Sommaire

Présidence de Mme Sylvie Vermeillet

Secrétaires :

Mme Véronique Guillotin, M. Philippe Tabarot.

1. Procès-verbal

2. Élection d’une sénatrice

3. Décès d’anciens sénateurs

4. Demande par une commission des prérogatives d’une commission d’enquête

5. Questions orales

accord entre la france et la tunisie

Question n° 1074 de M. Guy Benarroche. – Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée des outre-mer.

prise en charge des mineurs isolés étrangers et regroupement familial

Question n° 1118 de Mme Valérie Boyer. – Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée des outre-mer ; Mme Valérie Boyer.

communication des islamistes radicalisés fichés s aux maires

Question n° 1134 de M. Aymeric Durox. – Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée des outre-mer ; M. Aymeric Durox.

dispositif de consultation des contraventions en ligne pour lutter contre la fraude

Question n° 1138 de Mme Nathalie Delattre. – Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée des outre-mer ; Mme Nathalie Delattre.

modèle français de sécurité civile

Question n° 1165 de M. Cédric Perrin. – Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée des outre-mer ; M. Cédric Perrin.

soutien à la filière des palmipèdes à foie gras : poursuite de la vaccination et garantie de la qualité du foie gras

Question n° 1149 de M. Alain Duffourg. – Mme Marina Ferrari, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique.

création des stations animalières aux points d’entrée sur le territoire

Question n° 1156 de Mme Nadine Bellurot. – Mme Marina Ferrari, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique.

utilité d’un vélodrome haute-savoie arena

Question n° 1068 de M. Loïc Hervé. – Mme Marina Ferrari, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique ; M. Loïc Hervé.

primes pour les fonctionnaires résidant à proximité du luxembourg

Question n° 1013 de Mme Véronique Guillotin. – Mme Marina Ferrari, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique.

industrie de verdissement de l’économie

Question n° 1097 de M. Laurent Somon. – Mme Marina Ferrari, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique ; M. Laurent Somon.

réintégration des travaux d’aménagement de terrain dans le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée

Question n° 1069 de Mme Laurence Garnier. – Mme Marina Ferrari, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique ; Mme Laurence Garnier.

gestion économique et sociale de l’après-mines

Question n° 1132 de M. Michaël Weber. – Mme Marina Ferrari, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique.

modalités de la taxe additionnelle à certains droits d’enregistrement

Question n° 468 de Mme Françoise Gatel. – Mme Marina Ferrari, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique ; Mme Françoise Gatel.

opportunité d’étendre le bénéfice de l’indemnité de résidence

Question n° 1050 de Mme Annick Jacquemet. – Mme Marina Ferrari, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique ; Mme Annick Jacquemet.

situation d’urgence à la maison d’arrêt de rouen

Question n° 1139 de M. Didier Marie. – Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles ; M. Didier Marie.

vacance au tribunal judiciaire du havre

Question n° 1155 de Mme Agnès Canayer. – Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles ; Mme Agnès Canayer.

multiplication des fermetures de classes dans le département du cher

Question n° 1089 de M. Rémy Pointereau. – Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles ; M. Rémy Pointereau.

obligation pour certains parents vivant en milieu rural de recourir à des initiatives privées pour scolariser leur enfant

Question n° 1064 de M. Jean Hingray. – Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles ; M. Jean Hingray.

impact des règles de remplacement et de formation des enseignants sur la mise en œuvre des dispositifs d’éducation à l’image

Question n° 1153 de Mme Sylvie Robert. – Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles ; Mme Sylvie Robert.

carte scolaire 2024

Question n° 1158 de M. Rémi Cardon. – Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles ; M. Rémi Cardon.

remboursement des soutiens-gorges compressifs post-cancer du sein et reconstruction mammaire

Question n° 1084 de Mme Patricia Demas. – Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles ; Mme Patricia Demas.

tarification sociale des cantines

Question n° 1107 de M. Stéphane Sautarel. – Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles ; M. Stéphane Sautarel.

reconnaissance de droits pour les aidants

Question n° 235 de M. Pierre-Jean Verzelen. – Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles.

examens de biologie médicale délocalisée

Question n° 684 de Mme Élisabeth Doineau. – Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles.

établissement de certificats de décès

Question n° 1065 de M. Hervé Reynaud. – Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles ; M. Hervé Reynaud.

fraudes et problèmes de prise en charge des produits auditifs

Question n° 1154 de M. Christophe Chaillou. – Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles ; M. Christophe Chaillou.

avenir de la profession des infirmiers libéraux

Question n° 1157 de M. Bernard Buis. – Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles.

pratiques de soins non conventionnelles et leur encadrement

Question n° 1144 de Mme Laurence Muller-Bronn. – Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles ; Mme Laurence Muller-Bronn.

fermeture du centre de santé edens dans le haut-rhin

Question n° 1113 de Mme Patricia Schillinger. – Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles.

date de publication du rapport relatif à l’installation obligatoire des détecteurs de fumée dans les lieux d’habitation

Question n° 1000 de M. Pascal Martin. – M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement.

soutien de l’état aux communes rurales touristiques

Question n° 1152 de Mme Sylvie Valente Le Hir. – M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement.

incohérences procédurales dans la sollicitation de subventions par les collectivités territoriales

Question n° 1163 de M. Jean-Baptiste Blanc. – M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement ; M. Jean-Baptiste Blanc.

accompagnement des communes perdant le classement « zone de revitalisation rurale » ou « france ruralités revitalisation »

Question n° 1166 de Mme Anne-Sophie Romagny. – M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement ; Mme Anne-Sophie Romagny.

encadrement des coupes rases en forêt et valorisation de la sylviculture mélangée à couvert continu

Question n° 1123 de M. Gilbert-Luc Devinaz. – M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement ; M. Gilbert-Luc Devinaz.

conditions de travail des conducteurs de vtc durant les jeux olympiques

Question n° 1023 de M. Pascal Savoldelli. – M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement ; M. Pascal Savoldelli.

compétence eau et assainissement

Question n° 1143 de Mme Viviane Artigalas. – M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement ; Mme Viviane Artigalas.

aménagement du territoire des aéroports régionaux

Question n° 1133 de M. Claude Nougein. – M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement.

couvre-feu à vingt-trois heures pour l’aéroport d’orly

Question n° 1150 de M. Christian Cambon. – M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement ; M. Christian Cambon.

extension des délégations que le conseil municipal peut consentir au maire

Question n° 1094 de Mme Pauline Martin. – M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement ; Mme Pauline Martin.

interdiction d’emploi de bardage bois en cas de rénovation de façades

Question n° 1110 de M. Cyril Pellevat. – M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement ; M. Cyril Pellevat.

demande de révision urgente de l’arrêté sur l’autoconsommation collective étendue

Question n° 1082 de M. Damien Michallet. – M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement.

difficultés d’application de la loi d’orientation des mobilités

Question n° 1131 de Mme Cécile Cukierman. – M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement ; Mme Cécile Cukierman.

situation financière des centres sociaux bretons de plus en plus préoccupante

Question n° 1122 de M. Jean-Luc Fichet. – M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement ; M. Jean-Luc Fichet.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

6. Mise au point au sujet d’un vote

7. Retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale

M. Philippe Mouiller, auteur de la proposition de loi

Mme Pascale Gruny, rapporteur de la commission des affaires sociales

M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire

M. Daniel Chasseing

Mme Nadia Sollogoub

M. Daniel Salmon

Mme Cathy Apourceau-Poly

Mme Guylène Pantel

M. Bernard Buis

Mme Monique Lubin

M. Jean-Claude Anglars

M. Christopher Szczurek

M. Christian Klinger

M. Laurent Somon

M. François Bonhomme

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

M. Pierre Cuypers

M. Franck Menonville

M. Laurent Duplomb

M. Marc Fesneau, ministre

Adoption de l’article.

Après l’article 1er

Amendement n° 1 de Mme Monique Lubin et sous-amendement n° 2 de Mme Anne Souyris. – Rejet du sous-amendement et de l’amendement.

Article 2 – Adoption.

Vote sur l’ensemble

M. Daniel Salmon

Mme Monique Lubin

Adoption, par scrutin public n° 157, de la proposition de loi dans le texte de la commission.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales

8. Candidatures à des commissions mixtes paritaires

Suspension et reprise de la séance

9. Jardins d’enfants. – Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles

Mme Agnès Evren, rapporteure de la commission de la culture

M. Claude Kern

Mme Mathilde Ollivier

M. Gérard Lahellec

M. Ahmed Laouedj

M. Martin Lévrier

Mme Colombe Brossel

Mme Elsa Schalck

Mme Laure Darcos

M. Max Brisson

Mme Laurence Muller-Bronn

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Amendement n° 1 de Mme Nadège Havet. – Retrait.

Adoption de l’article.

Articles 2 et 3 – Adoption.

Vote sur l’ensemble

Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission.

Suspension et reprise de la séance

10. « Tests PME » et création d’un dispositif « Impact Entreprises » .– Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale

M. Olivier Rietmann, auteur de la proposition de loi

PRÉSIDENCE DE Mme Sophie Primas

Mme Elsa Schalck, rapporteure de la commission des lois

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation

M. Guillaume Gontard

M. Fabien Gay

Mme Nathalie Delattre

Mme Nadège Havet

M. Gilbert-Luc Devinaz

M. Jean-François Rapin

M. Emmanuel Capus

Mme Dominique Vérien

M. Christophe Chaillou

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Amendement n° 12 du Gouvernement. – Rejet.

Amendements identiques nos 3 rectifié ter de M. Emmanuel Capus et 7 de la commission. – Adoption des deux amendements.

Amendement n° 1 de M. Guillaume Gontard. – Rejet.

Amendement n° 11 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 8 de la commission. – Adoption.

Amendement n° 14 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article modifié.

Article 1er bis (nouveau)

Amendement n° 13 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 2 de M. Guillaume Gontard. – Rejet.

Amendements identiques nos 4 rectifié quater de M. Emmanuel Capus et 9 de la commission. – Adoption des deux amendements.

Adoption de l’article modifié.

Article 1er ter (nouveau)

Amendement n° 6 rectifié bis de M. Emmanuel Capus. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 1er quater (nouveau) – Adoption.

Articles 2 à 4 (supprimés)

Intitulé de la proposition de loi

Amendement n° 10 de la commission. – Adoption de l’amendement modifiant l’intitulé.

M. Olivier Rietmann

Renvoi de la suite de la discussion.

Suspension et reprise de la séance

11. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars 2024

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe

Mme Catherine Dumas, vice-présidente de la commission des affaires étrangères ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe ; M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe ; M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes.

Mme Cathy Apourceau-Poly ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe ; Mme Cathy Apourceau-Poly.

M. Ahmed Laouedj ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe.

M. Georges Patient ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe.

Mme Gisèle Jourda ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe ; Mme Gisèle Jourda.

M. Alain Cadec ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe ; M. Alain Cadec.

M. Louis Vogel ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe ; M. Louis Vogel.

M. Olivier Henno ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe ; M. Olivier Henno.

M. Jacques Fernique ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe ; M. Jacques Fernique.

M. Michaël Weber ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe ; M. Michaël Weber.

M. Cyril Pellevat ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe ; M. Cyril Pellevat.

M. Claude Kern ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe ; M. Claude Kern.

Mme Pascale Gruny ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe ; Mme Pascale Gruny.

Conclusion du débat

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes

12. Ordre du jour

Nomination de membres de commissions mixtes paritaires

compte rendu intégral

Présidence de Mme Sylvie Vermeillet

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Véronique Guillotin,

M. Philippe Tabarot.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 14 mars 2024 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Élection d’une sénatrice

Mme la présidente. En application de l’article 32 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, M. le président du Sénat a reçu de M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer une communication de laquelle il résulte que, à la suite des opérations électorales du dimanche 17 mars 2024, Mme Marie-Jeanne Bellamy a été proclamée sénatrice de la Vienne. Son mandat a débuté ce lundi 18 mars à zéro heure.

Au nom du Sénat tout entier, je souhaite à notre nouvelle collègue la plus cordiale bienvenue.

3

Décès d’anciens sénateurs

Mme la présidente. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues Louis Minetti, qui fut sénateur des Bouches-du-Rhône de 1978 à 1998, et Jacques Donnay, qui fut sénateur du Nord de 1999 à 2001.

4

Demande par une commission des prérogatives d’une commission d’enquête

Mme la présidente. Mes chers collègues, par lettre en date du vendredi 15 mars, la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport demande au Sénat, en application de l’article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de lui conférer les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête, pour une durée de six mois, afin de mener sa mission d’information sur les modalités de constitution d’une société commerciale par la Ligue de football professionnel en application des articles L. 333-1 et suivants du code du sport introduits par la loi n° 2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France.

La conférence des présidents examinera cette demande lors de sa réunion de demain, mercredi 20 mars.

5

Questions orales

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

accord entre la france et la tunisie

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, auteur de la question n° 1074, adressée à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.

M. Guy Benarroche. Madame la ministre, je souhaitais attirer l’attention de M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer sur les financements octroyés à la Tunisie.

Dès le début de l’année 2023, alors que notre assemblée commençait ses travaux sur le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, le président tunisien déclarait dans un communiqué qu’« il existe un plan criminel pour changer la composition du paysage démographique en Tunisie », relayant la théorie complotiste trop répandue du grand remplacement.

Lors d’un conseil de sécurité nationale convoqué sur le sujet, il avait même évoqué des « hordes de migrants clandestins », dont la présence en Tunisie serait, selon lui, source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables ». Ces déclarations ont été faites alors que se tenaient, à l’échelle de l’Union européenne, des discussions au sujet du pacte sur la migration et l’asile.

C’est à l’occasion d’une visite à Tunis du ministre français de l’intérieur, avec son homologue allemand, que l’annonce a été faite d’une aide bilatérale octroyée par la France à la Tunisie pour soutenir la lutte contre l’immigration clandestine.

Depuis lors, la Tunisie a mené des campagnes massives d’arrestation et d’expulsion de migrants, notamment depuis la ville de Sfax, point de départ de personnes migrantes vers l’Europe. Ces migrants sont emmenés par des forces de police vers la région frontalière avec la Libye et l’Algérie ; ils y sont abandonnés dans des zones désertiques, sans eau ni nourriture ; ils y subissent la chaleur et y ont trop souvent trouvé la mort.

« Nous sommes profondément préoccupés par l’expulsion de migrants, réfugiés et demandeurs d’asile de Tunisie vers les frontières avec la Libye, et aussi avec l’Algérie », avait déclaré le porte-parole adjoint du secrétaire général des Nations unies à l’été 2023.

Ces épisodes ignobles suscitent des interrogations sur le financement annoncé par le ministre de l’intérieur.

Aussi, je souhaiterais connaître le cadre précis de ce financement destiné, selon lui, à permettre d’« acquérir des équipements nécessaires et organiser les formations utiles, notamment des policiers et gardes-frontières tunisiens », pour « contenir le flux irrégulier de migrants » et « favoriser le retour de ces migrants ». Aucune aide ne peut être octroyée sans contrôle, d’autant que la Tunisie a récemment interdit la venue d’une mission parlementaire du Parlement européen.

Je voudrais donc connaître le cadre légal de cet accord bilatéral de financement, le calendrier de ce financement, la nature des équipements qui ont pu être acquis grâce à cette aide de notre pays, le type de formations qui auraient été dispensées dans ce cadre ; surtout, je souhaiterais savoir si le ministère de l’intérieur a prévu des garanties, telle une clause de suppression en cas de violation grave et systématique des droits humains, en particulier de ceux des personnes migrantes, comme cela a, hélas ! été rapporté par de nombreux acteurs.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargée des outre-mer. Monsieur le sénateur Benarroche, vous constatez à raison que les importants flux migratoires en provenance d’Afrique subsaharienne constituent un défi majeur pour la Tunisie, à laquelle la France tient à assurer sa solidarité et son soutien dans les efforts qu’elle déploie pour gérer ces flux et renforcer la stabilité régionale.

L’objectif du Gouvernement est de prévenir ce phénomène migratoire en fournissant l’acquisition d’équipements nécessaires, ainsi qu’en organisant des formations ciblées, notamment au profit des policiers et gardes-frontières tunisiens, afin de contribuer à la maîtrise des flux irréguliers de migrants et de favoriser leur retour dans leur pays d’origine.

À ce titre, une convention entre Civipol, opérateur du ministère de l’intérieur et des outre-mer, et le ministère de l’intérieur tunisien a été signée le 13 décembre 2023, de même qu’un contrat entre Civipol et Idemia, expert mondial des systèmes biométriques de sécurité, ayant pour objet la mise à niveau du système biométrique et le renforcement de la police technique et scientifique tunisienne.

Cette opération, dont le coût global s’élève à 8,9 millions d’euros, monsieur le sénateur, est financée à hauteur de 5 millions d’euros par la France. Elle couvre la livraison de matériels et de licences, ainsi qu’un service de maintenance assuré jusqu’en 2025. Le parc d’équipements mobiles sera également élargi ; il comprendra le renouvellement des huit stations d’identification dans les consulats tunisiens en France, favorisant l’identification accélérée des Tunisiens à l’étranger.

Le ministère de l’intérieur et des outre-mer est particulièrement attentif au strict respect des droits humains dans le déploiement de cette aide. Aussi une clause a-t-elle été intégrée à cet effet au contrat passé entre Civipol et Idemia.

Les intervenants sur ce projet ont par ailleurs été sensibilisés et formés sur les sujets relatifs aux droits de l’homme et sont par conséquent à même de lancer une alerte si le système est utilisé d’une façon non conforme au contrat.

Enfin, Civipol, responsable du suivi de l’exécution du projet, fera un point spécifique à chaque réunion du comité de pilotage ; la première est prévue en mars 2024.

Vous voyez donc, monsieur le sénateur, que le Gouvernement s’engage dans le contrôle que vous appeliez de vos vœux dans votre question.

prise en charge des mineurs isolés étrangers et regroupement familial

Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Boyer, auteure de la question n° 1118, adressée à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.

Mme Valérie Boyer. Madame la ministre, l’Italie communique chaque jour les données relatives aux entrées d’immigrés clandestins sur son sol et en fournit chaque mois un tableau de bord complet, depuis 2017. La France est beaucoup moins transparente en la matière.

Ce que nous savons, c’est que, après une légère baisse liée à la crise sanitaire, les arrivées de mineurs non accompagnés (MNA) se sont multipliées en 2023, notamment après la crise de Lampedusa en Italie. Leur nombre a été multiplié par quatre entre 2014 et 2023, passant de 5 033 à 19 370 ; l’augmentation entre 2022 et 2023 était de 31 % ! Il faut ajouter à ce chiffre les mineurs non déclarés, mais surtout les personnes présumées mineures, puisque les départements peinent à vérifier l’âge des demandeurs d’aide, procédure très coûteuse qui reste à la charge des collectivités.

En somme, ce sont plus de 100 000 mineurs non accompagnés qui ont été accueillis depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, c’est-à-dire l’équivalent de la population de Tourcoing, pour citer une ville chère au ministre de l’intérieur. Plus de la moitié d’entre eux arrivent de Guinée, de Côte d’Ivoire et du Mali, pays où la haine de notre pays ne fait que croître. S’y ajoutent des personnes originaires de Tunisie, d’Algérie ou encore du Maroc, pays qui ne sont pas en guerre.

Quel est le coût de cet accueil ? Il est estimé en moyenne à 50 000 euros par mineur et par an, ce qui englobe le logement, la nourriture et les frais d’éducation et de formation. Selon les données dont nous disposons, cela représente un budget de 3,6 milliards d’euros pour les finances publiques !

Que se passe-t-il quand un MNA atteint la majorité ? Combien d’entre eux restent pris en charge de 18 à 21 ans ? Combien rentrent chez eux à leur majorité, et combien bénéficient du regroupement familial et sont rejoints par leurs familles ? Combien, après avoir bénéficié de cette prise en charge, deviennent français ? Enfin, alors que ces pays abandonnent leurs enfants, la France se fait-elle rembourser cette prise en charge ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargée des outre-mer. Madame la sénatrice Valérie Boyer, comme vous le savez, les mineurs non accompagnés, âgés de moins de 18 ans et séparés de leurs représentants légaux sur le sol français, relèvent de la compétence de plusieurs ministères, mais aussi de celle des départements, au titre de l’aide sociale à l’enfance. Le ministère de l’intérieur et des outre-mer apporte un soutien à ces derniers dans la phase d’évaluation de la minorité, rendue spécialement difficile en raison de l’absence de documents d’identité ou des lacunes de l’état civil des pays d’origine.

L’étranger reconnu MNA bénéficie sur le territoire d’une protection absolue à l’encontre de tout éloignement forcé durant sa minorité. Le rapport d’activité pour 2022 de la mission nationale « mineurs non accompagnés » précise que 14 782 ordonnances ou jugements de placement ont été pris cette année-là ; certains de leurs bénéficiaires peuvent demander l’asile.

Vous m’invitez à donner des chiffres ; en voici, madame la sénatrice. Selon le rapport d’activité de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) pour 2022, il apparaît qu’environ mille mineurs non accompagnés ont introduit une demande de protection internationale cette année-là. Ils proviennent à 64,3 % d’Asie – à 60,7 % d’Afghanistan – et 31,8 % d’Afrique.

Le taux des protections reconnues par l’Ofpra aux MNA demeure élevé – 82,5 % –, à l’instar des années précédentes, et excède nettement le taux global de protection de l’Office, qui est de 29,2 %.

Un mineur reconnu réfugié ou bénéficiant de la protection subsidiaire peut demander la réunification familiale pour ses père et mère, accompagnés éventuellement par ses frères et sœurs mineurs non mariés. Cette procédure est une voie d’immigration fondée, rigoureusement appliquée, en particulier pour ce qui concerne la documentation et la réalité des liens familiaux.

Le ministère de l’intérieur et des outre-mer cherche bien à détecter, le plus en amont possible, les ressortissants étrangers se déclarant MNA alors qu’ils sont en réalité majeurs.

À cet égard, la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants et les textes réglementaires pris pour son application ont renforcé l’efficacité de cette entreprise, en prévoyant tout d’abord l’obligation de présenter en préfecture et d’exploiter le fichier d’appui à l’évaluation de minorité, permettant de limiter les demandes successives dans plusieurs départements.

L’obligation de rendre le préfet de département destinataire du résultat de l’évaluation de minorité lui permet en outre de tirer les conséquences d’un état de majorité de la personne en cause.

Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour la réplique.

Mme Valérie Boyer. Madame la ministre, je souhaiterais savoir précisément combien de MNA sont devenus français une fois leur majorité atteinte. On sait parfaitement que nombre d’entre eux ne sont ni mineurs ni non accompagnés, puisqu’ils appartiennent à des réseaux.

Par ailleurs, madame la ministre, retrouve-t-on leurs parents à ce moment-là ?

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue !

Mme Valérie Boyer. Enfin, la France demande-t-elle aux pays d’origine le remboursement de la prise en charge dont ces personnes ont bénéficié ?

communication des islamistes radicalisés fichés s aux maires

Mme la présidente. La parole est à M. Aymeric Durox, auteur de la question n° 1134, adressée à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.

M. Aymeric Durox. Madame la ministre, au mois de mai 2018, à l’occasion du Congrès des maires de France, Emmanuel Macron avait dit souhaiter que les préfets puissent échanger avec les maires sur la présence, dans leurs communes, des personnes fichées pour radicalisation islamiste et ayant été identifiées comme les plus à risque, qui sont recensées dans le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).

Cette annonce présidentielle avait été suivie par la circulaire du 13 novembre 2018, qui confiait aux préfets la tâche de transmettre toutes les informations nécessaires aux maires afin d’améliorer la protection des Français, notamment dans le cadre de la radicalisation violente de personnes présentes dans leurs communes.

Malheureusement, la circulaire n’a produit aucun effet sur le terrain, et il a fallu attendre le tragique attentat du lycée d’Arras, à l’automne 2023, perpétré par un énième individu fiché S, pour que ce sujet soit de nouveau mis sur la table !

Mon collègue de parti Julien Sanchez, maire de Beaucaire, l’a réclamé dès 2018, tout comme, d’ailleurs, plus récemment, le maire Les Républicains de Montélimar, Julien Cornillet, qui regrettait dans une interview à France Bleu que les édiles n’aient pas « à ce jour accès au fichier S », ainsi que le maire macroniste de Reims, Arnaud Robinet qui, dans une tribune au Journal du dimanche, plaidait lui aussi pour un accès à l’identité des fichés S de la police municipale, qui est souvent la première à intervenir aujourd’hui.

Vous le voyez, madame la ministre, lorsqu’il s’agit de la sécurité des Français, les clivages s’effacent au bénéfice du bon sens : l’échelon municipal doit prendre toute sa place dans la protection de nos concitoyens.

C’est pourquoi je demande au Gouvernement d’appliquer la circulaire de 2018, par l’intermédiaire des préfets s’il le faut, et de communiquer sans délai à tous les maires concernés l’identité des personnes islamistes radicalisées fichées S résidant dans leurs communes.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargée des outre-mer. Monsieur le sénateur Durox, les fiches S constituent un outil de renseignement permettant une mise en attention et une surveillance discrète des individus par les services de renseignement. Cette mesure de surveillance résulte parfois de leur simple proximité avec d’autres individus et non de leur propre dangerosité.

Vous comprendrez à coup sûr combien il est essentiel que le travail des services s’inscrive dans la plus stricte confidentialité, afin de ne pas contrarier la discrétion s’attachant à cette surveillance ni de risquer de compromettre des enquêtes en cours.

C’est pourquoi le Gouvernement n’est pas favorable à l’ouverture de l’accès aux fiches S du fichier des personnes recherchées (FPR) aux maires des communes dans lesquelles résident les personnes concernées.

Le Gouvernement a cependant souhaité faire en sorte que les maires soient pleinement associés aux dispositifs de prévention et de prise en charge de la radicalisation mis en œuvre par les services déconcentrés de l’État. Au demeurant, il s’est toujours pleinement engagé en faveur du renforcement de l’information des maires, pour la protection de nos concitoyens.

Ainsi, les pouvoirs de police des maires prévus à l’article L. 132-3 du code de la sécurité intérieure ont été renforcés de telle sorte que ceux-ci peuvent désormais être informés, par le procureur de la République, des suites judiciaires données aux infractions constatées sur leur commune par les agents de police municipale, en application de l’article 21-2 du code de procédure pénale.

Par ailleurs, depuis la circulaire du ministre de l’intérieur du 13 novembre 2018, les préfets sont autorisés à partager certaines de ces informations confidentielles et nominatives avec les maires et présidents d’intercommunalités, dans le cadre des groupes restreints des conseils locaux ou intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance, sous réserve de l’accord du chef du service de police et du procureur de la République territorialement compétents.

Enfin, la question de l’ouverture d’un accès partiel et proportionné des maires à d’autres fiches du FPR fait actuellement l’objet d’un examen approfondi par les services du ministère de l’intérieur et des outre-mer, étant observé que les policiers municipaux disposent, depuis plusieurs années, d’un accès de plus en plus étendu aux fichiers relevant de l’État, pour leur permettre de traiter les infractions relatives à la sécurité qu’ils sont habilités à constater.

Le Gouvernement entend poursuivre cette dynamique, en élargissant l’accès des policiers municipaux à d’autres fichiers du ministère de l’intérieur et des outre-mer. Ce sujet pourra faire l’objet de discussions à l’occasion du Beauvau de la police municipale.

Mme la présidente. La parole est à M. Aymeric Durox, pour la réplique.

M. Aymeric Durox. Madame la ministre, cette réponse ne me convient pas vraiment, même si j’ai cru comprendre que la dynamique allait quelque peu dans le bon sens.

Rappelons tout de même que, depuis 2012, les attentats islamistes ont causé la mort de 273 personnes en France et y ont fait près de 1 200 blessés.

Le Gouvernement a fait montre à plusieurs reprises de son incapacité à expulser les fichés S, qui représentent pourtant un grave danger pour nos compatriotes. De même, les filières d’immigration légale et illégale charriant une partie de ces fichés S ne sont pas non plus taries, en dépit des rodomontades de M. Darmanin.

Vous êtes visiblement dépassés par la situation. Aussi, permettez aux maires de France, qui le demandent, de protéger les Français !

dispositif de consultation des contraventions en ligne pour lutter contre la fraude

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre, auteure de la question n° 1138, adressée à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.

Mme Nathalie Delattre. Madame la ministre, je souhaite témoigner de l’existence d’une fraude d’ampleur concernant le paiement des contraventions en ligne.

De nombreux Français reçoivent des messages, par texto et parfois par courriel, leur demandant de s’acquitter du paiement de prétendues contraventions. Lors du règlement, ils sont victimes d’hameçonnage : des experts en ce genre de méfaits récupèrent leurs coordonnées bancaires.

Outre l’acquittement de la prétendue contravention, des centaines, voire des milliers d’euros, leur sont subtilisés de la sorte. Face à ces actes, les victimes n’ont d’autre choix que de porter plainte a posteriori pour tenter d’obtenir une indemnisation auprès de leur organisme bancaire.

Malgré la prévention assurée par les services de l’État, nous assistons à une recrudescence de ces actes frauduleux. Il serait aujourd’hui possible de minimiser la portée de ces pratiques en permettant aux contribuables de consulter l’état de leurs contraventions sur le site des immatriculations et, ainsi, de vérifier l’authenticité de la demande de paiement.

Madame la ministre, j’aimerais donc savoir si vous envisagez de permettre aux Français d’accéder à la consultation de leurs contraventions sur le site des immatriculations ou par un autre moyen sur internet.

Pouvez-vous également me faire état des moyens mis à la disposition des forces de police et de gendarmerie pour lutter contre cette fraude en ligne et mieux en protéger nos concitoyens et nos services publics ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargée des outre-mer. Madame la sénatrice Delattre, permettez-moi avant tout de saluer votre engagement dans la lutte contre la fraude. Ce combat est aussi une priorité du ministère de l’intérieur et des outre-mer, comme en témoigne le travail qu’il mène avec les autorités judiciaires et les services fiscaux concernés par le traitement automatisé des infractions.

Vous n’ignorez sûrement pas que l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions (Antai) a été victime de nombreuses vagues d’hameçonnage. Le centre de ressources et de contact de cette agence a été fortement mobilisé tout au long de l’année 2023 pour répondre au besoin des usagers d’être rassurés. Plus de 110 000 appels et quelque 10 000 courriels ont été traités à ce titre. Enfin, sachez qu’il est déjà possible de consulter ses contraventions sur le site de l’Antai, via le parcours « Consulter mon dossier d’infraction ».

Par ailleurs, les moyens cyber de la police et de la gendarmerie montent en puissance : en témoigne la création d’une agence du numérique des forces de sécurité intérieure, du commandement du ministère de l’intérieur dans le cyberespace, ainsi que de l’office anti-cybercriminalité de la direction nationale de la police judiciaire.

Le Gouvernement se mobilise également en matière de prévention : en 2017, une plateforme a été ouverte pour guider et accompagner les victimes, à l’adresse cybermalveillance.gouv.fr. En 2020, une task force nationale de lutte contre les arnaques, pilotée par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), a été mise en place. Par ailleurs, nos forces de l’ordre sont investies dans la prévention, avec plus de 21 000 policiers et gendarmes formés au risque cyber dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.

La création à venir d’un « 17 cyber » facilitera également les démarches et permettra de mieux orienter les particuliers victimes de cyberdélinquance.

Vous pouvez compter sur la détermination du ministre de l’intérieur à renforcer l’ordre public dans l’espace numérique, ainsi que la protection de nos concitoyens, de nos entreprises, de nos collectivités et de nos administrations sur internet. Nous savons, madame la sénatrice, que nous pouvons compter sur vous dans ce combat.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour la réplique.

Mme Nathalie Delattre. Je veux remercier le Gouvernement de sa mobilisation sans relâche contre la cybercriminalité.

En attendant le « 17 cyber », il me semble nécessaire de publier une information spécifique sur cette fraude et d’informer les Français de la possibilité qu’ils ont déjà de consulter leurs contraventions sur le site de l’Antai – presque personne ne le sait ! Cela s’impose pour enrayer cette fraude massive.

modèle français de sécurité civile

Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Perrin, auteur de la question n° 1165, adressée à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.

M. Cédric Perrin. Madame la ministre, le comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe, saisi, il y a plusieurs années déjà, par un syndicat de sapeurs-pompiers professionnels, a rendu récemment une décision assimilant les sapeurs-pompiers volontaires à des travailleurs.

Les membres de ce comité estiment que les sapeurs-pompiers volontaires subissent un traitement discriminatoire en matière d’indemnisation et de temps de travail. Ils condamnent également l’implication de sapeurs-pompiers âgés de 16 ans à 18 ans dans des opérations de lutte contre l’incendie.

Si cette décision n’a pas de force contraignante, elle remet en revanche fondamentalement en cause notre modèle de sécurité civile, qui, je le rappelle, repose essentiellement sur le volontariat.

Dans le même temps, le rapport commandé l’année dernière par le ministre de l’intérieur à l’inspection générale de l’administration plaide également pour une révision des contraintes qui pèsent sur les sapeurs-pompiers volontaires et formule diverses propositions.

Madame la ministre, ce débat n’est évidemment pas nouveau. Nous l’avons eu à maintes reprises dans cet hémicycle. Mais il est aujourd’hui plus que temps de clarifier la situation.

Il est temps que le Gouvernement affirme que l’activité de sapeur-pompier volontaire ne peut être assimilée à celle d’un travailleur. C’est une telle mise au point que je vous demande aujourd’hui : vitale pour nos services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), elle devra aussi être portée à la connaissance de nos partenaires européens.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargée des outre-mer. Monsieur le sénateur Perrin, comme vous le rappelez, le comité européen des droits sociaux a récemment rendu une décision sur le bien-fondé de deux réclamations collectives déposées par un syndicat, concernant la situation des sapeurs-pompiers volontaires.

Cette décision a été communiquée au comité des ministres du Conseil de l’Europe, afin qu’il l’examine. À ce jour, ledit comité n’a pas transmis de recommandations à ce titre.

Vous avez raison de le souligner, la complémentarité fait la force de la sécurité civile en France, qu’il s’agisse des actions complémentaires de l’État, des collectivités et des associations, ou encore de la complémentarité entre les sapeurs-pompiers professionnels et les sapeurs-pompiers volontaires.

Depuis de nombreuses années, le Gouvernement et le Parlement ont veillé à mettre en place des mesures destinées à conforter la spécificité des sapeurs-pompiers volontaires français, caractérisés par leur engagement citoyen au service de nos concitoyens, notamment le principe selon lequel cet engagement ne peut être assimilé à celui d’un travailleur.

Vous m’invitez à faire une mise au point, monsieur le sénateur. Je veux y procéder devant vous. Contrairement à ce qui a pu être dit, le Gouvernement n’envisage en aucune manière, pour ce qui concerne les sapeurs-pompiers volontaires, de transposer la directive du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail.

Le modèle français de sécurité civile repose sur l’engagement quotidien de 253 000 sapeurs-pompiers, civils et militaires, en particulier sur celui de 198 700 sapeurs-pompiers volontaires. Ces derniers incarnent la richesse et la complémentarité des forces qui, chaque jour, assurent la protection de nos concitoyens. Notre objectif est bien de protéger l’engagement volontaire et citoyen au sein des services d’incendie et de secours.

Enfin, le ministre de l’intérieur et des outre-mer a annoncé la tenue d’une grande concertation portant sur notre modèle de sécurité civile, dans le cadre d’un « Beauvau de la sécurité civile » ; nous permettrons ainsi à chacun d’être associé à la réflexion sur l’avenir de la sécurité civile en France.

Permettez-moi enfin, monsieur le sénateur, de saluer à cette occasion le travail des sapeurs-pompiers, professionnels comme volontaires, dans le cadre de la lutte pour la sécurité de nos concitoyens.

Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Perrin, pour la réplique.

M. Cédric Perrin. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre.

Oui, il faut prendre la mesure des conséquences que pourrait avoir la transposition de la directive du 4 novembre 2003 sur le modèle français de sécurité civile, en particulier sur l’organisation de nos services départementaux d’incendie et de secours.

Je voudrais à mon tour saluer le courage, l’engagement et le dévouement de nos pompiers, qu’ils soient professionnels ou, comme 80 % d’entre eux, volontaires. C’est bien grâce à eux que notre système fonctionne aujourd’hui.

De manière similaire, nous avons un profond différend avec l’Union européenne sur la question du temps de travail des militaires. Dans ces deux cas, nous devons affirmer certains principes. Nos modèles fonctionnent de la sorte, et nous ne pouvons pas les laisser s’effilocher.

soutien à la filière des palmipèdes à foie gras : poursuite de la vaccination et garantie de la qualité du foie gras

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Duffourg, auteur de la question n° 1149, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

M. Alain Duffourg. Madame la secrétaire d’État, ma question s’adressait au ministre de l’agriculture. Elle concerne la filière des palmipèdes à foie gras, qui a connu diverses épizooties au cours des deux dernières années. Cela a conduit à lancer une campagne de vaccination de ces oiseaux, pour un an à compter du mois d’octobre 2023.

Cette campagne entraîne des frais importants ; l’État finance les deux premières doses à hauteur de 85 %, la filière prenant en charge les 15 % restants ; la troisième dose est intégralement financée par l’État.

Aujourd’hui, cette filière agricole demande que l’État reconduise pour la seconde campagne de vaccination, à compter de l’automne 2024, l’ensemble de ces mesures financières, afin de lui permettre de s’adapter à cette nouvelle situation.

Comme vous le savez, mes chers collègues, ces mesures engendrent actuellement bien des contraintes pour les éleveurs. Ceux-ci demandent donc à pouvoir sortir les palmipèdes de leur abri après deux doses de vaccination si la sérologie est négative, ou après cinquante-six jours s’ils ont reçu la troisième dose.

Par ailleurs, des mesures ont été prises à l’échelon européen pour reconnaître la qualité de ces produits issus de notre agriculture particulièrement privilégiée. Nous demandons que le Gouvernement continue en ce sens, notamment via un étiquetage et une labellisation des boutiques vendant du foie gras et des aliments associés.

Enfin, il importe que les restaurateurs puissent mettre en valeur l’origine française du foie gras qu’ils servent. Nous venons de subir des crises agricoles majeures ; le Gouvernement semble en avoir pris la mesure.

Mme la présidente. Veuillez poser votre question, mon cher collègue !

M. Alain Duffourg. Je demande au ministère de l’agriculture une confirmation, celle que les mesures que j’ai évoquées seront bien prises, notamment en matière de prise en charge financière de la vaccination des palmipèdes à foie gras.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Marina Ferrari, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique. Monsieur le sénateur Duffourg, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser Marc Fesneau et Agnès Pannier-Runacher, qui m’ont chargée de vous répondre à leur place.

La campagne de vaccination contre l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) a commencé à l’automne 2023, conformément au calendrier annoncé.

Inédite dans son principe et par son ampleur, cette campagne de vaccination vise à mieux protéger la santé des animaux et celle des hommes. À l’échelle internationale, la France est le premier grand pays exportateur de volailles à déployer un tel dispositif innovant pour renforcer la protection des élevages.

À la mi-mars 2024, plus de 22 millions de canards ont fait l’objet d’une vaccination obligatoire contre l’IAHP pour l’ensemble des élevages de plus de 250 canards dont les produits sont commercialisés sur tout le territoire métropolitain.

Cette campagne vaccinale, dont le montant avoisine les 100 millions d’euros, est financée à 85 % par l’État pour les deux premières doses et à 100 % pour la troisième dose. Les modalités de financement de la prochaine campagne vaccinale seront définies dans les semaines à venir, en concertation avec les filières professionnelles. Les discussions sont engagées.

Grâce au succès de la campagne de vaccination, notamment, nous observons une nette diminution des foyers d’influenza aviaire en comparaison des années précédentes, preuve de l’efficacité du dispositif. Seuls dix foyers sont aujourd’hui recensés, contre trois cent quinze à la même date l’an passé.

La situation sanitaire favorable a d’ailleurs conduit le ministère à abaisser le risque influenza aviaire à « niveau modéré » depuis le 18 mars dernier, rendant possible la sortie des canards en parcours extérieur.

Depuis 2006, le foie gras est reconnu comme « fai[sant] partie du patrimoine culturel et gastronomique » dans le code rural et de la pêche maritime. Ce point est rappelé en introduction du « plan renforcé de reconquête de notre souveraineté sur l’élevage », présenté au salon international de l’agriculture le 25 février 2024, illustrant ainsi le soutien constant et durable du Gouvernement à cette filière.

Le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire lancera prochainement des consultations, afin d’élaborer, d’ici à la fin du mois de juin, des plans d’action sectoriel par filière d’élevage.

Les évolutions souhaitées pour rendre plus transparente l’information du consommateur concernant l’origine des denrées alimentaires d’origine alimentaire comme le foie gras, ce que vous appelez de vos vœux, monsieur le sénateur, pourront être évoquées dans ce cadre.

création des stations animalières aux points d’entrée sur le territoire

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadine Bellurot, auteure de la question n° 1156, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Mme Nadine Bellurot. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur la création des stations animalières aux points d’entrée du territoire français, prévues par l’arrêté du 24 mars 2017, qui fixe les conditions d’accueil et de prise en charge des animaux importés saisis dont le statut sanitaire est incertain.

Cet arrêté détermine que tous les points d’entrée du territoire français disposent d’installations et d’équipements nécessaires pour l’hébergement temporaire et l’isolement de ces animaux.

Une station animalière doit notamment disposer d’un local sécurisé, facile à nettoyer et à désinfecter, doté de cages ou autres équipements adaptés pour l’accueil de petits mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens, poissons et invertébrés, en vue de les nourrir et de leur administrer les soins minimums, dans l’attente d’une décision administrative et de leur placement dans une structure d’accueil pérenne.

Aujourd’hui, force est de constater que de telles structures existent seulement au sein de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle et dans le port de Calais.

Par exemple, les services des douanes de Roissy ont encore récemment saisi une vingtaine de scorpions, qui étaient placés dans des boîtes. L’existence d’une station animalière a permis de sécuriser la détention de ces animaux, avant qu’ils ne soient placés.

Le reste des points d’entrée du territoire ne bénéficiant pas de ce type de locaux, où sont hébergés ces animaux ? Dans la majorité des cas, ils seraient stockés dans les locaux des services des douanes, ce qui pose un problème en matière tant de contrôle des risques sanitaires que de sécurité pour ces animaux, pour le personnel et pour les voyageurs.

Madame la secrétaire d’État, pourriez-vous m’indiquer les mesures concrètes qui vont être prises pour assurer désormais l’application de cet arrêté sur tous les points d’entrée du territoire ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Marina Ferrari, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique. Madame la sénatrice Bellurot, vous le savez, le Gouvernement est pleinement engagé sur les questions de santé publique, de santé animale et de bien-être animal que soulèvent les introductions illégales d’animaux dont le statut sanitaire est incertain.

Dans les points d’entrée des voyageurs, les contrôles sanitaires sur les animaux de compagnie en provenance des pays tiers à l’Union européenne sont réalisés par les agents de la douane. Ces derniers sont également susceptibles d’identifier des introductions frauduleuses d’animaux non déclarés – vous venez d’en donner un exemple –, lors de contrôles sur des bagages ou marchandises de fret en provenance des pays tiers.

La gestion de ces animaux au statut sanitaire incertain doit être effectuée dans le respect des réglementations applicables en matière de santé et de bien-être animal, et de protection des espèces menacées d’extinction.

C’est dans cette approche « Une seule santé » que l’arrêté du 24 mars 2017 a requis, à la suite de plusieurs cas d’interceptions à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, la mise en place d’une solution d’hébergement et d’isolement dédiée, pour organiser la prise en charge de ces animaux dans les points d’entrée désignés.

L’objectif général de cet arrêté est de mettre à disposition des agents de la douane une structure d’isolement permettant d’héberger temporairement un animal non conforme saisi, afin de pouvoir gérer sereinement la prise de décision concertée avec les services chargés des contrôles vétérinaires sur le devenir à long terme de l’animal.

Cet arrêté prévoit également la possibilité pour les points d’entrée de conventionner avec un prestataire, modalité que plusieurs points d’entrée mobilisent avec succès.

L’infrastructure mise en place au sein de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, principale porte d’entrée identifiée du trafic illicite d’animaux, a déjà permis à plusieurs reprises d’héberger des animaux interceptés sur les plateformes aéroportuaires parisiennes. Il convient de souligner que cette infrastructure est mutualisée et permet également la prise en charge d’animaux interceptés à l’aéroport d’Orly.

Par ailleurs, la présence d’infrastructures dédiées au contrôle des animaux vivants dans plusieurs postes de contrôle frontaliers – vous en avez cité un, madame la sénatrice – permet le cas échéant d’offrir une solution d’hébergement dans des conditions encadrées.

utilité d’un vélodrome haute-savoie arena

Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé, auteur de la question n° 1068, adressée à Mme la ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.

M. Loïc Hervé. Madame la secrétaire d’État, j’aurais pu retirer de l’ordre du jour cette question orale relative à l’utilité d’un vélodrome en Haute-Savoie au regard des dernières évolutions qui ont conduit à l’abandon de cette construction.

Toutefois, si l’on peut se réjouir de l’organisation des championnats du monde de cyclisme sur route en Haute-Savoie en 2027, la violence des propos de M. Michel Callot, président de la Fédération française de cyclisme, et de M. David Lappartient, président de l’Union cycliste internationale, à l’égard des parlementaires opposés au vélodrome surprend, surtout lorsque l’on sait que les seuls droits d’organisation de cette compétition s’élèvent à 18 millions de francs suisses.

Le montant de l’indemnisation de la construction du vélodrome abandonné est également une question en suspens, les chiffres restant inconnus.

Madame la secrétaire d’État, au mois de décembre 2022, votre collègue ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques répondait à ma question écrite en précisant que le préfet de Haute-Savoie était chargé « d’organiser et [de] faciliter la concertation avec l’ensemble des élus et parties prenantes ». Malgré nos nombreuses relances, rien de tel n’a jamais été organisé.

Il serait bon dans ce pays que les instructions formelles des ministres se traduisent réellement dans les faits. Quinze mois plus tard, il n’est jamais trop tard !

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Marina Ferrari, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique. Monsieur le sénateur Loïc Hervé, vous avez voulu alerter la ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques sur le projet de construction d’un complexe sportif sur la commune de La Roche-sur-Foron, doté d’une piste cyclable, notamment afin d’accueillir les épreuves de cyclisme sur piste des championnats du monde de cyclisme sur route de 2027, qui seront organisés en Haute-Savoie. Je connais votre engagement sur ce sujet.

Le 7 février dernier, le conseil municipal de La Roche-sur-Foron s’est prononcé contre la vente du terrain qui devait permettre la construction du complexe sportif, notamment le vélodrome.

Le ministère des Sports et des jeux Olympiques et Paralympiques a pris acte de la décision du conseil municipal. Les parties prenantes travaillent désormais pour que les épreuves de cyclisme sur piste se tiennent au vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines.

Monsieur le sénateur, vous avez de longue date fait part de votre désaccord concernant ce projet, désaccord dont ma collègue Amélie Oudéa-Castéra a bien noté qu’il ne remettait pour autant pas en cause votre soutien à cet événement sportif de très grande ampleur, qui sera une occasion supplémentaire de mettre en valeur votre région.

Comme il s’y est engagé par un courrier en date du 16 février 2024, le préfet de Haute-Savoie organisera dans les prochaines semaines une réunion avec l’ensemble des élus du territoire à ce sujet.

La ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques reste extrêmement vigilante sur les modalités de gouvernance de l’organisation, qui reste à l’initiative du conseil départemental et de la Fédération française de cyclisme.

Mme Amélie Oudéa-Castéra veillera ainsi à ce que l’ensemble des acteurs du territoire, notamment les parlementaires, soient associés au projet, qui représente une occasion précieuse de mettre en valeur la Haute-Savoie.

Monsieur le sénateur, je me ferai le relais de vos préoccupations, afin que cette concertation ait bien lieu.

Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé, pour la réplique.

M. Loïc Hervé. Madame la secrétaire d’État, depuis le début, tout le monde considérait que l’organisation des épreuves sur piste au vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines était la meilleure solution, d’autant que la construction d’une telle infrastructure en trois ans en Haute-Savoie constituait un véritable défi. En ce sens, le retour à la raison est une bonne nouvelle.

L’inscription du projet dans le contrat de plan État-région (CPER) ne s’est accompagnée d’aucune discussion avec les parlementaires, avec les acteurs locaux ou avec les parties prenantes. Elle s’est faite dans la plus grande opacité. L’État reste intéressé à l’affaire.

Pour ma part, je me réjouis que le préfet organise une réunion, mais qu’il le fasse quinze, seize ou dix-sept mois après que la ministre le lui a demandé, cela soulève un véritable problème démocratique, ne serait-ce que parce que les parlementaires ont pour mission de contrôler l’action du Gouvernement, notamment celle de votre collègue Amélie Oudéa-Castéra.

Je réitère donc fermement ma demande qu’une telle réunion ait lieu, afin que l’on puisse poser les questions nécessaires et obtenir les réponses qui s’imposent.

primes pour les fonctionnaires résidant à proximité du luxembourg

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin, auteure de la question n° 1013, adressée à M. le ministre de la transformation et de la fonction publiques.

Mme Véronique Guillotin. Madame la secrétaire d’État, si elle est une chance pour nos concitoyens lorrains, qui y trouvent de nombreuses opportunités professionnelles, la proximité avec le Luxembourg entraîne aussi des contraintes que je ne manque jamais de rappeler dans cet hémicycle, où l’on parle régulièrement de mobilité, de logement, de santé, de télétravail, comme ce fut le cas dernièrement, ou de services à la population.

L’attractivité de notre voisin entraîne des problèmes considérables de recrutement et de fidélisation des fonctionnaires, notamment à l’hôpital, dans la police, la gendarmerie ou les écoles, où les services sont en sous-effectif chronique.

Est en cause notamment un accès difficile au marché de l’immobilier, particulièrement tendu du fait des revenus élevés des travailleurs frontaliers. Les salaires sont deux à trois fois plus élevés au Luxembourg, avec une allocation de 300 euros par mois dès le premier enfant.

L’Agence nationale pour l’information sur le logement (Anil) a publié la carte des loyers 2023. Le constat est frappant : plus l’on s’approche du Luxembourg, plus le loyer est élevé. Nombre de communes du nord de la Meurthe-et-Moselle, département dont je suis élue, et de la Moselle se situent dans la tranche la plus élevée des loyers en France, au-delà de 12 euros le mètre carré.

À cela s’ajoute l’augmentation du coût de l’énergie et du transport, alors que les transports en commun bénéficient davantage aux déplacements transfrontaliers qu’aux déplacements interurbains, notamment grâce à la mise à disposition gratuite de cars par le Luxembourg.

Pour répondre aux mêmes problèmes d’attractivité, l’État attribue une prime aux fonctionnaires résidant dans 133 communes proches de la Suisse, si vous voyez ce que je veux dire…

M. Loïc Hervé. Oh oui ! (Sourires.)

Mme Véronique Guillotin. Cette prime de résidence, d’un montant équivalent à 3 % du traitement indiciaire, vise à aider les fonctionnaires à se loger et à rester.

Si cette mesure fait sens dans les territoires frontaliers à la Suisse, elle le fait tout autant pour les territoires frontaliers au Luxembourg, qui font face aux mêmes défis et aux mêmes difficultés.

Par conséquent, madame la secrétaire d’État, je souhaite avoir l’avis du Gouvernement sur cette proposition. (MM. Olivier Bitz et Loïc Hervé applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Marina Ferrari, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique. Madame la sénatrice Guillotin, vous interrogez M. Stanislas Guerini sur l’extension de l’indemnité de résidence à la zone frontalière luxembourgeoise au regard de l’action menée dans l’Ain et en Haute-Savoie.

En portant la création d’une indemnité de résidence spécifique aux communes situées dans l’aire d’attraction du bassin genevois, le Gouvernement a apporté une réponse à une situation d’urgence, face à la baisse d’attractivité des emplois publics de ces territoires.

De fait, la fixation des critères devant être aussi objective que possible et orientée d’abord sur le coût du logement, cette nouvelle indemnité repose sur le zonage prévu par la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi Alur, qui classe les communes selon le degré de tension sur le marché locatif local. Elle bénéficie aux agents des communes classées en zone de forte tension, dite zone A, ainsi qu’à leurs communes limitrophes appartenant à la même unité urbaine, et représente 3 % du traitement de base.

Une généralisation de cette indemnité de résidence spécifique à l’ensemble des grandes métropoles ou zones transfrontalières qui ne seraient actuellement pas éligibles à l’indemnité de résidence de droit commun n’est pas une réponse adaptée aux problématiques particulières d’attractivité que connaissent certains employeurs. Celles-ci concernent davantage des métiers et des conditions d’exercice spécifiques et appellent des réponses structurelles, qui figureront dans le projet de loi que mon collègue Stanislas Guerini défendra à l’automne prochain.

Aussi, pour lever les contraintes actuelles et créer de nouveaux leviers d’intervention, afin de compenser les coûts liés au logement et favoriser l’attractivité de certains territoires, une mission temporaire ayant pour objet l’accès au logement des agents publics a été confiée au député David Amiel, dont les conclusions seront rendues d’ici au mois d’avril prochain.

Enfin, une politique coordonnée des administrations a été mise en place pour améliorer l’accès des fonctionnaires aux dispositifs d’aide au logement et développer une offre foncière supplémentaire, sous l’égide d’un comité interministériel pour le logement des agents publics et d’une délégation interministérielle dédiée.

Madame la sénatrice, vous le voyez, le Gouvernement est pleinement mobilisé dans un plan d’action sans précédent en faveur du logement des agents publics. Venant moi-même d’un territoire concerné par ces problématiques, je partage votre préoccupation.

industrie de verdissement de l’économie

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Somon, auteur de la question n° 1097, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

M. Laurent Somon. Madame la secrétaire d’État, le groupe français Metex est pionnier en Europe du développement industriel de procédés biotechnologiques utilisant des matières premières issues du végétal – essentiellement le sucre –, pour produire les mêmes ingrédients que la chimie avec une empreinte carbone réduite.

Avec un chiffre d’affaires annuel proche de 300 millions d’euros et près de 500 collaborateurs, Metex est aujourd’hui un acteur industriel important, qui contribue à l’industrialisation de nos territoires. Le groupe dispose de deux sites industriels situés respectivement à Amiens, en Picardie, et à Carling, en Moselle. Le site d’Amiens est le seul site européen de production d’acides aminés biosourcés à destination de la nutrition animale.

Metex entend se positionner sur trois chantiers, à savoir produire, commander et acheter en France, afin de participer à notre souveraineté alimentaire.

En 2022, l’entreprise, très sensible aux aléas internationaux – grippe aviaire, crise porcine et explosion des coûts de l’énergie –, a mis au chômage partiel 80 % de son personnel pendant trois mois.

En 2024, le prix du sucre, de 30 % supérieur au prix de référence, les importations chinoises hors règles internationales de concurrence commerciale et les droits de douane prohibitifs pèsent dangereusement sur la compétitivité du site amiénois, qui rencontre de grandes difficultés.

La production d’acides aminés notamment destinés à nos élevages exige le rétablissement d’une concurrence loyale. Je rappelle que la lysine est importée en Europe sans droit de douane et sans tenir compte du bilan carbone, dont l’économie, s’il fallait compenser la production par du soja à hauteur de 50 %, est estimée à 6 millions de tonnes pour l’empreinte carbone des filières françaises et européennes.

Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous m’indiquer les mesures que le gouvernement français entend mener en matière de protection contre le dumping industriel ?

Quels leviers compte-t-il mettre en œuvre, afin de faciliter un accès compétitif, donc soutenable, à la ressource sucrière française ?

Enfin, quelles garanties propose-t-il pour soutenir un écosystème industriel sobre et vertueux, mobilisant des ressources de proximité sécurisées et compétitives, grâce à une traçabilité carbone et une économie de circuit court ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Marina Ferrari, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique. Monsieur le sénateur Somon, depuis plusieurs mois maintenant, le Gouvernement suit la situation du groupe Metex et de ses deux usines situées respectivement à Amiens et Saint-Avold.

Comme vous l’avez relevé, l’usine d’Amiens constitue la seule unité de production d’acides aminés par fermentation industrielle et la seule unité de production de lysine en Europe. Il s’agit d’un fournisseur important de nos éleveurs et de notre industrie pharmaceutique. Qui plus est, elle contribue à leur décarbonation.

Malheureusement, le processus d’adossement à un nouvel acteur industriel lancé par le groupe il y a quelques mois afin de pérenniser son activité et de financer son développement n’a, à cette date, pas permis d’aboutir à une solution satisfaisante. Le groupe a donc sollicité l’ouverture de procédures collectives, afin de poursuivre cette recherche dans un cadre adapté et sécurisé. Les prochains mois pourront ainsi être utilisés pour rechercher de nouveaux partenaires à même de reprendre les sites et les salariés du groupe dans les meilleures conditions possible.

L’État, qui a déjà fourni un important soutien au groupe, continuera de l’accompagner dans ce contexte. Il veillera notamment à ce que les salariés bénéficient du meilleur accompagnement possible.

Au-delà de cette recherche de nouveaux partenaires industriels, le groupe est confronté à des facteurs exogènes qui menacent sa viabilité, ainsi que vous l’avez souligné.

Ces facteurs tiennent notamment à un dépositionnement concurrentiel sur le sucre, qui constitue la principale matière première du groupe et que ce dernier est contraint d’acheter à des prix significativement supérieurs à ceux dont bénéficient ses concurrents extraeuropéens. En parallèle, le groupe subit sur sa production une concurrence très forte d’acteurs asiatiques, en particulier chinois.

L’État est pleinement mobilisé pour répondre à ces enjeux clés pour le groupe. Plusieurs pistes ont été identifiées et sont en cours d’examen pour soutenir la compétitivité du groupe, tout en le protégeant contre la concurrence inéquitable de certains concurrents extraeuropéens.

Sachez que le cabinet de Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, ainsi que celui de Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie, sont très attentifs à ce dossier, sur lequel ils travaillent.

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Somon, pour la réplique.

M. Laurent Somon. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État. La direction du groupe a demandé au tribunal de commerce de Paris son placement en redressement judiciaire et le déclenchement d’une procédure de sauvegarde de l’entreprise.

L’usine d’Amiens a besoin de réponses rapides et d’un soutien sans faille pour atteindre ses objectifs, notamment garantir la souveraineté nationale dans l’approvisionnement des substances produites.

réintégration des travaux d’aménagement de terrain dans le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Garnier, auteure de la question n° 1069, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Mme Laurence Garnier. Madame la secrétaire d’État, je parlerai ce matin du terrain de football synthétique de Vieillevigne, dans le vignoble nantais.

En 2022, les élus de cette commune décident d’investir dans un tel terrain pour répondre aux besoins des clubs sportifs locaux, faisant alors le choix exigeant de matériaux sobres, vertueux pour l’environnement, et de technologies économes en eau. Bien sûr, tout cela a un coût – un million d’euros –, ce qui représente un investissement important pour une commune de 4 000 habitants, mais ils pensent alors pouvoir bénéficier du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA).

La suite de l’histoire, vous la connaissez : les élus apprennent, après avoir engagé leur investissement, que leurs dépenses d’aménagement et d’équipement de terrain ne seront pas éligibles à ce fonds, pour des raisons obscures que personne n’a tout à fait comprises.

L’erreur a été réparée dans le projet de loi de finances pour 2024. Ainsi, depuis le 1er janvier de cette année, les dépenses d’aménagement et d’équipement sont de nouveau éligibles aux fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée. C’est une très bonne nouvelle, mais cela ne règle pas la question des dépenses engagées antérieurement par la commune de Vieillevigne et par de nombreuses autres communes en Loire-Atlantique et dans toute la France.

Madame la secrétaire d’État, comment le Gouvernement compte-t-il réparer cette erreur technique qui est préjudiciable aux communes ? Une rétroactivité est-elle envisageable, en particulier pour les terrains de sport n’ayant produit aucune recette depuis leur mise en service, ce qui est le cas de nombreux terrains municipaux ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Marina Ferrari, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique. Madame la sénatrice Garnier, la réforme de l’automatisation du FCTVA a conduit à rénover les modalités d’attribution du fonds, pour passer d’un régime déclaratif à un régime automatisé, en application de la loi de finances pour 2021.

À l’époque, cette automatisation a fait l’objet de négociations. Il ne s’agit donc pas d’une erreur technique, la question de l’aménagement des terrains ayant bien été évoquée avec les associations d’élus lors des discussions sur l’assiette des dépenses éligibles. L’éligibilité des dépenses est désormais effective lorsqu’elles sont imputées régulièrement sur un compte éligible figurant sur la liste fixée par l’arrêté interministériel modifié du 30 décembre 2020.

À la suite de la concertation menée dans le cadre de l’Agenda territorial, et soucieux de poursuivre et d’amplifier son soutien à l’investissement des collectivités territoriales, le Gouvernement a décidé que les dépenses d’agencement et d’aménagement de terrains seraient réintégrées dans l’assiette d’éligibilité au FCTVA, à compter du 1er janvier 2024.

Du point de vue calendaire, conformément au code général des collectivités territoriales, ce fonds est liquidé par rapprochement entre les réalisations budgétaires d’un exercice et la liste des comptes éligibles au cours de ce même exercice, ainsi que le prévoit un arrêté interministériel. En d’autres termes, les droits au FCTVA sont déterminés au regard du cadre juridique applicable à date et ne peuvent donc faire l’objet d’un versement rétroactif.

Certaines dépenses réalisées dans le cadre de projets d’aménagement de terrains de sport ont en revanche toujours été éligibles. C’est le cas, par exemple, des équipements sportifs et du mobilier urbain – paires de buts, bancs, panneaux d’information… –, imputés au compte 2188, et des travaux d’éclairage ou des équipements d’arrosage, lesquels relèvent quant à eux d’une imputation au compte 2158.

Je le rappelle, en réintégrant les dépenses d’aménagement de terrains dans l’assiette du FCTVA à compter du 1er janvier 2024, le Gouvernement majore de 250 millions d’euros le soutien apporté chaque année par l’État à l’investissement des collectivités territoriales.

L’extension rétroactive des dépenses d’aménagement de terrains entraînerait un coût évalué à près de 750 millions d’euros pour les exercices 2021, 2022 et 2023. Or le montant du FCTVA attribué est resté à des niveaux élevés au cours de cette même période.

L’extension d’assiette est une mesure tournée vers l’avenir, qui vise à renforcer le niveau de l’investissement public local futur et à accompagner encore davantage les projets locaux. Il était donc important de réintégrer les dépenses d’aménagement de terrain.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Garnier, pour la réplique.

Mme Laurence Garnier. Madame la secrétaire d’État, cette situation est profondément regrettable pour toutes les communes ayant fait le choix d’investir avant 2024. Je vous ai parlé d’erreur technique, vous me répondez choix politique. Dont acte ! Heureusement, nous sommes revenus sur ce choix.

Pour autant, les communes sont laissées sans solution. Surtout, nous sommes nombreux dans cet hémicycle à pouvoir témoigner qu’elles n’ont jamais eu accès à des informations de ce type : elles les ont découvertes après avoir décidé de réaliser ces investissements. C’est tout à fait regrettable.

gestion économique et sociale de l’après-mines

Mme la présidente. La parole est à M. Michaël Weber, auteur de la question n° 1132, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

M. Michaël Weber. Madame la secrétaire d’État, au mois de février dernier, le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a annoncé une coupe de 10 milliards d’euros sur le budget 2024.

La mission « Écologie, développement et mobilité durables » est l’une des plus touchées, avec quelque 2 milliards d’euros d’économies exigés. Cette restriction budgétaire est très inégalement répartie entre les dix programmes de la mission. Le programme 174, « Énergie, climat et après-mines », concentre, à lui seul, plus d’un milliard d’euros d’annulation de crédits.

J’espère que vous saisirez la profonde inquiétude du sénateur de la Moselle que je suis, originaire du bassin houiller lorrain et bien au fait des difficultés sociales, sanitaires et environnementales de l’après-mines dans cette région.

Madame la secrétaire d’État, je souhaite que vous m’indiquiez quels sont les crédits alloués à la gestion économique et sociale de l’après-mines, dont je crains qu’elle ne ressorte particulièrement lésée de la politique d’austérité de votre gouvernement. Je rappelle à votre mémoire le rapport pour avis du Sénat qui soulignait déjà le caractère peu protecteur du budget dévolu à la gestion de l’après-mines du projet de loi de finances initiale pour 2024.

Ces crédits doivent financer les dépenses sociales des anciens mineurs, mais aussi la dépollution du site Carling-Saint-Avold et les contentieux de Charbonnages de France.

Nombreux sont les anciens mineurs victimes de maladies respiratoires et de cancers. Le tribunal de Metz croule sous les affaires de reconnaissance de maladies professionnelles ou de fautes inexcusables de l’employeur. Par ailleurs, le contentieux en cours relatif au déstockage du site StocaMine, en Alsace, est susceptible, à lui seul, d’accroître fortement les besoins de financement et de rendre insuffisant le calibrage de ces mesures budgétaires.

L’annulation de crédits d’un budget déjà restreint n’aura-t-elle pas pour conséquence de pénaliser davantage la vie de ces anciens mineurs, qui luttent encore pour la reconnaissance de leurs droits, en plus d’avoir des effets directs sur la transition écologique des territoires miniers du Grand Est ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Marina Ferrari, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique. Monsieur le sénateur Weber, au sein de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », le programme 174, « Énergie, climat et après-mines », s’articule autour de trois finalités : premièrement, mettre en œuvre la politique énergétique ; deuxièmement, accompagner la transition énergétique ; troisièmement, accompagner la transition économique, sociale et environnementale des territoires touchés par des mutations industrielles liées à la transition énergétique.

Il vise notamment à garantir aux anciens mineurs la préservation de leurs droits après l’arrêt de l’exploitation minière.

En 2024, près de 90 % du programme 174, doté de 5 milliards d’euros, financent les trois principaux dispositifs d’aide versés aux ménages, à savoir la prime à la conversion des véhicules et le bonus écologique, le chèque énergie, dont l’objectif est d’aider les ménages à revenu modeste, la prime de transition énergétique dite MaPrimeRénov’.

Ce programme a bien fait l’objet d’annulations de crédits par le biais du décret n° 2024-124 du 21 février dernier portant annulations de crédits, pris en application de la loi de finances pour 2024.

Cependant, monsieur le sénateur, je porte à votre connaissance que ces annulations de crédits ont porté exclusivement sur MaPrimeRénov’ et sur l’indemnité carburant. Il n’y a donc pas eu d’annulation sur le reste du programme, notamment son volet après-mines, en particulier sur toutes les mesures sociales pour les anciens mineurs qui sont assurées par l’Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (ANGDM).

modalités de la taxe additionnelle à certains droits d’enregistrement

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, auteure de la question n° 468, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.

Mme Françoise Gatel. Madame la secrétaire d’État, ma question a trait à la taxe additionnelle à certains droits d’enregistrement perçue par les départements et redistribuée aux communes.

Depuis quelques années, le Gouvernement encourage et soutient la création volontaire de communes nouvelles, car ces structures permettent de maintenir une entité communale plus forte et vivante. L’État a acté l’idée d’un pacte financier pour sécuriser la commune nouvelle et faire en sorte que des communes qui se regroupent ne subissent pas de pertes financières.

Pourtant, aujourd’hui, certaines de ces communes nouvelles subissent une baisse parfois drastique, tout à fait inattendue, de la dotation issue du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP).

En d’autres termes, ces communes perdent de l’argent, en tout cas des recettes qu’elles auraient pu percevoir, et cela sans véritable motivation, du seul fait qu’elles ont un nombre d’habitants différent. Qui plus est, cela ne concerne que des communes qui ne sont pas classées stations de tourisme. Cela pose une véritable question.

Pour ma part, je suis tout à fait favorable à la libre administration des collectivités. Pour autant, ne pourrait-on exhorter les départements à ne pas faire subir de telles pertes à ces communes, uniquement parce que celles-ci ont eu la bonne idée de se regrouper en une commune nouvelle ? Ce n’est pas juste. J’ai déposé en ce sens un amendement, qui a été bien accueilli, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Marina Ferrari, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique. Madame la sénatrice Gatel, le dispositif que vous citez, à savoir le fonds départemental de péréquation de la taxe additionnelle aux droits d’enregistrement ou à la taxe de publicité sur les mutations à titre onéreux, laisse effectivement au conseil départemental une assez grande liberté pour répartir ce fonds entre les communes de moins de 5 000 habitants, au titre de la libre administration des collectivités.

Cette liberté est toutefois encadrée.

D’une part, le barème doit prévoir a minima trois critères : la population, les dépenses d’équipement brut et l’effort fiscal fourni par la collectivité bénéficiaire.

D’autre part, la répartition doit respecter le caractère péréquateur de ce fonds, c’est-à-dire contribuer à réduire les disparités de ressources et de charges entre les communes.

Il paraît difficile de regretter cette liberté confiée aux élus, qui est précisée par la loi.

En outre, les conseils départementaux ont la possibilité de mettre en place des mécanismes de garantie pour certaines communes qui perdraient un montant trop important. Cette marge d’appréciation permet donc aux conseils départementaux, dans certaines conditions et s’ils le souhaitent, de garantir aux communes nouvelles tout ou partie du montant perçu par les communes préexistantes pour accompagner ces fusions de communes.

En revanche, s’il est possible d’intégrer des mécanismes de garantie, ceux-ci doivent être limités dans le temps et en volume financier, afin de ne pas remettre en cause le caractère péréquateur du fonds en entraînant à eux seuls une consommation majoritaire de l’enveloppe départementale.

Enfin, même si vous le savez déjà parfaitement, madame la sénatrice, je rappelle qu’un effort important a été consenti pour les communes nouvelles dans la loi de finances pour 2024, pour le maintien de leurs dotations.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour la réplique.

Mme Françoise Gatel. Madame la secrétaire d’État, il faut sensibiliser les départements à l’impact négatif qu’ont leurs décisions, même si ce n’est pas volontaire de leur part, sur les finances des communes nouvelles. Une idée très simple serait de les encourager à tenir compte du nombre de communes fondatrices dans chaque commune nouvelle.

Vous-même avez évoqué le principe de libre administration et l’existence de trois critères restrictifs. J’invite le Gouvernement à en ajouter un quatrième !

opportunité d’étendre le bénéfice de l’indemnité de résidence

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Jacquemet, auteure de la question n° 1050, transmise à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Mme Annick Jacquemet. Madame la secrétaire d’État, ma question se rapproche de celle qu’a posée ma collègue Véronique Guillotin.

L’initiative, portée par le Gouvernement, consistant à mettre en place, en septembre 2023, une indemnité de résidence couvrant initialement 61, puis 133 communes situées près de la frontière suisse, dans les départements de l’Ain et de la Haute-Savoie, est à saluer.

Fixée à 3 % du salaire hors primes des agents publics bénéficiaires et représentant un montant annuel moyen avoisinant 840 euros brut, cette indemnité de résidence constitue à la fois un soutien financier et une reconnaissance pour les personnels des trois versants de la fonction publique qui y sont éligibles.

Cependant, de nombreux agents publics travaillant dans d’autres départements, pourtant confrontés à des problématiques identiques, comme la fuite des compétences vers la Suisse, pays aux salaires bien plus attractifs, ou encore la flambée des prix de l’immobilier, source de bien des difficultés d’accès au logement, ne peuvent prétendre à ce dispositif.

Face à cette situation, qui, loin d’être comprise par les acteurs sur le terrain, est même vécue comme une injustice, je souhaiterais connaître les raisons pour lesquelles le bénéfice de l’indemnité de résidence n’a pas été étendu à d’autres communes.

