Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour évoquer un conflit international douloureux, aux répercussions dévastatrices, dont les racines s’enfoncent dans un passé lourd et complexe.

La première guerre du Haut-Karabagh, achevée en 1994 après plus de six années de conflit, a été suivie par une seconde guerre en 2020, qui a duré un mois. En décembre 2022, les forces armées azerbaïdjanaises ont créé un blocus total dans la région du Haut-Karabagh. Elles ont pris le contrôle du corridor de Latchine et ont progressivement pris en étau la population du Haut-Karabagh, privée d’importation de produits alimentaires et de médicaments, puis faisant face à une pénurie d’essence.

Le 19 septembre 2023, l’Azerbaïdjan a violé le cessez-le-feu, conclu avec l’Arménie en 2020, en lançant une offensive militaire qui a pris fin le lendemain, le 20 septembre. La rapidité de ce conflit éclair ne doit pas minimiser l’ampleur de ses conséquences désastreuses, notamment géopolitiques. N’oublions pas que l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont géographiquement très proches de la Russie et de l’Iran, deux États qui occupent déjà des rôles de premier plan dans d’autres conflits mondiaux.

Très courte, cette guerre d’un jour a poussé l’Arménie à ratifier son adhésion à la Cour pénale internationale, une décision prise pour un affront par Moscou. Même si les combats sur le terrain ont cessé, nous devons rester vigilants. L’attaque azerbaïdjanaise a ravivé de vieilles tensions dans le Caucase, une région peuplée d’anciennes entités soviétiques.

Par son offensive militaire, l’Azerbaïdjan a bafoué le droit à l’autodétermination du peuple arménien, principe garantissant son intégrité et sa sécurité.

Par son agression, il a également révélé des intentions génocidaires et une volonté d’épuration ethnique. Outre ses velléités de conquêtes territoriales, il s’en est pris au riche patrimoine culturel et religieux arménien, comme pour effacer toute trace de l’existence du peuple arménien dans la région du Haut-Karabagh.

La présente proposition de résolution rappelle que toutes ces atteintes au peuple arménien constituent un crime contre l’humanité au regard du droit international.

Ces atteintes à l’intégrité du peuple arménien sont intolérables. Nous condamnons unanimement l’offensive militaire menée par l’Azerbaïdjan dans la région du Haut-Karabagh. Nous demandons tous que le droit international et l’intégrité du peuple arménien soient respectés. C’est en vertu de ces principes et au regard de la tragédie qui s’est déroulée au Haut-Karabagh que cette proposition de résolution transcende les clivages partisans.

Dans un contexte où l’attention internationale est captivée par des crises majeures au Proche-Orient, en mer Rouge ou encore en Ukraine, il est impératif de rappeler le déroulé des événements tragiques du Haut-Karabagh et de mettre en lumière le soutien continu de la France à la population arménienne touchée par ce conflit. En toute situation, la France s’engage aux côtés des populations injustement affectées par les conflits armés.

En raison de l’opération militaire azerbaïdjanaise, près des deux tiers des 120 000 habitants du Haut-Karabagh ont été contraints de fuir. Parmi eux, 30 000 enfants ont subi la guerre. Ces personnes sont devenues, du jour au lendemain, des réfugiés dans une situation de grande détresse. La majorité d’entre elles trouve refuge en Arménie, laquelle est débordée par cet afflux massif et dépassée par la tragédie humanitaire qui l’accable.

La France va continuer de la soutenir, notamment grâce à l’aide d’urgence de 15 millions d’euros votée par le Parlement le 30 novembre 2023.

Ce nouvel effort porte la contribution française à 27,5 millions d’euros pour l’année 2023. Il s’accompagne d’actions de solidarité de la part de la société civile et des collectivités territoriales françaises en faveur de la population arménienne et des réfugiés pris au piège dans l’enclave du Haut-Karabagh, où ils ont enduré des souffrances inimaginables.

