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a été présentée dans les médias comme la loi Égalim 3. Je ne souscris absolument pas à cet intitulé ! Souvenez-vous, Égalim signifie « États généraux de l’agriculture et de l’alimentation ». On a perdu en route les États généraux : c’est bien dommage !

La méthode était la bonne : l’esprit initial était de mettre tout le monde autour d’une table, d’organiser une concertation avec tous les maillons de la chaîne pour qu’ils se parlent et prennent en considération la situation de chacun en vue du respect du coût de production, donc de l’agriculteur.

Sous couvert du pouvoir d’achat des Français, on sait bien qui a supporté la charge de la guerre des prix : l’agriculteur et, au bout de la chaîne, le consommateur, car les produits d’appel ne sont que des leurres face aux marges réalisées avec les autres produits.

Aujourd’hui que reste-t-il d’Égalim 1 ? Un constat rappelé, dès le départ, par les auteurs de cette proposition de loi : « Pour la troisième fois en cinq ans, le législateur est amené à réglementer les relations entre fournisseurs et distributeurs, ce qui témoigne du climat de défiance qui règne lors des négociations commerciales. »

Il faut donc partir des enjeux et ensuite avoir une vision transversale pour les actions ; sinon, c’est de la stratégie à la petite semaine.

Je déplore le manque de vision pour poser les enjeux : la souveraineté alimentaire, évidemment, mais aussi la santé que procure la qualité de notre alimentation, l’environnement, les emplois non délocalisables, le foncier, etc.

Les problématiques sont transversales : comment assurer le bien-être de nos agriculteurs via une agriculture raisonnée et rémunératrice ? Et comment, demain, donnerons-nous à manger aux 10 milliards d’habitants de la planète ? Nous devons être à la hauteur.

Pour revaloriser ce métier, pour maintenir le nombre de paysans en France et – pourquoi pas ? – en gagner, il est urgent de définir une stratégie nationale avec les organisations professionnelles, l’ensemble des filières et tous les maillons de la chaîne.

Les textes de loi se succèdent, mais ils sont rédigés dans un entre-soi. L’exemple du texte examiné aujourd’hui en est la preuve, avec le débat sur le SRP+10.

Le relèvement de 10 % du seuil de revente à perte, décidé dans le cadre de la loi Égalim 1, est, depuis quelques jours, la « star » d’un véritable imbroglio. Certains veulent le maintenir, d’autres l’annuler… L’incertitude sur ses effets positifs ou négatifs est telle que chacun y va de son analyse, sans véritable argument fondé. Les syndicats eux-mêmes ne sont pas en phase avec certaines filières. L’interprofession des fruits et légumes frais, Interfel, souhaite quitter ce dispositif alors que la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) veut le maintenir.

Si, comme la rapporteure l’affirme, les 600 millions d’euros qui devaient ruisseler vers l’agriculture ont été un véritable chèque en blanc offert à la grande distribution, pourquoi le syndicat majoritaire défendrait-il cette mesure ? C’est à n’y rien comprendre, et comment le législateur peut-il trancher sans l’avis de la profession ? Où est l’intérêt des agriculteurs ?

Le texte que nous examinons resserre l’étau sur les distributeurs dans les négociations commerciales ; tant mieux. Mais si l’intention est louable, cela peut se retourner contre les agriculteurs français, car, demain, les quelques groupes qui se partagent la vente pourront faire le choix de produits étrangers moins chers.

Un constat, qui fait frémir, est très clairement exposé dans le rapport : un fournisseur déréférencé par un distributeur peut perdre 20 % de ses ventes, quand l’impact pour le distributeur se limiterait à moins de 2 %. Il y a donc urgence à reprendre un dialogue de raison et de conscience.

Les distributeurs doivent comprendre les enjeux pour notre agriculture, mais aussi les enjeux d’image pour eux-mêmes. Face à des citoyens qui s’intéressent aux modes de production, aux étiquettes, nous pouvons coconstruire des modèles où chacun pourra tirer parti de la vente, ce que l’on appelle couramment un contrat « gagnant-gagnant ».

Je l’ai dit la semaine dernière lors du débat sur la perte de compétitivité, nos voisins, que nous critiquons souvent, ont su mettre en place des organisations professionnelles collectives. Nos filières doivent s’unir pour ne pas être à la merci des distributeurs, car nos agriculteurs perdront toujours le combat entre une industrie agroalimentaire puissante, des organisations professionnelles trop nombreuses et une poignée de distributeurs qui sont toujours gagnants.

Restons positifs : les objectifs des lois Égalim ne sont pas simples, et il a fallu travailler palier par palier…

Le groupe du RDSE votera ce texte.