M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Francis Szpiner, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous ne parlons pas de quelque chose d’anodin. Le nombre de morts sur les routes – 3 267 en 2022 – montre qu’il s’agit d’un sujet grave.

Depuis des années, un certain nombre de familles de victimes sont choquées que celui qui a pris délibérément le volant, sous l’emprise de la drogue ou de l’alcool, ou qui conduit à grande vitesse, sachant que ce sont là les principales causes des accidents mortels, soit considéré comme étant à l’origine d’un homicide involontaire. Il leur est insupportable que de tels accidents soient envisagés comme étant dus à la fatalité.

Vous l’avez rappelé, monsieur le garde des sceaux, le comité interministériel a souhaité en juillet 2023 que, sur le plan législatif, soit retenue la qualification d’homicide routier, destinée à « renforcer la valeur symbolique de l’infraction d’homicide dit involontaire commis à l’occasion de la conduite d’un véhicule terrestre à moteur et permettre une meilleure acceptation sociale d’une telle qualification ».

Je ne conteste pas que la loi puisse avoir une portée symbolique. Le symbole n’est pas rien dans une société : c’est un marqueur, c’est le signe de l’importance que nous attachons aux choses. Les mots traduisent effectivement une attente, une colère sociale, qui est légitime.

La proposition de loi qui a été adoptée par l’Assemblée nationale était de bon augure. Elle correspond à ce que souhaitait le Gouvernement.

En ce qui concerne l’article 1er, j’ai été très sensible, monsieur le garde des sceaux, à vos arguments sur ma créativité, mais j’avoue que je ne les méritais pas. Car, en la matière, je n’ai fait preuve d’aucune imagination : j’ai recopié servilement ce qui figure dans le code pénal. C’est donc aux auteurs de ces articles, dont certains ont pris la plume il y a plus de vingt ans, que vous devez rendre hommage aujourd’hui, et non à moi !

L’article 1er de la proposition de loi est le plus important. Puisque nous parlons de symbole, puisque nous abordons la perception qu’ont les victimes de ce traitement judiciaire, il m’est apparu choquant que nous divisions les familles en deux catégories : celles qui auraient perdu leur enfant, leurs proches, leur famille à la suite d’un accident qui entrerait dans la catégorie « moins grave », parce qu’involontaire ; et celles qui seraient victimes d’un manquement délibéré.

Or il me semble que l’on ne peut pas séparer les victimes : toutes doivent entrer dans la catégorie des homicides routiers. Il ne saurait y avoir des victimes de première classe et des victimes de seconde classe : puisque nous sommes dans la symbolique, les personnes qui décèdent sur la route sont toutes victimes d’un homicide routier.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je ne suis pas d’accord !

M. Francis Szpiner, rapporteur. Les auteurs de la proposition de loi ont voulu mettre en avant le caractère délibéré des comportements qui ont permis ce drame.

Certaines circonstances, vous l’avez rappelé, monsieur le garde des sceaux, ont été ajoutées à la liste des cas figurant déjà dans le code pénal. La commission des lois a souscrit aux évolutions proposées – je pense à l’abaissement de la vitesse de 50 à 30 kilomètres par heure. Mais nous avons souhaité aller plus loin.

La mise en danger de la personne d’autrui n’est pas une invention. Indépendamment de tout dommage, elle a été prise en compte au sein de l’article 121-3 du code pénal dès 1994. En 1996, le manquement aux obligations de sécurité constituait déjà une infraction. En 2000, le manquement délibéré à une obligation de prudence et de sécurité a même été considéré comme susceptible de constituer un délit, voire un crime.

Dès lors, la commission a voulu inscrire dans le code pénal deux notions qui marquent l’aboutissement de la prise en compte des manquements de l’auteur de l’infraction non intentionnelle : les atteintes à la vie par mise en danger ; et les atteintes à l’intégrité physique ou psychique des personnes mises en danger.

