Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Perrin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. François Bonneau applaudit également.)

M. Cédric Perrin. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, après le Mali, la République centrafricaine et le Burkina Faso, c’est aujourd’hui du Niger que nos forces armées sont sommées de se retirer.

En l’espace de quelques mois, ce sont dix ans d’engagement politique et militaire au Sahel, dix ans de lutte, pour laquelle 58 des nôtres ont sacrifié leur vie, qui ont été abruptement désavoués. En toile de fond, la montée du sentiment anti-français s’est accélérée, dépassant désormais le seul cercle des activistes et des désinformateurs.

Face à cette réalité qui sature médias et réseaux sociaux, c’est parfois au crépuscule africain de la France que nos compatriotes ont le sentiment d’assister. Et pour cause : notre retrait du Sahel est l’acmé d’un phénomène de reflux par lequel notre influence politique, diplomatique, économique ou culturelle n’a cessé de faiblir. Au fil du temps, les liens construits depuis les indépendances se sont distendus.

La raison en est que notre pays a désinvesti sa relation à l’Afrique. Il s’en est en quelque sorte éloigné, en démantelant par exemple son appareil de coopération technique, qui était pourtant un formidable levier de développement, d’influence et de présence au plus près des populations.

Toutefois, si la France a moins regardé vers l’Afrique, la réciproque est vraie ; car, tout simplement, l’Afrique a profondément changé. L’avènement d’une jeunesse nombreuse, largement urbaine et connectée, a transformé le visage du continent. Cette jeunesse est entrée de plain-pied dans la mondialisation ; pour elle, la France n’est plus qu’un partenaire potentiel dans la longue liste des pays qui portent désormais leur regard vers l’Afrique.

Reconnaissons au Président de la République le mérite d’avoir eu l’intuition qu’une bascule s’opérait. Dès 2017, il ambitionnait d’écrire une « nouvelle relation d’amitié » avec le continent. Pourtant, la réalité des années qui suivirent fut tout autre.

La montée en puissance de nos compétiteurs et la tendance de certains gouvernements à se défausser sur la France n’expliquent pas tout.

Ce sont bien les maladresses et les incohérences, les erreurs d’analyse et les stratégies illisibles, qui ont précipité la phase critique que nous connaissons aujourd’hui.

Dans ce contexte, le chef de l’État a proposé une stratégie désormais « partenariale ». Dont acte. Par la force des choses, cette évolution était de toute façon devenue incontournable. Mais, pour qu’elle porte ses fruits, encore faudra-t-il l’ancrer dans une approche pragmatique, fondée sur des constats lucides et des principes clairs.

Au rang des constats, admettons tout d’abord cette évidence : l’ère du monopole dont la France a bénéficié dans certains pays est terminée. Son rôle et sa place ne seront pas demain ceux qu’elle a tenus hier. Intégrer ce changement de paradigme, c’est comprendre que l’Afrique est devenue un espace de compétition à investir pour ne pas en être exclu.

C’est comprendre que la France doit s’adapter à la réalité d’une relation qui est non plus automatique, mais choisie, et qu’elle doit donc rompre avec cette attitude qui l’a conduite ces dernières années à osciller entre deux écueils : d’une part, la repentance, qui nous dévalorise ; de l’autre, l’arrogance, qui dévalorise nos partenaires.

Comment en effet présenter une image attractive de notre pays et construire une relation sereine si nous faisons nôtre la vision de ceux pour qui la France est une éternelle coupable et l’Afrique son éternelle victime ? Cette rhétorique ne peut mener qu’à l’impasse. Ne soyons donc pas naïfs et gardons à l’esprit que, bien souvent, elle est instrumentalisée au service d’agendas politiques qui n’ont rien à voir avec le devenir des Africains.

Citons simplement le cas du groupe Wagner. En exacerbant le narratif anti-Français, la compagnie russe ne vise aucunement à soutenir une quelconque affirmation des souverainetés africaines. Elle cherche à appuyer son déploiement en Afrique francophone, avec, en ligne de mire, l’affaiblissement de la France – bien sûr, en gagnant des positions stratégiques à son détriment, mais aussi en créant, par le pourrissement de situations sécuritaires déjà dramatiques, les conditions d’une nouvelle crise migratoire.

Moscou a parfaitement observé les effets déstabilisateurs sur l’Europe de tels phénomènes, ainsi que la prime électorale qu’ils offrent à des formations politiques réputées proches de la Russie.

