Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, si l’Allemagne dispose de plus de 47 000 douaniers pour environ 6 000 kilomètres de frontières terrestres et maritimes, principalement internes à l’Union européenne, la France ne compte pas plus de 17 000 douaniers pour 23 000 kilomètres de frontières terrestres et maritimes, principalement extérieures.

En dépit de prérogatives qui ne sont peut-être pas identiques (M. le ministre délégué opine.), l’exemple de la Guardia di Finanza italienne ou celui de services similaires d’autres pays européens montrent que cette administration française est loin d’être surdotée au regard de la longueur des frontières à surveiller. D’autant que ce sont surtout les frontières extérieures de l’Union européenne qui doivent être contrôlées pour assurer la liberté de circulation des biens et des personnes.

En outre, la croissance d’un certain nombre de trafics, notamment de stupéfiants, gangrène à la fois les États et la cohésion sociale. Les effets de ces trafics sont perceptibles dans plusieurs pays d’Amérique latine, mais aussi sur le territoire européen. Cela doit nous mobiliser.

Pourquoi ce projet de loi était-il nécessaire ?

D’une part, parce que l’article 60 du code des douanes, qui n’a pas été revu depuis sa rédaction en 1948, a été censuré par le Conseil constitutionnel en septembre 2022. Son abrogation a toutefois été reportée au 1er septembre 2023, compte tenu du coup de tonnerre que cette décision représente pour le fonctionnement des douanes.

Par conséquent, il était indispensable de définir un cadre juridique conforme aux exigences et de l’État de droit et du droit européen pour permettre aux prérogatives centrales des douanes que sont les fouilles et les visites douanières de perdurer.

D’autre part, parce que ce projet de loi vise à adapter un certain nombre d’outils au cybercrime et à l’évolution du numérique et à moderniser les méthodes d’enquête.

Bien sûr, de nombreux douaniers se sont inquiétés des conséquences de la censure de l’article 60 du code des douanes sur leur capacité à remplir leurs missions. Celles-ci doivent s’exercer dans le cadre du droit européen et international – les infractions douanières étant par essence internationales – et dans le respect des engagements de la France.

Nous ne pouvons nous extraire de ce droit européen, comme l’a souligné notre rapporteur pour avis. C’est à cette condition que la confiance entre les partenaires européens ou mondiaux peut être construite et que des échanges d’informations peuvent exister.

Par conséquent, rien ne sert de crier au loup face à la censure du Conseil constitutionnel : il importe d’encadrer les dispositions de cet article pour les rendre efficaces et respectueuses des libertés individuelles.

Je tiens d’ailleurs à rappeler, monsieur le ministre, combien cette administration est indispensable et mérite d’être mieux dotée. L’année dernière, 4 000 agents supplémentaires sont venus renforcer les effectifs des douanes allemandes ; nous en sommes très loin en France…

Le projet de loi prévoit une gradation des pouvoirs en fonction des lieux et des motifs : les visites effectuées dans une même zone ne pourront plus excéder une durée de douze heures consécutives et le contrôle ne pourra porter sur l’ensemble du public concerné.

Par ailleurs, le texte vise à définir un rayon des douanes conforme au code frontières Schengen.

Enfin, en cas d’infraction de droit commun constatée en flagrance par des agents des douanes,…

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur Leconte !

M. Jean-Yves Leconte. … la personne concernée sera remise aux forces de l’ordre sous le contrôle du procureur.

Ces dispositions nous paraissent intéressantes et à même d’assurer un cadre juridique adéquat à l’action des douaniers. Aussi, je tiens à saluer le travail des rapporteurs ainsi que du Gouvernement.

Nous soutiendrons ces évolutions, sous réserve de la suppression de la réserve opérationnelle. (Mme Isabelle Briquet et M. Daniel Breuiller applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Belrhiti. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, administration de la frontière et de la marchandise, la douane remplit deux missions simultanées : elle soutient l’attractivité économique du territoire tout en assurant la sécurité de celui-ci et de sa population.

Les chiffres de l’année 2022 attestent de l’importance de ces deux missions : 104 tonnes de drogue ont été saisies par nos services douaniers, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, pour une valeur de revente estimée à plus de 1 milliard d’euros, et cela sans compter le tabac et les articles de contrefaçon.