Ces infractions font apparaître le manquement délibéré à l’obligation de prudence comme une catégorie particulière d’homicide ou d’atteinte à la personne. Elles demeurent néanmoins non intentionnelles et délictuelles, ce qui nous amène au problème des peines.

Contrairement à ce que vous pensez, monsieur le garde des sceaux, je n’ai pas la nostalgie de la période que vous avez évoquée. Je ne suis pas animé par une croyance métaphysique en la peine plancher. J’essaie simplement de faire en sorte que la loi ait un sens.

En effet, après que l’homicide routier a été reconnu, que se passe-t-il concrètement pour le délinquant ?

M. Francis Szpiner, rapporteur. Eh bien, il ne se passe rien : les peines sont exactement les mêmes !

Certes, vous prévoyez de saisir la voiture. Mais quid si l’auteur de l’infraction n’est pas le propriétaire du véhicule et que ce dernier n’était pas au courant ? Je vous souhaite bonne chance devant le Conseil constitutionnel, car il s’agit d’une atteinte au droit de propriété. Quoi qu’il en soit, rien n’est changé au niveau des peines. Il existait donc plusieurs hypothèses.

Premièrement, ces manquements délibérés, cette volonté de prendre le volant sachant que l’on peut tuer, ne pourraient-ils entrer dans la catégorie criminelle ? Après tout, la notion de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner existe bien dans le code pénal. Elle est passible de la cour criminelle et d’une peine de quinze ans de réclusion, voire plus en fonction de circonstances aggravantes.

Ce choix ne nous a pas paru le bon, car il soulevait le débat de l’intentionnalité. Par ailleurs, passer par les cours criminelles et les cours d’assises aurait engorgé complètement le système, et justice n’aurait pas été faite aux victimes pendant plusieurs années. Nous avons donc écarté cette solution.

Deuxièmement, nous aurions pu faire comme vous, c’est-à-dire laisser les peines en l’état et ne toucher à rien.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Il s’agit de dix ans d’emprisonnement tout de même !

M. Francis Szpiner, rapporteur. La question qui s’est posée à nous n’est pas celle, théologique, de la peine plancher. Nous nous sommes demandé comment le juge allait appréhender le fait que, désormais, ce comportement était considéré comme extrêmement grave. C’est à partir de là que le juge doit se poser la question de la détention.

Je rappelle que la moyenne des peines dans ce type d’affaires est de seize mois. La peine minimale que nous proposons oblige donc le juge à se demander si celui qui a commis cet acte affreux doit ou non aller en prison. Nous laissons la liberté de cette décision au juge ; vous avez vous-même rappelé les taux : seulement un tiers des peines planchers sont prononcées, et les chiffres sont en diminution…

Monsieur le garde des sceaux, vous nous dites que la motivation qui pèse sur le juge et le débat des parties allongeront les procès. Mais une ou deux heures de plus, qu’est-ce que cela représente par rapport aux enjeux ?

La seule question qui doit se poser à nous est la suivante : voulons-nous, oui ou non, comme de nombreuses associations le réclament, que cette question soit posée ?

J’entends déjà certains répondre que le juge, maintenant que le délit a changé de nom, comprendra bien qu’il convient à présent d’instaurer une plus grande répression. J’ai beaucoup d’estime pour la magistrature,…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Moi aussi !

M. Francis Szpiner, rapporteur. … mais je pense que le législateur fait toujours œuvre utile lorsque, de temps en temps, il trace la voie à suivre.

En ce qui concerne l’efficacité, j’ai lu évidemment la dernière étude publiée. Elle ne corrobore pas tout à fait vos propos, monsieur le garde des sceaux, puisqu’elle reconnaît tout de même que la peine plancher a un effet positif en matière de récidive.

