M. le président. La parole est à Mme Corinne Bourcier.

Mme Corinne Bourcier. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la voiture est essentielle à la mobilité de nos concitoyens dans bon nombre de nos territoires, mais on doit pouvoir se déplacer sans risquer sa vie. Chaque année, 3 000 Français meurent sur la route. C’est inacceptable !

Les causes des accidents sont multiples : la fatigue, de mauvaises conditions météorologiques, ou encore une faible visibilité. L’État réalise de nombreux contrôles pour assurer la sécurité des automobilistes.

Certaines causes, évitables, sont particulièrement intolérables. La consommation d’alcool, de drogues, l’usage du téléphone ou encore les excès de vitesse sont autant de mises en danger condamnables. S’agissant de l’utilisation du téléphone portable, la voiture ne doit pas devenir un bureau ambulant.

Malgré les contrôles, malgré les radars automatiques, malgré les actions de prévention, certains de nos concitoyens continuent d’adopter des comportements dangereux, qui ont trop souvent des conséquences tragiques.

Les auteurs de la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui jugent nécessaire de renforcer l’approche répressive de notre arsenal juridique.

Au-delà de l’alourdissement des sanctions, le texte vise à distinguer de l’homicide involontaire celui qui est commis sur la route dans des circonstances d’imprudence d’une particulière gravité.

Il est en effet incompréhensible, pour les familles de victimes, d’entendre parler d’homicide involontaire lorsque celui qui a tué avait pris le volant en étant ivre ou drogué.

En commission, le rapporteur a constaté que les circonstances particulièrement graves dans lesquelles l’homicide est commis ne permettent pas d’alourdir encore les peines encourues, sauf à faire de cette infraction un crime.

Notre rapporteur a ensuite introduit des peines planchers d’emprisonnement pour le délit d’homicide routier.

Nous comprenons bien entendu sa démarche, la peine d’emprisonnement punissant ce délit ayant déjà été portée au maximum de ce que permet notre droit.

Sans être particulièrement partisans des peines planchers, nous n’y sommes pas opposés. Il ne nous semble cependant pas opportun de réintroduire dans notre droit ce dispositif à l’occasion de cette proposition de loi.

Le texte vise en outre à renforcer la répression d’une multitude de délits routiers. Il élargit la notion de récidive afin de sanctionner plus sévèrement les auteurs réguliers d’infractions routières.

Les excès de vitesse figurent parmi les infractions les plus fréquentes. Ils sont responsables de plus d’un quart des morts sur les routes.

Il est envisagé, dans cette proposition de loi, de punir les excès de vitesse supérieurs à 50 kilomètres par heure non plus comme des contraventions, mais comme des délits. Notre groupe ne peut que soutenir cette disposition.

Nous soutenons également le renforcement des sanctions encourues par les automobilistes qui prennent le volant en état d’ivresse ou sous l’empire de stupéfiants.

L’actualité fait trop souvent état d’accidents mortels commis par des individus suffisamment irresponsables pour prendre le volant après avoir consommé de l’alcool ou des drogues, qui ensemble sont responsables de 41 % de la mortalité sur la route. Il est urgent d’y remédier.

Le texte alourdit les peines encourues pour la conduite sous l’effet de l’alcool ou de drogues. Il aggrave encore les peines encourues par ceux qui cumulent ces deux états. Nos concitoyens attendent en la matière la plus stricte fermeté.

Pour renforcer encore l’effet de ces sanctions, le texte prévoit de rendre systématiques l’immobilisation et la mise en fourrière du véhicule conduit en état d’ivresse ou sous l’empire de stupéfiants.

Nous ne devons négliger aucun moyen pour améliorer la sécurité de nos routes. La proposition de loi sur laquelle nous sommes amenés à nous prononcer contient des dispositions intéressantes, allant vers plus de fermeté.

D’autres dispositions nous paraissent plus discutables, aussi notre groupe sera-t-il particulièrement attentif aux débats.

M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Olivia Richard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il aura fallu que des personnalités publiques soient impliquées dans de graves accidents de la route pour que nous débattions de ce sujet. Cela même doit nous interroger.

En 2022, 3 550 personnes ont perdu la vie sur nos routes. Près de 25 % d’entre elles ont été tuées dans un accident impliquant un conducteur sous la double influence de l’alcool et de stupéfiants. En 2023, 232 000 personnes ont été blessées en France métropolitaine ; 16 000 d’entre elles, grièvement.