À cet égard, si nous devons dénoncer les discours hostiles à la France, il nous faut aussi bien mieux les contrer. Notre réponse demain devra sortir des sentiers battus de la seule communication institutionnelle et trouver d’autres types de relais et de formats, davantage adaptés aux codes de la lutte informationnelle.

Pour autant, ne restons pas sourds aux reproches qui nous sont adressés ! Reconnaissons ainsi que le procès en condescendance ou en paternalisme, si souvent instruit à l’encontre de la France, n’est pas sans fondement. Le plus élémentaire respect dû à nos partenaires consisterait à ne pas prétendre savoir mieux qu’eux-mêmes la manière dont ils doivent gouverner ou se développer.

Nos conditionnalités politiques sont perçues comme un messianisme démocratique déplacé, qui plus est appliqué à géométrie variable. Elles sont vues comme une volonté de modeler les sociétés africaines à notre image, en imposant des valeurs qui ne sont pas toujours les leurs.

Face à des compétiteurs stratégiques pour qui ces questions n’ont aucune importance, notre attitude doit renouer avec davantage de réalisme, pour ne pas donner le sentiment que nous cherchons à faire l’Afrique à la place des Africains, ou pire, en dépit des Africains. Et c’est ce même réalisme qui doit nous amener à assumer que le principe d’un partenariat est avant tout de servir des intérêts mutuels.

Les contacts noués par notre commission confirment que les attentes sont d’abord économiques et que cette dimension doit être placée au cœur de nos relations.

Ces attentes concernent l’aide au développement, bien sûr, à condition que celle-ci puisse s’appuyer de nouveau sur un réseau de coopération et d’expertise technique à la fois dense et décentralisé.

Il est aussi nécessaire que notre aide soit concentrée sur les domaines fondamentaux qui font une véritable différence pour les populations : l’agriculture, la santé, l’éducation, l’accès à l’eau et à l’énergie, ou encore la construction d’un modèle de développement adapté aux effets déjà redoutables du changement climatique.

Surtout, les partenariats que nous bâtirons seront utiles s’ils permettent d’accroître les investissements de long terme dans les infrastructures et l’industrialisation. Ce sont des leviers essentiels pour permettre aux économies africaines de se diversifier et de créer de la valeur, mais aussi, sur un continent en pleine expansion démographique, pour développer un emploi de masse.

Dans cette perspective, l’État doit inciter nos entreprises à se projeter sur le marché africain. Il doit les accompagner pour s’adapter à la demande, mais aussi négocier des cadres leur permettant de s’implanter et d’investir pour produire ou coproduire avec les entreprises africaines.

Bien sûr, la France ne pourra rivaliser seule face aux volumes d’investissements, publics comme privés, que certains sont en mesure de mobiliser. C’est pourquoi elle devra développer des synergies avec d’autres partenaires, tout en cherchant à peser bien davantage sur l’orientation des fonds considérables décaissés par l’Europe.

Quant aux intérêts que notre pays peut trouver dans une relation forte avec le continent africain, s’ils existent, encore faut-il affirmer sans fard que nous cherchons à les défendre et à les promouvoir.

Ces intérêts sont d’abord politiques et diplomatiques. Oui, l’influence que la France exerce en Afrique participe de sa stature internationale, mais, plus globalement, elle prend une autre dimension au regard de la compétition stratégique actuelle.

Certaines puissances, cherchant à redessiner la carte des rapports de force, veulent créer une césure entre ce qu’elles appellent « l’Occident collectif » et le « Sud global ». Dans leur stratégie de basculement de l’ordre international, l’Afrique, futur poids lourd mondial dans de nombreux domaines et réserve importante de votes à l’ONU, tient une place centrale.

Notre coopération devra intégrer cette nouvelle donne, y compris en orientant notre aide au développement de manière plus politique.

Tourner le dos à l’Afrique, comme certains le suggèrent face aux difficultés du moment, est une option dont il faut prendre le ferme contre-pied. À rebours de cette approche, notre implication doit grandir.

Soulignons à cet égard que si l’Afrique francophone – c’est bien légitime – entend nouer des relations hors de toute coopération exclusive, nous gagnerions à suivre la même logique. En conséquence, accélérons l’élargissement de nos horizons en direction de toutes les Afriques, notamment anglophone et lusophone, qui constituent des pistes de partenariat très prometteuses.