Madame la secrétaire d’État, je vous demande donc si le Gouvernement envisage d’élargir prochainement ce dispositif à d’autres territoires frontaliers, notamment au département du Doubs, dont le secteur du Haut-Doubs souffre particulièrement de l’attractivité de la Suisse et de la flambée des prix des logements.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Marina Ferrari, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique. Madame la sénatrice Jacquemet, l’indemnité de résidence est calculée en fonction du lieu dans lequel les agents exercent leurs fonctions et du montant de leur rémunération.

Plus précisément, l’indemnité de résidence est égale à un pourcentage de l’indice détenu par l’agent public.

Le pourcentage varie en fonction de la commune : il est de 3 %, de 1 % ou nul, selon le classement de la commune ou de l’intercommunalité, comme j’ai eu l’occasion de le rappeler précédemment. Ce classement fait l’objet de mises à jour. Par exemple, au cours de la période récente, le décret du 12 décembre 2023 a permis aux agents exerçant dans 133 communes frontalières de l’Ain et de la Haute-Savoie de bénéficier de l’indemnité de résidence à hauteur de 3 %.

Au total, dans la fonction publique d’État, près de la moitié des agents – 46 % très exactement, soit 870 000 personnes – bénéficient d’une indemnité de résidence : parmi eux, 55 % la perçoivent au taux de 3 % et 45 %, au taux de 1 %, ce qui représente respectivement 480 000 et 390 000 agents.

Ainsi, l’indemnité de résidence offre déjà un niveau de couverture important. Les demandes d’extension à d’autres communes doivent être examinées avec prudence, compte tenu de leur impact sur les finances publiques. Pour mémoire, en effet, le coût global de l’indemnité de résidence pour l’État s’élevait à près de 590 millions d’euros en 2023.

Je l’ai dit, le député David Amiel s’est vu confier une mission sur ce sujet précis. J’espère que les conclusions qui seront issues de ses travaux nous permettront d’avancer.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Jacquemet, pour la réplique.

Mme Annick Jacquemet. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse, mais il y a un réel sentiment d’injustice par rapport au versement de cette indemnité de résidence, et il est véritablement très difficile de trouver des personnes prêtes à venir travailler dans le Doubs, en particulier dans le Haut-Doubs.

Je pense surtout aux professionnels de santé. Chacun connaît les problèmes liés aux déserts médicaux : étendre le dispositif de l’indemnité de résidence constituerait une incitation supplémentaire et permettrait d’attirer davantage de monde dans nos territoires.

situation d’urgence à la maison d’arrêt de rouen

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, auteur de la question n° 1139, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Didier Marie. Madame la ministre, le 16 février dernier, avec le député Gérard Leseul et le maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, je me suis rendu à la maison d’arrêt de Rouen, à la suite, notamment, d’une alerte des organisations représentatives des personnels pénitentiaires.

Cet établissement, construit en 1860, est dans une situation alarmante. Nous avons pu constater de nombreuses infiltrations, moisissures, mais surtout l’effondrement partiel de murs ; les pignons de plusieurs bâtiments menacent de s’effondrer, contraignant la direction à prendre des mesures d’urgence.

Une cinquantaine de détenus ont été transférés, la section des mineurs, fermée, de nombreuses cellules, désinfectées. Plusieurs lieux importants du parcours de réinsertion – bibliothèque, foyer socioculturel, bureaux de l’éducation nationale, salle de sport, espace de formation professionnelle, ateliers de métallurgie – sont également fermés. La cuisine centrale est elle-même désormais menacée.

À cette situation critique s’ajoute une surpopulation carcérale persistante. Après le déplacement des détenus, le taux d’occupation de l’établissement est toujours de 120 %, alors que le taux d’encadrement n’est, lui, que de 90 %. Cela crée, vous l’imaginez, une tension permanente.

Pour rappel, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme le 6 juillet 2023 pour violation des articles 3 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Si la situation des prisons en France pose de grandes difficultés, il y a, pour celle de Rouen, une urgence absolue. Il s’agit non plus de gérer les désordres au cas par cas, mais d’entreprendre une réhabilitation complète.

Quelles mesures, madame la ministre, M. le garde des sceaux entend-il prendre pour régler cette situation ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de léducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de lenfance, de la jeunesse et des familles. Monsieur le sénateur Didier Marie, je vous réponds au nom de M. le garde des sceaux.

La prison est nécessaire, elle est là pour punir les criminels et protéger nos concitoyens, mais l’incarcération, comme vous l’avez rappelé, doit se faire dans des conditions dignes ; c’est ce à quoi s’emploie d’ailleurs, chaque jour, M. le garde des sceaux. Il y va de la bonne santé de notre démocratie autant que du quotidien de nos agents pénitentiaires, qui accomplissent un travail remarquable et auxquels je veux ici rendre hommage.

Depuis 2010, quelque 6 millions de travaux de maintenance ont été engagés pour la maison d’arrêt de Rouen, mais certaines parties de la structure ont vieilli précipitamment, en raison, entre autres, d’infiltrations d’eau. Sans attendre, le ministère de la justice a décidé d’attribuer une enveloppe de 3,5 millions d’euros pour l’année 2024, afin que les opérations de maintenance les plus urgentes puissent être réalisées.

Une opération de renforcement de certains murs pignons détériorés et d’éléments de la charpente en bois va effectivement être entreprise en priorité. Dans l’attente de l’achèvement du diagnostic du bâtiment, des mesures conservatoires seront mises en œuvre à court terme, afin, tout d’abord, de garantir la sécurité des personnes détenues et des personnels, ensuite, de mettre en place les prérequis à l’opération de renforcement structurel.

La population pénale de l’établissement a été réduite provisoirement. Cette baisse des effectifs a également permis d’intervenir, en février dernier, sur la structure des coursives d’une des ailes de l’établissement.

Les travaux de rénovation proprement dits concerneront en premier lieu la réfection complète de la couverture, le rejointoiement des façades en briques, le remplacement des menuiseries extérieures et la reprise intégrale des installations de plomberie sanitaire, de la ventilation et de l’électricité, ainsi que la réfection des cours de promenade et du mur d’enceinte. Un comité de suivi a été mis en œuvre en vue de contrôler l’état d’avancement de ce plan d’action.

Vous le savez, monsieur le sénateur, les budgets de rénovation ont augmenté significativement, avec près de 140 millions d’euros par an depuis plus de cinq ans. Vous pouvez compter sur la mobilisation de M. le garde des sceaux pour poursuivre ces travaux.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour la réplique.

M. Didier Marie. Madame la ministre, le Gouvernement, dites-vous, a pris conscience de la situation de cet établissement. Malheureusement, les moyens mis en œuvre ne sont pas à la hauteur des besoins : les travaux qui seront engagés ne régleront pas les problèmes de fond !

C’est une restructuration complète dont l’établissement a besoin. Je parle bien d’une restructuration sur site et non d’une reconstruction, car cet établissement est idéalement situé, tant pour les personnels que pour les familles.

Nous attendons donc des décisions plus importantes que celles que vous venez d’annoncer.

vacance au tribunal judiciaire du havre

Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer, auteur de la question n° 1155, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Agnès Canayer. Madame la ministre, voilà quelques mois, le Sénat adoptait le texte qui allait devenir la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (LOPJ). Il exprimait ainsi son soutien à la trajectoire proposée par M. le garde des sceaux, avec notamment l’embauche supplémentaire de 1 500 magistrats et de 1 800 greffiers. En effet, force est de constater que ces deux professions sont les chevilles ouvrières de notre justice et de son fonctionnement.

Malgré ces promesses, au sein du tribunal judiciaire du Havre, personne ne voit venir grand-chose, malheureusement. Il manquera en effet à la rentrée prochaine 4 magistrats sur un effectif de 28, alors que ce tribunal compte déjà 4 équivalents temps plein en moins, en raison notamment des temps partiels.

Le tribunal fonctionne actuellement avec des magistrats placés par la cour d’appel, mais ces derniers doivent « tourner » sur plusieurs juridictions. Ce n’est pas satisfaisant.

Sans compter, madame la ministre, les difficultés rencontrées par le greffe : 24 % des postes n’y sont pas pourvus, soit 27 personnes sur un total de 113 greffiers. Un tel taux de vacance est difficilement supportable.

Cette situation a un effet induit sur les conditions de travail, avec pour conséquence une augmentation des arrêts maladie. Cela ne fait qu’amplifier les difficultés et les vacances de postes et crée une véritable tension sur le fonctionnement du tribunal judiciaire du Havre.

Madame la ministre, ma question est simple : quand les orientations votées dans la LOPJ seront-elles appliquées au tribunal judiciaire du Havre ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de léducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de lenfance, de la jeunesse et des familles. Madame la sénatrice Canayer, je connais votre mobilisation et votre engagement en faveur de votre territoire, s’agissant, en particulier, des questions de justice.

Au nom de M. le garde des sceaux, je tiens à vous assurer que les engagements pris devant vous seront bien évidemment tenus, au Havre comme dans toutes les juridictions.

Pour la première fois depuis trente ans, le réarmement judiciaire de ce pays est en cours. D’ores et déjà, 2 100 emplois ont été créés dans le cadre de la justice de proximité ; 700 magistrats et 850 greffiers supplémentaires ont également été recrutés. Ces premiers efforts se sont d’ailleurs traduits très concrètement pour nos concitoyens, avec une baisse significative des stocks d’affaires en cours de près de 30 %.

Concernant la situation particulière du tribunal judiciaire du Havre, votre inquiétude est totalement compréhensible, mais je tiens, ici, à vous rassurer.

Les départs de magistrats que vous évoquez et les vacances qui en découlent seront, dans la mesure du possible, compensés cette année par l’arrivée d’auditeurs de justice et de lauréats du concours complémentaire, lesquels doivent encore choisir leur poste.

Depuis 2020, je le rappelle, 10 renforts sont arrivés au tribunal judiciaire du Havre dans le cadre de la mise en œuvre du plan Justice de proximité, dont 1 contractuel de catégorie A, 5 contractuels de catégorie B, 2 contractuels de catégorie C et 1 technicien informatique de proximité.

Je précise enfin que la cour d’appel de Rouen bénéficiera, d’ici à 2027, de plusieurs créations de postes : 39 magistrats, 32 greffiers et 29 attachés de justice, au bénéfice de l’ensemble des juridictions du ressort, dont bien évidemment la juridiction havraise.

Madame la ministre, M. le garde des sceaux aura bientôt l’honneur de vous indiquer le nombre précis de ces recrutements qui seront affectés au Havre, conformément aux remontées du terrain effectuées régulièrement et sur lesquelles vous ne manquez pas nous interpeller.

Vous pouvez donc compter sur notre mobilisation, à vos côtés.

Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour la réplique.

Mme Agnès Canayer. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Néanmoins, l’expression « dans la mesure du possible », que vous avez employée, me conduit à penser que ces compensations de postes ne sont que potentielles…

Or, vous le savez, la circonscription judiciaire adossée au territoire du Havre comprend un port qui fait l’objet d’un lourd contentieux. Le remplacement des magistrats par des assistants de justice ne permettra donc pas de répondre véritablement au combat que nous menons aujourd’hui, notamment contre le trafic de drogue, malheureusement mis en avant par de nombreuses séries télévisées.

Aussi, de grâce, madame la ministre, il importe que le Gouvernement se rende rapidement compte de la situation et qu’il crée les postes suffisants pour le tribunal judiciaire du Havre.

multiplication des fermetures de classes dans le département du cher

Mme la présidente. La parole est à M. Rémy Pointereau, auteur de la question n° 1089, adressée à Mme la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

M. Rémy Pointereau. Madame la ministre, ma question s’adresse à Mme Belloubet, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

Le 11 mars dernier, les services départementaux de l’éducation nationale ont acté un projet de carte scolaire qui aboutira à la fermeture de 31 classes dans mon département du Cher pour la rentrée scolaire de 2024.

Je pourrais, certes, critiquer les méthodes employées par le recteur ou le directeur académique des services de l’éducation nationale (Dasen). Toutefois, je suis conscient que ces derniers ne font qu’appliquer une politique dont ils ne sont pas les instigateurs, une politique, je le regrette profondément, dictée par une logique comptable pure et dure.

Cette logique comptable pèse lourdement sur nos maires, sur nos enseignants, sur les parents d’élèves et, inévitablement, sur nos enfants, réduisant nos écoles, nos classes à de simples statistiques : nombre d’élèves, taux d’encadrement, ratios, etc. De tels indicateurs ignorent les efforts de nos municipalités et de nos instituteurs pour assurer un enseignement de qualité.

Madame la ministre, je sais que Mme Belloubet a reçu des parlementaires du Cher de votre majorité pour discuter de ce sujet. Or, selon toute vraisemblance, la carte scolaire n’a pas tenu compte de leurs revendications. Nous savons également que des initiatives parlementaires ont été déposées à l’Assemblée nationale, mais, soyons réalistes, il y a peu de chances qu’elles soient inscrites à l’ordre du jour.

Je ne viens pas solliciter aujourd’hui Mme la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse pour connaître les projets du Gouvernement pour l’école en milieu rural. Ce que je lui demande, c’est d’intervenir sans délai, afin d’annuler ces décisions de fermetures de classes dans le Cher pour la prochaine rentrée et d’instaurer un moratoire.

Cette demande, je ne suis pas seul à la formuler : elle émane des élus locaux, des enseignants, des parents d’élèves et, plus largement, de tous ceux qui œuvrent au quotidien pour l’éducation de nos futurs citoyens.

Il s’agit simplement de donner à ces acteurs du temps pour mieux s’organiser.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de léducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de lenfance, de la jeunesse et des familles. Monsieur le sénateur Pointereau, puisque votre question s’adresse directement à Mme la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, je lui en ferai part de manière très claire.

Le Gouvernement sait toute la sensibilité qu’impliquent les modifications de la carte scolaire, en particulier dans les territoires ruraux, auxquels appartient votre département. C’est pourquoi Mme la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse est bien sûr attentive à ce que les élus y soient associés le plus en amont possible. À vous entendre, je comprends que l’on peut mieux faire, si vous me permettez cette expression.

La carte scolaire est avant tout un instrument de politique publique, que l’éducation nationale mobilise pour s’adapter à la réalité de nos territoires et à leurs constantes évolutions. C’est donc un travail continu, mené en étroite liaison avec les forces vives de ces mêmes territoires, afin que chaque élève dispose des meilleures conditions d’enseignement possible.

L’instance de concertation mise en place dans les territoires ruraux doit justement permettre de donner de la visibilité sur les perspectives à trois ans dans le premier degré. Nous suivons de très près les travaux de cette instance, au sujet de laquelle le ministère fera un point vers le mois de mai prochain.

Des réponses adaptées aux territoires ruraux ont été élaborées au cours des dernières années : je pense notamment à l’allocation progressive des moyens, qui tient compte de l’indice d’éloignement, ou encore au dispositif Territoires éducatifs ruraux, au bénéfice des écoliers et des collégiens.

J’y insiste, la carte scolaire est le résultat d’un travail continu, pour s’adapter au mieux aux évolutions des effectifs scolaires.

Or, dans le contexte regrettable de baisse démographique dans le Cher, avec 2 683 élèves de moins, soit une baisse de 10 %, dans les écoles publiques du premier degré entre 2017 et 2023, et malgré les évolutions récentes de la carte, le taux d’encadrement dans votre département est passé de 5,61 à la rentrée 2017 à 6,22 à la rentrée 2023, au-dessus de la moyenne nationale, qui est de 6.

Ce taux devrait encore augmenter à la rentrée prochaine. Je rappelle que le nombre d’élèves par classe était de 20 élèves à la rentrée 2023.

Mme la présidente. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour la réplique.

M. Rémy Pointereau. Il est vrai, madame la ministre, que les enfants ruraux sont déjà pénalisés, du fait, notamment, d’un manque d’accès aux soins et d’un manque de mobilité. Nous sommes dans une spirale infernale, finalement : moins il y a de services publics, moins il y a d’attractivité, donc moins il y a d’élèves et moins il y a d’écoles.

Il faudrait, au contraire, nous engager dans une spirale vertueuse : pour améliorer l’attractivité dans le département du Cher, instaurons un moratoire, en faveur de nos jeunes, sur les fermetures de classes.

obligation pour certains parents vivant en milieu rural de recourir à des initiatives privées pour scolariser leur enfant

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Hingray, auteur de la question n° 1064, adressée à Mme la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

M. Jean Hingray. Ce matin, madame la ministre, je vais vous emmener dans les Vosges, département que vous aimez bien, je le sais, pour y être déjà venue plusieurs fois ! (Sourires.) Je vais donc vous emmener à Aydoilles, une commune au cœur des Vosges où il fait bon vivre et, dirai-je même, où il fait bon grandir.

M. le maire et son équipe municipale ont différents projets : revitalisation du centre-bourg ; création d’une zone pavillonnaire avec une quinzaine de maisons ; accueil d’une gendarmerie avec plusieurs familles ; création d’une maison d’assistants maternels (MAM) ; pour l’école, rénovation énergétique du bâtiment et création d’une bibliothèque.

Les effectifs de l’école sont constants : 102 élèves l’année dernière, 100 cette année. Pourtant, M. le maire se retrouve au cœur d’un tourbillon, puisque la direction académique des services de l’éducation nationale (Dasen) lui a annoncé la fermeture d’une classe.

Or M. le Premier ministre, lorsqu’il était encore ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, avait promis qu’il y aurait plus de concertation avec les élus en général, avec les élus ruraux en particulier. Il avait annoncé que les prévisions seraient élaborées en fonction des projets municipaux, de l’évolution démographique et de nombreux autres facteurs, avant d’envisager toute fermeture ou toute ouverture de classe.

Madame la ministre, ma question est simple : qu’en est-il des promesses qui ont été faites, ici, au Sénat, concernant l’école rurale, et qu’en est-il des différentes propositions qui ont été énumérées ces derniers mois ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de léducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de lenfance, de la jeunesse et des familles. Monsieur le sénateur Hingray, vous savez à quel point je considère que tenir ses promesses est essentiel pour la bonne santé de notre démocratie. Lorsqu’une promesse est faite, elle a vocation à être tenue !

Je retiens de votre question qu’il a manqué de la concertation avec les élus locaux dans le cadre de cette fermeture de classe.

Je me souviens aussi de la promesse faite par le Président de la République lui-même, affirmant qu’il n’y aurait pas de fermeture d’école sans concertation avec les élus locaux. Les fermetures de classe dépendent, de fait, de l’évolution de la démographie.

Force est de constater que la commune que vous évoquez se mobilise pour encourager une dynamique d’accueil, ce qui renvoie à la question précédente, pour garantir l’accès aux services, notamment à la garde des plus jeunes enfants, en tout cas pour créer un environnement favorable aux familles.

En ce qui concerne cette question particulière de l’école rurale, Mme la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse s’engage, elle aussi, fortement. Nous devons bien sûr garantir à nos enfants l’égalité d’accès à l’enseignement.

Je vous assure, monsieur le sénateur, que les services du rectorat se mobiliseront fortement et porteront un regard particulier pour accompagner la réussite des élèves en milieu rural. Vous nous avez alertés sur un point précis : je transmettrai en personne votre interpellation à Mme la ministre.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Hingray, pour la réplique.

M. Jean Hingray. Madame la ministre, je vous remercie de prendre en compte la situation d’Aydoilles, qui n’est d’ailleurs pas la seule commune concernée, dans mon département, par les 38 fermetures de classe annoncées ; Charmes est également dans ce cas.

Sur la question des ouvertures de classe, je pense à mon ami le maire de Vaxoncourt, une commune qui va bénéficier, dans les prochaines années, d’une évolution démographique favorable. Après avoir entendu, de la part des services de l’État, quelques mots encourageants quant à une éventuelle ouverture de classe à l’avenir, M. le maire a pris son téléphone ; mais il n’a jamais reçu la moindre réponse de ces mêmes services. J’ai dû intervenir avec le député Stéphane Viry pour qu’il puisse obtenir un rendez-vous…

Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue.

M. Jean Hingray. De la même façon, j’ai dû intervenir avec le sénateur Daniel Gremillet à propos des différents problèmes d’effectifs qui se posent dans l’école de Charmes.

impact des règles de remplacement et de formation des enseignants sur la mise en œuvre des dispositifs d’éducation à l’image

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert, auteure de la question n° 1153, adressée à Mme la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

Mme Sylvie Robert. Madame la ministre, les dispositifs d’éducation à l’image, créés à la charnière des années 1980-1990, se sont installés dans le paysage éducatif. Chaque année, ils permettent à près de deux millions d’élèves et d’apprentis de découvrir le cinéma et de vivre une expérience artistique dans le cadre d’un projet de classe.

Cependant, la rentrée 2023-2024 a marqué un tournant, à la suite de deux mesures dont les effets de bord n’ont pas été anticipés.

D’une part, le ministère de l’éducation nationale a décidé de reporter la formation continue des professeurs hors du temps scolaire, ce qui a réduit leur disponibilité pour participer aux dispositifs d’éducation à l’image.

D’autre part, les décrets des 8 et 9 août 2023 ont établi en parallèle de nouvelles obligations concernant les remplacements de courte durée (RCD), lesquelles ont contraint nombre d’enseignants à annuler les projections prévues avec les élèves.

Ainsi, dans le premier comme dans le second degré, ces deux réformes ont véritablement fragilisé la politique d’éducation à l’image. Dans certains rectorats, le nombre d’élèves bénéficiant de cette initiation artistique a été divisé par deux. C’est un véritable échec, et nous ne pouvons nous résoudre à ce que l’éducation à l’image, pilier de l’éducation artistique et culturelle (EAC), s’effondre plus encore à la rentrée prochaine.

L’EAC, madame la ministre, ce n’est pas seulement le pass Culture. Ce qui fonctionne doit être préservé !

Afin de ne pas répéter les erreurs commises, que prévoit le ministère pour concilier formation et présence des professeurs devant les classes et soutien à la politique d’éducation à l’image ? Qu’entend-il mettre en œuvre pour garantir l’effectivité de ces dispositifs, qui, depuis tant d’années, ont fait leurs preuves ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de léducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de lenfance, de la jeunesse et des familles. Madame la sénatrice Robert, je veux tout d’abord réaffirmer, en m’appuyant sur vos propos, l’importance de l’éducation artistique et culturelle.

L’EAC permet à chaque élève, quasiment de la maternelle au lycée, de mieux appréhender le monde dans lequel il vit, de s’ouvrir à l’altérité, de développer sa sensibilité, sa créativité et son esprit critique, si nécessaire en cette période.

En contribuant à renforcer l’apprentissage des savoirs fondamentaux, en favorisant l’épanouissement des élèves et en développant l’esprit collectif, l’éducation artistique et culturelle favorise, nous sommes d’accord sur ce point, la réussite scolaire.

Notre objectif pour l’EAC est double : qualitatif et quantitatif. Comme vous le savez, nous souhaitons que 100 % des élèves bénéficient d’actions en matière d’éducation artistique et culturelle chaque année, avec des moyens inédits.

Nous avons ainsi créé la part collective du pass Culture, qui représente 62 millions d’euros supplémentaires. En 2022-2023, quelque 55 % des élèves éligibles et 90 % des collèges et lycées ont profité du pass Culture. En 2023-2024, ces résultats seront largement dépassés.

L’éducation au cinéma est l’un des piliers de l’éducation artistique et culturelle. Elle est le deuxième domaine d’utilisation de la part collective du pass Culture.

Madame la sénatrice, la mise en place du dispositif de remplacement de courte durée constitue également un enjeu majeur pour ce qui est des apprentissages – c’est le fond de votre question – et de la lutte contre les inégalités scolaires. Puisque nous avons décidé que les heures de formation ne devaient pas se faire au préjudice des élèves, l’enjeu est d’organiser les formations dans des conditions qui permettent de ne pas annuler de cours.

Nous avons donc deux objectifs à articuler, vous l’avez vous-même souligné, selon un équilibre qui tienne compte à la fois des remplacements de courte durée et des formations en matière d’éducation artistique et culturelle.

Je ne veux pas opposer RCD et EAC. Nous travaillons donc à prendre en compte les contraintes des partenaires culturels, qui ne peuvent pas toujours accueillir les temps de formation sur ces temps d’ouverture au public que sont le mercredi après-midi, le week-end et les vacances.

Il convient de faire en sorte que les chefs d’établissement disposent de la visibilité nécessaire sur les temps de formation, afin d’organiser au mieux les remplacements éventuels sur l’ensemble de l’année scolaire et, surtout, d’éviter que le report des temps de formation hors du temps scolaire ne soit source de démotivation pour les enseignants.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour la réplique.

Mme Sylvie Robert. Madame la ministre, je précise que le ministère de l’éducation nationale a pris cette décision sans concertation avec les collectivités territoriales. Ces dernières pourraient donc décider de se désengager, alors même qu’elles sont, vous le savez, des partenaires essentielles dans la mise en œuvre de tels dispositifs.

Il y a urgence à trouver une solution pour la rentrée prochaine ! Les recteurs sont en attente d’une décision en ce sens, tant les effets pourraient être véritablement désastreux pour l’avenir de ces mêmes dispositifs.

carte scolaire 2024

Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Cardon, auteur de la question n° 1158, adressée à Mme la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

M. Rémi Cardon. Madame la ministre, le 14 mars dernier, à l’issue de la réunion du conseil départemental de l’éducation nationale (CDEN) de la Somme, qui fait partie de l’académie d’Amiens, des classes et des écoles ont été sacrifiées : 47 classes fermeront ; à Noyelles-sur-Mer, c’est l’école qui n’ouvrira pas ses portes à la rentrée prochaine.

Si la mobilisation sans faille des élus, des syndicats, des directrices et des directeurs d’école, des parents d’élèves a permis de limiter la casse, je ne puis que déplorer la gestion comptable du ministère.

Chaque année, le Gouvernement fait de l’école une variable d’ajustement, pour réaliser toujours plus d’économies au détriment de nos enfants.

Dans mon département, les difficultés sont encore plus présentes qu’ailleurs, et nous peinons à réduire l’écart avec le reste du pays, qu’il s’agisse des résultats au brevet, au baccalauréat, du taux d’accession aux études supérieures ou, bien évidemment, de l’indice de position sociale (IPS).

En résumé, tous ces indicateurs sont systématiquement inférieurs à ceux qui sont comptabilisés à l’échelon national. Bien souvent, nous sommes derniers ou avant-derniers.

À ces véritables carences du système scolaire, le ministère a choisi de répondre par un écran de fumée. La rentrée se fera donc sous fond de tension et d’angoisse, avec des fermetures de classes décidées sur le simple constat d’une baisse démographique. En même temps, il donne la priorité à des sujets secondaires, comme l’uniforme ou le service national universel (SNU).

Pourtant, la baisse de la démographie est une occasion que nous devons saisir. C’est encore plus vrai dans un territoire où le zonage des réseaux d’éducation prioritaire (REP) n’est pas assez ambitieux. Il y a encore trop d’écoles menacées de fermeture, alors qu’elles sont situées dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ou dans la ruralité, avec un IPS dramatiquement faible.

Madame la ministre, comment le Gouvernement compte-t-il remplir la promesse républicaine d’émancipation de nos enfants en continuant sa gestion comptable de l’école ? Entend-il revoir l’actuel zonage des REP ? J’attends tout simplement de sa part un calendrier, une méthode et une volonté politique.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de léducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de lenfance, de la jeunesse et des familles. Monsieur le sénateur Cardon, le Gouvernement n’abandonne pas les territoires, la Somme en particulier, pas plus dans le domaine scolaire que s’agissant des autres politiques menées.

Si nous devons adapter le service public de l’éducation à la réalité de la démographie de nos territoires, c’est bien pour assurer à tous les élèves les meilleures conditions d’enseignement. La carte scolaire est, à ce titre, le résultat d’un travail long – je le disais il y a quelques instants –, minutieux et continu de la part des services de l’éducation nationale.

Dans votre département de la Somme, le nombre d’élèves du premier degré diminue fortement : il est prévu une baisse de 722 élèves pour 2024, après une diminution de 1 226 élèves pour 2023. En huit ans, le département a ainsi perdu 7 300 élèves dans le premier degré. Or ce sont 28 postes d’enseignants qui ont été créés.

Le ratio du taux d’encadrement est passé de 5,78 à la rentrée de 2017 à 6,61 en 2023, alors que la moyenne nationale est de 6. Le nombre moyen d’élèves par classe est de 19 en 2023, significativement plus favorable que la moyenne nationale ; et il a nettement diminué, car il était de 21 en 2017. Il permet un suivi de qualité par les enseignants, ainsi que – c’est le plus important – un accompagnement des élèves.

Par ailleurs, les politiques prioritaires du Gouvernement sont mises en œuvre : dédoublements des classes en éducation prioritaire et limitation à 24 élèves en grande section de maternelle, CP et CE1, en préservant autant les zones rurales que les territoires urbains.

Pour les collèges publics, à la rentrée 2024, les moyens d’enseignement sont maintenus dans la Somme, malgré la baisse prévue de centaines d’élèves, notamment collégiens. Les dotations globales horaires déléguées aux établissements doivent permettre un maintien des taux d’encadrement à la rentrée 2024, tout en accompagnant la mise en œuvre des mesures du « choc des savoirs », la poursuite de l’effort en faveur de l’école inclusive et les évolutions de la voie professionnelle.

Monsieur le sénateur, la carte scolaire est un processus dynamique, conduit en concertation avec tous les acteurs des territoires et de l’école.

Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Cardon, pour la réplique.

M. Rémi Cardon. Madame la ministre, votre argumentaire témoigne d’un choc non pas des savoirs, mais des chiffres. Vous utilisez à plusieurs reprises la baisse démographique comme argument, mais on parle d’enfants, non d’effectifs !

remboursement des soutiens-gorges compressifs post-cancer du sein et reconstruction mammaire

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Demas, auteure de la question n° 1084, adressée à Mme la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Mme Patricia Demas. Madame la ministre, ma question s’adressait au ministre délégué chargé de la santé et de la prévention. Elle porte sur le remboursement des soutiens-gorges compressifs, à la suite d’une reconstruction mammaire après un cancer du sein.

Le remboursement des soutiens-gorges compressifs, qui sont coûteux – de l’ordre de 100 euros par unité, et il en faut deux pour des raisons d’hygiène – n’est pas encore acté, alors que d’autres dispositifs comparables, en ce qu’ils participent à la reconstruction psychologique et physiologique des patients, le sont.

À titre d’exemple, les ceintures de maintien abdominal, prescrites après une opération bariatrique, peuvent être entièrement remboursées par la sécurité sociale et la mutuelle.

De même encore, les perruques des patients ayant subi une chimiothérapie ou atteints d’alopécie sont désormais remboursées, ce qui met fin à une injustice. En effet, il était constaté que trop de malades y renonçaient pour des raisons financières.

Ma question soulève également un problème de justice face à la maladie et d’équité de traitement. Le soutien-gorge compressif est un complément indispensable à la reconstruction mammaire, à la suite d’un cancer du sein. La demande malheureusement existe, les fabricants la connaissent bien, mais ne soumettent pas de dossier à la Haute Autorité de santé (HAS), car la procédure est longue et coûteuse, et son sort aléatoire.

Pour autant, l’inscription de ce dispositif sur la liste des produits et prestations remboursables pour les femmes ayant eu un cancer du sein, donc étant en affection de longue durée (ALD), est indispensable. Je souhaiterais vivement que vous me confirmiez que le Gouvernement l’envisage, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 par exemple.

Au nom de toutes les femmes touchées et concernées, et particulièrement au nom d’Axelle Bird, la jeune femme de mon département qui m’a sensibilisée à cette cause – elle la défend avec beaucoup de courage et d’énergie, et je veux lui rendre hommage aujourd’hui –, je vous remercie.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de léducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de lenfance, de la jeunesse et des familles. Madame la sénatrice Patricia Demas, je suis touchée par votre question. Face à la maladie, il faut un accompagnement, et celui-ci n’est pas toujours à la hauteur. Quand des besoins se font jour, il faut savoir y répondre.

Vous m’interrogez sur la prise en charge des soutiens-gorges compressifs à la suite d’une reconstruction mammaire chez les femmes atteintes d’un cancer du sein et leur inscription sur la liste des produits et prestations remboursés.

Comme vous l’indiquez, afin qu’un dispositif puisse être pris en charge par l’assurance maladie, certaines exigences doivent être établies.

Le dispositif doit tout d’abord bénéficier d’un marquage CE permettant d’assurer un premier niveau de sécurité d’utilisation du produit.

Ensuite, en ce qui concerne l’inscription sur la liste des produits et prestations remboursables, lorsqu’une description générique de ce type de produit existe, le dispositif peut y être inscrit s’il respecte les exigences minimales requises décrites par un arrêté publié au Journal officiel. En l’absence de description générique, l’exploitant du dispositif peut également faire une démarche auprès de la Haute Autorité de santé, afin d’obtenir une inscription en nom de marque sur la liste.

L’inscription sur la liste conditionne la prise en charge par l’assurance maladie. Comme vous l’avez dit, madame la sénatrice, et cela me désole, aucun fabricant n’a formulé à ce jour de demande d’inscription pour ce type de dispositif, et il n’existe pas, actuellement, de ligne générique permettant leur prise en charge.

De premières démarches d’industriels pour l’inscription peuvent être nécessaires, afin d’évaluer et de définir un cadre de prise en charge, avec des spécifications techniques, des indications ainsi que des modalités de prescription et d’utilisation.

Ces procédures sont applicables à tous les dispositifs médicaux. Elles sont essentielles, car elles permettront de préciser les caractéristiques minimales attendues par la Haute Autorité de santé, qui rendra un avis.

Madame la sénatrice, votre question permet d’alerter sur un point essentiel dans l’accompagnement des femmes qui ont été atteintes d’un cancer du sein. Je profite de votre intervention pour indiquer à l’ensemble des fabricants qu’ils doivent faire une demande d’inscription, si nécessaire en se faisant accompagner. Ce serait, je le crois, une grande avancée pour les femmes dans leur processus de reconstruction – c’est l’essentiel.

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Demas, pour la réplique.

Mme Patricia Demas. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. J’invite le Gouvernement à adopter la même démarche que celle qu’il a suivie pour les prothèses capillaires : l’inscription dans la loi de financement de la sécurité sociale de 2023 permet aujourd’hui le remboursement d’une prothèse, alors que ce n’était pas le cas auparavant. C’est un message d’espoir.

tarification sociale des cantines

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Sautarel, auteur de la question n° 1107, adressée à Mme la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

M. Stéphane Sautarel. Madame la ministre, la tarification sociale des cantines permet d’apporter une aide financière aux communes rurales, afin que celles-ci mettent en place la cantine à un euro pour les familles dont le quotient familial est inférieur ou égal à 1 000 euros. L’État apporte alors une aide de 3 euros aux communes éligibles pendant trois ans.

Les bénéfices de ce dispositif ne sont pas négligeables. Au-delà de l’aide financière, la tarification sociale des cantines permet d’apprendre aux élèves de bonnes habitudes alimentaires et d’utiliser des produits via un circuit court.

Depuis le 1er janvier 2024, une bonification d’un euro est mise en œuvre pour les communes dont les cantines respectent les engagements de la loi Égalim (loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous). Cela renforce encore le dispositif dans lequel de nombreuses communes sont engagées.

Cependant, des questions se posent quant aux modalités de la reconduction de la convention pluriannuelle entre l’État et les communes. Ainsi, les communes qui ont signé une telle convention en 2021 ne savent pas si le dispositif pourra être reconduit à compter de la rentrée de septembre 2024.

Alors que les bénéfices de celui-ci sont importants tant pour les communes que pour les élèves et leurs familles, je vous remercie de bien vouloir préciser si la convention pluriannuelle entre l’État et les communes mettant en place la tarification sociale des cantines sera reconductible, et selon quelles modalités.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de léducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de lenfance, de la jeunesse et des familles. Monsieur le sénateur Sautarel, vous l’avez dit, le dispositif de soutien des communes rurales dans la mise en place d’une tarification sociale est un succès. On peut s’en féliciter, car il permet d’accompagner des enfants et leurs familles.

Pour preuve, en 2023, ce sont près de 2 500 communes ou regroupements de communes qui reçoivent une subvention de 3 euros par repas servi à un tarif social d’un euro.

Autre chiffre significatif : plus de 15 millions de repas ont été servis à un tarif social grâce à la mobilisation des élus locaux dans leurs communes. Ce sont plus de 194 000 élèves qui ont pu en bénéficier.

Comme vous l’avez souligné au travers de votre question, une évolution supplémentaire vient enrichir la mesure depuis janvier 2024 avec le versement d’une subvention qui peut passer de 3 à 4 euros par repas, ce que l’on appelle le « bonus Égalim » – la loi Égalim accompagne nos agriculteurs pour permettre à l’agriculture française d’être forte, souveraine et de qualité. Le bonus Égalim est versé aux collectivités qui s’engagent à introduire 50 % de denrées locales et de qualité, dont 20 % de bio.

Cette bonification peut être demandée dès maintenant par les communes qui participent au dispositif, ou par de nouvelles communes.

Vous m’avez également interrogée sur l’avenir. L’Agence de services et de paiement (ASP), qui gère ce dispositif pour le compte de l’État, conclut avec les communes les conventions pluriannuelles. Les services de l’État ont donc préparé avec l’ASP la prolongation et l’évolution de la mesure pour être en ordre de marche dès janvier 2024.

Il est confirmé que les collectivités qui ont déjà une convention pluriannuelle peuvent la renouveler auprès de l’ASP au moment de son échéance, sous réserve de continuer à respecter les critères d’éligibilité.

Les collectivités qui le souhaitent peuvent signer à tout moment un avenant à la convention en cours pour bénéficier du bonus Égalim. Vous pouvez, monsieur le sénateur, compter sur la mobilisation du Gouvernement, notamment de la ministre Catherine Vautrin, qui est chargée des solidarités, pour poursuivre sur cette voie, parce qu’elle fonctionne !

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour la réplique.

M. Stéphane Sautarel. Je vous remercie, madame la ministre, de ces précisions ; elles étaient attendues, parce que les échéances sont proches. Le dispositif était intégré au plan France Ruralités, qui est apprécié.

Je profite du temps qui me reste pour dire que, dans le cadre de ce plan, en matière de services publics, une concertation plus large était prévue pour l’établissement de la fameuse carte scolaire. J’ai saisi à plusieurs reprises les ministres successifs de l’éducation nationale, comme d’autres collègues ont pu le faire.

Les conseils départementaux de l’éducation nationale (CDEN), qui se sont tenus au début de ce mois de mars, ont entraîné des suppressions de classe fort dommageables dans le milieu rural. J’espère que ces décisions pourront être reconsidérées à la lumière d’un dialogue avec les parties concernées. Pour cela, un moratoire est nécessaire, comme d’autres collègues l’ont déjà fait valoir.

Je vous remercie de relayer ma demande auprès de la ministre de l’éducation nationale, pour que nous puissions avoir une réponse claire sur ce point.

reconnaissance de droits pour les aidants

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen, auteur de la question n° 235, adressée à Mme la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la ministre, je veux aborder un sujet qui ne fait pas forcément la une du journal de vingt heures, mais qui concerne de nombreuses personnes dans la société. Il fait partie de ces questions à bas bruit qui font le quotidien des familles et concerne les aidants et les proches aidants.

Les chiffres donnent le vertige : 8,3 millions de personnes seraient concernées, à des degrés très différents, depuis l’enfant qui va aider ses parents pendant quelques heures jusqu’à la personne qui renonce presque totalement à sa vie professionnelle pour accompagner son enfant handicapé. En la matière, nous ne nous posons pas en donneurs de leçons, car les chiffres explosent depuis quelques années il faut apporter pratiquement autant de solutions qu’il existe de situations ; rien ne se ressemble en la matière.

J’ai été, certainement comme nombre de mes collègues, sollicité lors de mes permanences par des familles, notamment par des mères, souvent seules, qui font face à cette situation avec toute la volonté, la force et l’engagement d’un parent pour son ou ses enfants. Elles se sentent souvent démunies, découragées, parce qu’elles ont l’impression de faire face à un mur de l’administration et d’être confrontées à des difficultés logistiques et financières, même si celles-ci sont évidemment bien secondaires au regard de ce qu’elles vivent.

J’aimerais que vous fassiez un point sur les avancées obtenues, ainsi que sur les travaux qui sont prévus.

Tout d’abord, sur la reconnaissance du statut d’aidant. La question peut paraître symbolique, mais il faut savoir que, dans les documents administratifs – je pense, par exemple, à la déclaration de revenus –, ce statut n’existe pas.

Ensuite, sur la prise en charge, pour permettre d’assumer, à la fois, un emploi pendant quelques heures dans la semaine et l’accompagnement de son enfant, ce qui pose la question des structures d’accueil de jour.

Enfin, sur les retraites, un sujet sur lequel j’aimerais que vous reveniez.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de léducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de lenfance, de la jeunesse et des familles. Monsieur le sénateur Verzelen, votre question touche toutes les familles : se retrouver dans la situation d’aidant ou de proche aidant peut en effet arriver à tout le monde, à n’importe quel moment de la vie, en raison d’un accident survenu à un proche, du vieillissement ou de la perte d’autonomie de celui-ci, ou encore du handicap d’un enfant, comme vous l’avez souligné à raison.

Vous avez évoqué le chiffre de plus de 8 millions d’aidants ou de proches aidants dans notre pays. Aujourd’hui, nous avons même dépassé la barre des 9 millions, et leur nombre atteindra 20 millions en 2060.

De nombreuses avancées ont été enregistrées : je pense notamment, dans le cadre de la première politique nationale interministérielle spécifiquement dédiée aux aidants, à la création de l’allocation journalière du proche aidant (AJPA), indexée sur le Smic, à la refonte du congé proche aidant, que nous avons élargi à davantage de bénéficiaires, à la création de solutions de répit ou encore à la validation des acquis de l’expérience (VAE).

Vous avez évoqué la vie de ces aidants, confrontés aux difficultés administratives, et la question des parents d’enfants malades. La loi renforçant la protection des enfants malades a notamment permis de protéger les salariés en congé de présence parentale contre le licenciement et de supprimer la condition d’accord explicite du service du contrôle médical pour renouveler l’allocation journalière de présence parentale (AJPP).

Vous m’avez aussi interrogée sur les droits à la retraite des aidants : là aussi, nous avons avancé, en créant, pour les proches des personnes en situation de handicap, l’assurance vieillesse des aidants (AVA), ouverte à un plus grand nombre de bénéficiaires depuis le 1er septembre 2023.

Il faut cependant continuer à travailler pour la reconnaissance et l’accompagnement des aidants. C’est pourquoi nous avons lancé, en octobre dernier, une nouvelle stratégie 2023-2027, élaborée en concertation avec les principales associations d’aidants et les administrations compétentes – puisque vous avez évoqué les difficultés administratives.

Cette stratégie repose sur trois piliers ; tout d’abord, communiquer, repérer et informer, car les proches aidants ne connaissent pas leurs droits et n’y ont donc pas recours ; ensuite, renforcer l’offre et l’accès au répit, en permettant aux aidants d’en bénéficier ; enfin, soutenir les aidants tout au long de la vie.

examens de biologie médicale délocalisée

Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, auteure de la question n° 684, adressée à Mme la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Mme Élisabeth Doineau. Madame la ministre, la question que je vais vous poser ne relève pas spécifiquement de votre responsabilité, mais j’imagine que vous serez la meilleure ambassadrice pour la porter auprès de la ministre concernée. Je veux évoquer les examens de biologie médicale délocalisée, que l’on appelle dans le jargon des acronymes les EBMD.

Ces examens biologiques sont réalisés, comme leur nom l’indique, en dehors d’un laboratoire de biologie médicale. Néanmoins, la responsabilité de la validation revient a posteriori au biologiste.

La biologie délocalisée est aujourd’hui un outil efficace, comme nous avons eu l’occasion de nous en rendre compte notamment pendant la crise de la covid-19. Grâce à cette possibilité, le temps d’attente aux urgences a baissé en moyenne d’une heure pour les patients présentant des symptômes grippaux et la prescription d’antibiotiques inutiles a été réduite. Les EBMD apportent des réponses immédiates et évitent surtout de multiplier les consultations. Ils contribuent donc au désengorgement du système de santé.

Je voudrais rappeler l’historique : c’est à partir de 2014 qu’a été introduite la possibilité de confier la réalisation de ces prélèvements à un médecin non-biologiste en dehors d’un laboratoire de biologie médicale.

C’est dans la loi de financement de la sécurité sociale de 2020 que nous avons assoupli les règles pour garantir aux citoyens des services réactifs et sûrs.

Enfin, dans la loi de financement de la sécurité sociale de 2023, nous avons été encore plus loin en prévoyant l’extension aux établissements médico-sociaux et aux maisons de santé, sous la supervision des agences régionales de santé – nous avons prévu cette précaution.

Madame la ministre, les avancées sont concrètes depuis des années. Le Parlement a voté un modèle de financement pour les EBMD dans la loi de financement de sécurité sociale de 2023. Nous attendons donc les arrêtés de votre ministère pour que l’extension soit effective et légale, car celle-ci constituerait une amélioration pour les patients comme pour l’ensemble du monde médical.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de léducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de lenfance, de la jeunesse et des familles. Madame la sénatrice Élisabeth Doineau, de nouvelles consultations sur la révision de l’arrêté auront lieu au troisième trimestre de l’année 2024. Je m’engage à porter votre demande auprès du ministre de la santé, qui devrait vous associer à ces consultations.

La biologie délocalisée a été autorisée et encadrée par l’ordonnance de 2010 relative à la biologie médicale. Initialement, elle permettait, uniquement pour une décision thérapeutique urgente, de réaliser la phase analytique d’un examen de biologie médicale en dehors du laboratoire de biologie médicale.

L’arrêté du 13 août 2014 a ouvert la possibilité de réaliser cette phase dans les véhicules de transport sanitaire. Elle a ensuite été étendue, par la loi de financement de la sécurité sociale de 2020, à d’autres circonstances que l’urgence.

Le dispositif a de nouveau été modifié par la loi de financement de la sécurité sociale de 2023, qui prévoit son extension aux établissements médico-sociaux et aux maisons de santé. La modification permet également aux agences régionales de santé de restreindre la biologie délocalisée aux seules structures éligibles au regard du contexte et des besoins territoriaux.

Une révision de l’arrêté de 2014, pour permettre de pratiquer la biologie délocalisée dans de nouvelles structures, telles que des centres de santé ou des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), a été soumise à la concertation des professionnels du secteur, qui ont manifesté leur opposition, malgré deux avis positifs de la Commission nationale de biologie médicale.

De nouvelles consultations vont s’ouvrir, auxquelles vous serez évidemment associée, madame la sénatrice.

établissement de certificats de décès

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Reynaud, auteur de la question n° 1065, adressée à Mme la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

M. Hervé Reynaud. Ma question porte sur les difficultés que rencontrent parfois les élus pour faire certifier les causes naturelles d’un décès.

C’est ce qui est arrivé récemment au maire d’une commune de la Loire, qui, contacté par la famille d’une octogénaire dont elle n’avait aucune nouvelle, s’est rendu au domicile de cette dernière et l’a malheureusement découverte décédée, sans doute depuis plus de vingt-quatre heures. Les autorités ont mis plus de cinq heures pour trouver un médecin disponible.

Cette situation, qui est arrivée à Roland Bost, maire de Chenereilles – une commune de 530 habitants au centre du département de la Loire – est difficile à vivre pour les personnes présentes sur place, pompiers, gendarmes et famille.

C’est une conséquence rarement évoquée des déserts médicaux : il faut parfois plusieurs heures, lorsqu’un décès survient sur la voie publique ou au domicile, avant qu’un médecin ne puisse venir dresser un certificat, préalable indispensable à la levée du corps. C’est encore plus vrai lorsque le décès survient la nuit, durant les vacances ou lors d’un jour férié. Les Ehpad sont, eux aussi, confrontés à ce problème.

Se trouve en cause, bien évidemment, la pénurie de médecins généralistes, la règle étant que ce soit le médecin traitant qui constate le décès.

Le ministère du travail, de la santé et des solidarités a proposé récemment, et c’est heureux, une solution qui repose sur les infirmiers libéraux ; ceux qui se porteront volontaires, après une courte formation et à condition d’être diplômés depuis au moins trois ans, pourront établir un certificat de décès dans certains cas, moyennant le versement d’une indemnité.

Aussi, face à de tels dysfonctionnements pérennes, notamment en zone rurale, pouvez-vous me dire si le Gouvernement entend étendre rapidement l’expérimentation, conduite dans certains départements, qui permet à des infirmiers libéraux d’établir des certificats de décès ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de léducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de lenfance, de la jeunesse et des familles. Monsieur le sénateur Reynaud, l’expérimentation sera effectivement étendue, car cette mesure est nécessaire.

Les difficultés liées à la démographie médicale sont nombreuses dans nos territoires, et il est humainement difficile de retrouver une personne décédée depuis un certain temps. Elles ne permettent pas toujours aux médecins d’établir des certificats de décès dans un délai raisonnable. Le législateur a donc décidé d’étendre la liste des professionnels autorisés à réaliser les certificats de décès.

L’expérimentation est mise en œuvre dans six régions depuis la publication, le 6 décembre 2023, des textes réglementaires. Pour y participer, les infirmiers doivent être volontaires, diplômés depuis plus de trois ans et inscrits à l’ordre des infirmiers ; ils doivent également suivre une formation. Et cela marche : plus de 2 500 infirmiers volontaires se sont portés candidats et ont été identifiés, et plus de 800 ont déjà été formés.

Par la loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, cette expérimentation a été étendue à l’ensemble des régions. Un nouveau décret sera donc prochainement publié pour sa mise en œuvre.

Monsieur le sénateur, vous pouvez compter sur la mobilisation du ministre de la santé pour faciliter la vie des élus locaux qui doivent faire face aux réalités dans nos territoires. Un rapport sera d’ailleurs adressé au Parlement, comme le prévoit la loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Reynaud, pour la réplique.

M. Hervé Reynaud. Nous sommes très intéressés par cette question et nous resterons donc attentifs. Ouvrir cette possibilité à d’autres professions est l’une des solutions pour lutter contre la désertification médicale.

Nous avons beaucoup parlé de nos élus, qui sont parfois démotivés. C’est aussi une façon, je le crois, de leur apporter du réconfort et un accompagnement.

fraudes et problèmes de prise en charge des produits auditifs

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Chaillou, auteur de la question n° 1154, adressée à Mme la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

M. Christophe Chaillou. Madame la ministre, je me permets d’attirer votre attention sur l’un des aspects de la réforme du 100 % santé portant plus particulièrement sur les difficultés liées aux calculs et aux remboursements dans le secteur auditif.

La réforme du 100 % santé a permis une avancée dans la prise en charge par la sécurité sociale des dispositifs optiques, dentaires ou encore auditifs. En effet, elle permet de supprimer le reste à charge sur les appareils de première catégorie, et cela doit être salué.

Cependant, j’ai été alerté par un certain nombre de praticiens du département dont je suis l’élu, le Loiret, notamment des audioprothésistes, au sujet de la complexité et des incohérences dans les calculs de remboursement pour les appareils de seconde catégorie. En effet, une personne atteinte d’une affection de longue durée (ALD) et bénéficiant d’une prestation de compensation du handicap (PCH) disposera d’un reste à charge plus important qu’une personne sans ALD.

Par ailleurs, le secteur fait face à une augmentation très importante de la fraude principalement causée par l’usurpation d’identités et la réalisation de faux actes, ce qui est très problématique. En effet, cette fraude aurait coûté à la sécurité sociale plusieurs dizaines de millions d’euros pour la seule année 2023.

Compte tenu de cette situation, madame la ministre, quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il de prendre pour améliorer la prise en charge des personnes fragiles, tout en jugulant la fraude qui met vraiment en difficulté le secteur ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de léducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de lenfance, de la jeunesse et des familles. Monsieur le sénateur Chaillou, la priorité est d’accompagner l’appareillage, et le zéro reste à charge représente vraiment une avancée.

La réforme du 100 % santé a permis de diminuer les renoncements à des audioprothèses de qualité en réduisant les restes à charge.

En revanche, je partage votre constat et vos préoccupations : cette réforme a simultanément entraîné de nouvelles pratiques frauduleuses, dont les plus vulnérables sont les cibles, de la part de sociétés d’audioprothèses qui souhaitent exploiter, à leur profit, cette prise en charge à 100 % : absence de suivi, facturation de matériel différent de celui délivré, etc.

En 2023, l’assurance maladie a poursuivi ses programmes de contrôle et de lutte contre la fraude aux audioprothèses. Grâce à cette action résolue, nous avons détecté plus de 20 millions d’euros de préjudice sur les centres d’audioprothèses. Plus de 300 plaintes pénales ont par ailleurs été déposées par les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM).

Pour aller plus loin, le Gouvernement travaille actuellement, avec les organismes complémentaires et l’assurance maladie, à l’amélioration de la détection et à l’accompagnement des victimes, c’est-à-dire les personnes qui ne sont pas aujourd’hui équipées ou qui le sont mal.

Je veux aussi souligner que, au-delà du risque de fraudes, il existe un enjeu majeur en matière de qualité des soins : cet appareillage nécessite en effet un suivi et des réglages réguliers pour être efficace.

Nous devons poursuivre dans cette voie pour lutter efficacement contre les fraudes et assurer un appareillage de qualité aux patients. C’est ainsi que nous atteindrons notre objectif, qui est d’arrêter le non-recours des assurés à leurs droits.

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Chaillou, pour la réplique.

M. Christophe Chaillou. Je vous remercie, madame la ministre, de ces éléments.

Il y a là en effet un enjeu, compte tenu de l’avancée que la réforme du 100 % santé représente pour les personnes concernées, comme vous l’avez souligné. La vigilance s’impose en effet, et nous serons particulièrement attentifs à obtenir des éléments d’évaluation de l’ensemble des mesures que vous avez bien voulu indiquer.

En tout cas, je vous remercie de l’intérêt et de l’attention que vous portez à cette question.

avenir de la profession des infirmiers libéraux

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis, auteur de la question n° 1157, adressée à Mme la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

M. Bernard Buis. Madame la ministre, ma question concerne l’avenir d’une profession essentielle dans notre système de soins, celle des infirmiers libéraux.

Aujourd’hui, le collectif des infirmiers libéraux appelle à une journée de mobilisation dans toute la France. Mais ces infirmières et ces infirmiers manifestent déjà depuis plusieurs semaines dans de nombreux territoires, notamment dans ma région, l’Auvergne-Rhône-Alpes.

Afin de mieux comprendre leurs attentes, je suis allé à leur rencontre. Après quelques minutes de discussion, on comprend tout de suite que cette profession souhaite une meilleure reconnaissance et une amélioration de ses conditions de travail, qui, depuis de nombreuses années, évoluent vers une forme de précarité inquiétante.

Pour illustrer cette évolution, prenons deux exemples.

D’une part, les actes médicaux infirmiers, qui sont remboursés par la sécurité sociale, n’ont pas été revalorisés depuis 2009, autrement dit depuis quinze ans. Pourtant, il n’aura échappé à personne que nous venons de traverser la crise inflationniste la plus importante depuis les années 1970, crise dont les effets se font encore ressentir.

D’autre part, si les indemnités forfaitaires de déplacement ont été récemment revalorisées de 25 centimes, passant ainsi de 2,50 à 2,75 euros, force est de constater que cette augmentation est insuffisante aux yeux des professionnels.

Compte tenu de l’inflation qui pèse sur les frais de fonctionnement d’un professionnel, les infirmiers libéraux travaillent en réalité pour un taux inférieur au Smic, si ce n’est à perte dans certains cas. Une telle situation n’est financièrement pas tenable pour la profession.

Or ces infirmiers libéraux constituent un maillon essentiel de notre système de santé. Ils garantissent la continuité des soins et assurent un maillage territorial remarquable, notamment dans les zones les plus rurales de notre pays.

Aussi, madame la ministre, pour que cette profession dévouée puisse perdurer, pour lui garantir une rémunération équitable et pour préserver l’accès aux soins de nos concitoyens, le Gouvernement peut-il envisager, d’une part, la possibilité de revaloriser la tarification des actes médicaux infirmiers, et, d’autre part, une meilleure prise en compte de leurs frais de déplacement ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de léducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de lenfance, de la jeunesse et des familles. Monsieur le sénateur Buis, vous l’avez dit, les infirmières et les infirmiers sont essentiels à nos territoires comme à l’école. Je pense en particulier aux infirmières et infirmiers scolaires.

Ils sont essentiels en raison de leur très forte proximité avec nos concitoyens. Notre pays compte 630 000 infirmiers et infirmières, dont plus de 120 000 exercent en libéral.

Afin de valoriser ce rôle, un bilan de soins infirmiers a été créé en 2020. Permettant une prise en charge forfaitaire des patients dépendants en vue d’améliorer la qualité des soins, il représente un investissement de 714 millions d’euros pour l’assurance maladie. Nous devons achever la généralisation de ce mode de tarification à l’ensemble des patients dépendants.

Les infirmiers libéraux, qui se déplacent constamment, font face à des coûts élevés. C’est pourquoi l’indemnité forfaitaire de déplacement a été revalorisée de 10 % le 28 janvier 2024, passant de 2,50 euros à 2,75 euros. Cela représente l’équivalent de 2 000 euros supplémentaires par an en moyenne par infirmier libéral dès cette année.

Le ministre délégué chargé de la santé et de la prévention a d’ailleurs rencontré, dès sa prise de fonction, les trois syndicats représentatifs des infirmiers. Il établira prochainement avec eux un calendrier des travaux communs. Cette démarche est essentielle et prioritaire.

Le ministre a également annoncé une mission de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) sur la prise en charge de la pénibilité de la profession. Nous mesurons en effet combien ce métier peut fatiguer, eu égard aux déplacements et aux manipulations de patients qu’il implique.

Nous avons en outre lancé un chantier majeur de renforcement de l’attractivité de la profession infirmière et travaillons sur la refonte à la fois du métier et de la formation.

Monsieur le sénateur, le décret d’actes de la profession n’a pas évolué depuis 2004. Vous l’avez dit, le métier d’infirmier est un métier d’avenir. Il nous faut aujourd’hui rénover et renforcer les compétences de la profession.

Ce chantier est une ambition majeure du ministre de la santé. Je relaierai plus spécifiquement auprès de lui votre alerte relative au collectif.

pratiques de soins non conventionnelles et leur encadrement

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, auteure de la question n° 1144, adressée à Mme la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Mme Laurence Muller-Bronn. Madame la ministre, ma question porte sur l’accès aux pratiques de soins intégratives et sur leur encadrement, demandé par les médecins thérapeutes eux-mêmes.

En la matière, la France a pris un retard certain, au détriment de l’intérêt des malades. Aujourd’hui, quelque 40 % de la population se tournent au moins une fois dans l’année vers des pratiques de soins non conventionnelles, et ce chiffre grimpe à 70 % chez les patients atteints de maladies chroniques, graves ou douloureuses.

Depuis de nombreuses années déjà, nos voisins allemands et suisses, ainsi qu’une majorité de pays occidentaux, ont développé avec succès cette médecine intégrative, à l’hôpital ou en soins ambulatoires.

En France, nos institutions entretiennent une confusion entre « bonnes » et « mauvaises » pratiques, au détriment des malades. Ceux qui le peuvent vont d’ailleurs se faire soigner à l’étranger.

Selon une enquête Odoxa pour l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (Unadfi), 80 % des Français souhaitent un meilleur encadrement de ces pratiques nécessaires à leur santé. Cette enquête indique par ailleurs que 70 % d’entre eux ont conscience des dérives et pratiques abusives existantes.

Le Gouvernement a bien lancé, en juin 2023, un comité d’appui technique à l’encadrement de ces pratiques, mais ses travaux sont à l’arrêt. Madame la ministre, quel est aujourd’hui le calendrier prévu pour avancer sur ce sujet ? La France envisage-t-elle de s’inspirer des expériences abouties chez nos voisins européens ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de léducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de lenfance, de la jeunesse et des familles. Madame la sénatrice Muller-Bronn, chacun connaît votre mobilisation et votre engagement pour accompagner les patients, mais également parfois les familles, face aux difficultés. Vous avez souligné en particulier le cas des patients souffrant des plus fortes douleurs.

Compte tenu de leur évolution croissante et des risques qui leur sont associés, ces pratiques non conventionnelles en santé sont devenues un enjeu de santé publique. Vous avez rappelé à quel point nos voisins européens étaient mobilisés sur cette question. Dans ce contexte, il est important de sécuriser l’accès à ces pratiques, de permettre à chacun de disposer d’une information objective fondée sur les résultats d’études scientifiques et de continuer à avancer.

Faisant suite aux Assises nationales de la lutte contre les dérives sectaires des 9 et 10 mars 2023, le ministre délégué chargé de la santé et de la prévention a installé le comité d’appui à l’encadrement des pratiques non conventionnelles en santé, dont vous avez souligné la suspension des travaux.

Ce comité s’est réuni à trois reprises. Il a associé notamment l’ensemble des ordres des professionnels de santé et des représentants d’usagers du système de santé.

Des réflexions sur l’intégration à la médecine conventionnelle des pratiques issues de la médecine non conventionnelle pourront s’envisager dès lors qu’une information objective fondée sur les résultats d’études scientifiques sera disponible.

Le comité d’appui a permis de faire émerger un consensus parmi l’ensemble des participants sur l’importance, d’une part, de travailler sur la sémantique à employer, afin d’éviter les confusions entre les pratiques médicales et les pratiques non conventionnelles en santé, et, d’autre part, de communiquer auprès du grand public et des professionnels de santé sur les risques de dérives thérapeutiques.

Madame la sénatrice, vous avez centré votre question sur les patients. Au-delà du comité d’appui et de la sémantique, soyez assurée de la mobilisation du Gouvernement pour accompagner les patients, toujours dans leur intérêt, dans leur accès aux pratiques de soins, fussent-elles non conventionnelles.

L’accompagnement des patients est notre priorité.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, pour la réplique.

Mme Laurence Muller-Bronn. Madame la ministre, je me réjouis d’entendre que nous allons travailler au renforcement de l’accès à ces pratiques.

L’histoire nous a montré que la prohibition n’était jamais la solution. Ce problème est purement franco-français, puisque, dans tous les autres pays européens, les choses sont réglementées depuis longtemps. Plus nous attendons, plus nous mettons la santé des Français en danger.

Je rappelle que l’université de Strasbourg dispose d’une chaire de médecine intégrative. En Allemagne, il y en a treize. Le Gouvernement ne doit pas mettre la santé des Français en danger. Il doit accélérer ses décisions à propos de ces médecines nécessaires.

fermeture du centre de santé edens dans le haut-rhin

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, auteur de la question n° 1113, adressée à Mme la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Mme Patricia Schillinger. Madame la ministre, depuis la liquidation judiciaire du centre de santé Edens (endocrinologie, diabétologie et nutrition sommeil) de Mulhouse, près de 1 200 patients, dont une grande majorité d’enfants atteints de diabète de type 1, se trouvent privés de prise en charge médicale adéquate.

J’ai reçu de la part des familles de nombreux appels à l’aide. Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai encore pu m’entretenir avec certaines d’entre elles. Toutes m’ont fait part de leur détresse, de l’absence de réponse à leur inquiétude et du désarroi dans lequel la fermeture du centre les a laissées.

Cette situation met en péril la santé et le bien-être de patients pourtant déjà vulnérables. Plusieurs d’entre eux se sont ainsi retrouvés en état d’acidocétose diabétique et ont dû être hospitalisés d’urgence.

Si l’agence régionale de santé (ARS) se veut rassurante, notamment par la mise en place d’un numéro d’urgence, je ne puis que constater, sur le terrain, l’absence de solutions et les nombreux refus de prise en charge auxquels se heurte une grande majorité des familles.

Alors que, dans le Haut-Rhin, nous sommes proches de la Suisse et de l’Allemagne, l’urgence justifierait, pour les cas les plus graves, que l’on y recherche des solutions.

La détresse des parents et la nécessité de rétablir un lien de confiance entre eux et les autorités de santé plaident pour la mise en place d’un comité de suivi. Ce dernier pourrait ainsi rendre compte régulièrement de l’état d’avancement de la prise en charge des patients et identifier les obstacles que ceux-ci rencontrent dans la continuité des soins.

Par ailleurs, l’expérience de ce centre Edens met en lumière le besoin urgent d’une prise en charge locale adaptée, innovante et pluridisciplinaire du diabète pédiatrique, qui miserait sur les avancées technologiques dans le domaine médical.

Aussi, madame la ministre, quelles mesures concrètes envisagez-vous pour répondre à l’urgence que font remonter les anciens patients du centre Edens ? Êtes-vous prête à entamer une réflexion sur les nouvelles modalités organisationnelles de prise en charge du diabète, pour répondre pleinement aux besoins constatés sur ce territoire ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de léducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de lenfance, de la jeunesse et des familles. Madame la sénatrice, je comprends le désarroi des familles. Tout comme les médecins, elles peuvent se sentir démunies face à cette situation. Le Gouvernement est et restera mobilisé pour recréer une filière de prise en charge des patients à Mulhouse ; c’est naturellement essentiel.

Si des solutions de prise en charge sont proposées dans d’autres villes, elles doivent bien sûr rester temporaires. C’est à Mulhouse que ces patients doivent être soignés.

Le centre de santé Edens comptait deux pédiatres endocrinologues, précédemment praticiens hospitaliers à l’hôpital de Mulhouse. Il suivait plus de 1 200 patients, dont un peu moins de 300 étaient atteints de diabète de type 1. Les autres patients étaient suivis pour des problèmes d’endocrinologie, d’obésité ou encore de troubles du sommeil, et parfois pour des affections simultanées.

Ce centre de santé a été créé dans le cadre de la réglementation en vigueur, malgré des alertes lancées sur son modèle économique, qui se sont d’ailleurs révélées justifiées.

Depuis la liquidation judiciaire qui a provoqué la fermeture du centre, plusieurs mesures locales ont été prises, parmi lesquelles la mise en place d’un numéro d’appel et l’organisation de modalités de restitution des dossiers médicaux.

Grâce à votre mobilisation, madame la sénatrice, une réunion a été organisée le 7 mars dernier avec les anciens praticiens du centre, l’ARS Grand Est, le cabinet du ministre chargé de la santé et vous-même.

En effet, nous ne pouvons pas laisser ces personnes dans un tel désarroi. La situation ne peut durer plus longtemps. Madame la sénatrice, le ministre m’a indiqué que son cabinet et lui-même se tenaient à votre disposition pour accompagner la création de cette filière et mettre en place l’accompagnement des familles.

date de publication du rapport relatif à l’installation obligatoire des détecteurs de fumée dans les lieux d’habitation

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Martin, auteur de la question n° 1000, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Pascal Martin. Madame la présidente, monsieur le ministre, l’article 5 de la loi du 9 mars 2010 visant à rendre obligatoire l’installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d’habitation prévoit qu’un rapport sur l’application et sur l’évaluation de ses dispositions soit transmis au Parlement à l’issue d’un délai de cinq ans. Or, à ce jour, ce rapport n’a toujours pas été communiqué au Parlement.

La réponse du Gouvernement à la question orale que j’avais posée à ce sujet en mars 2021 était restée très évasive quant au calendrier, aux modalités et à la date de publication de ce rapport.

Toutefois, en juillet 2021, la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) a été mandatée pour se charger de sa rédaction. Cette administration a ensuite délégué cette mission au Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), qui a remis son travail en mars 2022 à la DHUP, afin que celle-ci finalise le rapport.

Depuis cette date, pour des raisons inconnues, le rapport n’a toujours pas été publié. D’abord annoncé pour la fin de l’année 2022, il a été ensuite repoussé au premier semestre 2023, puis à la fin de l’année 2023. Il est question désormais d’une publication au cours du premier trimestre 2024…

Les professionnels de la sécurité incendie – industriels, sapeurs-pompiers, assureurs – et les associations qui œuvrent régulièrement en faveur d’actions de prévention contre les incendies domestiques l’attendent pourtant, afin de pouvoir lancer de nouvelles actions de sensibilisation auprès de nos concitoyens.

En effet, il a été démontré que les détecteurs de fumée sauvent des vies et permettent de limiter considérablement les dégâts matériels quand un début d’incendie est détecté à temps.

Il serait d’autant plus opportun d’obtenir une publication dans les meilleurs délais que la plupart des détecteurs ou piles de détecteurs arrivent en fin de vie. En effet, d’une durée de vie approximative de dix ans, ces équipements ont été principalement achetés par les ménages entre le décret d’application de 2013 et la date d’objectif initial fixée en 2015.

Ce document serait donc une occasion idéale pour communiquer sur la période de renouvellement nécessaire qui s’ouvre.

Monsieur le ministre, êtes-vous en mesure de nous indiquer une date ferme et définitive de publication d’un rapport attendu depuis bientôt trois ans ? Le Gouvernement entend-il soutenir et accompagner des actions pédagogiques sur la prévention des accidents domestiques, comme cela avait été le cas au moment de la publication de la loi ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement. Monsieur le sénateur Pascal Martin, les dispositifs de détection de fumée sont rendus obligatoires par le code de la construction et de l’habitation dans l’ensemble des habitations individuelles ou collectives.

L’objectif est double : détecter les fumées émises dès le début d’un incendie et émettre un signal sonore suffisant pour réveiller une personne endormie dans le logement où la détection a eu lieu.

La loi Alur du 24 mars 2014 a modifié les obligations relatives à l’installation et à l’entretien des détecteurs, en les partageant entre le propriétaire bailleur et l’occupant du logement lorsque celui-ci est loué.

L’échéance d’entrée en vigueur de ces dispositions était fixée au 8 mars 2015. La mise en place des détecteurs avertisseurs autonomes de fumée vise avant tout à réduire la mortalité liée aux incendies nocturnes.

L’article 5 de la loi du 9 mars 2010 prévoit un rapport sur l’application et l’évaluation de ses dispositions. Ce document doit également rendre compte des actions d’information du public sur la prévention des incendies domestiques et sur la conduite à tenir en cas d’incendie qui ont été menées depuis la publication de cette loi.

L’action du ministère s’est focalisée dans un premier temps sur les campagnes de sensibilisation et de communication destinées à accompagner les mesures de 2010, puis leur évolution de 2014.

Pour que ce rapport ait une réelle plus-value, il convenait, monsieur le sénateur, de disposer d’éléments de retours d’expérience sur une période significative, ce qui explique le délai pour cette publication.

Dans ce contexte, les services du ministère ont fait appel au Centre scientifique et technique du bâtiment, en raison de ses compétences en matière de sécurité incendie, afin de disposer d’éléments objectivés et consistants.

Puisque vous m’interrogez à ce sujet, je serai très précis sur la date. Ces éléments sont en cours d’analyse et de concaténation. Je vous annonce que le rapport sera transmis au Parlement d’ici au 1er mai prochain.

Le Gouvernement est particulièrement sensible aux enjeux relatifs à la sécurité incendie et aux actions mises en œuvre en la matière. Les détecteurs avertisseurs autonomes de fumée, et plus généralement les actions de prévention et de sensibilisation contre les incendies domestiques conduites par les acteurs, participent grandement à cet objectif de sécurité.

Voilà, monsieur le sénateur, la date précise que je puis vous communiquer, en vous assurant de tout notre soutien et en saluant votre engagement sur le sujet.

soutien de l’état aux communes rurales touristiques

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Valente Le Hir, auteure de la question n° 1152, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.

Mme Sylvie Valente Le Hir. Monsieur le ministre, j’appelle votre attention sur les difficultés rencontrées par les communes rurales touristiques.

Ces communes de taille modeste possèdent le plus souvent sur leur territoire un joyau patrimonial qui attire de nombreux visiteurs. C’est le cas par exemple de la commune de Pierrefonds, dans le département de l’Oise, dont le château, monument de renommée internationale, a été visité par 162 000 touristes l’an dernier. Cette affluence est impressionnante si on la rapporte aux quelque 2 000 habitants qui peuplent la commune.