Les populations déplacées doivent pouvoir retourner chez elles en toute sécurité. Dans cette perspective, il est essentiel de respecter strictement l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Arménie, comme le dispose clairement la proposition de résolution.

Nous exigeons également la libération inconditionnelle des prisonniers de guerre. Nous pensons notamment aux autorités politiques démocratiquement élues du Haut-Karabagh, injustement détenues.

Il est temps que les responsables azerbaïdjanais, après avoir bafoué le droit international et l’intégrité du peuple arménien, répondent de leurs actes devant la justice et se confrontent aux sanctions appelées par cette résolution.

Ce texte vise à réclamer une réponse robuste de la France, de l’Union européenne et de la communauté internationale. Il nous invite collectivement à défendre les principes du droit international, du droit humanitaire et du droit à l’autodétermination des peuples.

Ces droits et toutes les valeurs qu’ils expriment sont des fondements essentiels de nos démocraties, qui contribuent à la stabilité de l’Union européenne et de son voisinage. Leur respect est la seule voie possible vers une paix durable entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner.

M. Patrick Kanner. Madame la présidente, mes chers collègues, ce débat, inscrit à l’ordre du jour sur l’initiative de MM. Retailleau et Devinaz, pourrait paraître décalé au vu des négociations qui ont été récemment entamées.

Pourtant, cette avancée diplomatique ne doit pas cacher les tensions qui restent prégnantes dans la région. Le risque d’invasion du sud de l’Arménie ne s’est pas évaporé, et le sort réservé aux intérêts arméniens reste préoccupant. La préservation de la souveraineté nationale de ce petit pays du Caucase doit rester notre priorité.

Le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale a conduit à la mise en place collective d’instances internationales de régulation permettant en principe de favoriser la résolution pacifique des conflits, y compris territoriaux, voire de la garantir. Quarante ans plus tard, à la fin de la guerre froide, lorsque résonnaient les notes de Bach sur le violoncelle de Rostropovitch à Checkpoint Charlie, l’espoir de l’apaisement nous animait !

Ce moment fut bref. Les tensions ont repris ; à présent, elles prennent une forme extrêmement douloureuse. Depuis quelques années, nous assistons à une escalade délétère. Mes chers collègues, je nous exhorte à ne pas nous y habituer ! Je nous souhaite de toujours porter haut l’étendard de la paix face à une sorte de fatalisme belliqueux.

L’élimination ethnique est, rappelons-le, la forme extrême de violence entre humains. Celle qui a eu lieu en Arménie ne peut être tolérée. La solution monstrueuse qui a été imaginée par l’Empire ottoman doit être dénoncée et l’indolence occidentale lors du génocide arménien de 1915 reconnue.

Cette proposition de résolution permet aussi cela : nommer les choses et mettre en exergue un conflit qui est depuis trop longtemps invisible, qui s’est transformé dans le Haut-Karabagh en épuration ethnique territoriale.

Madame l’ambassadrice, on dit du peuple arménien qu’il est résilient. Souvent, il est comparé à un phénix qui renaît de ses cendres.

Cette image est cependant sujette à caution, dans la mesure où elle nous donnerait trop facilement bonne conscience. En effet, lorsqu’elles ne sont pas sous le feu des médias et que la communauté internationale ne s’élève pas contre elles, les puissances belligérantes, portant souvent une vision impérialiste, peuvent avoir le sentiment que leurs actions se feront en toute impunité.

C’est le cas dans de trop nombreuses régions du monde. Par exemple, les menaces sur Taïwan ou l’instabilité politique au Yémen n’ont pas suscité de grands émois médiatiques ; quant à l’Ukraine, elle s’efface peu à peu de nos informations devant le nouveau conflit israélo-palestinien ou au profit des événements internes. Pourtant, l’actualité de notre pays est nécessairement influencée par le reste du monde, et réciproquement.

