Mme la présidente. La parole est à M. Louis Vogel.

M. Louis Vogel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sommet de jeudi et de vendredi constituera le dernier Conseil européen « ordinaire » avant les élections des 6 au 9 juin, qui pourraient aboutir – nous le savons tous – à une poussée des populistes au Parlement européen.

Dans ce contexte, le Conseil européen, qui définit les grands axes de la politique de l’Union européenne, doit poursuivre son action au service de tous les Européens pour la paix, la sécurité et la prospérité de notre continent.

Comme l’a rappelé le Président de la République, la situation évolue en Ukraine à grande vitesse et pas dans le bon sens. C’est pourquoi l’adoption par le Sénat et l’Assemblée nationale de l’accord de sécurité entre la France et l’Ukraine, la semaine dernière, a été un acte fondamental. C’est pourquoi, aussi, l’action de l’Europe est indispensable.

La passivité n’est plus de mise. Nous ne pouvons pas nous contenter de ne pas agir. Ces deux dernières années, l’Union européenne et les États européens ont fourni un soutien financier et militaire qui n’avait jusqu’alors jamais été accordé à un autre État européen. Il faut le souligner, car nous avons trop souvent l’impression que rien ne se passe.

Dernièrement, la rencontre en format Weimar entre le Président de la République française, le chancelier allemand et le Premier ministre polonais a permis de réaffirmer un soutien indéfectible à l’Ukraine. De même, les déclarations appelant à une industrie européenne de la défense capable de produire enfin à grande échelle vont dans le bon sens.

Je salue ces efforts, mais l’évolution de la situation en appelle d’autres, notre destin étant intrinsèquement lié à celui de l’Ukraine. Dans cette perspective, monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser si le sujet du nouvel emprunt européen évoqué pour aider l’Ukraine sera en discussion à partir de jeudi prochain ? Pouvez-vous également nous en expliquer les contours ?

Quelle est la position de la France concernant la stratégie européenne pour augmenter les capacités de production d’armements ? Plus largement, comment la France compte-t-elle faire la différence pour enfin œuvrer activement à la mise en place d’une défense européenne ?

Au-delà de l’Ukraine, le Conseil européen consacrera une partie de son ordre de jour à l’agriculture, ce qui est rare. Je ne peux que m’en réjouir, parce que l’Europe, si elle fut d’abord construite autour du charbon et de l’acier, porte aussi en son cœur la politique agricole commune. L’agriculture est également un enjeu de souveraineté pour l’Europe. Je salue le courage des agriculteurs européens qui, chaque jour, nous nourrissent alors que la situation est compliquée. Je sais que le Gouvernement est très engagé et à l’écoute sur ce sujet.

L’Europe semble avoir entendu la détresse du monde agricole, non seulement français, mais aussi européen, puisque la Commission a proposé, vendredi dernier, une évolution des règles de la PAC. Ces propositions, qui devront être approuvées par le Parlement européen et par les États membres, répondent à une partie des revendications. Elles allègent la charge administrative des agriculteurs et revoient notamment le principe de conditionnalité des aides directes.

Dans ce contexte, monsieur le ministre, quelles mesures allez-vous porter en matière agricole durant ce Conseil ? La simplification des normes et des règles administratives est cohérente, mais quid de certaines règles de la PAC et de la révision de la stratégie « de la ferme à la fourchette », qui préoccupent fortement nos agriculteurs ?

Enfin, monsieur le ministre – le sujet a été évoqué à plusieurs reprises –, la possibilité d’un élargissement de l’Union européenne ne peut pas être décorrélée d’une réflexion poussée sur l’approfondissement du projet européen et sur les réformes nécessaires pour y parvenir. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce sujet ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur, l’idée d’un emprunt européen a été initialement portée par la Première ministre estonienne. L’enveloppe envisagée était alors de 100 milliards d’euros, sur le modèle de l’emprunt commun qui avait été décidé – vous vous en souvenez – au mois de juillet 2020 pour financer le plan de relance – la France a bénéficié dans ce cadre de 40 milliards d’euros. Il faudra, le moment venu, trouver les moyens de rembourser cet emprunt, y compris en mobilisant des ressources propres.