Face à ces chiffres dramatiques, nos collègues députés ont entendu répondre aux préconisations de portée législative du comité interministériel de la sécurité routière. Sa dixième recommandation était de « créer une qualification d’homicide routier » destinée à « renforcer la valeur symbolique de l’infraction d’homicide dit involontaire ». L’objectif est de « permettre une meilleure acceptation sociale d’une telle qualification ».

Comment des parents, en effet, peuvent-ils entendre que l’accident qui a causé la mort de leur enfant est involontaire, lorsque le conducteur qui l’a provoqué a pris le volant ivre ou sous l’influence de drogues, ou lorsqu’il roulait plus de 30 kilomètres par heure au-delà de la vitesse autorisée ? C’est inaudible, c’est inacceptable !

Permettez-moi de saluer les travaux antérieurs de certains de nos collègues dans le domaine plus large de la sécurité routière, que ce texte laisse sur leur faim.

Il est de notre responsabilité de nous assurer que notre droit est le plus efficace possible pour décourager les comportements irresponsables qui arrachent à son père un fils de 24 ans ou qui tuent un fœtus dans le ventre de sa mère.

Aujourd’hui, l’homicide involontaire et les atteintes involontaires à l’intégrité de la personne sont les seules qualifications inscrites dans notre code pénal pour de tels faits. Les peines qui les punissent varient en fonction de l’existence de circonstances aggravantes.

Or les deux tiers des atteintes involontaires et plus de la moitié des homicides involontaires sont commis avec une ou plusieurs circonstances aggravantes.

Nous devons reconnaître le caractère délibéré des violences routières. Celui qui boit sait qu’il boit. Celui qui se drogue sait qu’il se drogue. Celui qui roule trop vite sait qu’il roule trop vite.

C’est pourquoi je salue la création des infractions d’homicide routier et de blessures routières.

Si l’objet de ce texte n’est pas de dénaturer le caractère involontaire de ces infractions au sens juridique du terme, nous devons tenir compte de la réalité : il est insupportable pour les victimes de devoir accepter de façon inconditionnelle l’adjectif « involontaire ».

Le texte reprend donc la distinction entre l’homicide routier et les blessures routières ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure ou inférieure à trois mois.

Par ce texte, nous consacrons l’inscription dans le code pénal de la « violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ».

La différence de nature entre un homicide involontaire et un homicide routier découlera de plusieurs circonstances aggravantes, telles que l’état d’ivresse, la conduite sans permis ou encore le dépassement de vitesse égal ou supérieur à 30 kilomètres par heure, contre 50 kilomètres par heure auparavant.

Parmi les nouvelles circonstances aggravantes figurait, dans le texte transmis par l’Assemblée nationale, la consommation de substances psychoactives. Je salue l’initiative de notre rapporteur, Francis Szpiner, qui a voulu la supprimer. En effet, comme l’indique le Conseil d’État dans son avis, un conducteur peut ne pas être conscient du risque qu’entraîne la consommation d’un produit psychoactif. Pour rappel, le tabac est considéré comme une substance psychoactive, au même titre qu’un grand nombre de médicaments utilisés au quotidien.

Par ailleurs, nous nous félicitons de l’assimilation de la récidive de plusieurs infractions à un état alcoolique ou à l’usage de stupéfiants. Celui qui, malgré les restrictions apportées à son droit de conduire, prend le volant régulièrement et défie ainsi l’autorité de l’État doit être puni. Indéniablement, il met les autres en danger. Les accidents de la route ne se produisent pas : ils sont causés.

Nous saluons donc l’alourdissement des sanctions qui pourront être prises à l’égard des personnes conduisant sous l’empire de stupéfiants ou de l’alcool. Parallèlement, par souci de cohérence, leur permis sera automatiquement suspendu.

Reste la question posée par l’article 1er ter A, introduit en commission, qui crée une peine minimale obligatoire de deux ans de prison dans les cas d’homicide routier par mise en danger. Autrement dit, il s’agit de réintroduire dans notre droit les peines planchers.

Si le groupe Union Centriste n’a pas déposé d’amendement sur cet article, ses membres sont tout de même très réticents à l’idée de réintroduire cette notion dans notre droit pénal à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi.

