M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste est favorable au dégel de la liste électorale, mais s’oppose à la modification de la répartition des sièges au congrès. Cependant, au-delà de ces mesures techniques, il nous tient avant tout à cœur de donner à la Nouvelle-Calédonie une perspective politique, tant dans le souci de l’impartialité de la position du Parlement que dans l’attente d’une nécessaire initiative politique.

La Nouvelle-Calédonie est un territoire magnifique, cher à chacun d’entre nous. C’est également un territoire sensible et complexe, marqué par une histoire que chacun a en tête. Il n’existe donc pas de bonne solution : nous serons amenés à rechercher la moins mauvaise possible.

Cette situation nous conduit par ailleurs à nous exprimer avec beaucoup de modération. « Humilité et respect » : cette expression répandue dans la coutume kanake vaut aussi pour mon intervention au nom du groupe Union Centriste.

La situation économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie est également difficile. Le pacte nickel, qui aurait dû être adopté en commission plénière hier, a été reporté. La situation des caisses d’assurance maladie et d’assurance retraite est grave – et je ne reviens pas sur l’état de la caisse d’assurance chômage ou la situation financière du gouvernement de Nouvelle-Calédonie…

Aussi, relativisons nos débats. S’ils sont bien sûr essentiels d’un point de vue institutionnel, je ne suis pas certain qu’ils reflètent les priorités actuelles des Néo-Calédoniens. L’ampleur de la crise économique et sociale est telle que les préoccupations de nos concitoyens de Nouvelle-Calédonie sont avant tout matérielles et alimentaires : chacun doit en mesurer l’importance.

Néanmoins, nous avons un destin commun à organiser, ce qui suppose de maintenir le maximum d’apaisement et de stabilité, et de trouver un accord entre les différents partenaires – lesquels ne se résument pas aux seuls loyalistes et indépendantistes. La société néo-calédonienne est en effet de plus en plus métissée : en raison des évolutions démographiques, notamment, les Wallisiens sont aujourd’hui trois fois plus nombreux en Nouvelle-Calédonie qu’à Wallis-et-Futuna. Ils ont des positions très ouvertes sur les sujets qui nous occupent.

Nous sommes favorables au dégel de la liste électorale. Il n’y a pas d’alternative. Le Conseil d’État nous a indiqué que si nous n’adoptions pas cette solution, il serait amené à annuler les élections.

Nous savons particulièrement gré à notre rapporteur Philippe Bas qui a non seulement retenu cette solution, mais qui l’a aussi accompagnée par la levée de ce qui a été considéré par une partie des partenaires comme un ultimatum au 1er juillet. Ainsi, si un accord intervient jusqu’à dix jours avant l’élection, il reviendra au Parlement – et non au Conseil constitutionnel – de constater son existence. Ce délai supplémentaire accordé à la société néo-calédonienne est une bonne mesure, car elle contribue à l’apaisement.

Dans ces conditions, nous ne voyons pas de motif de report des élections. Mon groupe s’est interrogé à ce sujet. Certes, le projet de loi organique que nous avons adopté prolonge jusqu’au 15 décembre le mandat des membres du congrès et des assemblées provinciales, mais la loi constitutionnelle aurait pu écraser ces dispositions. Dans la mesure où il est probable qu’un accord ne puisse intervenir qu’après les élections, nous ne voyons pas de raison objective de modifier la date des élections.

Nous comprenons la volonté de modifier la répartition des sièges au congrès, mais le Conseil d’État a précisé que la distorsion n’était pas suffisamment forte pour entraîner une remise en cause du mode de scrutin. Dans ces conditions, une modification ne nous paraît pas justifiable vis-à-vis des partenaires de la Nouvelle-Calédonie.

En conclusion, je veux insister sur la perspective politique à tracer, qui doit conduire le Sénat à adopter une position de surplomb, sans soutenir l’un des partenaires néo-calédoniens au profit d’un autre : en un mot, veillons au respect de l’impartialité. Le processus électoral doit en effet s’accompagner d’une initiative politique.

Reste à débattre du caractère provisoire ou définitif du dégel. Dans ses propos à fleurets mouchetés, le ministre de l’intérieur a exprimé son souhait de rendre ce dégel définitif, afin de garantir la stabilité des élections provinciales, tandis que notre rapporteur Philippe Bas propose de procéder à un dégel uniquement pour les élections de 2024. Nous examinerons donc le sous-amendement du président de la commission des lois visant à revenir sur cette modalité.