Nos intérêts, ensuite, sont économiques. Le continent africain représente une part très faible de notre commerce extérieur. Mais, à terme, son expansion démographique et ses dynamiques économiques, que nous devons accompagner dès maintenant, en feront un gigantesque marché et un puissant relais de la croissance mondiale.

Ses ressources, en minerais essentiels à la transition écologique, par exemple, en feront un fournisseur stratégique de premier ordre.

Nos intérêts, enfin, sont stratégiques et sécuritaires. N’oublions pas que la géographie est têtue et que l’Afrique sera toujours voisine de l’Europe ; elle sera toujours un jalon sur la route qui nous relie à l’Indo-Pacifique et à certains de nos outre-mer. Ses instabilités et ses fragilités sont aussi les nôtres, lorsqu’elles suscitent des flux migratoires massifs dont l’Europe ne peut être le déversoir. Il nous faut légitimement les prévenir, les maîtriser et les endiguer.

La sécurité de l’Afrique est aussi la nôtre, lorsqu’elle met en jeu la lutte contre le djihadisme, aujourd’hui au Sahel, demain dans le golfe de Guinée, ou lorsqu’elle soulève des menaces contre nos 200 000 ressortissants établis sur place.

Dans ce contexte, notre coopération militaire reste essentielle. Elle devra néanmoins tirer toutes les leçons du piège politique et stratégique qui s’est peu à peu refermé sur l’intervention française au Sahel. Elle doit se concentrer avant tout sur le renforcement des forces africaines.

Nous pouvons y contribuer notamment au travers de formations et d’échanges étoffés ou par la fourniture de capacités de renseignement et d’équipements militaires, adaptés aux besoins et aux moyens de nos partenaires.

Notre action bilatérale devra rechercher une forme de symbiose avec les initiatives entreprises par les organisations régionales, pour définir l’architecture de sécurité globale qui fait encore défaut au continent.

Quant à nos bases militaires, elles demeurent fondamentales. L’actualité l’a montré : leur existence n’est envisageable qu’avec le plein soutien des États qui les accueillent. Mais ne désertons pas ce champ essentiel à la sécurisation de nos intérêts et, quoi que l’on en pense, à notre influence.

Je suis bien évidemment ouvert à la définition de nouvelles modalités de travail de ces bases et à l’élargissement de la palette de leurs activités. J’ai en revanche plus de mal avec le principe de leur cogestion, car si leur maintien relève d’un choix africain souverain, n’oublions pas qu’elles sont un morceau de France. Leur gestion ne peut relever que d’une seule souveraineté : celle de la France.

Face au nouveau monde qui se dessine, face à la nouvelle Afrique qui advient, l’heure est peut-être à l’introspection, mais pas au doute ; au changement, mais pas à l’effacement. Au contraire, tout nous incite à refaire de l’Afrique la priorité de notre politique extérieure et à redoubler d’efforts pour adapter notre action et démontrer sa valeur ajoutée face à celle, bien souvent prédatrice, de nos adversaires stratégiques.

Au cours de l’année à venir, notre commission prendra toute sa part à cette entreprise, en conduisant un ambitieux programme de travail sur l’Afrique. Sur ce sujet, nombre de ses recommandations faites par le passé se sont révélées pertinentes. Elles auraient permis, si elles avaient été suivies, d’éviter certaines erreurs. Je me permets donc, madame la ministre, de prendre un peu d’avance en invitant dès maintenant le Gouvernement à s’inspirer de ses travaux à venir !

D’ici là, comme il n’y a pas d’influence sans présence, renouons nos liens de proximité dans tous les domaines.

Réinvestissons notre coopération technique, en densifiant notre réseau diplomatique, en stimulant notre présence économique et nos échanges culturels et en préservant notre dispositif militaire.

Affirmons que l’Afrique est l’intérêt de la France, et prouvons que la France est l’intérêt de l’Afrique. Alors, nous pourrons enfin projeter nos relations dans le XXIe siècle – celui de tous les risques, mais aussi celui de toutes les opportunités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Arlette Carlotti. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Marie-Arlette Carlotti. Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les coups d’État au Mali, puis au Burkina Faso, le putsch qui a renversé le président du Niger, Mohamed Bazoum, le 26 juillet dernier, contraint la France à revoir de fond en comble sa politique à l’égard de l’Afrique et les conditions de sa présence dans la région.

Certes, le désamour de la France n’est pas nouveau ! Mais, dorénavant, dirigeants et opinions publiques africaines l’expriment de plus en plus bruyamment.

À Bamako, à Kinshasa, Dakar ou N’Djamena – c’est-à-dire dans les limites du pré carré des anciennes colonies françaises ou de l’espace francophone, comme en République démocratique du Congo – un faisceau de raisons complexes explique notre perte d’influence, voire, le rejet de la France.

Partout, le ressentiment est vif ! L’Afrique veut prendre ses distances avec la France.

Déjà en 2017, à Ouagadougou, le président Macron avait proclamé la fin de la Françafrique, comme nombre de ses prédécesseurs l’avaient fait avant lui. Pourtant, nous avons continué à surfer sur nos relations anciennes, fondées sur notre histoire coloniale.

« Aucun président français sous la Ve République n’a pu se départir d’une forme de paternalisme arrogant » : c’est ce qu’a récemment déclaré un responsable politique africain. En effet, je pense que la France n’a jamais pu accepter que ses anciennes colonies soient désormais indépendantes et n’a jamais su, ou voulu, les traiter en conséquence.

Emmanuel Macron a tenté de faire bouger les lignes. Il a ouvert plusieurs chantiers : restitution d’œuvres d’art, travail de mémoire, réforme du franc CFA ou initiatives sur la dette, mais il n’y est pas parvenu. Le 27 février dernier, le Président de la République a prononcé un nouveau discours, qui, de nouveau, se voulait fondateur, mais dont les objectifs restent encore flous.

Nous en attendons donc une clarification ; nous n’avons pas bien saisi les contours de celle que vous avez esquissée dans votre déclaration liminaire, madame la ministre.

Aujourd’hui, c’est d’abord la présence militaire française en Afrique qui pose problème. Nous devons changer de modèle. Le Président de la République l’a affirmé : l’influence de la France ne se mesurera plus au nombre de nos bases ou de nos opérations militaires.

Cependant, nous avons toujours quatre bases permanentes sur le continent, lesquelles accueillent plus de 3 000 soldats français et assurent une présence continue depuis les indépendances. Nous sommes donc très loin d’un retrait de l’armée française de ses anciennes colonies. Certes, il serait démagogique de laisser penser que tout cela peut se faire en un jour, j’en suis consciente.

Les états-majors et les officiers sont d’ailleurs très favorables au maintien de nos soldats sur le continent africain. Ils sont très attachés à cette terre, qui est saluée comme un théâtre d’entraînement exceptionnel. Cependant, les temps ont changé ! Les Africains n’en veulent plus ou, du moins, ils en veulent moins.

Nous devons nous interroger sur l’utilité de ces bases. Quel est leur rôle ? Sont-elles là pour protéger les Français et les binationaux, ou pour protéger les chefs d’État adoubés par la France – pour leur offrir une assurance vie en quelque sorte, comme ce fut le cas par le passé ?

Ces dernières années, c’est la lutte contre le terrorisme qui a justifié la présence française, notamment au Sahel. Je tiens de nouveau à rendre hommage à l’engagement de nos soldats lors des opérations Serval et Barkhane. Nous avons limité la casse et éliminé d’importants chefs terroristes, ce qui n’est pas rien. Il est évident que nous avons connu des succès, d’un point de vue militaire.

Toutefois, nous n’avons pu endiguer l’avancée des groupes djihadistes – il faut dire que nous étions assez seuls… Le mouvement descend maintenant vers les pays côtiers : la Côte d’Ivoire et le nord du Ghana, du Togo et du Bénin font l’objet d’attaques récurrentes.

L’enlisement d’une vaine solution militaire et la multiplication des problèmes politiques et sociaux ont retourné progressivement l’opinion publique malienne contre la présence française.

Au fil du temps les libérateurs sont devenus des occupants. Les acteurs locaux en ont profité pour présenter leur coup d’État comme une libération du colonisateur.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Un renversement des valeurs !

Mme Marie-Arlette Carlotti. Ce ne fut donc pas un échec militaire, mais bien un échec politique : celui de ne pas avoir su partir à temps et de ne pas avoir cherché des solutions alternatives à ces conflits extrêmement meurtriers.

Si elle reste en l’état, la présence militaire va compliquer toute tentative d’amélioration de l’image de la France. Si, comme le Président de la République le dit, elle doit être moins visible, il serait utile, monsieur le ministre, d’en débattre avec le Parlement.

Un autre symbole de la domination française est le franc CFA. Soixante-quatorze ans après sa création, il fait toujours l’objet de multiples critiques : instrument de stabilité pour les uns, vestige colonial lié aux élites pour les autres. Son existence même prouve que le processus de décolonisation n’a pas été achevé. La promesse de 2019 de réformer le franc CFA doit aboutir.

Cependant, au-delà de la sortie du franc CFA, la question qui se pose est celle de la monnaie dont les pays africains ont besoin pour transformer leur économie et leur société. Cette monnaie devrait avant tout être servir le crédit, l’emploi et l’écologie de ces pays, et non pas être livrée à tous les vents de la spéculation.

Il est temps de permettre aux Africains de décider de la ligne politique et économique qu’ils souhaitent suivre. Ils veulent une rupture franche, vous le disiez, madame la ministre, avec un Occident vieillissant. Ils regardent désormais vers d’autres partenaires, comme les Brics – le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud.

L’Afrique veut être considérée comme un acteur de plein droit sur la scène internationale. C’est un défi géopolitique majeur, que le Président de la République a pointé du doigt et qu’il convient de traduire dans les faits.

Depuis six ans, Emmanuel Macron prétend s’adresser à la jeunesse et à la société civile, et il a vu juste ! Or il a continué à s’afficher aux côtés des représentants de la Françafrique, ces dinosaures ou leurs successeurs dynastiques. Peut-être les croit-il garants d’une stabilité illusoire ?

La France prétend soutenir les démocraties, mais elle n’est pas toujours regardante quant à la gouvernance : on condamne le pouvoir militaire au Mali, on l’accepte au Tchad ! Au fil du temps, ce double langage nous a fait perdre toute crédibilité. Aux yeux des Africains, la France doit rester fidèle à ses valeurs : le respect des droits humains, le droit des peuples et l’universalisme.

Sur ce point, que dire de notre politique de l’immigration et l’attribution des visas, qui a suscité d’immenses frustrations à l’égard de la France, particulièrement de la part des jeunes ? Les empêcher de rendre visite à leur famille, de faire un stage ou de suivre une formation, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit, ne rime à rien et ne permettra certainement pas de juguler l’immigration illégale ! Si l’on veut engager une nouvelle relation avec l’Afrique, il faut revenir à une politique des visas plus ouverte.

La contestation anti-française s’est répandue parmi la jeunesse – une jeunesse moins scolarisée, plus perméable aux manipulations et à laquelle les dirigeants n’ont rien d’autre à proposer que cet os anti-français à ronger.

Cet os, c’est également celui que proposent en Afrique de l’Ouest certaines élites religieuses, qui s’attaquent à la France et à ses valeurs laïques.

La société civile africaine a changé, et nous n’avons pas compris qu’une époque s’achevait à nos dépens. Être à l’écoute des populations, c’est comprendre leurs aspirations. À titre d’exemple, le refus de la France de soutenir la proposition de l’Inde et de l’Afrique du Sud de suspendre temporairement les droits de propriété industrielle sur les vaccins pour lutter contre la covid-19 nous a discrédités et placés du côté des égoïstes.

L’Afrique subsaharienne est la région où la démographie connaît la plus forte croissance. Quelque 30 millions de jeunes travailleurs arrivent chaque année sur le marché du travail, mais seuls 10 % à 15 % d’entre eux trouveront un emploi.

Par désœuvrement, certains rejoindront des sectes islamistes. Beaucoup seront condamnés à vivre dans l’extrême pauvreté. L’ONU est consciente de la crise humanitaire qui se prépare : selon cette organisation, « si la tendance actuelle se poursuit, en 2030 l’Afrique abritera plus de la moitié des personnes qui souffrent de manière chronique de la faim dans le monde ».

L’Agence française de développement (AFD) est le principal outil de notre politique de solidarité internationale, mais elle prend trop souvent la forme de prêts et pas assez celle de dons. De ce fait, elle ne parvient pas à capter les véritables enjeux.

On constate d’ailleurs la persistance des problèmes de santé et de malnutrition, les faibles progrès de la scolarisation ou de la lutte contre la marginalisation des femmes.

C’est pourquoi nous devons faire de nos ONG les partenaires privilégiés de nos actions de solidarité : non seulement elles sont actrices, mais, par leur expérience et leur expertise, elles ont la capacité de participer à la définition et à la mise en œuvre de notre politique.

