M. le président. La parole est à Mme Amel Gacquerre.

Mme Amel Gacquerre. Monsieur le ministre, la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Égalim, promulguée en 2018, prévoit plusieurs mesures très ambitieuses pour améliorer la qualité des repas servis par la restauration collective.

L’article 24, par exemple, fixe un objectif de 50 % de produits durables et de qualité dans l’offre alimentaire proposée par les institutions publiques.

Cette priorité donnée aux produits de nos terroirs, notamment aux produits dont la qualité est reconnue, à l’image de nos appellations d’origine protégée (AOP), de nos indications géographiques protégées (IGP) ou du Label rouge, constitue un signal fort envoyé aux agriculteurs et producteurs.

En effet, cet objectif constitue un levier important pour soutenir la structuration de nos filières agricoles, notamment celle de l’agroécologie, et pour le développement de la production locale.

Trois ans plus tard, en 2021, la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience, a été plus loin : elle a rehaussé cet objectif ambitieux en le fixant à 60 % de produits durables et de qualité pour les produits animaux, au plus tard au 1er janvier 2024. Pourtant, monsieur le ministre, au 1er janvier 2022, le compte n’y est pas.

En effet, selon les chiffres de l’Observatoire national de la restauration collective bio et durable, un tiers des cantines scolaires n’atteignent pas, par exemple, l’objectif intermédiaire de 20 % de produits durables lors de l’année 2021.

Monsieur le ministre, il est de la responsabilité du Gouvernement de tout mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs. Ils sont primordiaux pour la santé de nos concitoyens et pour soutenir nos agriculteurs. Qu’est-il fait aujourd’hui afin d’atteindre ces objectifs fixés par la loi Égalim et par la loi Climat et résilience ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, le Gouvernement est pleinement engagé pour la mise en œuvre des objectifs fixés par le Parlement en la matière.

Des mesures d’accompagnement ont été prises, avec la mise en place en juin 2022 d’un groupe de travail économique du Conseil national de la restauration collective, à la demande des parties prenantes. Nous avons également créé la plateforme « Ma cantine » dédiée aux gestionnaires de cantines afin de les accompagner dans la mise en œuvre de la loi.

Par ailleurs, nous avons dégagé des marges de manœuvre en actionnant le levier de la commande publique, d’une part, grâce aux adaptations prévues dans la loi Climat et résilience et, d’autre part, au travers de mesures financières, avec une enveloppe de 50 millions d’euros de soutien aux cantines des petites communes pour financer l’achat d’équipements nécessaires à la cuisine et à la transformation de produits frais et pour former les personnels.

Nous avons dégagé une autre enveloppe de 85 millions d’euros pour les projets alimentaires territoriaux étroitement liés à la restauration collective et souvent en lien avec les agriculteurs, que vous évoquiez à l’instant.

Enfin, nous avons mis en place une politique de tarification sociale pour accompagner les collectivités locales, 100 000 enfants ayant bénéficié de repas à 1 euro.

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le bilan de l’application des lois.

6

Débat sur la gestion des déchets dans les outre-mer

Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer, sur la gestion des déchets dans les outre-mer.

Je vous rappelle que dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à Mme Gisèle Jourda, au nom de la délégation auteur de la demande.

Mme Gisèle Jourda, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si je devais résumer avec ma collègue Viviane Malet le principal enseignement de nos travaux sur les déchets dans les outre-mer, je retiendrai assurément le mot « urgence ».

Il est urgent d’agir pour répondre à la double urgence sanitaire et environnementale. Dans la plupart de nos territoires ultramarins, la cote d’alerte est dépassée.

Ce mot n’est pas galvaudé. J’avoue que ce que nous avons appris et vu, de nos yeux vu, au cours de notre mission m’a plusieurs fois choquée et bouleversée.

À Mayotte, tout particulièrement, nous avons constaté l’existence de décharges sauvages à ciel ouvert, au cœur de bidonvilles, au milieu desquelles des enfants jouent. Des tas de déchets y brûlent continuellement. Lors de pluies violentes, une grande partie de ces déchets finissent dans le lagon et la mangrove.