Je ne vous le cache pas : mon groupe est plutôt favorable à la position exprimée par Philippe Bas en faveur du dégel provisoire. Si nous avons bien compris l’argument du ministre de l’intérieur, nous préférons agir a minima – c’est-à-dire uniquement sur l’élection de 2024 – au regard de la complexité et de la sensibilité de la situation.

À cela s’ajoute un argument constitutionnel, dont il est difficile d’ignorer le poids. En effet, notre pays n’a constitutionnalisé, dans un titre spécifique, que les dispositions ayant suscité l’accord de tous les partenaires au travers des accords de Nouméa et de Matignon. Il nous paraissait donc quelque peu gênant de constitutionnaliser des dispositions n’ayant pas fait l’objet d’un accord général. En votant contre ce sous-amendement, nous risquerions de compromettre l’adoption de ce projet de loi. Or cette révision constitutionnelle doit avoir lieu. Aussi, nous nous abstiendrons.

Ces sujets techniques restent toutefois secondaires face à la nécessité d’un accompagnement politique des partenaires. Le Gouvernement a essayé d’œuvrer en ce sens, et je rends hommage à votre travail, monsieur le ministre. Néanmoins, il reviendra très prochainement au Parlement, en particulier au Sénat, d’émettre des propositions en ce sens. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec beaucoup d’humilité et un certain inconfort que j’exprime la position du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires sur ce projet de révision constitutionnelle.

Je parle avec l’humilité d’une Française de métropole, qui n’est jamais allée en Nouvelle-Calédonie-Kanaky, et qui sent le poids de la décision que le Gouvernement nous demande de prendre pour l’avenir de ce territoire. J’ai entendu de la colère et de la défiance, et j’ai compris la blessure que l’attitude du Gouvernement, depuis 2020, avait provoquée. Rien de bon ne pourra naître de cette blessure ; aussi vaudrait-il mieux la panser que la creuser davantage.

Mais un inconfort certain, surtout, naît de la nature même du texte que nous étudions. Alors qu’il est question de déterminer unilatéralement, pour un territoire à décoloniser, selon les Nations unies, un aspect majeur de la définition de sa citoyenneté, un questionnement profond sur la légitimité politique et historique de la décision que nous nous apprêtons à prendre m’envahit.

Ce questionnement n’est pas lié au contenu du projet qui nous est soumis. En vérité, si les négociations sur place aboutissaient, pour ce qui est du corps électoral, à un accord en faveur d’une solution similaire à celle que nous propose le Gouvernement, je serais la première à m’en féliciter. Or le problème fondamental de ce projet vient de la nature de ses instigateurs, et de la manière dont il a été élaboré.

Est-il juste que le Parlement se prononce aujourd’hui sur une proposition unilatérale du Gouvernement définissant la composition du corps électoral d’un territoire à décoloniser, engagé démocratiquement dans un processus devant assurer son autodétermination, sans qu’un accord local ait été trouvé ?

Est-ce sage, alors que le Conseil d’État nous a laissé jusqu’à 2025 pour trouver une solution ?

Est-ce sage, alors que le calendrier gouvernemental imposé est perçu comme une pression ? Alors qu’il est évident qu’il n’est pas possible de réformer consensuellement le corps électoral sans accord avec toutes les parties concernées, et qu’un accord global est nécessaire pour prendre une décision sur le corps électoral ?

Est-ce sage, alors qu’aucun accord solide ne saurait émerger sans le respect par l’État de sa parole et de son impartialité ? Alors que, sur place, des négociations ont lieu ?

Je n’arrive pas à m’en convaincre.

Opposer les principes démocratiques républicains à ceux qui commandent au respect du droit à l’autodétermination des peuples colonisés est par nature inconséquent et intenable. Personne ne le conteste, pas même les indépendantistes. Les restrictions du corps électoral excluent d’année en année davantage de citoyens et de citoyennes. Le corps électoral doit être réformé : tout le monde le reconnaît.

Peut-être toutes les parties concernées pourraient-elles tolérer l’unilatéralité, si la réforme était parfaitement consensuelle et d’ordre purement technique ; mais c’est tout le contraire.

Cette réforme touche au cœur sensible du sujet. La question du corps électoral est intimement liée au fait que la Nouvelle-Calédonie a été une colonie de peuplement. En 1972, Pierre Messmer, alors Premier ministre, écrivait : « La revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire. » Pour cela, il proposait « l’immigration massive de citoyens français métropolitains ».

C’est pourquoi la question du corps électoral a toujours été au cœur de toutes les discussions.

C’est pourquoi elle est consubstantielle à la question de la citoyenneté calédonienne.

C’est pourquoi, aussi, en 2017, nous avons gelé le corps électoral par un accord constitutionnel, comme une promesse de l’État de son engagement sans faille à respecter le contrat social issu de l’accord de Nouméa.

Or, depuis 2020, nous avons multiplié les fautes. L’indispensable impartialité de l’État, condition même de la possibilité d’un accord, a été rompue, à de multiples reprises.

D’abord, lorsque le Gouvernement a décidé de maintenir un référendum, arguant que les élections devaient se tenir à l’heure, alors même qu’en Hexagone nous avions décalé des élections du fait de l’épidémie.

Ensuite, lorsque Sonia Backès, cheffe de file des loyalistes, a été nommée secrétaire d’État. Quelle idée ! Comment dire plus clairement que ce gouvernement n’entend plus être impartial ?

Aujourd’hui, enfin, lorsqu’il nous est demandé de prendre le risque de trop : remettre en cause la parole de l’État en rompant, unilatéralement, le contrat de 1998, et « détricoter les principes qui […] avaient assuré la paix civile », comme le décrit Jean-François Merle, ancien conseiller de Michel Rocard pour les outre-mer, dans une tribune publiée dans Le Monde.

Philippe Bas n’a pas été insensible à ce risque ni à son ampleur. Je le remercie très sincèrement pour la finesse, l’attention et l’intelligence avec lesquelles il a travaillé.

Y aura-t-il un processus de décolonisation que la France n’aura pas raté ? C’est pour éviter de répondre par la négative que mon groupe s’opposera au projet du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Corinne Narassiguin et M. Fabien Gay applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question du corps électoral est politiquement cruciale en Kanaky comme en Nouvelle-Calédonie. En effet, les accords de Matignon puis de Nouméa ont restreint ce corps électoral, qui a ensuite été constitutionnalisé en 2007.

Or le Gouvernement a déposé au Sénat le 29 janvier 2024 un projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie et un projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral. Le Sénat a adopté le projet de loi organique le 27 février dernier.

Le motif invoqué est que le corps électoral citoyen du pays « ne répond plus aux exigences démocratiques résultant de nos principes constitutionnels et des engagements internationaux de la France » : « Au regard de cette réforme et des délais nécessaires à sa mise en œuvre, il apparaît ainsi nécessaire de repousser le renouvellement des assemblées. » Le Gouvernement veut ainsi ouvrir le périmètre du peuple calédonien aux arrivants français résidant depuis dix ans sur le territoire. Ce corps électoral, devenu glissant, organise de fait la noyade démographique du peuple kanak.

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est le grand remplacement…

Mme Cécile Cukierman. Par ailleurs, ce corps électoral glissant est contraire aux résolutions de l’ONU et met fin aux équilibres patiemment négociés en 1998. De fait, il alimente pour certains l’idée de rupture frontale avec le principe même du processus de décolonisation.

Le projet, uniquement justifié par la révision constitutionnelle unilatérale, est la négation même des accords de Matignon et de Nouméa. L’État partial tire un trait sur le processus de décolonisation en Nouvelle-Calédonie. Il met à mal plus de trente ans d’efforts pour parvenir à construire une citoyenneté calédonienne légitime aux yeux de tous, fruit d’un compromis historique entre des partenaires calédoniens fidèles aux idéaux de réconciliation symbolisés par la poignée de main entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou.

Le passage en force du Gouvernement sous la forme d’une réforme à marche forcée, avec notamment un ultimatum au 1er juillet, est en totale contradiction avec la méthode privilégiée par les précédents gouvernements, qui ont choisi le dialogue et le consensus auprès des partenaires locaux pour parvenir à deux accords de paix.

Tout le monde ici se souviendra que les accords de Matignon et de Nouméa auront permis de déployer le vivre-ensemble pendant trente-six années paisibles. Le Gouvernement prend donc une très lourde responsabilité en engageant cette réforme unilatérale, avec la caution des parlementaires que nous sommes si le texte venait à être adopté en l’état.

Pourquoi un tel empressement, pourquoi un passage en force, alors que rien ne le justifie ? Il y a, comme chacun sait, des discussions en cours entre les partenaires calédoniens. D’ailleurs, les indépendantistes doivent discuter parallèlement avec deux tendances loyalistes qui refusent de négocier ensemble.

Les indépendantistes affirment qu’ils n’ont jamais été opposés à l’arrivée de populations nouvelles, nécessaires pour asseoir un développement économique ambitieux. Néanmoins, ils souhaitent préserver le corps électoral tant que le processus d’émancipation n’a pas abouti.

Rappelons d’ailleurs que dès 1983, à Nainville-les-Roches, les indépendantistes avaient ouvert la citoyenneté calédonienne aux autres communautés arrivées par la colonisation. Aujourd’hui, ils ne sont pas opposés à l’intégration des natifs, actant ainsi le principe du droit du sol, mais ils considèrent que toutes ces questions doivent être traitées dans le cadre d’un accord global. Seule cette solution saura garantir une paix civile durable ainsi qu’une stabilité politique, économique et sociale.

Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky déplore l’attitude méprisante et parfois paternaliste du Gouvernement à l’égard des partenaires calédoniens, ainsi que le caractère de l’intervention de l’État dans la gestion du dossier calédonien, que certains jugent colonialiste.

Seule la conclusion d’un accord global peut assurer et garantir la continuité des deux accords de paix conclus entre partenaires calédoniens.

Je salue le travail du rapporteur et de la commission des lois, qui a rappelé que cet accord global devait demeurer notre boussole politique : il représente la seule solution susceptible d’assurer la continuité du vivre-ensemble. Il offre, s’il en était besoin, une perspective salvatrice : celle du respect de la parole donnée de la République à l’ensemble des habitants de Nouvelle-Calédonie.

Parce que nous savons concilier nos valeurs républicaines et les revendications des indépendantistes kanaks, certains membres de mon groupe voteront les amendements qui concourent à cet accord global. Nous respecterons la non-participation au vote de notre collègue Robert Wienie Xowie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. André Guiol. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Olivier Bitz applaudit également.)

M. André Guiol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les accords de Matignon en 1988, puis l’accord de Nouméa en 1998, ont permis de ramener la paix sur l’île.

Aujourd’hui, nous avons l’occasion d’écrire un nouveau chapitre institutionnel et politique, à condition de ne pas renier l’esprit de consensus trouvé voilà maintenant plusieurs décennies.

Ces accords ont ouvert la possibilité de ne faire voter, pour certaines élections, que ceux qui pouvaient justifier d’une résidence continue pendant au moins dix ans avant 1998. En d’autres termes, ces accords ont restreint l’accès au suffrage d’une partie des Calédoniens pour préserver la paix.

Une restriction unique du droit français, constitutionnalisée par les « dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie » du titre XIII de la Constitution. Les circonstances de l’époque avaient prouvé qu’il était acceptable de ne « donner la parole » qu’à une partie de la population présente sur l’île depuis plus longtemps.

Le texte que nous examinons prévoit le dégel d’une partie du corps électoral à défaut d’un accord trouvé avant le 1er juillet 2024. Cette situation permettra à 25 000 Calédoniens de participer aux prochains scrutins locaux dès le mois de décembre prochain.

Comme l’a rappelé le rapporteur, après la période du 1er juillet 2024, les citoyens installés continuellement sur l’archipel depuis 2014 pourront voter aux prochaines élections locales.

Les membres du groupe RDSE saluent l’équilibre démocratique visé, mais aussi expriment leurs vives inquiétudes à l’égard de la préservation des acquis politiques depuis les accords de Matignon et l’accord de Nouméa. Nous le savons, l’inscription d’une partie des citoyens sur une liste spéciale revient à reconnaître l’existence d’une citoyenneté néo-calédonienne.

Au moment des accords de Nouméa, ce principe représentait la pierre angulaire des accords entre loyalistes et indépendantistes. Il s’agissait de reconnaître la spécificité de ce territoire, son histoire et la représentativité de son peuple premier. C’est d’ailleurs une exigence des Nations unies.

D’un côté, les indépendantistes accueillaient les Européens avec un « statut de résident ». De l’autre, les loyalistes acceptaient que seuls les résidents installés depuis bien plus longtemps accèdent à certains scrutins. Aussi ne faudrait-il pas que ce dégel apparaisse, aux yeux des indépendantistes, comme une victoire des loyalistes. Une telle situation pourrait replonger l’archipel dans un long cycle de violence.

Outre ces considérations politiques, il ne faut pas s’habituer à ce que de telles entorses démocratiques perdurent.

En 2005, la Cour européenne des droits de l’homme a toléré le gel d’une partie du corps électoral de Nouvelle-Calédonie, parce que celui-ci était transitoire et tourné vers l’objectif de l’autodétermination. Ce processus est-il aujourd’hui en passe d’aboutir ?

Nous craignons que la situation de statu quo en vigueur depuis l’accord de Nouméa ne soit fortement compromise, si des garanties juridiques et politiques ne sont pas prévues.

Au-delà du contexte, nous sommes attachés à ce qu’un dialogue impartial, loyal et intransigeant demeure entre toutes les parties.

Par ailleurs, l’avenir de l’archipel ne doit pas se faire sans la mise en place d’une coopération renforcée avec le Caillou dans les secteurs économique, énergétique et social. Il ne doit pas non plus s’opérer au détriment de la stabilité régionale.

L’autodétermination est une très grande inconnue dans l’équation géopolitique de l’Indo-Pacifique, dont je rappelle que le plus gros problème est la politique impérialiste du gouvernement chinois. (M. le ministre acquiesce.)

Pour toutes ces raisons, nous attendons beaucoup du débat qui s’offre à nous. Pour le moment, ce que nous souhaitons par-dessus tout, je le répète, c’est l’assurance de garanties permettant de préserver l’archipel d’une nouvelle crise. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Alain Marc applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Bitz.

M. Olivier Bitz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les défis à relever par la Nouvelle-Calédonie sont énormes.

Défi économique, tout d’abord, avec une crise grave du secteur du nickel, qui emploie plus de 20 % des actifs du territoire. À cet égard, signalons que le nouveau report de la signature du pacte sur le nickel n’est évidemment pas un bon signal.

Défi social, ensuite, avec des inégalités encore plus marquées qu’en métropole. Ainsi, plus de 50 000 habitants sur 270 000 vivent sous le seuil de pauvreté et la population est confrontée à la cherté des prix.

Défi financier, également, avec une crise majeure des finances publiques et sociales du territoire, laquelle n’attire manifestement pas beaucoup l’attention des observateurs, du moins pas encore.

Défi politique, enfin, avec la nécessité de définir, après presque quarante ans de paix civile, les voies et moyens permettant d’aboutir à la définition d’un destin commun, partagé par tous les Calédoniens.

Le retard pris dans la définition de ce destin commun touche directement les autres sujets – économique, social, financier –, d’autant qu’il prolonge une période d’incertitude inhérente à la tenue des trois consultations prévues par l’accord de Nouméa.

Bien évidemment, la vie démocratique doit se poursuivre pendant cette transition et les élections provinciales doivent se tenir dans les meilleures conditions possible. C’est le sens du report de quelques mois de la consultation électorale provinciale, qui est déjà adopté.

Il s’agit aujourd’hui de permettre que ces élections se tiennent régulièrement par le dégel du corps électoral. Cela suppose d’intégrer dans le corps électoral élisant les conseillers des provinces des citoyens nés ou arrivés en Nouvelle-Calédonie après 1998.

Je tiens à souligner l’excellent travail réalisé par le rapporteur, M. Philippe Bas, ainsi que l’esprit dans lequel se sont déroulés les échanges sur ce texte au sein de la commission des lois.

Nous savons que l’évolution prévue par ce projet de loi constitutionnelle est absolument indispensable au regard du principe de l’égalité du suffrage. Bloquer encore l’évolution du corps électoral poserait non seulement un problème démocratique, mais aussi, et surtout, une difficulté juridique.

En effet, les élections se font bien évidemment sous le contrôle du juge. Le Conseil d’État a d’ailleurs envoyé un message très clair en indiquant qu’une consultation électorale qui se tiendrait sur la base d’une liste électorale arrêtée en 1998 serait frappée d’irrégularité, en raison non seulement d’engagements internationaux, mais aussi de la Constitution. Le dégel du corps électoral est donc aujourd’hui non pas une option politique, mais une nécessité juridique.