Pourtant, on les a mises en danger ! Au Sahel, on a ressorti du placard la coopération civilomilitaire, avec l’idée que le développement et la sécurité dépendaient l’un de l’autre. C’est faux et dangereux. Nous l’avons théorisé dans la stratégie 3D – diplomatie, défense, développement –, qui a échoué et qu’il convient de définitivement abandonner.

De la même façon, nous avons assisté à l’effacement de la diplomatie française au profit du sécuritaire – cela a été souligné tout à l’heure. C’est la même erreur ! Cette vision sécuritaire ne peut plus être la nôtre.

Depuis lors, une digue a cédé. À l’issue des coups d’État au Sahel, le Gouvernement a décidé de suspendre l’aide au développement. Suspendre toute coopération avec un gouvernement est une chose, arrêter les projets menés par les ONG en est une autre !

Désormais, le ministère veut traiter les dossiers « au cas par cas ». Un double standard s’installe donc : ceux qui seraient dignes de la coopération et ceux qui ne le seraient pas. Sur quels critères allez-vous décider d’abandonner des populations particulièrement vulnérables et de les replonger dans l’extrême pauvreté, madame, monsieur les ministres ? Près de 9 millions de personnes sont concernées.

Qui décide ? On ne sait pas ! En tout cas, ce ne sont certainement pas les parlementaires, ce qui pose un problème de démocratie. On sait en revanche que ce sont les ONG de terrain qui devront, par exemple, annoncer aux 5 000 femmes des organisations paysannes produisant du beurre de karité au Burkina Faso que c’est désormais fini ! Pensez-vous que cela va améliorer l’image de la France ?

En inféodant ainsi les enjeux de développement à la politique étrangère de la France, je crains que les acquis de la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, dont nous sommes les garants, ne soient menacés à la fois dans l’esprit et dans la lettre. Nous appelons donc à sanctuariser l’aide publique au développement (APD), qui n’a qu’un seul objectif : répondre aux besoins fondamentaux où qu’ils soient et quels qu’ils soient.

Dans cette même loi du 4 août 2021, la France a pris un engagement clair : allouer 0,7 % du revenu national brut à l’APD à l’horizon de 2025. Cette trajectoire doit être maintenue, pour soutenir prioritairement les dix-neuf pays les plus pauvres.

Que dire en conclusion ? Que jusqu’à présent le Président de la République a échoué à engager un véritable renouveau qu’il a pourtant souhaité. Il répète rituellement qu’il n’y a pas de politique africaine de la France – si c’était vrai, il ne serait pas obligé de le répéter !

Notre politique africaine s’effondre au profit de nouveaux partenaires. Les nouvelles générations ne veulent plus des effets nocifs de la dépendance. Elles souhaitent tisser avec le reste du monde des relations qui libèrent.

La France doit-elle pour autant se résigner à abandonner l’Afrique ? Certainement pas ! Le désengagement de la France serait catastrophique pour la défense de nos intérêts, ceux de l’Europe, mais, surtout, ceux de l’Afrique elle-même. La Russie et la Chine en tireraient immanquablement les bénéfices en y pillant par ailleurs les ressources.

La politique de la France au Sahel et en Afrique doit être révisée en profondeur. Nous devons sortir de notre isolement, donner une dimension européenne à nos relations avec les pays d’Afrique et inscrire notre action dans le cadre de leurs propres priorités.

Alors, non, n’abandonnons pas l’Afrique, mais trouvons un chemin entre le renoncement et l’acharnement ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonneau. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. François Bonneau. Madame la ministre, vous avez souhaité organiser un nouveau débat sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution. Le groupe Union Centriste forme le vœu que ce débat puisse être utile et ne soit pas, une nouvelle fois, l’occasion d’écouter les différents groupes parlementaires sans prendre en considération les opinions qu’ils expriment.

Que de travaux des groupes d’amitié, que de rapports d’information émanant des commissions, que de colloques organisés ici, au Sénat ! Tous soulignent, au travers de témoignages précis, des événements que nous aurions pu mieux anticiper, plutôt que, trop souvent, les subir, notamment en Afrique de l’Ouest.

Au nom de notre groupe, je vous invite, madame la ministre, à mieux prendre en considération la diplomatie parlementaire, qui, vous en conviendrez, est la parente pauvre de notre diplomatie.