Sur le fond, ils ne sont convaincus ni de la nécessité d’un tel dispositif ni de son efficacité. Sur la forme, cette initiative ne leur paraît pas plus opportune.

Ce texte, depuis son origine, est le fruit d’une démarche transpartisane. Dans la période actuelle, c’est suffisamment rare pour être salué. La réintroduction d’un marqueur politique comme les peines planchers serait de nature à mettre en péril l’aboutissement de la navette parlementaire dans un délai raisonnable. En effet, la procédure accélérée n’a pas été engagée sur ce texte. Il est pourtant très attendu.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous soutiendrons les amendements visant à supprimer l’article 1er ter A, mais nous voterons naturellement pour l’ensemble de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Laurent Somon applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guy Benarroche. « Certains usagers, par les risques qu’ils acceptent de faire courir, par l’insouciance que traduit leur attitude sur la route, se conduisent en véritables “asociaux”.

« J’ai rappelé l’an dernier aux parquets, par circulaires, l’impérieuse obligation de requérir afin que soient réprimées énergiquement et rapidement les infractions les plus graves, telles que la conduite sous l’emprise d’un état alcoolique, la violation des signaux d’arrêt impératif ou l’excès de vitesse manifeste. Cette politique judiciaire sera poursuivie avec fermeté. »

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, tels étaient les mots qu’en avril 1985 Robert Badinter, dont nous saluons tous ici le parcours politique et la finesse de l’analyse juridique, employait pour évoquer les irresponsables au volant, qui tuent et blessent sur nos routes.

Pour réprimer ces faits inacceptables, il n’a pourtant nullement éprouvé le besoin de revenir sur la distinction établie, pour les blessures infligées ou la mort provoquée, entre actes volontaires et involontaires.

Nous entendons et comprenons la demande des familles meurtries. Pour autant, aussi légitime que soit leur douleur dans le processus judiciaire, lorsque l’homicide qui les touche est qualifié d’involontaire, il nous faut, comme toujours, légiférer avec le recul nécessaire pour garantir un ordre juridique consistant.

Jusqu’à récemment, notre législation distinguait entre atteintes volontaires et involontaires. Cette distinction reposait sur l’un des éléments constitutifs du délit, à savoir l’intentionnalité.

Les travaux qui ont précédé notre examen de cette proposition de loi l’expriment sans équivoque : il s’agit de faire apparaître les conséquences de l’acte plus que l’intention de l’auteur. C’est un réel changement de paradigme dans la qualification d’une infraction pénale.

La création de nouvelles divisions du code pénal, après ses articles 221-6 et 222-19-2, poursuivrait le glissement récemment engagé par l’adoption de loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure. Il y aurait donc six types d’atteintes aux personnes : les atteintes volontaires, les atteintes à la vie résultant d’une intoxication volontaire, les atteintes involontaires et, si ce texte devait être adopté, les atteintes à la vie par mise en danger, les homicides routiers et les blessures routières.

Nous avions déjà regretté l’intégration dans le code pénal du principe de « folie volontaire », à savoir la consommation volontaire de substances psychoactives « de façon illicite ou manifestement excessive, […] en ayant connaissance du fait que cette consommation est susceptible de la conduire à mettre délibérément autrui en danger ».

Mais, à l’époque, le choix d’un projet de loi comme véhicule législatif avait au moins eu le mérite de permettre la présentation d’une étude d’impact. L’avis du Conseil d’État était clair : la multiplication de nouvelles incriminations autonomes représente une complexification du droit, résultant de « réponses législatives à des événements particuliers ».

Avec la rédaction actuelle, comment poursuivre une personne ayant volontairement conduit son véhicule dans l’intention préméditée de donner la mort ?

La notion de discernement est-elle un concept définitivement révolu ?

Notre compassion infinie face à des situations dramatiques ne doit pas nous aveugler dans l’écriture du droit, en particulier si cela complexifie le travail de nos juges.

Parmi les principes de droit pénal auxquels nous sommes attachés, on compte l’intentionnalité du délit, mais aussi la personnalisation de la peine.

Nous ne pouvons donc cautionner l’inscription dans ce texte de sanctions planchers ou automatiques, car c’est au juge de juger.

Nous refusons également, encore et toujours, la création d’une nouvelle amende forfaitaire ; la Défenseure des droits recommande d’ailleurs de supprimer cette sanction au regard, notamment, du risque d’arbitraire et des problèmes rencontrés dans l’exercice du droit de recours.