Or, si ces communes rurales servent de vitrine culturelle à notre pays et incarnent l’authenticité de nos terroirs, elles sont loin de profiter réellement de l’engouement touristique qu’elles suscitent. En effet, les retombées économiques liées à l’afflux de visiteurs reviennent principalement à d’autres entités.

Ainsi, le produit de la taxe de séjour est capté par les offices de tourisme et les recettes suscitées par la visite des monuments qu’elles abritent échoient au Centre des monuments nationaux (CMN), qui en est le propriétaire.

Pis encore, ces communes doivent supporter les charges supplémentaires qu’induit la venue massive de touristes : usure accélérée du mobilier urbain et de la voirie ou encore nécessité de mobiliser le personnel communal les week-ends et les jours fériés.

Pour Pierrefonds comme pour nombre d’autres communes réunies sous le label associatif Station verte, le tourisme est une aubaine économique et culturelle dont elles ne récoltent que trop peu les fruits.

C’est d’autant plus vrai que, bien souvent, ces communes ne bénéficient ni du classement en commune touristique ou station de tourisme ni des avantages qui se rattachent à ces statuts, sans parler de la baisse continue des dotations de l’État aux communes, facteur structurel de fragilisation des finances locales.

Aussi, monsieur le ministre, comment envisagez-vous de mieux répartir les gains économiques suscités par le tourisme dans les communes qui se trouvent dans une situation ingrate ?

Quels moyens avez-vous l’intention de mettre en œuvre pour alléger les contraintes particulières pesant sur elles du fait de l’attrait touristique qu’elles suscitent ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement. Madame la sénatrice Sylvie Valente Le Hir, il est vrai que les communes touristiques sont majoritairement constituées de communes caractérisées par une forte capacité d’hébergement d’une population non permanente, qu’il s’agisse de logements dédiés au tourisme ou de résidences secondaires.

Si leurs dépenses de fonctionnement sont supérieures à celles des autres communes, il en est de même des recettes de fonctionnement spécifiques, qui se caractérisent par leur dynamisme.

L’une de ces recettes spécifiques est la taxe de séjour, dont le montant perçu en 2022 pour les communes touristiques s’élevait à 4 500 euros pour 100 habitants, contre moins de 500 euros pour les autres communes. Le produit total de la taxe de séjour était en forte hausse en 2022, de plus de 57 % par rapport à 2021. Il s’élevait à 190 millions d’euros pour l’ensemble des communes, hors Paris.

Les communes incluses dans le zonage de la taxe annuelle sur les logements vacants ont également la possibilité de majorer de 60 % leur cotisation de taxe d’habitation sur les résidences secondaires.

Enfin, les communes touristiques qui souhaitent investir peuvent également solliciter le soutien de l’État au travers de dotations d’investissement maintenues à un niveau élevé, comme la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) ou encore le fonds vert.

Ainsi, quelque 1 138 opérations portées par des communes touristiques ont été financées par la DETR au cours de l’exercice 2022, pour un montant total de 63,8 millions d’euros, tandis que 617 projets ont été financés par la DSIL, pour un montant total de 110,5 millions d’euros.

La commune de Pierrefonds, dans l’Oise, à laquelle vous faites référence, a par exemple bénéficié, entre 2018 et 2022, de plus de 220 000 euros de subventions au titre de la DETR et de la DSIL pour divers projets d’investissement, tels que la mise aux normes d’accessibilité des cheminements extérieurs du foyer Napoléon ou la création d’une réserve d’eau incendie. Elle a également bénéficié, en 2023, d’une subvention DETR de 67 500 euros pour aménager la rue de l’Armistice.

Vous le voyez, madame la sénatrice, nous sommes à vos côtés pour développer l’ensemble de ces projets dans votre territoire et dans tous les territoires de France.

incohérences procédurales dans la sollicitation de subventions par les collectivités territoriales

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, auteur de la question n° 1163, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.

M. Jean-Baptiste Blanc. Monsieur le ministre, mes chers collègues, de nombreuses collectivités locales, notamment les communes de Bédoin ou de Cabrières-d’Avignon dans le Vaucluse, entre autres, sont confrontées à un problème préoccupant.

Je veux parler de l’incohérence procédurale significative qui existe dans l’application des dispositions relatives à la sollicitation des subventions DETR (dotation d’équipement des territoires ruraux) et DSIL (dotation de soutien à l’investissement local).

Cette situation crée une confusion inquiétante, en particulier pour ce qui concerne les actions autorisées au maire après réception d’une délégation du conseil municipal. En effet, selon le code général des collectivités territoriales (CGCT), la délégation de compétence du conseil municipal au maire entraîne le dessaisissement du conseil municipal sur la matière concernée, ce qui rend toute délibération ultérieure non seulement superflue, mais également illégale pour cause d’incompétence.

Or, paradoxalement, les services préfectoraux demandent désormais une délibération du conseil municipal pour valider l’adoption de l’opération et arrêter les modalités de son financement.

Cette contradiction entre la lettre de la loi et les pratiques administratives instaure une incertitude préjudiciable pour les collectivités, pourtant désireuses de se conformer aux exigences réglementaires.

Cette situation est d’autant plus problématique que des demandes de subventions avaient été précédemment acceptées sans délibération du conseil municipal. Or, bien qu’elles soient le résultat de cette délégation de pouvoir au maire, ces délégations requièrent désormais, pour l’exercice 2024, la présentation de ces délibérations.

Ce changement de pratique soulève des questions légitimes quant à l’accès des collectivités aux financements nécessaires à leurs projets.

Face à cette situation, je sollicite de votre part, monsieur le ministre, des éclaircissements détaillés sur ces règles, afin d’assurer une gestion des fonds publics qui soit efficace et transparente et qui, surtout, soutienne nos territoires.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement. Monsieur le sénateur Jean-Baptiste Blanc, vous m’interrogez sur les règles applicables à la sollicitation de subventions par les collectivités territoriales, notamment sur la nécessité de fournir une délibération du conseil municipal à l’appui d’une demande de subvention présentée au titre de la DETR et de la DSIL.

La DETR et la DSIL sont régies par des dispositions qui prévoient, d’une part – aux termes de l’article L. 2334-32 du code général des collectivités territoriales –, que la demande de subvention est présentée par le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale compétent, et, d’autre part – aux termes d’un arrêté du 23 décembre 2002 –, que la liste des pièces à fournir contient la délibération du conseil municipal ou de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale adoptant l’opération et arrêtant les modalités de financement.

Ainsi, qu’il y ait ou non délégation du conseil municipal au maire pour présenter la demande de subvention, celle-ci ne peut être présentée que lorsque l’opération et ses modalités de financement ont été préalablement approuvées par le conseil municipal.

La nécessité d’une délibération peut paraître une condition contraignante, et l’on peut en effet s’interroger à son sujet. Elle a toutefois pour objectif de s’assurer, premièrement, que le projet a bien été validé par le conseil municipal ou communautaire, et, deuxièmement, que son plan de financement a bien été prévu et approuvé par le conseil municipal.

Cela permet de s’assurer de la viabilité des projets, donc d’éviter de perdre des crédits votés annuellement par le Parlement en les attribuant à des projets qui, hélas, ne verraient pas le jour.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, pour la réplique.

M. Jean-Baptiste Blanc. Je vous remercie, monsieur le ministre, de ces éclaircissements. Il faudrait que l’État en apporte également à l’échelon local. En effet, les élus locaux ont besoin d’accompagnement et de pédagogie. Il faut leur faciliter la vie !

accompagnement des communes perdant le classement « zone de revitalisation rurale » ou « france ruralités revitalisation »

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Sophie Romagny, auteure de la question n° 1166, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.

Mme Anne-Sophie Romagny. La fusion des dispositifs préexistants de soutien aux territoires ruraux – zones de revitalisation rurale (ZRR), bassins d’emploi à redynamiser (BER) ou zones de revitalisation des commerces en milieu rural –, au profit d’un zonage unique, France Ruralités Revitalisation (FRR), a débouché sur une nouvelle cartographie.

De nombreuses communes qui bénéficiaient jusqu’à présent des ZRR seront exclues du dispositif à compter du 1er juillet prochain. Près de 2 000 communes en France seraient ainsi concernées.

Monsieur le ministre, votre collègue chargée des collectivités nous a confirmé que certaines d’entre elles, classées comme « rattrapables », seront « rattrapées » et finalement classées FRR.

Ma question traduit mon inquiétude particulière à l’égard des communes qui sont totalement sorties du dispositif FRR, mais qui ne doivent pas rester sans solution. Elles sont malheureusement nombreuses dans la Marne.

Jugeant la réforme trop précipitée, nous avions déposé, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, un amendement visant à prolonger le classement des ZRR alors en vigueur jusqu’au 31 décembre 2024. Non seulement nous n’avons pas été suivis, mais le Gouvernement n’a malheureusement pas prévu non plus de mesures d’accompagnement pour les communes sortant de l’aire de revitalisation.

Afin de ne pas fragiliser les initiatives locales mises en place dans ces territoires ex-ZRR, il convient pourtant d’aider ces communes.

Trois pistes sont envisageables.

La première serait de prolonger le dispositif au-delà des trois prochains mois pour temporiser et analyser la situation.

La deuxième serait de trouver des accompagnements forts pour les communes sorties de la ZRR.

Enfin, permettez-moi de formuler une troisième solution, plus locale : accorder au département de la Marne le bénéfice d’un moratoire similaire à celui que l’État a accordé aux communes de Saône-et-Loire, afin de permettre un réexamen de leur situation.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement. Madame la sénatrice Romagny, en ce qui concerne le calendrier, je rappelle que la réforme a été reportée à deux reprises depuis 2020 et qu’elle a été adoptée à l’unanimité par le Sénat, après un an de concertation avec les parlementaires, les associations d’élus et les acteurs économiques et associatifs.

Par ailleurs, je vous confirme que le Gouvernement porte une attention toute particulière aux communes sortantes.

D’une part, il n’y aura pas de sortie sèche : les entreprises et professions médicales profitant actuellement des exonérations continueront à en bénéficier jusqu’à la date initialement prévue, jusqu’à extinction de leurs droits.

D’autre part, je vous confirme que ces communes font d’ores et déjà l’objet d’un accompagnement spécifique. Ainsi, comme les parlementaires et élus locaux qui m’ont saisi le savent, toutes les mesures du plan France Ruralités seront activées en fonction des besoins de chaque territoire.

Le zonage FRR constitue en effet un seul des quatre axes de France Ruralités. Ainsi, les chefs de projet Villages d’avenir, en plus de Petites Villes de demain, et les volontaires territoriaux en administration (VTA) sont à disposition des territoires.

Les crédits d’ingénierie, considérablement augmentés dans la loi de finances pour 2024, seront également mobilisés en priorité sur ces territoires. D’autres zonages, à l’instar des aides à finalité régionale, permettent également de venir aider les entreprises des territoires. En ce qui concerne les enjeux de désertification médicale, je suis enfin en lien étroit avec la ministre chargée de la santé et des solidarités pour mobiliser au mieux les dispositifs de droit commun.

Par ailleurs, si nous sommes vigilants sur les communes touchées par un effet de seuil, maintenir de façon artificielle dans le dispositif les 2 400 communes sortantes, comme cela a été fait en 2015, ne ferait malheureusement que fragiliser les 4 000 communes qui, elles, intègrent le zonage.

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Sophie Romagny, pour la réplique.

Mme Anne-Sophie Romagny. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse.

Soutenir les communes exclues des ZRR et les accompagner le temps de redresser la situation de manière non précipitée me semble important.

Ne laissons pas mourir des projets qui étaient sur le point d’aboutir. Ne fragilisons pas l’installation des professionnels de santé. N’oublions pas nos maisons France Services et nos agences postales communales. Ne perdons pas de vue, enfin, notre appui au commerce et aux entreprises locales. Ce n’est pas uniquement une question de fiscalité !

encadrement des coupes rases en forêt et valorisation de la sylviculture mélangée à couvert continu

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, auteur de la question n° 1123, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Gilbert-Luc Devinaz. Monsieur le ministre, les coupes rases en forêt font l’objet de controverses particulièrement fortes ces dernières semaines.

Des associations alertent sur leur multiplication et leur impact. Plusieurs médias ont traité le sujet à des heures de grande audience et des riverains sont allés jusqu’à bloquer des chantiers.

Les demandes d’encadrement font suite à la publication de l’expertise CRREF – coupes rases et renouvellement des peuplements forestiers –, commandée par le ministère auquel vous êtes rattaché et par le ministère de l’agriculture. Cette expertise souligne notamment les effets néfastes de ces pratiques pour les sols et le microclimat forestier. Elle indique également que plus les coupes rases sont grandes, plus l’impact sur la biodiversité est élevé.

Étant donné que le puits de carbone en forêt française a été divisé par deux au cours des dix dernières années et que 27 % des espèces forestières françaises sont menacées ou quasi menacées selon l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), il apparaît en effet prioritaire d’encadrer les coupes rases et de mettre en avant la sylviculture mélangée à couvert continu.

Cette pratique permet de récolter du bois de qualité en alliant les enjeux économiques et environnementaux.

Deux propositions de loi récemment déposées à l’Assemblée nationale envisagent des mesures en ce sens. Le Président de la République a annoncé vouloir planter un milliard d’arbres d’ici à 2032 pour faire face au changement climatique.

Au-delà de l’effet de communication, c’est une véritable politique d’adaptation des forêts qui doit être bâtie avec tous les acteurs.

Monsieur le ministre, le règlement européen sur la restauration de la nature a été adopté le 27 février dernier. Comment comptez-vous appliquer ce règlement, notamment en matière de restauration des écosystèmes forestiers ? Soutenez-vous les textes déposés dernièrement pour encadrer les coupes rases ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement. Monsieur le sénateur Gilbert-Luc Devinaz, je tiens d’abord à rappeler la qualité de la gestion des forêts françaises, contrairement à la vision caricaturale qui est parfois véhiculée. Le débat se focalise trop souvent, à mon sens, sur les coupes rases.

La surface de forêt hexagonale a doublé depuis le milieu du XIXe siècle, et le volume de bois sur pied a augmenté de plus de 50 % depuis les années 1980. Les indicateurs de bois mort et de diversité des essences recensés par l’IGN progressent depuis vingt ans, signe d’une biodiversité mieux préservée en forêt que dans d’autres milieux.

Cependant, un réchauffement de 2,5 à 3,5 degrés Celsius à l’horizon 2050 aura des effets majeurs sur les forêts françaises.

Trois priorités fondent notre stratégie d’adaptation forestière : d’abord, accompagner nos forêts vers de nouveaux profils sylvicoles, avec des bouquets d’essences diversifiées et adaptées au climat sec et chaud ; ensuite, valoriser en usage matériaux les bois actuellement présents dans nos forêts avant que leur qualité technologique ne se dégrade au point de les condamner à un usage bois énergie ; enfin, étendre et amplifier la prévention des incendies.

Ces priorités figurent en bonne place parmi les objectifs du prochain plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc), qui sera soumis à la consultation du public par le ministre Christophe Béchu dans les prochaines semaines.

La transition forestière nécessitera agilité et innovation. Elle passera par une diversité de solutions et de modes de sylviculture adaptés au profil des peuplements forestiers, ainsi qu’au contexte de chaque massif, loin des idéologies, des carcans et d’un modèle unique dans lesquels certains souhaiteraient enfermer les propriétaires forestiers.

La transition forestière oblige à être encore plus attentif aux enjeux de la protection du capital naturel que constituent les sols forestiers et la biodiversité et à renforcer le mélange des essences de reboisement.

Les propositions de loi que vous avez évoquées contiennent effectivement des mesures qui vont en ce sens. Il reviendra au Parlement de se prononcer à leur sujet.

La transition forestière appelle surtout à l’action, à une mobilisation collective et positive aux côtés de ceux qui sont en première ligne face au défi du changement climatique. Je pense aux propriétaires, aux gestionnaires, aux exploitants et aux industriels du secteur forestier. Le Gouvernement est à leurs côtés, en consacrant des moyens inédits au secteur forestier dans le cadre de la planification écologique.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, pour la réplique.

M. Gilbert-Luc Devinaz. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, mais ma question portait sur la façon dont vous envisagiez d’appliquer le règlement européen adopté le 27 février dernier.

Les conséquences sur la biodiversité seront l’indicateur qui nous permettra de mesurer les évolutions dans le temps, au-delà des effets d’annonce, qui ne peuvent pas compenser l’action.

conditions de travail des conducteurs de vtc durant les jeux olympiques

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, auteur de la question n° 1023, transmise à M. le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le ministre, voilà maintenant plus de dix ans qu’Uber s’est implanté en France, proposant l’illusion d’une vie de chef d’entreprise à des individus en quête d’un emploi décent.

L’État a tout mis en œuvre pour favoriser l’émergence de cette plateforme, faisant ainsi des chauffeurs de voiture de transport avec chauffeur (VTC) des acteurs incontournables dans le paysage des transports parisiens.

Malgré cette contribution, ils seront exclus des voies olympiques prioritaires lors des jeux Olympiques de Paris 2024. Cette décision aura un impact significatif non seulement sur eux, mais également sur les usagers de ces moyens de mobilité.

Pour résumer, ces hommes et des femmes qui n’ont rien – ni droit ni protection – se retrouveront, en plus, pendant les jeux, relégués dans la grande couronne parisienne, où la demande sera très faible !

Étant donné la responsabilité des gouvernements successifs dans l’essor de ces emplois, il devient impératif de garantir des conditions de travail décentes pour les conducteurs de VTC. C’est d’ailleurs le sens de la directive européenne qui vient d’être adoptée sur les droits des travailleurs des plateformes.

Dans cette perspective, monsieur le ministre, quelles sont les mesures que le Gouvernement compte mettre en place afin d’éviter que les chauffeurs de VTC ne soient exclus lors des jeux Olympiques qui se dérouleront à Paris à partir de juillet 2024 ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement. Monsieur le sénateur Pascal Savoldelli, vous interrogez le Gouvernement sur les conditions de circulation des VTC pendant les jeux Olympiques. Concernant les déplacements et les plans de circulation durant cette période, deux dispositifs spécifiques seront mis en œuvre.

Il y aura, d’abord, des voies olympiques et paralympiques réservées, dont l’objectif premier sera de permettre aux personnes accréditées de relier les sites olympiques dans les délais définis par le Comité international olympique (CIO). Les accès possibles à ces voies sont définis par la loi. Il s’agit, en premier lieu, des transports en commun et des véhicules d’urgence. Les taxis peuvent y avoir accès – et non les VTC –, sous réserve de la fluidité du trafic et à l’appréciation du préfet de police.

Pour la plupart, une seule voie est mobilisée sur l’axe routier, les autres voies restant, bien entendu, accessibles à l’ensemble des usagers.

Ensuite, des zones de circulation restreinte seront mises en place autour des sites olympiques. Celles-ci seront, pour des raisons de sécurité, définies par le préfet de police, après une large consultation. Les taxis et les VTC auront les mêmes droits et interdictions d’accès à ces zones.

Par ailleurs, les clients des VTC pourront accéder aux différentes zones ouvertes à la circulation sur le territoire francilien.

Les chauffeurs VTC ne seront ni pénalisés ni exclus des jeux Olympiques 2024. Nous avons besoin de la mobilisation de tous les opérateurs de mobilité !

Tout comme pour les taxis, l’accès à la profession de chauffeur indépendant de VTC est réglementé. Les candidats sont soumis à l’obligation de réussite à un examen, largement commun à celui des taxis, sauf pour les personnes qui, ayant une expérience significative dans le domaine des transports, bénéficient d’une équivalence.

Les chauffeurs indépendants de VTC sont, par ailleurs, soumis à des règles d’accès à la profession : inscription sur un registre, honorabilité, garantie financière…

Le Gouvernement a mis en place, sous l’égide de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (Arpe), un dispositif original de dialogue social, lequel a permis de mettre en place, depuis 2021, les premiers accords entre les plateformes et les chauffeurs visant à la régulation sociale du secteur. Je pense, par exemple, aux règles applicables par les plateformes en cas de désactivation des comptes ou à la mise en place d’un revenu minimal par course.

Enfin, l’État a réaffirmé, par ordonnance, les principes d’indépendance qui doivent prévaloir dans la relation entre les plateformes et les travailleurs.

Cependant, le Gouvernement reste vigilant sur la pérennité et l’équilibre de ce dialogue.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la réplique.

M. Pascal Savoldelli. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre, mais il me semble que, sur la question des travailleurs des plateformes, vous vous tirez une balle dans le pied.

Depuis 2010, une concurrence déloyale a été imposée par ce nouveau modèle économique, rendant nécessaire la mise en œuvre d’un dialogue social et d’une régulation. Alors que de nombreux collectifs de taxis ont engagé des procédures judiciaires, vous n’avez jamais rien fait pour réparer les injustices dont sont victimes l’ensemble des acteurs concernés !

Puisque nous parlons de dialogue social et de régulation, je vous demande l’application, au niveau national, de la directive européenne. C’est l’occasion unique de mettre en place les normes et les protections nécessaires.

Il est impératif que le droit français assure, au plus vite, des droits équitables aux travailleurs des plateformes. Ainsi, nous mettrons fin à leur marginalisation.

Au-delà de cette parenthèse des jeux Olympiques, nous devons garantir le respect de la dignité de toutes ces femmes et de tous ces hommes travaillant pour le compte des plateformes numériques.

compétence eau et assainissement

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, auteure de la question n° 1143, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Mme Viviane Artigalas. Monsieur le ministre, la loi du 27 décembre 2019 permet aux communautés de communes de déléguer, par convention, tout ou partie des compétences eau, assainissement et gestion des eaux pluviales urbaines à une commune ou à un syndicat infracommunautaire existant au 1er janvier 2019.

Des communes exercent actuellement la compétence « eau ». Elles assurent, via des conventions, la production par captage puis la fourniture d’eau potable pour plusieurs autres.

C’est, par exemple, le cas de la commune de Villelongue, dans les Hautes-Pyrénées, qui, grâce à six sources captées, assure la fourniture d’eau potable pour ses habitants et ceux de trois autres communes voisines, soit 2 070 habitants au total. Ces conditions d’organisation de distribution d’eau potable sont régies par des conventions entre les communes concernées.

Cette situation locale et ces modalités de gestion donnent entièrement satisfaction aux élus locaux, raison pour laquelle la perspective du transfert obligatoire des compétences eau et assainissement aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) au 1er janvier 2026 les inquiète.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que ces modalités de gestion pourront perdurer par conventionnement avec l’intercommunalité au-delà de cette date ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement. Madame la sénatrice Viviane Artigalas, l’accès à l’eau potable représente un enjeu fondamental sur l’ensemble du territoire national.

L’échelon communautaire a été choisi par le législateur pour remédier aux difficultés sanitaires, économiques et écologiques engendrées par l’émiettement des services. En effet, la mutualisation des moyens financiers et d’expertise à cette échelle permet d’améliorer la résilience et de moderniser les réseaux de distribution d’eau potable. C’est cette logique qui sous-tend le transfert obligatoire aux communautés de communes de la compétence eau au 1er janvier 2026.

Concrètement, cela signifie que l’ensemble des composantes du service d’eau potable, de la production à la distribution, en passant par le transport et le stockage, sera assuré par les communautés de communes. En conséquence de ce transfert, la communauté de communes se substituera de plein droit aux communes qui la composent dans tous leurs actes, dont les éventuelles conventions concernant la production et la fourniture d’eau potable.

Toutefois, madame la sénatrice, je tiens à vous rassurer : en application de l’article L. 5214-16 du code général des collectivités territoriales, la communauté de communes pourra déléguer, par convention, tout ou partie de ses compétences relatives à l’eau à l’une de ses communes membres. Dans ce cadre, les compétences déléguées seront exercées par la commune au nom et pour le compte de la communauté de communes.

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.

Mme Viviane Artigalas. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, qui me convient.

Pour de nombreuses communes, le service de l’eau répond d’abord à une logique géographique de bassin versant, réalité parfois éloignée des frontières administratives des EPCI. C’est particulièrement vrai en montagne, ainsi que dans les territoires où l’habitat est dispersé et la densité de population faible.

Les difficultés que pose le transfert obligatoire de la compétence eau et assainissement prouvent à quel point il est complexe de tenir compte des besoins et des spécificités des territoires.

Dans certains cas, c’est bien la commune qui reste l’échelon le plus pertinent pour l’exercice de cette compétence : la compétence doit alors rester optionnelle ou, a minima, comme vous l’avez dit, pouvoir, par conventionnement, être entièrement déléguée aux communes.

aménagement du territoire des aéroports régionaux

Mme la présidente. La parole est à M Claude Nougein, auteur de la question n° 1133, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports.

M. Claude Nougein. Monsieur le ministre, les aéroports régionaux et les lignes d’aménagement du territoire (LAT) traversent aujourd’hui des zones de turbulence.

Depuis 2002, l’État a mis en place des obligations de service public (OSP) sur des liaisons aériennes métropolitaines, afin que puissent être desservies des destinations qui ne le seraient pas dans les conditions normales du marché.

Ces territoires sont également desservis de manière catastrophique par le réseau ferré. Par exemple, dans mon département, la Corrèze, alors que le Capitole mettait trois heures quarante-cinq pour rejoindre Paris depuis Brive-la-Gaillarde en 1970, Intercités met aujourd’hui quatre heures trente au minimum – les retards sont fréquents – pour le même trajet. Admirez le progrès : quarante-cinq minutes en plus en cinquante ans ! (M. Christian Cambon sexclame.)

De nombreuses lignes étaient opérées historiquement par Air France, puis par sa filiale HOP ! À la suite de l’épidémie de covid-19, l’État est intervenu pour aider massivement le groupe Air France-KLM, avec des subventions ou des prêts, à hauteur de 7 milliards d’euros – 3 milliards d’euros de prêts de l’État actionnaire et 4 milliards d’euros de prêts bancaires garantis par l’État, les PGE.

Que s’est-il passé depuis cette date ? En guise de remerciement envers la Nation, Air France a abandonné tous les territoires ruraux les uns après les autres lors des renouvellements des OSP. L’entreprise ne fait même plus acte de candidature !

La première victime de ce désengagement fut l’aéroport de Brive, dans mon département, puis ce fut le tour de tous les aéroports, à chaque renouvellement d’OSP. Par exemple, Air France a abandonné Rodez, Aurillac, Limoges, Le Puy-en-Velay, Castres, c’est-à-dire toute cette zone centrale de la France qui n’est pas desservie par le TGV. C’est un véritable abandon des territoires ruraux !

Est-ce une volonté de les abandonner purement et simplement ? L’abandon par Air France a-t-il été piloté par l’État, actionnaire à hauteur de 30 %, ce qui, me semble-t-il, lui donne son mot à dire ?

Monsieur le ministre, ma question est simple : allez-vous demander à Air France de réviser sa position et de reprendre ces lignes d’aménagement du territoire, soit en direct, soit en affrètement, comme il le faisait dans de nombreux aéroports avant cet abandon tragique ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement. Monsieur le sénateur Claude Nougein, le Gouvernement vous rejoint sur l’importance qu’il convient d’accorder à la connectivité des territoires les plus enclavés.

Depuis la crise sanitaire, le trafic aérien en métropole a connu des évolutions structurelles, en raison notamment des changements des habitudes de travail. On observe une diminution très sensible du trafic lié aux voyages d’affaires : le nombre de passagers faisant des allers-retours dans la journée a baissé de 60 %. Tandis qu’en novembre 2023, le trafic aérien, en France, dans son ensemble, avait rejoint son niveau de 2019, le trafic domestique dépassait à peine 75 % de son niveau d’avant la crise.

Ce contexte a bien évidemment bouleversé l’équilibre économique de toutes les lignes d’aménagement du territoire. La baisse constatée du trafic et l’augmentation de certains postes de coûts ont provoqué une augmentation des compensations financières demandées aux collectivités locales et à l’État. Face à la hausse de ces compensations, certaines collectivités ont fait le choix de supprimer la délégation de service public, d’autres de réduire le service.

Le groupe Air France, qui exploitait quatre lignes d’aménagement du territoire avant la crise sanitaire, a tenu son engagement de ne pas dénoncer les délégations de service public en cours. Malgré les pertes, Air France et HOP ! ont ainsi été contraints d’aller jusqu’au terme de l’exécution des conventions de délégation de service public.

Dans le même temps, Air France doit mettre en œuvre toutes les solutions permettant de mettre fin aux pertes rencontrées sur le réseau domestique, ce qui explique le désengagement progressif des LAT entrepris par la compagnie.

Face à cette réalité, l’État demeure aux côtés des collectivités qui renouvellent et financent les contrats de délégation de service public. En 2023, 22 millions d’euros y ont été consacrés, dont plus de la moitié pour les LAT métropolitaines.

Outre ces montants, l’État apporte également toute son aide technique aux collectivités pour la définition d’obligations de service public qui soient le mieux ajustées possible pour répondre à la défaillance du marché, à l’effondrement de la demande et remédier aux particularités des formes d’enclavement territorial.

couvre-feu à vingt-trois heures pour l’aéroport d’orly

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Cambon, auteur de la question n° 1150, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports.

M. Christian Cambon. Monsieur le ministre, je reste dans le domaine aéronautique pour vous parler, une fois de plus dans cet hémicycle, des nuisances de l’aéroport d’Orly, dans le Val-de-Marne, qui ont évidemment un impact sur la santé des riverains.

Cet aéroport est inclus dans un tissu urbain particulièrement dense et provoque beaucoup de nuisances. C’est pourquoi, en 1968, un couvre-feu avait été établi entre vingt-trois heures trente et six heures du matin, avec la possibilité de stopper l’ensemble des vols. Par ailleurs, le trafic a été plafonné depuis 1994.

Malheureusement, cet aéroport s’est étendu sur quatre îlots, et ce sont maintenant plus de 740 000 riverains qui subissent l’augmentation du trafic aérien, avec une exposition au bruit qui, bien évidemment, a des conséquences directes sur leur santé.

Toutes les mesures qui ont été établies ont montré que, pour respecter les directives européennes, nous devrions baisser le bruit d’au moins 6 décibels. Des experts sollicités par le Gouvernement proposent d’avancer le début du couvre-feu de vingt-trois heures trente à vingt-trois heures, ce qui rallongerait le temps de sommeil des riverains de trente minutes – croyez-moi, ce n’est pas énorme !

C’est le seul scénario acceptable, et tous les élus du Val-de-Marne sont unanimement mobilisés pour soutenir cette proposition, laquelle présenterait l’intérêt d’assurer la conformité du plan de prévention du bruit dans l’environnement (PPBE) de l’aéroport d’Orly à celui de la métropole du Grand Paris, qui a été voté à l’unanimité des 131 communes membres.

Aussi, monsieur le ministre, ma question est-elle simple : le Gouvernement a-t-il l’intention de prendre cette mesure pour faire en sorte que les riverains aient enfin sept heures consécutives pour dormir, ce qui serait bon pour leur santé ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement. Monsieur le sénateur Christian Cambon, vous appelez l’attention du ministre chargé des transports sur la protection des habitants exposés aux nuisances sonores aériennes de l’aéroport de Paris-Orly.

Comme vous le rappelez, le trafic sur cet aéroport est déjà soumis à des restrictions d’exploitation aéroportuaire qui figurent parmi les plus contraignantes d’Europe et font l’objet d’une surveillance stricte des autorités locales de l’aviation civile.

Depuis 1968, un couvre-feu y est en vigueur, entre vingt-trois heures trente et six heures et, depuis 1994, le trafic y est plafonné à 250 000 créneaux par an.

Le plan de prévention du bruit dans l’environnement de l’aéroport, qui a été approuvé le 17 mars 2022, prévoyait la réalisation d’une étude d’impact selon l’approche équilibrée, sur laquelle les ministres chargés de l’environnement et des transports pourraient s’appuyer pour adopter de nouvelles restrictions d’exploitation.

Le plan de prévention prévoyait de diminuer le bruit généré entre vingt-deux heures et six heures d’au moins 6 décibels par rapport à la situation de référence de 2018 et, sur le même périmètre, de diviser par deux l’indicateur sanitaire de fortes perturbations du sommeil.

Ces objectifs du plan de prévention ont été pris en compte dans l’étude d’impact dirigée par la préfète du Val-de-Marne. Toutefois, cette étude a mis en évidence un biais dans l’indicateur acoustique retenu de nature à fragiliser l’objectif de réduction du bruit de 6 décibels contenu dans le PPBE.

Ce constat a été partagé avec l’ensemble des parties prenantes, dont les élus locaux concernés, lors d’une réunion d’information qui s’est tenue le 26 octobre 2023.

L’étude d’impact est maintenant finalisée, et plusieurs scénarios de restriction ont été soigneusement étudiés. Ils comportent chacun des mesures ambitieuses, d’un niveau inédit en Europe.

Monsieur le sénateur, soyez assuré que le ministre de la transition écologique et le ministre chargé des transports tireront prochainement de ces travaux toutes les conclusions utiles à la préservation de l’équilibre entre les intérêts économiques des territoires, d’une part, et la protection de la population contre les nuisances sonores, d’autre part.

Je vous confirme, enfin, sur un plan plus général, que le Gouvernement s’est engagé de manière constante à maîtriser les nuisances sonores du transport aérien, tout particulièrement en région parisienne, où la densité de population majore bien évidemment les problèmes.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Cambon, pour la réplique.

M. Christian Cambon. Monsieur le ministre, puisque vous êtes chargé du logement, je pense que vous avez le souci de faire en sorte que nos concitoyens puissent dormir convenablement.

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. Tout à fait !

M. Christian Cambon. Vous savez très bien que l’actuel couvre-feu n’est pas respecté par les compagnies aériennes, singulièrement par les compagnies low cost, qui, du reste, subissent de lourdes amendes.

Si le Gouvernement pouvait imposer ces trente minutes supplémentaires, le sort et la santé de la population riveraine connaîtraient une amélioration sensible. Croyez-moi, les gens sont à bout ! Il faut vraiment faire quelque chose.

Je compte sur votre engagement personnel, monsieur le ministre du logement.

extension des délégations que le conseil municipal peut consentir au maire

Mme la présidente. La parole est à Mme Pauline Martin, auteure de la question n° 1094, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Mme Pauline Martin. Monsieur le ministre, la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS, promulguée il y a tout juste deux ans, a permis, grâce au travail de mes collègues, une extension des délégations que le conseil municipal peut consentir au maire.

Dans ce cadre, les décisions d’admission en non-valeur peuvent être déléguées par l’organe délibérant à l’exécutif local. Cependant, c’est au pouvoir réglementaire qu’a été laissé le soin de fixer le seuil de ces montants : le décret du 29 juin 2023 a ainsi fixé ce seuil, pour les communes, à 100 euros. Je pense que vous me voyez venir, monsieur le ministre… (Sourires.)

À l’usage, ce seuil apparaît bien trop faible. Les conseils municipaux sont tenus de prendre des délibérations d’admission en non-valeur quasiment à chaque séance. Ces dernières sont prises de manière consensuelle, mais elles sont chronophages pour les élus et, surtout, pour les services administratifs de nos mairies.

Dans le cadre de la démarche de simplification de l’action publique locale annoncée, je vous sollicite afin que les conseils municipaux puissent fixer eux-mêmes un montant maximal des créances irrécouvrables au-delà duquel une telle délégation ne peut advenir, au même titre que pour d’autres délégations, comme l’avaient prévu les parlementaires.

Permettez-moi, monsieur le ministre, d’insister sur la nécessaire reconnaissance de la libre administration de nos collectivités par des hommes et des femmes qui ne ménagent pas leur peine au quotidien.

Comme je vous ai sous la main, je poursuis au-delà de ma question… (Sourires.)

Nous sommes très souvent interpellés par les maires et les acteurs économiques locaux sur les enjeux de votre prochain projet de loi sur le logement. N’oubliez pas de solliciter les sénateurs de la majorité, qui ont toujours de bonnes idées ! (Nouveaux sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement. Madame la sénatrice Pauline Martin, je vais essayer de répondre à vos deux questions.

Pour ce qui concerne la première, afin de fluidifier la procédure d’admission en non-valeur des créances irrécouvrables de faible montant, l’article 173 de la loi 3DS ouvre la possibilité aux assemblées délibérantes des communes, départements et régions de déléguer cette décision à leur exécutif.

La détermination du seuil plafond de délégation des décisions d’admission en non-valeur a pour objectif de garantir la sincérité comptable, en admettant plus rapidement en non-valeur l’ensemble des créances irrécouvrables, tout en garantissant aux assemblées délibérantes la maîtrise des impacts budgétaires.

Ce seuil, fixé par le Gouvernement, a été défini conjointement avec les associations d’élus, afin de garantir un équilibre satisfaisant pour l’ensemble des acteurs de la chaîne de recettes. Il a été fixé à 100 euros pour les communes et les départements et à 200 euros pour les régions, à leur demande.

Pour les communes, ce seuil de délégation à 100 euros avait pour ambition de couvrir 77,6 % des dossiers de restes à recouvrer, la simplification du traitement financier de ces dossiers étant de nature à améliorer la comptabilité des collectivités.

La publication du décret d’application date du 23 juin 2023. La mise en place du dispositif est donc très récente pour les services de gestion comptable. Un bilan de la mesure sera effectué, qui permettra d’adapter le seuil plafond de délégation des décisions d’admission en non-valeur si les effets escomptés ne sont pas obtenus.

J’en viens à la seconde partie de votre intervention, plus en lien avec mes compétences ministérielles. Je vous confirme que le Gouvernement travaille actuellement à l’élaboration d’un projet de loi relatif au logement. Nous avons l’ambition de finaliser sa préparation au cours des prochaines semaines, afin de le présenter au conseil des ministres à la mi-mai, avec une première lecture au Sénat au milieu du moins de juin.

Je travaille activement à l’élaboration de ce projet de loi avec l’ensemble des associations de collectivités, avec tous les acteurs du logement, notamment les bailleurs sociaux, ainsi qu’avec les élus eux-mêmes, locaux et nationaux. J’ai d’ailleurs reçu Mme Estrosi Sassone la semaine dernière, ainsi que Mme Sophie Primas.

Je poursuis les échanges, en garantissant, bien sûr, un haut niveau d’interactions, pour préparer au mieux ce projet de loi dans des délais très contraints. Nous en reparlerons très bientôt, madame la sénatrice.

Mme la présidente. La parole est à Mme Pauline Martin, pour la réplique.

Mme Pauline Martin. Message reçu, monsieur le ministre ! (Sourires.)

interdiction d’emploi de bardage bois en cas de rénovation de façades

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat, auteur de la question n° 1110, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Cyril Pellevat. Monsieur le ministre, le décret n° 2019-461 et l’arrêté du 7 août 2019 relatif à la protection contre l’incendie des bâtiments d’habitation interdisent désormais l’emploi de bardage bois en cas de rénovation de façades pour les constructions de 28 mètres, et de 9 mètres lorsqu’il s’agit d’un établissement recevant du public.

Dans les stations de sports d’hiver, la majorité des constructions sont en bois et sont donc concernées par cette nouvelle réglementation, qui va à l’encontre non seulement de l’aspect architectural originel des stations et de l’identité de montagne, mais aussi de la filière bois française et des exigences d’une rénovation thermique écologique et efficace.

En Haute-Savoie, la commune de Morzine, labellisée « Patrimoine du XXe siècle » et « Architecture contemporaine remarquable », est particulièrement inquiète des conséquences, pour son patrimoine, de ces nouvelles règles, qui imposent l’usage de matériaux composites, d’aluminium ou de plastique. Les communes hautes-savoyardes de La Clusaz, Châtel ou encore Les Gets sont elles aussi concernées, et, dans l’ensemble, toutes les stations du territoire français pourraient être pénalisées.

Aussi, monsieur le ministre, je souhaite savoir s’il serait envisageable de prévoir un moratoire sur l’application de cette réglementation, puis de prévoir des dérogations pour les immeubles de moyenne hauteur (IMH) de montagne en bois de rénovation, afin de préserver l’architecture montagnarde.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement. Monsieur le sénateur Cyril Pellevat, je vous remercie de votre question. Vous relayez ici des demandes qui nous sont également parvenues du président du conseil départemental de Haute-Savoie et du maire de Morzine-Avoriaz.

Tout d’abord, sachez que le Gouvernement est attaché à la préservation du patrimoine architectural de nos territoires, dont la commune de Morzine-Avoriaz est le parfait exemple.

La réglementation relative à la sécurité incendie a été mise à jour en 2019 pour ce qui concerne les dispositions applicables lors de la rénovation des façades des bâtiments existants. Celle-ci définit des critères quant à la réaction aux feux de façades, avec une exigence croissante en fonction de la hauteur du bâtiment. Elle fait notamment suite à l’incendie de la tour Grenfell, au Royaume-Uni, dont la propagation très rapide a été attribuée à la présence du matériau d’isolation installé lors de la rénovation de la façade de l’immeuble. Plus récemment, l’incendie mortel d’un immeuble d’habitation à Valence, en Espagne, attribué à l’isolant, s’est également propagé par la façade.

Les façades sont un point d’attention majeur de la sécurité incendie, car elles permettent la propagation rapide du feu aux étages supérieurs et aux bâtiments situés à proximité.

Les évolutions réglementaires se sont appuyées sur une recommandation du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Elles visent à prévenir de tels événements et à garantir la sécurité des occupants. Le Gouvernement considère que la sécurité des occupants est une priorité et n’envisage donc pas de revoir à la baisse les exigences de cette réglementation ou d’y ajouter de nouvelles dérogations.

En revanche, il est important de rappeler que la réglementation permet de recourir à une approche alternative. Ainsi, sous réserve d’études spécifiques demandées à un laboratoire agréé en réaction et en résistance au feu, il est possible de faire valider une solution constructive innovante permettant d’utiliser du bois, sous certaines conditions techniques à définir. Si la performance d’un bardage bois au regard de la sécurité incendie est reconnue par le laboratoire, les exigences réglementaires pourront être satisfaites.

J’invite donc les communes et les acteurs qui souhaiteraient adopter cette approche alternative à se rapprocher, par exemple, du CSTB, afin d’identifier les études et les essais préalables nécessaires à la mise en place, demain, d’un bardage bois respectant à la fois la réglementation incendie et la cohérence architecturale des stations de sports d’hiver, à laquelle nous sommes bien évidemment, tout comme vous, monsieur le sénateur, profondément attachés.

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour la réplique.

M. Cyril Pellevat. Je vous remercie de ces éléments, monsieur le ministre.

Bien évidemment, nous sommes attachés à la sécurité des personnes. Vos réponses paraissent satisfaisantes ; nous verrons bien ! Quoi qu’il en soit, il faudra que nous veillions à ce que les règles « à définir » – l’expression est floue – soient cohérentes et puissent être mises en œuvre par les élus.

Je reste en tout cas à votre disposition pour travailler sur ce dossier, avec les acteurs qui vous ont sollicité. Nous devons aller plus loin. Nous devons définir des cases, mais, si nous pouvions trouver une solution innovante qui garantisse aussi bien la sécurité que l’architecture, notamment d’Avoriaz, ce serait un beau résultat.

demande de révision urgente de l’arrêté sur l’autoconsommation collective étendue

Mme la présidente. La parole est à M. Damien Michallet, auteur de la question n° 1082, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Damien Michallet. Monsieur le ministre, pour créer légalement un projet d’autoconsommation collective étendue, le point de soutirage et le point d’injection des participants ne peuvent être séparés que par une distance maximale de 2 kilomètres.

Récemment encore, il était possible de déroger à cette limite : l’arrêté du 21 novembre 2019 permettait au ministre chargé de l’énergie d’accorder une dérogation sur demande motivée de la personne organisatrice du projet d’autoconsommation démontrant l’isolement du lieu du projet et le caractère dispersé de l’habitat et d’autoriser une distance pouvant aller jusqu’à 20 kilomètres entre les participants.

La méthode était souple, avec un dialogue constructif entre l’État et les territoires.

Malheureusement, depuis l’arrêté du 19 septembre 2023, ce n’est plus possible. Désormais, pour que l’on puisse espérer une dérogation, il faut que le lieu du projet soit classé exclusivement sur une ou plusieurs communes rurales au sens de la grille communale de densité établie par l’Insee. La formule a été annoncée comme une avancée, mais, en réalité, c’est une régression. Sur le terrain, on s’interroge sur cette nouvelle contrainte.

Ainsi, j’ai été sollicité par la présidente du service départemental d’incendie et de secours de l’Isère (Sdis 38), qui s’est lancée dans l’aventure de l’autoconsommation collective. Avant la modification, le Sdis pouvait obtenir dix dérogations. Après la modification, seules quatre zones se conforment aux nouveaux critères. Concrètement, c’est le projet de tout un territoire, et potentiellement celui des sapeurs-pompiers, qui est compromis.

Monsieur le ministre, je vais aller à l’essentiel et faire simple : il faut changer l’arrêté.

Le Sdis de l’Isère, c’est 85 000 interventions, 112 casernes, 5 300 agents, 6 000 mégawattheures par an.

Grâce à ce projet, ce Sdis espérait diminuer de 20 % sa consommation sur le réseau, réduire sa facture de manière draconienne, tout en s’inscrivant dans une démarche collective.

C’est autant d’argent qui aurait pu être investi dans du matériel d’intervention pour lutter contre les incendies ou pour sauver des vies et développer l’intervention d’urgence. En responsabilité, nous ne pouvons pas faire d’économies sur le dos de nos sapeurs-pompiers !

Sans la modification de l’arrêté, le projet échouera, car c’est sa viabilité, rien de moins, qui sera remise en cause.

Monsieur le ministre, il faut laisser nos territoires entreprendre et développer les énergies renouvelables décarbonées.

Nous avons des objectifs nationaux à atteindre. Dès lors, soyons pragmatiques ! Pouvez-vous vous engager à modifier cet arrêté ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé du logement.

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement. Monsieur le sénateur Damien Michallet, les règles relatives aux opérations d’autoconsommation collective étendue prévoient que la distance maximale entre les points d’injection et/ou de livraison les plus éloignés au sein d’une même opération ne dépasse pas 2 kilomètres.

Des dérogations à ce critère de proximité géographique peuvent être accordées sur demande motivée auprès du ministre chargé de l’énergie. Depuis 2020, la distance maximale peut ainsi être étendue jusqu’à 20 kilomètres pour les projets situés en zone rurale ; depuis 2023, elle peut atteindre jusqu’à 10 kilomètres pour les projets situés en zone périurbaine.

Cette dernière évolution n’a pas rendu les critères précédents plus contraignants : au contraire, elle a apporté une base légale plus solide pour justifier les décisions, en complétant les possibilités de dérogation et en en prévoyant une nouvelle, de 10 kilomètres au maximum, à destination des zones périurbaines. L’évaluation des zones concernées par cette dernière évolution tient compte de la grille de densité communale de l’Insee, laquelle considère les communes de catégorie 3 et 4 comme périurbaines.

Le Gouvernement facilite ainsi le développement de l’autoconsommation, en lien avec sa volonté de développer les énergies renouvelables et de sécuriser et stabiliser la facture électrique des Français.

Dans le cas du service départemental d’incendie et de secours de l’Isère, les dérogations que vous évoquez n’auraient pas pu être obtenues précédemment, car elles ne correspondaient pas aux critères prévus. Au risque de vous décevoir, monsieur le sénateur, il n’est donc pas exact d’affirmer que l’arrêté du 19 septembre 2023 a fait échouer ce projet.

Je vous rappelle, enfin, que, l’autoconsommation étant un modèle dérogatoire et simplifié de fourniture, ces règles ont été fixées afin de protéger au mieux les consommateurs d’électricité.

Tels sont les éléments que je peux vous apporter aujourd’hui, même si je sais qu’ils ne répondent pas pleinement à votre question.

difficultés d’application de la loi d’orientation des mobilités

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, auteure de la question n° 1131, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Mme Cécile Cukierman. Par cette question, je me fais le porte-voix des communes du département de la Loire, notamment Écotay-l’Olme, Saint-Cyprien ou Boën-sur-Lignon, mais aussi de Loire Forez Agglomération, qui font toutes face à des difficultés d’application de la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM), notamment en ce qui concerne l’aménagement des itinéraires cyclables.

Les contraintes que nous rencontrons sur le terrain, en particulier dans les zones rurales, comme celles de mon département, nous amènent à nous interroger sur l’adaptabilité de la loi à la diversité des situations locales.

Dans un contexte majoritairement rural, la configuration des routes dans notre département ne permet généralement pas d’obtenir la largeur de voirie requise pour permettre les réalisations prévues, les largeurs moyennes étant proches de quatre mètres.

À cela s’ajoute un contexte hydraulique qui complexifie les projets de rénovation de voiries.

Il existe ainsi des accotements enherbés qui pourraient, s’ils étaient aménagés, répondre aux obligations de prise en compte du cyclable et des piétons. Cependant, leur aménagement engendrerait une imperméabilisation supplémentaire des sols et l’augmentation des écoulements pluvieux dans les réseaux, en contradiction avec les dispositions de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience. S’y ajoutent également les contraintes de pente en territoire de montagne.

Enfin, monsieur le ministre, je tiens à vous rappeler que le respect de l’exigence posée par la loi ne saurait attenter aux capacités financières des collectivités, lesquelles sont de plus en plus restreintes.

Face à ces défis, le Gouvernement envisage-t-il de donner aux collectivités territoriales les moyens légaux de développer d’autres formes d’aménagements cyclables, de manière à compléter et à diversifier les options prévues par la LOM et de réduire les recours intentés à leur encontre ?

Une telle flexibilité est essentielle pour permettre une adaptation plus fine aux spécificités locales, tout en respectant les objectifs environnementaux et de mobilité durable.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé du logement.

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement. Madame la sénatrice Cécile Cukierman, l’article L. 228-2 du code de l’environnement prévoit, depuis 1997, que des aménagements cyclables doivent être réalisés en ville lors de travaux sur la voirie.

La loi d’orientation des mobilités de 2019 a étendu les possibilités d’aménagements pour répondre à cette obligation : bandes cyclables, voies vertes, zones de rencontre, etc. Depuis, ces différentes formes d’aménagements offrent aux collectivités un éventail de solutions pour répondre aux besoins des cyclistes, tout en tenant compte des contraintes que vous venez d’évoquer.

Ainsi, dans la majorité des cas, il est possible, en agglomération, de réaliser ces aménagements sans extension de l’emprise de la chaussée. Lorsque ces aménagements sont réalisés à l’occasion de travaux programmés, le surcoût est limité – c’est la raison d’être de cette disposition.

Les collectivités peuvent s’appuyer sur les recommandations et les guides mis à leur disposition par les services de l’État et le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema).

Dans la logique du plan Vélo et marche 2023-2027, le Gouvernement souhaite maintenir cette ambition de développement des aménagements cyclables, pour rendre la pratique du vélo possible partout en France.

Vous pouvez compter sur l’engagement du ministre délégué chargé des transports et du Gouvernement sur le sujet !

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la réplique.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le ministre, votre réponse ne correspond pas à la réalité du terrain !

Je vous invite à venir sur place dès la semaine prochaine afin de constater que, dans les communes dont je parle, la situation est un peu plus complexe que vous ne la décrivez.

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. Je transmettrai votre invitation au ministre délégué chargé des transports !

situation financière des centres sociaux bretons de plus en plus préoccupante

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, auteur de la question n° 1122, adressée à Mme la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

M. Jean-Luc Fichet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai reçu récemment, dans ma permanence, des présidents de centres sociaux.

Ces bénévoles consacrent beaucoup de temps à leurs responsabilités, qui sont importantes : ils sont employeurs, responsables économiques, responsables du budget et de la tenue des objectifs définis par leur conseil d’administration.

Lors de leur venue, tous m’ont alerté sur la situation financière absolument catastrophique dans laquelle ils se trouvent.

La caisse d’allocations familiales (CAF), au travers de conventions d’objectifs et de gestion (COG) 2023-2027, a un peu amélioré la situation, mais les collectivités locales sont régulièrement sollicitées pour mettre au pot. Conscientes du rôle que jouent les centres sociaux, celles-ci n’hésitent pas à abonder leurs budgets quand elles le peuvent. Cependant, tout cela ne suffit pas à rassurer les dirigeants et les salariés de ces centres, qui tirent la sonnette d’alarme.

Ces structures jouent un rôle important auprès des populations les plus précaires et les plus défavorisées, qui ont besoin de leur soutien.

Monsieur le ministre, comment mettre en place une politique économique cohérente dans le temps qui permette à nos bénévoles de remplir leur mission, aux côtés des salariés, afin que, dans les zones rurales comme dans les quartiers, les centres sociaux puissent jouer leur rôle pleinement et sereinement ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé du logement.

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement. Monsieur le sénateur Jean-Luc Fichet, le Gouvernement est fortement mobilisé pour favoriser le déploiement de la politique et des structures d’animation de la vie sociale.

Ces centres offrent des services aux familles et aux habitants de proximité. Ils contribuent à la cohésion sociale dans les territoires, en renforçant le pouvoir d’agir des familles et des habitants, ainsi qu’en facilitant l’accès aux droits.

C’est pourquoi des mesures ont été prises au sein de la nouvelle convention d’objectifs et de gestion de la branche famille de la sécurité sociale pour la période 2023-2027, signée le 10 juillet 2023. Ces ambitions et ces engagements ont été nourris par les bilans annuels des actions de la COG précédente, par les rapports d’évaluation de l’inspection générale des affaires sociales et par les besoins exprimés par les représentants des structures, partenaires locaux et nationaux des caisses d’allocations familiales.

De surcroît, la COG prévoit un soutien financier à la création de 611 nouvelles structures, dont 150 centres sociaux et 461 espaces d’animation de la vie sociale dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville ainsi que dans les zones de revitalisation rurale et dans les territoires non couverts.

Ces mesures de rééquilibrage territorial ont pour ambition d’apporter un soutien à toutes les familles, et plus particulièrement aux plus précaires d’entre elles, qui disposent d’un moindre accès à leurs droits et aux services en soutien à la parentalité. Le but est de favoriser le maillage des structures d’animation de la vie sociale, en ciblant les territoires faiblement couverts.

À titre d’illustration, la création de 50 centres sociaux supplémentaires a été intégrée, en juillet 2023, en comité interministériel des outre-mer, aux 72 mesures concrètes pour améliorer le quotidien des Ultramarins.

Ce soutien affirmé à la stratégie de développement des centres sociaux traduit, plus largement, l’engagement fort du Gouvernement à sécuriser et à pérenniser le fonctionnement des structures d’animation de la vie sociale, dans le contexte inflationniste actuel.

Une revalorisation des prestations de services, des animations collectives destinées aux familles et des animations locales est prévue, afin de soutenir les salaires des professionnels de ces structures. Par rapport à la précédente COG, 80 millions d’euros supplémentaires seront dédiés au fonctionnement desdits centres.

Le Gouvernement a néanmoins conscience des difficultés actuelles qui affectent un certain nombre de centres sociaux, fortement impactés par l’inflation et par la croissance de la demande sociale. La ministre du travail, de la santé et des solidarités rencontrera prochainement des représentants du bloc communal pour évoquer cette question.

La possibilité d’un nouveau soutien d’urgence à destination des centres les plus fragilisés est également à l’examen.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour la réplique.

M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le ministre, le temps est compté !

Les centres sociaux existants sont en grande difficulté. Il est très positif que l’on en crée de nouveaux : cela indique que l’on a pris la mesure de leur importance.

Cependant, plus que des aides ponctuelles, il faut une véritable stratégie politique donnant à nos bénévoles une visibilité dans le temps, afin de rendre le meilleur service aux populations.

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Sylvie Robert.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Mise au point au sujet d’un vote

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Anglars.

M. Jean-Claude Anglars. Lors du scrutin public n° 123, sur l’ensemble de la proposition de loi visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise, notre collègue Henri Leroy souhaitait voter contre.

Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin.

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Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles
Discussion générale (suite)

Retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles, présentée par M. Philippe Mouiller et plusieurs de ses collègues (proposition n° 307, texte de la commission n° 423, rapport n° 422).

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles
Article 1er

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Mouiller, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

M. Philippe Mouiller, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où nous commençons notre débat, la colère du monde agricole n’est pas éteinte. Nous savons tous que celle-ci a des causes multiples, et que le texte que nous allons examiner ne réglera pas tout.

Cependant, nous savons aussi, depuis de nombreuses années, que le niveau des pensions de retraite des exploitants agricoles est bien plus bas que celui des autres travailleurs et qu’il n’a absolument pas de rapport avec le travail fourni par les agriculteurs, ce qui constitue une véritable injustice.

Il y a un peu plus d’un an, nous étions déjà réunis pour examiner la proposition de loi de notre collègue député Julien Dive, que nous avons adoptée sans une voix dissonante. Par celle-ci, devenue loi du 13 février 2023 visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses, le législateur a fixé le principe du calcul des pensions de retraite agricole à partir des vingt-cinq meilleures années, de façon globale.

Ce principe, qui s’applique à l’immense majorité des travailleurs du privé, s’impose encore plus pour les exploitants agricoles, dont les revenus sont soumis à d’importants aléas.

Néanmoins, pour vertueuse que fût la « loi Dive », elle manquait peut-être de précision. En tout état de cause, après avoir affirmé l’objectif de la réforme des retraites agricoles, elle confiait au Gouvernement toute autorité pour en définir les modalités pratiques.

Le Sénat et sa commission des affaires sociales n’ont certes pas ignoré ce risque : notre rapporteur, Pascale Gruny, dont je salue l’engagement et le travail quotidien sur ce sujet, nous a alertés, appelant notre assemblée à rester extrêmement vigilante sur l’application de la loi.

Toutefois, sur une telle question, nous n’avons pas souhaité prolonger la navette, pour ne pas retarder le début des travaux de préparation de la réforme, donc sa mise en œuvre, fixée à 2026. Nous avons fait le pari de la confiance au Gouvernement, que nous avons habilité à agir au plus vite.

Hélas, monsieur le ministre, si nous attendons les prochaines annonces, nous devons bien constater aujourd’hui que ce pari est en passe d’être perdu !

Ainsi, la loi prévoyait que le rapport de préfiguration de la réforme nous soit remis dans un délai de trois mois. Un an plus tard, après vous avoir interpellé en vain, à de nombreuses reprises, sur la date de rendu de ce document, nous avons appris avec étonnement – c’est un euphémisme ! – que la presse avait pu le consulter avant la représentation nationale.

Il a fallu que nous usions des pouvoirs de contrôle qui nous sont conférés par la loi organique et fassions savoir au Premier ministre notre intention de nous rendre à Matignon afin de récupérer le rapport pour que celui-ci nous soit finalement transmis. Alors que Pascale Gruny s’était mobilisée le matin, nous avons reçu – comme par hasard… – le document l’après-midi même.

Je vous le dis franchement, monsieur le ministre : un tel manque de considération à l’égard du Parlement n’est pas acceptable.

M. Jacques Grosperrin. Vous avez raison !

M. Philippe Mouiller. Les rapports officiels ne sauraient être connus par la représentation nationale uniquement par voie de presse.

Le pire était pourtant à venir, à la lecture de ce fameux travail et du scénario de réforme visiblement privilégié par le Gouvernement : une véritable usine à gaz technocratique, distinguant deux parties dans la carrière des agriculteurs – avant et après 2016 –, mêlant deux modes de calcul, par annuités et par points, pratiquement impossible à mettre en œuvre, en tout cas incompréhensible pour la quasi-totalité des assurés.

Tout cela pour quel résultat concret ? Presque un tiers de perdants, une moitié d’agriculteurs qui ne percevraient aucun changement, un agriculteur sur cinq seulement qui y gagnerait. J’y insiste, ce choix ferait sensiblement plus de perdants que de gagnants.

Le jeu en valait-il la chandelle ? Nous pourrions presque en rire si une telle provocation ne risquait d’alimenter la profonde colère sociale ressentie dans nos campagnes.

À l’inverse, ce rapport passe sous silence ou presque le scénario du calcul des pensions de retraite agricoles sur les vingt-cinq meilleures années en points, pour lequel les rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat avaient manifesté avec insistance leur préférence lors de l’examen de la proposition de loi Dive.

Deux pages seulement, sur plus de 300, sont consacrées à ce scénario, et seulement pour indiquer que celui-ci n’a pas fait l’objet d’un examen approfondi, à la demande du Gouvernement. Ce voile pudique est d’autant plus étonnant que l’inspection générale des affaires sociales (Igas) avait présenté ce même scénario au Parlement, en 2012, comme le seul à ne pas faire de perdants.

Face à cet enterrement programmé de toute réponse sérieuse à la demande de justice de nos agriculteurs en matière de retraite, le Parlement avait le devoir de réagir. C’est pourquoi, dès le lendemain de la communication du rapport, j’ai déposé, avec Pascale Gruny, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

Dans le scénario privilégié par le Gouvernement, c’est le passage à un régime par annuités et la disparition d’un barème redistributif d’attribution de points de retraite qui causeraient l’essentiel des pertes pour les agriculteurs. Pour éviter cela, il faut que le passage au calcul des pensions sur la base des vingt-cinq meilleures années aille de pair avec le maintien d’un régime par points. Autrement dit, il faut calculer les pensions de retraite agricoles sur la base des vingt-cinq meilleures années en points.

Tel est le sens de ce texte, qui a reçu le soutien le plus ferme de la Mutualité sociale agricole (MSA) et de la profession.

Pascale Gruny nous l’a dit : le coût de cette réforme serait bien inférieur à celui qu’avait anticipé l’Igas en 2012. Il avoisinerait au maximum 300 millions d’euros d’ici à vingt ans, loin des 500 millions d’euros projetés.

Au reste, les seuls assurés qui n’y gagneraient pas n’y perdraient pas non plus. Il s’agit de ceux dont la pension est portée, aujourd’hui, au niveau des minima du régime agricole et restera, demain, malgré l’amélioration du niveau des pensions, en dessous de ce niveau : ils continueront à bénéficier des minima. Quant aux autres, la réforme leur apportera un complément de pension non négligeable, pouvant aller jusqu’à 190 euros par mois.

À ceux qui, pour masquer leur embarras, nous opposeront des arguties techniques ou nous expliqueront que ce dispositif ne serait pas applicable, je dirai deux choses simples.

D’une part, nous l’avons vu, ce mode de calcul est précisément celui que l’Igas préconisait dès 2012. Nous en avons simplement extirpé les détails qui pouvaient encore créer de rares perdants. C’est un gage de sérieux, me semble-t-il.

D’autre part, aux dires mêmes du gestionnaire du régime, la MSA, dont nous avons entendu les représentants en commission, non seulement ce scénario est applicable, mais il est même le seul à pouvoir être appliqué dès 2026, ce qui permet de respecter l’engagement qui a été pris.

Permettez-moi d’insister sur cette échéance, monsieur le ministre. Depuis plusieurs semaines, on nous habitue à l’idée que la réforme n’entrera pas en vigueur avant 2028. De fait, les scénarios examinés par le Gouvernement sont si complexes qu’il est probable qu’aucun d’entre eux ne puisse techniquement être mis en œuvre avant cette date, voire plus tard.

Or souvenons-nous que la proposition de loi de Julien Dive prévoyait initialement une entrée en vigueur en 2024. Si le Parlement a accepté, l’an dernier, de repousser celle-ci à 2026, une chose est claire : la profession comme la majorité sénatoriale n’admettront pas un nouveau report, et encore moins un enterrement de cette réforme.

La loi est l’expression de la volonté générale, non une recommandation. Elle ne suggère rien au Gouvernement ; elle l’oblige. Le législateur s’étant prononcé l’an dernier, il revient au Gouvernement d’appliquer sa décision à la date prescrite.

Avec cette proposition de loi, nous vous aidons, monsieur le ministre : nous avons trouvé une solution qui vous permettra de trouver la voie du respect de vos engagements. Vous devriez remercier le Sénat de cette initiative, qui vous donne la possibilité, grâce aux nombreux travaux que nous avons menés, de tenir les engagements pris à la fois par le Président de la République et par le Gouvernement.

Mes chers collègues, nous représentons les territoires de France. Nous savons ce que l’agriculture représente pour notre pays ; nous savons quels efforts consentent chaque jour celles et ceux qui nous nourrissent.

Nous sortons d’une période de crise, durant laquelle une liste d’engagements a été prise pour l’ensemble de la profession agricole. En votant ce texte, nous pouvons largement répondre à l’attente concernant les pensions.

Le respect de l’engagement politique est essentiel, car, dans les campagnes, les bruits n’ont pas cessé, les mécontentements sont toujours là. Nous devons être extrêmement prudents, compte tenu des engagements qui ont été pris.

Nous devons, dans un souci de justice élémentaire, tenir la promesse d’une retraite améliorée que, tous ensemble, nous avons faite aux agriculteurs l’année dernière.

Je forme le vœu que nous retrouvions la même unanimité aujourd’hui sur ce texte, qui répond à un engagement pris il y a déjà plusieurs mois. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Jocelyne Guidez et Nadia Sollogoub applaudissent également.)

Mme Pascale Gruny, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la sagesse populaire ne nous exhorte-t-elle pas à ne jamais mordre la main qui nous nourrit ?

Le changement climatique entraîne aujourd’hui et entraînera encore, demain, des conséquences extrêmement néfastes sur les récoltes et les revenus agricoles.

Comment rester impassibles face au naufrage de l’agriculture française ? Il n’est plus temps d’attendre : il faut agir ! C’est précisément ce que nous vous proposons aujourd’hui.

Il y a un an, nous adoptions ici même, à l’unanimité, la proposition de loi de notre collègue député Julien Dive visant à fixer, à l’horizon de 2026, un objectif de calcul des pensions de retraite des non-salariés agricoles sur la base de leurs seules vingt-cinq meilleures années d’activité. Ces pensions reposent actuellement sur l’ensemble de leur carrière, dans le cadre d’un système par points, ce qui les désavantage injustement par rapport aux salariés et aux autres travailleurs indépendants. Tous ensemble, nous avons alors dit et redit notre souhait de voir la réforme profiter rapidement et réellement à nos paysans.

Hélas, un an a passé, monsieur le ministre, et que de désillusions !

La loi autorisait le Gouvernement à déterminer lui-même les paramètres de cette réforme, lesquels devaient faire l’objet d’une évaluation remise au Parlement dans un délai de trois mois.

Je m’étais inquiétée, dans mon rapport, de cette habilitation illimitée, qui n’accordait aucun droit de regard au Parlement. Nous avions cependant choisi de faire confiance au Gouvernement, au terme d’auditions qui m’avaient confirmée dans l’idée que nous irions de concert vers le scénario identifié par Yann-Gaël Amghar, dans un rapport de 2012, comme le seul à ne pas faire de perdants.

Il ne s’agissait pas de basculer d’un régime par points à un régime par annuités, mesure délétère qui ferait perdre aux exploitants les plus modestes le bénéfice d’un barème d’attribution des points de retraite particulièrement redistributif, qui leur garantit aujourd’hui un taux de remplacement supérieur au taux plein de 50 % applicable dans les régimes alignés.

Au contraire, il s’agissait de fonder le calcul des pensions sur les vingt-cinq meilleures années de points. En d’autres termes, la réforme devait consister à attribuer aux assurés, pour chaque année de leur carrière, un nombre de points égal au nombre annuel moyen de points acquis au cours de leurs vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses.

Mon collègue Julien Dive, à l’Assemblée nationale, et moi-même, au Sénat, avions clairement indiqué notre souhait que ce scénario soit retenu. Je pensais jusqu’alors que nous avions été entendus et compris.

Vous comprendrez donc, monsieur le ministre, ce que fut ma surprise à la lecture du rapport remis au Parlement.

Soit dit en passant, ce rapport n’a été remis qu’un an après la promulgation de la loi, qui fixait pourtant un délai de trois mois…

Par ailleurs, il ne l’a été qu’après que j’eusse informé le Premier ministre de mon intention d’user des prérogatives accordées par la loi organique aux rapporteurs de la commission des affaires sociales afin de me rendre en personne à Matignon pour en obtenir communication.

Enfin, le rapport n’a été remis qu’après avoir été allègrement consulté par la presse, visiblement érigée en troisième chambre du Parlement.

Quoi qu’il en soit, j’ai constaté que les rapporteurs n’avaient examiné, à la demande du Gouvernement, que trois scénarios de réforme, écartant d’un revers de main l’option retenue par le législateur, en se bornant à noter que celle-ci ne pouvait matériellement pas faire de perdants.

Que dire des scénarios évalués dans ce cadre ? La chose est relativement simple. Ces derniers ont en commun trois caractéristiques : une montée en charge extrêmement longue, courant, pour l’un d’entre eux, jusqu’aux années 2060 ; une extraordinaire complexité technique, mêlant points et annuités pour le calcul des pensions des différents assurés et, parfois, de la pension d’un même assuré ; un caractère fortement inéquitable, dans la mesure où une importante proportion d’assurés perdraient à la réforme, tandis que la majorité d’entre eux ne verraient aucun changement du montant de leur pension.

Le scénario qui aurait actuellement vos faveurs, monsieur le ministre, consiste à calculer, pour la partie de la carrière antérieure à 2016, une fraction de la pension dans le cadre de l’actuel système par points, puis, pour la partie de la carrière postérieure à 2015, une seconde fraction selon les paramètres des régimes par annuité, en ne retenant, pour cette dernière partie, qu’un nombre de meilleures années calculé au prorata de la durée de la seconde partie de la carrière par rapport à celle de l’ensemble de la carrière. J’ai bien peur, mes chers collègues, de vous avoir perdus… (Sourires.)

En dépit de cette complexité inouïe, 30 % des assurés subiraient des pertes, tandis que seulement 20 % bénéficieraient de gains. Il m’a été indiqué, au cours des auditions que j’ai menées, que le Gouvernement réfléchissait à limiter la proportion de perdants, en favorisant la convergence vers les régimes alignés.

Vous aurez malheureusement beau faire, monsieur le ministre, ce scénario fera toujours des perdants, y compris parmi les plus fragiles ! De fait, de l’aveu même des auteurs du rapport, les assurés à bas revenus ou à carrière heurtée qui ne bénéficieraient pas du taux plein ni, par conséquent, des minima de pension seraient lésés par l’abandon du régime par points.

Ce n’est pas acceptable, et c’est la raison pour laquelle nous vous proposons, avec le président de la commission des affaires sociales, Philippe Mouiller, dont je salue l’initiative, d’abroger les dispositions de la loi Dive, c’est-à-dire l’habilitation accordée au Gouvernement à déterminer par décret les paramètres de la réforme, pour inscrire nous-mêmes directement dans la loi les paramètres les plus justes et les plus équitables.

Cette solution est extrêmement simple, ce qui ne serait pas un luxe dans le cas particulier de ce régime : elle consiste à calculer les pensions liquidées à compter du 1er janvier 2026 sur la base des vingt-cinq meilleures années de points.

Pour parler plus clairement, il serait accordé à chaque assuré, pour chaque année de sa carrière, un nombre de points correspondant au nombre annuel moyen de points acquis pendant ses vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses. Le nombre total de points ainsi calculé serait alors multiplié par la valeur de service du point, comme on le fait aujourd’hui pour déterminer le montant de la pension.

En parallèle, la proposition de loi prévoyait la fusion de la part forfaitaire et de la part proportionnelle de la pension de retraite de base des non-salariés agricoles. Il s’agissait d’une volonté louable de simplification, tant l’architecture du régime est devenue illisible et incompréhensible pour la plupart de nos concitoyens.

Néanmoins, la Mutualité sociale agricole n’étant pas en mesure d’estimer avec précision les effets de cette mesure, et tandis que la retraite forfaitaire constitue un puissant instrument de redistribution, dans la mesure où son montant est le même, quel que soit le niveau des revenus, pour une carrière de même durée, la commission a supprimé les dispositions prévoyant cette fusion, pour ne conserver que celles qui portent sur le mode de calcul des pensions à proprement parler.

