M. Daniel Salmon. Son seul résultat tangible sera de permettre à des investisseurs de diversifier leur portefeuille d’actions en leur faisant notamment bénéficier d’un traitement fiscal et successoral favorable. Non, hélas ! cet outil ne permettra pas d’atteindre l’objectif affiché, qui est de faciliter la transmission des terres agricoles.

En conditionnant cet outil à la conclusion de baux à long terme, dont les loyers sont supérieurs à ceux du bail de neuf ans, il risque de provoquer une augmentation des loyers et, en fait, de constituer un frein à l’installation de nouveaux actifs, bien moins à même de payer des loyers élevés que ceux qui sont déjà installés.

C’est d’ailleurs précisément ce que l’on observe depuis la création des groupements forestiers d’investissement, qui servent de modèle aux GFAI que vous proposez. L’arrivée des investisseurs en forêt a provoqué une augmentation des prix du foncier, rendant difficile l’installation pour les forestiers locaux.

En l’absence de tout encadrement de ces GFAI, ce nouvel outil risque donc de renforcer la dynamique actuelle de concentration des terres et d’agrandissement des fermes et, par là même, le développement de l’agro-industrie.

Or nous considérons que les dispositifs de portage foncier doivent, au contraire, permettre une orientation des terres agricoles vers des exploitations à taille humaine, pourvoyeuses d’emploi, et qui adoptent des pratiques environnementales vertueuses.

Bref, si cette proposition de loi ne vient pas bouleverser les équilibres en place, nous voyons dans ces nouveaux GFAI un glissement dangereux vers une logique de financiarisation du foncier agricole, une évolution qui ne garantit en rien le renouvellement générationnel et la transition écologique.

Ce texte, de fait, ne tient pas compte de la nécessité de changer de modèle, alors que les crises climatiques et environnementales nous pressent d’agir. La terre agricole n’est pourtant pas un bien comme les autres. Elle devrait être considérée comme un bien commun, car elle constitue un élément clé de notre avenir collectif.

J’exprime devant vous une dernière inquiétude : le débat sur le foncier agricole va-t-il se résumer à cette proposition de loi, qui pourrait bien se révéler contre-productive ou allons-nous sérieusement y consacrer le temps nécessaire lors de l’examen du projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles ?

Je me tourne donc vers le banc du Gouvernement. Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas faire l’impasse sur la question de la régulation du foncier dans le projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles. Ce sujet doit impérativement être mis sur la table. À cette occasion, vous pourrez compter sur moi et sur le groupe GEST pour défendre des propositions permettant de faire de la régulation foncière un outil pour renouveler les générations, lutter contre l’agrandissement et favoriser les pratiques en faveur du climat et de la biodiversité.

À l’heure où la faiblesse du revenu agricole est patente, est-il pertinent de mettre le foncier entre les mains des investisseurs, dont la question existentielle est : quel est le rendement ? Il me semble que ce n’est pas ce qu’il y a de plus pertinent aujourd’hui… (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « préserver le caractère familial de l’agriculture » et « facilite[r] l’accès au foncier agricole dans des conditions transparentes et équitables » sont les objectifs assignés à l’État par l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime.

Or, aujourd’hui, une exploitation sur cinq s’étend sur 136 hectares ou plus ; deux tiers des terres agricoles, lorsqu’elles changent de mains, concourent à l’agrandissement des exploitations. En d’autres termes, les exploitations sont devenues tellement grandes que, souvent, seules des firmes peuvent les reprendre. Ce phénomène, insuffisamment documenté, empêche la transmission en faveur d’une agriculture de proximité, à taille humaine, qui permettrait aussi de changer les pratiques agricoles.

Dans le même temps, presque un travailleur agricole sur deux devrait partir à la retraite dans les dix ans à venir. Le besoin en termes de renouvellement générationnel est donc énorme. De fait, il y a urgence à favoriser réellement les aspirants à l’installation, dont 60 % ne sont pas issus du milieu agricole. Il y a urgence à ce que notre pays parvienne enfin à suivre le cap agricole qu’il a lui-même fixé.

Cela est impératif si nous voulons la cohabitation de plusieurs modèles agricoles sur notre territoire et la survie d’un certain modèle familial.

Or, face au renchérissement du prix du foncier et à sa raréfaction, les textes que nous examinons depuis deux ans ne sont pas la hauteur des enjeux. Pis, ils étendent la logique de marché à ce bien commun qu’est la ressource foncière.

Le texte dont nous débattons aujourd’hui n’échappe pas à la règle, puisqu’il propose la création d’un nouveau véhicule d’investissement défiscalisé, en faveur des épargnants les plus aisés, le GFAI, et cela sans aucune étude d’impact.

Or, dans le dispositif proposé, les terres concernées par cet instrument de portage foncier pourront être louées à tout agriculteur, quelle que soit la superficie qu’il exploite. Dès lors, comment être sûr que ce dispositif ne bénéficiera pas essentiellement aux grandes structures ? Celles-ci pourront plus facilement accepter des loyers supérieurs à ceux des baux traditionnels. Par conséquent, cela privera de terres les candidats à l’installation.

Comment évaluer le risque de renchérissement des baux ruraux ? Il n’est pas inexistant, comme le soulignait à juste titre le rapporteur. Le GFAI est un produit financier comportant des risques, dont le détenteur recherchera un niveau de rentabilité important. Or, comme le souligne très justement le rapport de la commission des finances, « la maîtrise du coût du fermage, et donc du foncier, s’oppose à l’attractivité du foncier agricole pour les investisseurs, à la recherche d’un certain niveau de rendement ».

De même, ce produit, dont on nous dit qu’il sera éthique, n’est pas ciblé. Nous ne savons pas à qui profitera ce nouveau portage foncier : à l’installation ? À l’agrandissement ? Au verdissement de notre agriculture ? Rien dans le texte ne le précise.

S’il est vrai que chaque génération d’agriculteurs s’installe différemment que la précédente, prenons garde que la terre ne devienne un nouveau terrain de jeu pour les fonds d’investissement, une marchandise en somme.

Plus que jamais, nous devons répondre de manière ambitieuse à la banalisation d’une vision capitalistique de l’agriculture, qui draine son lot de mégaexploitations, détenues sous des formes sociétaires, dans lesquelles la plupart des travailleurs agricoles seront salariés et où les conditions de travail seront une variable d’ajustement pour des détenteurs de capital foncier toujours plus éloignés du monde agricole.

Appelons à une refonte en profondeur de la régulation foncière et des outils d’orientation du foncier que sont les Safer et au contrôle des structures non par touches successives, mais dans le cadre d’un débat de fond autour du projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles.

Nous pensons, comme de nombreuses organisations agricoles, que le GFAI, destiné aux plus gros patrimoines cherchant à défiscaliser, tourne le dos à la logique coopérative des GFA à la faveur d’une logique d’investissement, qui risque de favoriser encore plus la dynamique en cours de concentration des terres dans les mains de grands groupes financiers, et cela au détriment de l’installation des jeunes agriculteurs. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les difficultés que connaissent nos agriculteurs pour s’installer ou transmettre leurs exploitations sont bien connues au sein de notre Haute Assemblée : baisse du nombre d’exploitants, vieillissement des agriculteurs actifs, affaiblissement du modèle traditionnel familial, augmentation de la surface moyenne des exploitations, frein de l’accès au foncier.

Toutes ces tendances se sont accélérées et ont été confirmées ces dernières années. Elles suscitent, à raison, beaucoup d’inquiétudes, car c’est notre puissance agricole qui est en jeu.

Comment tenir nos objectifs pour recouvrer notre souveraineté alimentaire si les agriculteurs ne peuvent plus s’installer dans de bonnes conditions ou transmettre leurs exploitations ? Dans mon département de la Mayenne, entre 2010 et 2020, nous en avons perdu plus de 1 000. Dans le même temps, le nombre de chefs d’exploitation a diminué de 17 %.

Le coût d’installation pour un jeune agriculteur avoisine quant à lui 1 million d’euros et peu de banques sont prêtes à financer des projets de reprise, en particulier dans l’élevage bovin, si important pour notre bocage.

Pour tenter de répondre à cette situation, la région Pays de la Loire a récemment lancé le dispositif « territoire pilote » pour accroître et faciliter les transmissions en associant l’ensemble des acteurs concernés. L’efficacité de ce dispositif tient notamment à l’animation d’un réseau local, au plus près de nos territoires agricoles.

Le défi est de taille. C’est une véritable transformation des modèles d’exploitation agricole que nous devons envisager.

La création des GFA dans les années 1970, dans le but d’empêcher le démembrement des exploitations lors de leur transmission, a constitué une première réponse pertinente, dans le contexte de l’époque. Dans la continuité de ce dispositif, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a pour objet la création d’un GFA d’épargnants. Au travers de l’ouverture de l’acquisition foncière agricole aux épargnants, un système de fermage serait mis en place pour faciliter l’installation des agriculteurs. Il s’agit d’un outil complémentaire intéressant, mais il me semble important de formuler quelques réserves.

Comme notre rapporteur, Christian Klinger, dont je salue ici le travail, je doute de l’attractivité de ce dispositif, qui me semble très limité dans sa portée – sur ce point, je regrette l’absence d’étude d’impact, puisqu’il s’agit d’une proposition de loi.

De nombreux instruments existent déjà pour le portage collectif du foncier. Certes, ce système pourrait faciliter l’installation, mais quelle possibilité offre-t-il réellement concernant la transmission ? Par ailleurs, être locataire, est-ce vraiment le sens que l’on veut donner à notre agriculture ?

J’ai bien conscience des réalités de l’agriculture aujourd’hui : un candidat sur deux à l’installation agricole n’est pas issu d’une famille d’exploitants agricoles et, par conséquent, ne dispose pas de l’appareil productif et du foncier nécessaires.

Face à l’érosion du potentiel de production que nous constatons tous dans nos territoires, il nous faut trouver des solutions qui permettent de maintenir une diversité des modèles agricoles, de rendre de l’attractivité aux métiers agricoles et d’adapter l’agriculture française aux mutations que nous connaissons.

Monsieur le ministre, l’examen de cette proposition de loi est donc l’occasion de vous interpeller de nouveau sur cet enjeu majeur qu’est la transmission pour nos agriculteurs, dans un contexte de transition environnementale. C’est un enjeu du point de vue non seulement du foncier, mais également de la rentabilité et de la lutte nécessaire contre l’agribashing : autant de sujets à traiter dans le projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles, que nous attendons tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. M. Raphaël Daubet applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite formuler quelques réflexions et analyses en réponse à vos différentes interventions.

Monsieur Daubet, je vous remercie de votre intervention, dont je partage un certain nombre de points, notamment votre interrogation sur la nécessité de toucher aux grands équilibres et de mettre le doigt dans un tel engrenage. Comme vous l’avez bien souligné dans votre démonstration, le monde a évolué et il est essentiel de se demander si nos outils correspondent réellement à la réalité vécue sur nos territoires.

Je tiens à souligner un aspect que plusieurs d’entre vous ont évoqué : le renouvellement des générations. C’est un sujet de souveraineté alimentaire, mais également une question de dialogue entre le monde agricole et la société. Moins nous avons d’agriculteurs, plus nous avons de difficultés, sur les territoires, à établir un dialogue. Je prendrai l’exemple de trois pays : l’Irlande, avec 5 millions d’habitants, compte 135 000 exploitations agricoles ; l’Italie, qui a moins d’habitants que la France, en compte plus d’un million ; l’Espagne en a 900 000. La puissance agricole, non plus que le dialogue, sur le territoire, avec l’agriculture, ne peut être décorrélée du nombre d’exploitants agricoles. La question du renouvellement des générations est économique, écologique et sociologique. Si nous n’agissons pas sur ce renouvellement, nous n’y arriverons pas.

Oui, monsieur Lévrier, ce texte n’est qu’une pierre de l’édifice : tout comme son auteure et son rapporteur, nous ne prétendons pas qu’il résoudra l’ensemble des problèmes liés au renouvellement des générations et aux difficultés d’accès au foncier.

Madame la sénatrice Briquet, vous avez mentionné plusieurs sujets importants. Vous avez évoqué le risque d’éviction. En réalité, l’éviction est déjà présente. Le texte dont nous discutons cet après-midi vise justement à éviter un tel risque. Partout, le prix du foncier devient inaccessible pour beaucoup. Dans le territoire que je connais le mieux, le Loir-et-Cher, les terres qui coûtaient autour de 5 000 euros valent aujourd’hui entre 10 000 et 14 000 euros l’hectare et elles sont acquises par des personnes n’ayant aucun lien avec l’agriculture. Nous devons travailler pour éviter ces effets d’éviction, ce qui nécessite une régulation. Cette proposition de loi le permet.

Cela a également été dit par l’auteure et le rapporteur de cette proposition de loi, celle-ci ne remet aucunement en cause le statut du fermage et, partant, ne crée aucun effet d’éviction. Ce statut constitue un énorme avantage comparatif pour notre pays, car c’est un élément de sécurisation. Le fermage et l’encadrement de ses prix constituent un avantage comparatif immense pour notre pays.

Vous avez évoqué plusieurs mécanismes de régulation. Actuellement, la loi du 23 décembre 2021 portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires, dite loi Sempastous, commence à produire ses effets. Ne lui faisons pas de procès ! Nous n’avons pas encore un recul suffisant pour en faire l’évaluation, mais les remontées d’informations des Safer nous fourniront des éléments pour évaluer son efficacité ou les besoins d’amodiation. Cet aspect me semble crucial.

Beaucoup d’entre vous ont souligné la nécessité d’une approche plus globale, englobant les aspects budgétaires, sociaux et environnementaux : j’y ajouterai la question de la souveraineté.

Je rappelle que c’est Stéphane Le Foll, au travers de la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, qui a créé les groupements forestiers d’investissement, ce qui montre une continuité dans ce type de dispositif et un assez large consensus politique en sa faveur.

Monsieur Somon, vous dites que le texte imposera des contraintes supplémentaires pour ceux qui souhaitent s’installer : nous avons là un point de désaccord. Le travail en commission a bien montré que l’objectif est non pas d’ajouter davantage de contraintes, mais plutôt de permettre à l’investisseur d’investir sans empiéter sur le pouvoir décisionnel de l’agriculteur. L’agriculteur doit rester maître chez lui pour que le système fonctionne. Le présent texte permet d’éviter cet écueil. D’ailleurs, le risque que vous évoquez existe aussi si ce sont des collectivités territoriales qui interviennent. J’en connais qui se montrent prescriptrices sur le choix des cultures… Mais le statut du fermage est suffisamment protecteur.

Monsieur le sénateur Wattebled, vous avez évoqué le sentiment de dépossession – il est vrai que vous êtes élu d’un département frontalier, problématique à laquelle n’est pas confrontée la région Centre-Val de Loire ! Ce sentiment peut être double, touchant les régions frontalières comme celles qui ne le sont pas. Le prix bas des terres agricoles en France est un atout majeur en termes de compétitivité, avec la stabilité du fermage et l’encadrement des loyers. Cependant, il peut y avoir des effets d’éviction, que ce soit en région frontalière ou à l’« intérieur des terres », où des jeunes ne parviennent parfois pas à s’installer faute d’accès au foncier. Il est vrai toutefois que la tension est plus forte à la frontière. Nous devrons travailler cette question avec les Safer et renforcer la régulation.

Oui, monsieur le sénateur Canévet, il est nécessaire de multiplier les outils, car aucun dispositif ne résoudra à lui seul tous les problèmes, y compris sur la question du foncier. C’est la combinaison de divers outils que nous mettrons sur la table qui permettra de répondre aux diverses situations. Le dispositif présenté semble être intéressant à explorer.

Je souhaite insister sur la puissance du fermage, même si certains exploitants s’en tiennent encore à l’écart. Plusieurs dispositions de la loi Sempastous venaient dévoyer le statut des organisations sociétaires. Il est impératif de remettre le statut du fermage au cœur du dispositif, car il s’agit d’une protection essentielle.

Concernant les Maec, notamment en Bretagne, il est à noter que les moyens de l’État sont plus importants dans la programmation actuelle que dans les précédentes. Cependant, un plus grand nombre d’individus s’engagent dans ces transitions – ce qui constitue plutôt une bonne nouvelle. Cela crée une difficulté en termes de financement, mais nous travaillons, avec la ministre de la transition écologique, pour que les agences de l’eau puissent assumer la part qui leur revient et afin que les moyens soient déployés pour soutenir en particulier les agriculteurs engagés dans des Maec dites systèmes, les plus présentes en Bretagne.

Monsieur Salmon, vous affirmez que les GFI ne fonctionnent pas. Cependant, la hausse des prix du foncier forestier est attribuable au fait que les forêts sont redevenues une valeur refuge. En fait, on commence enfin à payer le bois à sa juste valeur, contrairement aux trente ou quarante dernières années, où tel n’était pas le cas, sauf peut-être pour le chêne et les résineux – en particulier dans le Sud-Ouest, grâce à la présence d’une filière très organisée –, le reste étant utilisé comme résidu. C’est une bonne nouvelle, y compris pour le renouvellement forestier, car cela facilitera les investissements. La montée des prix du foncier forestier s’explique par l’intérêt grandissant pour la forêt aujourd’hui, qui est bienvenu, je le répète. Tant mieux si un nombre croissant de personnes découvrent l’intérêt de la forêt ! La proposition de loi vise non pas à résoudre l’intégralité des problèmes liés au foncier, mais à apporter une contribution spécifique à ce sujet.

Je souhaite évoquer la question de l’équilibre entre les secteurs privé et public dans la possession des terres agricoles. En France, seulement 1,7 % de ces terres relèvent de la maîtrise d’ouvrage publique, le reste étant propriété privée. Ne faisons donc pas croire que nous faisons passer les terres du public au privé, puisque la propriété foncière agricole est déjà principalement privée – et ce n’est pas un gros mot. Là où je vous rejoins, c’est qu’il est essentiel de trouver des mécanismes de régulation.

En Bretagne, les mécanismes de régulation sont en place et fonctionnent dans de bonnes conditions, ce qui se traduit par un taux de renouvellement des générations plus élevé que dans d’autres régions. Cela est dû à la collaboration de tous les acteurs régionaux et au modèle agricole propre à cette région. Cela montre à la fois que la régulation peut fonctionner et qu’une volonté bretonne s’est exprimée à tous les niveaux – collectivités et responsables professionnels – pour favoriser le renouvellement. Nous avons donc besoin de travailler sur le foncier en termes de capitaux et de régulation.

Je partage certains points avec vous, monsieur Bocquet, contrairement à ce que vous pourriez penser. Nous devons éviter une vision excessivement rentable de l’agriculture. Il est essentiel de ne pas exiger de l’agriculture des rendements qu’elle ne peut pas fournir. Je conviens qu’il faut distinguer la spéculation capitalistique de la nécessité d’apporter des capitaux pour accompagner la transition. Il y a un vrai besoin de matériel performant pour assumer la transition et permettre à des jeunes de s’installer. Certaines structures, en particulier dans l’élevage, nécessitent des capitaux, c’est une réalité économique.

Nous devons nous assurer que le groupement foncier soit orienté vers l’installation des jeunes agriculteurs, et non vers l’agrandissement des exploitations. Nous ambitionnons de résoudre le problème d’accès au foncier pour ceux qui ne peuvent pas y accéder, en particulier les jeunes, ou moins jeunes, agriculteurs en devenir.

Enfin, monsieur Chevrollier, vous vous demandez si être locataire peut être une perspective. Je souligne que la moitié des agriculteurs français sont locataires ! (M. Michel Canévet acquiesce.) Le statut du fermage protège ces locataires. Plus vous avez de nouveaux agriculteurs qui ne sont pas issus du milieu agricole, plus ces agriculteurs, pour éviter une charge de foncier trop lourde, rechercheront le statut de locataire.

Il est essentiel de considérer la question du foncier dans le cadre d’un pacte et d’une loi pour garantir la transmission et le renouvellement des générations. Je répète que, pour favoriser l’installation des jeunes en agriculture, il faut non seulement aborder la question du foncier, mais également les besoins en capitaux, la formation, la fiscalité, les conditions de travail et la rémunération. Dans les systèmes d’élevage, par exemple, il faut de la main-d’œuvre et donc une rémunération et des conditions de travail qui ne soient pas les mêmes que celles de nos parents ou grands-parents. C’est un sujet central.

Enfin, il est vital de créer un environnement favorable à l’installation des jeunes, en valorisant le métier d’agriculteur et en évitant les discours dévalorisants à l’égard de cette profession. Comment voulez-vous qu’un jeune s’installe dans l’élevage quand, à longueur de journée, on montre cette profession du doigt, avec des inscriptions – je préfère ne pas entrer dans le détail – sur les murs ou des intrusions dans des exploitations agricoles dans le but de dénoncer tel ou tel mode d’exploitation ? (Marques dapprobation sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.) Il n’y a pas beaucoup de secteurs, au fond, où l’on s’entend dire à longueur de journée que l’on ne fait pas un beau métier. Pour moi, c’est un beau métier, un métier dont nous avons besoin, et il faut encourager ceux qui l’exercent à la transition et ne pas décourager ceux qui le souhaitent de s’installer en agriculture. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. M. Christopher Szczurek applaudit également.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises
Article 2

Article 1er

Le chapitre II du titre II du livre III du code rural et de la pêche maritime est complété par un article L. 322-25 ainsi rédigé :

« Art. L. 322-25. – I. – Tout groupement foncier agricole mentionné à l’article L. 322-1, qui lève des capitaux auprès d’investisseurs en vue de les investir dans l’intérêt de ces derniers et conformément à une politique d’investissement que ce groupement ou sa société de gestion définit, est un groupement foncier agricole d’investissement. Ce groupement est soumis à l’article L. 214-24 du code monétaire et financier.

« Un groupement foncier agricole d’investissement est une société civile régie par les articles 1832 à 1870-1 du code civil et par les articles L. 322-1 à L. 322-21 et L. 322-23 du présent code. Il peut offrir au public ses parts sociales.

« II. – L’offre au public de ses parts sociales par un groupement foncier agricole d’investissement est soumise aux articles L. 214-86 à L. 214-113 du code monétaire et financier et respecte les conditions suivantes :

« 1° À concurrence de 15 % au moins, le capital maximal du groupement, tel que fixé par ses statuts, doit être souscrit par le public dans un délai de deux années après la date d’ouverture de la souscription. À défaut, le groupement est dissous et ses associés sont remboursés du montant de leur souscription ;

« 2° L’ensemble des biens immobiliers du groupement foncier agricole doit être donné à bail à long terme ;

« 2° bis L’actif du groupement foncier agricole d’investissement est constitué d’immeubles à usage ou vocation agricole en vue de l’exercice d’une activité agricole définie à l’article L. 311-1 et de liquidités ou valeurs assimilées. Un décret en Conseil d’État fixe les conditions et limites de détention et de gestion de ces actifs, en particulier pour ce qui concerne la composition de l’actif du groupement foncier agricole d’investissement, les opérations d’échange et de cession de l’actif, les règles de gestion et de fusion des groupements fonciers agricoles d’investissement ;

« 3° Pour l’application de l’article L. 214-89 du même code, la responsabilité de chaque associé d’un groupement foncier agricole d’investissement qui a recours à l’offre au public ne peut dépasser le montant de sa part dans le capital.

« III. – Le groupement foncier agricole d’investissement mentionné au II est soumis aux articles L. 231-8 à L. 231-21 du code monétaire et financier.

« IV. – Pour l’application des articles L. 321-1, L. 411-1 à L. 412-1, L. 621-1, L. 621-8 à L. 621-8-2 et du I de l’article L. 621-9 du code monétaire et financier, les parts des groupements fonciers agricoles d’investissement sont assimilées à des instruments financiers.

« V. – Pour l’application des articles L. 621-5-3, L. 621-5-4 et L. 621-8-4 du code monétaire et financier, les groupements fonciers agricoles d’investissement sont assimilés à des organismes de placement collectif.

« VI. – Le règlement général de l’Autorité des marchés financiers précise les conditions d’exercice de l’activité de gestion des groupements fonciers agricoles d’épargnants relevant du présent article. »

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, sur l’article.

M. Daniel Salmon. Je l’ai déjà dit, il n’est fait aucunement référence dans cet article à une politique visant à favoriser l’installation. Le dispositif n’étant ni fléché ni conditionné à des objectifs de renouvellement des générations, il peut parfaitement être utilisé pour supporter et nourrir des agrandissements excessifs et des logiques d’accaparement foncier.

Par ailleurs, nous nous inquiétons de la référence aux baux de long terme, lesquels permettent d’avoir un fermage 15 % à 25 % supérieur aux baux de court terme. Pourquoi a-t-on choisi d’en parler explicitement dans ce texte, sinon pour satisfaire les investisseurs ? En effet, entre investisseurs et spéculateurs, nous le savons, il n’y a parfois qu’un fil ténu.

Enfin, comme l’a rappelé M. le ministre, le fermage est un outil essentiel dans la politique du foncier agricole en France. Certains orateurs ont parlé, s’agissant de ce texte, de nouvelle pierre ajoutée à l’édifice. N’est-ce pas plutôt une pierre que l’on retire au bas du mur, fragilisant ainsi tout l’édifice du système de fermage qui nous est cher ?

J’enjoins donc à mes collègues de faire preuve d’une grande vigilance eu égard à cet article. Pour notre part, nous voterons contre.