M. Hervé Marseille. En revanche, nous sommes favorables à la construction parlementaire lors de l’examen des textes. C’est la différence entre coconstruction et construction ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

D’ailleurs, si des textes ont été votés depuis deux ans, c’est bien parce qu’il y a eu des compromis, des accords, des constructions qui ont permis d’aboutir !

Face à notre impuissance, nous n’avons plus les moyens de chercher des responsables, que ce soit au Conseil constitutionnel, à Bruxelles ou dans les institutions judiciaires.

Nous devons supporter 3 000 milliards d’euros de dette, les agriculteurs bloquent les routes, l’inflation ronge le pouvoir d’achat, la guerre frappe aux portes de l’Europe, efface peu à peu l’Arménie de la carte et embrase le Proche-Orient, avec l’ombre inquiétante de l’Iran et le possible retour de Donald Trump…

Nous pensons que le dialogue avec le Parlement – et singulièrement avec le Sénat – doit être fertile. Nous devons nous écouter mutuellement et rechercher les solutions les plus collectives possible.

Monsieur le Premier ministre, cette responsabilité pèse sur vos épaules. Elle pèse aussi sur les nôtres. Si vous échouez, si nous échouons, nous savons qui arbitrera nos différends en 2027. Il sera trop tard, alors, pour pleurer sur le lait renversé ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je veux d’abord dire aux orateurs qui m’ont précédé que c’est dans le calme que nous avons écouté leurs contestations sans appel. Alors, permettez à ceux qui ont, eux aussi, des convictions, et qui les placent bien au-dessus de leur ambition, de s’exprimer également, même si, bien évidemment, nous n’avons pas la même vision.

M. Bruno Retailleau. C’est vrai !

M. François Patriat. La politique est l’art d’imaginer et de construire un projet collectif.

Ce projet, le Président de la République en a posé les jalons depuis 2017 et les Français lui ont renouvelé leur confiance en 2022, afin de le poursuivre.

Lors des élections législatives de 2022, les Français ont adressé un message aux élus de la Nation : ils ont appelé à un dialogue et à un travail concerté avec la majorité présidentielle.

Malheureusement, nous nous sommes trop souvent heurtés au refus du compromis politique. À la différence du Sénat, attaché à la culture du dialogue républicain, l’Assemblée nationale n’a pas su cultiver cet état d’esprit.

En refusant toute main tendue, la minorité plurielle s’est affirmée avant tout comme une majorité d’empêchement, manquant ainsi à son devoir vis-à-vis des Français.

Notre devoir, monsieur le Premier ministre, est de poursuivre le projet de réforme en profondeur de notre pays, qui ne peut rester statique quand les crises se multiplient partout sur la planète.

Face à ces crises, vous nous avez appelés à construire ensemble et à abandonner les postures politiciennes. Vous nous avez appelés à agir plutôt qu’à réagir, dans l’intérêt des Français.

Je partage votre analyse, ainsi que la fierté du chemin parcouru depuis sept ans. Votre nomination est une nouvelle étape, mais nous conservons le même cap : libérer, protéger, transformer, unir !

M. Thierry Cozic. Le changement, c’est maintenant !

M. François Patriat. Monsieur le Premier ministre, vous avez la lourde tâche de veiller à la traduction en actes concrets de la volonté réformatrice formulée par le Président de la République.

Vous nous avez rappelé que la France n’est pas une nation qui subit. Elle ne l’a pas été ; elle ne l’est pas aujourd’hui ; elle ne le sera pas demain, grâce à notre travail !

Vous souhaitez agir vite en faisant preuve de lucidité, de pragmatisme, d’efficacité et d’audace. Votre méthode est simple : prendre rapidement des décisions compréhensibles par les Français. Vous l’avez démontré, ce vendredi, lors de votre visite dans le Sud-Ouest.

En effet, cette méthode est déjà à l’épreuve. La crise que traverse le monde agricole est symptomatique des maux français. La bureaucratisation et l’empilement de normes particulièrement denses ont entretenu le mal-être d’une profession qui a souvent été mal présentée et mal comprise, et qui en souffre.

Ces maux dépassent nos frontières, les mêmes causes produisant les mêmes effets chez nos voisins européens.

Cette crise agricole a d’autres racines. Je pense aux concurrences déloyales, à la nécessité d’instaurer des clauses miroirs dans les traités internationaux, ou encore à la complexification.