Au reste, moins nous modifierons les paramètres régissant le fonctionnement du régime, plus nous simplifierons la tâche de la MSA, garantissant ainsi l’applicabilité de la réforme au 1er janvier 2026.

Je l’ai dit et redit, et je veux le répéter encore aujourd’hui dans cet hémicycle : la réforme que nous proposons est la seule qui soit conforme à l’esprit de la loi que nous avons votée l’an dernier.

Je veux dire par là qu’elle est la seule – nul ne le nie, du reste – à ne pouvoir faire que des gagnants, ou, au moins, des « non-gagnants » parmi les assurés à la carrière linéaire.

Je veux également dire par là qu’elle est la seule à pouvoir être intégrée au système d’information de la MSA dans le délai imparti par la loi Dive et à pouvoir entrer en vigueur en 2026.

Au cours de mes travaux, j’ai interrogé la direction de la sécurité sociale sur sa capacité à s’engager sur la mise en œuvre du scénario retenu par le Gouvernement dès 2026. Pour toute réponse, je n’ai obtenu que le flou le plus total, et sans garantie aucune. La possibilité d’une application rétroactive a même été évoquée…

Je tiens à être particulièrement claire sur ce point, monsieur le ministre : la loi votée par le Parlement prévoit une réforme des retraites agricoles à date d’effet au 1er janvier 2026. Nous nous assurerons du respect de cette disposition.

Je ne saurais conclure mon propos sans évoquer l’aspect financier du problème, le nerf de la guerre. Nous avons bénéficié, sur ce point, des lumières de la MSA, que je remercie de ce travail, dans la mesure où les auteurs du rapport remis au Parlement n’ont absolument pas examiné les incidences d’une réforme de cet ordre, à la demande du Gouvernement.

En l’occurrence, il apparaît que les multiples réformes intervenues ces dernières années en matière d’élargissement des assiettes minimales de cotisations et de revalorisation des minima de pension ont considérablement réduit le coût projeté, en 2012, par M. Amghar. À son point culminant, c’est-à-dire en 2046, ce coût atteindrait un niveau compris entre 285 millions d’euros et 322 millions d’euros en fonction de l’évolution de la démographie du régime, puis il commencerait à diminuer. Nous sommes donc loin des presque 500 millions d’euros anticipés à l’époque !

Je relève, au surplus, que la branche vieillesse du régime des non-salariés agricoles devrait, toutes choses égales par ailleurs, afficher un excédent annuel de l’ordre de 900 millions d’euros en 2027 – de quoi, ce me semble, pouvoir faire face à cette charge nouvelle avec confiance.

Mes chers collègues, j’ai tenté, dans le temps qui m’était imparti, de vous exposer l’urgence de la situation et les principaux enjeux qui s’attachent à l’adoption de cette proposition de loi.

Je vous invite désormais à manifester une fois de plus votre soutien unanime à la paysannerie française, au monde agricole, à nos agriculteurs et à leurs familles, en adoptant ce texte à la majorité la plus large possible. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi est examinée alors que nous traversons une crise agricole. Comme vous l’avez souligné, monsieur le président de la commission, elle ne résoudra certes pas tout, mais elle porte sur le sujet important que constitue le revenu des agriculteurs, non pas pendant la carrière, mais à la fin de celle-ci. Après des années de travail consacrées à nourrir notre pays, les agriculteurs doivent pouvoir vivre dignement de leur retraite.

Le Premier ministre s’était d’ailleurs engagé, au moment des mobilisations agricoles, à continuer d’améliorer les retraites des agriculteurs. C’était aussi et surtout une volonté du Parlement, soutenue par le Gouvernement – et non l’inverse – de manière continue ces dernières années.

L’examen de cette proposition de loi m’offre l’occasion de préciser devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, le chemin que nous entendons suivre, à l’issue d’un travail mené avec les parlementaires et les organisations professionnelles agricoles.

Nous ne partons pas d’une page blanche : depuis 2017, plusieurs initiatives parlementaires ont été l’occasion de travailler à l’amélioration des retraites agricoles. Les gouvernements successifs comme les parlementaires, toutes sensibilités confondues, se sont fortement engagés en faveur de la revalorisation, en particulier des petites pensions.

L’objectif de ces réformes a toujours été le même : concilier la prise en compte des spécificités agricoles et permettre la convergence vers les autres régimes.

Les avancées sont réelles. Ainsi, deux lois portées par le président Chassaigne à l’Assemblée nationale et adoptées à l’unanimité par celle-ci comme par le Sénat ont permis de progresser sur un certain nombre de sujets – il me paraît important de rappeler les fruits de notre travail collectif et de nous en féliciter. Le minimum de pension pour les chefs d’exploitation a alors été revalorisé de 75 à 85 %, et le calcul de la pension minimale pour les conjoints – des femmes, pour la plupart – a été rendu plus équitable. Quelque 200 000 retraités, dont 70 % de femmes, ont bénéficié de ce dernier dispositif.

Ces revalorisations ont produit des effets concrets.

Au total, ces deux lois ont permis de revaloriser les pensions de plus de 330 000 anciens agriculteurs et agricultrices, soit un tiers des retraités du régime. Le gain est significatif pour de nombreux agriculteurs – chacun le reconnaît –, puisqu’il s’établit, malgré des disparités, à 100 euros en moyenne.

Alors que nous évoquons souvent l’importance du revenu agricole ainsi que les difficultés que rencontrent nombre d’agriculteurs à trouver ce revenu au moment de la retraite, ces revalorisations contribuent à répondre à ces difficultés.

Cela signifie-t-il pour autant que la totalité du chemin a été parcourue ? Je suis obligé de reconnaître que non ! Telle est d’ailleurs précisément la raison pour laquelle nous examinons aujourd’hui la présente proposition de loi du président Mouiller, dont je salue le travail de grande qualité, dans le prolongement des débats sur la proposition de loi dite Dive que nous avons eus voilà un an.

J’ajoute que nous sommes confrontés à des enjeux historiques en matière de renouvellement des générations, et que le régime de retraite agricole, que vous avez un peu décrit, madame la rapporteure, est, reconnaissons-le, assez complexe.

Mme Pascale Gruny, rapporteur. Il est très complexe !

M. Marc Fesneau, ministre. Ce n’est pas le seul régime qui soit complexe, mais il l’est particulièrement, car il est le produit d’une sédimentation et d’ajouts. Je ne suis pas certain qu’une chatte y retrouverait ses petits !

Cette complexité nuit à la lisibilité du système, alors que les jeunes – ou les moins jeunes – qui s’installent ont besoin de visibilité quant au montant de leur retraite.

Le principe d’un calcul des retraites agricoles en fonction des vingt-cinq meilleures années me paraît consensuel. Le rapport qui vous a été remis montre que la mise en œuvre de cet objectif soulève de nombreuses questions, ce qui ne veut pas dire que nous ne voulons pas avancer – j’y reviendrai dans ma conclusion.

Ces questions sont lourdes. Je les ai déjà évoquées publiquement, y compris dans cet hémicycle.

Comment concilier un calcul fondé sur les vingt-cinq meilleures années, comme pour les régimes de base par annuités des salariés et des indépendants, et un système construit pour être redistributif, dont nous pouvons être fiers et que les lois Chassaigne ont, d’une certaine façon, conforté ?

Comment passer d’un régime par points à un régime par annuités ?

Comment faire entrer en vigueur dès 2026 – ce n’est pas la moindre des gageures – une réforme qui nécessite, au préalable, une adaptation d’une très grande ampleur des systèmes, en particulier informatiques, de la MSA ? Cette dernière nous a d’ailleurs dit ne pas être en mesure de reconstituer les choses pour la période antérieure à 2016, ce qui n’est pas la moindre des difficultés.

Toutes ces questions méritent d’être posées et appellent des réponses aussi précises que possible.

Le délai de remise du rapport de préfiguration de la réforme a suscité de nombreuses critiques – cela a été dit, et sera sans doute répété après moi. Je les endosse. En tant qu’ancien ministre chargé des relations avec le Parlement, j’ai le souci que le Gouvernement travaille en bonne intelligence avec le Parlement, même si de tels écueils peuvent se présenter.

J’ajoute toutefois, et je ne le dis pas à bas bruit, que le Gouvernement avait publiquement alerté, lors de l’examen de la proposition de loi, sur les difficultés qu’il rencontrerait à tenir un délai aussi court que trois mois, au regard de la complexité du sujet. Je n’irai pas jusqu’à dire que nous avons tenu notre promesse, mais force est de constater que nous avons été rattrapés par cette complexité.

De fait, loin de constituer un simple ajustement, cette réforme emporte – et c’est tant mieux – une évolution majeure de l’édifice de protection sociale des agriculteurs que nous bâtissons depuis 1952.

Le rapport qui a été remis présente plusieurs scénarios. Le choix a été fait – cela a été dit, je n’y reviens pas – d’approfondir ceux d’entre eux qui sont fondés sur la sélection des meilleures années de revenus.

Pour rebondir sur les propos qui ont été tenus par le président Mouiller – nous sommes d’accord sur ce point –, je précise que la demande de la profession est bien l’instauration d’un mécanisme transitoire jusqu’en 2028 – nous serions de toute façon incapables de basculer avant cette date vers un mécanisme basé sur les revenus – et d’un système fondé sur les vingt-cinq meilleures années de revenus, et non par points. C’est ce souhait que nous nous efforçons d’honorer, et c’est en ce sens que nous devrons, à terme, avancer.

C’est dans ce contexte, et en tenant compte des impératifs que j’ai mentionnés, que nous examinons cette proposition de loi.

Vous proposez, monsieur Mouiller, de sélectionner, dans la carrière des agriculteurs, les vingt-cinq meilleures années de points.

Il me paraît tout d’abord utile de rappeler que cette proposition ne serait pas tout à fait cohérente avec la logique d’un régime de retraite par points, système dans lequel, par définition, les actifs cumulent les points pendant l’intégralité de leur carrière. Or votre proposition entraînerait une valorisation différente de points acquis dans les mêmes conditions par deux agriculteurs, en fonction de la situation de chacun d’entre eux au sein de leur carrière respective.

Au-delà de ce manque de cohérence interne, il est plus problématique que cette proposition serait susceptible d’écarter le régime de retraite des agriculteurs d’une trajectoire de convergence vers le régime des salariés et des autres travailleurs indépendants, qui est pourtant notre objectif – partagé, me semble-t-il. Or, au-delà du fait qu’elle est ardemment souhaitée par certaines organisations professionnelles, cette convergence me semble justifiée dans un contexte où la grande majorité des agriculteurs exercent de moins en moins ce métier durant toute leur carrière, tendance qui ira en s’accentuant, et font de plus en plus d’allers-retours dans d’autres activités, salariées ou non – dans le secteur agricole ou ailleurs, du reste. Nous aurons donc probablement de plus en plus de polypensionnés.

Dans un monde où les agriculteurs cumulent des pensions de différents régimes et seront de plus en plus nombreux à le faire, compte tenu du renouvellement des générations en cours, il est nécessaire que les règles en matière de retraite soient proches de celles des autres régimes. Une telle convergence est un gage de lisibilité, donc de confiance.

Plus encore, elle permettrait d’améliorer le montant des pensions des agriculteurs, en supprimant les mauvaises années agricoles et en ne conservant que les meilleures au sein de leur carrière agricole – puis au sein de l’ensemble de leur carrière, lorsque l’alignement sera complet, comme nous le souhaitons.

Je vous confirme donc, mesdames, messieurs les sénateurs, que notre objectif est de poursuivre nos travaux et de les accélérer, avec les organisations professionnelles, dans les semaines, voire les jours qui viennent, dans l’esprit de la loi Dive, votée l’an dernier, et afin d’améliorer concrètement les pensions de nos agriculteurs.

La convergence vers laquelle tend la loi Dive pourrait toutefois rencontrer deux obstacles, que nous travaillons à lever afin de répondre enfin à vos demandes.

Il nous faut d’abord étudier la situation des personnes qui pourraient prétendre à une meilleure pension dans un régime à points plutôt que par annuités – vous l’avez tous deux évoquée, madame la rapporteure et monsieur le président de la commission. Il s’agit de limiter les effets de bord. Nous y travaillons, et nous sommes près de trouver des solutions.

Les conclusions du rapport qui vous a été remis indiquent que des travaux complémentaires sont nécessaires. Ils ont commencé, en lien avec les organisations professionnelles.

Cette réforme aurait ensuite des implications importantes sur le plan informatique pour la MSA et la Caisse nationale d’assurance vieillesse. Nous devons avancer sur ce sujet, pour retenir la solution la plus sécurisée possible.

En tout état de cause, permettez-moi de rappeler les conclusions du rapport au sujet de la liquidation. Compte tenu du fait que la MSA ne dispose de l’historique des revenus que depuis 2016, un régime basé sur les vingt-cinq meilleures années de revenus nécessiterait de procéder à une double liquidation au moment où il entrerait en vigueur : sur la base des règles actuelles, en points, pour les périodes antérieures à 2016, et sur la base des règles nouvelles, c’est-à-dire sur les revenus, pour les périodes postérieures à 2015.

Je sais qu’il pourrait s’agir d’un motif d’inquiétude pour les agriculteurs et les parlementaires qui ont suivi de près ce dossier. Je souhaite donc rappeler très clairement que les difficultés techniques ne doivent pas être un obstacle à l’objectif politique que nous partageons.

Les retraites agricoles constituent un élément de reconnaissance fondamental, comme l’a rappelé le Premier ministre lors de ses dernières interventions. Sachons trouver aujourd’hui les chemins du compromis républicain.

Pour conclure, je veux rappeler que ce sujet n’est ni principalement ni principiellement budgétaire. Je crois que, pour chacun, la trajectoire est assez claire. Ce n’est pas non plus un sujet de fond, puisque, comme je l’ai rappelé, retenir les vingt-cinq meilleures années de revenus fait consensus.

La principale préoccupation est de limiter les effets pour les perdants, étant entendu que les gagnants seront beaucoup plus nombreux et que les retraites seront plus largement revalorisées dans un mécanisme basé sur les revenus plutôt que sur les points.

Une autre source de préoccupation est la date d’opérabilité de la mesure. Vous souhaitez, madame la rapporteure et monsieur le président de la commission, que celle-ci soit effective en 2026. Pour l’instant, nous butons sur ce point.

Prenez garde à ne pas voter une proposition de loi « à durée limitée », qui se bornerait à traiter de la période 2026-2028, étant entendu que nous savons que la bascule vers un mécanisme basé sur les vingt-cinq meilleures annuités de revenus sera possible en 2028.

Nous devons poursuivre le travail pour donner droit à la demande que la réforme ait lieu le plus rapidement possible, tout en évitant de faire croire que nous entrons dans une logique de points, alors que l’objectif est bien la convergence.

Quoi qu’il en soit, je vous remercie, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, de cette proposition de loi, qui nous donne l’occasion de reparler des retraites.

Nous partageons quasiment tous les objectifs. (Mme Frédérique Puissat et M. Laurent Somon protestent.) Nous continuons de nous opposer sur le point de démarrage, puisque nous considérons qu’il faut commencer par un mécanisme basé sur les revenus, plutôt qu’instaurer, pour une durée de deux ans, un mécanisme par points, lequel pourrait introduire un doute sur notre volonté d’aboutir à une convergence. Telle est la raison pour laquelle je ne peux pas être favorable à cette proposition de loi, même si j’aurais aimé pouvoir l’être, en particulier au Sénat.

Soyez en tout cas assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que le ministre de l’agriculture que je suis a la ferme intention d’aboutir, afin de faire justice aux agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Frédérique Puissat. Il faut le faire tout de suite !

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du RDSE.)

M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, 50 %, c’est la part des agriculteurs qui partira à la retraite d’ici à 2030. C’est un agriculteur sur deux !

Chiffre moins connu, seulement 1 % des agriculteurs ont moins de 25 ans. Le renouvellement des générations est d’ores et déjà une difficulté. Nous devons tout faire pour assurer ce renouvellement, en aidant à l’installation des jeunes et en améliorant la transmission des exploitations.

En même temps, il faut dire que la profession, notamment dans l’élevage, n’offre pas de quoi séduire de nouvelles recrues, avec des journées de travail sans horaires, des revenus souvent très bas et totalement soumis à de nombreux aléas, pas de week-ends, peu de vacances, et – disons-le – une retraite indigne pour une carrière aussi pénible. La pension mensuelle se situe autour de 840 euros par mois, quand elle est, en moyenne, de 1 530 euros pour l’ensemble des retraités.

Nous sommes donc aujourd’hui à la croisée des chemins, avec des agriculteurs de moins en moins nombreux, dans un pays pourtant plus que jamais confronté à la nécessité de retrouver sa souveraineté alimentaire.

L’agriculture reste une force dans notre pays. La France est toujours la première puissance agricole de l’Union européenne, mais pour combien de temps encore, alors que la part de l’agriculture dans notre PIB ne cesse de diminuer ? Sur le plan international, notre pays est passé de la deuxième à la cinquième place en dix ans.

Ces derniers mois, la détresse et la colère de ceux qui assurent notre souveraineté alimentaire ont explosé. Entre exaspération face à de trop nombreuses et aberrantes contraintes réglementaires et aux surtranspositions françaises et désespoir, qui conduit certains à commettre le pire, les agriculteurs doivent être entendus. Sur le sujet de leur retraite, ils méritent de l’être une bonne fois pour toutes !

Comme cela a été très bien dit lors des travaux de la commission, voilà des années que la retraite des agriculteurs est au centre des discussions et que nous tentons d’améliorer ce système ultracomplexe, comme nous l’avons fait au travers notamment des deux propositions de loi Chassaigne.

Il y a un an, en février 2023, nous votions, dans cet hémicycle, un texte visant à prendre en compte les vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses dans le calcul de la retraite. Ce texte n’a, malheureusement, toujours pas reçu d’application.

Je rappelle que les non-salariés agricoles sont aujourd’hui les derniers assurés dont la retraite est calculée sur la base de l’intégralité de leur carrière, quand celle des salariés du régime général est calculée sur la base des vingt-cinq meilleures années, et celle des fonctionnaires, sur la base des six derniers mois.

Mes chers collègues, si la prise en compte des vingt-cinq meilleures années pour les agriculteurs est un principe qui doit faire l’unanimité parmi nous, encore faut-il savoir exactement comment se fera cette prise en compte et encadrer l’application de la loi. Il importe, en effet, qu’il n’y ait que des gagnants, ce qui suppose un calcul par points à compter du 1er janvier 2026.

Cela dit, il n’est pas facile de trouver un système parfait qui ne lésera personne, d’autant que, la MSA ne conservant pas l’historique de certaines données au-delà de huit ans, certains schémas sont d’emblée rendus impossibles.

À cet égard, je remercie Philippe Mouiller, auteur de cette proposition de loi, ainsi que Pascale Gruny, rapporteur, qui a longuement travaillé sur ce texte et nous en a expliqué les enjeux.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera pour cette proposition de loi, qui permet d’afficher un soutien réel aux agriculteurs. À ces agriculteurs, qui nous nourrissent, offrons une retraite décente !

Nous discuterons, avant cet été – je l’espère, monsieur le ministre –, du projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture. Ce texte sera une nouvelle occasion de faire des choix déterminants pour assurer la pérennité de notre agriculture. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Frédérique Puissat et M. Laurent Somon applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe INDEP. – Mme Frédérique Puissat et M. Laurent Somon applaudissent également.)

Mme Nadia Sollogoub. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, tout a changé : les jeunes paysans sont des chefs d’entreprise qui souhaitent vivre correctement de leur métier et aspirent à une vie confortable et gratifiante. Comme tout le monde, ils ont des projets de vacances, de loisirs et de vie de famille.

Les femmes de paysans travaillent souvent hors de l’exploitation et ont compris que le statut de conjoint collaborateur n’était pas tenable s’il n’est pas assorti de cotisations sociales ni d’une effective reconnaissance professionnelle.

Quant aux nouveaux retraités de l’agriculture, à n’en pas douter, ils ne se contenteront plus d’une poignée d’euros et du grand air pour solde de tout compte d’une vie professionnelle harassante et souvent éprouvante !

« On a beau dire », disait la Ragotte du Nivernais Jules Renard, « c’est gentil, la salade et le fromage blanc quotidiens. Ça et l’air du temps, le bon air de la campagne, ça vous tue un homme en trente ans. » Jules Renard disait d’elle : « Elle traverse la vie. Elle va à la mort avec sa brouette de linge. » Oui, tout a changé, et cela est bien fini.

Évidemment, le montant des retraites agricoles dépend directement du montant des cotisations des agriculteurs. Et, si le revenu agricole ne s’améliore pas, les retraites ne s’amélioreront pas. Aujourd’hui, 50 % des agriculteurs déclarent moins de 20 000 euros de revenus par an. La seule voie vers des retraites décentes, c’est donc le revenu décent tout au long de la carrière, ce qui n’a pas manqué d’être réclamé par la profession ces dernières semaines, lors des événements que l’on connaît.

Une fois que l’on a dit cela, on n’a guère avancé… Sans prétendre au grand soir de l’agriculture, différents travaux législatifs récents ont cherché à apporter une amélioration à ces revenus, trop souvent d’une faiblesse indécente.

Contrairement à ce que l’on entend parfois, la loi Chassaigne 1, adoptée en juillet 2020, n’a pas à proprement parler permis d’augmenter la retraite des agriculteurs. Elle a instauré un revenu minimal pour les non-salariés agricoles ayant une carrière complète : plus aucun retraité non-salarié de l’agriculture ne doit percevoir moins de 85 % du Smic. C’est mieux que rien ! Mais c’est si peu…

En vigueur depuis janvier 2022, la loi Chassaigne 2, en jouant sur quelques paramètres d’un mode de calcul complexe, a amélioré de quelques euros le quotidien des conjoints collaborateurs retraités.

Il convient de noter que, au détour de la réforme des retraites, ces dispositions ont ensuite ruisselé vers les retraités du commerce et de l’artisanat et de leurs conjoints collaborateurs. Ce n’est que justice pour cette catégorie de professionnels, eux aussi trop souvent condamnés à des retraites de misère.

Ces dispositions de justice sociale ont fait l’unanimité des deux chambres et sont plutôt populaires. Ce sont donc des avancées vertueuses, même s’il faut souligner qu’elles ont aussi suscité une certaine frustration.

En effet, les polypensionnés qui, toute retraite soldée, dépassaient le fameux plancher de revenus obtenu par la loi Chassaigne 1 n’ont bénéficié d’aucune augmentation. Finalement, cette loi, tant attendue, n’a bénéficié qu’aux monopensionnés. Par ailleurs, les augmentations, pour ceux qui en ont bénéficié, étaient, somme toute, minimes.

En février 2023, à la suite des travaux conduits en 2012 par Yann-Gaël Amghar, une proposition de loi prévoyant de calculer la retraite des agriculteurs sur leurs vingt-cinq meilleures années, par souci d’équité à l’égard des autres catégories de cotisants des régimes alignés, a été adoptée à l’unanimité. Concernant des professionnels travaillant avec la nature et soumis aux aléas du climat, cette mesure semblait de bonne logique.

Il a été prévu, afin de définir les modalités de mise en place de ce nouveau dispositif, que le Gouvernement rendrait, dans les trois mois suivant l’adoption de ce texte, un rapport étudiant les différents scénarios envisageables. Or, un an plus tard, malgré les demandes de la profession et de la MSA, qui étaient dans l’impossibilité de s’organiser, point de rapport !

Le 11 janvier dernier, ici même, lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement, je vous ai interrogé à ce sujet, monsieur le ministre. Vous avez affirmé que ce rapport serait remis très prochainement, ce qui fut le cas. Vous avez ajouté que le sujet était très complexe, et que, à modifier à ce point les règles de calcul, on prenait le risque qu’il y ait beaucoup de perdants et des gagnants mal identifiés.

Sur ce point, les parlementaires vous rejoignent totalement. En effet, la commission des affaires sociales du Sénat, par la voix de sa rapporteure Pascale Gruny, bien consciente de ce risque, avait, à l’époque, préconisé l’adoption de ce texte à la condition sine qua non qu’il n’y ait pas de perdants.

Or, maintenant que les différentes options sont sur la table, la synthèse du rapport conjoint du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) et de l’Igas indique que, à l’issue de ce premier temps, les commanditaires – c’est-à-dire le Gouvernement – ont écarté les scénarios fondés sur la sélection des meilleures années de points, au motif que cette sélection était contraire à la logique d’accumulation de points, ce qui, il faut bien l’admettre, ne veut pas dire grand-chose.

Alors que M. Amghar, en 2012, a identifié un scénario ne faisant pas de perdants, consistant à calculer la pension des non-salariés agricoles sur la base des vingt-cinq meilleures années, tout en conservant un régime par points, et que les experts de la MSA sont parvenus aux mêmes conclusions, le Gouvernement, force est de le constater, semble privilégier un scénario qui, au contraire, ferait des perdants, qui plus est parmi les pensionnés percevant les retraites les plus faibles. C’est inconcevable.

C’est même un très mauvais calcul. Il faudrait que Bercy comprenne enfin que le soutien des tout petits revenus en milieu rural constitue un levier puissant en faveur des territoires ! En effet, pour celui qui touche moins de 1 000 euros par mois, 1 euro de plus, c’est 1 euro qu’il dépensera localement. Chez les petits retraités de l’agriculture, il n’y a pas de place pour l’évasion fiscale, les placements à l’étranger ou les dépenses sur Amazon ! Pour eux, 1 euro de plus, c’est 1 euro dépensé chez le commerçant de proximité ou l’artisan du coin. C’est du 100 % local.

Pour cette raison, il est essentiel d’accorder une grande attention au montant des retraites agricoles dans les territoires ruraux considérés comme vieillissants. Ce sujet n’est pas marginal, car c’est toute l’économie locale qui est irriguée.

Il faut souligner également que, pour garder un modèle d’agriculture familiale, les paysans qui ont une petite exploitation doivent avoir une retraite convenable. À défaut, ils seront contraints de céder celle-ci pour récupérer un capital, ce qui entraîne, en général, l’agrandissement des exploitations et ne favorise pas, au vu du montant des reprises, l’installation des jeunes.

Je n’entrerai pas dans la complexité mathématique du calcul des retraites agricoles, saucissonnées et proratisées – cela devient un sujet d’experts. Une chose est certaine : le dossier doit rester sur nos bureaux, car le chantier est loin d’être clos.

En effet, pour reprendre la réponse que vous m’avez apportée le 17 janvier dernier, monsieur le ministre, c’est « un sujet de justice, de reconnaissance, mais aussi d’attractivité, au moment où nous parlons de renouvellement des générations ».

Pour l’heure, sachant que, quel que soit le scénario retenu, cette réforme sera globalement peu coûteuse, car elle concerne peu d’agriculteurs et que ces derniers auront un bénéfice minime, et parce qu’il faut choisir l’option qui permettra à la MSA d’être au rendez-vous de 2026, c’est sans hésitation que le groupe Union Centriste votera le texte de notre collègue Philippe Mouiller, qui est tout simplement le plus juste. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Jean-Claude Tissot applaudit également.)

M. Daniel Salmon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, maintes fois mis à l’ordre du jour, le sujet majeur des pensions de retraite des agriculteurs touche à de nombreux enjeux, dont la question essentielle du revenu ou encore celle de la transmission et de l’installation.

Les propositions de loi se succèdent, mais sont rarement efficientes. Ce texte d’appel risque de ne pas faire exception.

Quand, au bout de plus de quarante années de labeur, les agriculteurs peuvent enfin prendre leur retraite, ils se retrouvent avec une pension au niveau ridiculement bas de 864 euros brut en moyenne. C’est indigne de notre pays.

Je ne reviendrai pas sur les paramètres très techniques régissant le fonctionnement de ce régime de retraite de base. Ils ont été plusieurs fois exposés, et leur complexité fait partie des raisons pour lesquelles il faudrait une refonte totale de ce régime.

En prenant en compte plus largement la question du revenu, nous devons répondre à cette situation sociale inique et rendre enfin justice aux agriculteurs, ce qui contribuera également à assurer l’attractivité du métier auprès des nouvelles générations, qui ont besoin de perspectives, ainsi que vous l’avez évoqué, monsieur le ministre.

La précarité touche d’abord les femmes, qui représentent les trois quarts de ces petites retraites, du fait non seulement de la maternité et du temps partiel, mais aussi des écarts de salaire entre les hommes et les femmes au cours de la carrière.

Les agriculteurs sont désormais les derniers pour lesquels la retraite est calculée sur l’intégralité de la carrière, bonnes et mauvaises années confondues, ce qui n’a aucun sens, alors que le changement climatique et la fluctuation des prix ont des conséquences lourdes sur leur activité.

Le Parlement a légiféré en grande partie sur cette question à l’occasion de la loi Dive, votée en 2023, laquelle prévoit de fixer le montant de la pension de base des travailleurs non salariés en fonction des vingt-cinq meilleures années civiles d’assurance les plus avantageuses, à compter de 2026. À l’époque, le groupe écologiste avait soutenu cette mesure, en émettant toutefois un certain nombre de réserves et en appelant à la vigilance sur ses potentiels effets de bord, car il est essentiel pour nous que le dispositif soit bénéfique pour toutes et tous, sans faire de perdants.

Malheureusement, le scénario privilégié par le rapport de l’Igas sur les modalités de mise en œuvre ne répond pas à nos exigences. La méthodologie recommandée, en portant atteinte au mécanisme interne de redistribution, bénéficierait surtout aux exploitants à hauts revenus, et non aux plus petits agriculteurs, qui pourraient même y perdre. Nous ne pouvons nous y résoudre.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui détermine le calcul selon le nombre moyen de points acquis pendant chacune des vingt-cinq meilleures années, ce qui devrait, selon les projections, permettre une augmentation moyenne de la pension de 47,70 euros par mois.

Cependant, nous regrettons, madame la rapporteure, le manque de précision sur le nombre d’agriculteurs qui ne gagneraient pas au change. En commission, vous avez expliqué qu’il n’y aurait aucun perdant, tout au plus des « non-gagnants »… Ce flou nous laisse assez dubitatifs sur les réelles conséquences de cette mesure et sur ses potentiels effets de bord pour les exploitants aux plus faibles revenus.

Pourtant, des leviers plus ambitieux sont possibles pour une réforme des retraites digne de ce nom, dans une optique de justice sociale. J’en citerai trois : un revenu réellement rémunérateur pour financer la nécessaire amélioration de la protection sociale des paysans – je pense que nous serons tous d’accord sur ce point ; l’assouplissement des critères d’accès à la pension majorée de référence (PMR), au profit notamment de ceux qui ont un statut précaire d’aide familial ou de conjoint collaborateur ; le lissage du premier palier du barème d’acquisition des droits de retraite de base, en vue d’inciter les agriculteurs à cotiser et d’éviter les effets de seuil qui, pour l’instant, favorisent l’évasion sociale.

Par ailleurs, un changement de paradigme s’impose. Depuis trop longtemps, les adeptes de l’idéologie néolibérale considèrent les cotisations sociales comme une charge et le travail comme un coût. On a préféré inciter les agriculteurs à défiscaliser pour ne pas cotiser, donc à surinvestir dans la mécanisation de leur ferme. Certains se sont surendettés, de sorte que leurs exploitations sont aujourd’hui plus difficiles à transmettre.

Il nous paraît nécessaire de limiter ces incitations fiscales, qui peuvent finir par nuire à l’augmentation des revenus issus de l’activité agricole et par amoindrir fortement la perception du besoin de cotiser.

En conclusion, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne s’opposera pas à ce texte, car une majorité des retraités agricoles verront leurs revenus augmenter sensiblement.

Cependant, cette réforme de calcul de la retraite de base ne peut, à elle seule, suffire à améliorer réellement la pension des agriculteurs, en particulier celle des plus modestes ; elle doit être complétée par d’autres dispositifs. Nous ferons des propositions en ce sens dans le cadre de l’examen du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.

C’est d’abord une question de justice sociale pour tous les agriculteurs qui partiront à la retraite dans les dix années à venir.

De plus, si nous voulons enrayer la diminution du nombre de paysans, lutter contre la désertification rurale et créer des emplois dans l’agriculture, tout en répondant à de nouveaux enjeux de société, il est urgent de faire en sorte que les retraites, et plus largement les revenus agricoles, soient à la hauteur des attentes légitimes des paysans. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Jean-Claude Tissot applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, face à la crise du monde agricole, le Président de la République a dû annoncer, lors du salon de l’agriculture, des mesures en faveur des agriculteurs, reprenant notamment une proposition que les parlementaires communistes défendent depuis des décennies, à savoir l’instauration de prix plancher pour protéger le revenu agricole. Ces annonces ont été conclues par la promesse d’un nouveau rendez-vous, trois semaines plus tard, pour « consolider les mesures d’urgence » et « bâtir un plan d’avenir agricole français ».

La réunion, prévue le 19 mars dernier, a finalement été annulée, en raison du coup de colère du principal syndicat agricole. En effet, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) reproche au Gouvernement de vouloir reporter la mise en application de la réforme du mode de calcul des retraites sur les vingt-cinq meilleures années. Alors que le Parlement, l’an dernier, avait voté à l’unanimité la mise en place de la réforme dès 2026, le cabinet du Premier ministre a annoncé son report à 2028.

Ce renoncement supplémentaire, comme tant d’autres de votre gouvernement, monsieur le ministre, crée une colère légitime chez les agriculteurs, qui subissent déjà le vol de leur travail par les multinationales et par leurs actionnaires.

Si des avancées ont eu lieu, ces dernières années, grâce à l’action des parlementaires communistes, notamment notre collègue député André Chassaigne, les pensions des agriculteurs demeurent parmi les plus faibles du pays, à hauteur de seulement 1 269 euros brut par mois.

Comme nous le revendiquons depuis plusieurs années, les agriculteurs ont surtout besoin d’une loi globale. Or, nous le savons, des propositions de loi examinées les unes après les autres ne font pas une loi globale à la hauteur des enjeux.

À cela s’ajoute la forte dégradation du prix d’achat des productions et des revenus, qui ne permet plus aux producteurs de s’en sortir. Les filières d’élevage sont, depuis des mois, dans une situation extrêmement préoccupante.

Nous partageons l’avis du président de la Mutualité sociale agricole, Pascal Cormery, qui nous a indiqué, voilà à peine quinze jours, lors de son audition par la commission des affaires sociales, que le véritable sujet était celui du revenu agricole.

En effet, le montant des pensions ne s’améliorera pas tant que les revenus n’augmenteront pas, et ce quelle que soit l’évolution du régime de retraite ! La question est donc non pas tant celle du calcul sur les vingt-cinq meilleures années que celle d’une juste rémunération des agriculteurs. En augmentant les revenus de ces derniers, vous augmenterez les cotisations, donc les pensions de retraite.

Le débat se focalise aujourd’hui sur les modalités de calcul retenues pour la prise en compte des vingt-cinq meilleures années.

D’un côté, le scénario « 4C » de l’Igas, qui a été retenu par le Gouvernement, ferait – faut-il vous le rappeler ? – 30 % de perdants, pour seulement 20 % de gagnants, tandis que le montant de la pension de 50 % des assurés resterait inchangé par rapport à celui qui résulte du mode de calcul actuel. Et, parmi les perdants, il y aurait principalement les assurés à bas revenus et à carrière courte.

De l’autre côté, la proposition du groupe Les Républicains ne ferait pas de perdants et ferait même une majorité de gagnants dans les déciles les plus élevés. En effet, le texte laisse espérer un gain de 30 euros en moyenne et, si l’on se réfère aux chiffres du rapport, un plafond à 190 euros, selon le barème d’attribution des points.

Par comparaison avec le projet du Gouvernement, ce texte est donc légèrement meilleur.

Mme Frédérique Puissat. Il est meilleur !

Mme Cathy Apourceau-Poly. Il ne l’est que légèrement, car, s’il n’entraîne pas de perdants, il ne concerne que le flux des futurs retraités, et non le stock des retraités actuels.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky votera en faveur de la proposition de loi (Mme Frédérique Puissat applaudit.), tout en exigeant l’application de prix plancher pour chaque produit, afin de protéger nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mmes Brigitte Micouleau et Frédérique Puissat ainsi que M. Laurent Somon applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a à peine plus d’un an, notre assemblée adoptait à l’unanimité une proposition de loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses, et non plus sur l’ensemble de leur carrière. Comme le rappelait mon collègue Henri Cabanel à l’époque, il s’agissait de réparer une injustice dénoncée par la profession depuis des décennies. En effet, bien qu’un rapport de l’Igas ait étudié les conditions de passage à un calcul sur les vingt-cinq meilleures années dès 2012, le sujet a été maintes fois repoussé.

Aujourd’hui, le régime des non-salariés agricoles est le seul à conserver cette physionomie spécifique. Rien ne justifie une telle discrimination, qui lèse gravement les retraités de la profession agricole.

En 2022, la pension moyenne d’un agriculteur non salarié était ainsi de 864 euros brut mensuels, contre un peu plus de 1 500 euros pour l’ensemble des retraités. Si bon nombre d’agriculteurs peinent à joindre les deux bouts durant leur vie active, la situation est pire une fois qu’ils sont à la retraite. Dans leur rapport sur les suicides en agriculture, Henri Cabanel et Françoise Férat avaient souligné combien « l’absence de retraite suffisante alimente un désarroi profond ».

De fait, le niveau de pension moyen des retraités agricoles reste extrêmement faible, malgré des ajustements au fil des années. Encore récemment, les lois Chassaigne ont permis de revaloriser certaines retraites, mais l’introduction d’un dispositif d’écrêtement a affaibli ces avancées, en pénalisant les polypensionnés, c’est-à-dire ceux qui sont contraints de cumuler plusieurs activités pour s’assurer un revenu décent.

Aussi, la proposition de loi Dive a envoyé un message fort à nos agriculteurs, qui attendaient avec impatience cette réforme, prévue pour 2026. Cependant, si le texte fixait un objectif de refonte du mode de calcul des pensions des non-salariés agricoles, il renvoyait le soin de dessiner différents scénarios d’application à un rapport, que le Gouvernement devait remettre dans les trois mois suivant la promulgation de la loi.

Lors de son examen, notre rapporteur, Pascal Gruny, avait regretté que le texte confie « au pouvoir réglementaire une prérogative trop importante dans la définition des futurs paramètres du régime ». Ses craintes étaient malheureusement justifiées. Remis avec huit mois de retard, le rapport s’est concentré sur trois scénarios, lesquels feraient beaucoup trop de perdants à l’horizon de 2040, notamment parmi les plus modestes.

Aussi saluons-nous l’inscription de la présente proposition de loi à l’ordre du jour de notre assemblée. Je rappelle que les membres du groupe du RDSE sont depuis longtemps particulièrement attentifs au problème des retraites agricoles : en 1998, deux d’entre eux avaient déposé une proposition de loi visant à ce que tous les agriculteurs retraités bénéficient de revenus décents. En pleine crise du monde agricole, la mise en œuvre du calcul des pensions de retraite sur la base des vingt-cinq meilleures années est, plus que jamais, un enjeu prioritaire.

Lors de leur audition devant notre commission, les représentants de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA) l’ont bien confirmé : ce texte est la solution la plus acceptable pour améliorer les petites pensions, tout en respectant l’échéance du 1er janvier 2026 fixée par la loi Dive. Il permettra de réévaluer le montant des pensions, jusqu’à 190 euros dans certains cas.

Mais j’y insiste, cette proposition de loi n’est qu’une première étape. Il reste, en effet, beaucoup à faire pour conjurer le malaise du monde paysan. Le non-respect de la loi Égalim, l’édiction de normes de plus en plus lourdes à supporter, le versement tardif des aides européennes, la hausse du prix du carburant agricole, la course à l’endettement pour s’en sortir, tout cela participe à la paupérisation de nos agriculteurs.

Monsieur le ministre, nous comptons sur vous pour mettre en œuvre le « réarmement agricole », pour reprendre la formule du Premier ministre, car nos agriculteurs n’y arrivent plus, et c’est trop souvent que nos campagnes pleurent le suicide de l’un d’entre eux. Cette situation n’est pas tolérable.

C’est dans cet esprit que le groupe du RDSE apportera tout naturellement son soutien à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Bernard Buis. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un an après l’adoption du texte déposé par notre collègue député Julien Dive, nous voilà de nouveau réunis pour discuter de l’épineux, mais non moins important sujet du calcul des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles.

En prenant le temps de relire nos débats de l’année dernière, je me suis remémoré l’unanimité de notre assemblée sur la nécessité d’engager une réforme.

En réalité, plusieurs consensus avaient émergé, au premier chef sur le caractère injuste du mode de calcul des pensions de retraite des agriculteurs concernés, chefs d’exploitation et d’entreprises agricoles, conjoints collaborateurs ou encore aides familiaux.

Alors que ces professionnels travaillent dans des conditions difficiles et subissent une certaine volatilité de leurs revenus, notamment liée aux aléas climatiques, leurs pensions sont pourtant bien inférieures à la moyenne des autres pensions de retraite. Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), à la fin de l’année 2021, les retraités non salariés des professions agricoles percevaient une pension mensuelle moyenne de 840 euros, contre 1 530 euros pour l’ensemble des retraités de droit direct.

Face à une telle injustice, nous étions nombreux à vouloir réformer la méthode de calcul, notamment lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023. J’avais alors cosigné, aux côtés de Patricia Schillinger et de Jean-Baptiste Lemoyne, un amendement déposé par notre collègue Didier Rambaud qui avait été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution.

En toute logique et en toute cohérence, nous avions donc voté, l’an dernier, le texte de notre collègue député Julien Dive, dont l’objectif était très clair : faire converger le mode de calcul des retraites des agriculteurs avec celui des salariés ou des indépendants, en prenant en compte les vingt-cinq années les plus avantageuses, et non plus l’intégralité d’une carrière.

Notre assemblée s’était montrée favorable, sans équivoque, à deux aspects importants de cette réforme tant espérée. D’une part, celle-ci devait être mise en application le plus rapidement possible pour répondre aux attentes des professionnels – nous avons tous ici pu constater qu’il était urgent de le faire. Sur ce point, nous étions plutôt satisfaits, puisque la nouvelle méthode de calcul devait être appliquée à partir du 1er janvier 2026. D’autre part, la réforme devait faire le moins de perdants possible.

Ces consensus ayant été clairement exprimés, il appartenait ensuite au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport fixant les modalités de la réforme dans un délai de trois mois après l’adoption du texte.

Une fois ce rapport rendu, la théorie s’est confrontée à la pratique, et ce fut le début de longues et sinueuses discussions. Entre scénario de type « 4C », création du complément différentiel de points de retraite complémentaire et fusion des régimes par points et par annuités, je dois reconnaître que le débat est suffisamment technique pour en perdre son latin !

Toujours est-il, mes chers collègues, que nous devons avancer sur cette réforme et trouver une méthode de calcul satisfaisante qui fera – répétons-le – le moins de perdants possible.

Le rapport transmis au Parlement explique clairement que les scénarios envisagés se heurtent à trois obstacles : une mise en œuvre décalée de deux ans ; de nombreux perdants chez les professionnels ayant les revenus les plus faibles ; un coût de la réforme, pour les finances publiques, de l’ordre de 15 millions d’euros en 2030 et de 400 millions d’euros à l’horizon de 2100.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a proposé un scénario alternatif, consistant à calculer les retraites sur la base des vingt-cinq meilleures années de revenus à partir de 2028 et à réformer certains paramètres du régime de base des agriculteurs dès 2026, pour améliorer immédiatement le niveau des nouvelles pensions.

Même si ce scénario ne suscite pas l’unanimité, n’oublions pas que la réforme est très attendue. Elle a été votée et, dans le contexte actuel, personne ne gagnerait à engendrer davantage de frustration ou de déception chez les retraités agricoles.

Cela étant dit, comment devons-nous avancer ? Si le texte présenté aujourd’hui a le mérite de remettre à l’ordre du jour ce sujet crucial et ô combien important pour le monde agricole, les membres du groupe RDPI tiennent cependant à émettre plusieurs réserves.

Monsieur le président de la commission, vous proposez de mêler les avantages d’un régime par points avec ceux d’un régime par annuités, en calculant le nombre moyen de points acquis chaque année pendant les vingt-cinq meilleures années et en accordant à l’assuré un nombre de points correspondant à chaque année de sa carrière.

Une telle proposition soulève plusieurs interrogations. Ne compromet-elle pas l’objectif, initialement souhaité par la FNSEA, d’une convergence entre les régimes de retraite, en créant un nouveau régime inédit ? Pouvez-vous bel et bien garantir que votre scénario ne fera aucun perdant ?

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Oui !

M. Bernard Buis. En l’occurrence, non ! Avec votre réforme, il pourrait y en avoir jusqu’à 6 %…

Par ailleurs, sommes-nous en mesure d’engager une telle réforme, dont le coût estimé pour nos finances sociales serait compris, selon la MSA, entre 285 millions et 322 millions d’euros en 2046 ? Et quelle serait la projection pour 2100 ?

Enfin, étant donné la complexité technique du sujet et vu les désaccords persistants sur la méthode à retenir ainsi que notre volonté de ne faire aucun perdant, ne devons-nous pas envisager la création d’une mission d’information pour trouver une solution consensuelle ?

Mme Frédérique Puissat. Mais bien sûr…

M. Bernard Buis. Mes chers collègues, une chose est sûre : nous souscrivons tous à la nécessité de réformer aussi vite que possible le mode de calcul des pensions de retraite des travailleurs non salariés des professions agricoles. Personne ne comprendrait que l’on enterre le sujet, encore moins dans le contexte actuel.

Mais, compte tenu des différentes réserves exprimées, notre groupe s’abstiendra sur ce texte. (Mme Frédérique Puissat sexclame.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Monique Lubin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain tendent à être favorables au texte que nous examinons, car nous en partageons les objectifs.

Néanmoins, nous ne sommes pas pleinement convaincus par la démarche adoptée.

En effet, cette proposition de loi est présentée comme une réponse de la majorité sénatoriale à ce qui semble une incapacité du Gouvernement à identifier les modalités d’application, dès 2026 de la loi votée au Sénat en février 2023, visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses.

Toutefois, nous considérons que cette réponse demeure insatisfaisante, le texte adopté en 2023 et celui qui nous occupe aujourd’hui paraissant souffrir de faiblesses similaires.

La loi de 2023 prévoyait, pour l’identification de ses modalités d’application, l’établissement par l’administration d’un rapport qui devait être rendu sous trois mois. Contrairement aux engagements du Gouvernement, les conclusions de ce rapport, fruit du travail de l’inspection générale des affaires sociales et du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, ont été rendues avec neuf mois de retard – tous mes collègues l’ont rappelé – et n’offrent pas de solution à la hauteur de nos attentes partagées.

En effet, la recommandation qui y est mise en avant, et qui aurait les faveurs du Gouvernement, pécherait à la fois par sa complexité et par ses conséquences. Le scénario en question consiste en une liquidation des retraites des non-salariés agricoles en deux temps, selon des modalités alambiquées : la liquidation de la partie de la carrière antérieure à 2016 se ferait sur la base des modalités de calcul actuelles, quand celle de la partie postérieure à 2015 s’effectuerait dans le cadre d’un système par annuités, ne reprenant qu’un certain nombre des meilleures années travaillées sur la durée totale de la carrière.

Ce scénario assurant le passage à un calcul de la retraite sur le revenu annuel moyen, qui est celui du régime général des salariés, ferait, par ailleurs, disparaître les mécanismes de redistribution interne de l’actuel régime des retraites agricoles.

Ces mécanismes ont, de fait, été mis en place pour répondre à la diversité des situations des travailleurs agricoles, qui peuvent être polypensionnés, aides familiaux ou chefs d’exploitation. Leur disparition bouleverserait le paysage des retraités agricoles. Une telle réforme risquerait de les plonger dans une situation où certains seraient doublement pénalisés, puisqu’ils ne pourraient pas bénéficier de la pension majorée de référence, tout en étant lésés par le nouveau mode de calcul.

Par conséquent, l’administration et le Gouvernement peinent à identifier des modalités d’application de la loi de 2023 acceptables par tous, ce qui n’est pas nécessairement pour nous surprendre.

Pour mémoire, en effet, si notre groupe a soutenu le texte adopté en février 2023, nous avions également fait part, lors de son examen, de notre circonspection concernant les modalités de sa mise en œuvre. L’objectif de ce texte, disions-nous, est limpide et nécessaire, mais les voies à emprunter pour l’atteindre sont tortueuses et susceptibles d’ajouter de la complexité à un régime de retraite déjà peu lisible.

Nous rappelions également une recommandation figurant dans un rapport de l’Igas de 2012, relatif aux retraites agricoles : « On ne peut considérer de façon isolée une règle d’un régime de retraite sans examiner l’ensemble des règles de ce régime : un alignement limité à une règle n’est pas une garantie d’équité et peut au contraire être inéquitable si certaines règles sont introduites sans d’autres qui constituent leur contrepartie. Si le régime des non-salariés agricoles doit être réformé, cette réforme ne devrait donc pas porter sur la seule règle de calcul sur les vingt-cinq meilleures années, mais sur la globalité du régime. »

Cela nous conduit au texte dont nous débattons aujourd’hui, dans cet hémicycle. En effet, dans ce même rapport de 2012 figuraient les éléments qui ont inspiré l’approche privilégiée par la majorité sénatoriale dans la présente proposition de loi.

Étonnamment, la piste mise en avant en 2012, qui semblait la moins susceptible de faire des perdants, a été peu exploitée dans le rapport de 2024, lequel met surtout en avant les difficultés d’application techniques des scénarios de réforme, en raison de l’état actuel des systèmes d’information de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole. L’argument serait que cette dernière ne dispose de bases de données sur les revenus qu’à partir de l’année 2016.

Les représentants de cette même caisse nous ont pourtant confié, lors de leur audition au Sénat, qu’ils n’avaient pas été consultés, dans le cadre de l’élaboration de ce rapport, sur la capacité de la caisse à mettre en œuvre une réforme de calcul conservant le système par points.

Le Gouvernement justifie par ailleurs la mise à l’écart de ce scénario du passage aux vingt-cinq meilleures années conservant le système par points par le fait qu’un tel scénario serait antinomique avec la logique de ce dernier.

Le texte que nous examinons aujourd’hui prévoit donc, à rebours de la position du Gouvernement, l’adoption d’un calcul des pensions de retraite de base des non-salariés agricoles fondé sur les vingt-cinq meilleures années, en recourant au système par points. Ce scénario serait le « mieux-disant », puisqu’il ne ferait qu’une part très limitée de perdants. Son application engendrerait une augmentation des retraites de 47,70 euros en moyenne.

Il est cependant important de souligner que ledit scénario est le fruit d’un travail publié en 2012, et que bien des paramètres ont évolué depuis lors. Une démarche basée sur des données qui n’ont pas été actualisées laisse craindre une certaine fragilité.

Nous notons, enfin, que la piste retenue par la majorité sénatoriale reçoit notamment le soutien de la FNSEA, qui y voit une solution ne remettant pas en cause la spécificité du régime agricole ni ses mécanismes de redistribution.

Nous sommes néanmoins interpellés par le fait que la Confédération paysanne développe une autre philosophie : elle met en avant, par exemple, le fait que, avec une harmonisation des statuts et des ajustements techniques, le système de retraite agricole pourrait être amélioré pour tous.

Selon cette organisation, l’élargissement de l’assiette des cotisations assurerait une plus grande solidarité.

En tout état de cause, s’il va de soi qu’une réforme ne peut laisser quiconque de côté, nous constatons que l’heure n’est pas à la refonte du système de calcul des pensions agricoles.

Il nous semble regrettable de devoir débattre à nouveau d’une réforme que certains estiment paramétrique, alors que nous nous sommes déjà battus à plusieurs reprises contre des vents contraires dans cet hémicycle pour avancer sur le sujet.

Ainsi, nous avons déjà, en 2020 et 2021, voté les lois Chassaigne 1 et 2, textes qui visaient eux aussi à répondre à l’urgence s’agissant des petites retraites agricoles. La pusillanimité du Gouvernement en avait cependant retardé l’adoption et réduit la portée. Après avoir été contraint de laisser le Parlement les adopter, l’exécutif a profité de la très grande technicité du sujet pour en atténuer les effets.

Cette situation a suscité des déceptions successives.

Pour mémoire, la loi Chassaigne du 3 juillet 2020 avait pour objet de rehausser à 85 % du Smic la retraite minimum des anciens chefs d’exploitation agricole ayant effectué une carrière complète, mais les choix du Gouvernement l’ont beaucoup fragilisée, imposant, par amendement, un écrêtement du complément différentiel de retraite complémentaire obligatoire versé.

Nombre de retraités agricoles ont signalé, à l’époque, que l’augmentation de leur pension était dérisoire. La MSA a dû prendre en compte la bonification pour enfants dans le calcul des pensions à verser, ce qui a réduit d’autant, et de manière significative, la portée de la loi.

Les effets de ces atermoiements sont délétères. Derrière une prudence excessive et le prétexte de la technicité de la réforme des retraites agricoles, nous croyons déceler des manœuvres pour reprendre d’une main ce qui est donné de l’autre aux travailleurs de la terre ou, en tout cas, pour être un peu moins généreux à leur égard que nous le souhaiterions.

Nous craignons que la présente proposition de loi ne résolve pas davantage la problématique des retraites agricoles, même si elle va dans le bon sens.

Une réforme paramétrique ne peut qu’être impuissante à répondre aux questions de fond qui se posent à nous aujourd’hui. C’est, au contraire, une refonte globale du système de retraites agricoles qu’il faudrait préparer. Celle-ci devra continuer à s’inscrire dans une logique de protection des retraités agricoles aux revenus les plus faibles, à l’instar de ce que fait la pension minimale de référence. Comme nous l’avons vu, elle devra également porter à la fois sur la contributivité du régime et sur l’assiette de cotisation.

Cette réforme en profondeur impliquera, par ailleurs, une réflexion sur les choix effectués lors de la création du régime en 1955, notamment sur la répartition de l’effort entre contribution à la MSA, investissement et épargne individuelle.

Enfin, la question de la solidarité intergénérationnelle se posera avec acuité, dans la mesure où la moitié des agriculteurs partira à la retraite d’ici à dix ans.

Dans l’attente de cette réforme, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain se prononcera en faveur du passage au calcul des pensions agricoles sur la base des vingt-cinq meilleures années, malgré les insuffisances du mécanisme.

Cependant, nous appelons le Gouvernement à engager une réforme globale du système de retraite de base des non-salariés agricoles avant 2030. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Claude Anglars. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après des jours et des jours d’intenses manifestations au mois de janvier dernier et un salon de l’agriculture mouvementé pour le pouvoir exécutif, le Gouvernement est-il à la hauteur de ses engagements ?

Les annonces ne se sont pas concrétisées, et le projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture ne sera examiné à l’Assemblée nationale qu’à partir du 13 mai prochain.

De son côté, le Sénat s’est longuement penché, ces derniers mois, sur les sujets de préoccupation de nos agriculteurs. En témoigne, par exemple, la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France de notre collègue Laurent Duplomb, qui vise à alléger les contraintes et à rétablir la compétitivité et l’attractivité de toutes les agricultures. Ce texte, pourtant transmis à l’Assemblée nationale le 23 mai 2023, n’a pas encore été inscrit à l’ordre du jour de celle-ci.

Pour ce qui est des retraites agricoles, dont la revalorisation fait évidemment partie des revendications que les agriculteurs ont fait entendre à travers la France, le Gouvernement agit de la même manière : le dossier n’avance pas.

Or, en plus d’être complexe, le régime des non-salariés agricoles sert des pensions très faibles. La loi du 13 février 2023 prévoyait d’apporter une réponse concrète à ce problème, grâce à une réforme du mode de calcul des pensions, lequel devait désormais reposer sur les vingt-cinq meilleures années de revenus des agriculteurs plutôt que sur leur carrière entière, et ce afin d’en augmenter le niveau.

Pour mettre en œuvre cette mesure, le Gouvernement devait fournir, dans les trois mois, un rapport détaillant les modalités d’application et les critères de la réforme.

C’est avec huit mois de retard que l’exécutif a finalement remis son rapport au Parlement. Selon la commission des affaires sociales du Sénat, dont je salue ici le travail, aucun des scénarios de réforme ne satisfait pleinement les objectifs fixés initialement. Tous aboutissent à une proportion significative d’agriculteurs défavorisés par rapport à la situation actuelle – entre 15 et 50 % de perdants à l’horizon 2040.

Nous constatons donc à regret que ce rapport va à l’encontre de la loi qui a été votée par le Parlement.

La présente proposition de loi tend à préciser le principe de la réforme votée il y a un an, en inscrivant directement dans la loi les modalités de calcul qui seront applicables aux pensions agricoles liquidées à compter du 1er janvier 2026.

Ce texte aurait également pu simplifier le régime de retraite agricole en unifiant les pensions forfaitaire et proportionnelle, mais un certain nombre de problèmes techniques restent à régler.

La proposition de loi reflète l’engagement du Sénat à répondre aux préoccupations des agriculteurs et à une partie de la détresse du monde agricole. Elle apporte une réponse concrète aux agriculteurs, raison pour laquelle nous voterons évidemment en sa faveur.

Cela étant, nous appelons le Gouvernement à assumer ses responsabilités sur ce dossier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christopher Szczurek. (M. Aymeric Durox applaudit.)

M. Christopher Szczurek. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous connaissons tous cet adage simple, telle une évidence qui ne l’est pourtant pas tant que cela : « Il n’y a pas de pays sans paysans. »

Ainsi, la France puise, dans le travail lancinant et millénaire de sa terre, sa beauté et, pendant de longs siècles et jusqu’à aujourd’hui, le ferment de sa prospérité.

Toutefois, la grave crise agricole que nous avons vécue – nous en vivrons d’autres – a révélé au moins un malaise : elle confirme la souffrance dans laquelle sont plongés nos agriculteurs et l’urgence d’y faire face.

Un libre-échange déraisonné, conjugué à une surtransposition zélée, a profondément abîmé la vie de nos agriculteurs, qui, déjà difficile et pénible, est devenue impossible.

Si la Nation doit beaucoup à ses agriculteurs, elle les récompense assez peu.

Ainsi, nous avons pu constater, grâce au travail de qualité réalisé par nos collègues, qu’il existait un écart de pension déterminant – 580 euros brut par mois – entre un agriculteur retraité et un salarié à la retraite.

Par ailleurs, la pension annuelle d’un agriculteur retraité serait de 7 000 euros plus faible, en moyenne, que celle d’un salarié affilié au régime général.

Si la vie de nos compatriotes agriculteurs est souvent la plus dure, leur régime de retraite est aussi le moins généreux. Alors que la plupart des salariés français voient leur retraite calculée sur leurs vingt-cinq meilleures années – et même sur les six derniers mois pour les fonctionnaires –, la retraite agricole est calculée, selon un mécanisme complexe, si ce n’est opaque, sur la base de l’intégralité de leur carrière.

Cette catégorie professionnelle est la seule et la dernière pour laquelle le mode de calcul de la retraite repose sur l’ensemble de la carrière.

Nous sommes donc, logiquement, favorables à ce texte, qui vise à calculer sur les vingt-cinq meilleures années la pension de retraite des travailleurs agricoles, ce qui permet, selon les acteurs que nous avons interrogés, de ne faire aucun perdant et de revaloriser minimalement les pensions des agriculteurs retraités.

Néanmoins, la bonne volonté de cette chambre et des oppositions à l’Assemblée nationale ne peut à elle seule suffire à traiter les causes profondes de la crise agricole.

Tous les acteurs le disent : c’est grâce à des revenus décents que les agriculteurs auront une pension de retraite suffisante. L’exception agriculturelle, le patriotisme économique, l’action résolue d’un gouvernement fermement engagé au service de notre pays pour lutter contre des dogmes européens ubuesques, voilà ce qu’attendent nos agriculteurs !

C’est par un accès privilégié au marché national et, particulièrement, à la commande publique que nos agriculteurs pourront garantir leurs revenus et, ainsi, obtenir, après une vie de labour et de labeur, une retraite décente.

Nous soutiendrons ce texte, mais nous resterons particulièrement attentifs à l’attitude du Gouvernement et de la minorité présidentielle à son égard, tant ceux-ci semblent incapables d’entendre une colère à la fois de plus en plus forte et légitime. (MM. Aymeric Durox et Joshua Hochart applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Klinger. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christian Klinger. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’année dernière, nous avons adopté une loi qui habilitait le Gouvernement à réformer le régime des retraites des non-salariés agricoles par décret.

Les agriculteurs sont les actifs qui travaillent le plus, avec cinquante-quatre heures par semaine en moyenne. Neuf agriculteurs sur dix travaillent le week-end ; deux sur trois ne partent pas plus de trois jours consécutifs en vacances chaque année.

Nous souhaitions mettre fin à l’injustice qui frappe les agriculteurs, dont le montant des retraites est inférieur de près de 700 euros par mois à celui des retraites du régime général.

Pour ce faire, nous avons chargé le Gouvernement de nous fournir un rapport détaillant les scénarios et les paramètres de mise en œuvre d’une réforme d’ici 2026. Ce rapport, remis avec neuf mois de retard, propose trois scénarios de réforme, faisant au moins 15 % de perdants, voire n’ayant pas d’incidence sur le montant des pensions. C’est un coup d’épée dans l’eau !

Nous avons suffisamment perdu de temps. Cet après-midi, faisons le choix d’un texte garantissant un mode de calcul juste et équitable, qui corrigera des disparités et assurera une plus grande équité dans les montants des retraites. Faisons également le choix de pensions plus stables, en calculant un nombre moyen de points acquis chaque année pendant les vingt-cinq meilleures années et en l’extrapolant à l’ensemble de la carrière. Les fluctuations importantes de revenus, liées à des facteurs tels que les conditions météorologiques ou l’évolution du prix des produits agricoles, par exemple, ne sont pas mises de côté.

Alors que 50 % des actifs agricoles prendront leur retraite d’ici dix ans, sachons redonner de l’attractivité à ce secteur. La question du renouvellement des générations en agriculture est, en effet, essentielle. En trente ans, plus de 57 % des exploitations ont disparu. La surface agricole utile s’amenuise et les investissements sont en berne, sans compter les difficultés liées à la transmission des terres et des exploitations.

Or nous avons besoin d’une souveraineté alimentaire solide et effective, laquelle passe notamment par une politique de protection de ceux qui nous nourrissent, par la revalorisation de leur métier et de leur retraite.

Cet après-midi, choisissons de protéger les sortants, et donnons des garanties aux entrants pour rendre le secteur agricole encore plus attractif.

En résumé, faisons tout simplement en sorte qu’il n’y ait pas de perdants et que ce nouveau mode de calcul des pensions de retraite agricoles entre en vigueur dès 2026 ! Les événements récents nous obligent collectivement à tenir cet objectif et ce calendrier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Somon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

M. Laurent Somon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’associe à mon intervention ma collègue Kristina Pluchet, qui souhaitait participer aux débats sur cette proposition de loi, mais qui a été retenue dans sa circonscription. Le sujet lui tient particulièrement à cœur.

Le 1er février 2023, la proposition de loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses était adoptée conforme et à l’unanimité par notre assemblée. Ce texte donnait une feuille de route claire au Gouvernement.

Je tiens, à cet égard, à saluer la qualité du travail de la commission des affaires sociales et, plus particulièrement, de sa rapporteure, Pascale Gruny, qui, déjà à l’époque, avait présenté un rapport très complet, détaillant les différents scénarios possibles.

Nous étions alors loin d’imaginer que les propositions du Gouvernement, que le rapport du 30 janvier dernier – dont personne n’avait encore parlé – a enfin révélées, seraient aussi éloignées de la volonté du législateur.

Ce rapport, nous le déplorons, repose sur des choix méthodologiques contestables.

Ainsi, sur les cinq scénarios identifiés pour mettre en œuvre la réforme, trois ont été arbitrairement écartés. Quant à ceux qui ont été retenus, ils ne satisfont pas aux deux conditions posées par le législateur : d’une part, respecter les spécificités du régime d’assurance vieillesse des non-salariés agricoles et garantir impérativement le niveau des pensions et des droits acquis ; d’autre part, s’assurer qu’il n’y ait pas de perdants.

Le rapport a, en effet, délibérément ignoré le scénario de la commission des affaires sociales du Sénat, fondé sur le rapport de M. Yann-Gaël Amghar, qui consistait à calculer la pension de base des non-salariés agricoles sur le fondement des vingt-cinq meilleures années, tout en conservant un régime par points.

Les scénarios retenus sans le moindre complexe par le Gouvernement dans le rapport de janvier dernier font de nombreux perdants, tandis que la réforme n’aurait pas d’incidence sur le montant de la pension d’une part très importante des assurés.

Ces différentes hypothèses trahissent de manière manifeste la volonté du législateur.

Nous regrettons de devoir de nouveau rappeler l’injustice qui est faite à ceux qui nous nourrissent lorsqu’ils perçoivent, après une vie de labeur, une pension inférieure de 700 euros en moyenne par mois à celle de l’ensemble des retraités.

Depuis plus d’un an, le Gouvernement aurait dû montrer son attachement à ceux qui assurent notre souveraineté alimentaire. C’est la raison pour laquelle j’ai cosigné, avec plusieurs de mes collègues, la proposition de loi du président Mouiller.

Grâce à cette initiative, nous allons inscrire directement dans la loi les modalités de calcul qui seront applicables aux pensions agricoles liquidées à compter du 1er janvier 2026, à savoir un nombre de points égal au nombre annuel moyen de points acquis pendant les vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses.

Vous l’aurez compris, le groupe Les Républicains votera en faveur de ce texte, qui démontre, par son effectivité, le soutien apporté à toute une profession. Les agriculteurs, et particulièrement les agricultrices, qui doivent déjà faire face, durant toute leur vie active, à des revenus aléatoires et à la dureté de leur métier, devraient pouvoir aborder la retraite avec davantage de sérénité et en profiter avec plus d’espérance.

Ce soutien doit être couplé à une anticipation plus précoce de la transmission des exploitations, qui, comme l’a dit mon collègue Christian Klinger, doit être favorisée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, traversé par une crise continue, le monde paysan n’en finit pas de s’interroger sur la reconnaissance de son travail.

L’environnement incertain auquel nos agriculteurs font face les laisse en proie au doute et au désarroi, si bien que, au terme d’une vie de dur labeur, de plus en plus d’agriculteurs ne souhaitent plus que leurs propres enfants reprennent, comme ils ont pu le faire eux-mêmes, la ferme familiale.

Dans ce tableau général, la faiblesse du montant des retraites agricoles est un facteur qui pèse au moment de faire le bilan d’une vie passée au travail.

Songez que la pension annuelle de base des assurés, anciens chefs d’exploitation ayant effectué une carrière complète, s’élève à 864 euros brut par mois en moyenne ! Tous régimes confondus, y compris complémentaires, les anciens non-salariés agricoles perçoivent, en moyenne, une pension de 1 269 euros brut par mois. Les retraites agricoles sont, de fait, les plus faibles de tous les secteurs d’activité économique.

La plupart des agriculteurs retraités touchent une pension d’environ 1 000 euros, à laquelle il faut parfois soustraire des pensions de réversion s’élevant à 700, voire 800 euros.

D’après une étude de la MSA réalisée en 2023, la pension de retraite des non-salariées agricoles est inférieure de 18 % en moyenne à celle des agriculteurs et salariés agricoles, qu’il s’agisse des cheffes d’exploitation ou des conjointes collaboratrices.

Plus récemment, nous avons adopté la loi Dive, qui vise à réparer une injustice de traitement en alignant le régime spécifique des non-salariés agricoles sur le régime général.

On a longtemps attendu la publication d’un rapport gouvernemental, qui a finalement été transmis au Parlement le 30 janvier dernier – avec neuf mois de retard…

Des trois scénarios retenus dans ce rapport, il ressort, comme l’a rappelé notre commission des affaires sociales, qu’« aucun ne correspond à l’intention du législateur, dans la mesure où les réformes ébauchées font toutes une proportion significative de perdants par rapport au mode de calcul actuel ».

La proposition de loi de notre collègue Philippe Mouiller tend, pour sa part, à conserver un régime par points permettant le calcul des pensions agricoles sur la base des vingt-cinq meilleures années.

Certaines mesures de revalorisation ont certes été prises, notamment pour instaurer des seuils minimaux. Je pense aux lois Chassaigne 1 et 2, mais le Gouvernement a, hélas, défini un seuil d’écrêtement qui a contribué à en amoindrir la portée. Les polypensionnés, nombreux dans le secteur agricole, ont notamment été pénalisés.

Malheureusement, il reste de nombreux trous dans la raquette. En effet, les nombreux agriculteurs n’ayant qu’une carrière incomplète sont exclus des dispositifs. C’est le cas notamment des femmes, qui ont bien souvent connu des situations précaires et changeantes.

La présente proposition de loi, si elle était adoptée, constituerait donc une amélioration sensible.

J’ajoute que l’évolution du montant des retraites agricoles dépend aussi de facteurs tels que l’augmentation des revenus des agriculteurs et l’installation de nouveaux jeunes exploitants, ce qui doit nous conduire à alléger la fiscalité sur la transmission des exploitations agricoles. Ces objectifs feront partie, je l’espère, de ceux que visera la future loi d’orientation agricole.

Pour l’heure, rien ne s’oppose à ce que nous adoptions ce texte, qui, je le répète, améliorera sensiblement la situation de nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Bravo !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles
Après l’article 1er

Article 1er

I. – La sous-section 1 de la section 3 du chapitre II du titre III du livre VII du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifiée :

1° (Supprimé)

2° Après le mot : « proportionnelle », la fin du 2° de l’article L. 732-24 est ainsi rédigée : « exprimée en points, pour le calcul de laquelle il est retenu un nombre de points correspondant au produit du nombre annuel moyen de points porté au compte de l’assuré au cours des vingt-cinq années civiles d’assurance dont la prise en considération est la plus avantageuse pour l’intéressé par la durée d’assurance. Le montant de la pension est obtenu par le produit du nombre de points ainsi calculé par la valeur de service du point, revalorisée dans les conditions prévues à l’article L. 161-23-1 du code de la sécurité sociale. » ;

3° L’article L. 732-24-1 est abrogé ;

4° à 13° (Supprimés)

II. – Le I du présent article est applicable aux pensions liquidées à compter du 1er janvier 2026.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Cuypers, sur l’article.

M. Pierre Cuypers. Mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer Philippe Mouiller et Pascale Gruny pour leur travail exemplaire sur ce texte.

La présente proposition de loi est un jalon supplémentaire pour améliorer la condition des travailleurs non salariés agricoles. Son dispositif satisfait une revendication légitimement défendue par les syndicats et les acteurs de l’ensemble des filières.

Il ne faut pas négliger les chiffres : n’oublions pas que la retraite des pensionnés de droit direct, affiliés à titre principal, s’élève à 840 euros par mois en moyenne, contre 1 530 euros pour l’ensemble des retraités.

Si ce texte permet d’améliorer la situation des chefs d’exploitation les plus fragiles, je souligne toutefois que leur rémunération est conditionnée aux résultats, ce qui ne leur assure pas une visibilité optimale sur le montant de leur retraite.

Je tiens à rappeler que la mise en place de cette mesure dans les temps et sans fausse note est vitale pour les exploitants aux revenus modestes.

Je rappelle également que mes différentes interventions sur ce sujet, en mars et en mai 2018, puis en janvier 2019, ont été suivies de divers engagements du Gouvernement, dont aucun n’a finalement été tenu.

Par souci d’équité envers celles et ceux qui ont pris ou prendront leur retraite avant 2016, quelles mesures pourraient être prises pour revaloriser les retraites déjà liquidées ?

Les agriculteurs sont toujours plus nombreux à témoigner de l’angoisse que crée le flou entretenu autour de la question des retraites agricoles. Les documents manquants ou contradictoires, les feuilles qui s’égarent dans les bureaux de la MSA… Tout cela contribue à établir un climat incertain et sûrement préjudiciable.