La montée des nationalismes est inquiétante. Elle favorise les revendications territoriales et l’extrémisme, qui est le vecteur naturel de la conflictualisation des relations. Les tendances nationalistes sont en train de submerger notre pays, ces idées mortifères n’étant plus réservées à l’extrême droite. En effet, monsieur le ministre, le Gouvernement en reprend parfois les éléments de langage pour alimenter ses choix politiques. Je pense au projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration.

Or, à l’aube des élections européennes, ces phénomènes de division, de fracturation et d’attisement des tensions devraient être dénoncés par l’ensemble de nos États. La banalisation des phénomènes violents doit être refusée, ce qui interroge la capacité de nos organisations européennes, mais aussi internationales à peser pour résoudre pacifiquement les conflits de ce monde.

Les élections européennes doivent être l’occasion de réaffirmer notre responsabilité en ce domaine. Notre conception du droit international doit primer les nouveaux rapports de force qui nous sont imposés dans une logique d’impunité.

Mes chers collègues, le débat qui nous anime aujourd’hui doit n’avoir qu’un seul but : rendre possible l’avènement d’une humanité réconciliée.

Aussi, permettez-moi de vous livrer une pensée de l’écrivain arménien William Saroyan : « Essayez donc de détruire l’Arménie. […] Il suffirait que deux Arméniens se rencontrent, n’importe où dans le monde, pour qu’ils [en] créent une nouvelle. »

Nous voterons en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard.

M. Pascal Allizard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au carrefour des civilisations, le Caucase, « montagne des langues », est riche de sa diversité culturelle, religieuse, linguistique et ethnique. La région a connu au fil des siècles une histoire mouvementée, qui n’est pas sans lien avec les événements récents que nous condamnons.

La période soviétique a garanti une certaine stabilité, mais au prix d’un verrouillage sécuritaire strict. Je rappelle qu’Heydar Aliev, premier président de l’Azerbaïdjan indépendant, avait été général du KGB ! Cette ère a néanmoins complexifié la situation locale et n’a pas pu empêcher les premières tensions entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, lesquelles ont ensuite dégénéré en conflit gelé, ponctué d’escarmouches et d’affrontements ouverts.

L’effondrement brutal de l’Union soviétique a laissé des séquelles. La Russie réalise en force un lent retour dans des États indépendants qu’elle considère toujours comme son étranger proche. La Géorgie a connu cette situation, puis l’Ukraine. Après 2008, l’Azerbaïdjan, qui s’était rapidement rapproché des Occidentaux et enrichi par le pétrole et par le gaz de la Caspienne, a bien reçu le message russe en revenant à de meilleurs sentiments à l’égard de Moscou.

À qui voulait l’entendre, les Azerbaïdjanais n’ont jamais fait mystère de leur volonté de mettre à profit cette richesse pour améliorer le sort de leurs déplacés et pour récupérer, au besoin militairement, les territoires considérés comme perdus en 1994. Ce pari de long terme a été gagnant face à l’Arménie : privée de ressources naturelles et lâchée par les Russes, celle-ci s’enfonçait dans la crise économique, exclue de fait du boom énergétique de la Caspienne.

Le retour en force des ex-empires comme la Turquie, liée culturellement à Bakou, et la Russie, en quelque sorte désinhibés dans l’usage de la force et dans la violation du droit, a facilité les récentes actions militaires azerbaïdjanaises. Cette guerre instrumentalisée devient une nouvelle zone de friction entre les Occidentaux que nous sommes et les partisans d’un nouvel ordre mondial fondé sur la dictature.

Que faire alors face à un tel conflit où les belligérants s’opposent à coups d’études historiques censées démontrer l’antériorité d’une présence sur une autre ? Il faut condamner les exactions, juger inacceptables ces comportements adoptés par des États qui ont des obligations au regard du droit international et humanitaire, soutenir les populations victimes de la guerre et faire cesser la destruction méthodique du patrimoine historique. Tel est l’objet du texte de la résolution débattue aujourd’hui.