Notre objectif est de conserver notre souveraineté alimentaire ; les annonces que vous avez faites depuis vendredi dernier vont dans ce sens.

Allier la transition écologique à la souveraineté alimentaire et agricole, voilà l’exception agricole française que nous devons défendre. Mais cette transition doit être supportable, tant pour les producteurs que pour les consommateurs.

Reconquérir une souveraineté perdue est notre devoir assumé depuis 2017. Nous devons poursuivre les efforts engagés.

En matière de souveraineté industrielle, nous créons désormais dans le secteur industriel – vous l’avez rappelé – plus d’emplois que nous n’en détruisons et nous rouvrons des usines.

En matière de souveraineté énergétique, nous avons entrepris la relance de la filière nucléaire alors que nous avions perdu l’habitude de mettre des centrales en service.

En matière de souveraineté militaire, afin de faire face aux multiples fronts et formes de confrontation, nous avons voté, au travers de la loi de programmation militaire, une des plus importantes hausses du budget des armées que notre pays ait connues.

Enfin, nous devons conforter notre souveraineté aux frontières, grâce au renforcement de notre arsenal législatif, mais aussi de notre capacité d’intégration.

J’ai ici une pensée pour Mayotte, qui fait face à une crise migratoire sans précédent, à laquelle il doit être répondu avec fermeté.

En effet, si nos territoires d’outre-mer font le rayonnement de la France à travers le monde, ils sont trop souvent le parent pauvre de nos politiques publiques.

Leurs difficultés sont décuplées par leur situation géographique. Les problèmes y sont semblables à ceux de l’Hexagone, mais leur intensité est parfois plus aiguë.

Ainsi, en Guyane, la protection du territoire, de sa biodiversité et de nos frontières coûte encore parfois la vie à nos militaires. Nous leur adressons nos pensées aujourd’hui.

Aux Antilles, les crises des sargasses et du chlordécone handicapent des territoires qui doivent faire face à la vie chère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

À Wallis-et-Futuna, territoire si lointain, l’État doit faire plus pour préserver le contrat social.

La Polynésie devra faire face, dans les années à venir, à la montée des océans et à l’extension de l’influence chinoise dans le Pacifique.

Enfin, La Réunion, qui a subi récemment l’un des plus puissants cyclones qu’elle ait eu à affronter – le cyclone Belal –, pourrait malheureusement voir ce type d’événement se répéter en raison du dérèglement climatique.

Face à l’urgence climatique, on ne fera pas d’écologie contre le peuple. C’est au contraire une écologie populaire, recueillant l’assentiment des Français et réconciliant le climat et la croissance, qui permettra de construire la France du XXIe siècle. L’écologie punitive ne fait qu’entretenir la division, là où nous avons besoin d’union !

Monsieur le Premier ministre, vous avez porté un message fort en faveur du mérite. Notre majorité a toujours œuvré pour que le travail paie.

Dès 2017, nous avons baissé les cotisations salariales pour que les actifs gagnent rapidement en pouvoir d’achat. C’était une mesure de bon sens, sans tracas pour les Français.

Mme Cécile Cukierman. Dites ça aux salariés !

M. François Patriat. Il nous faut prolonger une politique qui met en valeur le travail. Les annonces que vous avez formulées hier vont en ce sens ; nous les saluons.

Travail, souveraineté, autorité : voilà la ligne que vous avez tracée hier et rappelée devant nous cet après-midi. Voilà ce qu’il nous faut collectivement construire, avec les élus locaux, pour que nos concitoyens gardent confiance et espoir.

Monsieur le Premier ministre, vous avez voulu tracer une feuille de route qui vous ressemble – pragmatique, concise et structurée –, mais vous n’avez pas oublié de lui faire prendre racine dans le travail de vos prédécesseurs.

Je pense à Édouard Philippe, à Jean Castex et à Élisabeth Borne, dont je veux souligner l’action déterminée au service de notre pays. Nous avons porté ensemble, ces derniers mois, des textes majeurs.

Prendre racine dans le travail mené par vos prédécesseurs, c’est aussi rappeler que tous les territoires ont été concernés par nos réformes, qu’ils soient métropolitains, urbains ou ruraux.

Contrairement à ce que j’entends, la ruralité n’a pas été oubliée – j’y vis chaque jour –, notamment en ce qui concerne le renforcement des services publics de proximité. Nous avons également investi fortement dans l’école, dans la santé, dans la sécurité et dans la justice.