Monsieur le ministre, notre agriculture, déjà essoufflée par la multiplication des normes, ne peut l’être davantage par la bureaucratie.

Cette proposition de loi est un premier pas vers la mise en place de l’intégralité des quarante-deux mesures que nous proposons, sur l’initiative de notre collègue Laurent Duplomb.

Dans un contexte social, politique et géopolitique incertain, le sujet est loin d’être anecdotique.

Le Gouvernement parle de « réarmement démographique » : à ce titre, il est urgent de préparer le réarmement alimentaire !

Monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous, nous savons qu’il n’y a pas de pays sans paysans. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Louault applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville, sur l’article.

M. Franck Menonville. À l’heure où la colère et la grogne du monde agricole montent, il est plus que nécessaire que la réforme du mode de calcul des pensions de retraite des non-salariés agricoles entre en vigueur au plus vite. Il s’agit là d’une mesure de justice sociale.

Ce texte arrive à point nommé. Il met un terme aux inégalités de traitement existantes, pour rétablir l’équité entre les assurés sociaux. Il contribue à renforcer l’attractivité du métier d’agriculteur, dans un contexte où, rappelons-le, la moitié des actifs partiront à la retraite dans les dix ans à venir.

On compte aujourd’hui 1,3 million d’anciens agriculteurs non salariés, percevant une retraite de 840 euros brut par mois en moyenne, contre 1 531 euros brut en moyenne pour les autres salariés retraités.

La loi du 13 février 2023, adoptée à l’unanimité par notre assemblée, tendait à faire converger le calcul de la pension de retraite agricole de base sur celui des salariés et des indépendants.

Les modalités de mise en œuvre de ce texte ont été précisées par le rapport – tant attendu ! – du Gouvernement remis le 30 janvier dernier, autour de trois scénarios. Or aucun d’entre eux ne répond totalement à l’impératif de justice que nous nous sommes fixé, en tant que législateur.

La présente proposition de loi vise à consacrer un nouveau mode de calcul fondé sur les vingt-cinq meilleures années de cotisations, tout en conservant le régime par points, à compter de 2026.

Si les attentes sont grandes, ce texte y répond. Il est urgent d’agir. Nous ne pouvons plus attendre : il faut mettre en œuvre cette réforme. Nous le devons bien à ceux qui nous nourrissent au quotidien. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb, sur l’article.

M. Laurent Duplomb. Je tiens tout d’abord à saluer et à remercier Philippe Mouiller et Pascale Gruny, qui ont travaillé ardemment sur ce texte.

Je rappelle que le nouveau mode de calcul des retraites de base des travailleurs non salariés agricoles, qui repose sur les vingt-cinq meilleures années, a d’ores et déjà été voté. Aussi, si l’on respectait vraiment le Parlement, il conviendrait de mettre en œuvre cette mesure !

Monsieur le ministre, on ne peut pas se satisfaire de propos laissant entendre qu’une telle réforme serait trop complexe et qu’elle coûterait trop cher, ni que l’on repousse, en conséquence, son application aux calendes grecques, à 2040 par exemple, ni même à 2028, comme il semble que vous l’ayez dit tout à l’heure.

Non, monsieur le ministre, vous ne pouvez pas systématiquement pratiquer le « en même temps » : on ne peut pas « en même temps » dire que l’on veut favoriser l’installation des jeunes agriculteurs et ne pas reconnaître le travail de ceux qui ont exercé le métier avant eux !

Vous ne pouvez pas laisser la situation actuelle se pérenniser et ne rien faire pour anticiper la mise en œuvre d’une mesure que nous avons votée, disposition qui, certes, n’équivaudra pas au paradis sur terre pour les retraités agricoles, mais qui contribuera à réévaluer un peu le montant de leur pension, aujourd’hui très insuffisant.

Vous ne sauriez laisser nos agriculteurs continuer à travailler, alors qu’ils sont parfois âgés de plus de 60 ans, voire 65 ans, tout simplement parce qu’ils n’ont aucun autre moyen de disposer de revenus décents !

La revalorisation des pensions des retraités agricoles traduit la reconnaissance de la Nation à leur égard, mais représente aussi un investissement pour l’avenir : si nous leur permettons de percevoir une retraite digne de ce nom, ils pourront enfin arrêter de travailler et profiter d’une vie moins difficile, ce qui favorisera l’installation de jeunes agriculteurs.

Par conséquent, monsieur le ministre, cessez de nous répondre que cette mesure coûte trop cher, alors que la France a dépensé des milliards d’euros ces sept dernières années et que le Gouvernement a pu nous donner l’impression que l’argent magique existait… Une telle réponse n’est pas acceptable quand on sait que la mesure que nous proposons pour les retraités agricoles ne coûterait, par comparaison, que 20 à 100 millions d’euros.

Écoutez enfin la voix de la raison ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre. Je n’avais pas prévu de m’exprimer, mais vos propos, monsieur Duplomb, m’incitent à le faire.

Monsieur le sénateur, il est regrettable que vous n’ayez pas été présent lors de mon propos liminaire : j’ai bien dit que le problème n’était pas budgétaire.

M. Laurent Duplomb. C’est bien ! Faites ce qu’il faut en ce cas !

M. Marc Fesneau, ministre. J’ai également indiqué que nous faisions face à une difficulté technique, qui ne nous permettait pas de mettre en œuvre, dès le 1er janvier 2026, ce système de revalorisation basé sur les meilleures années de revenus, mode de calcul voulu notamment par les organisations syndicales, que vous connaissez bien.

Je le répète, à ce stade, nous ne serions en mesure d’appliquer cette mesure qu’à compter de 2028. Cela étant, nous faisons tout notre possible pour qu’elle puisse entrer en vigueur dès 2026, malgré ce problème technique.

Comme vous n’avez manifestement pas eu le loisir de m’entendre tout à l’heure, je vous le redis : notre difficulté n’est pas d’ordre budgétaire.

Notre objectif est de faire en sorte que la mesure s’applique dans les meilleurs délais, mais nous ne pouvons éluder les obstacles pratiques. Ainsi, la MSA n’est pas capable de revenir sur les annuités cotisées avant 2016. C’est elle qui le dit, pas moi ! (M. Laurent Duplomb se montre dubitatif.) Je vous mets au défi de trouver une déclaration d’un représentant de la MSA qui affirmerait le contraire… C’est pourtant cette incapacité de la MSA à revenir sur tout ce qui est antérieur à 2016 qui pose problème aujourd’hui !

J’ai également déclaré tout à l’heure que le travail accompli par le président de la commission et par la rapporteure présentait l’intérêt de mettre en œuvre cette réforme dès 2026, mais le système par points n’a pas vocation à durer, puisqu’il est moins favorable que le régime basé sur les vingt-cinq meilleures années de revenus. Or c’est dans cette voie que nous essayons d’avancer.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Après l’article 1er

Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par Mmes Lubin et Le Houerou, M. Kanner, Mmes Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 732-24-1 du code du rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 732-24-… ainsi rédigé :

« Art. L. 732-24 – … – I.– La Nation se fixe pour objectif de réformer le système de retraite de base des non-salariés des professions agricoles avant le 1er janvier 2030.

« II.– Les modalités d’application du I sont définies par décret en Conseil d’État. »

La parole est à Mme Monique Lubin.

Mme Monique Lubin. Cet amendement, identique à un amendement, déclaré irrecevable, que j’avais déposé en vue de l’élaboration du texte de la commission, vise à ce que le Gouvernement s’engage à travailler sur une refonte totale du système de retraite des agriculteurs.

Pourquoi ? Même si cela ne fera peut-être pas plaisir à certains de nos collègues de l’entendre, les retraites agricoles souffrent d’un mal originel, qui date de l’époque où les différents régimes de retraite ont été mis en place : à ce moment, les agriculteurs n’ont pas souhaité dépendre du même régime que les salariés.

Aujourd’hui, ils en paient le prix fort, le prix des choix faits par la profession agricole elle-même, qui a préféré placer son argent, via des investissements ou de l’épargne personnelle, plutôt que payer des cotisations sociales et s’assurer ainsi une couverture sociale digne de ce nom.

Même si cela ne plaît peut-être pas à certains que je le dise, c’est un fait !

Aujourd’hui, ayons le courage de mettre tout le monde autour d’une table, en premier lieu les organisations agricoles, et demandons-leur de tout remettre à plat, notamment d’élargir l’assiette des cotisations.

On ne peut pas, d’un côté, demander à percevoir une retraite agricole calculée sur les mêmes bases que celle des salariés et, de l’autre, ne pas payer les mêmes cotisations !

Je sais qu’un tel discours est difficile à tenir à un moment où un grand nombre d’agriculteurs – mais pas tous – ne vivent pas de leur travail. Il n’empêche que, si l’on veut enfin aboutir à quelque chose et cesser de mettre des cataplasmes sur des jambes de bois, il faudra bien redéfinir le système dans son intégralité. (M. Yannick Jadot applaudit.)

Mme la présidente. Le sous-amendement n° 2, présenté par Mme Souyris et M. Salmon, est ainsi libellé :

Amendement n° 1, après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Cette réforme devra notamment mieux inciter l’ensemble des non-salariés agricoles, en particulier les conjointes collaboratrices et conjoints collaborateurs, à cotiser audit système de retraite de base.

La parole est à M. Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon. Ce sous-amendement vise à compléter l’amendement de nos collègues socialistes, que nous soutenons complètement, et à soulever la question des conjoints, qui sont aujourd’hui bien souvent des conjointes.

Ces dernières subissent une double peine : d’une part, leur carrière ayant souvent été fractionnée, le montant de leur retraite est insignifiant ; d’autre part, elles doivent fréquemment assumer une autre fonction.

En effet, les agriculteurs étant exposés aux pesticides, ils sont sujets aux maladies professionnelles, qui se déclarent souvent, hélas ! au moment de la retraite. Leurs conjointes doivent alors assumer, en plus du reste, l’assistance à leur mari.

Il est donc urgent de prendre en compte la question des conjointes d’agriculteurs.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Pascale Gruny, rapporteur. Madame Lubin, votre amendement vise à fixer un objectif de réforme globale du régime de retraite de base des non-salariés agricoles. Bien entendu, nous partageons une partie de votre raisonnement.

Il est vrai que le système a besoin d’être simplifié, mais il est vrai aussi que la profession a fait des choix. Enfin, ceux qui ont travaillé pour nourrir la population française au retour de la guerre ont été quelque peu privilégiés dans ce régime de retraite. On l’a peut-être oublié aujourd’hui, mais ce paramètre est pris en compte dans les bases de calcul des pensions et peut expliquer le manque de cotisations.

Par ailleurs, c’est la faiblesse des revenus qui explique la faiblesse des pensions, et non l’architecture du régime. (Mme Monique Lubin le conteste.) Si, madame Lubin, c’est surtout la faiblesse des revenus !

De plus, n’oubliez pas que ce système est particulièrement redistributif. Si nous en modifions l’architecture, les plus faibles, dont vous parlez très souvent, risquent d’être pénalisés.

Quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas d’accord avec vous sur un point : vous renvoyez à un décret les modalités d’application de votre amendement. Autrement dit, vous vous en remettez au Gouvernement, alors qu’il n’a jamais pris les décrets d’application de la loi Dive déterminant les paramètres de la réforme.

La commission émet donc un avis défavorable sur l’amendement n° 1.

Le sous-amendement n° 2, défendu par M. Salmon, vise à compléter l’amendement n° 1 et concerne les aidants familiaux et les conjoints collaborateurs. Là encore, nous sommes sensibles à la question soulevée. Vous pointez surtout le fait que la retraite agricole serait le résultat d’une forme d’optimisation sociale.

Certains agriculteurs, mais également – je l’ai moi-même constaté – des commerçants et artisans décident d’investir pour diminuer leurs revenus afin de payer moins d’impôts et de cotisations. Ce n’est évidemment pas une bonne solution. Je suis comptable de profession et je regrette que certains confrères – ils sont, je pense, une minorité – incitent les agriculteurs à ne pas cotiser pour leur retraite.

Il faut évidemment cotiser pour les conjoints collaborateurs, voire les salarier, afin de leur ouvrir des droits à la retraite et éviter les difficultés que vous relevez, lesquelles concernent principalement des femmes.

Toutefois, étant défavorable à la remise en cause du régime de base – cela ne signifie pas pour autant qu’il ne faudra pas y travailler –, la commission émet un avis défavorable sur ce sous-amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Marc Fesneau, ministre. Madame la sénatrice Lubin, je partage le point de vue de la rapporteure et une partie du vôtre.

Lors de la création du régime, le choix a été fait d’instaurer un système spécifique pour le monde agricole. Cela se justifiait par des questions démographiques, par l’organisation des structures agricoles et des revenus.

Je suis d’accord avec la rapporteure, le système est très redistributif. C’est l’une de ses vertus. Il convient donc de ne pas le rejeter en bloc – au reste, ce n’est pas ce que vous avez fait.

Par ailleurs, la prise en compte, sur laquelle nous travaillons, des vingt-cinq meilleures années de revenus dans le calcul du montant des pensions est un premier pas vers une convergence avec les autres régimes. Elle nous semble utile, mais le mécanisme pour y parvenir est complexe.

D’autres étapes seront nécessaires, car la démographie agricole n’est plus du tout la même que lors de la création du régime. En outre, de plus en plus de personnes intègrent la profession de manière plus tardive que leurs parents ou grands-parents ou sont polypensionnées. Notre système doit tenir compte de cette évolution.

Voilà ce sur quoi nous devons travailler, mais nous devons le faire progressivement. Nous avons un désaccord non pas de fond, mais de temporalité sur cette question. Nous sommes d’accord pour prendre en compte les meilleures années de revenus dans le calcul du montant des pensions, mais la proposition de loi prévoyant un système par points, je ne peux être favorable à cet amendement.

Il faut procéder par étapes. Vous ne pouvez pas bousculer dans son ensemble un système dont l’équilibre a été construit pendant des années, sauf à considérer que seule la solidarité nationale doit réparer les choix qui ont été faits il y a trente ans, quarante ans, pour ne pas dire soixante-dix ans.

M. Marc Fesneau, ministre. Chacun doit assumer ces choix du passé et travailler pour l’avenir. Il serait injuste de changer les règles pour ceux qui ont choisi de moins cotiser à une époque où le contexte était tout autre.

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.

M. Bruno Sido. Madame Lubin, votre intervention m’a étonné. En France, il existe deux régimes d’imposition du bénéfice agricole : le régime du forfait et le régime du bénéfice réel. De moins en moins d’agriculteurs optent pour le forfait, ils sont de plus en plus nombreux à choisir l’imposition au réel.

Le revenu forfaitaire des agriculteurs a longtemps été assez élevé dans la mesure où l’administration ne reconnaissait pas l’amortissement du matériel. Ce paramètre a finalement été introduit pour faire baisser le revenu forfaitaire imposable de ces agriculteurs, ce qui n’était que justice.

Pour l’administration, le bénéfice des agriculteurs imposés au réel est plus élevé qu’il ne l’est en réalité, car il comprend la rémunération des agriculteurs, qui ne sont pas salariés. Aussi est-il inexact de dire que l’assiette des cotisations sociales est relativement basse. C’est une erreur.

Par ailleurs, vous avez attaqué nos anciens qui avaient décidé de ne pas cotiser comme des salariés classiques. (Mme Monique Lubin proteste.) Il est vrai qu’ils avaient à l’époque choisi un autre système, mais avant la création de ce dernier, ils ne cotisaient tout simplement pas. Il s’agissait donc d’une première étape.

Au bout du compte, les agriculteurs actuels sont soumis au système voulu par nos anciens, qu’il faut désormais changer. À cet égard, cette proposition de loi est donc tout à fait bienvenue.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.

M. Daniel Gremillet. Je partage le point de vue de Bruno Sido.

Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec beaucoup d’attention, mais je ne peux pas vous laisser dire que les agriculteurs ont fait un choix il y a soixante-dix ans. À cette époque, nos paysans ont été des bâtisseurs. (MM. Franck Menonville et Bruno Sido applaudissent.) Ces femmes et ces hommes ont travaillé pour nourrir le peuple. Ils n’ont pas eu le choix ! Or, aujourd’hui, on les abandonne.

On devrait avoir du respect pour ces femmes et ces hommes et leur en témoigner en termes de retraite. (Mme Laure Darcos applaudit.)

Je peux entendre que certains agriculteurs ont choisi, ces vingt dernières années, de cotiser ou non, mais remonter aussi loin qu’il y a soixante-dix ans est une provocation – je l’ai mal pris, monsieur le ministre – à l’égard de ceux qui ont alors vraiment mouillé la chemise. Je le répète : ils n’ont pas eu le choix. Personne ne s’en souvient, mais on avait faim à cette époque !

Comme Mme le rapporteur, j’estime qu’un travail de fond doit être réalisé en direction des agriculteurs, qui doivent investir dans leur retraite. Or, pendant très longtemps, les centres de gestion et de comptabilité qui accompagnent les agriculteurs ne leur ont pas conseillé de cotiser pour leur retraite. Cela commence seulement à être le cas. Avant cela, on leur conseillait d’investir dans de la ferraille – je me fais un peu provocateur – pour diminuer leurs revenus et moins cotiser. On en paie aujourd’hui les conséquences.

Mme Monique Lubin. C’est bien ce que je dis !

M. Daniel Gremillet. Comme l’a dit Bruno Sido, des exploitants soumis au régime du bénéfice réel perçoivent actuellement des retraites d’un montant inférieur à 1 000 euros. Pourtant, ils ont travaillé des heures et des heures.

C’est tout ce que je voulais vous dire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre. Je ne peux laisser sans réponse l’intervention du sénateur Gremillet. On peut me faire grief de tout ce que l’on veut, mais on ne peut pas me reprocher de ne pas respecter la profession agricole. Vous me faites dire ce que je n’ai absolument pas dit !

Comme l’ont souligné plusieurs d’entre vous, y compris la rapporteure, la profession agricole a choisi un système de protection sociale – c’était logique à l’époque – à part, spécifique. Le moment est venu d’y réfléchir, c’est d’ailleurs pour cela que nous examinons cette proposition de loi et que le Gouvernement a mené des travaux sur la question.

Nul besoin de faire l’exégèse de mes propos, qui étaient tout à fait clairs. J’y insiste pour le cas où subsisterait le moindre doute. Il y a soixante-dix ans, le contexte était différent, la démographie agricole n’était pas du tout la même. Comme l’a dit le sénateur Duplomb, il convient de penser la retraite comme un élément d’attractivité permettant de favoriser l’installation de jeunes agriculteurs.

M. Jean-François Husson. La capitalisation !

M. Marc Fesneau, ministre. Nous devons travailler avec le monde agricole et faire en sorte que la rémunération des agriculteurs soit à la hauteur de leur engagement non seulement au cours de leur carrière, mais également lorsqu’ils prennent leur retraite.

Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 2.

(Le sous-amendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article 2

Les conséquences financières résultant pour les organismes de sécurité sociale de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services – (Adopté.)

Vote sur l’ensemble

Après l’article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.

M. Daniel Salmon. Je tiens à expliquer les raisons pour lesquelles le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendra.

M. Jean-François Husson. C’est dommage !

M. Daniel Salmon. Cela a été dit, l’adoption de cette proposition de loi permettrait à certains agriculteurs de gagner 188 euros de plus par mois. La moyenne étant de 47 euros supplémentaires par mois, on comprend aisément que si certains gagnent 188 euros de plus, les autres gagneront 5, 10 ou 15 euros de plus qu’auparavant.

Les agriculteurs ne demandent pas l’aumône, ils veulent simplement percevoir une retraite décente, proportionnelle à leur investissement pour la Nation.

M. Daniel Salmon. Or cette proposition de loi n’est pas à la hauteur. C’est pourquoi nous nous abstiendrons.

Les revenus des agriculteurs sont très inégaux. Nous le savons, certains grands céréaliers, certains éleveurs porcins n’ont aucun problème à s’assurer des revenus pour leurs vieux jours, car ils ont pu investir dans l’immobilier.

M. Pierre Cuypers. Ce n’est pas vrai !

M. Daniel Salmon. Ce n’est pas le cas de nombreux agriculteurs. Dans mon département, certains éleveurs laitiers n’ont jamais eu de revenus suffisants leur permettant d’investir. C’est là que le bât blesse. Il va falloir agir pour ces véritables oubliés de la retraite agricole.

Labeur et labour ont la même racine latine : labor, qui signifie la peine, l’effort. Nos agriculteurs ont droit à une retraite qui soit vraiment à la hauteur de leur labeur.

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.

Mme Monique Lubin. Contrairement à ce que j’ai entendu, je n’ai insulté personne ni dit quoi que ce soit de désagréable.

Je viens du monde agricole et je connais parfaitement les raisonnements qui conduisaient, à une certaine époque, à payer le moins de cotisations possible à une espèce de monstre qui s’appelait l’« Amexa », c’est-à-dire l’assurance maladie des exploitants agricoles. Enfant, je me demandais ce qu’était ce truc auquel il fallait donner le moins d’argent possible. Je referme cette parenthèse personnelle.

Je ne manque de respect à personne, je dis simplement qu’il faut voir la réalité en face : à l’heure actuelle, les retraites agricoles ne sont financées qu’à hauteur de 20 % par les cotisations. Cela veut bien dire que le système est alimenté par d’autres sources.

Comme l’a dit M. le ministre, beaucoup de choses ont évolué depuis cinquante ans : la population agricole n’est pas la même, les revenus sont différents et différenciés. Il faut avoir le courage de tout remettre à plat.

Pour ma part, je suis favorable à ce que les agriculteurs aient une très bonne retraite, tout comme les salariés. Monsieur Duplomb, vous avez déploré le fait que des agriculteurs soient forcés de continuer de travailler au-delà de 65 ans. Des salariés aussi doivent eux aussi continuer de travailler après 64 ans et cela, je ne l’ai pas voulu, contrairement à vous ! La réforme des retraites ayant bientôt un an, j’ai plaisir à vous la rappeler.

Cela étant dit, comme nous sommes favorables à tout ce qui peut améliorer un tant soit peu le régime de retraite des non-salariés agricoles, ce qui est le cas de cette proposition de loi – son adoption ne changera toutefois rien : certains continueront d’avoir plus, d’autres d’avoir moins –, nous la voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 157 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 305
Pour l’adoption 305

Le Sénat a adopté. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et SER.)

La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Je tiens à remercier notre rapporteure Pascale Gruny (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.), qui s’investit sur ce dossier depuis de longs mois. En effet, même si ce texte a été examiné rapidement aujourd’hui, il est le fruit de dix-huit mois de travaux. Je remercie donc la rapporteure de sa mobilisation et de sa constance.

Monsieur le ministre, le résultat de ce vote vous oblige. Le Sénat envoie un message clair. Nous avons entendu votre volonté de parvenir au même but que nous, en empruntant un chemin différent. Pour ma part, j’estime qu’il y a urgence. Je me permets donc de vous donner un conseil pour vous aider : appliquez cette proposition de loi, vous gagnerez du temps ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson. Dites-le au Président de la République ! Et à Bruno Le Maire !

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles
 

8

Candidatures à des commissions mixtes paritaires

Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein des commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique et de la proposition de loi visant à interdire les dispositifs électroniques de vapotage à usage unique ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à seize heures cinquante.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

9

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à pérenniser les jardins d'enfants gérés par une collectivité publique ou bénéficiant de financements publics
Discussion générale (suite)

Jardins d’enfants

Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à pérenniser les jardins d’enfants gérés par une collectivité publique ou bénéficiant de financements publics (proposition n° 311, texte de la commission n° 419, rapport n° 418).

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à pérenniser les jardins d'enfants gérés par une collectivité publique ou bénéficiant de financements publics
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de léducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de lenfance, de la jeunesse et des familles. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis particulièrement touchée de m’exprimer sur le sujet des jardins d’enfants, ces structures d’accueil de nos plus jeunes enfants.

Je profite de cette tribune pour remercier la députée Michèle Tabarot de s’être saisie de ce sujet à l’Assemblée nationale et Mme la rapporteure Agnès Evren d’avoir poursuivi ses travaux ici au Sénat.

Comme vous le savez, l’existence des jardins d’enfants a été remise en question lors de l’examen de la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, défendue par le ministre de l’éducation nationale de l’époque, Jean-Michel Blanquer. En effet, ce texte a rendu la scolarisation obligatoire à l’âge de 3 ans.

Cette mesure forte, souhaitée par le Gouvernement, visait à renforcer le rôle décisif de l’enseignement préélémentaire dans la réduction des inégalités et à consacrer l’importance pédagogique de l’école maternelle dans le système éducatif français.

Néanmoins, une telle évolution a posé la question du devenir des jardins d’enfants. Le débat parlementaire sur ce sujet avait d’ailleurs été intense, notamment ici au Sénat, signe de l’importance des jardins d’enfants dans les territoires. En effet, en raison de traditions locales, ces jardins ont toujours eu une existence forte dans l’accueil des plus petits dans certaines régions.

C’est pourquoi nous avons à l’époque tâché d’être à l’écoute des familles et des gestionnaires de ces structures, qui pouvaient constituer une chance de socialisation et d’épanouissement pour les enfants et permettaient une transition vers le premier degré.

C’est aussi pourquoi nous avions choisi de donner du temps avant tout aux familles, pour leur permettre d’adapter la prise en charge de leurs enfants à la nouvelle exigence d’instruction posée par la loi, mais également aux établissements, afin qu’ils puissent faire évoluer leur organisation conformément au nouveau cadre juridique.

Un moratoire a donc été intégré à la loi Blanquer pour permettre aux jardins d’enfants qui existaient avant l’entrée en vigueur de la loi de continuer d’accueillir des enfants de 3 ans à 6 ans, pour une période de cinq ans, dans le respect de l’obligation d’instruction et sous le contrôle de l’inspection de l’éducation nationale.

Ce moratoire expire à la fin de l’année scolaire 2023-2024. Vous souhaitez le prolonger en accordant, par cette proposition de loi, une dérogation permanente aux jardins d’enfants existants.

La période de transition a permis à plusieurs établissements de s’adapter. Par exemple, l’académie de Paris comptait encore, à la fin de l’année 2023, vingt-cinq jardins d’enfants accueillant environ 1 200 enfants, dont vingt relevaient de la gestion municipale et cinq d’une gestion associative. De même, il existe treize jardins d’enfants en Alsace, dont la moitié sont municipaux.

La fin du moratoire affecterait désormais un nombre réduit d’établissements et d’enfants. Nous souhaitons à présent que soit organisée une meilleure coordination entre la petite enfance et l’éducation nationale.

La nouvelle architecture gouvernementale plaçant le ministère de l’enfance, de la jeunesse et des familles à la fois auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités et de la ministre de l’éducation nationale tend à traduire cette priorité en actes : il s’agit de nouer des partenariats entre les temps scolaire et périscolaire ; d’œuvrer pour le bien-être des enfants et des familles, à l’école et en dehors, notamment au travers du soutien à la parentalité ; de toujours mieux accueillir les enfants ayant des vulnérabilités particulières ou en situation de handicap ; et, bien évidemment, de mettre en œuvre le service public de la petite enfance, dans lequel les jardins d’enfants auront un rôle à jouer, en particulier pour les enfants âgés de 2 ans à 3 ans.

L’examen de cette proposition de loi n’est pas pour moi l’occasion de détailler les priorités du Gouvernement en faveur de la petite enfance, mais je tiens à rappeler que l’essentiel, pour nous, est d’accompagner les familles. Or nous voyons bien que la question des jardins d’enfants touche des territoires spécifiques, notamment Paris et l’Alsace, où des traditions locales sont installées.

Le Gouvernement s’en remettra donc, sur ce texte précis, à la grande sagesse des sénateurs. Pour ma part, je reste à votre écoute sur tous les sujets relatifs à l’accompagnement de nos plus petits, des familles et des structures d’accueil des enfants, y compris celles qui répondent à des traditions spécifiques.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Agnès Evren, rapporteure de la commission de la culture, de léducation, de la communication et du sport. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, en tant que sénatrice de Paris, c’est un véritable soulagement que d’examiner aujourd’hui cette proposition de loi de la députée Michèle Tabarot, adoptée le 1er février dernier à l’Assemblée nationale, visant à sauver les jardins d’enfants, en sursis depuis cinq ans.

Nous arrivons au terme d’un long combat mené avec force et de façon transpartisane sur toutes les travées de cet hémicycle. Je remercie les sénateurs de leur mobilisation constante aux côtés des familles : je pense notamment à Bruno Retailleau, à Max Brisson, à Laurent Lafon, à Catherine Morin-Desailly, à Elsa Schalck, à Marie-Pierre Monier, à Annick Billon et à Colombe Brossel.

Le vote du Sénat sur cette proposition de loi est attendu non seulement par les familles et les enfants qui fréquentent les jardins d’enfants, mais aussi par les professionnels de ces structures.

Il y a urgence, mes chers collègues ! Vous le savez, l’enjeu est important ; ce texte est notre dernière chance de garantir un avenir aux jardins d’enfants. Sans modification législative, ces structures presque centenaires, qui se caractérisent par une pédagogie alternative et assurent avec pertinence une mission de service public, sont tout bonnement condamnées à disparaître. Surtout, la France mettrait fin à un système complémentaire de l’école maternelle et qui a fait ses preuves.

Comment en sommes-nous arrivés à cette situation ? Plutôt, comment en sommes-nous venus à détricoter un système qui fonctionne parfaitement bien ?

La loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, dite loi Blanquer, a imposé la scolarisation des enfants dans les écoles maternelles dès l’âge de 3 ans. Cette obligation, présentée comme une mesure phare alors que 95 % des enfants de 3 ans étaient déjà scolarisés, a percuté de plein fouet les jardins d’enfants : ils sont devenus les victimes collatérales du projet de loi initial, par ailleurs totalement muet à leur sujet lorsqu’il a été examiné à l’Assemblée nationale.

C’est par un amendement de Bruno Studer, député du Bas-Rhin et président de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, que des dispositions relatives aux jardins d’enfants ont été introduites dans le texte. Notre collègue Max Brisson, rapporteur pour le Sénat du projet de loi, l’avait souligné en commission, puis en séance : la rue de Grenelle a donné l’impression de découvrir l’existence de ces établissements d’accueil, régis non par le code de l’éducation, mais par le code de la santé publique, lors du dépôt de cet amendement.

Aujourd’hui encore, les jardins d’enfants restent incompris par le ministère de l’éducation nationale,…

M. Max Brisson. Par la ministre, surtout !

Mme Agnès Evren, rapporteure. … comme j’ai pu, hélas ! le constater lors des auditions que j’ai menées.

À l’issue de la navette parlementaire, un compromis avait été trouvé : l’article 18 de la loi de 2019 prévoyait une dérogation sur cinq ans permettant de considérer comme satisfaite l’obligation d’instruction dès lors qu’un enfant fréquentait un jardin d’enfants.

Dans le même temps, le ministère s’était engagé à accompagner ces structures. Un rapport conjoint de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) présentait trois scénarios pour l’avenir des jardins d’enfants. Or, comme l’avait conclu notre commission, ces derniers s’apparentaient à de fausses solutions, difficiles à mettre en œuvre.

Surtout, la publication de ce rapport a marqué la fin de l’accompagnement promis par le ministère de l’éducation nationale, qui a sans doute considéré que les jardins d’enfants étaient une anomalie à supprimer. À l’inverse, plusieurs propositions de loi ont été déposées afin de les pérenniser – je pense en particulier à celle de notre collègue Elsa Schalck, en juin dernier.

Quelles sont les raisons qui nous poussent à vouloir conserver les jardins d’enfants, et que le ministère ne semble pas voir ?

Premièrement, ces structures s’adaptent – faut-il le redire ? – aux rythmes et aux besoins pédagogiques des enfants. Tous les acteurs concernés ont reconnu leur valeur ajoutée. Dans de très nombreux cas, ces établissements sont une véritable chance pour des enfants ayant des besoins particuliers, qu’ils souffrent de handicaps, de troubles du comportement ou de phobie scolaire. À Paris, sur les 588 enfants accueillis dans ces structures, 105 présentent des besoins éducatifs particuliers et 75 sont en situation de handicap.

Dès lors, la fermeture des jardins d’enfants ou leur transformation en crèches ou en haltes-garderies aurait de graves conséquences pour certains enfants en situation de handicap et en âge d’être scolarisés. En effet, les écoles maternelles ne sont pas en mesure de les accueillir en journée entière ou toute la semaine.

À la rentrée prochaine, à Paris, une centaine d’enfants devraient être confrontés à de graves difficultés pour trouver un nouvel établissement ou être accueillis à l’école. Or, comme nous l’avons dénoncé à plusieurs reprises dans cet hémicycle, l’école inclusive est en train de craquer. Dès lors, pourquoi supprimer une structure d’accueil inclusive qui fonctionne et permet à tous les enfants de s’épanouir à leur rythme ?

Deuxièmement, les jardins d’enfants se distinguent par leur vocation d’accompagnement à la parentalité. Les élèves sont accueillis par le même personnel et dans le même lieu, y compris à l’heure du repas : c’est extrêmement sécurisant et rassurant pour les enfants.

Troisièmement, les jardins d’enfants présentent une très forte dimension sociale et d’intégration. Ils sont historiquement liés aux cités ouvrières et la mixité sociale est l’essence même de leur modèle. À Paris, treize jardins d’enfants sont actuellement situés dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV).

Certains pourraient s’inquiéter du niveau des élèves concernés lors de leur entrée au CP. Je tiens à les rassurer : forts d’un recul de près d’un siècle, nous pouvons affirmer qu’aucun retard scolaire particulier n’a été détecté chez les enfants ayant fréquenté un jardin d’enfants plutôt qu’une école maternelle.

Par ailleurs, depuis la loi de 2019, les inspecteurs de l’éducation nationale contrôlent le respect des programmes scolaires et l’assiduité. La direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco) m’a ainsi précisé que les jardins d’enfants étaient contrôlés annuellement. À ce contrôle pédagogique s’ajoute un contrôle par le département et la PMI au titre de la surveillance des établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE).

Mes chers collègues, nous sommes tous conscients de l’urgence de la situation. En l’absence d’un vote conforme cet après-midi, les jardins d’enfants fermeront leurs portes à la rentrée 2024. Il n’y a plus de temps pour une éventuelle navette parlementaire : en effet, les inscriptions en école maternelle ont déjà commencé ; les parents qui les auraient effectuées ne feront pas la démarche inverse dans quelques mois. Quant aux professionnels, ils doivent pouvoir envisager leur avenir sereinement.

Pour l’ensemble de ces raisons, la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport vous appelle à voter conforme cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. le président de la commission applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Elsa Schalck applaudit également.)

M. Claude Kern. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’instruction obligatoire dès l’âge de 3 ans instaurée par la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance a causé, sans l’avoir anticipé, un dommage qui pourrait être fatal aux jardins d’enfants, dont certains ont une existence séculaire.

Élu d’Alsace, je connais particulièrement bien ces structures qui, même s’il en existe ailleurs en France, constituent une particularité régionale importante. Elles sont d’ailleurs issues des Kindergärten allemands conçus par Friedrich Fröbel.

Lieux passerelles entre la France et l’Allemagne pour les familles binationales – elles sont nombreuses dans la ville de Strasbourg, cette dernière faisant office de capitale européenne –, les jardins d’enfants prônent un modèle dont la performance est aujourd’hui largement reconnue. Ils sont souvent plus inclusifs que l’école et proposent, grâce à une pédagogie réfléchie et adaptée à chaque enfant, une solution de substitution à l’école maternelle traditionnelle.

Les jardins d’enfants présentent de nombreux avantages, et je prendrai le temps de mettre en exergue les principaux d’entre eux. Tout d’abord, l’effectif réduit des groupes d’enfants permet aux encadrants d’assurer un accueil individualisé et de respecter le rythme et la personnalité de chaque enfant.

Ensuite, on ne peut que saluer le travail favorisant la collaboration entre enfants et l’ouverture culturelle. Les jardins d’enfants jouent également un rôle de socialisation, d’instruction et d’intégration. En outre, ils apportent un fort soutien à la parentalité et assurent une collaboration active avec les familles.

Enfin, certains jardins d’enfants se caractérisent par un multilinguisme, élément non négligeable permettant aux enfants étrangers, nombreux en Alsace, d’accéder à la langue et à la culture françaises, et aux enfants strasbourgeois de suivre un cursus bilingue à l’école primaire et ainsi d’avoir un très bon niveau en langues.

Ainsi, que ce soit en Alsace ou dans le reste du territoire, les jardins d’enfants offrent aux familles un réel choix et la possibilité de s’investir pleinement dans l’instruction de leurs enfants de moins de 6 ans.

Reconnaissant à la fois des résultats particulièrement satisfaisants, mais également la conformité totale des jardins d’enfants aux objectifs du ministère, à savoir la scolarisation et la socialisation des enfants avant l’école primaire, le Sénat s’est tout de suite mobilisé et a fortement contesté la remise en cause de ces structures lors de l’examen de la loi de 2019.

À cet égard, je rappellerai, en les saluant, l’ensemble des travaux et propositions de loi d’origine sénatoriale qui, très précocement, ont permis de sonner l’alerte et d’envisager des correctifs. Je pense notamment à l’amendement d’Hervé Marseille à la proposition de loi pour une école de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité, présentée par Max Brisson.

Sans modification de la loi, les jardins d’enfants, notamment ceux qui dépendent des collectivités locales ou qui agissent par délégation de service public, ne pourront plus, à partir de la rentrée 2024, accueillir les enfants de 3 à 6 ans, sauf à opter pour l’une des insatisfaisantes perspectives d’évolution.

L’effet serait sans appel : on déplorerait une perte du nombre de places pour les enfants, alors que l’accueil des tout-petits est déjà déficitaire en France, et une réelle perte de chances pour nombre d’entre eux, notamment les enfants en situation de handicap, dont la socialisation serait malheureusement ruinée.

Nous mesurons donc toute l’importance que revêt la présente proposition de loi. Elle permettra de pérenniser les jardins d’enfants gérés ou financés par une collectivité publique qui existaient au moment de l’entrée en vigueur de la loi pour une école de la confiance et de considérer comme satisfaite l’obligation d’instruction dès l’âge de 3 ans.

Le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, lors de son audition en juillet 2022 par la commission de la culture du Sénat, reconnaissait sans équivoque devoir trouver une solution juridique pour que ces jardins puissent continuer d’accueillir des enfants.

Parce qu’il est important que les familles et le personnel des jardins d’enfants puissent envisager la rentrée prochaine sereinement, parce qu’il existe une volonté parlementaire transpartisane de sauver les jardins d’enfants, parce que le bilan de ces structures plaide pour que l’on reconnaisse leur action comme positive, parce qu’il faut remédier au mal français consistant à détruire ce qui fonctionne et parce qu’il convient de prendre acte du large consensus existant sur le sujet, le groupe Union Centriste, dont je porte la voix aujourd’hui, votera conforme cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et SER, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Mathilde Ollivier. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mathilde Ollivier. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous examinons ce jour la proposition de loi visant à pérenniser les jardins d’enfants gérés par une collectivité publique ou bénéficiant de financements publics, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale.

L’examen de ce texte se fait dans un contexte particulier. En effet, la loi pour une école de la confiance de 2019 a remis en cause l’existence des jardins d’enfants, les privant de leur financement public et les condamnant à une disparition progressive. Depuis sa promulgation, plus de quinze jardins d’enfants ont déjà fermé leurs portes.

Alertés par des familles et des professionnels sur la situation de ces structures, nos collègues de l’Assemblée nationale se sont rapidement saisis de cette question ; je pense notamment à Éva Sas, députée écologiste de Paris. Je salue le travail transpartisan qui a été mené sur la base de plusieurs initiatives parlementaires.

Nous avons toutes et tous conscience de l’importance de légiférer sur cette question rapidement, afin que les enfants, les familles et les personnes qui font vivre ces structures ne se retrouvent pas sans solution dans quelques mois. Il s’agit non pas de remettre en cause l’instruction obligatoire dès l’âge de 3 ans, mais d’admettre la qualité, la spécificité et l’ancienneté des jardins d’enfants en France. Leur disparition n’est pas souhaitable et mettrait dans une difficulté évidente de nombreuses familles.

Rappelons le rôle crucial des jardins d’enfants, qui se caractérisent tout d’abord par une très grande diversité : en effet, ils accueillent tous les enfants, sans distinction d’origine sociale, de culture ou de handicap. En 2024, 20 % des enfants accueillis étaient issus de familles défavorisées et 15 % présentaient des besoins particuliers.

Ensuite, l’engagement des jardins d’enfants pour l’inclusion est réel. Ils permettent d’accueillir et de prendre en charge les enfants en situation de handicap, qui sont tout de même au nombre de 430 000 en France. À l’heure où l’éducation manque d’accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), on ne peut que s’inquiéter de la disparition de ces structures. Pourtant – je ne saurais trop insister –, les jardins d’enfants peuvent jouer un rôle crucial dans la réduction des inégalités sociales et éducatives.

Enfin, les jardins d’enfants offrent une pédagogie unique, fondée sur le jeu, l’observation et l’expérimentation. Ce continuum éducatif permet aux enfants de se développer à leur rythme et d’explorer le monde qui les entoure dans un environnement rassurant.

Les jardins d’enfants n’ont pas vocation à se substituer à l’école : ils proposent une autre forme d’accueil, encadrée par des professionnels de la petite enfance, et permettent de satisfaire l’obligation d’instruction avant l’âge de 3 ans.

Ainsi, dans la continuité de l’engagement de la députée Éva Sas et des collègues écologistes de l’Assemblée nationale et du Sénat, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera en faveur de la pérennisation des jardins d’enfants et espère la promulgation de ce texte avant la rentrée de septembre. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mme Elsa Schalck et M. Claude Kern applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Lahellec.

M. Gérard Lahellec. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les jardins d’enfants sont un héritage de l’histoire. Les lois de 1901 ne sont pas étrangères à leur émergence : les jardins d’enfants sont nés d’une nécessité éprouvée d’organiser l’accueil de tous les jeunes enfants, quels que soient leur situation sociale, leurs aptitudes ou leur handicap. Ils ont été créés pour accueillir tout le monde.

C’est aussi parce que l’offre éducative et d’accueil des jeunes enfants n’existait pas qu’il a fallu l’inventer pour répondre au besoin et au souhait des populations.

Je ne résiste pas à l’envie de faire un parallèle entre ce sujet et celui de l’enseignement des langues régionales. C’est parce que l’éducation nationale a négligé l’enseignement des langues et des cultures régionales qu’au cours de l’histoire se sont constituées des écoles associatives. Certains les appellent « écoles privées » ; pour ma part, je les nomme « écoles associatives », y compris celles qui dispensent un enseignement immersif n’étant pas pleinement conforme à la Constitution.

Bien sûr, comme les besoins n’étaient pas exactement les mêmes partout, les jardins d’enfants se sont développés selon un modèle pluriel qui, de manière générale, reste très divers à l’échelle du territoire, dans les villes et les agglomérations, mais pas seulement.

Dès lors, il n’est pas anormal que se pose aujourd’hui la question d’une offre unifiée, publique et laïque, qui ne peut se concevoir qu’au travers de l’éducation nationale. Je tiens à le dire ici : les jardins d’enfants ne peuvent en aucun cas constituer le modèle de référence de l’école publique nationale. Mais faut-il pour autant, dans une perspective d’unification républicaine, interdire les jardins d’enfants comme solution de substitution à la scolarisation des enfants de plus de 3 ans ?

On ne peut répondre à cette question sans évoquer le contexte actuel de tensions dans nos départements sur la carte scolaire. À cet égard, la présente proposition de loi concerne chacun d’entre nous : que nous disposions ou non de jardins d’enfants dans nos circonscriptions, nous connaissons tous les tensions suscitées par les projets de fermeture de classes.

J’observe que l’éducation nationale ne comptabilise toujours pas les effectifs des toutes petites sections (TPS) dans les effectifs globaux, c’est-à-dire les enfants de 3 ans scolarisés. Or, dans nos territoires ruraux, tous les enfants de 3 ans et plus vont à l’école et y passent la journée entière. Lorsqu’une classe ferme, les familles se voient souvent contraintes d’inventer des solutions de substitution qui, parfois, ressemblent curieusement aux jardins d’enfants.

Je considère que la défaillance actuelle de la politique éducative nationale nous oblige à pérenniser l’existence des jardins d’enfants au-delà de 2024. Je ne prendrai pas le risque de faire disparaître ces structures alors que le Gouvernement n’est pas en mesure de proposer une offre permettant d’assurer le bon fonctionnement de l’école publique sur l’ensemble du territoire.

Nous voterons ce texte conforme afin qu’il puisse entrer en vigueur avant la rentrée prochaine. Mais je me dois de préciser que nous continuerons de défendre l’école publique nationale, qui doit être une priorité. À cet égard, il est absolument nécessaire qu’elle dispose de moyens suffisants pour répondre aux besoins dans l’ensemble de nos communes. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ahmed Laouedj. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Ahmed Laouedj. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les jardins d’enfants ont une dimension sociale et familiale essentielle. Ils sont notamment reconnus pour leur capacité à offrir un accompagnement spécialisé aux enfants en situation de handicap.

Ces structures, victimes collatérales de la loi pour une école de la confiance, sont aujourd’hui menacées de disparition, à moins d’effectuer un changement radical et coûteux : se transformer en établissement d’accueil du jeune enfant ou en école maternelle.

L’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) avait ainsi rappelé l’attachement des maires à ces structures, qui répondent aux besoins particuliers des familles, et avait fait part de ses inquiétudes quant à de possibles fermetures. L’AMF avait identifié les difficultés très concrètes que poserait l’éventuelle transformation des jardins d’enfants, notamment en ce qui concerne l’adaptation des locaux, la formation des professionnels exerçant dans ces structures et le contrôle des enseignements.

Nos villes connaissent une importante demande de gardes pour les enfants âgés de moins de 3 ans. Cependant, les structures actuelles, telles que les crèches et les haltes-jeux, ne parviennent à satisfaire en moyenne qu’un tiers des demandes, ce qui constitue un véritable problème pour les parents actifs.

Les jardins d’enfants constituent des structures intermédiaires entre la crèche et l’école, qui répondent efficacement aux besoins de garde des enfants en bas âge. Il était donc essentiel de légiférer afin de contrer les effets de la loi pour une école de la confiance et de pérenniser ces structures.

La présente proposition de loi permet de répondre aux inquiétudes des parents, des communes et des professionnels. Néanmoins, je m’interroge sur le périmètre définitif des structures concernées, le texte ne se concentrant que sur la pérennisation des structures existantes : qu’en est-il des communes ou des associations qui souhaiteraient créer de nouveaux jardins d’enfants à l’avenir ?

Alors que le caractère essentiel des jardins d’enfants a été clairement établi, il me semble crucial d’anticiper ces éventualités afin de garantir un égal accès à ces structures de tous les enfants, quel que soit leur lieu de résidence.

Au-delà de ces considérations, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen est partagé sur ce texte. Aussi, certains de ses membres voteront contre. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Martin Lévrier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Martin Lévrier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, particulièrement implantés dans les pays du nord de l’Europe, les jardins d’enfants ont trouvé leur place en France depuis plus d’un siècle.

Aux prémices de cette décennie, cinquante-trois départements français comptaient ce type de structure sur leur territoire, la moitié d’entre elles étant concentrées à Paris, dans le Rhône, le Nord, le Bas-Rhin, les Bouches-du-Rhône, la Loire, La Réunion et le Haut-Rhin. Aujourd’hui, 8 200 places sont disponibles, sur un total de plus de 2,5 millions, et 40 % d’entre elles se trouvent dans les deux départements d’Alsace et de Paris.

Adoptée conforme le 13 mars dernier par la commission de la culture, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à pérenniser les jardins d’enfants gérés par une collectivité publique ou bénéficiant de financements publics. Elle est le fruit de la volonté de Michèle Tabarot, …

M. Philippe Tabarot. Excellente députée ! (Sourires.)

M. Martin Lévrier. … qui a déposé le texte à l’Assemblée nationale.

Pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de cette proposition de loi, permettez-moi de la remettre en contexte.

La loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance a instauré l’instruction obligatoire dès l’âge de 3 ans à l’école maternelle. Cette obligation s’inscrit dans une volonté du Gouvernement de répondre à plusieurs objectifs, dont celui, le plus louable, de favoriser l’égalité des chances et l’inclusion. Et pour cause : l’école maternelle offre un environnement pédagogique et social stimulant à tous les enfants, quel que soit leur milieu social ou culturel ; elle permet de prévenir les difficultés scolaires en détectant les retards de développement dès le plus jeune âge et d’y remédier ; elle favorise l’acquisition du langage et des compétences sociales, essentielles pour la réussite future.

Cette loi, que nous saluons et qui a déjà fait la preuve de sa pertinence, a, par essence, rendu inutile le concept de jardins d’enfants en rendant l’école obligatoire dès l’âge de 3 ans.

M. Max Brisson. C’est l’instruction qui est obligatoire !

M. Martin Lévrier. Elle a prévu une progressivité pour permettre aux enfants qui y étaient scolarisés de terminer leur parcours avant l’entrée à l’école primaire. Plus précisément, elle a instauré une période de transition jusqu’en 2024 pour les structures ouvertes avant juillet 2019 ; 260 établissements et 8 000 élèves sont concernés.

Je concède que cette transition n’a pas été gérée de façon parfaite.

M. Max Brisson. C’est le moins que l’on puisse dire !

M. Martin Lévrier. Par exemple, aucune validation des acquis de l’expérience (VAE) n’a été proposée aux accompagnateurs des jardins d’enfants. Cette phase de transition était sans doute trop courte – j’y reviendrai.

En conséquence, nous examinons un texte qui tend à pérenniser ces structures.

Le premier argument qui justifierait cette proposition de loi est culturel. Les jardins d’enfants, à travers leur longue histoire, constitueraient un mode d’accueil plébiscité par de nombreuses familles, notamment dans la région Grand Est puisqu’ils découlent du modèle des Kindergärten que l’on trouve outre-Rhin.

Ainsi, les auteurs du texte, qui souhaitent protéger et pérenniser ce type d’établissements, revendiquent la sauvegarde d’une méthode éducative ancrée dans les comportements.

Que dire alors de l’originalité d’une approche pédagogique différente de tous les systèmes existants en France, qu’il s’agisse de l’enseignement public ou de l’enseignement privé sous ou hors contrat, même si souvent, et bien malheureusement, un regard idéologique est porté sur ce dernier ? Je me dois de rappeler que la transition aurait dû permettre cette évolution en souplesse.

Le deuxième argument justifiant ce texte est d’ordre diplomatique. En supprimant les jardins d’enfants, nous risquerions de créer un incident avec nos voisins allemands, qui voient dans la diffusion des jardins d’enfants à l’international une forme de soft power. J’ai beau être un partisan de l’Europe, je n’oublie pas que nous sommes des législateurs français ; en conséquence, ces considérations ne paraissent pas pertinentes.

Troisième et dernier argument : le statut d’établissement d’accueil des jeunes enfants diffère de celui des écoles maternelles, ce qui soulève des questions importantes sur l’accueil et l’éducation des enfants et la cohérence de la formation de ceux qui les encadrent – c’est sans doute le point le plus important.

Puisque je parle d’accueil et d’éducation, je rappellerai que les programmes pédagogiques des jardins d’enfants sont plus axés sur l’éveil, tandis que ceux des écoles maternelles privilégient l’apprentissage. Ce manque de cohérence pédagogique entre les deux structures laisse craindre une disparité de niveaux lors de la réunification des différents groupes à l’entrée au CP. (M. Max Brisson sexclame.)

M. Claude Kern. Justement, non !

M. Martin Lévrier. J’évoquerai à présent la question de la formation. Alors que le certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (Capes) est requis pour enseigner en école maternelle, un niveau bac+3 suffit lorsqu’il s’agit de s’occuper des élèves accueillis dans un jardin d’enfants. Les instituteurs manifestent d’ores et déjà leur inquiétude face à une baisse du niveau d’exigence.

Alors que l’école promeut l’équité et l’égalité, que dirait-on si les enseignants n’avaient pas tous le même niveau de qualification et de rémunération ? Sur ces travées, le tollé serait général, n’est-ce pas ?

J’en viens à mon dernier point, qui nous concerne tout particulièrement, nous législateurs. Force est de constater que le Parlement a souvent tendance à légiférer sur une multitude de sujets très, voire trop spécifiques. De cette inflation normative résulte un amalgame de lois et de réglementations qui prennent le pas sur de véritables réformes.

Pour le bon fonctionnement de nos institutions et le renouvellement du respect envers celles-ci, il serait préférable de prévoir beaucoup plus de missions de contrôle et de mesures d’impact. Une analyse fine du système existant nous permettrait, si nécessaire, de procéder à des ajustements ayant du sens.

Je vois déjà arriver une loi qui permettrait de continuer d’ouvrir des structures du même type. Mettons un terme à cette volonté de répondre aux préoccupations d’opinions publiques de niche pour simplement marquer son action !

M. Max Brisson. C’est honteux de dire cela !

M. Martin Lévrier. La loi pour l’école de la confiance, votée par la grande majorité des parlementaires, a été promulguée. Elle a rendu l’école obligatoire dès 3 ans.

M. Max Brisson. L’instruction, pas l’école !

M. Martin Lévrier. Faisons-la vivre dans sa diversité sans vouloir protéger ce qui n’a plus lieu d’être !

Malheureusement, nous devons agir dans l’urgence. J’avais défendu en commission un amendement visant à prolonger la période de transition, car je ne pouvais me résoudre à cette juxtaposition de systèmes incohérents. Toutefois, nous sommes déjà au mois de mars et, en théorie, la navette parlementaire prendrait trop de temps pour qu’une rentrée sereine puisse être organisée dans l’ensemble de ces établissements. Pour autant, ma collègue Nadège Havet a déposé un amendement du même ordre. Si j’avais la certitude que le texte ainsi amendé pourrait être adopté définitivement avant la mi-juin, je vous inviterais à le voter.

Une fois n’est pas coutume, sur ce texte, notre groupe s’inscrira dans les pas de celui du RDSE : nos votes refléteront une grande diversité de points de vue. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Exclamations amusées sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Colombe Brossel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Monique de Marco applaudit également.)

Mme Colombe Brossel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il était urgent d’agir. Pour les familles, pour les enfants accueillis en jardins d’enfants, pour les professionnels, il fallait préserver, définitivement, les jardins d’enfants.

Depuis 2019 et la promulgation de la loi pour une école de la confiance, les jardins d’enfants sont menacés. L’obligation d’instruction dès l’âge de 3 ans a remis en cause leur existence et leur bien-fondé. Nous sommes entre nous, nous pouvons donc nous avouer en toute tranquillité que l’existence et la pérennité des jardins d’enfants ont été un angle mort, voire peut-être une surprise ou une découverte, pour les artisans de la loi de 2019…

M. Max Brisson. Absolument !

Mme Colombe Brossel. De mobilisation en mobilisation, de dérogation en dérogation, puisque la période transitoire doit s’achever à la fin de la présente année scolaire 2023-2024, nous nous sommes retrouvés au bout du chemin, face à un choix : acter la légitimité de ces structures à proposer un modèle complémentaire d’accueil des enfants jusqu’à l’âge de 6 ans, ou la leur dénier.

Aujourd’hui, nous pouvons nous réjouir de cette proposition de loi et, je l’espère, du vote favorable de notre assemblée, qui permettra de pérenniser les jardins d’enfants gérés par les collectivités publiques ou qui bénéficient de financements publics, soit un grand nombre des jardins d’enfants existants.

Ces structures, qui relèvent de la catégorie juridique des établissements d’accueil du jeune enfant, accueillent dans de nombreux départements – essentiellement à Paris et en Alsace, ainsi que dans le Nord, le Rhône, la Loire et les Bouches-du-Rhône et à la Réunion – les enfants âgés de 18 mois à 6 ans, sur le modèle des Kindergärten allemands. La qualité de vie des enfants et la relation avec les parents sont au cœur de leur projet.

Bien loin de venir concurrencer ou de mettre en péril l’école maternelle publique, les jardins d’enfants représentent au contraire un modèle complémentaire de celle-ci : écoles maternelles et jardins d’enfants contribuent ensemble à la mixité et à l’inclusion dans chacun de nos territoires. C’est la raison pour laquelle nous défendons ces modèles.

Élue parisienne, je vais évidemment vous parler des jardins d’enfants parisiens, que je connais mieux. Situés très majoritairement dans des quartiers populaires et hébergés par un bailleur social, les jardins d’enfants municipaux sont des lieux de mixité et d’altérité. Centenaires, historiquement liés aux cités ouvrières, ils ont été créés pour permettre la prise en charge des enfants des familles accueillies dans les habitations à bon marché (HBM), dont les mères étaient généralement ouvrières. Comme le rapport conjoint des inspections générales le soulignait en 2020, ces établissements accueillent toujours de nombreux enfants issus de familles de milieux populaires.

À Paris, les jardins d’enfants sont essentiellement situés aux portes de Paris, comme notre rapporteure l’a relevé précédemment. Plus de 600 enfants parisiens y sont accueillis, sans tri ni sélection. Dans les jardins d’enfants pédagogiques de la ville de Paris, anciennement gérés par l’office public d’aménagement et de construction (Opac), devenu Paris Habitat, les familles déclarant des revenus inférieurs à 1 000 euros mensuels peuvent représenter jusqu’à deux tiers des enfants inscrits.

Partout, les jardins d’enfants sont des modèles d’inclusion ; cela a été dit sur toutes les travées de notre assemblée. Les enfants à besoins particuliers orientés par la protection maternelle et infantile (PMI), ou en situation de handicap reconnue représentent plus de 10 % des enfants accueillis à l’échelle nationale. À Paris, ils sont 15 %, dont 5 % sont reconnus par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). C’est plus du double de la proportion constatée dans les écoles maternelles. Ce chiffre n’a fait qu’augmenter ces dernières années, preuve, s’il en était besoin, que ces jardins d’enfants sont des lieux utiles pour scolariser et accompagner la scolarisation de ces enfants.

En effet, les jardins d’enfants facilitent un tel accueil en inclusion, à la fois par leurs projets éducatifs et par l’encadrement qui y est assuré : on compte un professionnel pour huit enfants jusqu’à 3 ans et trois professionnels pour quinze enfants au-delà.

Les jardins d’enfants sont par ailleurs régulièrement contrôlés par les services de la PMI et de l’éducation nationale pour ce qui relève de leur mission pédagogique. Si nous votons cette proposition de loi, ce contrôle sera désormais effectué chaque année par les services de l’éducation nationale, comme ils nous l’ont confirmé lors de leur audition.

Les professionnels des jardins d’enfants, essentiellement des auxiliaires de puériculture et des éducateurs et éducatrices de jeunes enfants, sont formés pour permettre l’accompagnement individualisé et pluridisciplinaire dont les enfants accueillis ont besoin. Ils sont engagés et remarquablement attachés à ces projets éducatifs. Ils sont mobilisés pour assurer un lien avec les familles, un lien renforcé et quotidien, précieux pour le bien-être et l’évolution de chacun des enfants.

La remise en cause des jardins d’enfants par la loi pour une école de la confiance, ou loi Blanquer, les avait, eux aussi, inquiétés. Comme les familles et comme les collectivités, les professionnels se sont mobilisés pour la préservation des jardins d’enfants. Ils ont dénoncé la condamnation inscrite dans cette loi : se transformer en établissement d’accueil de la petite enfance jusqu’à l’âge de 3 ans, ou en école privée, sous ou hors contrat, ou tout simplement disparaître !

Les sénateurs et sénatrices n’ont cessé de contester cette remise en cause, de manière transpartisane et à l’unisson de nos collègues députés, qui ont déposé la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ; tous, nous avons voulu défendre le modèle et l’existence des jardins d’enfants, au nom d’un principe très simple qui a été rappelé par l’un de nos collègues : pourquoi détruire ce qui fonctionne ?

L’issue était incertaine ; le couperet, très proche. Aujourd’hui, nous arrivons enfin à l’examen de cette proposition de loi.

Au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, je tiens à remercier l’ensemble de celles et de ceux – sénateurs et sénatrices de tous bords politiques – qui se sont mobilisés pour défendre ce modèle.

Chacun remerciera les siens ; permettez-moi donc de saluer d’abord l’engagement sans faille de David Assouline et de Rémi Féraud, tous deux sénateurs socialistes parisiens, ainsi que de notre collègue Marie-Pierre Monier, mais aussi celui de la députée socialiste Fatiha Keloua Hachi. Deux autres députées méritent d’être saluées, Éva Sas et Michèle Tabarot, auteure de la présente proposition de loi.

Le caractère transpartisan de cet engagement pour les jardins d’enfants étant particulièrement notable, je veux donc remercier tout particulièrement la rapporteure Agnès Evren, ainsi que nos collègues Elsa Schalck, Max Brisson, Annick Billon et Laurent Lafon. Sans doute en ai-je oublié certains, qu’ils soient ici également remerciés. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST, UC et Les Républicains.)

Après ces applaudissements d’autocongratulation, je tiens aussi, et surtout, à remercier et à saluer les familles et les professionnels qui n’ont jamais renoncé. Pour le dire franchement, le doute aurait pu tous nous gagner à certains moments ; eux n’ont jamais rien lâché et si nous sommes ici aujourd’hui, c’est parce que les familles et les professionnels ont continué à se mobiliser. Les applaudissements sont pour eux ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes SER, UC et Les Républicains.)

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera donc, bien sûr, cette proposition de loi.

Alors que la période dérogatoire doit prendre fin en août 2024, un amendement nous est proposé visant à la prolonger une nouvelle fois – d’une durée encore allongée par rapport à l’amendement similaire déposé en commission –, « afin que les structures concernées puissent envisager la meilleure option possible ». Mes chers collègues, nous n’avons pas le temps d’attendre ! Il serait contre-productif de reporter de nouveau l’échéance.

Nous, sénateurs et sénatrices socialistes, n’avons déposé aucun amendement, afin que le texte voté par notre assemblée puisse être adopté conforme à celui de l’Assemblée nationale et que, enfin, professionnels et familles puissent préparer sereinement la prochaine rentrée scolaire et les suivantes.

Il était urgent d’agir. Le vote, que j’espère conforme, de notre assemblée sur ce texte nous permettra de garantir définitivement un avenir aux jardins d’enfants existants, de sauvegarder un modèle qui fonctionne et des structures qui contribuent indéniablement au service public et à l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST, UC et Les Républicains. – M. Cédric Chevalier applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Elsa Schalck. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, INDEP et SER.)

Mme Elsa Schalck. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis est celui de la dernière chance si nous voulons sauver les jardins d’enfants : s’il n’est pas adopté, ces structures seront malheureusement condamnées à disparaître à la rentrée prochaine !

Les jardins d’enfants, structures complémentaires des écoles maternelles, existent pourtant depuis plus d’un siècle dans notre pays. Ils ont fait leurs preuves en veillant au développement des enfants âgés de 2 à 6 ans. Ces structures sont aussi très appréciées des parents.

Ce mode d’accueil du jeune enfant joue également un rôle important dans l’intégration des enfants présentant un handicap ou atteints d’une maladie chronique, grâce à une meilleure continuité et à un taux d’encadrement moyen plus élevé.

Ces structures constituent par ailleurs de réels soutiens à la parentalité, en assurant une prise en charge adaptée et une forte dimension familiale tout en appliquant les programmes de l’éducation nationale.

Pourtant, malgré leurs nombreux atouts, ces structures ont été des victimes collatérales de la loi de 2019, qui a rendu l’instruction obligatoire à partir de l’âge de 3 ans. Un moratoire d’une durée de cinq ans leur aura permis de perdurer, mais cette période prend fin au mois de septembre prochain. À plusieurs reprises, nous avions pourtant essayé de modifier la donne, notamment en adoptant un amendement que j’avais déposé à la proposition de loi de notre collègue Max Brisson, votée par notre assemblée au mois d’avril 2023.

C’est aussi dans ce contexte que j’avais déposé, au mois de juin 2023, une proposition de loi visant à préserver les jardins d’enfants.

Je suis dès lors particulièrement heureuse que l’occasion nous soit donnée d’atteindre ce même objectif au travers du texte de notre collègue députée Michèle Tabarot. Je tiens à la remercier d’avoir mené ce combat à l’Assemblée nationale jusqu’à l’adoption de cette proposition de loi.

De même, je remercie très chaleureusement notre rapporteure Agnès Evren pour le travail qu’elle a effectué et pour son implication sur cette question. Je sais à quel point elle est, elle aussi, attachée à la pérennisation de ces structures.

Nous partageons en effet tous la même conviction : il est indispensable de maintenir les jardins d’enfants.

Grâce au travail parlementaire concordant de nos deux assemblées, grâce à des volontés communes, transpartisanes, que je tiens, moi aussi, à saluer, nous pouvons aujourd’hui sauver les jardins d’enfants qui sont encore ouverts, du moins ceux qui préexistaient à la loi de 2019.

Pour cela, mes chers collègues, il importe de voter ce texte dans une version conforme à celle de l’Assemblée nationale, et ce dès la première lecture, c’est-à-dire aujourd’hui même. Vous l’aurez compris, ce texte nous parvient d’extrême justesse, à l’heure où débutent les inscriptions en maternelle. Il s’agit donc de notre dernière chance de garantir un avenir aux jardins d’enfants ; je remercie donc à mon tour le groupe Les Républicains de l’avoir inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée.

La question qui nous est posée aujourd’hui est finalement très simple : souhaitons-nous pérenniser des structures qui ont fait leurs preuves ? On pourrait aussi se demander a contrario : pourquoi vouloir supprimer un modèle qui a fait ses preuves en termes de compétences pédagogiques et d’accompagnement éducatif et social ?

Malheureusement, l’effet de la loi de 2019 se fait déjà sentir puisque le nombre d’enfants accueillis dans les jardins d’enfants est en forte diminution. Certaines de ces structures se sont transformées en crèches ; quinze autres ont fermé leurs portes en 2023. D’autres encore seront amenés à disparaître dans les prochains mois compte tenu du délai très court qui nous sépare de la prochaine rentrée scolaire. Mais pour celles qui restent, pour les personnels et les familles, très engagés depuis le début de cette affaire, que je tiens moi aussi à remercier, il nous faut agir ! Il nous faut légiférer pour corriger les effets collatéraux d’une loi qui n’avait pas pris en compte ces structures particulières.

Nos territoires – le Sénat en a tout particulièrement conscience – sont riches de spécificités et de traditions locales, et ce dans de nombreux domaines. Ils nous en livrent quotidiennement de nombreux exemples, qui mériteraient d’être encouragés plutôt qu’évincés. Les jardins d’enfants en font partie. Ils sont notamment implantés à Paris et en Alsace, dans les deux départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Ils sont très présents à Strasbourg, capitale européenne. Ces établissements sont très demandés par les parents, notamment par des couples franco-allemands et par des fonctionnaires européens, ce modèle étant fortement développé dans les pays du nord de l’Europe et en Allemagne, où l’on trouve les fameux Kindergärten.

Je me félicite donc de l’engagement des parlementaires sur ce sujet et de la volonté transpartisane qui nous a guidés jusqu’ici.

Il s’agit bien, aujourd’hui, de légiférer pour permettre à un modèle séculaire de demeurer une réalité dans notre pays.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les membres du groupe Les Républicains voteront bien évidemment ce texte, convaincus de la nécessité de sauvegarder les jardins d’enfants ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et GEST, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Laure Darcos. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les jardins d’enfants sont des lieux d’accueil à mi-chemin entre la crèche et l’école maternelle. Destinés à l’accueil et à l’éveil des tout-petits, ils proposent une forme de pédagogie alternative. Présents dans une cinquantaine de départements, ils ont une longue histoire en France où, s’inspirant du modèle des Kindergärten allemands, ils existent depuis une centaine d’années.

Ces structures associatives ou municipales sont à échelle humaine et proposent un modèle complémentaire de celui du système scolaire. Ils ne dépendent pas du ministère de l’éducation nationale, ce qui explique sans doute sa méconnaissance de ces établissements si particuliers.

Ceux-ci se sont développés autour d’une triple ambition : parentale, inclusive et sociale. Les éducateurs qui s’occupent des enfants bénéficient d’une formation spécifique, souvent centrée sur la psychopédagogie. Les parents s’investissent dans la vie des établissements, le personnel leur apportant régulièrement conseils et aides à la parentalité. La relation entre les éducateurs, les enfants et les parents y est déterminante.

De plus, les jardins d’enfants défendent une vision inclusive de l’école pour les plus jeunes. En effet, la pédagogie y est centrée sur l’enfant, son développement et ses besoins. Cela signifie que tous les profils peuvent s’y épanouir, en particulier ceux qui nécessitent un accompagnement spécifique.

Ainsi, à l’échelle nationale, 11 % des élèves accueillis au sein de ces structures sont en situation de handicap, proportion qui s’élève à 13 % à Paris.

La disparition des jardins d’enfants aurait donc pour conséquence d’aggraver les difficultés des parents d’enfants en situation de handicap, ce que personne ne souhaite ici.

Enfin, ces jardins d’enfants sont historiquement liés aux cités ouvrières et accueillent sensiblement plus d’enfants issus de familles défavorisées que les autres structures de la petite enfance. Les premiers établissements ont été créés dans l’idée d’ouvrir des lieux d’apprentissage pour les plus modestes. Et c’est toujours vrai aujourd’hui : plus d’un quart des jardins d’enfants sont encore situés dans un quartier prioritaire de la politique de la ville.

Aussi, si nous sommes réunis aujourd’hui, c’est bien pour sauvegarder les jardins d’enfants, lieux de mixité sociale et d’inclusion. Mais que de temps perdu, que de stress pour les familles et les salariés !

Comme vous le savez, à la suite du vote de la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, ces établissements sont appelés à disparaître dès la prochaine rentrée scolaire si nous ne modifions pas la loi, donc si le présent texte n’aboutit pas rapidement.

Rappelons que le projet de loi de Jean-Michel Blanquer était à l’origine muet sur le devenir des jardins d’enfants ; il n’y avait eu aucune anticipation. C’est donc, déjà, sur l’initiative du Parlement que ces structures ont pu être conservées jusqu’à présent.

Nous voici au mois de mars 2024, à six mois de la prochaine rentrée scolaire ; or rien de ce qui a été annoncé depuis 2019 n’a été mis en œuvre pour sauver les jardins d’enfants. Les services du ministère de l’éducation nationale continuent de considérer ces établissements comme une anomalie, alors que ceux-ci ont fait la preuve de leurs compétences en termes pédagogiques et d’accompagnement éducatif et social des enfants. Ils sont un modèle original et peuvent constituer une expérimentation intéressante d’un autre type d’accueil que l’école maternelle.

Une nouvelle fois, il aura fallu attendre le dernier moment et compter sur l’engagement des parlementaires pour régler ce problème. Comme l’a souligné Agnès Evren, rapporteure de ce texte, dont je salue le travail, les inscriptions scolaires ont lieu en ce moment même. Les familles sont démunies et attendent les conclusions du travail du Parlement. Il est donc urgent de défendre ce modèle éducatif, qui fonctionne parfaitement, tout en veillant à ce que les enfants inscrits dans ce parcours ne soient pas pénalisés lorsqu’ils intègrent l’enseignement primaire.

Un vote conforme permettrait à ces structures d’accueillir sereinement des enfants à la rentrée prochaine et d’apporter aux parents, ainsi qu’aux salariés qui y travaillent, un réel soulagement. Cet objectif est très largement partagé, à l’Assemblée nationale comme entre ces murs. Je profite d’ailleurs de cette occasion pour saluer l’auteure de ce texte, la députée Michèle Tabarot.