Outre la modification des infractions et des peines associées, ce texte s’attaque aussi à la lutte contre la violence routière, qui est d’autant plus inacceptable que chaque mort est évitable. Mais les actions concrètes de prévention routière sont les grandes absentes de ce texte.

« Mais au-delà de ces chiffres – est-il besoin de le rappeler devant la Haute Assemblée ? – il y a – ce qui est plus important encore – la souffrance des femmes et des hommes meurtris dans leur corps, la douleur et l’angoisse des proches, des époux, des parents, des enfants. […] Face à une telle situation, il faut évidemment réagir et lutter, et en premier lieu développer, on le concevra, la prévention routière. » Ces mots sont, de nouveau, ceux de Robert Badinter en 1985.

Or cette proposition de loi, où l’on ne trouve comme solution que le renforcement de l’arsenal pénal, ne couvre pas le champ des campagnes de prévention et de l’amélioration de l’éducation routière, qui restent des éléments clés dans la lutte contre la violence routière et leurs auteurs.

Nous sommes bien conscients des difficultés à satisfaire le besoin de justice et de réparation des familles de victimes, et sensibles à leur souffrance. Mais loin d’apporter des réponses à celles-ci, ou des moyens de prévenir d’autres drames, cette proposition de loi risque d’engendrer une incertitude juridique majeure qui ne servira personne.

Nous ne pouvons voter ce texte tel qu’il nous est soumis. Notre position reflétera notre compréhension de la douleur des familles et notre volonté d’apporter une solution à la fois ferme et cohérente. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani.

Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’ai d’abord une pensée pour toutes les personnes qui ont perdu un proche dans un accident de la route et pour toutes les victimes dont la vie a été détruite dans ces circonstances dramatiques.

Aucune loi ne pourra, hélas ! les ramener à la vie ou apaiser la douleur de ceux qui restent.

Nous sommes sans doute nombreux à connaître, dans notre entourage, une personne qui a perdu la vie dans un accident de la route. Et pour cause : en 2022, 3 550 personnes ont perdu la vie sur les routes en France – ces chiffres sont en hausse. Dans mon département de Meurthe-et-Moselle, il y a eu 601 accidents sur les routes en 2023, dont 32 ont été mortels.

La grande majorité de ces accidents est causée par des facteurs comportementaux, avec en tête la vitesse et la consommation d’alcool et de stupéfiants. Il est donc nécessaire d’agir.

Ces causes constituent, dans le code pénal en vigueur, des circonstances aggravantes de délits involontaires punis par des peines de prison déjà importantes : sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende pour un homicide, cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende pour une atteinte involontaire à l’intégrité de la personne avec une incapacité totale de travail (ITT) de plus de trois mois, et trois ans de prison et 45 000 euros d’amende si l’ITT de moins de trois mois.

Cette proposition de loi alourdit ces peines, qui passeraient de sept à dix ans de prison pour l’homicide routier, de cinq à sept ans pour les atteintes involontaires à l’intégrité de la personne avec une ITT de plus de trois mois et de trois à cinq ans pour les ITT inférieures à trois mois.

La proposition de loi a même été complétée en commission par l’introduction de peines planchers. Nous avons déposé un amendement visant à supprimer du texte ce mécanisme contraire au principe constitutionnel de l’individualisation des peines.

Sans étude d’impact et sans analyse complémentaire, il est difficile de s’assurer qu’un tel alourdissement des peines permettra d’atteindre l’objectif de cette proposition de loi, à savoir la facilitation de la lutte contre la violence routière.

Peut-on s’assurer qu’un chauffard limitera sa vitesse, ou qu’une personne en état d’ivresse s’abstiendra de prendre la route si ces peines sont alourdies ? Hélas, la loi ne peut raisonner un individu dangereux ou irresponsable.

Je m’étonne surtout d’une réelle carence de cette proposition de loi : elle ne contient aucune mesure de prévention. C’est pourtant la clé de voûte de la lutte contre la violence routière.

L’efficacité de la prévention et de la sécurité routière n’est plus à démontrer. Elle a permis, depuis les années 1970, de faire chuter le nombre de morts sur les routes. Alors pourquoi est-elle la grande oubliée de cette proposition de loi ?