Nous soutenons l’idée d’explorer cette voie pour répondre aux besoins importants nécessaires à l’émergence ou au réveil de notre base industrielle et technologique de défense.

C’est dans le même esprit que nous entendons poursuivre les efforts engagés pour augmenter plus généralement la capacité de production européenne de munitions et d’armements. Précédemment, j’ai précisé, en répondant à Mme Dumas, que, depuis le début de la guerre, nous avions constaté une augmentation de la capacité européenne de production de munitions de l’ordre de 40 %. C’est encore insuffisant et il faut aller plus loin. D’où les deux communications que la Commission européenne a faites le 5 mars dernier, dont je souhaite vivement, mais sans me faire beaucoup d’illusions, qu’elles soient officiellement soutenues dans le cadre des conclusions du Conseil européen.

S’agissant de l’agriculture, le Président de la République défendra bien évidemment les vingt mesures de simplification proposées par la Commission, ainsi que la révision de la PAC qu’elle a récemment mise sur la table, en lui demandant instamment de mettre en œuvre le plus rapidement possible ces mesures de simplification très attendues par nos agriculteurs.

Mme la présidente. La parole est à M. Louis Vogel, pour la réplique.

M. Louis Vogel. Je souhaite simplement dire que les interventions de ce soir montrent que l’Europe ne se porte pas très bien. D’où l’importance du débat qui a lieu. Toutefois, je ne suis pas entièrement pessimiste sur ce sujet parce que c’est dans les moments les plus difficiles et pendant les crises que l’Europe a fait les plus grands progrès. Je crois donc que nous ne devons pas nous cantonner, ce soir, à énoncer des principes, mais qu’il nous faut veiller à les concrétiser. En effet, le problème de l’Europe tient à ce que, trop souvent, les déclarations ne sont pas suivies d’effet. La France a un rôle essentiel à jouer dans ce domaine. C’est pourquoi, monsieur le ministre, nous vous faisons confiance pour porter la voix de la France dans ce Conseil européen.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Henno. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’aurai un premier mot pour saluer la qualité de nos débats en commission des affaires européennes, grâce à votre engagement, monsieur le président, et à la manière dont vous conduisez les discussions.

Mon intervention concernera l’Ukraine et sa demande d’adhésion à l’Union européenne. Je crois, en effet, qu’il faut bien faire la distinction entre le soutien que nous devons lui apporter sans réserve et cette demande d’adhésion.

L’Ukraine a manifesté son souhait d’intégrer l’Union européenne, et cette demande est légitime et compréhensible. Il serait dangereux de répondre brutalement par un refus, mais cette adhésion ne peut pas non plus être automatique. En effet, monsieur le ministre, le parcours d’adhésion de l’Ukraine doit respecter les critères de Copenhague. L’état de guerre entre l’Ukraine et la Russie ne doit pas nous faire prendre des décisions précipitées.

De plus, je citerai en substance un propos de Cicéron, selon lequel les amis se doivent la vérité même quand c’est difficile. Or l’Ukraine, bien qu’elle soit considérée comme un candidat sérieux, doit encore faire face à des défis majeurs – il faut être lucide sur ce point – comme la corruption ou l’influence persistante des oligarques.

D’ailleurs, la présidente de la Commission européenne semble avoir pris la mesure des difficultés que pouvait engendrer une adhésion trop rapide de l’Ukraine à l’Union. En effet, elle a récemment indiqué que la feuille de route politique des négociations serait prête non pas avant les élections européennes, mais plutôt aux alentours de l’été prochain.

En outre, l’accord bilatéral de sécurité conclu entre la France et l’Ukraine souligne que cette dernière s’efforcera de poursuivre son ambitieux programme de réformes, en particulier dans le cadre de son processus d’adhésion à l’Union européenne, afin de satisfaire aux obligations requises pour cela. Ce postulat illustre bien qu’il reste encore du chemin à parcourir pour que l’Ukraine concrétise son adhésion à l’Union européenne.

Il serait également injuste et incompréhensible d’oublier les autres pays candidats, comme l’ont dit mes collègues, dont la Bosnie-Herzégovine et le Monténégro.