À Saint-Pierre-et-Miquelon, où pourtant la collecte et le tri sont exemplaires, des décharges littorales brûlent à ciel ouvert. À chaque tempête, une partie des déchets finit à la mer.

L’urgence environnementale est criante et cette pollution ne vient pas de l’autre bout du monde. Notre responsabilité est entière, alors même que les outre-mer concentrent 80 % de la biodiversité française.

Notre mission a aussi mis en évidence l’urgence sanitaire à laquelle doivent faire face ces territoires. Une telle situation favorise le développement de maladies de maladies telles que la dengue, l’hépatite A, la typhoïde et la leptospirose.

La collecte déficiente dans des zones géographiques difficiles d’accès ainsi que dans les quartiers informels, le fléau des dépôts sauvages et le poison lent des anciennes décharges illégales sont autant de dangers pour des territoires fragilisés.

Cet état d’urgence, madame la ministre, est la conséquence directe du retard majeur des outre-mer. Quelques indicateurs rendent compte de ce décalage complet.

Le taux d’enfouissement suffit à offrir un aperçu du rattrapage nécessaire : à l’échelle nationale, 15 % des déchets ménagers sont enfouis, 85 % étant valorisés. En outre-mer, le rapport est inversé. À l’exception de la Martinique qui a enfoui, en 2020, 40 % de ses déchets ménagers et de Saint-Barthélemy, tous les autres territoires affichent des taux d’enfouissement de 60 % à 80 %, voire pratiquement à 100 % à Mayotte, en Guyane ou à Saint-Martin.

Face à cette urgence, que faut-il faire ?

En premier lieu, il faut souligner la forte prise de conscience sur tous les territoires. Les initiatives fourmillent pour inverser la tendance et trouver des solutions innovantes et adaptées.

En second lieu, cette situation ne résulte pas d’un désengagement des autorités responsables. Au contraire, les collectivités territoriales et leurs groupements, ainsi que l’État, sont mobilisés et fournissent des efforts financiers importants.

Pourtant, ceux-ci ne suffisent pas à rattraper un retard structurel. Un nouvel élan est nécessaire ; plus qu’un élan, c’est un plan Marshall qu’il faut, voire un plan Marshall « XXL » pour Mayotte et la Guyane.

Ma collègue Viviane Malet déclinera dans un instant ce plan Marshall qui s’articule autour de vingt-six recommandations concrètes et précises.

Je conclurai en évoquant l’aspect européen. Les spécificités des régions ultrapériphériques ne sont pas assez prises en compte. Les discussions en cours sur la révision du règlement européen relatif au transfert des déchets en témoignent. Dans le droit fil de notre rapport, nous avons déposé une proposition de résolution qui sera examinée par la commission des affaires européennes. Nous aurons à cœur, avec ma collègue Marta de Cidrac, d’en débattre bientôt pour continuer de tracer le sillon de ce rapport, qui se veut un levier pour agir fort et pour agir vite !

M. le président. La parole est à Mme Viviane Malet, au nom de la délégation auteur de la demande.

Mme Viviane Malet, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nos vingt-six recommandations découlent directement du diagnostic qui vient de vous être présenté par ma collègue Gisèle Jourda.

Une nouvelle stratégie doit être bâtie, notamment pour préserver la santé et l’exceptionnelle biodiversité de nos outre-mer, qui ne peuvent devenir des territoires dépotoirs.

Les outre-mer doivent donc, et d’urgence, relever deux défis : à court terme, gérer l’urgence en retrouvant des moyens d’action et consolider les bases d’une gestion des déchets maîtrisée ; à long terme, s’engager résolument sur la voie de l’économie circulaire, qui est un chemin plus long, mais plus durable.

Cette stratégie passe d’abord par l’adoption de plans de rattrapage exceptionnels « cousus main » pour chaque territoire.

Ces plans devront être l’un des volets prioritaires des futurs contrats-cadres.

Ces plans, ainsi que des adaptations ciblées de la réglementation, en particulier en matière de gouvernance et d’actions des éco-organismes, permettront de prendre le virage d’une économie circulaire réaliste et adaptée aux contraintes de ces territoires.