Mon collègue Cédric Chevalier, qui devait initialement s’exprimer dans cette discussion générale, aurait conclu ainsi : « Voici venu le temps des rires et des chants ; dans les jardins d’enfants, c’est tous les jours le printemps ! »

M. Martin Lévrier. Il faut chanter ! (Sourires.)

Mme Laure Darcos. Toujours est-il que le groupe Les Indépendants – République et Territoires, au nom duquel j’ai le plaisir d’intervenir, votera ce texte important pour les éducateurs, les familles et surtout les enfants. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à mon tour, je tiens avant tout à saluer l’initiative de Michèle Tabarot, auteure de cette excellente proposition de loi, largement transpartisane, ainsi que l’excellent travail de notre rapporteure Agnès Evren.

Je me réjouis de ce beau travail parlementaire, fruit de rencontres et d’échanges avec les acteurs de la communauté des jardins d’enfants, inquiets pour leur avenir. Je me réjouis que ce travail s’inscrive, comme l’a relevé Agnès Evren, dans la droite ligne des propositions portées par le Sénat en 2019.

Replaçons-nous le 16 mai de cette année, en plein examen du projet de loi pour une école de la confiance. L’Assemblée nationale venait d’atténuer la suppression des jardins d’enfants, proposée par le ministre Jean-Michel Blanquer, en leur octroyant un sursis de deux ans. Le Gouvernement acceptait finalement de rétropédaler et se déclarait favorable à un délai de trois ans. Le Sénat quant à lui, au cours de cette séance du 16 mai, sur ma proposition, décidait de rendre cette dérogation pérenne, lors d’un vote transpartisan ; ce fut d’ailleurs l’une des rares occasions où je fus en plein accord avec David Assouline… (Rires.) Hélas ! tout cela fut sans succès, car la commission mixte paritaire acta en fin de compte un délai de cinq ans.

Comme Colombe Brossel vient de le faire, j’adresse une amicale pensée, cinq ans plus tard, au personnel de ces jardins d’enfants, que je remercie de leur mobilisation. Ils n’ont jamais cessé d’y croire, considérant que ces structures n’entravaient en rien l’obligation d’instruction, madame la ministre – l’obligation d’instruction, cher Martin Lévrier ! –, mais que, bien au contraire, ils y participaient pleinement.

Mais ne nous y trompons pas : derrière ce débat s’en cache un autre, plus large, sur les diverses approches permettant d’éveiller les tout-petits, de les initier à la vie en société, puis aux premiers apprentissages scolaires. Or ce que vous venez de dire, madame la ministre, monsieur Lévrier, ne me rassure guère.

Les jardins d’enfants, système centenaire, ne méritaient pas d’être rayés d’un trait de plume ! Nés dans des quartiers populaires, initialement destinés à accueillir les enfants des familles les plus modestes, ils revêtaient alors une forte dimension sociale. Avec la démocratisation de l’école maternelle et la généralisation de la scolarisation à 3 ans – très antérieure à la loi Blanquer, cher Martin Lévrier –, les jardins d’enfants ont progressivement évolué pour devenir des structures destinées aux enfants n’ayant pas fréquenté de mode d’accueil collectif et visant à les familiariser avec la vie en collectivité avant leur entrée à l’école.

Par ailleurs, on a assisté au développement de structures d’initiative privée, mais sans but lucratif, caractérisées par des projets pédagogiques forts. Ni ces nouvelles structures ni les jardins d’enfants historiques n’ont jamais fait de concurrence à l’école maternelle ; au contraire, elles constituent de bonnes options si l’on veut accompagner en douceur l’enfant vers l’école primaire et le faire réussir.

Je veux le dire ici solennellement : les jardins d’enfants sont des vecteurs de mixité sociale, de socialisation et d’inclusion ; leur pérennité n’aurait donc jamais dû être remise en cause.

M. Claude Kern. Tout à fait !

M. Max Brisson. Ce texte est, de fait, l’occasion de rectifier le tir, de renouer avec le bon sens et de revenir à la situation antérieure à 2019, à laquelle nous n’aurions jamais dû renoncer.

J’avoue donc être surpris de constater qu’a été déposé, une fois encore, un amendement visant à prolonger de deux années le délai avant que la hache ne tombe. Par ailleurs, je regrette l’absence totale d’accompagnement de ces établissements par le ministère, contrairement à l’engagement qu’avait pris Jean-Michel Blanquer devant la Haute Assemblée en 2019. Je suis surtout choqué, madame la ministre, que vous vous félicitiez de la forte réduction du nombre de jardins d’enfants ! (Mme la ministre déléguée sexclame.)

Alors, oui, pour que la hache ne tombe pas, le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi ; il la votera conforme, d’autant que c’est lui qui l’a fait inscrire à l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée nationale et du Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Laurence Muller-Bronn. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’Alsace est en force sur ce texte ! Je m’associe à ceux de mes collègues originaires de notre région qui se sont exprimés avant moi.

Le texte que nous allons voter est le fruit d’un accord transpartisan dans les deux assemblées, ce qui est assez rare pour être souligné. Je remercie particulièrement notre collègue députée Michèle Tabarot, auteure de cette proposition de loi, et notre rapporteure Agnès Evren.

Comme celle-ci nous l’a rappelé, nous avons un objectif commun depuis l’adoption de la loi Blanquer en 2019 : préserver et pérenniser les jardins d’enfants gérés par une collectivité publique ou bénéficiant de financements publics.

Ces jardins sont le fruit d’un modèle centenaire, complémentaire de celui des écoles maternelles. Ils sont particulièrement présents en Alsace, puisque le Bas-Rhin et le Haut-Rhin concentrent 40 % de ces structures. Les premiers jardins d’enfants ont été ouverts en 1945 dans le Haut-Rhin et en 1948 dans le Bas-Rhin ; leur vocation était d’accueillir les enfants issus de familles modestes. Aujourd’hui, l’Alsace compte 15 jardins d’enfants en gestion associative, qui accueillent chaque jour 880 enfants.

La proximité de l’Allemagne, où les Kindergärten font office d’école maternelle en préparant les enfants à la transition vers l’école primaire, nous a permis depuis longtemps de mesurer les avantages collectifs et pédagogiques des jardins d’enfants. Tous bénéficient d’une autorisation de fonctionnement délivrée par le président de la Collectivité européenne d’Alsace et sont accompagnés par la PMI, en partenariat avec la caisse d’allocations familiales, depuis 2022.

Cet appui reste malgré tout insuffisant. C’est un point essentiel que je veux souligner aujourd’hui : alors qu’ils complètent efficacement les dispositifs de crèches, où les places sont limitées, les jardins d’enfants ne bénéficient pas – c’est le moins que l’on puisse dire – du soutien nécessaire de l’État.

Pourtant, ce soutien constituait une recommandation forte du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA), qui, dans son rapport de 2019 sur la stratégie globale d’accueil de la petite enfance, soulignait les nombreuses qualités de ces structures et préconisait en conséquence la création de nouvelles places, suivant un double objectif : « proposer des conditions de prise en charge plus adaptées que l’école maternelle aux jeunes enfants » et « désengorger les modes d’accueil classiques ». Le HCFEA souligne également que les jardins d’enfants sont « éligibles aux financements de la branche famille de droit commun » et que, étant ouverts aux enfants à partir de 2 ans, ils répondent à des besoins spécifiques et aux demandes des familles.

De fait, ce modèle atteint les objectifs attendus et coche toutes les cases : mixité sociale, respect du rythme des enfants, souplesse des horaires pour les parents – en Alsace, ces établissements sont parfois ouverts de huit heures du matin jusqu’à dix-neuf heures, facilité qui n’est pas négligeable pour les familles monoparentales –, inclusion des enfants en situation de handicap, continuité éducative, etc.

Dès lors, madame la ministre, pourquoi entraver un modèle qui fonctionne et fait même l’unanimité, a fortiori dans un contexte de pénurie de places en crèche ?

Il faut au contraire, au-delà de notre objectif urgent – sécuriser la rentrée 2024 –, préparer l’avenir et mettre fin aux incertitudes qui pèsent sur ce mode d’accueil, dont les familles et les enfants ont tant besoin.

Nous espérons donc que le ministère répondra aux demandes exprimées par les parents et s’emparera des recommandations formulées par les plus hautes instances, qui ont pleinement rempli leur mission de conseil sur le sujet dès 2019.

Comme les membres du groupe Les Républicains, je voterai en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Claude Kern applaudit également.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à pérenniser les jardins d’enfants gérés par une collectivité publique ou bénéficiant de financements publics

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à pérenniser les jardins d'enfants gérés par une collectivité publique ou bénéficiant de financements publics
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 1er

(Non modifié)

Le premier alinéa de l’article 18 de la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance est ainsi modifié :

1° Les mots : « , au cours des années scolaires 2019-2020 à 2023-2024, » sont supprimés ;

2° Après les mots : « d’enfants” », sont insérés les mots : « géré ou financé par une collectivité publique et ».

Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par Mme Havet, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa

1° Les mots : « 2023-2024 » sont remplacés par les mots : « 2026-2027 » ;

La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Comme cela a été rappelé, la loi pour l’école de la confiance rend obligatoire la scolarisation des enfants dès 3 ans. Cette mesure est venue « consacrer le rôle fondamental de l’école maternelle et reconnaître celui, majeur, des enseignants », pour reprendre les propos du député Laurent Croizier.

Une différence de diplôme perdure entre les encadrants des jardins d’enfants et les enseignants des écoles maternelles. Les cinq ans de dérogation n’ayant pas permis de mettre en œuvre les conditions pour remédier à cette différence, cet amendement vise à repousser la date de fin de la dérogation.

Toutefois, je connais le sort qui sera réservé à cette proposition. Dès lors, pour éviter de prolonger les débats, je vais retirer mon amendement. Je rappelle néanmoins à Mme la ministre que la rentrée prochaine va arriver très vite : il est important que l’entrée en vigueur de ce texte soit aussi rapide que le calendrier scolaire !

Cela étant dit, je retire l’amendement, madame la présidente. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

Mme la présidente. L’amendement n° 1 est retiré.

Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 2

(Non modifié)

La présente loi entre en vigueur le 1er août 2024. – (Adopté.)

Article 3

(Non modifié)

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les alcools prévue au chapitre III du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services. – (Adopté.)

Vote sur l’ensemble

Article 1er (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : proposition de loi visant à pérenniser les jardins d'enfants gérés par une collectivité publique ou bénéficiant de financements publics
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à pérenniser les jardins d’enfants gérés par une collectivité publique ou bénéficiant de financements publics.

(La proposition de loi est adoptée définitivement.) – (Applaudissements.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à pérenniser les jardins d'enfants gérés par une collectivité publique ou bénéficiant de financements publics
 

10

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME »
Discussion générale (suite)

« Tests PME » et création d’un dispositif « Impact Entreprises »

Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la délégation aux entreprises, de la proposition de loi rendant obligatoires les « tests PME » et créant un dispositif « Impact Entreprises », présentée par M. Olivier Rietmann et plusieurs de ses collègues (proposition n° 192, texte de la commission n° 421, rapport n° 420)

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME »
Article 1er

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Olivier Rietmann, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et INDEP.)

M. Olivier Rietmann, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis des décennies, l’État annonce la simplification de la vie des entreprises, mais celles-ci attendent toujours.

Déjà, dans les années 1970, Alain Peyrefitte dénonçait les règles tatillonnes de l’administration et l’excès de bureaucratie provoquant le manque de confiance des entrepreneurs. Souvenons-nous de Valéry Giscard d’Estaing souhaitant combattre « la marée blanche de la paperasse ».

Plus près de nous, en 2008, la Commission pour la libération de la croissance française, présidée par Jacques Attali, préconisait dans son rapport de simplifier les normes. En 2011 étaient organisées les premières Assises de la simplification. En 2013 était annoncé un choc élyséen de la simplification.

En dépit des déclarations d’intention successives, nos 6 200 entreprises de taille intermédiaire (ETI), 160 000 petites et moyennes entreprises (PME) et plus de 4 millions de très petites entreprises (TPE) font face chaque jour à un degré de complexité qui semble sans limites. Il en découle une perte de création de valeur, qui s’élève à plus de 60 milliards d’euros par an pour notre pays, dont 28 milliards d’euros pour les seules ETI.

En 2008, lors de la publication du rapport Attali, le nombre total d’articles législatifs était d’environ 71 000. En 2023, il s’est élevé à quasiment 94 000, soit une hausse de 24 % dont, nous parlementaires, sommes en partie responsables.

M. Martin Lévrier. Absolument !

M. Olivier Rietmann. Certes, et heureusement, toutes les lois n’ont pas d’impact sur toutes les entreprises. Reste que, dans le même délai, le nombre de mots a augmenté de plus de 30 % dans le code de commerce, de 40 % dans le code de l’environnement, de 27 % dans le code du travail et même de 47 % dans le code de la consommation ! Chaque entreprise est censée appliquer ces différents codes, sans parler des décrets et des normes européennes. Comment peut-on sincèrement penser qu’elles sont en mesure de le faire ?

Depuis vingt ans, l’appel à la simplification, de l’ordre de l’incantation, a conduit, au mieux, à des mesures ponctuelles d’allégement, comme celles qu’a annoncées le Gouvernement pour l’été prochain. Pourtant, même si c’est une évidence, il demeure essentiel de rappeler que la complexité des normes représente un coût et du temps perdu inutilement pour les entreprises, qui devraient pouvoir se concentrer sur la création de valeur.

La délégation sénatoriale aux entreprises a sondé 800 patrons : 84 % d’entre eux estiment que les normes ne sont pas faciles à comprendre, 81 % que la complexité a augmenté depuis cinq ans. Alléger les normes, c’est libérer de la croissance ; c’est retrouver de la compétitivité ; c’est permettre à nos entreprises d’être plus agiles.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est le fruit du rapport d’information intitulé La Sobriété normative pour renforcer la compétitivité des entreprises, que j’ai présenté l’année dernière avec Gilbert-Luc Devinaz et Jean-Pierre Moga. Cette proposition de loi est cosignée par mes collègues de la délégation aux entreprises de différents groupes politiques. Elle fait écho aux travaux de mes prédécesseurs et de tous ceux d’entre vous qui, depuis dix ans, mes chers collègues, au sein de la délégation, réclament que l’on simplifie véritablement la vie des entreprises.

Cette proposition de loi amorce un changement profond et propose un nouveau paradigme, y compris dans la version adoptée par les membres de la commission des lois. Je remercie tout particulièrement la rapporteure Elsa Schalck de son important travail et de sa coopération.

C’est une première : cette proposition de loi s’attaque en priorité au flux normatif et non au stock. Elle instaure une nouvelle méthode de fabrique de la loi, placée sous le double sceau de la sobriété normative et d’une meilleure association des entreprises aux normes qui les concernent.

La simplification des normes doit devenir une priorité politique transpartisane de long terme, s’appuyant sur une instance indépendante placée au cœur de l’exécutif, comme l’ont fait, avec succès, tous nos voisins européens. Il est essentiel qu’elle s’accompagne d’une révolution culturelle de l’administration.

Changeons le logiciel de notre administration et faisons en sorte de mieux associer les entreprises à la définition et à la mise en œuvre des normes s’imposant à elles, d’écrire des normes simples et compréhensibles par tous, d’établir une relation de confiance avec les entreprises. Cette architecture est préservée dans le texte issu des travaux de la commission des lois.

J’en viens aux objectifs du haut conseil à la simplification pour les entreprises.

Une évaluation indépendante des études d’impact doit être établie. Nul aujourd’hui ne contrôle leur vacuité. Directive européenne dite CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, dite Immigration, loi de finances pour 2024 : nous ne comptons plus les exemples de dispositions législatives qui, selon les études d’impact associées, étaient prétendument « sans objet » pour les entreprises. Pourtant, selon les évaluations, ces différentes dispositions ont un coût allant de 30 000 euros à 300 000 euros par entreprise. Ce n’est plus acceptable !

Pour associer les entreprises aux normes et procédures qui les concernent, la proposition de loi rend obligatoire le test PME, qui doit concerner toutes les entreprises, de la TPE à la grande entreprise, en passant par les entreprises de taille intermédiaire, essentielles et pourtant non identifiées par les normes européennes.

Il n’est plus admissible d’écarter les entreprises de la conception des procédures qui les concernent. Cela revient sinon à instaurer un impôt caché en prélevant du temps au dirigeant d’entreprise et à ses équipes, en les détournant de la création de valeur pour les assigner à remplir des formulaires administratifs.

Je tiens à souligner un point important : il est prévu que le haut conseil rende en amont « un avis sur les projets d’acte de l’Union européenne ayant un impact technique, administratif ou financier sur les entreprises ». Cet aspect est crucial.

En effet, désormais, la fabrique de la norme européenne nous échappe et nous nous retrouvons, impuissants, avec des textes adoptés à l’échelon européen, comme la directive CSRD ou celle qui reconnaît aux salariés en arrêt maladie des droits à congés payés ! Il est alors trop tard pour réagir et nous le vivons, parlementaires comme entreprises, comme un déni de démocratie, puisque personne ne nous a alertés ou informés des conséquences de ces textes, souvent soutenus par la France. Il faudra d’ailleurs certainement envisager l’avenir autrement, madame la ministre !

Par cette proposition de loi, nous projetons également d’appliquer aux entreprises le principe de différenciation. Il s’agit de formater la norme en prenant en considération l’extrême diversité des entreprises.

L’entreprise du CAC 40 comme la microentreprise sont soumises au principe d’égalité, ce qui, dans la réalité économique, est fictif, nous le savons. C’est pourquoi la proposition de loi s’est inspirée de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS, pour poser un principe de différenciation normative en fonction de la taille de l’entreprise. La traduction de ce principe par la commission des lois permet une application différée dans le temps en fonction de la taille de l’entreprise. Elle permettra aux PME et aux ETI de mieux se préparer à l’application de la norme.

Enfin, le haut conseil, épaulé par un réseau de correspondants dans les administrations, doit animer cette culture de la sobriété normative, de la simplification et de la mesure d’impact la plus efficace possible.

Pour modifier les habitudes profondes et anciennes des administrations, il faut passer par la loi, mais cela ne suffit pas. C’est le travail normatif au quotidien de l’administration qui doit radicalement changer, pour substituer aux réflexes de la méfiance une culture de la confiance envers nos entreprises. Nous devons les aider dans la guerre économique, non les affaiblir en les asphyxiant par nos normes et procédures. N’est-ce pas cela la « révolution » prônée dans son livre par le candidat à la présidentielle de 2017 Emmanuel Macron ?

Ce qui est proposé participe également à l’amélioration tant de la qualité de l’information du législateur, qui doit savoir combien coûte aux entreprises la norme qu’il vote, que du travail de la mission d’évaluation des politiques publiques, qui est une mission constitutionnelle du Parlement.

Mes chers collègues, si vous voulez réellement aider les entreprises, soutenez le combat de la délégation aux entreprises et adoptez ce texte le plus largement possible.

Ne perdons plus de temps. La loi de simplification annoncée par le Gouvernement sera votée au plus tôt à la fin de l’année 2024. Soutenir le parcours législatif de cette initiative jusqu’à sa promulgation, c’est accélérer le tempo au bénéfice de la compétitivité économique de la France, qui est une urgence et une priorité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et INDEP, ainsi quau banc des commissions.)

(Mme Sophie Primas remplace Mme Sylvie Robert au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sophie Primas

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Elsa Schalck, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le constat qui a été dressé par la délégation aux entreprises au mois de juin dernier et qui vient d’être rappelé par son président Olivier Rietmann est sans appel : nos entreprises sont soumises à un nombre croissant de normes, législatives comme réglementaires, issues de réglementations à la fois nationales et européennes. Je ne citerai qu’un chiffre : le code de commerce comporte pas moins de 7 000 articles !

Cette inflation normative pèse lourdement sur l’activité et la compétitivité des entreprises françaises. Le coût macroéconomique correspondant a été évalué par le Gouvernement à 3 % du PIB, soit 60 milliards d’euros par an – et encore s’agit-il d’une estimation se fondant sur la fourchette basse ! C’est dire l’urgence à agir, et ce d’autant que le poids des normes est aussi source d’une forte instabilité pour nos entrepreneurs et décourage leur volonté d’entreprendre.

Face à cette réalité, force est de constater que les tentatives passées pour simplifier les normes ont tout simplement tourné court. Je pense en particulier au Conseil de la simplification pour les entreprises, qui n’a existé que trois ans…

En matière d’évaluation, l’obligation faite depuis 2009 au Gouvernement d’assortir tout projet de loi d’une étude d’impact n’a pas non plus porté ses fruits.

Du point de vue de la méthode, tout d’abord : l’étude d’impact sert essentiellement à justifier après coup un texte voulu par le Gouvernement. Dans la mesure où l’étude d’impact est élaborée par les services de l’administration et non par une instance extérieure, la question de son impartialité et de son objectivité se pose indubitablement.

En ce qui concerne le contenu des études d’impact, ensuite : il est vrai que la plupart de ces études comportent une sous-rubrique consacrée aux impacts sur les entreprises. Force est toutefois de constater que l’évaluation qui y est faite est très perfectible d’un point de vue quantitatif et qualitatif. Je ne prendrai qu’un seul exemple, celui de la transposition de la directive européenne dite CSRD, qui soulève de légitimes inquiétudes. Comment se satisfaire d’une étude d’impact dans laquelle il est laconiquement indiqué qu’« aucun impact n’est attendu » ?

Le renforcement des exigences liées aux études d’impact est indispensable, nous en convenons tous. Il suppose toutefois une loi organique et dépasse donc le cadre de la présente proposition de loi.

Le texte qui nous est soumis constitue toutefois une première étape à cette fin et je tiens à en remercier très chaleureusement son auteur, Olivier Rietmann, président de la délégation aux entreprises.

Il s’agit par ce texte de rattraper notre retard. En effet, la France n’a pas encore mis en place de tests PME, contrairement à certains de ses voisins européens comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Suisse et contrairement à l’intention plusieurs fois affichée par le Gouvernement.

Dans ce contexte, la commission des lois a largement souscrit à l’objectif de la proposition de loi. Elle s’est dans le même temps efforcée de lever les risques juridiques que comportaient certaines de ses dispositions et a conforté l’opérationnalité des procédures de consultation prévues.

Tout d’abord, la commission des lois a admis la nécessité d’instaurer un conseil chargé de la simplification des normes pour les entreprises.

Bien sûr, il peut sembler de prime abord surprenant, pour ne pas dire contre-intuitif, de créer une nouvelle instance et de nouvelles procédures dans le but précis de simplifier. En l’espèce, une telle création a paru justifiée à la commission. Il s’agirait ainsi de prévoir, pour les entreprises, le pendant du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), qui existe depuis 2013 pour les collectivités territoriales, tout en en renforçant les compétences et le poids politique.

Pour une plus grande simplicité de l’intitulé et une meilleure visibilité au sein du paysage institutionnel, la commission a nommé ce conseil le « Haut Conseil à la simplification pour les entreprises ».

J’en viens au statut de cette nouvelle structure. La commission a jugé préférable d’en faire une commission administrative, plutôt qu’une autorité administrative indépendante (AAI), le statut de commission administrative semblant plus approprié, dans la mesure où cet organisme aura besoin de l’appui de l’administration pour mener à bien ses travaux. Il convient également de lui garantir un portage politique interministériel et de haut niveau. C’est pourquoi la commission a décidé de le rattacher directement au Premier ministre, et non pas à un ministre en particulier, comme c’est le cas pour le CNEN.

Dans le même temps, à la suite de l’auteur du texte, la commission a jugé indispensable de garantir l’indépendance de cette instance à l’égard du pouvoir exécutif. À cette fin, la commission a souhaité conforter la représentation des entreprises au sein du conseil. C’est pourquoi elle a ajouté à la composition de celui-ci un représentant des grandes entreprises, ainsi qu’un deuxième représentant des petites et moyennes entreprises.

Sur le rôle et le positionnement du président de ce haut conseil, la commission a considéré que la nomination du haut-commissaire en conseil des ministres, proposée par le texte, était en elle-même bienvenue : elle favorisera la nomination de personnalités de premier plan et donnera une solide assise institutionnelle au président de la nouvelle instance.

La commission a veillé à clarifier le rôle et le positionnement du président et a précisé les points suivants.

Dès lors qu’il occupe un emploi à la décision du Gouvernement, le haut-commissaire ne peut pas être irrévocable. De plus, il ne lui est pas possible de participer au conseil des ministres dans la mesure où il n’est pas lui-même membre du Gouvernement. En revanche, la commission a prévu que le président animerait le réseau de correspondants à la simplification des normes applicables aux entreprises au sein des administrations centrales.

En ce qui concerne par ailleurs l’intitulé du texte, la commission a laissé de côté le terme de haut-commissaire. Elle a en effet considéré qu’il ne fallait pas multiplier les dénominations et qu’il fallait également éviter des risques de confusion avec des fonctions existantes ou ayant existé.

Je terminerai en évoquant les pouvoirs du haut conseil.

Cette proposition de loi prévoit un dispositif ambitieux, en confiant au conseil un rôle d’évaluation de la production normative, aussi bien en amont qu’en aval.

La visibilité de ses travaux serait assurée non seulement par le caractère public de ses avis, mais également par la remise d’un rapport public annuel au Premier ministre et aux présidents des deux assemblées parlementaires.

Ainsi, il deviendra de plus en plus difficile pour le Gouvernement de ne pas tenir compte des avis du haut conseil, tandis qu’un véritable dialogue entre le conseil et le Parlement pourra avoir lieu.

Le rôle d’évaluation a priori du conseil, c’est-à-dire des flux, serait probablement le plus important.

La commission a sécurisé juridiquement et clarifié les nouvelles procédures consultatives confiées au conseil. En particulier, celui-ci serait obligatoirement consulté par le Gouvernement sur trois types de projets de texte, dès lors qu’ils ont une incidence sur les entreprises : les projets de loi, assortis de leur étude d’impact, les projets de textes réglementaires et les projets d’actes de l’Union européenne.

En outre, le conseil pourrait être consulté, dans certaines conditions, par les présidents des assemblées parlementaires sur les propositions de loi ayant un impact sur les entreprises.

L’ensemble de ses avis comporteraient obligatoirement un test PME, que la commission a défini dans le texte comme « une analyse de l’impact attendu des normes concernées sur les petites et moyennes entreprises ». Cette analyse pourra consister en un exercice de mise en situation concrète, réalisé auprès d’un panel de PME, comme le font par exemple les Pays-Bas.

Ces avis pourraient également proposer des mesures d’entrée en vigueur différée des normes pour les entreprises. Ce principe, déjà posé par une circulaire du Premier ministre en 2011, n’a jamais été mis en œuvre. Il semble utile de l’inscrire dans la loi.

En complément de cette action sur le flux, l’action sur le stock normatif est également importante. Pour être efficace, elle doit être ciblée et progressive. La commission a resserré les dispositions initiales de la proposition de loi en ce sens.

Mes chers collègues, cette proposition de loi ainsi modifiée marquera une étape importante sur le long, mais ô combien indispensable chemin de la simplification des normes. Elle pourra contribuer à favoriser un changement de paradigme dans la façon dont la réglementation est conçue et, qui sait, dans la manière dont les études d’impact sont élaborées.

À cet égard, l’objectif de la présente proposition de loi aura probablement été atteint le jour où les études d’impact des projets de loi ayant une incidence sur les entreprises comporteront d’emblée un test PME.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à adopter cette proposition de loi ainsi modifiée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation. Madame la présidente, monsieur le président de la délégation aux entreprises, monsieur le vice-président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, au mois de juin dernier, je me trouvais ici même, au Sénat, à l’invitation expresse de la délégation aux entreprises, pour parler de sobriété normative.

Vous aviez alors entrepris, mesdames, messieurs les sénateurs, la rédaction d’un rapport d’information sur ce sujet. Je tiens à vous le dire aussi simplement que sincèrement : ce rapport d’information compte énormément et est à mon sens ce qui existe aujourd’hui de plus complet sur le sujet. Bruno Le Maire, au nom de qui je sais pouvoir parler aussi aujourd’hui, porte la même appréciation que moi sur la qualité de ce travail et sur l’engagement de la délégation sénatoriale aux entreprises. Pour ce travail, il me semblait donc important de vous remercier.

On demande souvent au Gouvernement d’éclairer le Parlement. C’est ici le Parlement qui a remarquablement éclairé le Gouvernement. Il a nourri ses travaux, à Bercy, pendant des mois. Il a éclairé, au sens noble du terme, la décision publique et va guider nos échanges aujourd’hui pour que l’État soit davantage encore au service de nos entreprises.

Quels sont les constats ?

Le premier constat, qui est partagé et sur lequel je ne m’attarderai pas, c’est que notre pays souffre d’une accumulation démesurée de normes. Ce n’est pas moi qui l’explique le mieux, ce sont les chiffres qui le démontrent : le code de la consommation a crû de 311 %, le code de commerce, qui n’est pas en reste, de 364 %, la palme revenant au code de l’environnement, qui a connu une inflation normative de plus de 650 % !

Le deuxième constat, c’est que cette situation a non seulement un coût pour notre pays, mais aussi, et c’est bien plus grave, un coût direct pour nombre de nos entreprises. Ainsi, plus d’une TPE sur deux a des coûts de gestion comptable et sociale représentant de l’ordre de 1 % à 3 % de son chiffre d’affaires.

C’est aussi une question d’égalité économique pour nos TPE et PME, extrêmement majoritaires dans notre pays, qui sont bien plus vulnérables que les grosses entreprises à la norme et à l’inflation normative, n’ayant pas forcément ni les ressources humaines, ni les compétences techniques, ni parfois les moyens d’appliquer ces normes.

Le troisième constat est davantage psychologique, mais la psychologie, je le crois, est absolument primordiale en économie. Face à une norme, nos artisans, nos dirigeants de TPE ou de PME, nos petits commerçants peuvent à juste titre se sentir perdus, vulnérables, esseulés. C’est en réalité une forme de déréliction que ressentent légitimement nos plus petits entrepreneurs.

C’est pourquoi aux constats et aux ressentis que l’on ne peut ignorer doivent succéder des chantiers concrets et efficaces. J’en identifie deux.

Le premier chantier, c’est celui de la gestion du stock de normes, comme l’a rappelé le président de la délégation aux entreprises.

Soyons réalistes, notre droit et nos codes sont largement perfectibles. Il existe des contradictions, des complexités, des dispositions peu claires ou mal articulées, des procédures tant modifiées qu’elles sont devenues illisibles ou impraticables, sans oublier celles qui se percutent et deviennent parfois contradictoires. (Mme la rapporteure acquiesce.)

En tant que ministre déléguée chargée des entreprises, mais aussi en tant qu’ancienne petite entrepreneuse, je sais combien il nous faut libérer du temps et de l’énergie pour que les entrepreneurs puissent continuer de faire ce qu’ils font de mieux : entreprendre, innover, créer de la valeur, recruter, se développer.

Néanmoins, nous devons garder à l’esprit une valeur pas très à la mode aujourd’hui, mais qui, je le sais, a conservé toute son aura au sein de la Haute Assemblée : la nuance. Je veux le rappeler, il est des normes qui protègent et nous défendent, en tant qu’entreprise, en tant que consommateur, en tant que client ou en tant que citoyen. De la nuance avant toute chose, sans rien qui pèse ou qui pose.

Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, la norme que nous devons chasser, c’est celle qui a oublié de s’intéresser réellement à ceux à qui elle s’appliquait : c’est la norme qui bride, qui empêche, celle qui pèse bien plus qu’elle ne porte.

Ce travail sur le stock, Bruno Le Maire et moi-même l’avons entamé dans le cadre des travaux préparatoires au projet de loi de simplification, qui sera présenté d’abord ici même, devant vous, au mois de juin prochain.

Au-delà du stock, lutter durablement contre l’inflation normative doit aussi passer par un second chantier, et non des moindres. Olivier Rietmann le sait, cela fait des mois que je m’attelle à ce second chantier, qui me semble d’une importance majeure, notamment pour le long terme : c’est celui de la gestion du flux de normes pour aujourd’hui et, surtout, pour demain.

Depuis des mois, je travaille avec les fédérations et les administrations sur la forme que pourrait prendre ce qu’on appelle communément le test PME. Ce qui fait à l’évidence consensus, ce sont les objectifs qu’il doit permettre d’atteindre, lesquels sont au nombre de deux.

Le premier est de rendre plus lisible le droit pour qui le pratique, c’est-à-dire l’entreprise et son dirigeant. On le sait, quand la loi est bavarde, le citoyen ne lui prête, à juste titre, qu’une oreille distraite. C’est la raison pour laquelle elle doit être élaborée main dans la main et directement avec les entreprises, confrontées tous les jours à l’application concrète des règles. La norme concertée est, et sera, toujours meilleure que la norme décrétée.

Le second objectif est de chiffrer le coût réel de la norme pour les entreprises et de veiller à ce qu’il n’y ait pas de disproportion entre les objectifs initiaux de celle-ci et le coût effectif de sa mise en place. Il s’agit d’évaluer l’impact économique et financier, organisationnel et temporel des normes sur les entreprises.

Je me réjouis donc du dépôt et de l’examen de ce texte, ainsi que des travaux que vous avez menés, mesdames, messieurs les sénateurs. Cette proposition de loi permettra incontestablement de débattre des modalités de mise en œuvre de cet outil.

Plusieurs points du texte doivent retenir notre attention. L’obligation de résultat à laquelle nous sommes astreints nous impose de réfléchir précisément aux contours du test PME – Mme la rapporteure a d’ailleurs pris la parole en ce sens il y a quelques instants.

Le premier point d’attention est la forme que doit prendre ce test.

Pour en revenir aux travaux que nous avons lancés, nous avions des points de vue différents sur la nécessité de créer ou non une autorité administrative indépendante. Sur ce sujet, je me réjouis de constater que les travaux très sérieux effectués en commission ont abouti à un dispositif consultatif et opérationnel, rattaché directement au Premier ministre.

À l’évidence, cette proposition de loi va dans le bon sens puisqu’elle permet de conserver un portage politique de haut niveau tout en demeurant interministérielle. Ce dernier point est crucial : les normes auxquelles sont soumises les entreprises sont parfois issues du code de commerce, mais de plus en plus souvent également du code de l’environnement ou de celui du travail. Les entreprises sont touchées par tous les champs de nos politiques publiques. La dimension interministérielle était un prérequis : elle est garantie par le haut conseil.

Votre proposition de loi prévoit que l’organisme chargé des tests PME précise les conditions d’évaluation de l’impact d’une nouvelle norme. Pour que le test se démarque d’autres études préalables par son réalisme, il sera, à mon sens, essentiel que l’impact, notamment l’évaluation des coûts induits, soit estimé par des panels de véritables chefs d’entreprise, et non uniquement par des collèges d’intermédiaires.

Le caractère obligatoire ou non du test PME est un autre point important.

Le texte rend ce test obligatoire pour les projets de loi, les projets de textes réglementaires et les projets d’actes de l’Union européenne ayant un impact technique, administratif ou financier sur les entreprises.

Si je comprends bien votre volonté d’étendre le champ du test pour appréhender au mieux le problème de l’inflation normative, je me méfie du risque d’engorgement du haut conseil. Nous en débattrons tout à l’heure, mais nous pensons, a priori et pour l’heure, qu’il convient de le circonscrire aux projets de loi et aux décrets autonomes.

Le dernier point sur lequel il me paraît capital de s’attarder est la portée de l’avis qui suit le test PME. Sur ce sujet, il nous faut trouver le juste équilibre : oui à l’autorité, mais non à l’obstruction.

On ne peut pas donner à cette instance, quelle qu’elle soit, le pouvoir d’empêcher le Gouvernement de gouverner et, encore moins, les parlementaires de légiférer. J’ai donc noté avec grand intérêt votre proposition de permettre que le test débouche sur des avis non conformes. Si l’avis est défavorable, le Gouvernement devra revoir sa copie ou motiver ses choix, sans que cela empêche le texte de poursuivre son chemin. L’équilibre tant cherché me semble ici avoir été trouvé.

Je salue la qualité du travail effectué à la fois par la rapporteure Elsa Schalck, avec qui les points de convergence ont été nombreux, et par le président Olivier Rietmann.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne serai pas plus longue, les débats nous attendent. Les attentes de nos compatriotes sur le sujet sont légitimement immenses. Aujourd’hui, nos mandats et nos fonctions nous donnent enfin la possibilité de mettre en place un dispositif pérenne qui s’attaque aux flux et ne se satisfait pas de gérer le stock.

Nous devons tendre vers un dispositif pérenne, efficace et fiable, qui soit non pas une procédure supplémentaire, mais bel et bien un moyen de mieux légiférer, sans faire de mal à nos entreprises.

Pour conclure, je veux dire que, à mes yeux, la simplification doit être un état d’esprit. Elle doit devenir en quelque sorte une hygiène de vie à laquelle doit s’astreindre l’État, l’esprit qui guide ses actions. La chambre des sages l’a parfaitement compris : agissons désormais ensemble ! Vous avez mon soutien absolu, et je suis sincèrement heureuse d’être ici ce soir pour échanger avec vous sur ce sujet, comme je l’appelais de mes vœux. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « surcharge administrative », « océan de paperasse », « tsunami réglementaire » : nous avons tous entendu des chefs d’entreprise se plaindre en de tels termes du nombre de démarches qu’ils doivent effectuer.

Ayant été responsable d’une petite entreprise, je peux témoigner de cette lourdeur administrative. Elle pose d’ailleurs un problème d’équité entre les entreprises de tailles différentes : souvent, les petits patrons ne peuvent pas payer des experts juridiques, comme le font les grands groupes. Enfin, cette surcharge nous coûte cher : elle représente entre 3 % et 4 % de PIB de dépenses inutiles, selon l’OCDE.

Alors, oui, une simplification est nécessaire ! Mais laquelle ? Depuis des années, les dispositifs et annonces de simplification se succèdent, sans grand résultat. Pis, la simplification est souvent un prétexte pour affaiblir les règles régulant l’insatiable appétit de profit du capitalisme.

Ainsi, c’est au nom de la simplification qu’ont été votées les deux lois Travail qui ont conduit à supprimer de nombreuses protections pour les salariés. Plus récemment, c’est aussi au nom de la simplification de la vie des agriculteurs que le Gouvernement a suspendu le plan Écophyto et attaqué l’action de l’Office français de la biodiversité (OFB). Soyons donc prudents : simplifier, oui, mais pas à n’importe quel prix !

Venons-en à la proposition de loi que vous nous présentez, chers collègues de la majorité sénatoriale. Son objectif est bien évidemment louable, mais il nous semble que vos propositions sont une mauvaise réponse à un réel problème.

Ainsi, vous proposez de créer un haut conseil à la simplification pour les entreprises, chargé d’analyser toutes les règles applicables aux entreprises, tant en amont qu’en aval de la procédure législative. Celui-ci serait doté d’un pouvoir politique considérable : obligatoirement consulté par le Gouvernement pour tout texte législatif, réglementaire ou européen ayant un impact technique, administratif ou financier sur les entreprises, il pourrait émettre un avis défavorable, obligeant le Gouvernement à revoir sa copie.

Certes, le travail en commission a permis de modifier utilement le statut de ce haut conseil pour en faire une commission administrative consultative, rattachée directement au Premier ministre, plutôt qu’une autorité administrative indépendante. Mais conférer un tel pouvoir à ce haut conseil revient à lui offrir de fait une tutelle sur le pouvoir législatif. Or ce pouvoir appartient au Gouvernement et au Parlement, et seul le Conseil constitutionnel est compétent pour trancher des litiges.

Il est important d’associer les entreprises lorsque nous travaillons sur des textes qui les concernent, mais qui parmi nous ne le fait pas ? Les entreprises ne disposent-elles pas de puissants lobbys pour les représenter ? Pourquoi leur donner encore plus de pouvoir et leur permettre de bloquer les normes qui pourraient les gêner ?

La création du haut conseil entraînerait une nouvelle réduction du pouvoir du politique sur l’économie. Or le rôle du politique est d’arbitrer entre des intérêts divergents ! Nous devons tenir compte, en plus des effets des normes sur le développement économique des entreprises, de l’intérêt des travailleurs, des conséquences des textes législatifs et réglementaires sur la nature et l’environnement, ainsi que sur notre culture, et de bien d’autres critères.

La composition du haut conseil pose également question : s’il est censé aider les PME et les TPE, pourquoi y avoir ajouté un siège pour les représentants des grandes entreprises ? Le Medef n’a-t-il pas déjà assez de pouvoir ? À l’inverse, pourquoi avoir refusé notre proposition d’ajouter des sièges pour les représentants du personnel, pourtant les plus à même de faire remonter les contraintes juridiques que vivent les salariés au quotidien ?

Ainsi, nous craignons que le haut conseil ne soit un nouvel outil pour attaquer les droits des salariés et les protections environnementales. Je vous rappelle d’ailleurs, mes chers collègues, que ces dernières peuvent être de véritables atouts pour nos entreprises.

Pensez à l’interdiction des gaz chlorés par le protocole de Montréal à partir de 1987 pour préserver la couche d’ozone : les industriels nous annonçaient la mort de la chaîne du froid, l’explosion des maladies et du gaspillage alimentaire. Finalement, quelques années après, d’autres solutions étaient trouvées et le groupe français Elf Atochem, leader mondial du secteur, applaudissait cette interdiction !

Il en va de même s’agissant de l’encadrement des emballages prévu par la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite loi Agec : ce sont bien des normes et des interdictions qui nous ont permis d’avancer.

En réalité, nos entrepreneurs sont prêts à modifier leurs pratiques, ils sont même volontaires pour cela. Ce qu’ils nous demandent, c’est de l’accompagnement et de la visibilité.

Si nous saluons le travail de la commission pour améliorer le texte et en corriger plusieurs aspects inconstitutionnels, nous craignons qu’il n’aboutisse à un détricotage des règles environnementales et salariales qui nous protègent. Nous sommes prêts à travailler à des simplifications qui aideront nos entrepreneurs et notre administration, mais pas de cette façon.

Dans ces conditions, notre groupe votera contre la proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, inflation législative, complexité des normes, épaisseur des codes, mais aussi le présent texte, sont au droit ce que la musique militaire est à la musique. (Sourires.)

Depuis des dizaines d’années fleurissent des discours sur l’inflation normative. Pourtant, les entreprises nous disent que les premières difficultés auxquelles elles sont confrontées sont non pas la multiplication des normes, mais, par ordre d’importance, le recrutement, la bonne formation des salariés et l’accès au crédit, même si les lenteurs administratives ou les retards de paiement, qui vont s’améliorer – espérons-le – avec la mise en place de la facture électronique en 2026, sont aussi cités.

Nous observons, il est vrai, une perte de qualité, de lisibilité et de stabilité de la loi. C’est pourquoi nous n’avons de cesse d’alerter sur les pratiques de l’exécutif tendant à faire fi du travail parlementaire, au mépris de l’organisation démocratique de notre pays.

À coups de procédures accélérées et d’ordonnances, le Gouvernement tente de mettre au pas les assemblées parlementaires, et cela se répercute sur la qualité des lois. Aussi, la solution prévue dans ce texte, même si je tiens à saluer le travail du président de la délégation aux entreprises, ne nous convainc pas. Pour lutter contre le manque de lisibilité, il faut laisser aux parlementaires le temps d’élaborer la loi et ne pas les enfermer dans des carcans temporels de plus en plus étroits.

De plus, cette critique de l’inflation normative sous-entend aussi l’acceptation du dogme selon lequel le droit n’est qu’une marchandise. Ces discours sont une facette de la libéralisation des marchés et d’une mise en concurrence des États et, en conséquence, de leurs systèmes juridiques.

Qu’il s’agisse de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (Asap) ou des deux lois Travail, toutes visent à rendre la France « attractive », à « libérer les entreprises » et à permettre l’avènement d’un marketing territorial étatique.

Or nous sommes extrêmement vigilants sur le retrait de l’État, idée que porte en germe ce débat, de tous les domaines où il est susceptible d’intervenir et dans lesquels certains le considèrent comme un gêneur, qu’il s’agisse de traiter de fiscalité, de normes environnementales, sanitaires ou sociales, ou de redéfinir les lieux et les acteurs légitimes pour la production de règles.

Moins de droit, c’est aussi moins d’État et la main libre laissée au secteur privé. Mais ceux qui prônent le « moins d’État » sont aussi les premiers à demander des aides publiques lorsque les entreprises vont mal. Ceux-là ne disent pas un mot des 162 milliards d’euros d’aides directes qui leur ont été attribuées sans contreparties en termes d’emploi, d’investissement ou de salaire.

Dans leur esprit, il faudrait que le droit se fasse ailleurs, et pourquoi pas par les entreprises elles-mêmes, comme le prévoit – indirectement, je tiens à la souligner – la proposition de loi ?

En effet, face à l’inflation législative, les auteurs du texte considèrent que les entreprises « doivent tenir une place centrale dans le dispositif d’évaluation ».

Les instances qui seraient créées devront évaluer si les normes proposées entraînent, pour les entreprises, « des conséquences matérielles, économiques ou financières manifestement disproportionnées au regard de leurs objectifs » et pourront « demander au Gouvernement de “revoir sa copie” en cas d’insuffisance », une notion qui n’est pas tout à fait définie.

Pour notre part, nous considérons que les réglementations sociales et environnementales ont un objectif d’intérêt général et que leur processus d’élaboration doit rester hermétique aux logiques de pure rentabilité, lesquelles ne servent que des intérêts catégoriels.

Enfin, poursuivre l’objectif de simplification et de fluidification des prises de décision en créant un énième comité et haut-commissariat nous semble une fausse bonne idée. Sa mise en place ne réglera pas le problème de fond, que j’ai évoqué, de la qualité de la loi.

Il faut relever que des structures d’évaluation existent déjà, à commencer par le Conseil d’État, ou encore le Conseil national d’évaluation des normes.

Plus grave, nous nous interrogeons sur la représentativité réelle de ces entités.

En premier lieu, un flou demeure sur la manière dont seront sélectionnés les représentants du patronat dans ces instances et sur leur capacité à porter la voix des TPE dans toute leur diversité.

En second lieu, nous constatons qu’aucune représentation des salariés n’est prévue, ce qui est un véritable contresens : comment atteindre l’objectif de fluidification dans l’application de ces normes si ces acteurs et actrices clés ne sont pas mobilisés ?

Pour l’ensemble de ces raisons, nous voterons contre cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre.

Mme Nathalie Delattre. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Olivier Rietmann, dont je suis également signataire, a le mérite de prendre à bras-le-corps le problème tant dénoncé par nos chefs d’entreprise de la complexité administrative et réglementaire à laquelle ils doivent quotidiennement faire face.

À la différence des grandes entreprises, les ETI et surtout les PME-TPE n’ont pas nécessairement les ressources internes suffisantes pour faire face à l’intrication de nos règles en matière de commerce, de consommation, d’environnement et autres thématiques. Quand bien même ils les auraient, la réglementation dans ces différents domaines s’est beaucoup trop accrue ces dernières décennies. Le code de la consommation et le code de commerce ont plus que triplé de volume depuis vingt ans, tandis que le nombre d’articles du code de l’environnement a été multiplié par six !

Cet empilement, et cela a été rappelé, a un coût élevé pour notre économie, de l’ordre de 3 % du PIB, ce qui finit par peser sur les performances de la France dans la compétition internationale, tant sur son attractivité que sur ses exportations.

Ce phénomène ne touche d’ailleurs pas que les entreprises : les collectivités locales, en particulier les plus petites d’entre elles, ne sont pas toujours armées pour faire face aux nombreuses réglementations – je pense notamment au code des marchés publics. C’était tout l’objet de la loi 3DS, qui n’a fait qu’effleurer le débat, sans aller assez loin.

Je regrette aussi une certaine léthargie depuis 2017 d’instances de simplification créées avant cette date. Par exemple, les travaux du Conseil de la simplification pour les entreprises auraient certainement davantage porté leurs fruits avec un portage politique plus déterminé sur le long terme. Je veux croire que tel sera l’objectif principal des assises de la simplification annoncées par le ministre Bruno Le Maire pour la fin de l’été prochain.

Un cadre de tests PME existe déjà à l’échelon européen, sur l’initiative de certains pays membres et de la Commission européenne. Elles ont déjà été évoquées, je n’y reviens pas.

Malgré cela, l’Europe reste encore une source de complexité, nous le savons. À titre d’exemple, l’application pleine et entière prévue en 2026 de la fameuse directive sur le développement durable des entreprises, laquelle a été transposée en droit français l’année dernière, risque de créer un nouveau choc de complexité pour les entreprises.

Près de cinq ans après la loi Pacte, qui avait notamment simplifié certains seuils de réglementation pour les entreprises, le temps est nécessairement venu de retrouver de l’élan pour faire face à cet enjeu difficile, mais ô combien important, pour notre économie. La colère agricole de ces dernières semaines est là pour le rappeler, s’il en était besoin.

Aussi, l’initiative de cette proposition de loi est bienvenue, même si le Gouvernement a annoncé l’examen d’un projet de loi de simplification au mois de juin.

Si la proposition de loi a été en partie réécrite lors de l’examen en commission la semaine dernière pour tenir compte d’exigences légistiques, je regrette la suppression de l’article 2, qui introduisait le principe de différenciation normative en fonction de la taille des entreprises, à l’instar de la loi 3DS, au motif que cette mesure serait inutile, voire inconstitutionnelle.

La suppression de l’article 3 paraît davantage compréhensible, même si l’idée de départ, qui allait bien dans le sens d’une simplification institutionnelle, était louable.

Je m’étonne cependant que la création d’une dotation pour couvrir les frais et les travaux du haut conseil à la simplification pour les entreprises, par voie d’amendement en commission, n’ait pas été déclarée irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution, mais je ne peux que m’en féliciter !

Pour le reste, les corrections apportées au fonctionnement du futur haut conseil me paraissent opérationnelles. Sa composition a été remaniée de façon que les PME et TPE y soient mieux représentées. Par ailleurs, la représentation des parlementaires a été équilibrée entre l’Assemblée nationale et le Sénat. La consultation du haut conseil sur l’ensemble des initiatives législatives, y compris les propositions de loi, permettra d’améliorer le travail normatif en amont, ce qui est très important.

Enfin, la consultation du haut conseil sur les études d’impact permettra de disposer systématiquement d’une évaluation des effets des textes sur le monde économique.

En conclusion, et après mes différentes remarques sur cette proposition de loi, que je soutiens, j’ai le plaisir de vous annoncer que les membres du groupe du RDSE sont favorables à l’adoption de cette proposition de loi. Nous voterons donc tous pour ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Nadège Havet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, non sans une certaine ironie, monsieur le président Rietmann, on lit dans votre rapport de juin dernier : « Nul chef d’entreprise n’est censé ignorer les 11 176 articles du code du travail, les 7 008 articles du code de commerce ou encore les 6 898 articles du code de l’environnement ! » Ce rapport, remarqué et de qualité, réalisé avec les corapporteurs Jean-Pierre Moga et Gilbert-Luc Devinaz, s’intitule La sobriété normative pour renforcer la compétitivité des entreprises.

Oui, il nous faut simplifier, mais simplifier sans déréguler, simplifier sans recomplexifier, appliquer déjà les règles existantes de façon homogène, expliquer les règles que nous adoptons, former ceux à qui elles sont destinées avant de faire le procès de leur non-mise en œuvre ou de leur mauvaise mise en œuvre.

Aujourd’hui, comme cela a déjà été dit, le constat est le suivant : avec plus de 400 000 normes, la France se classe au deuxième rang des pays dans lesquels la bureaucratie est la plus complexe. Vous l’avez rappelé, madame la ministre, la palme d’or revient au code de l’environnement, qui s’est accru de 653 % en vingt ans. Le coût des normes est, quant à lui, estimé à 70 milliards d’euros par an, soit 3 % du PIB. L’excès de normes, leur imprévisibilité et leur complexité pèsent, il est vrai, négativement sur l’activité de nos entreprises.

C’est pour cela que 88 % des Français soutiennent la volonté du Président de la République, annoncée lors de ses vœux en 2024, de simplifier les normes et de réduire les délais et les procédures administratives. Il a notamment dénoncé « trop de normes inutiles qui découragent les entrepreneurs, les industriels, les commerçants, les agriculteurs, les artisans, les maires ».

Comme l’on s’est concentré sur l’aspect économique, un angle n’a pas été, selon moi, suffisamment abordé : l’inflation normative crée surtout de la désespérance et un sentiment d’inutilité. On casse littéralement des vocations. Ces dernières semaines, j’ai été frappée par les témoignages de personnes travaillant dans tous les secteurs, qu’il s’agisse de la restauration, du bâtiment, de la coiffure, de la gestion des paies… Elles disent : « Il faut arrêter de légiférer sans cesse, tout change en permanence, c’est trop dur pour nous. Ma directrice des affaires financières devient folle ! » Il faut relever ces conséquences sociales.

Je répète souvent cette phrase qui m’a été inspirée par mon expérience professionnelle : il est urgent de passer d’un management du contrôle à un management de la confiance. Il faut soigner la relation entre les administrations et les usagers, en prévoyant moins de documents et plus de proximité. La numérisation, c’est aussi et surtout la possibilité de libérer du temps – du temps d’échange, de conseil, d’accompagnement et d’explication.

Dans le rapport sur la commande publique de 2021 dont j’étais la coautrice, j’avais voulu rappeler que de simples rencontres, notamment dans le cadre du sourcing, peuvent changer les rapports entre les acheteurs et les prestataires locaux, non pas par la norme, mais tout simplement par la discussion.

Il y a un mois, Le Parisien titrait : « Ces normes qui rendent fous les Français ». Il soulignait que le Gouvernement relançait justement la bataille de la simplification. Mais simplifier dans un pays jacobin, c’est compliqué ; il faut du temps et de l’écoute.

Le 15 novembre dernier, les Rencontres de la simplification étaient lancées par vous, madame la ministre, et par Bruno Le Maire. Je me félicite de cette initiative. Des consultations auprès des représentants des fédérations professionnelles ont permis de recevoir près de 1 500 propositions. Un espace numérique spécifique a permis de recueillir 5 300 contributions et près de 730 000 votes.

À la suite de ces rencontres, nous avons travaillé sur un texte relatif à la simplification avec nos collègues députés, que je tiens à saluer aujourd’hui : Louis Margueritte, Alexis Izard, Philippe Bolo et Anne-Cécile Violland. Dans ce cadre, nous avons effectué cinquante déplacements et organisé trente réunions publiques avec des acteurs économiques, dont plusieurs dans mon département du Finistère. Tous constatent qu’ils doivent accomplir des formalités inutiles et redondantes, et nous disent : « S’il vous plaît, ne changez plus rien ! »

Simplifier la vie des entreprises doit devenir une réalité, et la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui doit être regardée comme la première étape de ce débat parlementaire.

Trois outils sont mis en avant dans la proposition de loi originelle : la réalisation de tests PME sur les textes ayant des conséquences sur les TPE-PME directement auprès des entreprises et de leurs dirigeants, l’évaluation des normes par une autorité indépendante et le pilotage de la simplification par un haut-commissaire.

Nous soutenons l’idée du test PME, abordé de façon transversale dans notre travail. L’objectif serait d’évaluer systématiquement la faisabilité de la mise en œuvre concrète de nouvelles mesures touchant les entreprises, ainsi que le coût associé.

Le groupe RDPI partage l’idée qu’il est important de mettre en place un mécanisme de test et de concertation nettement plus abouti qu’actuellement. Il faut également limiter le flux et mettre en place des règles et une gouvernance, afin de mettre un terme à la multiplication des normes.

Cela a été dit, en la matière, la France a pris beaucoup de retard par rapport aux pays scandinaves, au Benelux et à bien d’autres pays en Europe.

L’article 1er de la proposition de loi prévoit ainsi la création d’un haut conseil à la simplification pour les entreprises, initialement dénommé « Impact Entreprises ». En commission, ce conseil a été transformé en commission administrative consultative directement rattachée au Premier ministre. Des précisions sur sa composition et son champ d’action ont également été ajoutées.

Mon groupe soutient bien évidemment ces mesures et votera ce nouveau dispositif. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Gilbert-Luc Devinaz. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans le cadre du travail réalisé en 2023 par la délégation aux entreprises avec Olivier Rietmann et Jean-Pierre Moga, de nombreuses auditions ont été réalisées pour établir un état des lieux le plus complet de la situation normative des entreprises en France.

Ce travail nous a d’abord permis de constater la prolifération des normes et leur coût pour les entreprises. Si ce constat est largement partagé et connu depuis trente-cinq ans, il est resté sans solution, même si différentes méthodes ont été utilisées. Enfin, la démarche pragmatique empruntée depuis 2017 connaît certes quelques réussites, mais elle laisse largement les PME au bord du chemin.

Les chiffres sont éloquents : en vingt ans, le stock d’articles législatifs a augmenté de 76 %, celui des textes réglementaires de 56 %. La norme est surtout devenue plus bavarde. Le nombre de mots utilisés dans la loi et dans les décrets a augmenté respectivement de 165 % et de 114 % !

Comme l’a rappelé Nadège Havet, nul chef d’entreprise n’est censé ignorer les 11 176 articles du code du travail, les 7 008 du code de commerce ou encore les 6 898 du code de l’environnement ! L’adage « nul n’est censé ignorer la loi » est désormais une fiction juridique.

La délégation a effectué un travail de politique comparée très important, qui nous donne des pistes à explorer. À cet égard, l’exemple des Pays-Bas me semble particulièrement inspirant.

Ce pays a mis en œuvre depuis le début des années 2000 un système de « meilleure réglementation » qui s’appuie sur plusieurs dispositifs.

Une autorité d’évaluation de la charge réglementaire a été créée, dont l’approche est à la fois qualitative, sectorielle et transversale, afin d’évaluer l’impact des normes en amont. Un tableau de bord conçu en concertation avec les acteurs permet aussi de mieux appréhender la pression réglementaire. La clé du succès réside dans le dialogue constant avec les entreprises et dans la montée en puissance de l’autorité, dont le mandat a été étendu à la réglementation européenne.

En France, les travaux de Thierry Mandon montrent que la simplification ne peut être vue seulement comme un outil de productivité des entreprises.

Par ailleurs, la simplification ne peut s’effectuer par le biais de décisions suprêmes de la part d’administrations intelligentes qui sauraient ce qui est bon pour le pays ; elle doit être réalisée à partir de l’expérience de l’usager.

Le texte qu’il nous est proposé d’adopter est un pas, mais un pas insuffisant. Est-il vraiment utile de légiférer ?

Un conseil de la simplification pour les entreprises, placé sous l’autorité du Premier ministre avait déjà été créé par décret en 2014. Le dispositif proposé aujourd’hui s’inspire du Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités, qui montre malheureusement ses limites. Sommes-nous dès lors dans la bonne démarche ?

Je m’interroge également sur les moyens donnés à ce haut conseil : à mon sens, ils ne sont pas à la hauteur pour mener une politique opérationnelle de simplification.

Cette proposition de loi aborde le chantier de la simplification sous le seul prisme de l’activité des entreprises. Permettra-t-elle de faire de la simplification normative une véritable politique publique s’inscrivant dans la perspective de la nécessaire adaptation des activités au changement climatique et aux enjeux sociaux qui en découlent ?

La dimension citoyenne de ce chantier n’est pas prise en compte. Le Conseil économique, social et environnemental (Cese) aurait pu par exemple y siéger.

La stratégie politique reste à définir, de même que ses objectifs précis et les moyens correspondants. L’approche transversale est par ailleurs indispensable.

Si je salue le travail de la commission et de sa rapporteure, le dispositif que cette proposition de loi tend à mettre en place ne répond pas à ces questions préalables essentielles. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Rapin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Rapin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier le président Olivier Rietmann pour sa proposition de loi rendant obligatoires les « tests PME » et créant un dispositif « Impact Entreprises ».

À travers lui, je veux saluer le travail effectué par les membres de notre délégation aux entreprises pour soutenir les entreprises françaises et, singulièrement, les PME, qui sont au cœur de la vie économique de nos territoires.

Je veux également remercier notre collègue Elsa Schalck pour le travail qu’elle a mené sur cette proposition de loi au nom de la commission des lois.

Mon intervention sera pour l’essentiel centrée sur la dimension européenne des enjeux, que le rapport de nos collègues Olivier Rietmann, Gilbert-Luc Devinaz et Jean-Pierre Moga, à l’origine de ce texte, souligne à juste titre.

La récente montée de tension dans le monde agricole à travers toute l’Europe l’a rappelé : l’Union européenne est souvent perçue comme un facteur de complexité.

Ce qui est vrai pour le monde agricole vaut aussi pour les petites et moyennes entreprises. Et pourtant, l’Union européenne permet l’accès à un marché unique qui a constitué une extraordinaire simplification des règles pour les entreprises qui souhaitent exporter au sein de cette zone économique.

Et pourtant, l’Union européenne a décidé de prêter, et ce depuis longtemps, une réelle attention aux PME dans le cadre de sa production normative.

Dans le cadre de l’accord interinstitutionnel du 13 avril 2016 intitulé « Mieux légiférer », les institutions européennes s’étaient en effet accordées sur la nécessité de réaliser des études d’impact, d’évaluer les effets des mesures proposées sur la compétitivité des entreprises, ainsi que sur les charges administratives, et de tenir compte en particulier des PME.

La Commission européenne promettait également d’encourager la participation directe des PME aux consultations qu’elle lance régulièrement en amont de ses initiatives législatives.

Quant au « test PME » auquel la proposition de loi de nos collègues se réfère, il avait été impulsé par la Commission européenne dès 2009, concomitamment à une réflexion engagée par l’OCDE sur le thème « Mieux légiférer en Europe ».

Dans son dernier discours sur l’État de l’Union, la présidente de la Commission européenne a même fait de la prise en compte des PME une priorité.

Elle a annoncé la nomination d’un représentant de l’Union européenne pour les PME, qui lui serait directement rattaché, ainsi que de nouveaux textes en leur faveur.

Le train de mesures de soutien aux PME présenté par la Commission européenne le 12 septembre dernier vise ainsi à améliorer l’environnement réglementaire actuel des PME en consolidant le principe « un ajout, un retrait » cher à la délégation aux entreprises, mais aussi en améliorant l’application du « test PME » et en tenant compte de manière cohérente des besoins des PME dans l’ensemble de la future législation de l’Union européenne.

À l’échelon national, je rappelle que François Hollande, alors candidat à la présidence de la République, avait fait du « test PME » un argument de campagne. Ce n’était en fait qu’un vœu pieux et il aura fallu la détermination de la délégation aux entreprises pour que ce dernier voie le jour.

Déjà en 2017, Olivier Cadic et notre ancienne collègue Élisabeth Lamure proposaient, au nom de cette délégation, de rendre obligatoire la réalisation d’un « test PME », ainsi que la publication de ses résultats, pour tout projet de texte normatif applicable aux entreprises.

Nous espérons que cette proposition de loi pourra prospérer, car d’autres États membres de l’Union ou certains de nos voisins comme l’Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni ou la Suisse ont mis en œuvre un tel test avec succès. Le rapport d’Elsa Schalck en détaille les différentes modalités.

Encore faut-il, pour que ces tests soient efficaces, que les structures mises en place soient crédibles et reconnues, et qu’elles disposent de moyens de fonctionnement adaptés.

Au-delà du texte que nous examinons, le Gouvernement devra prendre des engagements sur cet enjeu opérationnel.

Nous espérons une mise en œuvre rapide et efficace, car selon une étude publiée en septembre 2020, la charge administrative ou les obstacles réglementaires figurent – vous l’avez rappelé, madame la ministre – parmi les plus gros problèmes pour 55 % des PME.

Un environnement réglementaire prévisible et adapté constitue donc un enjeu majeur.

Si j’ai tenu à saluer les efforts en faveur des PME mis en avant par la Commission européenne, je sais la difficulté de passer des mots aux actes. Les textes déposés par l’Union européenne devraient être adaptés aux enjeux des PME. Or il y a parfois un gouffre entre les intentions et les effets concrets sur le terrain.

Monsieur le président Rietmann, je sais que nombre d’entreprises vous ont notamment fait part de critiques à l’encontre de la directive CSRD relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises.

M. Bruno Retailleau. C’est clair !

M. Jean-François Rapin. Le rapport de la commission des lois souligne en outre l’indigence de l’étude d’impact présentée cette fois par le gouvernement français lors de l’examen du projet de loi habilitant le Gouvernement à transposer cette directive.

Je veux à cet égard profiter de ce débat pour lancer un appel que, me semble-t-il, vous pourriez peut-être utilement relayer dans quarante-huit heures auprès des entrepreneurs que vous recevrez jeudi au Sénat dans le cadre de la Journée des entreprises.

Saisir le Parlement français une fois qu’un règlement ou une directive a été adopté par les institutions européennes, c’est trop tard. Si les entreprises veulent utilement nous alerter sur des initiatives de la Commission européenne, elles doivent le faire dès la phase de consultation ou, au plus tard, dès la publication de la proposition de texte qui les inquiète.

Si elles attendent la fin du processus législatif pour se manifester auprès du Sénat, il n’est plus temps pour lui de peser sur les équilibres qui se construisent dans les négociations interinstitutionnelles, qui sont souvent tendues et complexes – j’en sais quelque chose, monsieur le président Rietmann.

Le Sénat en a pourtant le pouvoir, comme il en a déjà apporté la preuve dans de nombreuses négociations.

Ce n’est certes pas à la portée de toutes les PME, mais c’est assurément à la portée de leurs fédérations. Il serait précieux qu’elles entendent ce message, très cohérent avec l’objet même de cette proposition de loi.

Je veux également relever qu’en dépit de la volonté affichée par la Commission européenne, certains textes soulèvent de réelles difficultés.

C’était le cas de celui sur le fameux devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité : la commission des affaires européennes avait été à l’initiative d’une résolution européenne critique sur le dispositif proposé.

Même si certaines fédérations, comme France Industrie ou le Medef, marquent aujourd’hui encore leur mécontentement, le dispositif finalement adopté par le Conseil de l’Union européenne après les critiques de la France se rapproche davantage des propositions du Sénat.

Les difficultés se retrouvent également dans le train de mesures présenté en faveur des PME en septembre dernier. Je pense notamment à la proposition de règlement visant à lutter contre les retards de paiement.

Voilà, monsieur le président de la délégation aux entreprises, les éléments que je souhaitais souligner. Je soutiendrai bien sûr votre proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « Jouer au football, c’est simple ; mais jouer simple est la chose la plus difficile au monde. » Ce n’est pas moi qui le dis, mais feu Johan Cruyff, le légendaire meneur de jeu hollandais et grand tacticien du Barça. (Sourires.)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. C’est pareil pour la danse classique ! (Mêmes mouvements.)

M. Emmanuel Capus. Pour marquer des buts comme pour écrire la loi, faire simple est souvent très compliqué.

En France, les tentatives de simplification ont été nombreuses. Elles sont manifestement restées inabouties.

Depuis que le Président Pompidou a demandé au jeune conseiller Chirac « d’arrêter d’emmerder les Français », on cherche à simplifier. Mais ce n’est pas parce que ce combat est ancien qu’il est dépassé. Tant s’en faut.

Le Gouvernement estime que le coût des réglementations pesant sur les entreprises représente au moins 3 % du PIB, soit 60 milliards d’euros par an. C’est colossal.

Je tiens donc à remercier très chaleureusement le président Olivier Rietmann de remettre l’ouvrage sur le métier. À la délégation aux entreprises comme dans nos circonscriptions, les entrepreneurs nous le répètent à l’envi : il y a trop de normes, trop de lois, trop de règlements.

Il faut donc simplifier : simplifier pour renforcer notre productivité ; simplifier pour améliorer notre compétitivité ; simplifier, accessoirement, pour ne pas « embêter » les entreprises si je veux rester poli, puisque M. le vice-président me le demande. (Sourires.)

Dans son discours de politique générale, le Premier ministre l’a dit lui aussi avec son propre verbe, certes moins percutant que celui de Pompidou, mais plus élégant : « Il faut débureaucratiser la France. »

Le chantier est immense, mais la volonté est, je le crois, largement partagée ici.

La proposition de loi du président Rietmann nous permet donc d’anticiper les projets législatifs du Gouvernement. C’est aussi le rôle du Sénat.

Ce texte innove en ce qu’il propose une nouvelle méthode, une nouvelle façon d’élaborer les lois et les règlements.

En généralisant le recours aux « tests PME », le président Rietmann nous propose de passer toutes les normes au tamis des entreprises.

L’objectif est simple : associer ces dernières avant de légiférer ou de réglementer, au lieu de tenter de corriger le tir une fois les dégâts constatés.

Je le dis donc très clairement : notre groupe partage tout à fait cet objectif – simplifier notre droit – et cette méthode – mieux associer les entreprises à l’élaboration des normes.

Cependant, comme je le disais en introduction, il s’avère souvent compliqué de simplifier. Car, pour simplifier notre droit, il faut bien légiférer ; pour identifier les obstacles, il faut bien concerter les acteurs concernés ; et pour gagner en efficacité, il ne faut pas multiplier les procédures.

C’est pourquoi j’avais quelques réserves sur le texte initial. En effet, il n’est pas évident, en première analyse, qu’ajouter six nouveaux articles au code des relations entre le public et l’administration soit le chemin le plus direct pour simplifier le droit existant.

De même – je sais que le président Rietmann est attaché à la diminution de la pression fiscale sur nos entreprises –, créer une nouvelle dépense pour le fonctionnement de ce haut conseil ne semble pas être la façon la plus efficace de réduire nos dépenses. (M. Olivier Rietmann hausse les épaules.)

Toute nouvelle dépense implique soit une nouvelle recette – c’est-à-dire un impôt supplémentaire –, soit une aggravation de notre dette. Dans tous les cas, cela augmente la pression qui pèse sur nos entreprises. Nous en rediscuterons.

Mes réserves portent donc non pas sur l’esprit de cette proposition de loi, que je partage entièrement, mais sur sa lettre.

Les amendements que je présenterai tout à l’heure visent ainsi à vérifier que le moyen retenu correspond bien à l’objectif du dispositif. Il s’agit pour ce dernier d’un premier test, à la manière de ce « test PME » que nous appelons de nos vœux.

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, simplifier la vie de nos entreprises est un objectif – je crois pouvoir le dire sans me tromper – que nous sommes nombreux ici à partager.

C’est le cas à la fois pour des raisons de compétitivité, de développement, de capacité d’innovation, mais aussi de simple bon sens.

L’inflation normative qui pèse sur nos entreprises est une réalité, à tel point que tout bon chef d’entreprise se devrait aujourd’hui de connaître et d’appliquer pas moins de 20 000 articles de loi dans la gestion quotidienne de sa structure.

Certes, les grandes entreprises peuvent faire face : même si l’impact sur leur compétitivité internationale n’est pas à négliger, leur puissance économique leur permet de déployer les outils adéquats.

En revanche, pour les entreprises de taille plus réduite, comme les TPE et PME, la tâche est bien plus difficile.

Ces structures qui forment le tissu économique de notre pays et qui contribuent à faire vivre beaucoup de nos territoires se voient malheureusement contraintes de consacrer une part croissante de leur temps de travail à des tâches administratives qui les détournent de leur objectif principal : créer de la valeur.

Je citerai à mon tour ce chiffre simple : le coût de cette complexité est évalué par le Gouvernement a minima à 3 % du PIB, soit 60 milliards d’euros par an.

Bien entendu, le Gouvernement comme nous, parlementaires, avons conscience de cette situation absurde et contre-productive et les travaux de la délégation sénatoriale aux entreprises et de son président Olivier Rietmann, auteur de ce texte, s’en font l’écho.

Il en est de même du ministre Bruno Le Maire, qui organisera prochainement les Assises de la simplification administrative.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Avec moi.

Mme Dominique Vérien. Attention, toutefois, ce n’est pas la première fois que le Gouvernement s’engage sur cette voie, sans pour autant tenir sur la durée. Il a aussi créé des instances qui n’ont pas eu les résultats escomptés.

En 2008 a ainsi été installée la Commission consultative d’évaluation des normes pour les collectivités territoriales, devenue en 2013 le Conseil national d’évaluation des normes.