À l’ère du numérique, l’administration des douanes fait face à un double défi : adapter ses méthodes d’action à une frontière désormais également numérique et faire face à l’intensification des flux illégaux corrélée à la complexification des pratiques délinquantes et à l’adaptabilité toujours plus grande de réseaux criminels s’appuyant sur les nouvelles technologies.

L’année 2022 a également marqué un tournant dans les prérogatives des douanes françaises.

En effet, le 22 septembre dernier, le Conseil constitutionnel a censuré le droit de visite douanière, lequel était aussi nécessaire à l’action douanière répressive que potentiellement porteur d’atteintes aux droits individuels.

Ce projet de loi répond à deux enjeux majeurs.

Dans un premier temps, il me semble primordial d’éviter le vide juridique que pourrait entraîner la décision du Conseil constitutionnel.

En effet, le droit de visite permettait aux agents douaniers « de procéder à la visite des marchandises et des moyens de transport et à celle des personnes », et cela sans limitation ni de lieu, ni d’horaire, ni de circonstances.

La censure de ce droit affaiblit l’action douanière et empêche tout simplement l’exercice des prérogatives des agents lors d’un contrôle, lequel doit nécessairement rester inopiné. Pour rétablir l’équilibre, le texte issu des travaux de la commission des lois du Sénat redéfinit deux caractéristiques essentielles du droit de visite.

D’abord, il restreint le rayon des douanes, périmètre établi à partir des frontières terrestres et du littoral au sein duquel les agents des douanes disposent de prérogatives étendues de contrôle.

Ensuite, il crée une gradation en matière de visite, en fonction du lieu et des motifs, adaptant en conséquence le contrôle exercé par les juges et les garanties offertes aux personnes contrôlées.

La visite douanière répond désormais aux exigences de proportionnalité de l’atteinte au droit d’aller et de venir et au respect de la vie privée des personnes tout en associant l’autorité judiciaire à la recherche des infractions douanières les plus graves.

Dans un second temps, ce projet de loi vise à adapter un code douanier datant de 1948 aux nouveaux enjeux de lutte contre les trafics à nos frontières.

En effet, l’administration douanière ne dispose pas des leviers juridiques nécessaires pour faire face aux nouveaux usages des trafiquants, notamment pour appréhender le volet numérique des infractions en cas de commission en ligne de certains délits douaniers ou pour recueillir des preuves informatiques.

Les agents des douanes, par exemple, ne peuvent à ce jour prendre connaissance des pièces et documents se trouvant sur un support informatique ni les saisir, ce qui est en décalage total avec les enjeux économiques de notre époque.

De même, bien que la vente en ligne de marchandises prohibées à l’importation soit courante, aucun dispositif de lutte contre les contenus illicites en ligne n’est prévu à ce jour dans le code des douanes.

Ce projet de loi vise à renforcer la lutte contre la criminalité en ligne et à moderniser les procédures d’enquête pour mieux prendre en compte la cyberdélinquance, qui doit être une priorité de l’action douanière. Ce texte vise à y parvenir efficacement.

Cette réforme constitue l’opportunité de doter les douanes de l’arsenal juridique approprié, mais aussi d’encadrer dès maintenant son utilisation afin de prévenir toute restriction disproportionnée des droits individuels.

C’est dans cet objectif que la commission des lois a cherché à clarifier le régime juridique des nouveaux outils dont le Gouvernement entend doter l’administration.

Elle a ainsi précisé que les opérations de visite ne pouvaient durer plus de douze heures consécutives sur un même lieu et que le contrôle ne pouvait porter que sur une fraction limitée du public présent.

De même, la définition d’un rayon de 10 kilomètres autour des ports, des aéroports et des gares se substitue à la référence aux « abords » de ces lieux, notion bien trop équivoque pour être juridiquement acceptable.

Ces ajouts ont un objectif précis : éviter les écueils que provoquerait une nouvelle décision d’inconstitutionnalité d’une autre disposition du code des douanes.

Le rôle même des douanes est par nature dérogatoire au droit commun tant il peut conduire à restreindre la liberté des individus.