Nous avions déposé un amendement visant à développer la prévention dès l’âge de 16 ans, lors de la Journée défense et citoyenneté (JDC). Il a été déclaré irrecevable, c’est dommage.

M. Laurent Somon. En effet !

Mme Silvana Silvani. De plus, le texte ne contient pas un mot sur la lutte contre la consommation d’alcool au volant, qui est pourtant responsable de 30 % des accidents de la route et des drames qui en découlent.

Nous avions également déposé un amendement sur ce point. Il a, lui aussi, a été déclaré irrecevable.

Il apparaît donc que la présente proposition de loi, si elle vise à lutter contre la violence routière, se cantonne pourtant à un alourdissement des sanctions, sans volet de prévention.

Malgré ces regrets, nous ne nous opposerons pas à ce texte, puisque nous souhaitons renforcer la lutte contre la violence routière.

Il sera pourtant nécessaire de prendre des mesures préventives pour protéger nos vies et celles de nos proches sur les routes, en sensibilisant chacun, dès le plus jeune âge, aux dangers de la vitesse et de la consommation d’alcool et de stupéfiants et en lançant des campagnes de prévention importantes, sur tout le territoire, afin de toucher tous les conducteurs.

Mais il nous faudra aussi nous interroger sur l’opportunité de construire et de vendre des voitures toujours plus puissantes et plus rapides alors que la vitesse, limitée en droit sur nos routes, est la première cause de mortalité routière. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Bernard Buis applaudit également.)

M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte que nous étudions affecte un grand nombre de nos concitoyens. La mort tragique d’une personne dans un accident impliquant un véhicule ne saurait plus être réduite à un fait divers.

Nous savons – les statistiques le confirment – que trois facteurs augmentent particulièrement le risque d’accident : la vitesse, l’alcool et les stupéfiants.

Ces trois éléments sont d’ores et déjà réprimés par notre droit pénal, puisqu’ils constituent des infractions en propre, mais également des circonstances aggravantes dans la caractérisation des infractions d’homicide et d’atteinte à l’intégrité physique de la personne.

Il nous est ici proposé de créer de nouvelles infractions routières pour éviter que celles-ci puissent être qualifiées d’involontaires.

Tant pour les auteurs de la proposition de loi que pour le comité interministériel de la sécurité routière, la principale mesure proposée est symbolique.

Dans son équilibre initial, cette proposition de loi ne remettait pas systématiquement en cause le caractère involontaire de l’homicide, mais soulignait la faute de l’auteur par une distinction entre infractions.

En effet, notre société ne supporte plus qu’un chauffard qui s’est lui-même placé dans une situation qui augmente dramatiquement les risques pour autrui soit condamné pour une atteinte ou un homicide dits « involontaires ».

C’est bien dans cet esprit que le texte a été adopté, à l’unanimité, par l’Assemblée nationale.

Lorsque nous créons de nouvelles qualifications pénales, nous devons nous prémunir de deux effets pernicieux. D’une part, il faut bien se garder de rendre floues les frontières établies, en l’espèce, entre l’intentionnalité et la non-intentionnalité de l’atteinte aux personnes. D’autre part, ne perdons pas de vue que la fonction première du droit pénal est de réparer les dommages causés à la société et de sanctionner les atteintes inacceptables.

Au regard de cela, le texte adopté par l’Assemblée nous semblait opérer une juste conciliation entre la nécessité de moderniser le droit pénal, notamment pour mieux répondre aux attentes des victimes, et la préservation de ses grands principes.

Cette version de la proposition de loi conservait, dans une certaine mesure, un caractère supplétif à l’infraction d’homicide routier, pour sanctionner d’abord la faute intentionnelle qui a pu conduire à l’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique. Elle répondait aux attentes des victimes, sans entrer dans une dérive.

Hélas ! le texte adopté par notre commission des lois ne donne pas le même sentiment.

Notre rapporteur, dont il faut souligner le sérieux et la qualité des travaux, a proposé d’élargir le dispositif à tous les homicides commis lors d’un accident routier, avec ou sans circonstance aggravante. Certes, nous comprenons cette démarche, mais elle risque de dénaturer le dispositif au point de lui faire manquer sa cible. Le symbole n’est plus là et ceux qui se mettent en mesure de tuer relèvent de nouveau de la même infraction que les autres.