Or, malheureusement, la délinquance routière est souvent le fait de récidivistes. Ce n’est donc pas une question politique, dans le mauvais sens du terme, ou partisane : nous souhaitons simplement offrir aux victimes la certitude que le juge se posera bien la question de l’incarcération des auteurs de ces actes, avec la possibilité pour lui de l’écarter.

Il me paraît donc logique d’inscrire ces infractions dans les parties appropriées du code pénal, avec les atteintes aux personnes, les atteintes à la vie et les blessures. J’avoue que je n’ai pas bien compris vos critiques sur cette réécriture. En quoi vous semble-t-elle si compliquée ?

Je passe rapidement sur les autres articles du texte qui ont été ajoutés par la commission des lois de l’Assemblée nationale et qui tendent à réprimer davantage la conduite sans permis.

La loi, même si elle est symbolique, n’a pas vocation à satisfaire uniquement une opinion, sans apporter de plus-value. Or c’est ce que vous proposez ici : vous changez un mot, mais la situation reste la même.

Ce texte de loi doit permettre, comme le Sénat vous le proposera au travers de nombreux amendements, un meilleur accompagnement des victimes. Une fois que le tribunal a rendu sa décision, le drame continue pour les survivants, avec son lot de peine au quotidien. Nous devons aussi faire comprendre à chacun que, même si, juridiquement, nous ne retenons pas la qualification criminelle, ce type de comportements sur la route est bien criminel.

En Afrique du Sud, on voit sur le bord des routes des panneaux où il est écrit : If you drink and drive, youre a killer, autrement dit : « Celui qui boit est un tueur. » Il est important de sensibiliser les gens. La peur du gendarme m’apparaît malheureusement nécessaire, et la sanction du juge ne me semble pas non plus totalement inutile ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Nadège Havet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous entamons l’examen concerne un sujet extrêmement grave, qui affecte chaque année des milliers de nos concitoyens. Elle traite des violences routières et vise précisément à lutter contre ce fléau.

Les chiffres sont alarmants. En 2023, pas moins de 3 402 personnes ont perdu la vie sur nos routes, et rien qu’en février 2024, quelque 224 tragédies supplémentaires sont venues s’ajouter à ce bilan déjà sinistre. La route ne se contente pas de prendre des vies, elle en brise aussi de façon irrémédiable. Il en va ainsi de celles des 232 000 blessés, dont 16 000 graves, recensés rien qu’en 2023.

Il est nécessaire de rappeler que, à ces chiffres, correspondent autant de familles déchirées et de destins brisés. Il faut aussi souligner que, aux souffrances des victimes, s’ajoutent l’effroi, la douleur et la sidération qui marquent leurs proches.

À leur peine, viennent s’ajouter l’incompréhension et le sentiment amer d’injustice quand on range ces drames sous la qualification d’homicides involontaires, alors même qu’ils sont le résultat du comportement irresponsable de conducteurs qui, délibérément, ont décidé de faire reposer sur autrui le poids de leur insouciance fautive. Il était donc urgent de répondre au sentiment des victimes et de leur famille, que l’emploi de l’adjectif « involontaire » pouvait heurter en venant leur infliger une forme de double peine.

Le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale faisait écho au combat mené par les associations de victimes. J’ai pour elles une pensée compatissante, et je tiens surtout à leur témoigner ma reconnaissance pour leur engagement.

Conformément aux recommandations du comité interministériel de la sécurité routière, l’objectif principal est de faire la distinction entre un « homicide volontaire » et un homicide qualifié de « routier », selon l’existence, ou non, de circonstances aggravantes.

Sans circonstance aggravante, c’est la qualification d’homicide involontaire et d’atteinte involontaire qui sera retenue, tandis que, en présence d’une ou de plusieurs circonstances aggravantes, ce sera celle d’homicide routier et de blessures routières.

Cette évolution sémantique répond à une attente forte et légitime. En effet, si pour les juristes la qualification d’homicide involontaire peut faire sens, elle perd toute pertinence et se révèle même insultante pour les victimes et leur famille lorsque c’est tout à fait sciemment que des conducteurs prennent le volant sous l’emprise de l’alcool ou des stupéfiants.