Néanmoins, les enjeux frontaliers de demain s’imposent déjà à nous. Ce texte vise non pas seulement à corriger nos lacunes passées ou à se conformer aux enjeux actuels, mais à anticiper nos futures difficultés et à donner à notre administration les moyens d’y faire face. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Richard, rapporteur pour avis, applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Perrin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Cédric Perrin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la décision d’inconstitutionnalité qui a frappé le code des douanes a provoqué une onde de choc au sein de l’administration des douanes, et au-delà.

Au cœur des préoccupations de ses agents se trouve la non-conformité de leur droit de visite à la Constitution, comme cela a déjà été souligné à de nombreuses reprises.

Cette décision a eu un effet retentissant, car elle porte sur une prérogative majeure des douaniers, acteurs centraux de la lutte contre les trafics et première ligne de défense de notre territoire et de la population.

La réaction de l’exécutif n’a heureusement pas tardé, en dépit d’un certain cafouillage à l’automne dernier, d’ailleurs anticipé par le Sénat.

Nous pouvons a priori espérer qu’un nouveau cadre légal entrera bien en vigueur d’ici au 1er septembre prochain, « délai de grâce » octroyé par les juges.

Pourtant, parmi les douaniers, l’inquiétude ne faiblit pas. Je l’ai d’ailleurs mesuré en participant lundi dernier à une opération de contrôle routier à la barrière de péage de Fontaine, dans le Territoire de Belfort.

Nos douaniers mènent des opérations difficiles, au cœur desquelles les techniques de dissimulation évoluent sans cesse et sont de plus en plus sophistiquées. Ainsi, selon les explications d’un chef divisionnaire des douanes, les trafiquants ont recours à des caches aménagées parfois élaborées, y compris lorsque les quantités dissimulées ne semblent pas le justifier.

Très récemment, la brigade de Delle, à la frontière suisse, a saisi onze kilogrammes d’herbe de cannabis cachés dans le réservoir d’essence d’un véhicule léger ou encore des centaines de grammes de cocaïne dissimulés derrière le tableau de bord d’une Citroën C3.

Les moyens de dissimulation se multiplient et concernent tous les types de véhicules, y compris les poids lourds – plancher, réservoir, marchandises cachées au milieu du fret légal.

De même, les moyens déployés sont de plus en plus importants, comme l’illustre la mise en place de convois comptant des véhicules éclaireurs et suiveurs, même pour des quantités limitées. Cette manière de procéder est également utilisée pour les trafics de tabac.

Les agents des douanes sont au cœur des activités régaliennes de l’État. Dès lors, comment imaginer que les douaniers ne détiennent pas de prérogatives spécifiques ? Cela nous rendrait un peu schizophrènes… C’est pourquoi nous ne pouvons entraver leur action. Nous avons aussi le devoir d’aller vite.

Ce projet de loi parvient-il à préserver l’efficacité et la simplicité nécessaires tout en répondant aux interrogations et aux exigences du Conseil constitutionnel ?

C’est le délicat équilibre recherché et trouvé par nos rapporteurs, dont les travaux ont été guidés par une volonté très claire, rappelée à plusieurs reprises, celle d’encadrer sans entraver.

Je me félicite de leur opiniâtreté, qui leur a permis d’introduire des dispositions déjà promues par le Sénat, comme le dispositif de retenue temporaire d’argent liquide circulant à l’intérieur du territoire, lorsque des indices existent en faveur d’un lien entre cet argent et une activité criminelle comme le terrorisme, le trafic de stupéfiants ou la fraude fiscale grave.

Je salue aussi la modernisation du délit de blanchiment douanier, en particulier la disposition incluant explicitement les cryptoactifs parmi les fonds couverts par ce délit.

À ce sujet, les rapporteurs rappellent le constat du directeur de Tracfin, selon lequel les trafiquants ont vite compris qu’il était plus facile de payer en cryptomonnaie qu’en argent liquide.

La modernisation et l’adaptation des moyens des douanes aux nouvelles réalités numériques adoptent la même logique. Alors que de plus en plus de données sont conservées sur des clouds, il est indispensable de rendre possible l’enregistrement des données afin d’éviter qu’elles ne soient effacées et permettre leur exploitation ultérieure par les agents.

Là encore, nous pouvons saluer l’exigence de nos rapporteurs pour assurer la sécurité juridique de ces dispositifs et prévenir tout risque d’inconstitutionnalité.