Rappelons-nous que, depuis longtemps, la France n’a pas ménagé sa peine. Je souligne notamment la forte implication personnelle – je reviens quelques années en arrière ! – du président Chirac et de la diplomatie française, ainsi que les travaux du groupe de Minsk, créé par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour un règlement pacifique du conflit.

Au Sénat, le président Poncelet avait lui aussi multiplié les initiatives avec ses homologues des parlements du Sud-Caucase. À cette époque, la France pouvait encore parler à tout le monde et avoir une position équilibrée. Depuis lors, les choses ont changé, me semble-t-il, au Caucase comme ailleurs : notre capacité d’action s’est restreinte. Nous ne sommes plus vraiment audibles.

Au cours d’un récent déplacement à Erevan, j’ai pu assister à la présentation aux membres de l’assemblée parlementaire de l’OSCE du plan de paix du Premier ministre arménien. Je me suis aussi entretenu avec l’ambassadeur de France et avec l’attaché de défense, dont le poste – il convient de le souligner – vient tout juste d’être créé, pour marquer le nouveau soutien de la France à l’Arménie dans le domaine des armées. Cet appui a un but défensif : coopération militaire, livraison de matériel, etc.

Évidemment, les relations avec l’Azerbaïdjan se sont passablement dégradées. Les présidents de ce pays, Heydar Aliev, puis son fils, Ilham Aliev, avaient pourtant choisi la France pour leur première visite officielle à l’étranger.

L’Azerbaïdjan est membre du Partenariat oriental de l’Union européenne, dont les parties se sont notamment engagées à défendre les valeurs fondamentales qu’elles partagent : renforcement de la démocratie et de l’État de droit, protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales…

Comme la Russie, ce pays est un État participant à l’OSCE, organisation dont la raison d’être est la diplomatie préventive, la résolution pacifique des différends et le désarmement. Pourtant, à l’heure actuelle, les diplomates sont réciproquement expulsés. Avec le temps, chacun constate le décalage entre les discours et les actes.

Les exportations des produits énergétiques azerbaïdjanais vers l’Union européenne devraient se maintenir, voire croître. Certains énergéticiens européens ont des intérêts directs dans la Caspienne ; leurs concurrents russes ou chinois ne seraient pas fâchés de les remplacer.

Quelles seraient les solutions de substitution en matière d’approvisionnement pour les Européens, alors qu’ils sont déjà coupés d’une partie de la production russe ? Se mettre davantage entre les mains de l’Algérie, du Qatar ou des États-Unis ? Aucune solution n’est idéale.

Enfin, nous savons par l’expérience d’autres conflits le peu de portée pratique des sanctions européennes habituelles.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Pascal Allizard. Mes chers collègues, au-delà de la seule condamnation des actions azerbaïdjanaises, je soutiens vaillamment, vous l’aurez compris, la proposition de résolution qui est présentée. Je vous appelle à voter en sa faveur. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, dont je rappelle qu’il est le président du groupe interparlementaire d’amitié France-Arménie. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et Les Républicains.)

M. Gilbert-Luc Devinaz. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame l’ambassadrice, mes chers collègues, la diplomatie parlementaire est précieuse. Elle permet à des élus d’échanger en toute bienveillance, ainsi que de partager leurs espoirs, leurs doutes et leurs angoisses.

Je pense que mes collègues du Sénat et moi y contribuons activement au sein du groupe interparlementaire d’amitié France-Arménie, que j’ai l’honneur de présider. Notre groupe est l’un des plus actifs de la Haute Assemblée grâce à l’engagement extraordinaire de tous ses membres. Je veux leur rendre hommage.

Je souhaite aussi remercier tout particulièrement le président Gérard Larcher, qui a toujours soutenu nos initiatives.