En plus de cette modification importante, le texte initial comportait l’ajout de circonstances aggravantes permettant de qualifier l’homicide routier ou les blessures routières. Ces deux nouvelles qualifications étaient susceptibles d’une condamnation aux mêmes peines complémentaires que pour les homicides ou atteintes involontaires. Certaines d’entre elles voyaient toutefois leur champ d’application et leur durée élargie.

Je tiens à saluer le travail des députés, plus particulièrement celui de la rapporteur, Mme Anne Brugnera, dont les travaux ont permis l’adoption de dispositions visant précisément à mieux lutter contre les comportements dangereux au volant et à renforcer la répression à l’égard des auteurs d’infractions routières.

Ainsi, les excès de vitesse de 50 kilomètres par heure et plus sont constitutifs de délits ! les règles en matière de récidive ont été renforcées et la suspension administrative du permis de conduire devient systématique à l’encontre d’un conducteur sous l’emprise de stupéfiants ou d’alcool.

Si la commission des lois au Sénat souscrit à la volonté de créer un homicide routier, elle a toutefois souhaité aller au-delà du dispositif initial proposé par l’Assemblée nationale.

Sur l’initiative de son rapporteur, notre collègue Francis Szpiner, dont je salue le travail, elle a fait le choix de systématiser la nouvelle qualification d’homicide routier à tous les homicides ou blessures commis à l’occasion de la conduite d’un véhicule, que le conducteur ait eu un comportement à risque ou non. Cette rédaction de l’article 1er conduit à faire disparaître les infractions « involontaires » pour les accidents de la route, même en cas de simple maladresse ou d’imprudence.

Or le groupe RDPI estime que c’est justement cette distinction entre l’homicide involontaire et l’homicide routier qui fait la pertinence de ce texte, car elle met efficacement la lumière sur les situations où le conducteur a délibérément aggravé le risque d’accident. Nous soutiendrons donc en séance un amendement dont les dispositions vont dans le sens du rétablissement de la rédaction initiale.

Autre modification apportée en commission au Sénat, l’instauration d’une peine plancher pour les homicides routiers par mise en danger. Ici encore, nous comprenons la volonté de renforcer la lutte contre les violences routières et de mieux sanctionner les comportements fautifs et à risque.

Toutefois, nous craignons que, par cette mesure, nous n’ouvrions un débat autour du sujet sensible des peines planchers, débat qui serait, in fine, préjudiciable à l’adoption effective du texte. Nous n’imaginons pas une seconde que cela puisse être le souhait de M. le rapporteur, tant le sujet des violences routières et la lutte contre ce fléau sont des questions qui nous rassemblent tous bien au-delà de nos appartenances politiques.

Sur le fond, s’il est vrai que le juge, en l’espèce, garde une marge de manœuvre, puisqu’il conserve la faculté de déroger au prononcé d’une peine plancher, il ne peut le faire qu’à condition de motiver spécialement sa décision. Cette mesure risque ainsi de compliquer et de freiner l’action du juge dans un domaine où il convient, au contraire, que celui-ci jouisse d’une certaine souplesse. Le groupe RDPI défendra donc un amendement visant à revenir sur ces peines.

En conclusion, nous notons que l’objectif de ce texte fait largement consensus dans les rangs de notre assemblée et que nous avons tous à cœur de mieux lutter contre les violences routières. Nous craignons toutefois que le mieux puisse être l’ennemi du bien. Aussi nous inscrivons-nous en faux par rapport à certaines positions de la commission, qui risquent de compliquer le parcours législatif du texte.