L’Union européenne est aux côtés de l’Ukraine grâce à l’aide financière et matérielle qu’elle lui fournit dans le cadre de la guerre qui l’oppose à la Russie. Une enveloppe de 50 milliards d’euros a été actée dans le cadre du programme Facilité pour l’Ukraine, dont 17 milliards d’euros de subventions et 38 milliards d’euros de prêts. Cette aide, pleinement justifiée, comporte notamment le plan Ukraine par lequel le gouvernement ukrainien présentera ses intentions pour le redressement, la construction et la modernisation du pays.

Au titre de l’investissement pour l’Ukraine, l’Union européenne fournira un soutien sous la forme de garanties budgétaires et d’une combinaison de subventions et de prêts d’institutions publiques et privées.

Pour conclure, je veux insister sur les notions d’unité et de souveraineté européennes. L’unité a toujours été nécessaire et constitue le fondement même de la crédibilité européenne. Elle l’a été, hier, pour la construction de l’Union européenne, elle l’est aujourd’hui et je pense qu’elle sera encore davantage demain. En effet, s’il advenait – sans faire de la politique-fiction – que l’isolationnisme américain l’emporte le 5 novembre prochain et que Donald Trump rejoigne de nouveau le Bureau ovale, le 20 janvier 2025, l’unité de l’Europe serait la seule réponse possible et d’autant plus indispensable que nous aurions alors l’obligation de réagir rapidement. Il me semble que le Président de la République et le Gouvernement ont parfaitement conscience de cette obligation morale et stratégique impérative. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur Olivier Henno, je vous remercie pour vos propos très équilibrés sur l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne.

Il s’agit pour cette dernière d’une nécessité géostratégique, car il est plus souhaitable d’exporter le modèle de stabilité européen que d’importer l’instabilité en courant le risque de la laisser s’installer dans cette région.

Toutefois, nous sommes très attachés – car c’est absolument indispensable – à ce que le processus d’adhésion reste fidèle au principe sur lequel il est fondé, c’est-à-dire les mérites propres du pays candidat.

L’Ukraine a engagé un certain nombre de réformes qui ont conduit les chefs d’État et de gouvernement à décider l’ouverture des négociations d’adhésion, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour que les négociations effectives puissent commencer.

En outre, je rappelle, car on l’oublie parfois, que ce processus d’adhésion est extrêmement exigeant. C’est non pas un simple rattrapage économique et social, mais un changement profond que le pays candidat doit s’imposer pour « rattraper », si l’on peut le dire ainsi, les standards d’État de droit auxquels nous nous astreignons dans l’Union européenne.

Enfin, vous avez mentionné l’unité. Je constate pour ma part une très forte unité, malgré quelques différences d’approche, dans le sursaut qu’ont eu les États membres et dans le soutien qu’ils apportent à l’Ukraine. Je l’interprète comme une réponse au fait que l’agression russe en Ukraine enfreint l’un des premiers principes que les pères fondateurs de l’Europe ont posés, à savoir le respect des frontières de son voisin. Face à une telle remise en cause, je sens que se développe une forte unité en Europe. Celle-ci nous permettra, à mon sens, de relever un certain nombre des défis que vous avez évoqués.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno, pour la réplique.

M. Olivier Henno. C’est un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, mais, lorsque le mur de Berlin est tombé en 1989, il y avait eu le même type de débat sur l’articulation entre l’approfondissement des institutions européennes et l’élargissement de l’Union. Pris par la culpabilité à l’idée d’opposer un refus aux pays du pacte de Varsovie, c’est-à-dire ceux d’Europe centrale et d’Europe de l’Est, nous avons élargi avant d’approfondir.

Je ne suis pas du tout pessimiste sur la question de l’unité et de la souveraineté, mais je pense que cela doit aller de pair avec une réforme institutionnelle forte. C’est seulement dans un deuxième temps que nous pourrons envisager l’élargissement et l’adhésion d’autres pays. (Mme Frédérique Puissat applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les 5 milliards d’euros pour l’Ukraine sont une bonne nouvelle. Face au retrait du Congrès américain et face au risque d’une nouvelle offensive russe, cette enveloppe est un soulagement.