Aujourd’hui, de toute évidence, il faut accélérer. Je sais bien, mes chers collègues, que le mot « réarmer » vous fait sourire, mais il souligne notre détermination à renforcer notre pays en matière académique, sociale et économique, en matière de technologie et d’innovation.

Agir dans cette direction, c’est faire le choix de notre indépendance et de notre souveraineté, mais c’est aussi faire le choix de la solidarité et de l’attention que nous prêtons à autrui.

Une France plus forte, c’est une France plus juste, notamment à l’égard des classes moyennes, dont vous avez fait, monsieur le Premier ministre, votre priorité.

Cet objectif d’une France plus forte et plus juste est largement partagé, je le sais, par les élus de tout bord. Nous avons en partage, mes chers collègues, l’amour de ce pays, et nous savons que l’une des clés du succès pour notre Nation, c’est de travailler avec le Gouvernement, les élus, les partenaires sociaux et les forces vives, pour assumer ensemble de grandes ambitions nationales. C’est cela, aussi, le dépassement.

La crise suppose audace, action et efficacité. Aucune formation politique n’a le monopole de ces qualités. C’est pourquoi j’en appelle, avec les sénateurs RDPI de métropole et d’outre-mer, à l’esprit de responsabilité qui nous anime et grâce auquel nous savons conduire, dans cet hémicycle, des débats nourris, mais constructifs, et trouver des voies d’accord.

Monsieur le Premier ministre, vous nous avez rappelé le cap et dit la méthode. Nous savons votre détermination. Vous connaissez notre fidélité et notre loyauté envers le projet présidentiel. Vous souhaitez être un Premier ministre de terrain. Nous serons à vos côtés ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Nathalie Delattre et M. Louis Vogel applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le Premier ministre, malgré votre jeunesse, vous n’êtes pas un nouveau-né dans l’entourage du président Emmanuel Macron. (Sourires.)

Les crises sont là ; elles suscitent, chez nos compatriotes, une angoisse aggravée, de mois en mois, par la multiplication des conflits sur la planète.

De tout temps, la peur qui marque les peuples, c’est la guerre. Nous qui portons ce combat au cœur de notre action savons qu’il ne peut y avoir de progrès social ni de justice en temps de guerre.

Ce grand désordre du monde s’exprime en Ukraine, en Israël, en Palestine – plus particulièrement à Gaza –, mais aussi en Arménie, au Yémen ou au Kurdistan.

Cette situation exige que les nations les plus influentes, comme la nôtre, déploient des efforts considérables pour que la diplomatie prévale.

À ce monde en crise répondent des crises intérieures profondes. Notre peuple souffre. Sur fond d’inégalités financières et sociales croissantes, la baisse du pouvoir d’achat, la crise de notre système de santé et les défaillances accélérées du service public minent la confiance de nos concitoyens dans l’avenir, pour eux-mêmes et pour leurs enfants.

Alors que 46 milliards d’euros ont été remis aux actionnaires du CAC 40 en 2023 – un record ! –, 11 millions de personnes ne mangent pas à leur faim en France.

L’inflation dévastatrice – elle atteint 10 % en deux ans – accélère cet appauvrissement. Vous connaissez les chiffres de la hausse des prix des denrées alimentaires. Il faut les répéter : +12 % en moyenne, +20 % pour nombre de produits alimentaires de base. Et pourtant, les salaires ne suivent pas.

Monsieur le Premier ministre, vous voulez « désmicardiser » la France, mais vous ne proposez rien pour augmenter les salaires ! Vous culpabilisez les salariés et les chômeurs, mais jamais vous ne pointez la responsabilité fondamentale des plus riches, des actionnaires de tout poil.

Comme nombre d’entre vous, j’ai assisté à de nombreuses cérémonies de vœux ces dernières semaines. Quelle inquiétude, quand j’entends que plus de la moitié des enfants bénéficient de la cantine à un euro dans les communes où ce dispositif est déployé ! C’est dire si la pauvreté touche l’ensemble de notre pays.

Alors que cette France appauvrie ne peut plus se chauffer correctement, M. Le Maire, votre ministre de l’économie, assène qu’au nom de la nécessaire satisfaction des agences de notation il faut, dès demain, augmenter de 10 % les tarifs de l’électricité ! Monsieur le Premier ministre, ouvrez les yeux : 44 % d’augmentation en deux ans, 70 % d’augmentation en dix ans. Au regard de la réalité sociale du pays, la hausse n’est pas supportable !