Nous en appelons à la responsabilité de chacun, pour que, dans le respect et l’intérêt supérieur des victimes et de leur famille, nous trouvions les voies du compromis nécessaire à l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Maryse Carrère applaudit également.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous connaissons l’importance du débat, nous connaissons les drames, nous savons que, en 2023, 3 400 personnes sont décédées dans un accident de voiture, de moto ou de mobylette. Tout ce qui peut être fait pour lutter contre ces drames doit être fait.

Un quart de ces accidents sont causés par l’excès de vitesse, un quart par l’état d’ivresse ou l’usage de stupéfiants et un troisième quart par la fatigue ; le dernier quart est lié à des motifs divers. In fine, environ la moitié des accidents mortels s’expliquent donc par des comportements absolument inacceptables.

Cette proposition de loi transpartisane présentée à l’Assemblée nationale a pour objectif de résoudre la difficulté de la qualification d’homicide involontaire. C’est le principe de base de ce texte : il s’agit de considérer qu’il y a bien eu une intention ou un comportement coupable – c’est cela d’ailleurs qui rend insupportable le qualificatif d’involontaire –, puisque le conducteur a estimé qu’il était en mesure de prendre le volant.

Le caractère insupportable de cette dénomination nous conduit peut-être à nous focaliser excessivement sur la qualification juridique, mais la douleur est bien réelle pour les familles qui ont perdu un proche. C’est le cas de la famille du jeune Antoine Alléno, tué par un chauffard sous l’emprise de l’alcool. C’est le cas aussi dans l’affaire Palmade : personne ne comprend très bien qu’il s’agisse d’un homicide involontaire, dans la mesure où certains protagonistes avaient bel et bien consommé des substances psychoactives.

Notre démarche doit être à la fois efficace et symbolique. Certes, nous ne sommes pas là pour créer des symboles ; notre rôle est d’écrire la loi. Mais le symbole aussi a son importance. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que nous légiférerions dans un tel contexte…

Le symbole consiste à décider de qualifier désormais tout accident mortel comme étant un homicide routier, dès lors que la personne n’était incontestablement pas en situation de conduire son véhicule.

C’est là que réside l’écart avec la proposition de M. le rapporteur, qui prévoit de qualifier d’homicide routier l’intégralité des accidents mortels, dès lors qu’ils sont commis à l’occasion de la conduite d’un véhicule terrestre à moteur, et cela quel que soit le comportement du conducteur lui-même. Une telle différence d’appréciation n’est pas neutre.

C’est ainsi qu’une sorte de confusion juridique s’installe entre les homicides que l’on pourrait qualifier de réellement involontaires et ceux qui sont aujourd’hui qualifiés ainsi parce que la personne n’avait pas l’intention de donner la mort, alors même que son comportement au volant montre à l’évidence qu’elle n’était pas en état de conduire normalement. C’est à ces derniers cas de figure qu’il faut, selon nous, réserver le qualificatif d’homicide routier.

À défaut, monsieur le rapporteur, nous irions à contresens de l’objectif initial du texte, qui est bien de stigmatiser et de punir de manière plus forte ceux qui ont conduit dans un état ne le permettant pas. Vous introduisez une confusion juridique en créant une troisième sorte d’infraction : il y aurait les homicides involontaires, les homicides volontaires et les homicides routiers. On voit bien la difficulté…

M. le garde des sceaux a qualifié de créativité l’inventivité du rapporteur, parce qu’il a voulu se montrer généreux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est vrai !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous défendrons, pour notre part, un amendement visant à présenter les choses plus simplement.

Nous proposerons que l’homicide, qui n’est plus qualifié de volontaire ou d’involontaire, soit considéré avec une circonstance aggravante – ivresse, consommation de stupéfiants, etc. – comme un homicide routier. Avec deux circonstances aggravantes, le quantum de peine sera plus important. Il ne saurait donc y avoir une seule dénomination pour toutes sortes d’homicides, y compris ceux qui sont réellement involontaires.