Toutefois, monsieur le ministre, que de blocages pour en arriver là ! L’Allemagne préférait privilégier les aides bilatérales, la France mettait le made in Europe comme condition : était-il bien raisonnable de bloquer les négociations pour cela ? Il a quand même fallu huit mois pour aboutir !

Au-delà de 2025, lorsque les 5 milliards auront été dépensés, rien n’est encore concrètement prévu pour sécuriser la situation. Il nous reste à espérer que la Facilité européenne pour la paix, récemment réformée, aura fait ses preuves et que les Vingt-Sept remettront au pot.

Il me semble que la liberté et la résistance de l’Ukraine nous obligent à des garanties plus durables. Il faut en effet utiliser les milliards d’euros générés par les avoirs russes gelés. Il s’agit de planifier et de sécuriser l’aide à l’Ukraine, d’établir un système d’approvisionnement plus fiable et mis en commun.

Ces 5 milliards d’euros sont une toute première étape pour que l’Europe devienne crédible, coordonnée et pérenne dans le domaine de la défense. Pour juguler l’impérialisme de la Russie de Poutine, pour raffermir le droit international, pour que la sécurité et la paix ne soient pas subordonnées à l’hypothèque électorale étasunienne, il est temps de faire mieux et d’agir en Européens en mettant fin à cette diplomatie menée en solitaire qui déstabilise nos concitoyens, nos alliés et donc le soutien à l’Ukraine.

Ne croyons pas non plus que la voie de la paix soit celle des exhortations à de prétendues négociations immédiates avec l’envahisseur russe, pseudo-négociations qui mettraient dans un grand chaudron les revendications d’expansion russe sur les territoires russophones, ici et là, une neutralité imposée pour ce qui resterait de l’Ukraine, la question de l’Otan et celle de l’Union européenne.

Je crois que de telles exhortations sont, de fait, un message d’incitation à l’escalade guerrière, puisqu’elles admettent que des territoires trop faibles pour se défendre peuvent être obtenus par la force.

Pour que ne faiblisse pas le soutien des Français à l’Ukraine, ne laissons pas se propager le sentiment d’un deux poids, deux mesures, s’agissant de la détermination de notre pays, entre Kiev et Gaza.

Depuis l’horrible attaque terroriste du Hamas et la détention des otages, voilà cinq mois que le gouvernement Netanyahou inflige une implacable punition collective et se livre à un crime de masse par des bombardements indiscriminés d’une ampleur rarement égalée, ainsi que par les ravages de la faim et des privations.

Aujourd’hui, face à ce que le Haut Représentant de l’Union européenne, Josep Borrell, qualifie de situation d’insécurité alimentaire aiguë pour les Gazaouis et face à la famine utilisée comme arme de guerre, le Conseil européen doit clairement changer de registre à l’égard du gouvernement d’Israël et exiger le cessez-le-feu et l’accès complet à l’aide humanitaire. Pour cela, il doit engager des sanctions diplomatiques et économiques, ainsi que décréter l’embargo sur les armes. Par conséquent, ce Conseil européen est attendu, car il peut être déterminant.

Alors que le drame s’amplifie à Gaza, l’Union européenne vient de signer un accord de partenariat à hauteur de 7,4 milliards d’euros avec l’Égypte, similaire à ceux qui ont déjà été conclus avec la Tunisie et la Mauritanie et dont l’une des contreparties est que l’Égypte s’engage à retenir les migrants. L’Union européenne verserait donc inconditionnellement une telle somme à un régime répressif qui compte quand même plus de 60 000 prisonniers politiques et où la corruption est généralisée. Quel cynisme de servir de cette façon de banque aux régimes dictatoriaux ! Notre pays soutient-il sans réticence la logique de cet accord consternant ?

Nous nous interrogeons aussi sur le rôle contre-productif qu’a joué la France dans deux chantiers législatifs européens qui sont arrivés à leur terme. Je déplore ainsi que la France ait œuvré pour amputer toute ambition à la directive sur le devoir de vigilance des entreprises et qu’elle se soit évertuée, seule contre tous, à soutenir les plateformes contre leurs travailleurs précaires.