Le droit à l’énergie n’est pas une question de bouclier ; c’est une question de droit et de dignité.

Logement, nourriture, soins, transports, éducation deviennent inaccessibles à des millions de personnes ; ces services, pour la plupart, se dégradent.

Permettez-moi ensuite de vous dire, monsieur le Premier ministre, que le réarmement démographique ne se décrète pas : il passe par une meilleure politique familiale, par une politique du logement, mais aussi par une politique de hausse des salaires qui permette à chacune et à chacun d’entre nous d’entrevoir le meilleur pour ses enfants.

Il passe aussi, inévitablement, par une école publique de qualité, véritable lieu de savoir et d’apprentissage pour permettre à nos enfants de réussir leur vie. Que répondez-vous aux enseignants qui exigent, par la grève massive qui aura lieu demain, des moyens pour l’école publique ?

La violente crise agricole croise finalement toutes les autres crises. Elle est le symptôme d’une mondialisation et d’une financiarisation effrénées, de la domination de grands groupes qui étouffent les agriculteurs.

Il faut simplifier et repenser l’accumulation des normes, mais il faut aussi s’attaquer au libre-échange, qui promet de livrer par cargos entiers de la viande ovine de Nouvelle-Zélande ou bovine du Brésil.

L’urgence, c’est aider les jeunes agriculteurs, avec le retour des prêts bonifiés à l’installation.

Le premier volet de la loi Égalim doit être respecté et l’État doit être le garant du respect des agriculteurs face aux requins de la grande distribution.

Il est inacceptable que les agriculteurs ne puissent vivre de leur travail et les consommateurs se nourrir correctement. Ce n’est pas un problème de marché, mais bien le résultat d’un choix politique !

Monsieur le Premier ministre, vous êtes aujourd’hui devant le Sénat, qui, aux termes de notre Constitution, représente les collectivités territoriales.

Ces collectivités territoriales ont été et sont la dernière digue face à ces crises multiples. Les élus et leur administration y font face au quotidien, avec des moyens décroissants, alors que la demande explose : difficultés d’accès aux soins et au logement, difficultés de pouvoir d’achat…

Or quelles mesures votre gouvernement prendra-t-il pour faire face à l’étranglement financier progressif, notamment à la perte de l’autonomie financière des communes ?

Indexerez-vous enfin la DGF sur l’inflation ? Vous l’avez augmentée de 0,8 %, mais l’inflation est à 5 % !

Rétablirez-vous la CVAE pour faire participer les acteurs économiques aux finances des collectivités ?

La commune, c’est la proximité, le maillage étroit du territoire national et de la démocratie. Menacer cette institution clé de la République et, plus profondément, de notre société, c’est menacer un édifice institutionnel déjà vacillant.

Oui, renforcer la démocratie locale et l’État territorial est une nécessité pour construire les politiques publiques indispensables au bien-vivre de nos concitoyens.

Il ne peut y avoir de décentralisation que si l’État est fort et assume ses missions régaliennes de santé, de sécurité et d’aménagement du territoire, pour assurer l’égalité entre tous les citoyens et entre tous les territoires.

Monsieur le Premier ministre, pas d’hypocrisie entre nous ! Les élus locaux ne pourront pas tout supporter. La décentralisation, demain, ne peut se résumer à absorber quotidiennement les défaillances de l’État.

Monsieur le Premier ministre, le terrain perdu que j’évoquais d’emblée est évidemment celui de la démocratie.

Votre refus de vous soumettre au vote de confiance, au motif relativement absurde que vous n’avez pas de majorité, va de pair avec la mainmise totale du Président de la République sur les institutions.

La clé de voûte de la Ve République, ce qui fait d’elle un régime parlementaire, c’est pourtant la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale. C’est, oserai-je dire, le vote de confiance originel.

Votre refus de solliciter ce vote augure mal de la volonté de rompre avec le recours au 49.3, dont l’utilisation a marqué l’année 2023. C’est non plus au Parlement que les choix politiques se font, mais dans les couloirs, sur les plateaux de télévision, sur les réseaux sociaux ou en petit comité lors des commissions mixtes paritaires.

Monsieur le Premier ministre, écoutez nos concitoyens de tous les horizons – territoires ruraux, urbains ou d’outre-mer –, qui font la France et sa grandeur : ils souffrent et n’obtiennent pas de réponse.