Comme l’occasion était belle, M. le rapporteur a souhaité, par un amendement distinct, visant à témoigner tout de même de sa prudence législative, réintroduire les peines planchers. Je ne rouvrirai pas ici le débat sur ces peines ; le garde des sceaux en a expliqué les limites.

Quoi qu’il en soit, les introduire dans ce texte est une curiosité. En effet, indépendamment de ce que l’on en pense – pour ma part, je n’y suis pas favorable –, ces peines n’existeraient que pour une seule infraction : celle-ci. Or il s’agit bien d’un délit.

Pourquoi les prévoir pour ce seul cas de figure et non pour des crimes ou d’autres délits parfois plus graves ? Il y a là une incohérence juridique totale, d’autant que vous englobez également les homicides involontaires réellement involontaires. Nous souhaitions donc la suppression de cet article, ce qui a finalement été décidé ce matin en commission.

Au total, plusieurs dispositions intéressantes ont été proposées concernant les victimes. En effet, on a parlé de la qualification, mais on a moins parlé des victimes. Ces propositions n’ont pas toutes été retenues par la commission, mais nous devrions nous pencher sur certaines d’entre elles.

Elles alourdissent peut-être la procédure, mais le rapporteur n’étant pas freiné par cet inconvénient, il devrait considérer d’un œil favorable la meilleure information des parties civiles sur le déroulé des procédures, car celles-ci s’en plaignent souvent, allant même jusqu’à penser qu’il ne se passe rien et que la justice ne s’occupe pas d’elles ! Nous y reviendrons.

Alors que nous partageons totalement l’objectif de ce texte, nous souhaitons, par ces deux amendements, avoir une appréciation plus précise et plus fine de l’ensemble de l’organisation juridique. Nous espérons que, dans le débat qui va s’ouvrir, vous entendrez nos propositions, mes chers collègues.

Nous aviserons ensuite concernant notre vote, que je ne précise pas pour ne pas amoindrir par avance le suspense… (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Alexandra Borchio Fontimp. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la double peine : voilà ce que ressentent les familles endeuillées lorsque le chauffard qui a mortellement percuté un être qui leur est cher n’effectue aucun jour d’enfermement.

Ce n’est pas un cas exceptionnel. C’est plutôt courant, et cela même quand le meurtrier a 2 grammes d’alcool dans le sang.

C’est l’histoire qu’a vécue Guillaume, 21 ans, mortellement fauché, en 2017, à Amiens. Une triste réalité à laquelle ont été confrontés mes collègues sénateurs de la Somme, Laurent Somon et Stéphane Demilly, avec lesquels j’avais déposé une proposition de loi, afin que plus aucune famille n’ait à subir cette humiliation, celle de voir celui qui a tué leur proche n’être jamais privé d’un seul jour de liberté.

Je pourrais m’arrêter là, car je suis convaincue que personne, dans cette assemblée, ne peut cautionner cet état de fait. Avant d’être législateurs, nous sommes parents, enfants, frères et sœurs. En nous mettant à la place de ces familles, nous imaginons la douleur profonde, la colère légitime et l’indignation générale qu’elles éprouvent chaque jour.

Avec mes collègues Laurent Somon et Stéphane Demilly, nous avions donc déposé une proposition de loi en octobre 2022, bien avant l’affaire médiatique d’un célèbre humoriste français, qui a poussé le Gouvernement à réellement traiter la question des violences routières. Nos travaux visaient à améliorer l’effectivité des peines.

Un homicide involontaire commis par un conducteur avec une circonstance aggravante est puni par une peine allant jusqu’à sept ans d’emprisonnement, mais le chauffard qui a tué Guillaume a passé un total de zéro jour en prison !