Enfin, alors que cet hiver s’est distingué comme le plus chaud jamais enregistré et que le bassin méditerranéen connaît une sécheresse exceptionnelle, considérée par les spécialistes comme un phénomène dorénavant durable, l’Union européenne s’abaisse en se soumettant à la fameuse « pause environnementale » qui tend à tenir lieu de réponse à la détresse agricole et à la montée des mécontentements. Et voilà balayés trois ans d’efforts destinés à donner une dimension environnementale à la politique agricole commune ! Ce reflux est un grave renoncement…

Sur la PAC, l’accord de Paris, la décarbonation et la transition énergétique, s’il y a bien un moment où il faut tenir bon, c’est maintenant ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur, je serai bref au sujet de l’Ukraine, car on en a déjà beaucoup parlé ; effectivement, l’un des grands enjeux est d’affirmer avec force que nous sommes attachés à un ordre international fondé sur le droit et que nous refusons de basculer dans un monde où cet ordre reposerait sur la force.

En ce qui concerne le Proche-Orient, nous avons bon espoir que les conclusions du Conseil européen comportent un appel très clair à un cessez-le-feu durable ; nous espérons également que le Conseil appelle Israël à respecter le droit international et à prendre les mesures nécessaires pour permettre l’acheminement sans délai de l’aide humanitaire à la population gazaouie, qui n’a pas à être la victime des crimes terroristes du Hamas.

Pour ce qui est du rôle joué par la France dans l’aboutissement de ce grand texte qu’est la directive sur le devoir de vigilance des entreprises, vous êtes un peu dur ! Notre pays a été le premier à adopter cette législation, avant de suggérer qu’elle puisse être « européanisée », si je puis dire ; ensuite, nous avons systématiquement soutenu, jusqu’au stade du trilogue, l’adoption de ce texte, dont la version définitive vient d’être fixée. Pour ma part, je suis extrêmement satisfait et fier que l’Europe soit sur le point de l’adopter.

Pour ce qui concerne la PAC et les mesures récemment prises ou, du moins, proposées par la Commission européenne, je crois que l’on ne peut pas reprocher à la législature qui s’achève son manque d’ambition en matière écologique. Je pense au Green Deal, ainsi qu’aux objectifs extrêmement ambitieux et aux moyens alloués pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Mais aucune transition n’est possible contre les peuples. Si, dans le cadre des dispositifs que nous élaborons pour réussir ces transitions, certains pans de la population se sentent injustement traités, ils se révolteront inévitablement et exprimeront leur colère. C’est ce qui s’est produit avec les agriculteurs, qui ont appelé à l’aide la Commission, laquelle les a entendus ; je crois que l’on ne peut pas vraiment le lui reprocher.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique, pour la réplique.

M. Jacques Fernique. Monsieur le ministre, je rappelle que la France a contribué à ce que le secteur financier soit exclu du champ de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises pour toutes ses activités d’aval ; notre pays a également fait en sorte que 80 % des entreprises en soient exonérées.

Je souhaite aussi revenir sur l’appréciation que vous avez portée, dans votre propos liminaire, sur la période que vit actuellement l’Europe. Cette période correspondrait, à vous entendre, à une « victoire idéologique du logiciel français de souveraineté européenne », pour reprendre, me semble-t-il, les termes exacts que vous avez utilisés. (M. le ministre délégué hoche la tête en signe dassentiment.)

À mon sens, monsieur le ministre, cette expression trahit une conception très tricolore de l’Europe. Je crois au contraire que les événements que nous venons de vivre et que ceux que nous affrontons aujourd’hui prouvent que l’Europe a besoin de cohésion et d’une plus grande détermination collective ; il importe également de renforcer la cohérence franco-allemande. C’est à l’aune de ces combats et de ces chantiers que le logiciel européen, que notre logiciel commun, doit être revigoré. Tout seul, on s’agite ; ensemble, on va loin ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Karine Daniel applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michaël Weber.

M. Michaël Weber. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les règles budgétaires de l’Union européenne s’appliquent de nouveau depuis janvier 2024 après avoir été suspendues en 2020. Un nombre important d’États membres, dont la France, risquent de faire l’objet d’une procédure pour déficit excessif.