En raison de la politique menée depuis 2017, que vous avez servie avec zèle, nous ne pouvons, en toute logique, vous accorder notre confiance. Toutefois, faute de vote, monsieur le Premier ministre, vous sortirez de cet exercice sans affronter d’autre épreuve qu’une analyse et une évaluation médiatiques ; or nos concitoyens ont plus que jamais besoin d’une analyse et d’une évaluation démocratiques. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Olivier Henno applaudit également.)

M. Claude Malhuret. Monsieur le Premier ministre, comme tout chef de gouvernement, vous allez affronter de nombreux défis politiques.

Le premier est l’absence de majorité parlementaire, qui n’a permis de trouver, jusqu’à ce jour, que des palliatifs imparfaits : négociations épuisantes ou 49.3 au goût amer.

Le second défi est la pression permanente et déprimante des extrêmes.

La France échappe encore à la vague de populisme qui frappe les démocraties. Si le populisme n’est ailleurs que d’extrême droite, chez nous, où l’on apprend dès l’école qu’il faut préférer Robespierre à Tocqueville, il est coupé en deux.

La fin de cette exception est proche. Parce qu’il faisait le plus de bruit, parce qu’il avait réussi à embrigader une gauche en perdition, parce qu’il transformait l’Assemblée en zone à délirer, le danger d’extrême gauche paraissait le plus dangereux, exacerbé par une caisse de résonance médiatique qui confirme que rien n’est plus sonore que ce qui est creux. (Sourires et applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)

M. Claude Malhuret. La Nupes, attelage improbable de la gauche woke, de la gauche Vélib’, de la gauche caviar, de la gauche stalinienne, de la gauche trotskiste et de la gauche Hamas, s’est effondrée sous le poids de ses incohérences.

Le Che Guevara des calanques, en cédant la direction des Insoumis et la présidence du groupe parlementaire à des comparses, choisis non pas en dépit, mais en raison de leurs insuffisances, a compris tardivement qu’il avait pris le train dans la mauvaise direction. Il court depuis en sens inverse dans le couloir, à grands gestes des bras et du menton, lançant ses imprécations à ses alliés comme à ses ennemis, mais ne parvenant qu’à démontrer que sa vie est devenue une interminable rage de dents. (Sourires sur les travées des groupes INDEP et UC.)

La France insoumise (LFI), c’était une surprise-partie. La surprise c’est qu’il n’y avait pas de parti, pas de statuts, pas de vote, pas d’élections : juste une secte gérée par un couple omnipotent, comme les Thénardier tenaient le bouge de Montfermeil… (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Quel est le rapport ?

M. Éric Bocquet. On est au Sénat !

M. Claude Malhuret. Le mouvement s’est fait hara-kiri le 7 octobre dernier, avec l’ignominie de trop : le refus de condamner le massacre du Hamas, ce dernier étant qualifié de mouvement de résistance.

M. Loïc Hervé. Très bien !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Mélenchon n’est pas Premier ministre !

M. Claude Malhuret. Les partenaires enrôlés dans cette pantalonnade en ont profité pour filer à l’anglaise, après que tout le monde eut dessoulé. Ils resteront dans la postérité comme ceux qui ont bradé à un apprenti dictateur les valeurs de la gauche, qu’ils ont fracturée pour un plat de lentilles électoral… (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous en savez quelque chose !

M. Claude Malhuret. Cet échec n’est pas qu’une bonne nouvelle. Le danger s’est déplacé vers une extrême droite qui se renforce en proportion du déclin de son rival – porosité qui prouve que ce qui les rapproche est infiniment plus fort que ce qui les sépare.

M. Éric Bocquet. C’est lamentable !

M. Claude Malhuret. Comme Orban est devenu l’ami de Poutine, comme l’extrême gauche italienne vote pour Meloni, le Rassemblement national fait ses meilleurs scores aussi bien dans les anciens bastions du parti communiste que dans ceux de la droite.

Les gauchistes sont bruyants, débraillés et réclament tout, tout de suite. Les Marinistes, quant à eux, sont silencieux, cravatés et attendent leur heure. Ils savent que, face aux Insoumis, il suffit de se taire pour paraître intelligents. (Sourires sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)

Ils n’ont aucun programme. Ils affichent des convictions absolues, mais n’ont aucun problème pour en changer si elles ne plaisent pas, comme on l’a constaté sur la sortie de l’euro ou sur le Frexit.

Ils affirment que nous dansons sur le pont du Titanic, mais l’iceberg, c’est eux ! Ils ont enfourché tous les délires complotistes. Ils ont été antivax et VRP de l’hydroxychloroquine ; ils font aujourd’hui le sale boulot de chiens de garde de Poutine, et ils le font salement, ce qui n’est pas étonnant dans ce parti fondé largement par d’anciens collabos.

Ils dénoncent la corruption, mais leurs parlementaires européens sont mis en examen pour avoir détourné des millions d’euros. Ce parti opaque est une sorte de traboule, ces arrière-cours obscures des immeubles lyonnais à la façade bien propre. Les anciens du GUD sont toujours là, dans l’ombre, tout comme les comptes racistes anonymes sur les réseaux sociaux. (M. Joshua Hochart proteste.)

Les deux campagnes présidentielles de « Marine Poutine », arrivée à son poste par népotisme, comme Kim Jong-un, ont fourni la preuve de sa parfaite inaptitude à la fonction.

Pourtant, le reflux du populisme d’extrême gauche lui ouvre un boulevard. La photo, en 2027, d’un Emmanuel Macron raccompagné par elle sur le perron de l’Élysée comme Obama avait cédé sa place à Trump, n’est plus invraisemblable.

La fonction que vous exercez aujourd’hui, monsieur le Premier ministre, vous a aussi été confiée pour faire obstacle à la réalisation de cette hypothèse lugubre.

M. Claude Malhuret. À cela, deux conditions.

La première est de réussir les douze travaux d’Hercule qui vous attendent, dans un pays taraudé depuis toujours – c’est sa grande faiblesse – par le doute, la hantise du déclin et le pessimisme : relever le niveau de l’école, guérir le système de santé, redonner de l’espoir aux agriculteurs, poursuivre la baisse du chômage, réindustrialiser le pays, réduire le déficit, construire l’Europe-puissance, réformer l’État, restaurer l’autorité au sein de la société, maîtriser l’immigration, assurer le développement durable à la française. Je n’insiste pas, monsieur le Premier ministre : vous avez, comme tous les orateurs précédents, détaillé ce constat. La tâche est immense.

Je n’ai toutefois énuméré que onze travaux. Le douzième est capital, mais c’est le moins compris. Le chef de l’État a évoqué le réarmement moral, économique, civique ; il reste le réarmement au sens propre, car nous sommes en guerre.

Voilà une très mauvaise idée européenne que d’affirmer chaque jour que l’on ne veut pas la guerre, que l’on n’est pas en guerre, lorsque nos ennemis le sont. L’internationale des dictateurs ne s’en cache pas : Russie, Chine, Iran, Corée du Nord proclament qu’ils veulent abattre l’Otan, l’Europe et l’Occident – et ils font ce qu’ils disent.

La guerre en Ukraine se voit à cause des tanks et des missiles, mais celle qu’ils nous livrent – cyberattaques, désinformation, création de milliers de comptes sur les réseaux antisociaux pour fausser les élections ou abrutissement de nos enfants sur TikTok pendant que la Chine protège les siens – est tout aussi violente. Elle mine nos démocraties de l’intérieur.

La Russie s’est mise en économie de guerre. Notre président parle d’économie de guerre, mais aucun pays d’Europe n’est capable, deux ans après le 24 février 2022, de livrer à l’Ukraine ne serait-ce que les munitions promises.

Si l’Ukraine perd la guerre, c’est l’Europe qui la perd. Par peur d’annoncer de mauvaises nouvelles, les gouvernements démocratiques ne préparent pas leurs opinions publiques à cette réalité. Lorsque j’écoute certains d’entre eux, j’ai l’impression d’entendre le toc-toc du parapluie de Daladier sur les pavés de Munich.

Monsieur le Premier ministre, vous serez certes jugé sur vos résultats dans notre pays, mais à l’échelle de l’histoire, votre gouvernement et tous les gouvernements d’Europe seront jugés à l’aune de la victoire ou de la défaite des démocraties face à l’internationale reconstituée des dictateurs.

La deuxième condition pour qu’en 2027, au soir de l’élection présidentielle, le visage qui apparaîtra sur nos écrans à vingt heures ne nous fasse pas honte comme ceux de Trump, d’Orban ou de Bolsonaro, ne dépend pas seulement de vous.

Il est grand temps que ceux qui se revendiquent du camp de la raison comprennent que le temps leur est compté.