Pour pallier cette difficulté, il est proposé de réintroduire dans notre droit des peines planchers. J’évoque ici l’article 1er ter A, issu d’un amendement de notre rapporteur.

Chacun le sait, les peines planchers vont à l’encontre de principes fondamentaux qui guident le droit pénal français. C’est notamment le principe à valeur constitutionnelle d’individualisation de la peine qui est en jeu.

Notre rapporteur, en juriste averti, a certes introduit un garde-fou constitutionnel en prévoyant d’ores et déjà qu’il serait possible de déroger à la peine plancher. Ce nouvel ajout devient ainsi, lui aussi, un simple symbole, et l’introduire à l’égard d’une seule infraction, au détour d’un amendement, me paraît discutable.

Les sénateurs du RDSE, en accord avec leurs principes, détermineront leur position une fois achevé l’examen des amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Somon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Somon. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en préambule, je tiens à saluer le travail accompli sur ce texte par nos collègues députés et notamment par Mme Anne Brugnera, rapporteure de ce texte à l’Assemblée nationale.

Martin Luther King, en son temps, déclarait avec ferveur : « J’ai fait un rêve. » Pour ma part, je vous dis avec autant de détermination : « J’ai fait une promesse. »

Si ces deux assertions peuvent sembler éloignées de prime abord, vous comprendrez combien elles se rejoignent dans le texte dont nous débattons ce soir : la proposition de loi créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière.

Cette promesse est celle que j’ai faite à Yann Desjardins, dont le fils Guillaume a été fauché en septembre 2017 par un chauffard alcoolisé alors qu’il circulait à vélo. Lui-même malade d’une leucémie, et dans l’attente d’une greffe d’organe que devait lui donner son fils décédé, cet homme, emporté à son tour par la mort, menait un combat acharné pour obtenir la création d’un délit d’homicide routier. Il souhaitait que le chauffard à l’origine de la mort de son fils, condamné à porter un bracelet électronique, aille véritablement derrière les barreaux. Il remuait ciel et terre pour cette cause.

Cette promesse est celle que j’ai faite à Thibaut, le frère de Guillaume, qui poursuit ce combat pour que la justice entende le besoin d’une qualification d’homicide routier débarrassée de l’insupportable adjectif « involontaire ».

Cette promesse est celle que j’ai faite avec les associations de familles de victimes, qui se battent au quotidien au côté des familles. Je veux ici leur rendre hommage et les remercier de leurs contributions et propositions : il faut considérer les familles avec empathie et sollicitude, les accompagner et les informer, que ce soit lors de la survenue des faits, dans les heures qui suivent, pendant l’enquête ou durant la procédure judiciaire ; il faut, enfin, que les condamnations prononcées lors des jugements connaissent des suites effectives.

Pourquoi avoir tant attendu pour apprécier, aujourd’hui seulement, cette qualification d’homicide routier, hier systématiquement refusée par le ministère ?

Mme Corinne Imbert. Tout à fait !

M. Laurent Somon. J’espère qu’il n’a pas fallu des circonstances opportunes ou particulières affectant des personnalités, qu’elles soient responsables ou victimes…

Mme Pascale Gruny. Très bien !

M. Laurent Somon. Force est de constater que cette évolution est survenue après le drame de Villiers-en-Bière. Quoi qu’il en soit, félicitons-nous que le comité interministériel de la sécurité routière de juillet 2023, présidé par Élisabeth Borne, alors Première ministre, se soit enfin prononcé en ce sens. Il s’est en effet déclaré favorable à une nouvelle qualification de ces accidents routiers entraînant la mort ou de graves blessures.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez affirmé devant l’Assemblée nationale : « En droit, les mots consacrés par la loi ont encore plus de poids, surtout quand il s’agit de qualifier des actes qui ont causé la perte d’un être cher. » Vous ajoutiez : « En droit, les mots emportent aussi des conséquences sur le déroulement des enquêtes et lors de l’audience. » Vous l’avez redit au début de cette discussion générale.

Nous faisons nôtre cette analyse, même si le texte de l’Assemblée nationale en assure une traduction insuffisante, qu’il s’agisse de l’écoute, de l’accompagnement ou de l’information des familles tout au long de l’enquête et de la procédure.

Vous auriez pu préciser, à l’instar de M. le rapporteur, qu’en droit les mots emportent aussi des conséquences sur les sanctions proposées et décidées par le juge.