Le temps qui nous est accordé ne permet pas de présenter toutes nos recommandations. Je me concentrerai sur les principales.

La première concerne les financements. Nous estimons que des financements supplémentaires exceptionnels de l’État à hauteur de 250 millions d’euros sur cinq ans sont indispensables pour réaliser les équipements prioritaires et structurants, en sus des aides actuelles. Des déchetteries itinérantes, des centres de tri, voire des centres de stockage manquent presque partout.

La deuxième proposition forte est l’exonération de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) pendant cinq, sept ou dix ans selon les territoires. Depuis plusieurs années, nous bricolons des rabais ponctuels et partiels, sans visibilité.

Il faut une exonération claire, prévisible, qui redonnera immédiatement des marges de manœuvre aux budgets de fonctionnement des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et des syndicats mixtes.

Le troisième axe fort est une contractualisation entre tous les acteurs, avec des engagements sur les objectifs et les calendriers. Cette contractualisation inclura une mise en commun de l’ingénierie autour de « plateformes de projets ».

Quatrième priorité, il convient de responsabiliser les éco-organismes. Malgré les progrès de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (Agec), ceux-ci ne rattrapent que très lentement leur retard accumulé depuis vingt ans. Malheureusement, sans contrainte, nous n’avancerons pas au rythme exigé. À défaut de progrès spectaculaires à court terme, il nous faut expérimenter en outre-mer un mécanisme incitatif de pénalités financières qui pèseraient sur les éco-organismes n’atteignant pas leurs objectifs territorialisés.

Cinquième proposition importante, toujours en lien avec l’accent mis sur les éco-organismes, nous proposons d’abaisser à 1 tonne, au lieu de 100, le seuil à partir duquel le coût de nettoiement d’un dépôt sauvage est pris en charge par les éco-organismes. Il faut envoyer un signal fort : le rattrapage doit être rapide et net, et non pas étalé sur vingt ans.

Notre sixième proposition porte sur la gouvernance. Outre qu’il convient d’aller vers un opérateur unique sur chaque territoire chargé du traitement des déchets, il manque encore une véritable instance de pilotage. Dans ce but, nous proposons que la commission consultative d’élaboration et de suivi (CCES) du plan régional de prévention et de gestion des déchets devienne, dans chaque région, une véritable instance de coordination et de pilotage.

Septièmement, nous proposons de développer des dispositifs de gratification directe du tri pour encourager la collecte sélective dans les zones défavorisées ou isolées. Des projets locaux innovants ont déjà montré leur pertinence. Il faut aller plus loin, en particulier à Mayotte.

Enfin, nous plaidons pour le développement de la valorisation énergétique des déchets dans les outre-mer, avec un cadre pérenne et favorable au prix de rachat de l’électricité ainsi produite.

Malgré tous les progrès possibles en matière de recyclage, de réemploi et de prévention des déchets, il ne nous paraît pas réaliste d’imaginer une gestion des déchets outre-mer sans un véritable essor de la valorisation énergétique.

Je terminerai en remerciant la présidente du groupe d’études sénatorial sur l’économie circulaire, Marta de Cidrac, ainsi que ses collègues, qui ont suivi et enrichi nos travaux. Ce travail de concert permettra de donner à ces recommandations les suites législatives qu’elles appellent. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Jacques Fernique applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Micheline Jacques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Micheline Jacques. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, la gestion, le traitement, la valorisation des déchets font partie des nombreux défis que les outre-mer ont à relever. À cet égard, le constat dressé par nos collègues Gisèle Jourda et Viviane Malet dans le rapport qu’elles nous ont présenté est à la fois précis, éclairant et alarmant.

Décrivant une scène glaçante à Mayotte, nos collègues nous fournissent une photographie des conséquences du retard de la gestion des déchets sur la population et l’environnement, qui ne peut nous laisser ni insensibles ni inactifs, même si l’image est paroxystique.

Au-delà du constat, nos collègues nous orientent vers des pistes destinées à corriger les politiques publiques de gestion des déchets, dont l’inadaptation semble être, à bien des égards, la source des situations sur lesquelles elles nous alertent.