Je salue également l’engagement sincère et l’aide efficace de Bruno Retailleau.

J’exprime enfin ma reconnaissance aux présidents de l’ensemble des groupes politiques du Sénat. Ils ont accepté de cosigner ce texte, faisant la démonstration, par cette belle unanimité, que la cause arménienne dépasse les clivages politiques.

En effet, cette cause renvoie à l’universel. Elle se rapporte à la défense des droits de l’Homme, par opposition au funeste projet génocidaire de l’Azerbaïdjan et de la Turquie ; elle a trait à la défense de la démocratie contre la dictature, ainsi qu’à la défense de l’ordre international et de la diplomatie contre l’emploi de la force et le retour des logiques de puissance.

Comme je l’indiquais il y a un instant, la diplomatie parlementaire a parfois une longueur d’avance sur la diplomatie officielle, grâce aux liens de confiance et de fraternité qui se tissent entre parlementaires.

Grâce à ces liens, nos amis députés arméniens nous ont livré avec une grande franchise leurs réflexions sur la situation de leur pays. À plusieurs reprises, notamment en 2019, ils nous ont alertés sur les risques d’une agression militaire. Leurs craintes étaient fondées. Nous les avons relayées auprès des autorités françaises, mais elles n’ont pas toujours été entendues, en tout cas pas assez tôt.

Par conséquent, je défends cette proposition de résolution avec une certaine solennité et avec le devoir moral de témoigner du sentiment d’urgence absolue exprimé par nos collègues parlementaires arméniens.

Cette proposition fait suite à l’offensive militaire menée par l’Azerbaïdjan en septembre dernier, en violation de l’accord de cessez-le-feu.

En apparence, le contexte a évolué ces dernières semaines, avec la libération de trente-deux prisonniers et la volonté affichée des deux pays de trouver une voie de conciliation. Nous soutiendrons bien sûr toute initiative allant dans le sens d’une paix équitable et sincère.

Il n’en demeure pas moins absolument nécessaire de dénoncer ce qu’ont vécu et que vivent encore les 120 000 Arméniens d’Artsakh. Après plus de dix mois d’un blocus qui les a privés de tout, tous ont été contraints de quitter leur terre et leur maison. Ce que notre ancienne ministre des affaires étrangères a qualifié d’« épuration ethnique » a, en réalité, toutes les caractéristiques d’un véritable projet génocidaire.

Comme l’exode contraint des populations n’était pas suffisant, le président Aliev est venu piétiner leur drapeau et effacer toute trace de leur présence à Stepanakert, en détruisant le patrimoine arménien et en rebaptisant les rues du nom des auteurs du génocide de 1915. Ces actes odieux nous ont glacé le sang.

Aujourd’hui, souhaitant faire acter une position acquise illégitimement par la violence, l’Azerbaïdjan assure vouloir faire la paix. Cette intention revient à entériner l’annexion du Haut-Karabagh et l’épuration ethnique qui s’est ensuivie. Nous ne pouvons nous y résoudre.

Tel est le sens de la résolution qui vous est présentée, mes chers collègues.

Premièrement, elle vise à condamner l’offensive militaire de septembre dernier, condamnation dont il devrait logiquement résulter l’application d’un régime de sanctions au niveau européen et international.

Deuxièmement, elle tend à appeler à la libération immédiate des autorités politiques démocratiquement élues du Haut-Karabagh ainsi que de tous les prisonniers de guerre.

Troisièmement, elle a pour objet de souligner l’impérieuse nécessité de garantir aux populations arméniennes du Haut-Karabagh un droit au retour en toute sécurité.

Quatrièmement, la résolution vise à alerter sur les menaces qui pèsent sur le patrimoine arménien du Haut-Karabagh.

Cinquièmement, et enfin, l’Arménie doit avoir les moyens de se défendre pour prévenir toute nouvelle tentative d’agression et de violation de son intégrité territoriale. La coopération militaire mise en place cet automne entre nos deux pays va dans ce sens.