J’y ai moi-même siégé et je doute qu’il atteigne les objectifs fixés : on s’y retrouve, élus face à administration, et si des échanges ont lieu, les simplifications concrètes qui en sortent sont rares.

Je pense également aux Assises de la simplification en 2011, qui n’ont pas eu grand effet, ou encore au conseil de la simplification pour les entreprises, qui n’a existé que pendant trois années, de 2014 à 2017.

En fin de compte, ce fameux dégraissage normatif ne serait-il pas hors de portée ? N’oublions pas que les normes, que nous jugeons trop nombreuses ou trop coûteuses, sont souvent issues de nos travaux. Elles sont créées pour des motifs louables : corriger des injustices, mieux protéger les salariés, mieux contrôler ou mieux repérer d’éventuelles dérives.

Simplifier nécessitera de revenir sur ces contraintes que les entreprises ne supportent plus, mais que nous pensions utiles lorsque nous les avons votées.

Le texte que nous étudions aujourd’hui peut-il nous apporter une solution ? C’est en tout cas l’avis d’Olivier Rietmann, et je voudrais partager son optimisme.

Le haut conseil à la simplification que créerait ce texte aurait un rôle d’évaluation, aussi bien en amont qu’en aval de la production normative.

En amont de la production des normes, il serait associé par le Gouvernement à la préparation des projets de loi et des textes réglementaires créant ou modifiant des normes ou procédures applicables aux entreprises. Il piloterait enfin la réalisation des « tests PME », c’est-à-dire des études d’impact focalisées sur les petites et moyennes entreprises.

En aval de la production des normes, il réaliserait une revue régulière des normes législatives et réglementaires en vigueur et des procédures applicables aux entreprises, afin de proposer des mesures de simplification, d’adaptation ou encore d’abrogation.

La visibilité de ses travaux serait assurée notamment par la remise d’un rapport public annuel.

Enfin, le président du haut conseil serait nommé en Conseil des ministres.

En définitive, cette proposition de loi va dans le bon sens et le travail ainsi que la réflexion de l’auteur de cette proposition de loi sont à souligner.

Il nous faudra cependant veiller à ce que ce conseil soit véritablement doté des moyens de son action, mais aussi à ce que le Gouvernement, les parlementaires, mais également l’administration s’appuient véritablement sur son expertise.

À défaut, ce haut conseil risque de rejoindre la liste des échecs passés que l’on citera en exemple lors de la prochaine tentative de simplification.

Sur ce dernier point, je souhaite d’ailleurs saluer le travail de notre rapporteure Elsa Schalck visant à renforcer le caractère opérationnel de cette structure – et donc son efficacité et sa durabilité – en lui attribuant le statut de commission administrative rattachée directement au Premier ministre et en clarifiant la procédure de saisine, comme le rôle et le positionnement de son président.

En espérant que ce haut conseil aura plus d’efficacité que ses prédécesseurs, le groupe Union Centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Chaillou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Christophe Chaillou. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cela a été dit à plusieurs reprises : le chantier de la simplification est un véritable serpent de mer des politiques publiques depuis de nombreuses années.

Chacun sait que l’excès de normes coûte à notre pays quelques points de PIB.

Ce travail de simplification nous est demandé par tous et toutes. Nous entendons très régulièrement cet appel, lorsque nous allons à la rencontre de nos concitoyens. Les élus locaux et bien évidemment les dirigeants d’entreprise, de toute taille, souhaitent que nous mettions fin à ce qui est vécu comme une surtransposition de normes venues l’Union européenne, mais aussi que nous ralentissions ce qui est vécu comme une véritable inflation normative galopante saisissant notre droit.

J’ai eu l’occasion de le dire en commission des lois : les entreprises nous interpellent sur les normes elles-mêmes, mais aussi sur leur instabilité, sur cette propension à les modifier sans cesse.

Je veux le rappeler – vous l’avez fait, madame la ministre – : les normes sont nécessaires et indispensables, en ce qu’elles encadrent, protègent et consolident l’édifice de nos lois.

Elles nous permettent également d’affirmer nos exigences, qu’il s’agisse des normes environnementales, qui sont d’une importance fondamentale pour lutter contre le réchauffement climatique, ou des normes en matière d’égalité salariale, qui sont nécessaires pour parvenir à l’égalité entre les femmes et les hommes.

Certes, elles cristallisent les passions, mais il nous faut raison garder et simplifier sans déréguler.

La proposition de loi de notre collègue président de la délégation aux entreprises Olivier Rietmann s’inscrit dans la continuité du rapport relatif à la simplification des règles et normes applicables aux entreprises de ladite délégation, auquel notre collègue Gilbert-Luc Devinaz a contribué.

Cette proposition de loi nous paraît donc bienvenue. Le texte initial vise à rendre obligatoire le dispositif des « tests PME ». Il s’agit en soi d’une mesure extrêmement positive, qui doit permettre d’assurer un suivi de l’application des normes dans les petites et moyennes entreprises et de vérifier leur efficacité et leur pertinence dans le long terme.

En revanche, nous restons particulièrement perplexes devant la solution proposée. On simplifierait en créant une nouvelle structure. Est-ce vraiment simplifier que de créer une nouvelle autorité administrative indépendante chargée de l’évaluation et du suivi des normes, qui serait placée – selon le texte initial – sous l’autorité d’un haut-commissaire et chargée du pilotage des « tests PME » et du contrôle de la qualité ?

De manière assez paradoxale, la proposition de loi ne prévoit aucune mesure de simplification, mais une gouvernance et une méthode que nous saluons par ailleurs. Ce dispositif est-il pour autant le plus adapté ? Faut-il créer une nouvelle structure ?

Le texte initial soulevait d’ailleurs quelques doutes sur sa conformité constitutionnelle au regard de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi organique du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution prévoyant notamment la mise en œuvre d’études d’impact.

Nous l’avons dit par ailleurs : la complexité et l’instabilité des normes ne sont pas uniquement dues à leur nombre, mais aussi à la qualité de leur rédaction.

Vous avez fait, madame la rapporteure, un véritable travail de simplification (Sourires.) de cette proposition de loi. Nous avons d’ailleurs salué ce travail en commission. Il est vrai que le texte retravaillé par la commission des lois nous apparaît plus satisfaisant et qu’il lève notamment un certain nombre des problèmes de constitutionnalité que posait le texte original.

M. Christophe-André Frassa, vice-président de la commission des lois. Vous soutenez donc le texte ?

M. Christophe Chaillou. Nous accueillons donc favorablement cet article réécrit ; néanmoins, nous regrettons l’invisibilisation de la dimension citoyenne – elle devrait être au cœur du chantier de simplification des normes, monsieur le vice-président ; il n’y a pas que les entreprises ! – et nous nous interrogeons une fois de plus sur l’opportunité de créer une nouvelle structure dans une période où, compte tenu de l’état de nos finances publiques, les moyens sont comptés.

Même si, comme la majorité d’entre vous – vous n’en doutez pas –, nous nous inscrivons dans cette volonté de simplification, le texte nous paraît manquer en partie sa cible et ne permet pas de faire complètement avancer ce chantier.

C’est la raison pour laquelle le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’abstiendra.

M. Christophe-André Frassa, vice-président de la commission des lois. On progresse !

M. Christophe Chaillou. Il s’abstiendra positivement, bien évidemment. (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Christophe-André Frassa, vice-président de la commission des lois. Encore un petit effort !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi rendant obligatoires les « tests pme »

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME »
Article 1er bis (nouveau)

Article 1er

I et II. – (Supprimés)

III (nouveau). – Le Haut Conseil à la simplification pour les entreprises est chargé d’évaluer les normes applicables aux entreprises.

IV (nouveau). – Le Haut Conseil est composé de représentants des entreprises et du Parlement.

Il comprend :

1° Son président, désigné en Conseil des ministres ;

2° Un représentant des organisations professionnelles représentatives des grandes entreprises, désigné par le Premier ministre, sur leur proposition ;

3° Un représentant des organisations professionnelles représentatives des entreprises de taille intermédiaire, désigné par le Premier ministre, sur leur proposition ;

4° Deux représentants des organisations professionnelles représentatives des petites et moyennes entreprises, désignés par le Premier ministre, sur leur proposition ;

5° Un représentant des organisations professionnelles représentatives des microentreprises, désigné par le Premier ministre, sur leur proposition ;

6° Un député, désigné par le président de l’Assemblée nationale ;

7° Un sénateur, désigné par le président du Sénat ;

8° Un membre du Conseil d’État, désigné par le Premier ministre, sur proposition du vice-président du Conseil d’État.

À l’exception du président, est désigné, en même temps que chaque membre titulaire et selon les mêmes modalités, un membre suppléant appelé à le remplacer en cas d’empêchement temporaire ou de cessation de son mandat de membre ou des fonctions ou mandats au titre desquels il siège au Haut Conseil, pour quelque cause que ce soit.

Les modalités d’élection ou de désignation au Haut Conseil assurent l’égale représentation des femmes et des hommes.

Le Haut Conseil est renouvelé tous les trois ans.

Le mandat des membres mentionnés aux 2° à 8° est renouvelable une fois.

(nouveau). – Le Haut Conseil s’appuie pour son fonctionnement sur les services du Premier ministre qui en assurent le secrétariat permanent.

Il est informé des actions de simplification que conduisent les administrations et peut solliciter pour ses travaux le concours de celles-ci ou de toute personne pouvant éclairer ses débats.

VI (nouveau). – Le président du Haut Conseil assure, sur un plan interministériel, la promotion des méthodes d’évaluation préalables aux initiatives législatives ou réglementaires ainsi que des modes alternatifs à la réglementation.

Il anime un réseau de correspondants à la simplification des normes applicables aux entreprises dans les administrations centrales.

Mme la présidente. L’amendement n° 12, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Remplacer les mots :

en conseil des ministres

par les mots :

par le Premier ministre

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Par cet amendement, je vous propose – le président Rietmann ainsi que Mme la rapporteure ont évoqué cette hypothèse dans leur propos liminaire – de confier la nomination du président du haut conseil au Premier ministre.

Le texte prévoit en effet une nomination en Conseil des ministres. Le haut conseil à la simplification pour les entreprises est conçu comme une instance interministérielle veillant à ce que l’action du Gouvernement prenne en compte les effets des décisions normatives sur les entreprises.

Puisque la Constitution a confié au chef du Gouvernement l’autorité de disposer de l’administration, il nous semble fidèle à Constitution que la nomination du président de cette instance relève de celui-ci.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. Je m’exprimerai sur les amendements du Gouvernement à titre personnel. En effet, ceux-ci nous ayant été transmis dans l’après-midi, la commission des lois n’a pas pu se réunir pour les examiner.

J’en viens à cet amendement, qui tend à confier au Premier ministre la désignation du président du haut conseil.

Au travers de ce débat, nous voyons à quel point l’action du haut conseil dépendra de l’impulsion que lui donnera son président.

Le haut conseil sera donc évidemment rattaché au Premier ministre, mais il nous paraissait important, en lien avec Olivier Rietmann, auteur de la proposition de loi, que la désignation de son président se fasse en Conseil des ministres.

Cela permettra non seulement de donner ladite impulsion à la structure, mais également de lui conférer le caractère d’indépendance sur lequel nous avons largement insisté.

Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 12.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L’amendement n° 3 rectifié ter est présenté par MM. Capus, Brault et Chasseing, Mme L. Darcos, M. Grand, Mme Lermytte, MM. V. Louault et A. Marc, Mme Paoli-Gagin et MM. Verzelen et L. Vogel.

L’amendement n° 7 est présenté par Mme Schalck, au nom de la commission.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

I. – Alinéas 6 à 9

Rédiger ainsi ces alinéas :

2° Un représentant des grandes entreprises ;

3° Un représentant des entreprises de taille intermédiaire ;

4° Deux représentants des petites et moyennes entreprises ;

5° Un représentant des microentreprises ;

II. – Après l’alinéa 12

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Les représentants mentionnés aux 2 à 5 sont désignés par le Premier ministre, sur proposition des organisations professionnelles représentatives au niveau national et interprofessionnel.

La parole est à M. Emmanuel Capus pour présenter l’amendement n° 3 rectifié ter.

M. Emmanuel Capus. Sans remettre en cause le rôle des organisations représentatives des entreprises, que nous saluons, il nous paraît important, et dans l’esprit de la loi, que soient représentées non pas les organisations patronales, mais les entreprises.

C’est la raison pour laquelle – c’est l’objet premier de cet amendement – nous proposons de préciser que lesdits représentants sont des représentants des entreprises, désignés sur proposition des organisations patronales.

Cet amendement a un second objectif dont Mme la rapporteure parlera mieux que moi, puisque, pour éviter les discussions entre nous, j’ai rectifié mon amendement ce matin pour le rendre identique au sien : il s’agit d’assurer la représentation de chaque strate d’entreprises.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure, pour présenter l’amendement n° 7.

Mme Elsa Schalck, rapporteure. Cet amendement est en effet identique au précédent et je remercie notre collègue Capus d’avoir rectifié le sien.

Il s’agit d’un amendement de précision juridique visant à tenir compte des modalités de représentation des différentes catégories d’entreprises. Ces dernières étant en général représentées par des organisations interprofessionnelles, nous avons fait mention à la fois du caractère national et interprofessionnel de la représentation.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Pour les mêmes raisons, le Gouvernement émet un avis favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3 rectifié ter et 7.

(Les amendements sont adoptés.)

Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par MM. Gontard et Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus et Fernique, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 9

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° Trois représentants des organisations syndicales, désignés par le Premier ministre, sur leur proposition ;

La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Cet amendement vise à rééquilibrer la composition du haut conseil à la simplification pour les entreprises, dont la composition se limite, à ce stade, à des représentants des organisations patronales, d’un parlementaire de chaque chambre et d’un membre du Conseil d’État, sans que les institutions représentatives du personnel soient représentées.

C’est pourquoi nous souhaitons y adjoindre trois représentants des organisations syndicales, désignés par le Premier ministre, sur leur proposition.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. L’avis est défavorable, parce qu’il nous paraît important de préciser que le haut conseil est non pas une instance de dialogue social, mais un organe chargé de l’évaluation et du conseil. Ce sont bien deux missions distinctes.

Par ailleurs, la crainte d’une tutelle des entreprises sur le pouvoir exécutif et législatif nous semble largement infondée. En effet, d’une part, je vous le rappelle, le haut conseil a un pouvoir consultatif et non contraignant ; d’autre part, il y aura bien des représentants d’entreprises désignés par le Premier ministre.

Enfin, nous l’avons beaucoup entendu lors des auditions, il est nécessaire, pour rendre le système opérationnel, de ne pas alourdir l’effectif et l’organisation. Il s’agit de préserver l’agilité et la réactivité de l’instance, faute de quoi nous risquons de tomber sur les écueils que nous voulions justement éviter. Beaucoup d’orateurs ont insisté là-dessus lors de la discussion générale.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Votre proposition consiste à ajouter trois représentants des organisations syndicales à la composition du haut conseil.

Les analyses et études d’impact que produira le haut conseil comporteront une évaluation du coût des normes applicables aux entreprises. Ma réflexion m’a conduite dans un premier temps à considérer que sa composition telle qu’elle est proposée par le texte permettait d’atteindre cet objectif. Néanmoins, je considère également que la présence de représentants syndicaux peut être de nature à apporter un éclairage technique complémentaire, au même titre que la présence de dirigeants d’entreprise. C’est pourquoi je m’en remettrai à la sagesse connue et reconnue du Sénat.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 11, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 12

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

9° Cinq représentants de l’État.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Je propose d’ajouter aux membres du haut conseil cinq représentants de l’État, à l’instar de ce qui se fait dans les commissions administratives qui exercent une mission comparable. À titre de comparaison, le CNEN compte neuf représentants de l’État parmi ses membres.

Cette participation permettrait d’enrichir les débats de cette nouvelle instance et de veiller à une meilleure mise en œuvre de ses recommandations par l’administration.

Il s’agit d’éclairer le haut conseil sans en alourdir le fonctionnement, en cohérence avec ce que vient de dire Mme la rapporteure. C’est pour cette raison que nous nous sommes limités à cinq représentants de l’État.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. Comme je l’ai dit à propos du précédent amendement, l’idée est vraiment d’avoir une instance à la fois agile et fonctionnelle. Cet amendement, s’il était adopté, modifierait de surcroît considérablement les équilibres au sein du haut conseil. Or il nous paraît indispensable que les entreprises puissent avoir un avis prédominant. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons modifié la représentation des différentes entreprises.

L’avis est défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 11.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 8, présenté par Mme Schalck, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 14

Supprimer les mots :

d’élection ou

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Elsa Schalck, rapporteure. Il s’agit simplement de corriger une erreur matérielle, aucun des membres du haut conseil n’étant élu.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 8.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 14, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 20

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Le texte propose de confier au président du haut conseil une mission d’animation d’un réseau de correspondants ministériels à la simplification.

Très sincèrement, l’initiative me semble pertinente, louable, et j’en partage l’objectif. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’au mois de novembre dernier, voilà à peu près six mois, nous avons lancé avec le Président de la République un programme d’accompagnement de nos PME et de nos entreprises de taille intermédiaire dénommé ETIncelles, qui s’inspire exactement de cette même idée. Ainsi, nous sommes en train de mettre en place un réseau de correspondants d’État dans l’ensemble des administrations centrales pour identifier les complexités, parfois les incohérences normatives, que peuvent rencontrer les entreprises en développement pour les lever une à une. Ce réseau comporte aujourd’hui une cinquantaine d’agents dans l’ensemble de l’administration. Je suis d’ailleurs à votre disposition pour vous en parler un peu plus précisément dans les semaines qui viennent.

Néanmoins, si l’idée est clairement louable, à telle enseigne que nous en avons fait un programme public, il nous paraît aussi préférable que le haut conseil se concentre sur sa mission première d’analyse, préserve son agilité et, partant, que la mission d’animation de réseau ne lui soit pas directement confiée. Cela ne l’empêchera pas de se nourrir utilement des travaux d’ETIncelles, quels que soient l’avis de Mme la rapporteure et la décision éclairée de la chambre haute sur mon amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. C’est justement parce que l’idée est louable que nous avons choisi de la mettre en œuvre dans le cadre de cette proposition de loi. La simplification des normes applicables est un objectif ambitieux qui doit procéder, comme l’a dit Olivier Rietmann, d’un changement de culture et de paradigme. C’est grâce à cette animation d’un réseau de correspondants à la simplification des normes dans les différentes administrations centrales que le haut conseil pourra y parvenir.

Cette mission avait d’ailleurs été confiée au commissaire à la simplification au début des années 2010. Il nous semble donc tout à fait légitime et utile que le président du haut conseil reprenne ce rôle de manière pérenne. L’avis est défavorable.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. C’est cruel ! (Sourires.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 14.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME »
Article 1er ter (nouveau)

Article 1er bis (nouveau)

I. – Le Haut Conseil à la simplification pour les entreprises rend un avis sur les projets de loi, assortis de leur étude d’impact, ayant un impact technique, administratif ou financier sur les entreprises.

Il rend également un avis sur les projets de textes réglementaires ayant un impact technique, administratif ou financier sur les entreprises.

Il rend un avis sur les projets d’acte de l’Union européenne ayant un impact technique, administratif ou financier sur les entreprises.

Sont exclues de la compétence du Haut Conseil les normes justifiées directement par la protection de la sécurité nationale.

II. – Le président d’une assemblée parlementaire peut soumettre à l’avis du Haut Conseil une proposition de loi ayant un impact technique, administratif ou financier sur les entreprises déposée par l’un des membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s’y oppose.

III. – Le Haut Conseil peut se saisir de tout projet de norme technique résultant d’activités de normalisation ou de certification ayant un impact technique, administratif ou financier sur les entreprises.

IV. – Le Haut Conseil peut être saisi d’une demande d’évaluation de normes législatives et réglementaires en vigueur applicables aux entreprises par le Gouvernement ainsi que par l’une des commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Il peut se saisir lui-même de ces normes.

Le Haut Conseil peut proposer, dans son avis d’évaluation, des mesures d’adaptation des normes législatives et réglementaires en vigueur si l’application de ces dernières entraîne, pour les entreprises, des conséquences matérielles, techniques ou financières manifestement disproportionnées au regard des objectifs poursuivis par ces normes.

Il peut également proposer des modalités de simplification de ces dispositions et l’abrogation de normes devenues obsolètes.

V. – Pour rendre son avis en application des I à IV, le Conseil détermine la méthodologie de l’évaluation du coût des normes applicables aux entreprises.

VI. – Les avis rendus en application des I à III comportent notamment une analyse de l’impact attendu des normes concernées sur les petites et moyennes entreprises, appelée « test PME ».

Dans ces avis, le Haut Conseil peut proposer des mesures d’application différée dans le temps, selon les catégories d’entreprises, des projets de normes qui lui sont soumis.

VII. – Le Haut Conseil dispose d’un délai de six semaines à compter de la transmission d’un projet de loi assorti de son étude d’impact mentionné au premier alinéa du I ou d’un projet de texte mentionné aux deuxième et troisième alinéas du même I, ou d’une demande d’avis formulée en application du II pour rendre son avis. Ce délai peut être prorogé une fois par décision de son président. À titre exceptionnel et sur demande du Premier ministre ou du président de l’assemblée parlementaire qui le saisit, il est réduit à deux semaines.

Par décision motivée du Premier ministre, ce délai peut être réduit à soixante-douze heures.

À défaut de délibération dans les délais, l’avis du Haut Conseil est réputé favorable.

Lorsque le Haut Conseil émet un avis défavorable sur tout ou partie d’un projet de loi assorti de son étude d’impact mentionné au premier alinéa du I, ou sur tout ou partie d’un projet de texte mentionné au deuxième alinéa du même I, le Gouvernement transmet un projet modifié ou, à la demande du Haut Conseil, justifie le maintien du projet initial. Hormis dans le cas prévu au deuxième alinéa du présent VII, une seconde délibération est rendue par le Haut Conseil.

VIII. – Les avis du Haut Conseil en application des I, III et IV sont rendus publics.

Les avis rendus sur les propositions de loi en application du II sont adressés au président de l’assemblée parlementaire qui les a soumises, pour communication, aux membres de cette assemblée.

Les travaux du Haut Conseil font l’objet d’un rapport public annuel remis au Premier ministre et aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Mme la présidente. L’amendement n° 13, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

Il émet, à la demande du Gouvernement, un avis sur les projets de textes réglementaires ayant un impact technique, administratif ou financier sur les entreprises.

II. - Alinéa 3

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Je ne désespère pas d’arriver à vous convaincre en défendant mes amendements. C’est la mission que l’on m’a confiée… (Sourires.)

Comment faire en sorte que le haut conseil soit le plus efficace possible, comme nous le souhaitons tous ?

Il faut lui permettre d’assumer pleinement ses compétences et ses responsabilités, tout en veillant à ce qu’il puisse concentrer ses moyens là où son rôle est le plus important. Il ne nous semble donc pas nécessaire de rendre la saisine du haut conseil obligatoire pour les projets d’acte réglementaire. Si tel était le cas, sa charge de travail serait considérable et pourrait nuire à la qualité de ses travaux, ainsi qu’à l’agilité et à la réactivité qu’on attend de lui.

Cela pourrait de surcroît ralentir l’examen de projets de loi ou de décret ayant les impacts les plus directs sur les entreprises et faire courir, à l’inverse, un risque d’annulation sur des projets de texte réglementaire pour non-consultation du haut conseil. Bref, cette obligation pourrait être source d’insécurité juridique.

Nous proposons enfin de supprimer l’avis du haut conseil sur les projets d’acte de l’Union européenne ayant un impact technique, administratif ou financier sur les entreprises, pour les mêmes raisons de ciblage de son action.

Monsieur le président de la commission des affaires européennes, je ne fais absolument pas fi de votre prise de parole éclairée, mais nous estimons indispensable, j’y insiste, de concentrer les missions du haut conseil, en tout cas dans un premier temps.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ? Toujours aussi cruel ? (Sourires.)

Mme Elsa Schalck, rapporteure. En effet, j’en suis vraiment navrée (Mêmes mouvements.), mais l’avis sera défavorable sur les deux mesures contenues dans cet amendement.

Vous proposez d’abord de transformer la saisine obligatoire en saisine facultative. Nous ne souhaitons pas voir le haut conseil engorgé par de trop nombreuses missions. Au contraire, il faut un système fonctionnel et opérationnel. C’est pourquoi, et nous y reviendrons, la question des moyens est très importante. Cela dit, il ne nous paraît pas opportun d’avoir deux régimes différents de saisine pour, d’un côté, les projets de loi et, de l’autre, les projets de texte réglementaire. En effet, l’inflation normative concerne tous les textes, qu’ils soient législatifs ou réglementaires, et l’avis du haut conseil sur les projets de décret sera précieux. C’est pour cette raison qu’il nous paraît nécessaire de conserver le caractère obligatoire de la saisine à cet égard.

Le second point concerne la suppression de la saisine sur les projets d’acte de l’Union européenne. Nous le savons, la Commission européenne réalise déjà à son niveau des « tests PME ». Pour autant, il ne nous semble pas inutile de prévoir l’avis du haut conseil sur de tels projets en amont. Nous souhaitons même, à travers d’un amendement de la commission que nous allons examiner dans un instant, lui confier expressément une mission de lutte contre la surtransposition des normes européennes, un sujet que nous avons largement évoqué lors de la discussion générale.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 13.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par MM. Gontard et Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus et Fernique, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par les mots :

, de la santé, des droits sociaux et de l’environnement

La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Cet amendement vise à exclure les normes justifiées directement par la protection de la santé, des droits sociaux et de l’environnement de la compétence du haut conseil à la simplification pour les entreprises au même titre que celles qui concernent la protection de la sécurité nationale, comme c’est déjà prévu par la proposition de loi.

Il s’agit de garantir que les attributions confiées au haut conseil en amont de la production normative ne permettent pas d’amoindrir la prise en compte des facteurs sociaux, sanitaires, environnementaux et de gouvernance par les entreprises, ce qui conduirait à des reculs sous prétexte de simplification.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. Cet amendement vise à exclure du champ de compétence du haut conseil un certain nombre de normes. Sa portée est considérable et ne correspond évidemment pas à l’objectif de la proposition de loi.

Certaines normes sont incontestablement positives et nécessaires quand elles visent la protection de la santé ou de l’environnement, mais on voit bien à quel point l’inflation législative guette tous les domaines. Pour ne donner qu’un seul chiffre, le code de l’environnement a augmenté de 653 % en volume depuis 2002.

Pour toutes ces raisons, l’avis est défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. J’éviterai toute argumentation superfétatoire : pour les mêmes raisons que celles qu’a invoquées Mme la rapporteure, j’émets un avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 2.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L’amendement n° 4 rectifié quater est présenté par MM. Capus, Brault et Chasseing, Mme L. Darcos, M. Grand, Mme Lermytte, MM. V. Louault et A. Marc, Mme Paoli-Gagin et MM. Verzelen et L. Vogel.

L’amendement n° 9 est présenté par Mme Schalck, au nom de la commission.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 13

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Il alerte également, le cas échéant, sur la surtransposition de normes européennes dans le droit français.

La parole est à M. Emmanuel Capus, pour présenter l’amendement n° 4 rectifié quater.

M. Emmanuel Capus. La surtransposition des normes européennes dans le droit français est une vraie source de complexité. C’est la raison pour laquelle il nous apparaît important que le haut conseil puisse également alerter le législateur sur ces risques.

J’avais déposé un premier amendement qui était légèrement différent de celui de Mme la rapporteure. Là encore, la commission m’a demandé de le rectifier pour le rendre identique au sien, ce que j’ai fait volontiers.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure, pour présenter l’amendement n° 9.

Mme Elsa Schalck, rapporteure. La commission vous remercie, mon cher collègue.

Je considère que l’amendement n° 9 est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Il me semble que le Gouvernement fait déjà tous les efforts pour éviter les surtranspositions de directive. Bruno Le Maire avait d’ailleurs pointé ce problème en amont des Rencontres de la simplification. Je ne suis pas certaine qu’il faille inscrire cette mission dans la loi.

Considérant que vos amendements sont satisfaits, j’en sollicite le retrait ; faute de quoi, l’avis sera défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 rectifié quater et 9.

(Les amendements sont adoptés.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er bis, modifié.

(Larticle 1er bis est adopté.)

Article 1er bis (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME »
Intitulé de la proposition de loi (début)

Article 1er ter (nouveau)

Une dotation, destinée à couvrir les frais de fonctionnement du Haut Conseil à la simplification pour les entreprises et le coût des travaux qui lui sont nécessaires, est prévue par la loi de finances de l’année.

Mme la présidente. L’amendement n° 6 rectifié bis, présenté par MM. Capus, Brault et Chasseing, Mme L. Darcos, M. Grand, Mme Lermytte, MM. V. Louault et A. Marc, Mme Paoli-Gagin et MM. Verzelen et L. Vogel, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Je ne vais peut-être pas avoir le même succès qu’avec les deux amendements précédents… (Sourires.)

Madame la présidente, mes chers collègues, je suis tiraillé entre ma qualité de vice-président de la délégation aux entreprises, fidèle au président Rietmann, et ma qualité de vice-président de la commission des finances.

Au premier titre, je suis ainsi très favorable à ce que l’on donne le maximum de pouvoirs et de moyens à ce haut conseil que nous sommes en train de créer. Au second titre – il y a peu de membres de la commission des finances en séance aujourd’hui –, je suis extrêmement sensible à la défense de nos équilibres budgétaires et à la maîtrise de notre dette et de nos engagements financiers.

Est-il vraiment indispensable de prévoir une dotation pour faire vivre cet organe, dès lors qu’il est placé sous l’égide du Premier ministre ? J’ai bien conscience que l’adoption de mon amendement reviendrait à priver de quelques subsides les services du Premier ministre, mais ces derniers n’ont-ils pas suffisamment de ressources pour subvenir aux besoins du haut conseil ?

En résumé, c’est un amendement de suppression de la dotation prévue dans le texte de la commission. Nous éviterons ainsi une nouvelle dépense, qui, en toute logique, entraînerait la création d’une nouvelle recette dans la prochaine loi de finances.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. Monsieur Capus, ne soyez pas tiraillé. Il n’y aura pas de simplification sans action forte, donc sans moyens appropriés au service de cette politique. C’est la condition pour pouvoir changer à la fois de culture et de paradigme.

Évidemment, nous sommes aussi conscients de la nécessité de veiller à la soutenabilité des finances publiques, mais je rappellerai que ce Haut Conseil aura des missions qui ne sont aujourd’hui effectuées par aucune instance. Même avec l’appui des services du Premier ministre, auxquels il sera rattaché, il lui sera impossible de s’attaquer au flux et au stock à effectif constant. Je crois que tous les sénateurs ici présents partagent notre constat.

Enfin, je rappelle que le travail de simplification mené par le haut conseil permettra aussi – du moins, nous l’espérons – de dégager des économies, le coût macroéconomique que représente le poids des normes étant estimé a minima à 60 milliards d’euros par an.

J’y insiste, cette dotation doit être votée. Aussi, je demande de retrait de cet amendement, faute de quoi l’avis sera défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Vous m’avez fait douter, monsieur le sénateur Capus, avec vos tiraillements. Me voilà aussi désormais tiraillée ! (Sourires.)

M. Emmanuel Capus. C’est contagieux ! (Mêmes mouvements.)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Pour le dire le plus simplement possible, la création de ce haut conseil me semble indispensable, soit dit sans flagornerie ou amitié envers le sénateur Rietmann. Je l’appelle d’ailleurs de mes vœux depuis bientôt une décennie. Il me semble tout aussi indispensable qu’il ait les moyens de travailler correctement. Comme il sera placé au plus haut niveau, au sein des services du Premier ministre, il devrait pouvoir bénéficier des moyens y afférents.

En tant qu’ancienne députée membre de la commission des finances de l’Assemblée nationale, je ne peux pas non plus faire fi de considérations tenant à nos finances publiques.

Pour toutes ces raisons, vous ne serez pas surpris que je sois favorable à votre amendement, même si je ne doute pas que nous aurons l’occasion d’aborder une nouvelle fois ce sujet au moment des débats sur le projet de loi de finances, dès la troisième semaine de septembre.

Ne soyez plus tiraillé, monsieur le sénateur… (Nouveaux sourires.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 6 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er ter.

(Larticle 1er ter est adopté.)

Article 1er quater (nouveau)

Les modalités d’application de la présente loi sont précisées par décret en Conseil d’État – (Adopté.)

Articles 2 à 4

(Supprimés)

Article 1er ter (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME »
Intitulé de la proposition de loi (interruption de la discussion)

Intitulé de la proposition de loi

Mme la présidente. L’amendement n° 10, présenté par Mme Schalck, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Remplacer le mot :

rendant

par les mots :

visant à rendre

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Elsa Schalck, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel, sans doute le meilleur d’entre tous… (Sourires.)

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Après moult hésitations, tergiversations et tiraillements, j’émets un avis favorable. (Mêmes mouvements.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 10.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l’intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.

La parole est à M. Olivier Rietmann.

M. Olivier Rietmann. Je tiens à remercier l’ensemble de mes collègues pour leurs différentes interventions et l’excellent état d’esprit qui a régné au cours de nos échanges.

J’adresse des remerciements tout particuliers à Mme la rapporteure, Elsa Schalck (Mme Frédérique Puissat applaudit.), qui a fait un travail exceptionnel sur cette proposition de loi. Elle a réussi à faire en sorte qu’un texte voulu par quelqu’un plutôt proche du monde des entreprises et pas du tout juriste réponde à toutes les exigences en matière d’applicabilité.

Merci également à tous mes collègues de la commission de loi, ainsi qu’à Mme la ministre et à son équipe. J’espère que nous allons continuer dans le même état d’esprit pour faire aboutir cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de loi.

Je vous rappelle que les explications de vote et le vote par scrutin public solennel sur l’ensemble de la proposition de loi se dérouleront le mardi 26 mars, à quatorze heures trente.

La suite de la discussion est renvoyée à cette séance.

L’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures trente.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Intitulé de la proposition de loi (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME »
Discussion générale

11

Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars 2024

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars 2024, organisé à la demande de la commission des affaires européennes.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre délégué, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé sa place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Madame la présidente, madame la vice-présidente de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis honoré de me trouver devant vous aujourd’hui afin de vous présenter les principaux sujets qui seront traités lors du Conseil européen des 21 et 22 mars.

Je souhaite également profiter de cette occasion pour prendre un peu de recul, sept ans après le discours de la Sorbonne, et alors que, avec les élections européennes, se clôtureront la mandature du Parlement européen et, plus largement, le cycle institutionnel européen.

Ce sommet européen se tiendra à un moment charnière pour l’avenir de l’Europe. Ensemble, les chefs d’État et de gouvernement aborderont des sujets prioritaires pour l’Union : le soutien à l’Ukraine, l’Europe de la défense, l’avenir d’une Europe élargie, le conflit au Proche-Orient, le soutien à nos agriculteurs, la préparation de l’agenda stratégique, ainsi que la réponse aux défis migratoires.

Si l’on s’arrête un instant sur l’ordre du jour de ce Conseil européen, on constate qu’il n’y a pas un sujet qui ne reflète les priorités de l’agenda de souveraineté tel que dessiné par le Président de la République dès 2017, puis décliné à l’occasion du sommet de Versailles, au lendemain du début de la guerre menée par la Russie en Ukraine.

Il y a sept ans, pourtant, l’idée d’une souveraineté européenne apparaissait, pour certains de nos partenaires, au mieux comme une idée abstraite, au pire comme une utopie française. Elle s’est pourtant peu à peu frayé un chemin au sein du débat européen jusqu’à s’y ancrer comme une évidence et une nécessité.

Face aux chocs et aux crises inédites que notre Union a vécus et continue de vivre, le combat que la France a mené dans le but d’arrimer le projet européen à cette ambition a peu à peu résonné chez nos partenaires et trouve plus que jamais un écho en Europe.

Très tôt, la France a ainsi appelé de ses vœux une Europe forte dans le monde, capable de parler d’une seule voix et de prendre en main sa sécurité. Nous avons conduit un véritable plaidoyer en faveur d’une plus grande convergence stratégique et de l’avènement d’une Europe de la défense qui assume sa propre sécurité de manière croissante, en complémentarité avec l’Otan.

La pandémie et la guerre ont toutes deux joué un rôle de catalyseur vis-à-vis de la souveraineté européenne. L’invasion russe de l’Ukraine, en particulier, a conduit les États membres à briser ensemble des tabous et à transcender des lignes que nous pensions immuables. Certains de nos partenaires européens nous disent : « Les idées que nous adorions détester il y a encore quelques années sont désormais devenues nos idées ! »

Ainsi, au lendemain du 24 février 2022, l’Allemagne a amorcé son Zeitenwende, la Pologne a massivement investi dans ses capacités de défense et le Danemark, à l’issue d’un référendum historique, décidait de rejoindre la politique commune de sécurité et de défense.

En quelques jours seulement, nous avons été capables de décider, de façon inédite et historique, de recourir à la Facilité européenne pour la paix (FEP) afin de financer des livraisons d’armes à un pays en guerre.

Aujourd’hui, face à une Russie qui mise sur l’incapacité des partenaires de l’Ukraine à la soutenir dans une guerre longue, il nous faut poursuivre nos efforts et approfondir la réflexion sur les modalités de notre soutien, sans tabou, pour faire plus, mieux et différemment, à l’instar de l’initiative engagée par le Président de la République le 26 février dernier.

Tel est bien l’esprit du sommet de Versailles, lequel, quelques semaines seulement après le retour de la guerre sur le continent européen, avait contribué tout à la fois à concrétiser le réveil stratégique européen et à poser les premiers jalons d’une base économique et industrielle européenne plus solide, tournée vers le renforcement de ses capacités de production.

Tirant également les leçons de la pandémie de covid-19, l’agenda de Versailles avait constitué un tournant essentiel pour l’Europe en visant la réduction de nos vulnérabilités et dépendances stratégiques dans les domaines de l’énergie, des matières premières, des semi-conducteurs, de la santé, du numérique et de la sécurité alimentaire, ainsi que le renforcement des capacités européennes en matière de défense.

En l’espace de deux ans, l’Union a été au rendez-vous de ces promesses en donnant une impulsion décisive à la politique industrielle européenne ; le travail législatif s’est mis en marche et a abouti à des textes européens ambitieux ayant pour but de renforcer la production et de prévenir de la sorte les pénuries de semi-conducteurs et de médicaments, ainsi que de garantir un approvisionnement sûr, diversifié et durable en matières premières critiques.

En parallèle, nous sommes parvenus, dans le sillage des engagements pris lors du sommet, à nous affranchir d’une dépendance pourtant bien ancrée à l’égard des combustibles fossiles russes et avons entrepris de relocaliser une partie de la production de technologies énergétiques propres sur le continent européen.

Nous devons désormais, dans le contexte du soutien indéfectible à l’Ukraine, renforcer encore notre autonomie et notre résilience. Cela implique en particulier d’achever rapidement la mise en œuvre de l’agenda de Versailles pour libérer l’Union européenne de toutes ses dépendances, notamment sur le volet capacitaire de défense. Nous devons également progresser très vite sur le thème de la sécurité alimentaire.

S’agissant du volet de défense, qui sera au cœur des discussions du Conseil européen, la Commission et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) ont présenté, le 5 mars dernier, une stratégie et un programme d’investissement pour l’industrie de défense européenne.

Face à un environnement stratégique toujours plus instable, il nous faut nous doter sans délai de tous les outils nécessaires et, surtout, produire, acheter et investir davantage en Européens. Ce changement d’échelle est plus que jamais nécessaire pour fournir à l’Ukraine la profondeur stratégique dont celle-ci a impérativement besoin, mais aussi pour renforcer la résilience des chaînes d’approvisionnement de nos armées et préparer l’avenir.

Ainsi, il est dans notre intérêt collectif d’envoyer un signal clair et d’assumer une ambition renouvelée pour l’investissement dans les capacités de défense européennes, en mobilisant pour ce faire toutes les ressources européennes à notre portée, y compris l’emprunt, le recours à la Banque européenne d’investissement (BEI), la mobilisation des intérêts des avoirs russes, dans le respect du cadre juridique que nous avons adopté, ou encore le recours à l’épargne privée. De cela dépendra notre crédibilité face à la Russie en tant qu’alliés de l’Ukraine et vis-à-vis de nos partenaires de l’Otan.

Dans la perspective des échéances à venir, il convient d’expliquer de manière très claire à nos concitoyens le tournant décisif pris par l’Union européenne depuis le déclenchement de la guerre d’agression russe en Ukraine. L’Europe contribue à la sécurité collective et protège les citoyens européens. Disons-le clairement, en renforçant les capacités de défense de l’Union européenne, il ne s’agit pas de créer une alternative à l’Otan, c’est tout l’inverse : une Europe qui assume davantage de responsabilités pour sa propre sécurité et qui se donne les moyens de le faire nous rend tous plus forts, plus performants, mais aussi plus crédibles aux yeux de nos partenaires.

Le Conseil européen se penchera également sur des sujets clés pour l’avenir de notre continent tels que l’élargissement, avec une discussion sur les éléments présentés par la Commission, le cadre de négociations pour l’Ukraine et la Moldavie et le rapport de progrès sur la Bosnie-Herzégovine.

Vous le savez, à l’aune du conflit en Ukraine, la France défend la nécessité géopolitique d’une Europe élargie, comme l’a rappelé avec force le Président de la République au printemps dernier lors de la conférence du GlobSec – pour Global Security Forum – à Bratislava.

Je rappelle également que, dans la perspective de l’élargissement, c’est l’adoption d’un agenda politique clair, notamment à travers l’agenda stratégique, qui nous permettra de définir les réformes opportunes et nécessaires qui garantiront un fonctionnement efficace des institutions.

Le Conseil européen se penchera évidemment sur la situation au Proche-Orient, en insistant notamment sur l’urgence à faire appliquer le droit international humanitaire à Gaza, conformément à nos valeurs.

Enfin, puisque le sujet des migrations sera également abordé, nous avons affirmé dès 2017 qu’une Europe plus souveraine devait être en mesure de maîtriser ses frontières. À ce titre, l’accord historique sur le pacte sur la migration et l’asile permettra de doter l’Union européenne d’une politique migratoire et d’asile européenne solide, cohérente et efficace.

En parallèle, concernant la dimension externe, il nous faut intensifier notre dialogue avec les pays partenaires afin de prévenir les départs irréguliers et d’améliorer la coopération en matière de retour.

Tels sont, en quelques mots, les principaux sujets qui seront abordés au Conseil européen de cette semaine. Vous le constatez, ils traduisent au fond une forme de victoire idéologique du logiciel français de souveraineté européenne. Ma conviction est que nous devons à présent poursuivre cette dynamique ambitieuse de réduction des dépendances et de renforcement de la souveraineté en achevant rapidement la mise en œuvre de l’agenda de Versailles, tout en le renforçant.

Avec le Président de la République, c’est bien le message que nous porterons au Conseil européen jeudi et vendredi.

Mme la présidente. La parole est à Mme la vice-présidente de la commission.

Mme Catherine Dumas, vice-présidente de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 1er février dernier, la présidente de la Commission européenne se félicitait d’un « bon jour pour l’Europe » et le président Zelensky évoquait « une victoire commune sur la Russie » : les Vingt-Sept venaient de s’accorder sur un programme de soutien supplémentaire de 50 milliards d’euros pour l’Ukraine.

À la veille du prochain Conseil européen, cette belle unité n’est déjà plus. Les propos du Président de la République du 26 février, affirmant ne pas exclure l’envoi de troupes au sol en Ukraine, ont surpris nos alliés et la plupart d’entre eux ont pris leurs distances. À cela s’ajoutent de nouvelles tensions avec notre partenaire allemand. Dans ces conditions, il n’est même pas besoin de se demander quel effet a produit au Kremlin cette étrange conception de l’ambiguïté stratégique…

Mes chers collègues, le sujet est trop sérieux, trop grave, pour donner lieu à des effets de manche : c’est de la sécurité des Français et de l’Europe qu’il s’agit. Au-delà de la forme, la manière d’assurer une présence sur le territoire ukrainien sans franchir le seuil de belligérance reste à clarifier. Surtout, pour quoi faire ? Au service de quelle stratégie ? S’il s’agit de dissuader les Russes de se rapprocher de la Transnistrie, alors il faudra y consacrer davantage que des formateurs et des démineurs.

Notre commission ne cesse de le répéter : le vrai sujet du soutien à l’Ukraine est la fourniture de munitions. Nous ne sommes pas capables de fournir à ce pays les armes et les munitions dont il a besoin. C’est vrai pour la France, mais malheureusement aussi pour l’Europe. La discrétion en la matière des États-Unis, qui viennent d’accorder à l’Ukraine un maigre paquet d’aide de 300 millions de dollars, n’est pas rassurante. Cette stratégie est-elle même compatible avec l’élargissement de l’Union européenne à l’Ukraine ?

À défaut de pouvoir soutenir l’effort de guerre ukrainien et de donner une signification stratégique à l’élargissement de l’Union, la décision du dernier Conseil européen ressemble à une fuite en avant. Nous faisons des promesses d’adhésion à un pays à qui nous n’avons pas été capables de donner le tiers des munitions que nous lui avons promises. Est-ce responsable ?

Au Moyen-Orient, le conflit israélo-palestinien menace toujours d’embraser la région entière. À la sidération du 7 octobre a succédé une impuissance totale de la communauté internationale face à une guerre qui se prolonge et à une situation humanitaire chaque jour plus catastrophique. La France prend sans doute sa part dans la recherche de solutions, mais la capacité d’initiative européenne semble pour le moment bien faible, alors même que les pays européens sont depuis longtemps des bailleurs majeurs du processus de paix au Proche-Orient.

Certains États membres ont fait des propositions audacieuses, comme l’Espagne et l’Irlande, qui demandent une évaluation, voire une remise en cause de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël.

La Belgique, que son rôle de présidente du Conseil contraint pourtant à la neutralité, a estimé que la question méritait d’être posée.

Comment rapprocher les positions européennes sur ce conflit ? Quelle position la France portera-t-elle sur ce sujet si sensible à l’occasion du Conseil européen ?

Monsieur le ministre, la recomposition violente du monde se poursuit ; on pourrait même soutenir qu’elle s’accélère. Les pays européens doivent jouer tout leur rôle et préserver les intérêts de nos populations – à commencer par leur sécurité –, mais cela suppose que nous disposions d’une stratégie commune et que nous soyons capables collectivement de défendre des positions fortes et claires.

Monsieur le ministre, nous attendons que le Gouvernement agisse en ce sens à l’occasion de la prochaine réunion du Conseil européen. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Madame la vice-présidente, je souhaite vous apporter deux éléments de réponse.

Premièrement, concernant la capacité à produire et à livrer des munitions à l’Ukraine, je tiens à saluer un certain nombre d’initiatives qui ont été prises, en particulier tout dernièrement par la République tchèque, pour approvisionner l’Ukraine en munitions provenant de l’extérieur de l’Union européenne, afin de faire face à l’urgence et de permettre à l’armée ukrainienne de les utiliser.

En parallèle, un effort important a été consenti pour faire monter en puissance la capacité européenne à produire des obus, notamment de 155 millimètres, avec une augmentation de 40 % depuis un an. L’objectif est d’atteindre le plus rapidement possible le million d’obus dans le courant de l’année 2024, puis les deux millions d’obus en capacité de production sur le territoire européen. Le programme et la stratégie présentés le 5 mars par la Commission européenne nous donneront des leviers pour y parvenir.

Deuxièmement, s’agissant de la situation au Proche-Orient, l’objectif est bien d’aboutir au Conseil européen à une déclaration forte rassemblant largement les vingt-sept États membres, à la fois sur la condamnation de l’acte terroriste du 7 octobre, plus grand massacre antisémite de l’histoire du XXIe siècle, sur l’appel à Israël au respect du droit international, et sur les efforts à consentir pour permettre l’acheminement de l’aide humanitaire si importante à Gaza, où la situation est injustifiable et se détériore.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars va marquer le lancement du semestre européen de 2024.

Je rappelle qu’il s’agit là d’un parcours annuel de coordination des politiques économiques et budgétaires nationales, dans lequel s’inscrit la présentation au printemps, par chaque État, d’un programme national de réformes et d’un programme de stabilité.

Dans ce cadre, les États membres seront amenés, lors du Conseil européen, à examiner les priorités européennes. Ils discuteront en particulier de la recommandation concernant la politique économique de la zone euro préparée par la Commission, d’ores et déjà approuvée par le Conseil.

La lecture de ce document me paraît tout à fait instructive, monsieur le ministre, puisque celui-ci recommande la mise en œuvre d’une politique budgétaire plus restrictive visant à reconstruire des marges de manœuvre budgétaires et à rétablir la viabilité de nos finances publiques.

Or la France semble bien loin de cet objectif. Alors que les prévisions de la Commission anticipent une baisse de 2,8 points du ratio dette sur PIB de la zone euro, lequel atteindrait alors un peu moins de 90 % à la fin de l’année 2024, la France, elle, continue imperturbablement de s’endetter davantage.

Nous sommes désormais dépassés sur ce critère par Chypre, la Belgique, l’Espagne et le Portugal et nous nous trouvons en queue de peloton, suivis seulement par l’Italie et la Grèce.

Face à cette situation, le Gouvernement privilégie la technique du coup de rabot par voie réglementaire, plutôt que de concentrer ses efforts sur la réduction des dépenses non productives. La commission des finances a pourtant fait des efforts pour identifier des sources d’économies au cours de l’examen du dernier projet de loi de finances. Réduire ces dépenses improductives, c’est maintenir un équilibre entre soutenabilité de nos finances publiques et préservation de nos capacités d’investissement.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer quelles réformes structurelles permettant de dégager de telles économies seront présentées dans le programme de réformes pour 2024 qui va être prochainement remis à la Commission européenne ? Le programme de stabilité retiendra-t-il une prévision de croissance plus réaliste que celle sur laquelle se fondait le projet de loi de finances pour 2024 en son temps – il a connu depuis un début de révision ?

Je rappelle, par ailleurs, que la réforme des règles budgétaires européennes qui vient d’être négociée en février 2024 doit entrer en vigueur dans les prochains mois. Certes, la France a réussi, au cours des négociations, à obtenir un assouplissement temporaire pour la période 2025-2027, en excluant notamment les charges d’intérêts supplémentaires du calcul des déficits structurels au cours de ces années. La mise en œuvre de cette réforme impliquera toutefois, pour la France – quoi qu’il lui en coûte ! –, des efforts importants qu’il convient d’anticiper dès maintenant.

Ainsi, l’Eurogroupe a estimé, lors d’une réunion le 11 mars dernier, que, si le cadre de gouvernance économique révisé s’appliquait aujourd’hui, il se traduirait par une orientation budgétaire plus restrictive que celle qui est actuellement mise en œuvre.

Ne nous méprenons pas : si la révision des règles budgétaires européennes comporte des incitations à l’investissement public, elle vise principalement à assurer la soutenabilité des finances publiques des États membres.

Monsieur le ministre, j’encourage une nouvelle fois le Gouvernement à adopter une position de sérieux budgétaire et à anticiper l’entrée en vigueur du pacte de stabilité et de croissance révisé, en engageant une véritable réduction de notre déficit public.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. M. le rapporteur général de la commission des finances a tout à fait raison de souligner que la France doit être au rendez-vous de ses engagements européens. Le Gouvernement est pleinement mobilisé pour atteindre la baisse annoncée de 10 milliards d’euros dans nos dépenses, ce qui va donner lieu à un travail important dans chaque ministère.

Vous avez également rappelé que le pacte de stabilité et de croissance a fait l’objet d’une révision, à propos de laquelle la France s’est significativement mobilisée, visant à ajuster ses critères, qui étaient anciens et auxquels il convenait de donner un petit peu de souplesse afin de tenir compte de la réalité des chocs auxquels sont confrontés les pays de la zone euro.

Dans ce cadre renouvelé, la France doit veiller à respecter ses engagements.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Je resterai attentif, monsieur le ministre. J’entends vos propos, mais la France se livre à un exercice inédit : nous avons adopté un budget à l’automne, mais vous venez d’en annoncer la révision brutale et draconienne. Je ne sais pas si les prévisions de croissance initiales seront révisées et, le cas échéant, dans quelle mesure et de quelle manière elles le seront.

La France entend sans doute encore jouer un rôle important vis-à-vis de nos partenaires européens – je le souhaite –, mais ce n’est pas en se trouvant en si mauvaise posture en matière de dette et de finances publiques qu’elle servira d’exemple.

J’invite donc le Gouvernement à se ressaisir, au nom de la France et de ce qu’elle représente, mais également au nom des Français qui, quel que soit leur âge, vont faire face à des engagements qui pèseront très lourd.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, parmi les nombreux sujets importants dont sera saisi le Conseil européen après-demain, j’en retiendrai trois pour notre débat de ce soir avec le Gouvernement : le soutien à l’Ukraine, la stratégie européenne de sécurité et de défense, et l’agriculture.

Au bout de deux ans, la guerre en Ukraine arrive à un point de bascule où l’unité européenne est mise à l’épreuve. Le chancelier allemand refuse de livrer à l’Ukraine des missiles Taurus à longue portée et, au sein même de sa coalition, certains appellent au gel du conflit quand, de ce côté-ci du Rhin, le Président de la République prend l’initiative et envisage même l’envoi de troupes au sol – il a depuis lors nuancé ses propos.

Même si le sommet tripartite en format Weimar de vendredi dernier a débouché sur l’annonce d’une coalition de capacité d’artillerie entre Paris, Berlin et Varsovie, il ne suffit pas à résorber les divergences stratégiques de fond qui séparent la France de l’Allemagne et qui sont préoccupantes, à l’heure où le Président Poutine guette les signes de faiblesse de l’Union européenne.

La semaine dernière, notre assemblée a confirmé son appui à un soutien durable à l’Ukraine, car elle est convaincue que le prix d’une défaite serait supérieur à celui d’un tel soutien. Pour autant, notre pays peut-il valablement tenir longtemps cette ligne alors qu’il n’a aucune marge budgétaire, comme le rapporteur général vient de nous en faire la démonstration ?

Il faut déjà convenir du financement de la nouvelle enveloppe de 5 milliards d’euros que l’Union vient d’accorder à l’Ukraine via la Facilité européenne pour la paix. Monsieur le ministre, parviendra-t-on à mobiliser à cet effet 3 milliards d’euros tirés des revenus des avoirs russes gelés, comme l’espère la France ?

En outre, l’Ukraine risque d’avoir encore besoin d’aide d’ici à l’été. Comment financer cette nouvelle tranche ?

L’enjeu est de construire une architecture durable de sécurité en Europe, capable de faire face à Vladimir Poutine et peut-être, demain, de nous passer d’un éventuel Président Trump.

Le soutien à l’industrie de défense européenne nécessite des moyens importants à moyen terme. Cela passe sans doute par l’appui de la Banque européenne d’investissement. Quand celle-ci sera-t-elle autorisée à investir dans ce domaine ? Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour envisager un nouvel emprunt commun. Le Sénat s’en inquiète, déjà soucieux du remboursement de l’emprunt européen levé il y a deux ans pour financer la relance. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous rassurer ?

Un autre sujet d’inquiétude se fait jour en matière de défense : la Commission européenne et le Haut Représentant ont présenté début mars une communication sur la stratégie européenne pour l’industrie de défense, ou European Defence Industrial Strategy (Edis), et la proposition de programme d’investissement dans le domaine de la défense, ou European Defence Industry Programme (Edip). Ces textes ambitieux viennent heurter les compétences des États membres en matière de défense. Or il ne s’agit pas d’une industrie comme une autre. Avec le président Cédric Perrin et les rapporteurs concernés, nous avions déjà alerté à ce sujet la Première ministre, Mme Borne, lors de l’examen par le Parlement européen de l’action de soutien à la production de munitions, dite Asap (Act in Support of Ammunition Production). Jusqu’où le Gouvernement est-il prêt à s’en remettre à la Commission pour construire l’Europe de la défense ?

Le troisième enjeu de taille du Conseil européen est la question agricole. L’heure de vérité a enfin sonné : la menace qu’un verdissement accéléré de notre agriculture représente pour la souveraineté alimentaire de l’Union est enfin reconnue. Le Sénat n’a cessé de la dénoncer depuis cinq ans, par des résolutions européennes successives ; il se félicite du revirement que représente la révision de la politique agricole commune (PAC), proposée vendredi dernier par la Commission. Enfin, le tabou est brisé.

Un « Égalim » européen est même envisagé et nos agriculteurs devraient pouvoir en bénéficier à partir de 2025. En attendant, leurs revenus ne cessent de baisser, leurs contraintes de s’accumuler et les flux d’œufs, de volailles, de sucres et de céréales importés d’Ukraine explosent. Quelles mesures concrètes la France entend-elle proposer au Conseil européen pour y remédier ? Ne faut-il pas repenser le soutien de l’Union à l’Ukraine, en aidant ce pays à trouver ses marchés habituels ?

Monsieur le ministre, il est urgent de secourir nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Gisèle Jourda et Cathy Apourceau-Poly applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le président, vous avez évoqué certaines divergences : je préfère les qualifier de complémentarités, parce que je constate une très forte unité des États membres de l’Union européenne – et bien sûr de la France et de l’Allemagne – dans leur détermination à soutenir la résistance ukrainienne aussi longtemps et aussi intensément que nécessaire.

S’agissant des questions de financement que vous avez soulevées, et qui seront sans nul doute l’un des sujets les plus abondamment discutés lors du Conseil européen de jeudi et vendredi, plusieurs pistes sont sur la table, dont la mise en œuvre présente des degrés variables de facilité.

Nous pouvons envisager la mobilisation des profits d’aubaine générés par les actifs russes gelés, l’extension du mandat de la BEI – une proposition soutenue par quatorze chefs d’État et de gouvernement dans une lettre publiée lundi dernier, sur l’initiative de la Finlande, malgré quelques réticences persistantes, que nous avons bon espoir de surmonter.

Enfin, l’idée d’un grand emprunt, bien que plus exploratoire, ne doit pas être écartée d’emblée, tant les besoins sont importants, à la fois pour le soutien à l’Ukraine et pour le renforcement de notre base industrielle et technologique de défense.

Ce point me conduit à revenir sur votre remarque concernant l’Edis et l’Edip. La France est satisfaite de ce premier jet, qui intègre la préférence européenne, un principe qu’elle a défendu avec vigueur lors des travaux préparatoires à la rédaction de ces communications de la Commission.

Cependant, nous serons très attentifs à ce que les prérogatives nationales ne soient pas communautarisées, car si l’objectif est d’améliorer l’interopérabilité et la réactivité de notre base industrielle de défense, l’essentiel de la politique de sécurité et de défense demeure entre les mains des États membres.

En ce qui concerne l’agriculture, je me réjouis comme vous du tournant pris par la Commission européenne. La publication de vingt mesures de simplification de même que la proposition de révision de la PAC sont bienvenues. Il faut maintenant aller plus loin en adoptant une loi Égalim européenne, en assurant l’équité concurrentielle avec la force d’intervention et en instaurant de nouvelles mesures miroirs pour assurer la réciprocité à nos agriculteurs.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Je répondrai à M. le ministre lors de la conclusion de ce débat, qui me reviendra. Je souhaite toutefois sans attendre remédier à un oubli dans mon devoir de bienséance, et vous souhaiter la bienvenue dans notre hémicycle, monsieur le ministre !

Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à chaque jalon de la construction européenne, ses défenseurs nous vendent une Europe sociale et une Europe de paix.

Il a fallu peu de temps pour que le volet social soit discrédité. Aujourd’hui, après avoir sacrifié les politiques sociales sur l’autel de l’austérité et de la libre concurrence, l’Union européenne prépare la guerre.

Si la ligne de front s’est figée, la guerre, elle, ne s’atténue pas pour autant. Cette guerre a jeté 4 millions de personnes sur les routes ukrainiennes, et 6 millions d’autres personnes dans l’exil. Des dizaines de milliers de vies ont été soufflées par les bombes et fauchées par les balles.

L’Union européenne doit mettre fin à cette folie et promouvoir des processus de négociation. Nous devons d’urgence élaborer une solution globale de sécurité en Europe et nous affranchir de l’alignement atlantiste, qui ne profite qu’aux États-Unis et aux dividendes de guerre.

Les coups de menton militaristes du Président de la République, notamment son hypothétique envoi de troupes, sont rejetés en masse par les dirigeants européens.

Envers et contre tous, M. Macron, à Prague, au journal de vingt heures et dans un entretien au Parisien, affirme et réaffirme qu’il faut se préparer à tous les scénarios. Cette insistance ne vise qu’à travailler la conscience des Français et à instiller l’idée que la guerre avec la Russie est inévitable.

Monsieur le ministre, je rappelle solennellement que la paix avec la Russie, deuxième puissance nucléaire mondiale, n’est pas une option. Notre jeunesse ne doit pas se préparer à aller au front. La paix est une nécessité existentielle pour les Français, pour les Européens, pour l’humanité.

Pour croire en l’avenir, l’humanité doit également avoir confiance dans ses institutions pour relever le défi climatique. La directive dite « Mégacamions » a été adoptée le 12 mars par le Parlement européen. À bien y regarder, le texte recueille la majorité des voix des groupes du Parti Populaire Européen (PPE), dans lequel siègent les députés Les Républicains, la majorité des voix du Renew Europe Group, dans lequel siègent les députés de la majorité présidentielle, et la majorité des voix du groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates, au sein duquel siègent les députés socialistes.

Cette directive prévoit de faire rouler des camions de soixante tonnes et de vingt-cinq mètres, soit de véritables immeubles roulants, sans possibilité pour les États membres de s’y opposer. Le désastre écologique est annoncé. Ces véhicules sont neuf fois plus polluants qu’un trajet équivalent via le fret ferroviaire.

À défaut d’investissements et d’une sortie de la logique du tout-routier, le fret déraille. Depuis 2000, selon le ministère des transports, le volume transporté a baissé de 43 %. Depuis l’ouverture à la concurrence, en 2007, la situation ne s’est guère améliorée, si bien que l’opérateur historique, Fret SNCF, est en crise.

C’est le résultat de ces politiques européennes.

Une étude commandée par les entreprises ferroviaires prévoit une chute supplémentaire de 21 % des volumes transportés et de 16 % du transport combiné à cause de la directive.

Les contrats de plan État-région et les 900 millions d’euros alloués au fret n’y changeront rien. Un fret sans client, la belle affaire !

À quoi bon avoir inauguré en grande pompe la très pertinente ligne Calais-Turin si c’est pour la mettre en concurrence déloyale avec ces mastodontes de la route ?

Confirmez-vous que la France s’opposera, « quoi qu’il en coûte » et jusqu’au bout, à ces mégacamions qui finiront d’anéantir le fret ferroviaire, monsieur le ministre ? Confirmez-vous, comme le ministre Patrice Vergriete, que le report modal est une priorité du Gouvernement ?

Sur l’écologie, toujours, sous la pression du patronat, des géants de la finance mondiale, et avec la complicité de la France, la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité a été vidée de sa substance.

Ce texte laisse en effet échapper deux tiers des entreprises concernées. Le secteur financier sort exonéré du contrôle a priori qu’il devrait effectuer pour ses prêts, ses investissements et ses produits d’assurance. Autrement dit, la finance verte est définitivement une fumisterie.

Nulle conditionnalité des rémunérations exceptionnelles des dirigeants de ces entreprises à l’atteinte d’objectifs climatiques n’ayant été prévue, les actions gratuites vont continuer de se déverser par milliards.

La lutte contre la réduction des conséquences des activités humaines sur notre environnement ne peut plus être sacrifiée aux intérêts financiers, le tout sous la pression des lobbies, la France jouant le rôle de courroie de transmission.

Confirmez-vous que la France a contribué à dénaturer la directive qu’elle avait pourtant portée et soutenue, monsieur le ministre ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Je m’efforcerai de respecter le temps de parole que vous m’avez alloué, madame la présidente.

Madame la sénatrice, le Président de la République a indiqué que nous ne dévoilerons plus nos cartes ni nos lignes rouges afin de ne pas indiquer à Vladimir Poutine le sens de nos stratégies. Ces propos sont soutenus dans un certain nombre de pays de l’Union européenne. Les États baltes, la République tchèque, la Pologne et, plus récemment, la Finlande l’ont indiqué publiquement.

La paix est effectivement une nécessité existentielle. Telle est la raison pour laquelle le Président de la République – il a été suffisamment critiqué à ce titre – a épuisé toutes les voies du dialogue et de la diplomatie avant de constater que Vladimir Poutine est mû par une forme de fantasme impérialiste qui ne reconnaît plus les frontières et qu’il convient d’afficher face à lui une forme de fermeté.

Par ailleurs, la France ne soutient pas la directive Mégacamions telle qu’elle a été soumise au Conseil européen. Nous considérons, comme vous, madame la sénatrice, que cette proposition induirait un report modal inversé, autrement dit une augmentation du transport routier au détriment d’autres modes de mobilité moins carbonés, ce qui serait contraire à notre ambition d’atteindre la neutralité carbone en 2050.

Nous sommes donc attachés à trouver un compromis plus équilibré entre les enjeux de limitation des émissions du transport routier, de compétitivité économique et de préservation de l’état des infrastructures, et avons proposé que la directive limite la circulation transfrontalière des véhicules dépassant la limite de poids à des trajets inférieurs à 150 kilomètres, ce qui empêcherait a fortiori la traversée de la France par ces mégacamions.

Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour la réplique.

Mme Cathy Apourceau-Poly. En matière d’écologie, monsieur le ministre, la France feint de soutenir les initiatives progressistes pour ensuite mettre tous les moyens diplomatiques à sa disposition pour amputer la législation européenne. C’est vrai pour le devoir de vigilance, c’est vrai pour les travailleurs des plateformes, c’est vrai pour la fin des véhicules thermiques et hybrides, et ce sera peut-être vrai pour la directive Mégacamions.

Nous demandons de la cohérence et de la clarté, seules conditions pour instaurer la confiance minimale sans laquelle nous savons qu’un électeur sur deux ne se déplacera pas lors des prochaines élections européennes. J’estime que vous en porterez une part de responsabilité, monsieur le ministre.

Mme la présidente. La parole est à M. Ahmed Laouedj.

M. Ahmed Laouedj. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux ans après le début du conflit en Ukraine, faut-il, pour reprendre les propos tenus par le président du Conseil européen, Charles Michel, ce lundi, « nous préparer à la guerre pour avoir la paix » ?

Depuis l’agression russe, l’Europe s’emploie à soutenir l’Ukraine. La semaine dernière, nos débats ont montré que la volonté de protéger non seulement ce pays, mais aussi, plus globalement, le camp des valeurs démocratiques faisait consensus.

Face à cela, le groupe RDSE a toujours approuvé les initiatives européennes en matière de sanctions, quelle que soit leur portée, effective ou symbolique. Celles-ci sont à mon sens nécessaires et indiscutables, ne serait-ce que pour isoler Moscou sur la scène internationale.

Je me félicite donc des nouvelles mesures qui viennent d’être annoncées, notamment les sanctions prises au titre du non-respect des droits de l’homme à l’encontre de trente individus et entités responsables de la mort de l’opposant Alexeï Navalny.

L’on ne peut de même que souscrire à la déclaration des ministres des affaires étrangères européens sur la tenue de la prétendue élection présidentielle dans les territoires ukrainiens temporairement occupés en Crimée et dans les quatre oblasts d’Ukraine orientale.

Dans ce contexte où le dirigeant russe se sent légitimé à poursuivre son destin impérialiste, le soutien européen à Kiev doit redoubler d’efforts. La France, fortement encouragée par les pays baltes, en était convaincue. Son accord bilatéral de sécurité avec l’Ukraine, auquel mon groupe a apporté son adhésion sans réserve, en est l’illustration.

Il convient maintenant de faire preuve de pédagogie auprès de certains États membres – l’Allemagne, pour n’en citer qu’un – afin qu’ils mesurent ce que cela implique, monsieur le ministre. Je pense en particulier à la mise en place d’une véritable industrie de défense mutualisée. Depuis le début de la guerre, 75 % des achats d’équipements militaires sont allés à des firmes non européennes, dont 68 % sont américaines.

J’ouvrirai d’ailleurs une parenthèse. Si notre contribution financière à l’Otan est parfois jugée insuffisante outre-Atlantique, j’invite nos amis américains à considérer le volet commercial, qui les sert plus que de raison.

Si mon groupe approuve la création du fonds d’assistance à l’Ukraine, doté de 5 milliards d’euros, je m’interroge sur la part des achats conjoints européens qui reviendra à l’industrie de défense européenne.

Quoi qu’il en soit ou, devrais-je dire, quoi qu’il en coûte, mon groupe rejoint la position défendue par la France, la Belgique, l’Estonie ou encore l’Espagne concernant un grand emprunt européen pour financer des investissements dans la sécurité économique et la défense.

Le Conseil européen sera également marqué par une autre urgence, celle du drame humanitaire qui se joue depuis octobre dernier dans le territoire de Gaza. Chaque jour, des milliers de civils continuent de payer le prix de la stratégie mortifère du Hamas, qui conduit à la réplique sans réserve de l’armée israélienne.

Le RDSE a toujours soutenu la position française : demande d’un cessez-le-feu immédiat, retour des otages et éradication du Hamas et des colons israéliens violents agissant en Cisjordanie occupée.

Les menaces grandissantes à l’écart des Palestiniens de Rafah nous inquiètent. Une opération militaire d’envergure à la frontière avec l’Égypte conduirait à encore plus de chaos à Gaza.

Lors du Conseil européen, la France doit donc porter la voie d’une solution diplomatique d’équilibre et faire entendre les préoccupations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de l’ONU et des ONG à propos de la catastrophe humanitaire qui est en cours au Proche-Orient.

Tout doit être mis en œuvre pour que l’aide humanitaire parvienne au peuple de Gaza. L’on ne peut pas opposer à l’acheminement de l’aide des arguments techniques, sauf à ce que ces derniers cachent une posture politique de la part du gouvernement israélien. On ne doit pas laisser la famine s’installer à Gaza, au mépris du droit international.

Notre devoir est aussi de veiller à l’application des mesures préventives demandées par la Cour internationale de justice pour éviter tout risque de génocide. Nous pourrions en être rendus à cela, en effet, si une trêve n’intervient pas rapidement.

Je n’oublie pas que le Conseil sera consacré à bien d’autres sujets, notamment l’agriculture, mes chers collègues. Les efforts réalisés par la Commission pour alléger les contraintes environnementales dictées par la PAC seront notamment évoqués. Le RDSE salue les propositions qui répondent aux attentes que les agriculteurs français ont exprimées dans la colère durant plusieurs semaines.

Enfin, je profite de cette tribune pour saluer les travaux de la Commission et du Parlement sur la régulation des systèmes d’intelligence artificielle (IA). À l’ère de la reconnaissance biométrique à grande échelle, de la propagation des vidéos deepfake, de la surveillance de masse et de la notation sociale des citoyens, nous devons nous montrer intransigeants sur ce qui ne peut pas être permis.

Monsieur le ministre, la France s’est longtemps opposée à l’IA. En février dernier, Paris a levé ces réserves. Qu’avons-nous obtenu, en particulier pour la protection des start-up nationales ?

En tout état de cause, nous vous encourageons à sauvegarder à la fois nos intérêts commerciaux et les données personnelles. Plus globalement, il importe que l’Europe réussisse sa transition numérique, qui constitue un pan important de sa souveraineté stratégique.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur, je souhaite à mon tour dénoncer les prétendues élections dans les territoires occupés par la Russie en Ukraine, que nous ne reconnaissons pas et ne reconnaîtrons jamais. Nous avons bon espoir que la déclaration qui a été faite au nom des vingt-sept États membres par le Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune sera reprise dans les conclusions du Conseil européen.