Au fil des pages, le caractère multidimensionnel de l’enjeu de la gestion des déchets apparaît nettement, de même que la nécessité d’aborder l’indispensable rattrapage avec des solutions pragmatiques et un regard lucide. À ces conditions, il est possible de résoudre l’épineuse question du traitement des déchets en s’appuyant sur les leviers de développement qu’elle renferme.

Saint-Barthélemy a très tôt défini une politique de gestion et de traitement de ses déchets garantissant son autonomie. Cette organisation – que l’on doit d’ailleurs à Michel Magras – reposait sur l’idée que la propreté de l’île, conséquence visible de l’élimination et de la gestion des déchets, devait se situer au cœur de la politique économique de celle-ci, compte tenu de sa dimension fortement touristique tout autant que de sa politique environnementale. C’est ainsi que cet enjeu est devenu une priorité de politique publique et, partant, financière.

Saint-Barthélemy a donc fait le choix, dès 2002, du traitement par incinération couplé à une valorisation énergétique permettant d’alimenter l’usine de dessalement, dès lors totalement autonome.

La gouvernance simplifiée et l’étroitesse du territoire ont certes favorisé le succès de cette politique. Celui-ci, toutefois, n’aurait pu être total sans l’adhésion de la population, qui est primordiale.

L’économie de Saint-Barthélemy en fait un territoire importateur et producteur de déchets. Pour rester attractifs, le traitement et la gestion des déchets doivent continuer de constituer une dépense prioritaire pour la collectivité.

C’est forte de cette expérience que je souscris d’emblée à l’ensemble des préconisations de nos collègues.

Parler du traitement des déchets outre-mer est une nouvelle occasion d’éprouver le cadre normatif et son adaptation à ces territoires. En effet, comment réussir une politique publique lorsque les normes qui s’appliquent à un territoire constituent un frein ?

Dans un contexte où le déficit d’ingénierie est régulièrement pointé, la complexité des objectifs est le premier obstacle au bon développement d’une politique efficiente de gestion de déchets. Le panorama qui nous est présenté vient, s’il en était besoin, renforcer la conviction qu’il est nécessaire d’orienter davantage les formations en fonction des besoins. J’ai eu l’occasion, en ma qualité de rapporteur pour avis de la mission outre-mer, de préconiser la création d’au moins une école d’ingénieurs par bassin océanique.

Notre République, qui a raison d’être exigeante, ne cesse de durcir les objectifs et les contraintes qui pèsent sur la gestion de nos déchets, mais de manière souvent irréaliste au regard des situations ultramarines.

L’exemple des cahiers des charges des éco-organismes, inadaptés aux outre-mer, est éloquent. Nos collègues relèvent que seul le cahier des charges de la filière « emballages ménagers » de ces organismes contient des dispositions propres aux outre-mer. Or dans la construction de filières responsabilité élargie du producteur (REP), ceux-ci sont des acteurs et des partenaires centraux.

Le rapport soulève également la complexité des données, qui fait obstacle à une bonne planification. Cette impossibilité de collecter des données, également pointée par la Cour des comptes, vient s’ajouter à une fragilité générale en la matière dans les outre-mer. Une bonne politique de rattrapage pourrait être soutenue par la planification, mais elle est difficile à mettre en œuvre en l’absence de données.

Autre outil, la fiscalité applicable aux déchets devrait être un facteur d’encouragement. Mais la TGAP, par exemple, vient au contraire grever les budgets de fonctionnement des personnes chargées du traitement des déchets alors que les besoins en investissements sont colossaux. Une meilleure mobilisation des fonds structurels européens est donc essentielle.

Toujours pour ce qui concerne la TGAP, les réfactions dont bénéficient les outre-mer sont un facteur d’incertitude. On ne sait à quel horizon elles seront supprimées. Pourtant, la visibilité favorise les investissements. L’affectation de cette taxe au budget de l’État la rend par ailleurs de moins en moins compréhensible dans le contexte ultramarin.

Les pistes d’amélioration suggérées par nos collègues méritent donc d’être explorées lors de la prochaine session budgétaire – si cela n’a pas été fait dans le cadre du comité interministériel pour l’outre-mer (Ciom).

Les besoins de financement sont indéniablement très élevés, que ce soit pour les équipements structurants ou le fonctionnement. En effet, outre-mer, le coût de gestion du service public des déchets est en moyenne 1,7 fois plus important qu’en métropole, pour une ressource fiscale moindre.

En matière fiscale, les éléments mis en évidence par nos collègues constituent en outre une invitation supplémentaire à l’échange de bonnes pratiques entre territoires ultramarins. Les solutions innovantes et incitatives mises en œuvre par Wallis-et-Futuna ou la Nouvelle-Calédonie peuvent utilement nourrir la réflexion sur la fiscalité de l’ensemble des territoires.

La gestion des déchets outre-mer est aussi marquée par une culture moins développée des réflexes de tri, de même que de la responsabilisation du consommateur. Les points de collecte volontaire y sont moins nombreux, et le porte-à-porte reste prédominant.

Comme je l’indiquais à l’instant, une politique de gestion des déchets ne peut se concevoir sans l’adhésion des populations et leur implication. C’est pourquoi, comme le suggèrent nos collègues, il y a lieu d’aborder la question de la gratification sans tabou. Le retard pris dans la structuration des politiques s’est répercuté sur le développement de la culture du tri. Celle-ci doit être plus fortement encouragée outre-mer – ce qui n’empêche pas de renforcer l’effectivité des sanctions, cela va sans dire.

Au moment où le poids de l’empreinte carbone est au cœur de toutes les politiques publiques, on ne saurait s’en affranchir dans la réflexion sur les déchets outre-mer, d’autant que les territoires concernés sont marqués, dans ce domaine, par une forte dépendance aux exportations.

Dans cette optique, la valorisation et la prévention offrent des solutions pour réduire le coût écologique de la gestion des déchets, envisagé cette fois dans le cadre des échanges. Le tribut payé localement par l’environnement est déjà bien lourd du fait de l’enfouissement.

Habiliter les collectivités à définir les matières dont elles autorisent l’entrée est, là encore, une préconisation particulièrement pertinente. En même temps, priorité doit être donnée au développement de filières de valorisation, en particulier énergétique.

Le rapport sur le logement social relevait déjà des difficultés résultant de l’absence de gestion locale de l’amiante, qui pourrait peut-être faire l’objet de réemploi.

L’encouragement au réemploi, dans une optique de développement d’économies circulaires, est un autre outil de gestion de déchets, qui doit être encouragé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.

M. Jean-Louis Lagourgue. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « Ensemble pour une île plus propre » : c’est le slogan de l’association PropRéunion, qui œuvre depuis 2017, grâce à ses bénévoles, à nettoyer La Réunion des dépôts d’ordures sauvages. Je souhaite ainsi commencer par saluer toutes les initiatives locales et bénévoles qui contribuent à la préservation de nos territoires.

Certains d’entre nous ont peut-être déjà entendu quelqu’un revenir d’un voyage dans l’un de nos territoires ultramarins et dire : « C’était magnifique ! Mais qu’est-ce que c’était sale… » Et pour cause : dans certains de ces territoires, les paysages de cartes postales sont malheureusement parfois entachés d’ordures. Bien sûr, c’est aussi le cas de certains territoires hexagonaux, mais, comme souvent dans les outre-mer, les problématiques sont exacerbées par l’insularité, le climat, la densité de population et la taille des territoires.

Malheureusement, la problématique des déchets dans les outre-mer ne se limite pas aux dépôts sauvages ; c’est souvent toute la chaîne de gestion qui est en difficulté, de la collecte au traitement, même si la situation demeure très inégale selon les territoires.

La situation est ainsi beaucoup plus alarmante à Mayotte et en Guyane qu’elle ne peut l’être à Saint-Barthélemy ou à La Réunion. À titre d’exemple, Mayotte et la Guyane enfouissent presque 100 % de leurs déchets, contre 15 % au niveau national.

Pourtant, les conséquences d’une mauvaise gestion des déchets sont nombreuses.

Il y a d’abord les risques sanitaires, avec une prolifération de certaines maladies comme la dengue, la typhoïde ou la leptospirose. Cela pose ensuite des risques économiques aux régions axées sur le tourisme, où la dégradation des paysages à cause des déchets risquerait de détourner les touristes. Cela génère des risques environnementaux enfin, dans des territoires qui, à eux seuls, n’abritent pas moins de 80 % de la biodiversité française et de nombreuses espèces endémiques. Les nombreuses décharges illégales, actuelles ou anciennes, dans lesquelles des batteries sont abandonnées, polluent les sols et les nappes phréatiques.

Comme le souligne le rapport de la délégation sénatoriale, ces situations résultent de causes diverses, qui se cumulent parfois, souvent sur un même territoire. Il y a les problèmes de gouvernance, avec une multiplicité d’acteurs qui ne parviennent pas à se coordonner ; des financements insuffisants pour permettre une remise à niveau rapide ; des éco-organismes pour le moins discrets dans le cadre des filières REP ; ou encore la difficulté, voire l’impossibilité, d’exporter certains déchets.

C’est ainsi que l’île de La Réunion et sa voisine mahoraise subissent depuis 2020 d’importantes difficultés dans l’exportation de leurs déchets dangereux. Les stocks se sont tellement accumulés qu’il a été demandé aux producteurs de conserver ces déchets, dont les collectes ont été interrompues. Nous avons ainsi dû stocker l’équivalent de plus d’une année de déchets dangereux, dont des batteries, des piles et des boues chargées d’hydrocarbures. En cause : la saturation post-covid du transport maritime conjuguée à la frilosité de certaines compagnies pour transporter des déchets dangereux, en raison d’une réglementation complexe.

Si la situation, du moins pour ce qui est du surstockage, a pu être rétablie en octobre dernier à coups de négociations et de procédures exceptionnelles, elle pose évidemment la question de la dépendance de nos deux régions de l’océan Indien aux liaisons maritimes vers l’Europe, située à plus de 9 000 kilomètres.

Les eurodéputés ont arrêté en janvier dernier leur position sur un durcissement de la réglementation relative à l’exportation des déchets hors de l’Union européenne, qu’ils soient dangereux ou non.

Madame la ministre, pouvez-vous nous garantir que la France usera de toute son influence lors des négociations à venir afin que les nouveaux textes tiennent compte des contraintes propres aux outre-mer ? Comment comptez-vous soutenir les initiatives locales qui fleurissent pour le recyclage des déchets en matière de crédits, mais surtout de gouvernance ? En parallèle, comment comptez-vous appuyer le développement de la coopération régionale entre outre-mer français d’une part, et entre les outre-mer et d’autres États d’une même zone géographique d’autre part ?

M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite remercier la délégation sénatoriale aux outre-mer, Gisèle Jourda et Viviane Malet pour leur considérable travail, qui m’a convaincu que cette problématique est moins une particularité exotique qu’une mise à l’épreuve, dans des conditions complexes, de nos politiques publiques. Il s’agit d’un révélateur des carences et dérives de ces dernières, mais aussi de certaines innovations prometteuses, qui interpellent notre responsabilité politique et qui peuvent nous amener à des adaptations et à des avancées dont le bénéfice pourrait profiter autant aux outre-mer qu’à nos territoires de métropole.

Dans les outre-mer, les difficultés et les obstacles jouent sans doute un rôle plus important qu’ailleurs. Les coûts y sont structurellement plus élevés. Néanmoins, l’équation est la même que partout ailleurs : chaque partie impliquée – producteurs, consommateurs, pouvoirs publics – doit assumer pleinement ses responsabilités.

Les producteurs ont la responsabilité des impacts et de la fin de vie de leurs produits. Cependant, le système de REP est extrêmement peu contraignant et les éco-organismes ne sont pas tenus à des objectifs spécifiques par territoire. Cette situation est encore plus handicapante dans les outre-mer.

Les consommateurs ont également la responsabilité d’adopter des comportements vertueux, rendus d’autant plus indispensables par les difficultés de collecte, la part des apports volontaires et les contraintes liées à l’insularité et à l’exposition accrue aux risques naturels.