Il faut ne rien lâcher et résister, malgré les menaces, les peurs et le désespoir. Alors que Missak Manouchian entrera dans quelques semaines au Panthéon pour avoir défendu les valeurs de notre pays et de notre république, nous nous devons à notre tour de défendre la République d’Arménie et les valeurs démocratiques qu’elle incarne dans cette région tourmentée du Caucase, voisine de l’Europe.

Mes chers collègues, je vous remercie de soutenir cette résolution. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Séjourné, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Madame la présidente, messieurs Retailleau et Devinaz, mesdames, messieurs les sénateurs, madame l’ambassadrice – j’ai plaisir à vous voir dans cette tribune –, la proposition de résolution examinée aujourd’hui par le Sénat porte sur un enjeu vital pour la France et pour l’Europe : assurer une paix durable et juste dans le Sud-Caucase, dans le respect des principes du droit international.

L’engagement en la matière de la France aux côtés de l’Arménie est « inconditionnel, entier et constant », selon les termes du Président de la République.

Mesdames, messieurs les sénateurs, au travers de cette proposition de résolution transpartisane, vous vous interrogez sur la concrétisation de notre solidarité à l’égard de l’Arménie. Comme vous l’indiquiez les uns et les autres, aucun autre pays que la France ne fait autant pour cet État. Nous assumons nos responsabilités.

Nous avons condamné l’exode forcé des Arméniens du Haut-Karabagh, provoqué par l’Azerbaïdjan sous le regard complice de la Russie. Notre condamnation s’est accompagnée d’une action résolue, à la mesure de l’émotion suscitée par cette tragédie. Permettez-moi d’en rappeler les grandes lignes.

Premièrement, nous avons apporté un soutien humanitaire renforcé à l’Arménie et aux réfugiés du Haut-Haut-Karabagh, en triplant notre assistance financière entre le 19 septembre dernier et les jours suivants. Nous avons ainsi porté son montant à 29 millions d’euros en 2023. Je salue d’ailleurs le vote par le Parlement d’une aide d’urgence supplémentaire de 15 millions d’euros.

Nous appuyons de ce fait l’action du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), de la Croix-Rouge arménienne et des agences des Nations unies. Ces moyens permettent également d’accueillir la population et d’assurer la prise en charge d’une aide particulière, sociale et médicale, pour les plus vulnérables face à cette crise. De plus, une aide médicale d’urgence a été fournie aux autorités arméniennes, et les hôpitaux français se sont occupés de plusieurs grands brûlés.

Grâce à la société civile, l’État ne contribue pas seul à ce soutien. Ici, au Sénat, je tenais à remercier l’ensemble des collectivités territoriales, qui, il faut le dire, ont été au rendez-vous de cette cause. Je salue devant vous leur mobilisation humanitaire et financière.

Deuxièmement, nous avons apporté une réponse politique. La France a été aux avant-postes de la mobilisation internationale. Nous avons agi aux Nations unies ; trois réunions du Conseil de sécurité se sont tenues sur notre initiative. La première a d’ailleurs eu lieu au lendemain de l’offensive azerbaïdjanaise.

Nous l’affirmons clairement, la force et la menace ne doivent pas définir l’avenir de l’Arménie et des négociations de paix.

Le 5 octobre dernier, à Grenade, en marge du sommet de la Communauté politique européenne (CPE) et aux côtés du Premier ministre arménien, du chancelier allemand et du président du Conseil européen, le Président de la République a signifié notre soutien indéfectible à l’indépendance, à la souveraineté, à l’intégrité territoriale et à l’inviolabilité des frontières de l’Arménie. J’indique de nouveau ici notre extrême vigilance s’agissant de leur respect.