L’exécutif communautaire a pourtant bien perçu l’urgence qu’il y a à assouplir les normes en vigueur : l’accord obtenu en février dernier sur une réforme du pacte fiscal européen est ainsi censé attribuer plus de flexibilité aux États membres. Le nouveau pacte de stabilité et de croissance conserve néanmoins les deux fameux critères totems des 3 % de déficit et des 60 % de dette publique.

Est-il utile de rappeler que ces règles budgétaires n’ont jamais été respectées ? L’Italie, la Grèce et la Belgique ont rejoint l’Union économique et monétaire, alors que leur dette publique excédait nettement le plafond qui avait été fixé et, pendant des années, le déficit de la France et de l’Allemagne a dépassé la limite des 3 % sans que ces États soient jamais sanctionnés.

Les réformes successives du pacte de stabilité et de croissance, en 2005 et en 2011, ont fini par conduire à un monstre de complexité, tout en conservant ces seuils déconnectés des conjonctures économiques des différents pays européens.

Le pacte de stabilité et de croissance a également démontré son inefficacité en période de crise. Ses règles budgétaires obligent en effet les États membres à maintenir leur déficit et leur dette sous les seuils, ce qui alimente le ralentissement de la croissance. De fait, les mesures d’austérité qui ont d’abord prévalu pendant les crises de 2007 et 2012 ont placé l’Europe au bord de l’implosion.

Pour faire face à la crise de la covid-19, l’Union européenne n’a cette fois-ci pas hésité à suspendre ses règles budgétaires, au printemps 2020, permettant aux gouvernements nationaux d’intervenir dans leurs économies. Les États membres de l’Union ont franchi un pas supplémentaire et opéré un changement de paradigme économique, en acceptant d’emprunter en commun pour financer le plan de relance européen.

Aujourd’hui, l’urgence climatique doit, au même titre que la crise de la covid-19, inciter à lever les freins à l’investissement. L’Europe sort fragilisée par une succession de crises dont les conséquences directes sont la hausse massive des dettes et l’accentuation de l’hétérogénéité des situations entre États membres. L’application de critères chiffrés uniformes – ceux de la dette publique et du déficit – paraît dès lors absurde, contre-productive d’un point de vue économique et dangereuse politiquement.

Un retour en arrière, vers une forme de conservatisme budgétaire, est impensable au moment où les États membres doivent plus que jamais investir dans la transition écologique, l’éducation, l’industrie verte et la défense. À l’extrême opposé du modèle européen, les États-Unis mènent une politique budgétaire expansionniste, qui n’est certes pas sans apporter son lot de problèmes, mais qui lui permet de creuser encore davantage l’écart en termes de croissance et d’innovation, et ce en défaveur du vieux continent.

Une véritable refonte du cadre et de la surveillance budgétaires, qui inclurait les investissements prioritaires européens et permettrait de tenir compte de la conjoncture économique de chaque pays, nous paraît aujourd’hui indispensable. Pouvons-nous réellement nous contenter des mesures cosmétiques de la réforme du pacte de stabilité et de croissance ? L’application automatique d’objectifs chiffrés a, par le passé, déjà conduit à la récession. Il ne s’agit pas de se passer de règles : il faut simplement faire en sorte que celles-ci garantissent la soutenabilité des finances publiques et cesser de les mettre en adéquation avec des plafonds définis arbitrairement.

Le Gouvernement promet que notre déficit public reviendra – à coups de rabot budgétaires – en dessous de 3 % du PIB en 2027. Le ministre Le Maire nous a ainsi déjà annoncé une coupe de 10 milliards d’euros. La Cour des comptes, de son côté, demande 50 milliards d’euros d’économies nouvelles pour tenir l’objectif, tout en nous alertant sur la priorité que constitue l’urgence climatique, car, selon elle, ne pas s’adapter pourrait se révéler bien plus coûteux.

Comme l’a écrit notre collègue Alexandre Ouizille dans une tribune parue dans la presse, nous devons refuser, une « nouvelle décennie perdue » et inventer un cadre budgétaire européen favorable aux investissements, souple et démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)