Enfin, j’encourage également la création d’une réserve opérationnelle de l’administration des douanes, même modeste, pour faire face à des situations d’urgence. Dernier corps en uniforme de l’État à ne pas avoir de réservistes, il est très pertinent de pallier cette lacune, ce qui permettra notamment de conserver des profils précieux, car très spécialisés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Richard, rapporteur pour avis, applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Je souhaite remercier l’ensemble des sénatrices et des sénateurs qui se sont exprimés.

Nous aurons l’occasion de débattre des sujets qui viennent d’être abordés lors de la discussion des articles. Je voudrais toutefois revenir sur une question importante soulevée par plusieurs d’entre vous : celle des effectifs.

Tout d’abord, les comparaisons avec des pays européens voisins sont à prendre avec des pincettes, notamment parce que les missions de l’administration des douanes et celles de ses homologues sont parfois très différentes. Comparer les effectifs des douanes françaises avec ceux de pays où les missions ne sont pas les mêmes comporte donc une certaine limite.

En Allemagne, par exemple, 8 000 à 10 000 douaniers sont engagés dans la lutte contre le travail illégal, ce qui ne relève pas de la compétence des douanes en France. En outre, les douaniers allemands ont le statut d’officier de police judiciaire et réalisent de facto un certain nombre de missions dévolues à la police nationale en France.

De même, en Italie, autre exemple cité, les douanes réalisent des missions de police fiscale et de renseignement fiscal, ce qui n’est pas le cas de la douane française. Celle-ci dispose certes d’un service de renseignement, mais doté de missions différentes.

Monsieur Cozic, vous avez insisté sur la réduction du schéma d’emplois opérée dans le cadre d’un récent projet de loi de finances. Sachez que cette réduction est liée au transfert à la DGFiP de la gestion et du recouvrement de certaines taxes des douanes.

Ce transfert a par ailleurs permis de réaliser un gain de productivité, puisque la DGFiP gère et assure le recouvrement de nombreuses taxes. Ce gain étant partagé à parts égales entre ces deux administrations, cette disposition a plutôt permis de renforcer les effectifs dédiés à la lutte contre les fraudes.

Enfin, nous tenons beaucoup à la création d’une réserve opérationnelle de l’administration des douanes, prévue à l’article 7 de ce projet de loi.

Les autres corps en uniforme qui ont vu la création d’une réserve opérationnelle, que ce soit les policiers ou les gendarmes, n’ont pas pour autant connu de réduction de leurs effectifs. Au contraire, on a constaté ces dernières années une augmentation sensible dans certains corps tels que la police ou les armées. Ce phénomène est appelé à perdurer puisque la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur prévoit un renforcement très important des effectifs.

Concrètement, la réserve opérationnelle de l’administration des douanes répondra à deux principaux enjeux.

Il s’agit, d’abord, de répondre aux pics d’activité liés à un événement très important organisé sur un temps court – je pense évidemment aux jeux Olympiques et Paralympiques qui engendreront un surcroît d’activité pour nos douanes, comme pour beaucoup d’autres fonctions publiques, et qui nécessiteront de mobiliser des forces supplémentaires – ou à un événement imprévu. Ainsi, lorsque le navire Ocean Viking accoste en France, ce sont les douaniers qui sont mobilisés pour le débarquement. Dans un tel cas, il est possible d’imaginer un soutien de la réserve opérationnelle.

Il s’agit, ensuite, de faire bénéficier la douane de compétences de pointe apportées par des personnes qui souhaitent non pas changer de métier ou travailler pour les douanes, mais partager leurs compétences sur certains sujets, même si de nombreuses compétences sont déjà présentes au sein des douanes et que nous allons continuer de les développer.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

projet de loi visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces
Article 1er

Avant le titre Ier

Mme la présidente. L’amendement n° 17 rectifié bis, présenté par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Avant le titre Ier : MAINTENIR LA SURVEILLANCE DOUANIÈRE SUR L’ENSEMBLE DU TERRITOIRE

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport analysant les causes et les conséquences de la disparition depuis 1997 de la présence douanière dans plus de la moitié des sous-préfectures du territoire et des outre-mer. Il évaluera ainsi la diminution du périmètre du rayon des douanes dans un contexte de recul général de l’action douanière engendrée par la mise en œuvre du traité de Maastricht. Ce rapport devra également présenter un parangonnage des effectifs des douanes et du nombre de bureaux présents dans chacun des pays de l’Union européenne et le cas échéant une pondération des effectifs nécessaires inhérents aux caractéristiques géographiques du territoire français.