Le Président de la République a reçu le Premier ministre Pashinyan le 9 novembre dernier à Paris, pour marquer sa solidarité, sa détermination et la solidité de notre engagement plein et entier aux côtés des Arméniens et du peuple arménien. L’objectif était également d’évoquer la manière d’accroître notre assistance.

Troisièmement, nous renforçons notre relation bilatérale. Les actes très concrets sont là. Ainsi, la France a donné son accord à la conclusion de contrats pour livrer du matériel militaire. L’Arménie doit pouvoir protéger sa population et son territoire, et notre pays continuera à agir dans ce domaine dans un esprit de responsabilité et sans aucun esprit d’escalade.

Dans la même logique politique, nous renforcerons notre présence dans la région par l’ouverture prochaine d’une agence consulaire et nous continuerons à appuyer le développement de projets d’infrastructures dans les domaines stratégiques, tels que les transports, l’énergie et l’eau.

Quatrièmement, notre soutien passe aussi par l’Europe. Même si elle a été tardive, une prise de conscience a eu lieu au cours de ces derniers mois. Il existe désormais un consensus pour bâtir un plan de soutien à l’Arménie indépendante, souveraine et démocratique.

Lors de ses réunions des 26 et 27 octobre, le Conseil européen a demandé aux institutions de travailler au renforcement des relations entre l’Union européenne et l’Arménie dans toutes leurs dimensions. À la demande de la France, le Conseil des affaires étrangères a décidé d’accroître les effectifs de la mission civile de l’Union européenne en Arménie. Il s’agit de renforcer pour nous la présence européenne sur les points sensibles de la frontière entre ce pays et l’Azerbaïdjan.

De plus, des discussions sont en cours pour que l’Arménie bénéficie d’un soutien au titre de la Facilité européenne pour la paix. Là encore, espérons que cette proposition, à l’initiative de laquelle était la France, puisse progresser.

Ces avancées sont essentielles. Nous nous en félicitons. Vous pouvez compter sur notre détermination pour continuer à faire bouger les lignes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la conviction de la France reste inchangée : seul un processus négocié apportera la paix aux populations du Sud-Caucase. La France souhaite que les négociations se poursuivent pour normaliser les relations entre les deux États. Elle apporte tout son soutien aux discussions et aux efforts de médiation, à la fois européens et américains.

Il est important que l’Azerbaïdjan lève toute ambiguïté sur le respect de l’intégrité territoriale de l’Arménie. Nous souhaitons que le Caucase et le Sud-Caucase soient un espace de paix et de coopération, où les frontières sont ouvertes. Ce serait un signal très fort, y compris pour nos relations avec les pays de la région.

Des gestes de bonne volonté réciproque ont été consentis par les deux États en décembre dernier, notamment la libération de certains prisonniers. Ce signal est positif, mais insuffisant. Espérons que de telles annonces constituent un premier pas pour résoudre la situation des autres détenus, que vous avez tous évoquée.

Ma conviction est aussi qu’une paix juste et durable se trouve possible uniquement dans le respect du droit international, de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’inviolabilité des frontières des deux États. Nous serons intransigeants sur ces grands principes.

En outre, l’Azerbaïdjan doit prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher et pour punir les actes de dégradation et de profanation du patrimoine culturel, religieux et funéraire arménien.

Les graves événements de l’automne ont permis de réveiller les consciences de nombreux Européens, qui voyaient le confit du Sud-Caucase comme lointain. Or il nous concerne tous, interrogeant le respect du droit et nous mettant face à des déplacements entiers de population et à des menaces sur un État souverain. Une démocratie est menacée !

Mesdames, messieurs les sénateurs, telle est la ligne de conduite de la France. Avec constance et exigence, nous œuvrerons pour la paix, soutiendrons tous les efforts sincères en faveur de cette dernière, défendrons le droit international et nous tiendrons aux côtés du peuple arménien et des Arméniens du Haut-Karabagh. Notre action continuera et prendra de l’ampleur dans les prochains mois. (Applaudissements.)