Des victimes comme Guillaume, il y en a partout en France. À Antibes, dans mon département des Alpes-Maritimes, les parents de Noé pleurent chaque jour la disparition de leur fils qui, mortellement fauché à l’âge de 17 ans par un chauffard ivre et sous l’empire de stupéfiants ; un chauffard qui a récidivé, d’ailleurs, puisqu’en septembre dernier il a été contrôlé au volant d’une voiture alors qu’il n’avait plus le droit de conduire, et ce, encore une fois, sous l’empire de drogues ! Et pourtant, il est aujourd’hui libre. Et c’est libre, probablement, qu’il comparaîtra à son procès dans quelques mois.

Cette personne a pris volontairement le volant, alors qu’elle était sous l’empire de l’alcool et de stupéfiants. Elle savait qu’elle pouvait blesser ou tuer, mais elle n’en avait que faire. Pourquoi ? Sûrement parce qu’elle savait qu’elle ne risquait, en fin de compte, pas grand-chose !

C’est cela, la double peine pour les familles victimes d’un homicide routier.

Nous sommes donc réunis pour dire : « Plus jamais ! » Surtout, nous devons nous assurer que la même impunité ne se reproduise plus.

Ce texte est ainsi l’occasion de mettre fin au mépris de ces délinquants routiers qui passent entre les mailles d’un filet juridique fragile et totalement inadapté à la réalité de ces drames.

L’expression d’« homicide involontaire » est insupportable. C’est pourquoi je soutiens pleinement la création d’un délit d’« homicide routier », votée à l’Assemblée nationale. Ce changement sémantique est un premier pas attendu par les familles des victimes.

Toutefois, à mon grand regret, le texte initial ne comportait rien sur l’effectivité des peines prononcées.

En 2022, sur 192 personnes condamnées pour homicide routier sous l’empire d’alcool ou de stupéfiants, seules 7 ont été placées en détention à la suite de l’audience. Ce sont les chiffres du ministère de la justice.

Le cœur de notre réponse, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce doit être une plus grande fermeté dans l’application des peines et une meilleure prise en charge des victimes.

Comment est-il encore possible que les victimes ne soient pas tenues au courant de la date de l’audience, ce qui leur permettrait de décider si elles prendront la parole pendant les débats ? Comment expliquer que les parties civiles ne sont pas informées des modalités d’exécution de la peine ?

En remédiant à ces manquements, on prendrait des mesures de bon sens, qui auraient pour vertu d’accroître le sentiment de justice en témoignant d’une plus grande fermeté envers les auteurs et d’une plus grande considération à l’égard des victimes. On peut imaginer qu’il ne s’agit souvent que de mieux appliquer des mesures existantes.

Aussi utile que perfectible, ce texte a fait l’objet d’un travail rigoureux plus encore que créatif en commission des lois. Je félicite notre rapporteur, Francis Szpiner, qui a eu le courage de proposer des réponses à des sujets presque tabous.

Dans notre proposition de loi, Laurent Somon, Stéphane Demilly et moi-même souhaitions que soient limités les aménagements de peine pour l’auteur d’un homicide routier définitivement condamné, le juge ne pouvant y déroger que sous certaines conditions.

À ce titre, je soutiens le dispositif, introduit dans le texte par le rapporteur, visant à fixer une peine minimale à laquelle les magistrats pourront déroger par motivation spéciale. C’est une mesure forte, attendue par de nombreuses familles de victimes.

Ensuite, parce que la répression n’aurait aucun sens sans une véritable politique de prévention et de sensibilisation, je présenterai des amendements visant à mieux prévenir les violences routières et à renforcer l’accompagnement des parties civiles.

Cette proposition de loi est indéniablement une nouvelle pierre apportée à la construction d’un cadre juridique réellement protecteur et pleinement réaliste.

Des avancées sont attendues. Il nous faut donc, ensemble, parfaire ce texte et nous montrer à la hauteur. Pour Noé, pour Antoine, pour Guillaume, pour leurs familles et pour toutes les victimes de comportements intolérables et d’actes meurtriers sur les routes, les sénateurs du groupe Les Républicains répondront présents. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)