Enfin, les acteurs publics – collectivités, État, Europe, législateurs – ont la responsabilité de mettre en place des normes, des règles, des cahiers des charges, des moyens d’investissement et de fonctionnement durables, des contrôles, des sanctions et un accompagnement à la hauteur des enjeux, des contraintes spécifiques et des trajectoires fixées.

La dengue, le paludisme, le saturnisme, l’hépatite A sont des maladies qui prolifèrent dans de nombreuses régions d’outre-mer en raison de la présence de déchets dans des décharges ou des dépôts sauvages comme, par exemple, des épaves de véhicules abandonnées dans la nature.

Les outre-mer abritent 80 % de la biodiversité française. Lorsqu’une mangrove, un lagon, une forêt ou un cours d’eau se transforment en dépotoir, cela engendre un désastre écologique, sanitaire, social – et touristique !

La France est ambitieuse pour un traité international sur la pollution plastique, mais cette ambition doit se concrétiser également dans nos territoires d’outre-mer durement atteints.

Parmi les recommandations du rapport de la délégation aux outre-mer, je retiens deux idées principales.

Tout d’abord, la nécessité d’élever les exigences de notre système de REP. Les éco-organismes, en tant que mandataires des metteurs sur le marché, doivent être soumis à des objectifs territoriaux. Pourquoi feraient-ils des efforts en Guadeloupe ou en Guyane, si cela leur coûte plus cher qu’en métropole et s’ils ne risquent aucune sanction en cas de résultats insatisfaisants dans ces territoires, où la collecte et le recyclage sont bien plus coûteux qu’à Strasbourg ou à Lyon ?

Il est donc nécessaire d’autoriser les outre-mer à intervenir dans les cahiers des charges et à adopter leurs propres normes pour la mise sur le marché, la consigne et le réemploi. Afin de leur donner un levier d’action déterminant, il sera nécessaire de réduire de 100 tonnes à 1 tonne le seuil à partir duquel le coût de nettoyage d’un dépôt sauvage est pris en charge par les éco-organismes.

La seconde idée-force de cette série de recommandations consiste à fournir aux outre-mer les moyens de faire face aux coûts nettement plus élevés liés à leurs déchets.

Il est important de préciser qu’il ne s’agit pas de mauvaise gestion publique, mais de spécificités qui font que, dans les outre-mer, ce sont largement les contribuables et l’ensemble de la population qui supportent le coût du traitement des déchets provenant des activités économiques. Comme le souligne l’association Amorce, il n’est pas aussi facile de mettre en place un centre de tri outre-mer qu’en région parisienne.

Il est évident que des plans de rattrapage exceptionnels sont nécessaires. L’État doit mettre sur la table des moyens financiers, en particulier en faveur des territoires de Mayotte et de la Guyane. Il faudrait au minimum 250 millions d’euros sur cinq ans, qui permettraient aux collectivités de mettre en place les infrastructures prioritaires et les équipements structurants.

Donner les moyens, c’est aussi remédier aux effets négatifs de la TGAP, dont les paramètres, fixés pour la métropole, visent notamment à éviter qu’il soit moins coûteux d’enfouir les déchets plutôt que de les recycler. Ce bon principe devient contre-productif outre-mer, où l’enfouissement prédomine à tel point que la TGAP agit comme un frein plutôt que comme une incitation à agir, asséchant ainsi les ressources nécessaires au financement du rattrapage indispensable. La recommandation n° 12, qui prévoit d’instaurer une exonération adaptée de la TGAP pour les différents territoires d’outre-mer, est donc primordiale.

De même, il est essentiel d’accorder une aide au fret pour lever les obstacles à la mutualisation et à la massification des flux de déchets à traiter entre territoires voisins.

Enfin, la recommandation n° 23, largement développée dans le projet de résolution européenne de nos collègues, vise opportunément à rendre les dispositifs et les aides européennes plus adaptés aux outre-mer.

En conclusion, si tout ce débat, toutes ces attentes, ce rapport de la délégation, cette résolution européenne à venir ne servaient à rien, ne se traduisaient pas dans les faits, ce serait une immense déception. Je parlais à l’instant de responsabilité des acteurs publics. Madame la ministre, celle de votre gouvernement est particulièrement attendue ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)