M. Philippe Bas, rapporteur. Exactement !

M. Olivier Bitz. Nous regrettons que les parties calédoniennes n’aient pas réussi pour l’instant à se mettre d’accord sur les conditions de ce nécessaire dégel, même si nous comprenons que ce point fasse partie des éléments constitutifs de la nationalité calédonienne,…

M. Philippe Bas, rapporteur. Très bien !

M. Olivier Bitz. … sujet par nature sensible, qui peut difficilement ne pas figurer dans un accord global.

Puisqu’il nous faut bien avancer pour garantir la régularité juridique des prochaines élections provinciales, le Gouvernement nous propose de retenir une durée de résidence minimum de dix ans en Nouvelle-Calédonie pour les nouveaux électeurs et, ainsi, un corps électoral glissant, et non plus gelé.

Cette proposition nous paraît raisonnable en ce qu’elle permet de s’assurer d’un lien suffisamment fort et constant entre le nouvel électeur et la Nouvelle-Calédonie. Elle ne remet donc en cause ni l’existence d’une spécificité propre au territoire calédonien en matière électorale, avec l’existence d’un corps restreint, ni même le principe d’une citoyenneté calédonienne.

Cette proposition ne semble pas susciter d’opposition marquée du côté des loyalistes comme du côté des indépendantistes. À notre sens, elle n’est pas de nature à compromettre la conclusion d’un accord global sur l’avenir politique et institutionnel.

Cependant, afin de ne pas préempter les conclusions de cet accord qui doit intervenir entre les parties calédoniennes, l’État doit selon nous intervenir le moins possible de manière unilatérale.

Nous avons ainsi bien conscience que l’adoption de ce texte constitue une exception dans le mode d’action de l’État, que seules l’urgence et la contrainte juridique impérieuse liée à la régularité des élections à venir viennent justifier et sous la réserve qu’un accord n’ait pas été conclu avant le 1er juillet prochain. L’État doit en effet demeurer un acteur actif et impartial, pour que les Calédoniens puissent déterminer ensemble leur destin commun. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Corinne Narassiguin. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis l’accord de Nouméa en 1998 que l’on doit à Lionel Jospin, seuls peuvent voter aux élections provinciales et du congrès les personnes et leurs descendants qui remplissaient les conditions pour voter au référendum approuvant cet accord.

Pourquoi une telle restriction a-t-elle été décidée à l’époque ? L’accord de Nouméa prévoyait la reconnaissance d’une citoyenneté calédonienne au sein de la citoyenneté française. Cela correspondait au point d’équilibre des aspirations des Néo-Calédoniens sur leur personnalité : l’identité kanake, la citoyenneté calédonienne, la nationalité française. Cette citoyenneté comporte deux traductions dans l’accord de Nouméa : les limitations apportées au corps électoral et les mesures pour préserver l’emploi local.

C’est en 2007 que ce corps électoral restreint a été gelé par une révision constitutionnelle décidée par le Président de la République Jacques Chirac. Le corps électoral restreint était un engagement pris dès les accords de Matignon ; nous pouvons d’ailleurs dire aujourd’hui que c’était la condition sine qua non d’une décolonisation réussie.

Aujourd’hui, le gel du corps électoral exclut du suffrage des natifs de Nouvelle-Calédonie, y compris des Kanaks, mais aussi des personnes installées depuis de nombreuses années. Aussi, il nous paraît légitime de modifier la composition du corps électoral, mais pas n’importe comment.

En 1984, un statut de la Nouvelle-Calédonie est adopté sans tenir compte des revendications des indépendantistes sur le corps électoral. Ce sera l’un des éléments déclencheurs du boycott actif des élections territoriales de novembre 1984, puis des « événements » qui lui succèdent. En 1988, l’élément déclencheur d’Ouvéa est le maintien des élections au congrès du territoire le même jour que l’élection présidentielle ; Bernard Pons, alors ministre des départements et territoires d’outre-mer, et le gouvernement de l’époque décident de passer en force.

Aujourd’hui, quarante après, on retrouve conjugués les deux éléments déclencheurs de 1984 et 1988 : le corps électoral et le calendrier. Cette situation est aggravée par un autre facteur, la volonté du Gouvernement de passer en force, qui met une pression insupportable sur les représentants politiques locaux.

Monsieur le ministre, après sept visites en Nouvelle-Calédonie, avez-vous appris à écouter, au lieu de toujours parler et faire la leçon ? Souhaitez-vous vous mettre dans les pas de Michel Rocard ou dans ceux de Bernard Pons ?