La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Monsieur le ministre, vous évoquez la question importante des effectifs.

Vous commencez par créer une cellule de renseignement fiscal au sein de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, avant de confirmer le redéploiement de cent équivalents temps plein, conformément au contrat d’objectifs et de moyens de la douane. Cette dernière décision signifie que les effectifs ne vont pas augmenter, puisqu’il s’agit d’un simple « redéploiement ». Il faut donc croire que vous estimez que le nombre d’agents est aujourd’hui suffisant.

Je voudrais toutefois rappeler quelques chiffres. Depuis 1997, plus d’un tiers des implantations douanières – 37 % exactement – ont disparu, 48 % des préfectures et sous-préfectures ne disposent plus de services douaniers et la douane est purement et simplement absente de huit départements de métropole.

J’entends bien les bémols que vous mettez au sujet de la comparaison avec l’Allemagne. Néanmoins, la France est avant-dernière du classement européen du nombre de bureaux des douanes et occupe la vingt-quatrième position d’une Union européenne à vingt-sept quand l’Allemagne est troisième avec six fois et demie plus de bureaux de douane par kilomètre de frontières. Or, sur le plan démographique, nous sommes le deuxième pays d’Europe, ce qui est tout de même révélateur d’un certain déséquilibre.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Vous ne l’ignorez pas, la commission n’est pas très favorable aux demandes de rapport. Néanmoins, je ne veux pas éluder la question.

Pour ce qui est de l’appréciation des effectifs rapportés à ceux d’autres pays européens qui exerceraient des missions différentes, le ministre est le plus à même de répondre.

Pour autant, les missions des douanes évoluent – je pense notamment aux transferts à la DGFiP. À cet égard, je voudrais vous faire part d’une conviction plus personnelle. Cela fait des années que je m’intéresse à la question des douanes : voilà maintenant plus de dix ans, les membres de la commission des finances peuvent en témoigner, j’étais sans doute parmi les premiers à soulever la question de la fraude à la TVA.

Je m’étais alors rendu au fret de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle où je m’étais aperçu et de l’ampleur de la mission et de la modestie des effectifs : seuls cinq douaniers et cinq postiers étaient dévolus au contrôle du fret postal !

J’ai ensuite continué de m’intéresser aux douanes, y compris dans le cadre de la mission sur l’organisation et les moyens de la douane face au trafic de stupéfiants, conduite avec Claude Nougein. J’en ai conclu que la réponse résidait parfois moins dans l’augmentation des effectifs que dans les évolutions technologiques.

Je prendrai l’exemple du fret douanier : je préfère un scanner qui contrôle 100 % des marchandises à des augmentations d’effectifs qui ne permettront de contrôler que quelques paquets supplémentaires.

Il en va de même pour le trafic de cocaïne au départ des aéroports de Guyane. Claude Nougein et moi-même sommes allés à l’arrivée des avions, à Orly : les effectifs douaniers permettent d’appréhender trois ou quatre mules, lorsqu’un avion en compte des dizaines ! Je préfère donc disposer de scanners corporels assurant un contrôle à 100 %, comme dans d’autres pays, à une hausse des effectifs qui ne permettra pas de répondre à la lourdeur de la tâche.

Face à des trafics et à des volumes aussi considérables, je ne crois pas que les effectifs constituent une réponse suffisante.

Nonobstant le fait que cette question relève davantage d’un projet de loi de finances, la commission est défavorable à cet amendement pour les raisons que je viens d’évoquer.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Cet amendement concerne la question des effectifs, sur laquelle je me suis exprimé à l’instant.

Je sais que les sénateurs n’apprécient pas beaucoup les demandes de rapports. Or l’examen de chaque projet de loi de finances est l’occasion d’échanger sur ce sujet.

Par ailleurs, un rapport remis par la Cour des comptes en 2020 porte déjà sur la question des effectifs des douanes et de leurs missions.

Votre amendement me semblant satisfait, monsieur Bocquet, j’y serai défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 17 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

TITRE Ier

MAINTENIR LA SURVEILLANCE DOUANIÈRE SUR L’ENSEMBLE DU TERRITOIRE

Article additionnel avant le titre Ier - Amendement n° 17 rectifié bis
Dossier législatif : projet de loi visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces
Article 2

Article 1er

I. – Le 3 de l’article 44 du code des douanes est ainsi rédigé :

« 3. La zone terrestre est comprise :

« a) Entre le littoral et une ligne tracée à quarante kilomètres en deçà ;

« b) Entre la frontière terrestre et une ligne tracée à quarante kilomètres en deçà. »

II. – Le 4 de l’article 44, l’article 45 et la section 5 du chapitre Ier du titre VIII du code des douanes sont abrogés.

Mme la présidente. L’amendement n° 55 rectifié, présenté par Mmes N. Delattre et M. Carrère, MM. Requier, Artano, Bilhac, Fialaire, Gold, Roux, Cabanel et Guérini et Mmes Pantel et Guillotin, est ainsi libellé :

Alinéas 3 et 4

Remplacer le mot :

quarante

par le mot :

cinquante

La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. L’article 1er du projet de loi redéfinit le champ d’action terrestre des douanes figurant à l’article 44 du code des douanes.

Jusqu’à présent, la limite standard était de 20 kilomètres en deçà des frontières maritimes et terrestres et pouvait être portée jusqu’à 60 kilomètres par arrêté du ministre de l’économie et des finances.

La nouvelle rédaction, qui n’a pas été modifiée en commission, fixe une limite médiane de 40 kilomètres, sans extension possible.

Or la configuration du terrain aux abords des frontières peut entraîner des distorsions dans l’application de cette limite. Ainsi, en zone de montagne, par exemple, que l’on rencontre fréquemment dans les régions frontalières, le dénivelé peut entraîner des distances plus importantes que sur un terrain plat, ce qui rend la limite des 40 kilomètres moins pertinente.

Cet amendement, dont Mme Nathalie Delattre est la première signataire, vise donc à repousser la limite du champ d’action terrestre des douanes à 50 kilomètres en deçà de la frontière.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des lois ?

M. Alain Richard, rapporteur pour avis. Mon cher collègue, gardons à l’esprit que nous ne disposons pas d’une liberté complète pour la fixation de ces distances d’intervention.

Le rayon douanier est une zone de surveillance spéciale permettant des interventions plus générales et plus rapides ; mais la douane intervient partout dès lors qu’un risque de fraude peut être démontré.

Quant à la règle des 40 kilomètres, elle représente à mon avis l’élastique le plus tendu par rapport aux règles européennes et, à cet égard, il n’y a pas d’inquiétude à avoir au sujet des zones de montagne. En effet, il s’agit d’une distance cartographique. Si, comme dans une région de montagne que je connais bien, il est nécessaire d’emprunter une longue route pour franchir tel ou tel col, le périmètre d’intervention de la douane reste inchangé. J’y insiste, les 40 kilomètres sont mesurés à vol d’oiseau.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Tout l’enjeu de ce projet de loi est de préserver un équilibre entre les pouvoirs très importants accordés à nos douaniers, notamment aux frontières, et le respect des libertés publiques, auquel veille le Conseil constitutionnel ; sa récente décision en témoigne. Cet équilibre est tout à fait possible à atteindre, à condition qu’un encadrement soit clairement prévu.

M. le rapporteur pour avis l’a rappelé : un rayon de 40 kilomètres à partir de la frontière offre à la douane un vaste champ d’intervention, y compris quand on compare la France à d’autres pays européens. De surcroît, les douaniers peuvent tout à fait exercer leurs missions au-delà : en pareil cas, c’est simplement un autre régime qui s’applique, comme je l’ai souligné au cours de la discussion générale.

Enfin – j’insiste sur ce point –, en vertu du 5 de l’article 44 du code des douanes, que le présent texte ne modifie pas, « les distances sont calculées à vol d’oiseau sans égard aux sinuosités des routes ».

Monsieur le sénateur, une réponse est donc déjà apportée aux problèmes que vous évoquez. Voilà pourquoi je vous prie à mon tour de bien vouloir retirer votre amendement.