En ce qui concerne la préférence européenne, dans sa communication en date du 7 mars sur l’Edis et l’Edip que j’évoquais précédemment, la Commission a indiqué que les objectifs d’approvisionnement auprès de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) sont significativement relevés. Nous attachons une grande importance à cet objectif, car la crédibilité de notre soutien à l’Ukraine dépend de la crédibilité de ladite base.

Enfin, le règlement sur l’intelligence artificielle a récemment fait l’objet d’un accord définitif. Comme vous le savez, la France a beaucoup milité, avec l’Allemagne – ce fut du reste un bel exemple de coopération –, pour parvenir, dans le cadre de ce règlement, à un bon équilibre entre la nécessaire protection des personnes et des citoyens européens, d’une part, et le nécessaire développement de ce type d’innovations majeures pour les années à venir en Europe, d’autre part.

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de m’exprimer sur le Conseil européen des 21 et 22 mars, je souhaite m’arrêter sur les élections européennes du 9 juin prochain.

Il s’agit généralement du scrutin le moins suivi par nos compatriotes, celui qui souffre du plus fort taux d’abstention de tous nos scrutins. La réforme de 2018, qui a rétabli la circonscription nationale unique, a peut-être favorisé une participation un peu plus élevée au scrutin de 2019, puisqu’il était le premier depuis vingt ans à connaître une abstention inférieure à 50 %.

La circonscription unique présente toutefois l’inconvénient majeur qu’elle emporte un défaut de représentativité de tous les territoires. L’on constate en effet la surreprésentation des élus franciliens chez les députés européens sortants, la diversité géographique ne dépendant que de la bonne volonté ayant présidé à la constitution des listes en présence.

La parité de genre a été imposée dans tous les scrutins de liste et ne souffre plus aucune contestation. Nous observons du reste son efficacité dans nos assemblées. Pourquoi ne pas imaginer spécifiquement pour le scrutin européen, en sus du critère de parité, un critère de répartition géographique des candidats composant une même liste ?

En attendant cet éventuel apport au prochain scrutin européen, j’appelle les différentes listes à veiller à la bonne représentation de tous les territoires, notamment de tous les territoires ultramarins, lors de la constitution des listes.

Comme lors des Conseils précédents, l’Ukraine occupera certainement l’essentiel des discussions. La guerre entre la Russie et l’Ukraine est en effet entrée dans sa troisième année. Plus les jours passent, et plus il faut nous préparer à voir ce conflit durer des années.

Comme l’a rappelé le Premier ministre la semaine dernière lors du débat sur l’accord bilatéral de sécurité entre la France et l’Ukraine, la victoire de l’Ukraine est indispensable. À défaut, il ne pourrait y avoir de sécurité en Europe.

Or, en deux ans, nos capacités à soutenir l’Ukraine militairement se sont à peine accrues, et force est de constater que les sanctions économiques prises pour affaiblir l’économie russe et son industrie militaire tardent à produire leurs effets. En 2024, notre production d’obus devrait par exemple s’établir à 20 000 unités, comme les années passées, ce qui correspond aux besoins de l’artillerie ukrainienne pour seulement une semaine, alors que le groupe Nexter affirme être en mesure de produire jusqu’à 100 000 obus dans les années à venir, à la condition d’avoir une visibilité à long terme sur les commandes de l’État.

Le système dit de Facilité européenne pour la paix, auquel la France a déjà contribué à hauteur de 1,2 milliard d’euros et dont une réforme doit être adoptée lors de ce Conseil européen, permettra-t-il enfin d’augmenter nos moyens de production, monsieur le ministre ?

Nous ne pouvons également que constater les multiples contournements des sanctions par la Russie, avec la complicité de pays tiers, comme la Turquie, pourtant membre de l’Otan. L’Inde absorbe maintenant 40 % des exportations russes de pétrole, contre presque rien avant le conflit, et revend sur le marché européen les produits issus de son raffinage.

Ces contournements sont documentés et l’on peut les retracer sans difficulté dans les statistiques des pays voisins de la Russie.

Une étude de l’Institut d’économie scientifique et de gestion (Iéseg) parue le 26 février dernier confirme que les sanctions de l’Union européenne sont massivement contournées. Les auteurs de l’étude indiquent que les exportations de l’Union européenne vers la Turquie, les Émirats arabes unis, le Kazakhstan et d’autres pays réputés proches de la Russie ont bondi de presque 3 milliards d’euros, soit une augmentation de plus de 81 % entre 2022 et 2023. La palme revient au Kirghizistan, qui a augmenté ses importations de biens européens de plus de 1 680 % !

Monsieur le ministre, il est temps d’adopter une réglementation plus stricte pour interdire réellement l’utilisation des produits dérivés du pétrole russe et pour soumettre à autorisation les exportations des biens sensibles, surtout vers des pays qui ne servent manifestement que de plateformes de transit pour le contournement des sanctions européennes. Que prévoit l’Union européenne en la matière ? Le sujet sera-t-il abordé par la France lors de ce Conseil ?

De manière générale, il faut mettre fin à toute forme de dépendance économique et commerciale entre la Russie et les pays de l’Union européenne. Telle est la recommandation n° 1 du rapport intitulé Pourquoi lavenir de lEurope se joue en Ukraine, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.

Permettez-moi de plaider pour le territoire dont je suis élu, monsieur le ministre. La Guyane pourrait offrir l’indépendance à la France en matière pétrolière si la loi du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement, dite loi Hulot, n’y était pas appliquée.

L’une des conséquences de la guerre en Ukraine est la déstabilisation du secteur agricole, qui s’est cristallisée, en ce début d’année, par des manifestations de grande ampleur dans de nombreux pays de l’Union européenne. La peur de la concurrence des produits ukrainiens exemptés de droits de douane s’ajoute en effet aux difficultés générées par l’application de la PAC 2023-2027.

Le 31 janvier, la Commission européenne proposait un train de mesures temporaires, parmi lesquelles la prolongation d’un an de la dispense de mise en jachère de 4 % et un mécanisme renforcé de sauvegarde en cas de perturbation des marchés agricoles par des importations de pays hors Union européenne qui ne sont pas soumis aux mêmes exigences sanitaires ou environnementales.

Monsieur le ministre, je sais d’expérience quelles peuvent être les conséquences de la distorsion de concurrence. J’ai vu la production rizicole guyanaise disparaître en quelques années à cause de la réglementation européenne. À quoi bon imposer des normes restrictives à nos agriculteurs si nous acceptons d’importer à moindre coût des produits qui ne respectent pas ces mêmes normes ? Nous ne protégeons alors ni nos consommateurs ni nos agriculteurs. La France fera-t-elle entendre sa voix pour mettre fin à cette aberration qui dure depuis bien trop longtemps ?

J’en viens enfin aux conséquences de l’adoption, par le Conseil européen, de la directive dite RED III, qui concerne le développement des énergies renouvelables. Cette directive prévoit la création de zones d’accélération des énergies renouvelables dans lesquelles le délai de délivrance des permis de construire ne devra pas dépasser douze mois, la création d’une présomption de l’intérêt public majeur des projets d’énergie renouvelable et la création d’un cadre juridique incitatif pour les carburants renouvelables et bien d’autres innovations dans le domaine.

Nous avons jusqu’en 2025 pour transposer cette directive en droit interne. Serons-nous prêts, monsieur le ministre ? La fâcheuse habitude française à l’inflation bureaucratique qui ralentit toute démarche ne risque-t-elle pas de contrevenir aux objectifs de cette directive ? Quand ces zones d’accélération seront-elles définies ? Toutes les régions seront-elles concernées ?

En règle générale, cinq années sont au minimum nécessaires pour qu’un projet d’énergie renouvelable voie le jour en Guyane.

Enfin, la future centrale électrique du Larivot, en Guyane, qui doit fonctionner avec de l’huile de colza importée d’Europe, pourra-t-elle utiliser une huile produite localement grâce à cette directive ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. En ce qui concerne tout d’abord le scrutin, s’il a parfois été reproché au Gouvernement d’être par trop francilien, j’observe que certaines listes pour les élections européennes du 9 juin récemment parues le sont encore bien davantage, monsieur le sénateur. En tout état de cause, il appartient à chaque formation politique de veiller à la représentation de tous les territoires de la République sur sa liste.

Il est ensuite absolument essentiel – je vous rejoins sur ce point, monsieur le sénateur – d’envoyer des signaux clairs aux industriels de la défense. C’est pourquoi, lors des discussions autour de chacun des dispositifs de soutien financier pour l’approvisionnement en équipement militaire de l’Ukraine, la France est toujours le pays qui insiste le plus pour que la préférence européenne soit prise en compte. Elle l’a été dans la communication sur l’Edis et l’Edip, que j’ai citée, et grâce à la force de conviction de la France, elle l’est aussi dans le cadre de la Facilité européenne pour la paix, puisque la règle est désormais que les achats conjoints éligibles à cette facilité se fassent préférentiellement au profit de la base européenne, ce qui contribuera à donner de la visibilité à nos industriels.

Vous pointez à juste titre le contournement des sanctions, monsieur le sénateur. Ce sujet a été pris en compte lors de la préparation du treizième paquet de sanctions qui a été adopté à l’unanimité le 23 février 2024. Celui-ci comprend 117 nouvelles désignations individuelles, ainsi que des mesures sectorielles ciblées sur la production de drones, mais il s’attache aussi à sanctionner les opérateurs logistiques qui organisent les importations illicites de biens vers la Russie.

Enfin, sur le dernier sujet que vous soulevez, la directive RED III et son application pour la centrale du Lavirot, je ne suis pas en mesure de vous répondre pour l’heure, mais je m’engage à revenir vers vous le plus rapidement possible.

Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda.

Mme Gisèle Jourda. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention portera sur les financements de la défense européenne et sur la candidature d’adhésion de la Bosnie-Herzégovine à l’Union européenne.

Depuis près de deux ans, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union se sont engagés à dépenser davantage et mieux pour renforcer l’industrie européenne de la défense.

L’une des annonces du sommet de Versailles, en mars 2022, était l’intensification de la coopération grâce à des projets conjoints. Il aura fallu un an et demi pour mettre en œuvre cette ambition et adopter, le 9 octobre dernier, l’instrument nécessaire, le fameux règlement Edirpa (European Defence Industry Reinforcement Through Common Procurement Act).

Grâce à ce nouveau dispositif, un remboursement partiel sur le budget de l’Union sera accordé aux États membres pour les acquisitions conjointes faisant intervenir un consortium d’au moins trois États.

Le budget alloué à ce dispositif, certes temporaire, ne s’élève toutefois qu’à 300 millions d’euros. L’enveloppe paraît très limitée, en dépit de la clause imposant 65 % de composants des produits finaux ou d’un produit associé venant de l’Union européenne.

De manière plus structurelle, la Commission européenne et le Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune ont présenté le 7 mars une communication conjointe attendue de longue date sur la stratégie industrielle de défense européenne. Celle-ci se verrait cette fois allouer une enveloppe de 1,5 milliard d’euros d’ici à 2027. C’est mieux, mais cela paraît encore peu et très éloigné des enjeux auxquels l’Union européenne est aujourd’hui confrontée.

Le second volet de cet effort est le renforcement et le développement de nos industries de la défense, y compris nos PME.

Je tiens à remettre au cœur de nos débats la taxonomie de l’Union européenne. Nous avons eu l’occasion, il y a quelques semaines, de dénoncer la frilosité bancaire à l’égard des entreprises de la base industrielle et technologique de défense européenne, qui en est la conséquence.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous faire pour intégrer les problématiques de financement du secteur de la défense dans la définition des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, les fameux critères ESG ? Les chefs d’État et de gouvernement devraient apporter leur soutien à un changement des statuts de la Banque européenne d’investissement lui permettant de financer des projets de défense. Pouvez-vous nous confirmer que ce sera bien le cas, et nous préciser à la fois les modalités et le volume des crédits espérés ?

J’en viens à mon second point, la candidature de la Bosnie-Herzégovine.

Il a fallu près de six ans et demi entre la demande d’adhésion à l’Union et l’obtention du statut de pays candidat par cet État, qui en rejoint ainsi huit autres.

Pour 83 % des Bosniaques, favorables à cette adhésion, ce sont six ans de rêve européen, six ans de subventions pour mettre en œuvre les réformes clés prescrites, six ans de quête lointaine d’un État de droit, mais aussi six ans d’illusions, de conférences en sommets, à n’être considérés que marginalement et traités qu’en cas de crise, par exemple la crise migratoire.

Ce sont aussi six ans de novlangue bruxelloise, et six ans à consentir à revoir à la baisse la conditionnalité « argent contre réformes » en échange d’une stabilité de façade.

Ce sont enfin six ans de sous-estimation de la réalité politique des Balkans, justifiée par le lourd héritage des guerres, mais aussi par un méticuleux travail de sape de la Russie et de la Chine.

Oui, cette région produit plus d’histoire qu’elle n’en peut consommer, pour reprendre les propos attribués à Churchill. Le système politique bosniaque est complexe, hérité des accords de paix de Dayton, parfois synonyme de clientélisme et de captation d’État.

Ajoutez à cela l’affaiblissement du modèle européen au sein de l’opinion publique sous l’effet des influences qui s’y exercent, et vous obtenez, mes chers collègues, une situation quelque peu délicate.

L’invasion russe de l’Ukraine jouera-t-elle un rôle d’accélérateur pour les réformes engagées par le pays ? L’adhésion de la Bosnie peut-elle limiter l’influence russe dans la région ? Après les élections européennes de juin, la réforme des traités sera-t-elle mise sur la table pour qu’enfin la gouvernance européenne soit repensée et son fonctionnement renforcé ? Ce dernier point est un préalable indispensable à tout élargissement.

Quelle est la position du Gouvernement, monsieur le ministre ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Madame la sénatrice, vous avez cité le programme Edirpa, dont l’objet est d’inciter à l’achat conjoint ou, du moins, à la formation de consortiums. C’est précisément l’un des dispositifs que la Commission européenne a proposé de pérenniser dans la stratégie qu’elle a présentée il y a quelques jours. Elle envisage ainsi d’accorder 3 milliards d’euros pour soutenir la stratégie Edis et le programme Edip dont 1,5 milliard d’euros est pour ainsi dire budgété.

Toutefois, vous avez raison, il faudra sans doute trouver des ressources nouvelles, d’où le travail que nous mènerons jeudi et vendredi sur la mobilisation des revenus tirés des avoirs russes gelés, sur le grand emprunt, qui soulève quelques réticences et dont le dispositif nécessitera d’être approfondi, ainsi que sur la Banque européenne d’investissement, qui – vous l’avez rappelé – s’est limitée jusqu’à présent à investir dans des activités duales, c’est-à-dire à 50 % civiles, si l’on s’en tient à une définition assez restrictive du terme. Elle dispose pour cela de deux instruments : l’un de prêt, qui est doté de 8 milliards d’euros, mais qui n’est pour l’instant consommé qu’à hauteur de 2 milliards d’euros ; l’autre d’investissement ou de prise de participations, doté de 175 millions d’euros, qui vient tout juste d’être monté.

Avec un certain nombre d’États membres, nous avons signé une lettre, qui a été publiée lundi dernier, pour demander que le mandat de la Banque européenne d’investissement soit élargi aux activités de défense, purement et simplement. J’espère que nous parviendrons à obtenir cela au plus vite.

Vous avez également rappelé que la Commission européenne avait proposé d’ouvrir les négociations d’adhésion avec la Bosnie-Herzégovine. Le Conseil européen doit en débattre à la fin de cette semaine. Ce n’est que le début d’un processus qui permettra au pays candidat de se rapprocher des normes et des standards européens. Nous restons attachés à une approche fondée sur les mérites propres de chaque candidat. Il est essentiel que le pays mette en œuvre les réformes nécessaires. La crédibilité du processus d’adhésion en dépend.

Certes, c’est un moment où nous devons envoyer à la Bosnie-Herzégovine un signal d’encouragement, mais il nous faut aussi lui signifier fermement et sans équivoque notre attachement à une approche fondée sur les mérites du pays candidat. Cela n’empêche pas que nous lui apportions tout le soutien nécessaire.

Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour la réplique.

Mme Gisèle Jourda. Monsieur le ministre, tout en accompagnant la Bosnie-Herzégovine dans le processus qui lui donnera le statut de pays candidat, il ne faudrait pas oublier les autres pays qui ont déjà ce statut, tels que la Géorgie, la Moldavie ou l’Ukraine. Les attentes sont fortes dans ces pays ; il ne faut pas les négliger.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Cadec. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Cadec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’ordre du jour du Conseil européen des 21 et 22 mars est de nouveau dominé par des sujets lourds correspondant à de forts enjeux géopolitiques : la situation en Ukraine et celle, tout aussi tragique, au Moyen-Orient.

Par manque de temps, c’est la seule Ukraine qui sera l’objet de mon intervention.

De toute évidence, l’évolution du conflit ukrainien exige que les dirigeants européens se parlent et s’efforcent de définir sur le sujet une ligne claire pour une action commune efficace. Cette réunion devrait fournir une nouvelle occasion pour le faire.

Dans cette perspective, il est désolant que le Président de la République ait brouillé les cartes, le 26 février dernier, par des propos inconsidérés, qui ont déconcerté aussi bien les citoyens français que la plupart de nos partenaires européens.

Quoi que l’on pense au fond de la position personnelle qu’il a alors exprimée, il faut d’abord déplorer qu’il l’ait fait sans aucune concertation préalable avec le Parlement et les principales forces politiques du pays, la saisine du Parlement venant a posteriori.

Cela est d’autant plus condamnable qu’il est clair que cette sortie était motivée tout autant par des préoccupations de politique intérieure que par un réel souci de positionnement stratégique de la France.

Dans son entretien télévisé du 14 mars sur TF1 et France 2, le Président de la République a tenté de s’expliquer auprès des citoyens français. C’est peu dire qu’il n’a guère été compris et que les téléspectateurs sont sortis de ce spectacle plus consternés et effrayés que convaincus et rassurés.

Il s’agit maintenant de restaurer la confiance altérée avec nos principaux partenaires européens, au premier chef desquels l’Allemagne, avec qui nos relations bilatérales n’ont pas été aussi tendues depuis très longtemps. C’était l’objet du voyage du Président de la République à Berlin, vendredi dernier, et ce sera de nouveau l’objet des discussions qui auront lieu à Bruxelles cette semaine, dans le cadre du Conseil européen.

Dans le contexte actuel de confrontation exacerbée avec le régime russe de Poutine et d’une possible défection des États-Unis dans quelques mois, la division des Européens est inconcevable. L’heure n’est pas à la forfanterie et aux discours martiaux ; elle est à l’action concrète, collective et proportionnée pour soutenir l’Ukraine.

Les efforts déployés jusqu’à présent par l’Union européenne sur tous les plans sont considérables et se chiffrent en dizaines de milliards d’euros. Mais, sur le plan strictement militaire, notamment pour ce qui concerne les armes et les munitions, ils sont encore insuffisants. L’un des enjeux de la réunion du Conseil européen sera donc de mobiliser de toute urgence les moyens nécessaires pour empêcher que le front ukrainien ne cède.

Spéculer à ce stade sur ce que pourraient éventuellement être les degrés suivants d’une escalade n’est utile ni pour le bien de l’Ukraine ni pour les intérêts européens.

Au risque de me répéter, je ne considère pas non plus que la perspective d’une adhésion future de l’Ukraine à l’Union européenne contribue en quoi que ce soit à la résolution du conflit en cours. Elle ne peut, au contraire, que frustrer l’Ukraine, en lui donnant de faux espoirs, et provoquer la Russie en justifiant a posteriori son discours sur une prétendue menace occidentale à ses frontières.

L’Ukraine ne remplit quasiment aucun des critères requis pour une telle adhésion – nous le savons bien. En effet, il s’agit d’un pays dont l’appareil productif n’est certainement pas en état de permettre une intégration harmonieuse dans l’union douanière et le marché unique européens.

L’ouverture sans restriction du marché de l’Union européenne aux produits agricoles ukrainiens dans le cadre des mesures autonomes de libéralisation a déjà sérieusement perturbé les marchés européens des céréales, de la volaille, des œufs et du sucre.

Selon une évaluation du secrétariat général du Conseil, si l’Ukraine devenait membre de l’Union européenne, elle pourrait prétendre, suivant les critères en vigueur, à 96 milliards d’euros de fonds de la PAC, ce qui entraînerait une réduction d’environ 20 % des subventions agricoles accordées aux États membres actuels.

Le vice-ministre ukrainien de l’économie a lui-même reconnu que cela entraînerait la fin de la PAC telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Je voudrais donc conclure mon intervention par un appel à la plus grande prudence. Cessons d’agiter des idées extravagantes lorsque nous ne sommes pas forcément capables d’en assumer toutes les conséquences. Cela vaut aussi bien pour notre positionnement stratégique dans le conflit ukrainien que pour une éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. À ce stade, nous avons surtout besoin de réalisme et de cohésion. Je crains que nous n’ayons beaucoup manqué des deux ces derniers temps.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur, permettez-moi de répondre à vos propos par quelques questions.

Vous dites, en utilisant des mots particulièrement durs (M. Alain Cadec le conteste.), que le Président de la République, le 26 février dernier, était mû par des motifs de politique intérieure.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Mais alors, comment expliquez-vous que vingt-six chefs d’État et de gouvernement aient répondu à son invitation alors qu’une grande majorité d’entre eux ne sont pas sur la même ligne politique que lui ?

Vous dites – ou du moins semblez vouloir dire – que le Président de la République a eu tort de n’exclure aucune option. Mais alors, je vous le demande, monsieur le sénateur : quelles sont les options qu’il eût fallu exclure ?

M. Alain Cadec. Je dis qu’il a tenu des propos inconsidérés, monsieur le ministre !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Vous dites que le niveau de notre relation de confiance avec l’Allemagne est au plus bas. Mais alors, comment qualifier les relations très intenses qui se sont nouées, ou en tout cas qui ont donné lieu à des visites au cours de ces dernières semaines qui se sont déroulées comme habituellement : celle du Président de la République à Berlin, mais aussi, au niveau gouvernemental, celle de la ministre des affaires étrangères allemande auprès de son homologue à Paris, l’accueil que j’ai réservé à ma propre homologue à Paris, la semaine dernière, la participation à notre dernier conseil des ministres de la ministre de l’intérieur de la République fédérale d’Allemagne, ou bien encore, au niveau parlementaire, le colloque célébrant les cinq ans de l’Assemblée parlementaire franco-allemande pendant lequel il a été fait état de très nombreuses convergences ?

Enfin, je souscris à ce que vous avez dit au sujet des conséquences de l’élargissement de l’Union européenne sur les politiques menées. Il est indispensable d’avancer en parallèle sur la question de l’élargissement et sur celle de la réforme des politiques communautaires si nous voulons que l’Union européenne puisse être prête à accueillir les futurs candidats. Demain, la Commission européenne devrait présenter une analyse des conséquences de futurs élargissements sur les politiques communautaires. Ce sera un point de départ pour envisager la marche à suivre.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Cadec, pour la réplique.

M. Alain Cadec. Monsieur le ministre, je constate une fois de plus que dès lors que nous touchons au Président de la République, c’est la fin des haricots, si je puis m’exprimer ainsi.

M. Alain Cadec. Nous ne pouvons rien dire, pas même que les propos qu’il a tenus sont inconsidérés, alors que c’est bien le cas – tout le monde en convient, clairement. (Mmes Pascale Gruny et Frédérique Puissat renchérissent.)

Monsieur le ministre, je regrette de vous dire que, sur ce point, votre réponse ne me convient pas du tout, hormis sa conclusion. (Mmes Frédérique Puissat et Pascale Gruny applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Louis Vogel.

M. Louis Vogel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sommet de jeudi et de vendredi constituera le dernier Conseil européen « ordinaire » avant les élections des 6 au 9 juin, qui pourraient aboutir – nous le savons tous – à une poussée des populistes au Parlement européen.

Dans ce contexte, le Conseil européen, qui définit les grands axes de la politique de l’Union européenne, doit poursuivre son action au service de tous les Européens pour la paix, la sécurité et la prospérité de notre continent.

Comme l’a rappelé le Président de la République, la situation évolue en Ukraine à grande vitesse et pas dans le bon sens. C’est pourquoi l’adoption par le Sénat et l’Assemblée nationale de l’accord de sécurité entre la France et l’Ukraine, la semaine dernière, a été un acte fondamental. C’est pourquoi, aussi, l’action de l’Europe est indispensable.

La passivité n’est plus de mise. Nous ne pouvons pas nous contenter de ne pas agir. Ces deux dernières années, l’Union européenne et les États européens ont fourni un soutien financier et militaire qui n’avait jusqu’alors jamais été accordé à un autre État européen. Il faut le souligner, car nous avons trop souvent l’impression que rien ne se passe.

Dernièrement, la rencontre en format Weimar entre le Président de la République française, le chancelier allemand et le Premier ministre polonais a permis de réaffirmer un soutien indéfectible à l’Ukraine. De même, les déclarations appelant à une industrie européenne de la défense capable de produire enfin à grande échelle vont dans le bon sens.

Je salue ces efforts, mais l’évolution de la situation en appelle d’autres, notre destin étant intrinsèquement lié à celui de l’Ukraine. Dans cette perspective, monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser si le sujet du nouvel emprunt européen évoqué pour aider l’Ukraine sera en discussion à partir de jeudi prochain ? Pouvez-vous également nous en expliquer les contours ?

Quelle est la position de la France concernant la stratégie européenne pour augmenter les capacités de production d’armements ? Plus largement, comment la France compte-t-elle faire la différence pour enfin œuvrer activement à la mise en place d’une défense européenne ?

Au-delà de l’Ukraine, le Conseil européen consacrera une partie de son ordre de jour à l’agriculture, ce qui est rare. Je ne peux que m’en réjouir, parce que l’Europe, si elle fut d’abord construite autour du charbon et de l’acier, porte aussi en son cœur la politique agricole commune. L’agriculture est également un enjeu de souveraineté pour l’Europe. Je salue le courage des agriculteurs européens qui, chaque jour, nous nourrissent alors que la situation est compliquée. Je sais que le Gouvernement est très engagé et à l’écoute sur ce sujet.

L’Europe semble avoir entendu la détresse du monde agricole, non seulement français, mais aussi européen, puisque la Commission a proposé, vendredi dernier, une évolution des règles de la PAC. Ces propositions, qui devront être approuvées par le Parlement européen et par les États membres, répondent à une partie des revendications. Elles allègent la charge administrative des agriculteurs et revoient notamment le principe de conditionnalité des aides directes.

Dans ce contexte, monsieur le ministre, quelles mesures allez-vous porter en matière agricole durant ce Conseil ? La simplification des normes et des règles administratives est cohérente, mais quid de certaines règles de la PAC et de la révision de la stratégie « de la ferme à la fourchette », qui préoccupent fortement nos agriculteurs ?

Enfin, monsieur le ministre – le sujet a été évoqué à plusieurs reprises –, la possibilité d’un élargissement de l’Union européenne ne peut pas être décorrélée d’une réflexion poussée sur l’approfondissement du projet européen et sur les réformes nécessaires pour y parvenir. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce sujet ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur, l’idée d’un emprunt européen a été initialement portée par la Première ministre estonienne. L’enveloppe envisagée était alors de 100 milliards d’euros, sur le modèle de l’emprunt commun qui avait été décidé – vous vous en souvenez – au mois de juillet 2020 pour financer le plan de relance – la France a bénéficié dans ce cadre de 40 milliards d’euros. Il faudra, le moment venu, trouver les moyens de rembourser cet emprunt, y compris en mobilisant des ressources propres.

Nous soutenons l’idée d’explorer cette voie pour répondre aux besoins importants nécessaires à l’émergence ou au réveil de notre base industrielle et technologique de défense.

C’est dans le même esprit que nous entendons poursuivre les efforts engagés pour augmenter plus généralement la capacité de production européenne de munitions et d’armements. Précédemment, j’ai précisé, en répondant à Mme Dumas, que, depuis le début de la guerre, nous avions constaté une augmentation de la capacité européenne de production de munitions de l’ordre de 40 %. C’est encore insuffisant et il faut aller plus loin. D’où les deux communications que la Commission européenne a faites le 5 mars dernier, dont je souhaite vivement, mais sans me faire beaucoup d’illusions, qu’elles soient officiellement soutenues dans le cadre des conclusions du Conseil européen.

S’agissant de l’agriculture, le Président de la République défendra bien évidemment les vingt mesures de simplification proposées par la Commission, ainsi que la révision de la PAC qu’elle a récemment mise sur la table, en lui demandant instamment de mettre en œuvre le plus rapidement possible ces mesures de simplification très attendues par nos agriculteurs.

Mme la présidente. La parole est à M. Louis Vogel, pour la réplique.

M. Louis Vogel. Je souhaite simplement dire que les interventions de ce soir montrent que l’Europe ne se porte pas très bien. D’où l’importance du débat qui a lieu. Toutefois, je ne suis pas entièrement pessimiste sur ce sujet parce que c’est dans les moments les plus difficiles et pendant les crises que l’Europe a fait les plus grands progrès. Je crois donc que nous ne devons pas nous cantonner, ce soir, à énoncer des principes, mais qu’il nous faut veiller à les concrétiser. En effet, le problème de l’Europe tient à ce que, trop souvent, les déclarations ne sont pas suivies d’effet. La France a un rôle essentiel à jouer dans ce domaine. C’est pourquoi, monsieur le ministre, nous vous faisons confiance pour porter la voix de la France dans ce Conseil européen.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Henno. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’aurai un premier mot pour saluer la qualité de nos débats en commission des affaires européennes, grâce à votre engagement, monsieur le président, et à la manière dont vous conduisez les discussions.

Mon intervention concernera l’Ukraine et sa demande d’adhésion à l’Union européenne. Je crois, en effet, qu’il faut bien faire la distinction entre le soutien que nous devons lui apporter sans réserve et cette demande d’adhésion.

L’Ukraine a manifesté son souhait d’intégrer l’Union européenne, et cette demande est légitime et compréhensible. Il serait dangereux de répondre brutalement par un refus, mais cette adhésion ne peut pas non plus être automatique. En effet, monsieur le ministre, le parcours d’adhésion de l’Ukraine doit respecter les critères de Copenhague. L’état de guerre entre l’Ukraine et la Russie ne doit pas nous faire prendre des décisions précipitées.

De plus, je citerai en substance un propos de Cicéron, selon lequel les amis se doivent la vérité même quand c’est difficile. Or l’Ukraine, bien qu’elle soit considérée comme un candidat sérieux, doit encore faire face à des défis majeurs – il faut être lucide sur ce point – comme la corruption ou l’influence persistante des oligarques.

D’ailleurs, la présidente de la Commission européenne semble avoir pris la mesure des difficultés que pouvait engendrer une adhésion trop rapide de l’Ukraine à l’Union. En effet, elle a récemment indiqué que la feuille de route politique des négociations serait prête non pas avant les élections européennes, mais plutôt aux alentours de l’été prochain.

En outre, l’accord bilatéral de sécurité conclu entre la France et l’Ukraine souligne que cette dernière s’efforcera de poursuivre son ambitieux programme de réformes, en particulier dans le cadre de son processus d’adhésion à l’Union européenne, afin de satisfaire aux obligations requises pour cela. Ce postulat illustre bien qu’il reste encore du chemin à parcourir pour que l’Ukraine concrétise son adhésion à l’Union européenne.

Il serait également injuste et incompréhensible d’oublier les autres pays candidats, comme l’ont dit mes collègues, dont la Bosnie-Herzégovine et le Monténégro.

L’Union européenne est aux côtés de l’Ukraine grâce à l’aide financière et matérielle qu’elle lui fournit dans le cadre de la guerre qui l’oppose à la Russie. Une enveloppe de 50 milliards d’euros a été actée dans le cadre du programme Facilité pour l’Ukraine, dont 17 milliards d’euros de subventions et 38 milliards d’euros de prêts. Cette aide, pleinement justifiée, comporte notamment le plan Ukraine par lequel le gouvernement ukrainien présentera ses intentions pour le redressement, la construction et la modernisation du pays.

Au titre de l’investissement pour l’Ukraine, l’Union européenne fournira un soutien sous la forme de garanties budgétaires et d’une combinaison de subventions et de prêts d’institutions publiques et privées.

Pour conclure, je veux insister sur les notions d’unité et de souveraineté européennes. L’unité a toujours été nécessaire et constitue le fondement même de la crédibilité européenne. Elle l’a été, hier, pour la construction de l’Union européenne, elle l’est aujourd’hui et je pense qu’elle sera encore davantage demain. En effet, s’il advenait – sans faire de la politique-fiction – que l’isolationnisme américain l’emporte le 5 novembre prochain et que Donald Trump rejoigne de nouveau le Bureau ovale, le 20 janvier 2025, l’unité de l’Europe serait la seule réponse possible et d’autant plus indispensable que nous aurions alors l’obligation de réagir rapidement. Il me semble que le Président de la République et le Gouvernement ont parfaitement conscience de cette obligation morale et stratégique impérative. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur Olivier Henno, je vous remercie pour vos propos très équilibrés sur l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne.

Il s’agit pour cette dernière d’une nécessité géostratégique, car il est plus souhaitable d’exporter le modèle de stabilité européen que d’importer l’instabilité en courant le risque de la laisser s’installer dans cette région.

Toutefois, nous sommes très attachés – car c’est absolument indispensable – à ce que le processus d’adhésion reste fidèle au principe sur lequel il est fondé, c’est-à-dire les mérites propres du pays candidat.

L’Ukraine a engagé un certain nombre de réformes qui ont conduit les chefs d’État et de gouvernement à décider l’ouverture des négociations d’adhésion, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour que les négociations effectives puissent commencer.

En outre, je rappelle, car on l’oublie parfois, que ce processus d’adhésion est extrêmement exigeant. C’est non pas un simple rattrapage économique et social, mais un changement profond que le pays candidat doit s’imposer pour « rattraper », si l’on peut le dire ainsi, les standards d’État de droit auxquels nous nous astreignons dans l’Union européenne.

Enfin, vous avez mentionné l’unité. Je constate pour ma part une très forte unité, malgré quelques différences d’approche, dans le sursaut qu’ont eu les États membres et dans le soutien qu’ils apportent à l’Ukraine. Je l’interprète comme une réponse au fait que l’agression russe en Ukraine enfreint l’un des premiers principes que les pères fondateurs de l’Europe ont posés, à savoir le respect des frontières de son voisin. Face à une telle remise en cause, je sens que se développe une forte unité en Europe. Celle-ci nous permettra, à mon sens, de relever un certain nombre des défis que vous avez évoqués.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno, pour la réplique.

M. Olivier Henno. C’est un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, mais, lorsque le mur de Berlin est tombé en 1989, il y avait eu le même type de débat sur l’articulation entre l’approfondissement des institutions européennes et l’élargissement de l’Union. Pris par la culpabilité à l’idée d’opposer un refus aux pays du pacte de Varsovie, c’est-à-dire ceux d’Europe centrale et d’Europe de l’Est, nous avons élargi avant d’approfondir.

Je ne suis pas du tout pessimiste sur la question de l’unité et de la souveraineté, mais je pense que cela doit aller de pair avec une réforme institutionnelle forte. C’est seulement dans un deuxième temps que nous pourrons envisager l’élargissement et l’adhésion d’autres pays. (Mme Frédérique Puissat applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les 5 milliards d’euros pour l’Ukraine sont une bonne nouvelle. Face au retrait du Congrès américain et face au risque d’une nouvelle offensive russe, cette enveloppe est un soulagement.

Toutefois, monsieur le ministre, que de blocages pour en arriver là ! L’Allemagne préférait privilégier les aides bilatérales, la France mettait le made in Europe comme condition : était-il bien raisonnable de bloquer les négociations pour cela ? Il a quand même fallu huit mois pour aboutir !

Au-delà de 2025, lorsque les 5 milliards auront été dépensés, rien n’est encore concrètement prévu pour sécuriser la situation. Il nous reste à espérer que la Facilité européenne pour la paix, récemment réformée, aura fait ses preuves et que les Vingt-Sept remettront au pot.

Il me semble que la liberté et la résistance de l’Ukraine nous obligent à des garanties plus durables. Il faut en effet utiliser les milliards d’euros générés par les avoirs russes gelés. Il s’agit de planifier et de sécuriser l’aide à l’Ukraine, d’établir un système d’approvisionnement plus fiable et mis en commun.

Ces 5 milliards d’euros sont une toute première étape pour que l’Europe devienne crédible, coordonnée et pérenne dans le domaine de la défense. Pour juguler l’impérialisme de la Russie de Poutine, pour raffermir le droit international, pour que la sécurité et la paix ne soient pas subordonnées à l’hypothèque électorale étasunienne, il est temps de faire mieux et d’agir en Européens en mettant fin à cette diplomatie menée en solitaire qui déstabilise nos concitoyens, nos alliés et donc le soutien à l’Ukraine.

Ne croyons pas non plus que la voie de la paix soit celle des exhortations à de prétendues négociations immédiates avec l’envahisseur russe, pseudo-négociations qui mettraient dans un grand chaudron les revendications d’expansion russe sur les territoires russophones, ici et là, une neutralité imposée pour ce qui resterait de l’Ukraine, la question de l’Otan et celle de l’Union européenne.

Je crois que de telles exhortations sont, de fait, un message d’incitation à l’escalade guerrière, puisqu’elles admettent que des territoires trop faibles pour se défendre peuvent être obtenus par la force.

Pour que ne faiblisse pas le soutien des Français à l’Ukraine, ne laissons pas se propager le sentiment d’un deux poids, deux mesures, s’agissant de la détermination de notre pays, entre Kiev et Gaza.

Depuis l’horrible attaque terroriste du Hamas et la détention des otages, voilà cinq mois que le gouvernement Netanyahou inflige une implacable punition collective et se livre à un crime de masse par des bombardements indiscriminés d’une ampleur rarement égalée, ainsi que par les ravages de la faim et des privations.

Aujourd’hui, face à ce que le Haut Représentant de l’Union européenne, Josep Borrell, qualifie de situation d’insécurité alimentaire aiguë pour les Gazaouis et face à la famine utilisée comme arme de guerre, le Conseil européen doit clairement changer de registre à l’égard du gouvernement d’Israël et exiger le cessez-le-feu et l’accès complet à l’aide humanitaire. Pour cela, il doit engager des sanctions diplomatiques et économiques, ainsi que décréter l’embargo sur les armes. Par conséquent, ce Conseil européen est attendu, car il peut être déterminant.

Alors que le drame s’amplifie à Gaza, l’Union européenne vient de signer un accord de partenariat à hauteur de 7,4 milliards d’euros avec l’Égypte, similaire à ceux qui ont déjà été conclus avec la Tunisie et la Mauritanie et dont l’une des contreparties est que l’Égypte s’engage à retenir les migrants. L’Union européenne verserait donc inconditionnellement une telle somme à un régime répressif qui compte quand même plus de 60 000 prisonniers politiques et où la corruption est généralisée. Quel cynisme de servir de cette façon de banque aux régimes dictatoriaux ! Notre pays soutient-il sans réticence la logique de cet accord consternant ?

Nous nous interrogeons aussi sur le rôle contre-productif qu’a joué la France dans deux chantiers législatifs européens qui sont arrivés à leur terme. Je déplore ainsi que la France ait œuvré pour amputer toute ambition à la directive sur le devoir de vigilance des entreprises et qu’elle se soit évertuée, seule contre tous, à soutenir les plateformes contre leurs travailleurs précaires.

Enfin, alors que cet hiver s’est distingué comme le plus chaud jamais enregistré et que le bassin méditerranéen connaît une sécheresse exceptionnelle, considérée par les spécialistes comme un phénomène dorénavant durable, l’Union européenne s’abaisse en se soumettant à la fameuse « pause environnementale » qui tend à tenir lieu de réponse à la détresse agricole et à la montée des mécontentements. Et voilà balayés trois ans d’efforts destinés à donner une dimension environnementale à la politique agricole commune ! Ce reflux est un grave renoncement…

Sur la PAC, l’accord de Paris, la décarbonation et la transition énergétique, s’il y a bien un moment où il faut tenir bon, c’est maintenant ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur, je serai bref au sujet de l’Ukraine, car on en a déjà beaucoup parlé ; effectivement, l’un des grands enjeux est d’affirmer avec force que nous sommes attachés à un ordre international fondé sur le droit et que nous refusons de basculer dans un monde où cet ordre reposerait sur la force.

En ce qui concerne le Proche-Orient, nous avons bon espoir que les conclusions du Conseil européen comportent un appel très clair à un cessez-le-feu durable ; nous espérons également que le Conseil appelle Israël à respecter le droit international et à prendre les mesures nécessaires pour permettre l’acheminement sans délai de l’aide humanitaire à la population gazaouie, qui n’a pas à être la victime des crimes terroristes du Hamas.

Pour ce qui est du rôle joué par la France dans l’aboutissement de ce grand texte qu’est la directive sur le devoir de vigilance des entreprises, vous êtes un peu dur ! Notre pays a été le premier à adopter cette législation, avant de suggérer qu’elle puisse être « européanisée », si je puis dire ; ensuite, nous avons systématiquement soutenu, jusqu’au stade du trilogue, l’adoption de ce texte, dont la version définitive vient d’être fixée. Pour ma part, je suis extrêmement satisfait et fier que l’Europe soit sur le point de l’adopter.

Pour ce qui concerne la PAC et les mesures récemment prises ou, du moins, proposées par la Commission européenne, je crois que l’on ne peut pas reprocher à la législature qui s’achève son manque d’ambition en matière écologique. Je pense au Green Deal, ainsi qu’aux objectifs extrêmement ambitieux et aux moyens alloués pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Mais aucune transition n’est possible contre les peuples. Si, dans le cadre des dispositifs que nous élaborons pour réussir ces transitions, certains pans de la population se sentent injustement traités, ils se révolteront inévitablement et exprimeront leur colère. C’est ce qui s’est produit avec les agriculteurs, qui ont appelé à l’aide la Commission, laquelle les a entendus ; je crois que l’on ne peut pas vraiment le lui reprocher.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique, pour la réplique.

M. Jacques Fernique. Monsieur le ministre, je rappelle que la France a contribué à ce que le secteur financier soit exclu du champ de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises pour toutes ses activités d’aval ; notre pays a également fait en sorte que 80 % des entreprises en soient exonérées.

Je souhaite aussi revenir sur l’appréciation que vous avez portée, dans votre propos liminaire, sur la période que vit actuellement l’Europe. Cette période correspondrait, à vous entendre, à une « victoire idéologique du logiciel français de souveraineté européenne », pour reprendre, me semble-t-il, les termes exacts que vous avez utilisés. (M. le ministre délégué hoche la tête en signe dassentiment.)

À mon sens, monsieur le ministre, cette expression trahit une conception très tricolore de l’Europe. Je crois au contraire que les événements que nous venons de vivre et que ceux que nous affrontons aujourd’hui prouvent que l’Europe a besoin de cohésion et d’une plus grande détermination collective ; il importe également de renforcer la cohérence franco-allemande. C’est à l’aune de ces combats et de ces chantiers que le logiciel européen, que notre logiciel commun, doit être revigoré. Tout seul, on s’agite ; ensemble, on va loin ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Karine Daniel applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michaël Weber.

M. Michaël Weber. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les règles budgétaires de l’Union européenne s’appliquent de nouveau depuis janvier 2024 après avoir été suspendues en 2020. Un nombre important d’États membres, dont la France, risquent de faire l’objet d’une procédure pour déficit excessif.

L’exécutif communautaire a pourtant bien perçu l’urgence qu’il y a à assouplir les normes en vigueur : l’accord obtenu en février dernier sur une réforme du pacte fiscal européen est ainsi censé attribuer plus de flexibilité aux États membres. Le nouveau pacte de stabilité et de croissance conserve néanmoins les deux fameux critères totems des 3 % de déficit et des 60 % de dette publique.

Est-il utile de rappeler que ces règles budgétaires n’ont jamais été respectées ? L’Italie, la Grèce et la Belgique ont rejoint l’Union économique et monétaire, alors que leur dette publique excédait nettement le plafond qui avait été fixé et, pendant des années, le déficit de la France et de l’Allemagne a dépassé la limite des 3 % sans que ces États soient jamais sanctionnés.

Les réformes successives du pacte de stabilité et de croissance, en 2005 et en 2011, ont fini par conduire à un monstre de complexité, tout en conservant ces seuils déconnectés des conjonctures économiques des différents pays européens.

Le pacte de stabilité et de croissance a également démontré son inefficacité en période de crise. Ses règles budgétaires obligent en effet les États membres à maintenir leur déficit et leur dette sous les seuils, ce qui alimente le ralentissement de la croissance. De fait, les mesures d’austérité qui ont d’abord prévalu pendant les crises de 2007 et 2012 ont placé l’Europe au bord de l’implosion.

Pour faire face à la crise de la covid-19, l’Union européenne n’a cette fois-ci pas hésité à suspendre ses règles budgétaires, au printemps 2020, permettant aux gouvernements nationaux d’intervenir dans leurs économies. Les États membres de l’Union ont franchi un pas supplémentaire et opéré un changement de paradigme économique, en acceptant d’emprunter en commun pour financer le plan de relance européen.

Aujourd’hui, l’urgence climatique doit, au même titre que la crise de la covid-19, inciter à lever les freins à l’investissement. L’Europe sort fragilisée par une succession de crises dont les conséquences directes sont la hausse massive des dettes et l’accentuation de l’hétérogénéité des situations entre États membres. L’application de critères chiffrés uniformes – ceux de la dette publique et du déficit – paraît dès lors absurde, contre-productive d’un point de vue économique et dangereuse politiquement.

Un retour en arrière, vers une forme de conservatisme budgétaire, est impensable au moment où les États membres doivent plus que jamais investir dans la transition écologique, l’éducation, l’industrie verte et la défense. À l’extrême opposé du modèle européen, les États-Unis mènent une politique budgétaire expansionniste, qui n’est certes pas sans apporter son lot de problèmes, mais qui lui permet de creuser encore davantage l’écart en termes de croissance et d’innovation, et ce en défaveur du vieux continent.

Une véritable refonte du cadre et de la surveillance budgétaires, qui inclurait les investissements prioritaires européens et permettrait de tenir compte de la conjoncture économique de chaque pays, nous paraît aujourd’hui indispensable. Pouvons-nous réellement nous contenter des mesures cosmétiques de la réforme du pacte de stabilité et de croissance ? L’application automatique d’objectifs chiffrés a, par le passé, déjà conduit à la récession. Il ne s’agit pas de se passer de règles : il faut simplement faire en sorte que celles-ci garantissent la soutenabilité des finances publiques et cesser de les mettre en adéquation avec des plafonds définis arbitrairement.

Le Gouvernement promet que notre déficit public reviendra – à coups de rabot budgétaires – en dessous de 3 % du PIB en 2027. Le ministre Le Maire nous a ainsi déjà annoncé une coupe de 10 milliards d’euros. La Cour des comptes, de son côté, demande 50 milliards d’euros d’économies nouvelles pour tenir l’objectif, tout en nous alertant sur la priorité que constitue l’urgence climatique, car, selon elle, ne pas s’adapter pourrait se révéler bien plus coûteux.

Comme l’a écrit notre collègue Alexandre Ouizille dans une tribune parue dans la presse, nous devons refuser, une « nouvelle décennie perdue » et inventer un cadre budgétaire européen favorable aux investissements, souple et démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur Michaël Weber, comme vous, nous avons considéré que les règles du pacte de stabilité et de croissance présentaient le grand inconvénient d’être procycliques, c’est-à-dire d’ajouter l’austérité aux périodes de crise, faisant parfois s’enfoncer les économies dans la récession.

C’est la raison pour laquelle Bruno Le Maire, le gouvernement français, s’est fortement mobilisé pour aboutir à la révision de ce pacte de stabilité et de croissance, une réforme qui a été adoptée à l’unanimité et qui a donc supposé des discussions longues et particulièrement serrées avec nos partenaires, au premier rang desquels figurait notre voisin allemand. Je crois que cette évolution ne pourra pas nuire.

Je vous rejoins également sur le second constat que vous dressez : la transition verte, l’éducation, la défense – on pourrait ajouter la politique industrielle – doivent nous permettre d’assurer cette autonomie stratégique qui, je le revendique, je le confirme, est un concept que la France a progressivement fait entrer dans la grammaire européenne.

Atteindre cet objectif supposera évidemment la mobilisation de l’épargne et de financements privés, mais aussi de ressources publiques. Cela doit nous amener à réfléchir à la manière dont nous pourrions – comme nous l’avons fait face à d’autres impératifs ou à d’autres urgences, en 2020 par exemple pour soutenir le plan de relance – créer une capacité commune d’emprunt au service du projet que nous portons pour l’Europe.

Mme la présidente. La parole est à M. Michaël Weber, pour la réplique.

M. Michaël Weber. Depuis maintenant plusieurs mois, nous constatons que les efforts budgétaires consentis par les États membres et l’Union européenne se font au détriment de la transition énergétique et climatique, qui est pourtant absolument indispensable. Vous avez le droit de le contester, monsieur le ministre, mais c’est pourtant bien le cas, notamment en France. D’ailleurs, les réactions qui ont suivi le déclenchement de la crise agricole en Europe montrent que l’essentiel de l’effort budgétaire a porté sur cette transition.

Encourager la transition environnementale et faire en sorte que nous disposions de moyens supplémentaires pour garantir notre défense nationale et européenne, tout en consentant des efforts budgétaires, voire en nous orientant vers une forme d’austérité, c’est la quadrature du cercle, c’est impossible, et cela nous mènera soit à la récession, soit à l’échec.

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission applaudit également.)

M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le conflit à Gaza s’enlise. Plus de six mois après la funeste journée du 7 octobre et le lancement des hostilités, la perspective d’un cessez-le-feu est encore lointaine.

Alors que le ramadan a débuté le 11 mars courant, sans que les négociations visant à obtenir une pause humanitaire immédiate aient pu aboutir, 1,1 million de Gazaouis se retrouvent donc confrontés à la faim, dans une situation catastrophique, proche de la famine selon l’ONU. Dans son dernier rapport, le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (Integrated Food Security Phase Classification, ou IPC) estime ainsi que la famine pourrait toucher la population à n’importe quel moment, et au plus tard d’ici au mois de mai prochain, si rien n’est fait pour l’empêcher. L’émeute de la faim survenue le 29 février dernier témoigne de l’imminence d’une telle situation.

Selon le Programme alimentaire mondial, 300 à 500 camions d’aide alimentaire seraient nécessaires chaque jour pour répondre aux besoins élémentaires des Gazaouis, quand à peine une dizaine parviennent à entrer quotidiennement. Israël ne laisse en effet passer ces camions dans la bande de Gaza qu’au compte-gouttes. D’après l’ONG Oxfam, seuls 20 % de l’aide alimentaire quotidienne qui était distribuée avant le 7 octobre parvenait à ses destinataires ; or les besoins sont aujourd’hui bien plus élevés qu’auparavant.

La presse et l’ONU se sont également fait l’écho du blocage par Israël d’importants volumes de matériel médical dans des entrepôts à El-Arich, l’État hébreu considérant que ce matériel pourrait être utilisé à son détriment.

Alors que l’Union européenne et la France ont augmenté massivement les dépenses qu’elles allouent à l’aide humanitaire pour Gaza, les efforts engagés resteront vains si l’aide ne peut pas être distribuée. Il est donc impératif de poursuivre le dialogue avec Israël pour améliorer l’acheminement de cette aide par voie terrestre, solution qui demeure la plus efficace selon l’ONU et les ONG.

Aussi, monsieur le ministre, je souhaiterais connaître les mesures mises en œuvre par l’Union européenne et la France pour qu’Israël facilite l’entrée des camions et la distribution des aides.

Dans l’attente d’une éventuelle amélioration de la distribution de vivres par voie terrestre, il n’était pas envisageable de rester les bras croisés face à la famine qui se profile. Hélas, les largages opérés par voie aérienne se sont révélés peu efficaces, les volumes concernés n’étant pas suffisants et les colis étant régulièrement pillés. L’un des parachutages de colis a en outre causé la mort de plusieurs Palestiniens, le parachute ne s’étant pas ouvert.

L’Union européenne, sur l’initiative de Chypre, a par ailleurs annoncé la création d’un corridor maritime entre Larnaca et la bande de Gaza. Un tel dispositif, plus coûteux que la voie terrestre, doit rester subsidiaire, mais il s’avère nécessaire au vu de la gravité de la situation. Un premier navire, chargé de 200 tonnes de nourriture, représentant environ 300 000 repas, est finalement arrivé à bon port vendredi dernier et sa cargaison a pu être déchargée. L’envoi d’un second navire a été annoncé dans la foulée.

Cela étant, la taille des bateaux et, donc, le volume de l’aide fournie restent limités face à l’ampleur des besoins, d’autant qu’il n’y a pas de port pour décharger la marchandise à Gaza. La donne pourrait cependant changer prochainement, car les États-Unis ont prévu la création d’un port flottant dont la construction devrait prendre soixante jours.

Je souhaiterais donc savoir, monsieur le ministre, si et comment la France envisage de soutenir cette initiative. L’établissement d’un couloir durable du côté de l’Union européenne est-il pérenne ? L’Union projette-t-elle de conjuguer ses efforts avec ceux des Américains ? Ni le président Biden ni la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, n’ont en effet précisé les intentions de l’autre partie. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur Cyril Pellevat, je vous remercie d’avoir souligné l’importance considérable de l’aide humanitaire à acheminer vers Gaza par tous les moyens : terrestre, aérien et maritime.

Permettez-moi de rappeler à mon tour, mais vous le savez déjà, que la France a été le premier pays à larguer directement de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza, que nous y acheminons d’importantes quantités de fret – tentes, protections hygiéniques, nourriture –, et que nous soutenons par ailleurs le système de santé sur place, afin d’assurer l’accueil des personnes nécessitant des soins.

Je vous remercie également d’avoir cité l’initiative chypriote, baptisée Amalthée, qui fera l’objet d’une réunion spécifique entre les chefs d’État et de gouvernement. J’ai eu l’occasion de m’en entretenir aujourd’hui avec mon homologue chypriote, que j’ai remerciée pour ce projet et à qui j’ai fait part de notre conviction que cette solution spécifique d’un acheminement par voie maritime devait rester complémentaire d’un acheminement par voie terrestre et que chacune de ces voies devait être soutenue.

L’État chypriote a d’ores et déjà commencé à réfléchir à constituer un fonds pour soutenir cette initiative ; j’ai naturellement assuré mon homologue de l’accueil très bienveillant et du soutien de la France.

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour la réplique.

M. Cyril Pellevat. Je vous remercie, monsieur le ministre, de m’avoir communiqué tous ces éléments importants.

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Claude Kern. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « l’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ». Cette citation de Jean Monnet illustre parfaitement notre état d’esprit à l’aube du Conseil européen qui se tiendra les 21 et 22 mars prochains.

Tout d’abord, permettez-moi de vous interpeller, monsieur le ministre, à l’occasion de ce premier débat préalable à un Conseil européen depuis votre nomination en tant que ministre délégué chargé de l’Europe, au sujet de l’élargissement de l’Union européenne.

Depuis l’entrée de la Croatie en 2013, l’Union n’a pas connu de nouvelles adhésions. Je note pourtant que, plus de dix ans après, dix États sont candidats à l’entrée dans le marché commun. Nous avons constaté que plusieurs de ces pays étaient parvenus à prendre des mesures pour se conformer aux critères de Copenhague, en vue de leur adhésion. Ces critères exigent notamment des pays candidats que ceux-ci respectent les principes démocratiques, l’État de droit et les droits de l’homme. Le respect de ces standards constitue une étape préliminaire fondamentale à l’ouverture des négociations d’adhésion.

Toutefois, il convient de rester attentif et de ne pas confondre vitesse et précipitation. Faire passer l’Union européenne de vingt-sept à trente-sept États membres implique vigilance et réformes.

Vigilance d’abord à l’égard des difficultés qui pourraient subsister en matière de corruption et de respect de l’État de droit dans nombre des pays candidats.

Vigilance également pour ce qui concerne les contributions financières des États, le budget de l’Union et la répartition des aides européennes, donc vigilance sur les conséquences économiques qui en résulteront. Notre pays et l’Allemagne sont contributeurs nets de l’Union européenne, c’est un fait qui illustre le rôle moteur que nous jouons dans la construction européenne. Cependant, un vaste élargissement pourrait faire croître le nombre des États contributeurs nets et, ainsi, poser un certain nombre de problèmes. Gageons que nous ne connaîtrons plus à l’avenir de sorties de l’Union européenne…

Vigilance enfin quant aux capacités institutionnelles de l’Union à trente-sept à gérer une telle diversité et à décider de manière efficace, notamment en matière de politique étrangère. Nous voyons bien aujourd’hui qu’un certain nombre de réformes institutionnelles sont indispensables si l’on veut renforcer l’efficacité de l’Europe. Or force est de constater que ce débat récurrent sur les réformes institutionnelles de l’Europe, pourtant vital pour sa continuité, est renvoyé à plus tard. Espérons que, cette fois-ci, il ne s’ouvrira pas trop tard.

Je souhaite aussi aborder la situation du Proche-Orient, monsieur le ministre. Vous allez devoir traiter la question de l’accord d’association conclu entre l’Union et Israël, dont plusieurs de nos partenaires demandent la suspension. Selon nous, l’intérêt de la France n’est absolument pas d’aller dans le sens d’une suspension de cet accord. Au contraire, l’Union européenne, même au-delà de ses frontières, doit rester particulièrement attentive à la situation en Israël et à Gaza. Nous devons veiller à ce que le droit international et humanitaire s’applique. À mon sens, ce n’est pas en suspendant cet accord que nous enverrons un signal positif. Pourriez-vous m’indiquer, monsieur le ministre, quelle sera la position de la France face à cette situation de crise ?

À la veille des élections européennes, certains partis extrémistes semblent s’accorder sur l’idée que l’Union européenne est la source de tous les maux et de tous les problèmes rencontrés par les Européens. Pourtant, nous voyons bien que l’Europe est désirée, et ce bien au-delà de nos frontières. Soyons conscients de la chance que nous avons, soyons fiers de l’Europe et soyons fiers d’être Européens ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur Claude Kern, vous avez raison d’appeler à la vigilance de la France sur le fait – c’est d’ailleurs un principe que nous réaffirmons très régulièrement – qu’il ne peut pas y avoir d’élargissement réussi si, en parallèle, il n’y a pas une triple réforme de l’Union européenne.

Tout d’abord, une réforme des politiques est primordiale, parce que la politique agricole commune et la politique de cohésion doivent permettre d’accueillir les pays candidats, sans déstabiliser les régions et les secteurs qui en sont bénéficiaires.

Il importe également d’engager une réforme budgétaire : il est très important de pouvoir se préparer et d’anticiper les élargissements à venir. J’étais tout à l’heure avec mon homologue slovène, ministre d’un pays niché au cœur des Balkans occidentaux, dont la plupart des voisins sont engagés dans un processus d’adhésion et qui, le moment venu, basculera sans doute du statut de bénéficiaire net à celui de contributeur net. Cela posera évidemment un certain nombre de problèmes sur le plan démocratique.

Enfin, une réforme du fonctionnement institutionnel de l’Union européenne est devenue indispensable. Si l’Union regroupe demain une trentaine d’États membres ou plus, la question du fonctionnement de l’institution se posera inévitablement. C’est du reste pourquoi il nous faut la traiter avant que ces élargissements n’aboutissent. Nous y veillerons au cours de la législature qui s’ouvre.

Vous m’avez également interrogé, monsieur le sénateur, sur l’accord d’association qui nous lie à Israël. L’étape qui, je le souhaite, pourrait être franchie les 21 et 22 mars prochains pourrait prendre la forme d’une déclaration commune appelant à un cessez-le-feu durable, à l’acheminement de l’aide humanitaire et à la dénonciation de l’attentat terroriste du Hamas, ce qui permettrait de souder les Vingt-Sept autour d’un « langage commun », comme on le dit dans le jargon diplomatique.

Permettez-moi enfin de rebondir sur votre dernière remarque, celle de la fierté d’être Européen et du sentiment d’appartenance : je veux en profiter pour rendre hommage aux députés et aux sénateurs qui, au quotidien, font vivre ce sentiment d’appartenance…

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. … en s’intéressant tout simplement à ces questions et, notamment, aux problématiques fondamentales qui seront traitées par les dirigeants européens les 21 et 22 mars prochains.

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern, pour la réplique.

M. Claude Kern. M. le ministre ayant répondu à toutes mes questions, je n’en dirai pas davantage !

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les vingt-sept chefs d’État ou de gouvernement de l’Union européenne se retrouveront à Bruxelles les 21 et 22 mars, pour une réunion du Conseil européen avant tout consacrée à la guerre en Ukraine, avec en toile de fond les dernières déclarations du Président de la République, qui n’ont pas manqué de déconcerter nos alliés et d’inquiéter les Français.

Le sujet de mon intervention ne sera pas original, mais il ne se passe pas un seul jour sans que nous soyons interpellés par nos concitoyens préoccupés par le changement de discours du Président de la République. Alors que ce dernier affirmait voilà quelques mois encore qu’il ne fallait pas humilier la Russie, il n’exclut plus aujourd’hui l’envoi de troupes sur le front.

Bruno Retailleau a rappelé la semaine dernière la position claire et sans ambiguïté de notre groupe : tout faire pour que la Russie ne remporte pas ce conflit ; ne rien faire qui nous entraîne dans une guerre dont nous ne voulons pas.

Nous jugeons également que la promesse d’une adhésion rapide de l’Ukraine à l’Union serait prématurée, car cela entraînerait des conséquences sociales et économiques délétères pour la France, à commencer par une baisse du budget de la PAC du fait de l’importance de la surface agricole ukrainienne.

Nous voyons déjà aujourd’hui les conséquences de l’ouverture sans contrôle du marché européen aux produits agricoles ukrainiens : des prix cassés et nos agriculteurs en grande difficulté face à une concurrence déloyale, qui produit sans avoir à respecter les mêmes normes que nous.

Je profite de l’occasion, monsieur le ministre, pour réitérer la question que j’ai posée ici même il y a quinze jours à votre gouvernement et à laquelle je n’ai pas eu de réponse : êtes-vous ou non favorable aux clauses de sauvegarde pour limiter les importations de céréales ukrainiennes et protéger ainsi nos producteurs ?

Le Conseil européen se penchera aussi sur la politique agricole commune. Vendredi dernier, la Commission européenne a enfin accepté de briser le tabou de la réouverture de la PAC, en remettant pour la première fois en cause son architecture verte. La suppression de l’obligation de jachères, l’assouplissement des exigences de rotation des cultures et de couverture des sols en hiver, ou encore la réduction des contrôles sont autant de mesures qui vont dans le bon sens. Toutefois, que de temps perdu ! Toutes ces préconisations figuraient déjà dans de multiples résolutions et rapports publiés par le Sénat depuis 2017.

Reste désormais à savoir comment ces propositions seront appliquées. Nous appelons à une grande vigilance face au risque de renationalisation de la PAC et à la manière dont la France se saisira de cette nouvelle flexibilité. Ce sujet ne doit pas se cantonner à un simple discours de campagne pour les élections européennes.

Dans le domaine de la santé, je me réjouis qu’un compromis ait été trouvé à Bruxelles sur l’espace européen des données de santé. Il est essentiel de favoriser la recherche sur le territoire européen, tout en garantissant la protection des données à caractère personnel de nos concitoyens. L’accord qui a été conclu reprend d’ailleurs l’une des dispositions que nous proposions, à savoir la possibilité pour les patients de s’opposer au traitement de leurs données de santé à des fins de recherche.

Dans la résolution du Sénat du 17 juillet 2023 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’espace européen des données de santé, nous demandions également que les données de santé électroniques et les services associés soient hébergés sur le territoire de l’Union européenne, par une entreprise européenne. Aussi, je regrette que le gouvernement français s’obstine à vouloir confier à Microsoft l’hébergement des données de santé des Français…

Par ailleurs, un accord a également été trouvé sur les travailleurs de plateforme pour introduire une présomption de salariat en leur faveur. Il faudra néanmoins veiller à l’application de cette mesure et à sa sécurité juridique, puisqu’elle ne sera pas uniforme, chaque État membre pouvant adopter ses propres définitions. Nous savons que le Président de la République ne voulait pas de cette directive. Il serait intéressant que vous nous indiquiez comment vous entendez la transposer en droit français.

Pour conclure, mes chers collègues, j’insiste sur le fait que nous attendons de ce sommet européen des mesures fortes de soutien à l’Ukraine sans pour autant tomber dans le bellicisme ; nous attendons des mesures puissantes pour sauver nos agriculteurs ; nous attendons de la France plus de constance et de clarté pour continuer de tenir son rang ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Madame la sénatrice Pascale Gruny, permettez-moi de rectifier quelque peu vos propos : nous ne sommes pas les agresseurs, nous soutenons les agressés. D’une certaine manière, nous sommes d’ores et déjà victimes de l’agressivité de Vladimir Poutine.

Qui a fait flamber les prix du gaz pour nos concitoyens ? C’est Vladimir Poutine ! Qui inonde les marchés mondiaux de céréales à prix cassés, ce qui fragilise nos agriculteurs ? C’est Vladimir Poutine ! Qui a déclenché des cyberattaques sur les hôpitaux de Corbeil-Essonnes et de Versailles, ce qui les a paralysés pendant plus d’un an ? Ce sont des groupes russes ! Qui a, encore aujourd’hui, diffusé une fausse nouvelle sur l’envoi présumé de troupes françaises en Russie ? Ce sont les services de renseignement russes !

Bref, nous sommes soumis à une agressivité très forte de la part de la Russie, n’inversons pas les rôles !

Mme Frédérique Puissat. Ce n’est pas du tout ce qui a été fait !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Jusqu’à présent, l’obsession de la France et de l’Union européenne a été de permettre aux Ukrainiens de se défendre.

En ce qui concerne la question que vous avez posée au Gouvernement il y a quinze jours, je vous confirme que lors des discussions qui ont eu lieu hier pour prolonger le règlement ATM, c’est-à-dire les mesures exceptionnelles de soutien à l’Ukraine, le représentant du gouvernement français a émis un avis favorable sur plusieurs propositions émanant des représentants d’autres pays, notamment celles qui consistent à instaurer des freins d’urgence sur des denrées alimentaires : la volaille, le sucre, ou encore certaines céréales. De tels amendements rejoignent le texte adopté par le Parlement européen, qui fait l’objet d’un trilogue en ce moment même. Nous verrons ce qu’il en sortira.

Pour ce qui est de la politique agricole commune, vous avez raison d’insister sur la nécessité d’appliquer les mesures de simplification proposées par la Commission le plus rapidement possible. C’est le message que portera le Président de la République jeudi et vendredi prochains à Bruxelles.

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.

Mme Pascale Gruny. Je n’ai pas eu toutes les réponses que j’attendais. Je ne sais toujours pas où nous en sommes sur les plateformes, mais j’attendrai…

Que l’on soit bien d’accord, mon discours n’était pas pro-Poutine. Nous défendons l’Ukraine.

En revanche, les propos du Président de la République ont véritablement effrayé les Français. Ceux que nous rencontrons sur les marchés, dans nos villes, nous le disent. Prenons garde d’effrayer nos concitoyens et nos alliés. Il convient de consulter les autres États membres avant de faire des annonces qui font peur.

Mme Frédérique Puissat. Tout à fait !

Conclusion du débat

Mme la présidente. Pour conclure le débat, la parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. C’est la première fois que nous tenons un débat préalable à un Conseil européen selon cette nouvelle formule, qui me semble convenir à tous, car elle est dynamique et permet d’entendre immédiatement la réponse du ministre après chaque question.

Monsieur le ministre, si plusieurs sujets ressortent de nos échanges, nous avons compris que l’ordre du jour du Conseil européen porterait essentiellement sur l’Ukraine. Nous devons nous interroger au-delà des appels à la paix et de la question de l’élargissement.

Dans quarante-huit heures, la commission des affaires européennes organise une table ronde sur ce sujet avec des personnalités reconnues, notamment Édouard Balladur, Alain Lamassoure, Noëlle Lenoir et Joachim Bitterlich, ancien ambassadeur d’Allemagne. Nous nous demanderons si un nouvel élargissement nous mènerait vers un affaiblissement, voire un crash de l’Europe – ce n’est pas exclu – ou si nous pourrions nous en servir pour la faire grandir.

Ce sont de réelles questions, qu’il convient de se poser. Alain Cadec, avec la verve que nous lui connaissons, a pris l’exemple spécifique de l’agriculture : en cas d’adhésion, la seule Ukraine devrait percevoir 96 milliards d’euros au titre de la PAC, le budget de la PAC s’élevant actuellement à 58 milliards d’euros. Vous imaginez bien le bouleversement qu’une telle adhésion causerait.

Nous devons traiter sérieusement ces questions afin de prendre la meilleure orientation possible. Je suis bien conscient de la difficulté de se projeter à moyen et à long terme dans le contexte actuel, mais nous devons malgré tout définir des stratégies.

Comme l’a rappelé Mme Gruny, les propos du Président de la République sur la guerre en Ukraine ont énormément inquiété, y compris dans les rangs des parlementaires.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Certes, il y a plusieurs niveaux. Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre délégué, dans le cadre de la dissuasion, nous ne pouvons fixer des limites sans dévoiler nos cartes à l’adversaire. Toutefois, ce débat est d’ordre institutionnel ; c’est un débat de sachants. Il n’a pas lieu de se tenir dans la sphère publique. Je ne cherche pas à donner des leçons, je fais simplement état d’un ressenti, exprimé notamment par Pascale Gruny.

En ce qui concerne le débat financier, plusieurs d’entre nous ont défendu clairement le grand emprunt dans le cadre du plan de résilience, ce qui a abouti à un vote favorable du Sénat. Toutefois, cet emprunt, que nous commencerons à rembourser en 2028, nous avait été « vendu » avec des recettes pour le contrebalancer, des ressources propres. Cet argument nous avait convaincus d’adopter cette mesure, pour une bonne cause : la résilience et la relance.

Toutefois, je ne suis pas sûr que nous serons, à l’avenir, dans les mêmes dispositions d’esprit, car la mise en œuvre du volet recettes n’est pas au rendez-vous. Il s’agit, monsieur le ministre, d’un vrai sujet, dont nous devrons probablement débattre au Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars 2024.

12

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 20 mars 2024 :

À quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement.

De seize heures trente à vingt heures trente :

(Ordre du jour réservé au groupe UC)

Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille (texte de la commission n° 417, 2023-2024) ;

Proposition de loi visant à expérimenter le transfert de la compétence « médecine scolaire » aux départements volontaires, présentée par Mme Françoise Gatel et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 415, 2023-2024).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures trente-cinq.)

nomination de membres de commissions mixtes paritaires

La liste des candidats désignés par la commission spéciale sur le projet de loi visant à sécuriser et à réguler lespace numérique pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi visant à sécuriser et réguler lespace numérique a été publiée conformément à larticle 8 quater du règlement.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :

Titulaires : Mme Catherine Morin-Desailly, M. Patrick Chaize, Mme Nadine Bellurot, MM. Laurent Somon, Rémi Cardon, Mme Laurence Rossignol et M. Ludovic Haye ;

Suppléants : Mmes Elsa Schalck, Micheline Jacques, M. Loïc Hervé, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Pierre Ouzoulias, Pierre-Jean Verzelen et Thomas Dossus.

La liste des candidats désignés par la commission des affaires sociales pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à interdire les dispositifs électroniques de vapotage à usage unique a été publiée conformément à larticle 8 quater du règlement.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :

Titulaires : MM. Philippe Mouiller, Khalifé Khalifé, Mmes Pascale Gruny, Jocelyne Guidez, Émilienne Poumirol, Corinne Féret et Nadège Havet ;

 

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER