M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Olivia Richard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dès 2012, la Haute Assemblée se penchait sur les dérives sectaires, plus particulièrement dans le domaine de la santé.

Avec le développement des réseaux sociaux, les signalements ont explosé : on observe ainsi une hausse de 86 % du nombre de signalements depuis 2015 et 4 000 cas ont été rapportés en 2021, un record.

Force est de constater que notre arsenal judiciaire, qui permet pourtant de sanctionner l’exercice illégal de la médecine, les pratiques commerciales trompeuses ou les abus de faiblesse, n’est plus adapté pour lutter contre ce fléau. En outre, le développement des canaux numériques ne suffit pas à lui seul à expliquer ce phénomène.

Les pratiques sectaires dépassent le domaine religieux et investissent des champs variés, comme la santé, le bien-être ou encore le développement personnel et le coaching professionnel. Ces approches, au départ bienveillantes, sont avant tout calibrées pour cibler les publics les plus fragiles et les plus vulnérables. Bien souvent, d’ailleurs, les victimes n’ont pas conscience de leur propre fragilité et les conséquences peuvent atteindre le pire. Les gourous et les escrocs exigent tout de leurs victimes, la soumission du corps, de l’esprit et du compte en banque !

Incontestablement, il est nécessaire d’agir et je suis certaine que nos deux chambres partagent le même constat : toutes les dérives sectaires, qu’elles concernent les mineurs ou les majeurs, qu’elles aient lieu ou non dans l’espace numérique, doivent être combattues. Malheureusement, les convergences s’arrêtent là et il nous a été impossible de trouver une version commune à nos deux chambres.

Ainsi en est-il de l’article 4, qui prévoit la création d’un nouveau délit de provocation à l’abandon de traitement ou de soins médicaux et à l’adoption de pratiques non conventionnelles.

Oui, encourager l’abandon de soins médicaux vitaux dans le cadre d’une thérapie alternative nécessite une réponse ferme de notre part.

Toutefois, le dispositif proposé n’est vraiment pas à la hauteur des enjeux. La rédaction finalement adoptée par l’Assemblée nationale précise en effet que la provocation devra être caractérisée par l’exercice « de pressions ou de manœuvres réitérées », mais cette nouvelle formulation nous ramène tout simplement au droit existant, qui est plus protecteur pour les auteurs de tels agissements.

En outre, il paraît particulièrement difficile de réunir des preuves permettant de caractériser et d’établir une provocation à l’abandon ou à l’abstention de soins. Une simple mention de précaution permettra à ces escrocs de ne pas tomber sous le coup de la loi et, soyez-en certains, ils ont parfaitement l’habitude de jouer avec les flous et les limites de la législation.

En fin de compte, je ne peux que regretter, comme d’autres, que nous n’ayons pas trouvé une bonne rédaction, tant les associations, les magistrats et les services de police spécialisés attendent des outils efficaces permettant de combattre ces dérives.

Puisque c’est la version de l’Assemblée nationale qui fera loi, espérons seulement que nos doutes ne seront pas fondés. Comme le Sénat le fait depuis plus de douze ans, il continuera de faire œuvre de vigilance et je fais confiance à notre rapporteure, dont je salue les travaux, pour rester en alerte à ce sujet.

Enfin, même si, sur ces aspects, nos désaccords sont aujourd’hui insurmontables, tout n’est pas à jeter dans ce texte. On peut d’ailleurs souligner que plusieurs des propositions sénatoriales y figurent. Je pense ici au renforcement des sanctions pour les délits évoqués précédemment lorsqu’ils sont commis en ligne, à la prise en compte de la situation particulière des mineurs victimes ou encore au renforcement nécessaire et attendu du rôle et des moyens de la Miviludes.

Malheureusement, malgré ces avancées positives, la discussion ne peut pas progresser ; il est donc inutile de poursuivre ce débat. En conséquence, le groupe Union Centriste votera à regret, mais avec conviction, la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le phénomène sectaire dépasse ce que certains appellent une pensée ou un mode de vie en marge de la société. Si l’escroquerie financière est presque toujours au cœur de ces pratiques délétères, leurs conséquences psychiques et physiques sont également importantes.

Les dangers liés aux dérives sectaires, en constante évolution, avaient semblé faire l’objet d’un moindre intérêt de la part des pouvoirs publics, à tel point que, en 2020, la disparition de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires avait même été évoquée.

J’ai déjà pu le dire précédemment, le texte présenté par le Gouvernement me paraît pauvre et bâclé ; il présente de surcroît un risque d’inconstitutionnalité, que le Conseil d’État a relevé dans son avis du 17 novembre 2023. Cela étant, il est bon de pouvoir disposer d’une étude d’impact ; pour une fois que le Gouvernement passe par un projet de loi…

Aucune des recommandations des rapports parlementaires transpartisans de ces dernières années n’a servi à l’élaboration de ce texte. Nous le regrettons vivement et c’est en vain que nous avons proposé, en première lecture, des pistes d’amélioration, lesquelles n’ont pu éviter les fourches caudines de l’article 40 de la Constitution.

Pourtant, il serait essentiel de renforcer les moyens dévolus au repérage des victimes, comme le préconisait M. Mézard dans le rapport qu’il avait fait en 2013 au nom de la commission d’enquête présidée par notre collègue Alain Milon.

Le texte qui nous revient de l’Assemblée nationale conserve ce que la Haute Assemblée, dans sa grande sagesse, avait contribué à assurer, à savoir la sanctuarisation de la Miviludes. Le phénomène des dérives sectaires est complexe et multidimensionnel et doit donc pouvoir bénéficier de l’implication de plusieurs administrations.

Le groupe écologiste se réjouit que la navette parlementaire ait préservé plusieurs dispositions résultant de ses différents amendements, en particulier celle qui visait à garantir les échanges entre la Miviludes et les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, où siègent les élus locaux.

Nous soutenons la version du texte adoptée par l’Assemblée nationale qui prévoit, à l’article 2 bis A, d’introduire des circonstances aggravantes pour les thérapies de conversion.

Nous regrettons en revanche que nos collègues députés n’aient pas maintenu la mesure que nous avions contribué à introduire dans le texte, et qui assure une coordination entre la Miviludes et les associations, dont l’implication et l’expertise sont à saluer. L’accompagnement des victimes et de leurs proches est une des clés de la meilleure appréhension judiciaire des faits délictueux, voire criminels.

La commission des lois, ayant pris la mesure de l’effet amplificateur des réseaux sociaux depuis quelques années, avait introduit une nouvelle circonstance aggravante : le fait que ces infractions soient commises au travers de ces réseaux.

La disparition de tous les apports du Sénat sur le volet numérique de ce texte, totalement oubliés par le Gouvernement, pose un grave problème. L’Assemblée nationale a décidé de supprimer la nouvelle circonstance aggravante en cas d’abus de faiblesse au moyen d’un support numérique ou électronique, ainsi que les peines complémentaires de fermeture des comptes utilisés sur internet lorsqu’ils ont servi à commettre le délit d’exercice illégal d’une profession médicale ou de pharmacien.

La commission avait tout autant pris la mesure des dangers liés à ces dérives pour les mineurs. Elle avait ainsi modifié les délais de prescription en cas d’abus de faiblesse. Cette avancée a également été supprimée par l’Assemblée nationale…

Depuis quelques années, nous assistons à un essor des phénomènes sectaires, qui prennent désormais de multiples formes : ils ne sont plus seulement à vocation religieuse ou spirituelle et investissent désormais les champs de la santé, de l’alimentation, du bien-être, du développement personnel, du coaching ou de la formation. Dans le domaine de la santé, 892 signalements ont été adressés à la Miviludes en 2021, contre 214 en 2015.

Nous le savons tous, le climat de défiance a infusé un peu partout et les réseaux sociaux ont pu amplifier les discours anti-scientifiques, notamment depuis l’épidémie de la covid-19. Dans ces discours, les dérives sont fréquentes et apparaissent rapidement ; elles sont parfois relayées par des politiques vantant des traitements non étudiés, non validés.

Il existe un risque pour la santé publique. Les personnes vulnérables peuvent se laisser convaincre de suivre des pratiques de soins non conventionnelles, délivrées par des non-professionnels et susceptibles d’être dangereuses pour leur santé.

À l’inverse, la réécriture de l’article 4 par l’Assemblée nationale, qui protège les lanceurs d’alerte, afin de ne pas censurer les contestations des pratiques thérapeutiques, nous convient mieux ; elle répond au besoin de ne pas porter atteinte à la liberté des débats scientifiques.

Bref, il s’agit d’un texte très insuffisant, qui se compose de mesurettes visant à reconnaître, dans notre droit pénal, l’existence des phénomènes sectaires, mais qui n’agit pas sur les causes des phénomènes ni sur les moyens de repérage de ces derniers.

Les travaux de la Haute Assemblée avaient profondément modifié le projet de loi initial et contribué à compléter les dispositifs proposés par des mesures plus opérationnelles, permettant de lutter plus efficacement contre le fléau sectaire.

Notre groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne peut que constater l’entêtement du Gouvernement dans son approche du sujet. Il ne pourra donc se résoudre à voter un texte qui n’a pris en compte aucune des réflexions du Conseil d’État ni aucun des travaux de notre assemblée.

Nous regrettons toutefois que la discussion ne puisse avoir lieu sur un sujet aussi sensible et important, en raison de la motion tendant à opposer la question préalable, contre laquelle nous voterons.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi achève son parcours législatif et il faut reconnaître que le texte proposé par le Gouvernement, les débats qu’il a suscités et, finalement, l’incapacité des deux chambres à s’entendre sur une rédaction commune ont été très en deçà des attentes qui avaient été placées dans les récents travaux de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.

Depuis la fondation de cette mission en 2002, les dérives sectaires se sont diversifiées, sous l’effet en particulier du foisonnement des expressions religieuses, de l’individualisation des croyances, de la perte de légitimité du discours politique et scientifique et des capacités données à quiconque de s’adresser au grand nombre par le biais des réseaux dits « sociaux ».

Les organisations sectaires fortement structurées du passé ont été supplantées par une prolifération de prophètes en tous genres, de charlatans, de rebouteux, de complotistes et de détracteurs de la science dite « officielle », qui abreuvent leurs fidèles de discours parfois relayés par des médias nationaux complaisants… Reconnaissons que ces exhortations peuvent avoir des conséquences particulièrement nocives quand elles conduisent les malades à renoncer à leurs traitements.

Néanmoins, il aurait été judicieux, me semble-t-il, que votre activité législative, madame la secrétaire d’État, s’intéressât aussi au domaine de l’éducation, notamment aux établissements hors contrat, dont le développement est inquiétant.

En ce qui concerne la santé, l’intention ayant présidé à la rédaction de l’article 4 est louable. Je regrette toutefois que vous n’ayez pas fait droit aux fortes réserves du Conseil d’État à son sujet. Un travail juridique plus abouti vous aurait évité de présenter au Sénat une rédaction ayant coalisé des oppositions pourtant divergentes sur le fond. Je déplore que certains députés opposés à ce texte aient développé contre cet article une argumentation déjà entendue lors de la crise pandémique pour défendre la prescription d’hydroxychloroquine.

M. Olivier Bitz. Tout à fait !

M. Pierre Ouzoulias. Les essais cliniques réalisés dans les règles avaient montré l’absence d’effet bénéfique de ce produit. Il était donc coupable de continuer de le prescrire, alors que les patients auraient pu être soignés par d’autres thérapies.

La controverse scientifique est nécessaire et utile quand elle respecte les règles de l’intégrité scientifique. Elle devient pernicieuse quand elle s’en affranchit au nom d’une clairvoyance supérieure qui refuse d’être évaluée.

Je suis révolté d’avoir entendu dire dans les deux chambres que l’article 4, dans ses diverses rédactions, aurait condamné Irène Frachon au silence. Nous devons à cette pneumologue d’une grande conscience morale d’avoir démontré scientifiquement les effets nocifs du Benfluorex. Comment peut-on comparer ses études cliniques rigoureuses aux élucubrations mortifères de gourous conseillant à des personnes vulnérables de remplacer leur traitement anticancéreux par des jus de légumes ?

Je ne suis pas sûr que l’article 4, dans sa rédaction actuelle, permette à la justice de sanctionner plus efficacement ces pratiques coupables et funestes, et il nous faudra en évaluer les bénéfices. Néanmoins, il est nécessaire de donner plus de moyens aux pouvoirs publics pour protéger la santé de nos concitoyens. Je regrette donc que la motion tendant à opposer la question préalable empêche le Sénat de poursuivre le travail sur ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et RDPI. – M. Christophe Chaillou applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dérives sectaires, servitudes spirituelles, financières et thérapeutiques ayant des conséquences mortelles dans les cas les plus dramatiques, voilà notre sujet du jour.

En décembre 1995, seize personnes étaient retrouvées mortes, brûlées dans une forêt du Vercors, toutes victimes de la secte de l’Ordre du temple solaire. Plus jamais cela… Pourtant, aujourd’hui, certains font croire qu’un extracteur de jus peut suffire à guérir d’un cancer ; un régime crudivore plutôt qu’une chimiothérapie, c’est tentant, mais l’issue est certaine et fatale…

Si ce projet de loi pose des difficultés, c’est parce que l’action des gourous n’a rien d’uniforme : elle s’adapte, imite, se disperse, brouille nos qualifications et nos distinctions traditionnelles jusqu’à être insaisissables. Le droit fait ici face à ses limites.

Il y a ceux qui travestissent les religions ; d’autres sont impliqués dans la culture des sciences, cherchant à fonder leurs croyances sur du rationnel, de sorte qu’un raisonnement scientifique devient un terreau idéal pour cultiver l’obscurantisme. Tout le monde se souvient des aventures délirantes du clonage raëlien dans les années 2000. Aujourd’hui, on s’autorise à remettre en cause la médecine, notamment dans la lutte contre le cancer, comme si dix années d’études universitaires exigeantes valaient quelques heures devant YouTube…

Il existe un écart criant entre l’évidente nécessité de lutter contre les sectes et l’éprouvante difficulté à bâtir des instruments juridiques capables de combattre celles-ci.

Le Gouvernement a choisi de se saisir du sujet via ce projet de loi. Je veux saluer cette initiative, mais je regrette le calendrier. Nous examinions ce texte à la fin du mois de décembre 2023, après un mois éprouvant passé à plancher sur le projet de loi de finances et le projet de loi pour contrôler l’immigration.

Le Sénat avait alors fait le choix de rejeter les principaux dispositifs du projet de loi, du fait de leur rédaction imparfaite et parce qu’il nous fallait du temps pour revoir la copie. Le groupe du RDSE avait fait des propositions, sans doute imparfaites elles aussi, mais avait refusé l’immobilisme : le sujet est trop grave pour cela !

Nous voici maintenant au début du mois d’avril ; il s’est écoulé un trimestre. La commission mixte paritaire a échoué et, malgré le temps qu’offre la navette parlementaire, la Haute Assemblée campe sur le constat d’un texte imparfait plutôt que de chercher à le parfaire.

Je trouve ce choix regrettable et, au-delà de la position de principe de mon groupe, qui consiste à ne jamais voter pour les motions parce que nous souhaitons faire vivre les textes qui nous sont soumis, j’aurais aimé que ce projet de loi soit à nouveau débattu, qu’il puisse être amendé et que nous participions le plus activement possible, au travers de notre travail législatif, à lutter contre les phénomènes sectaires.

C’est d’autant plus vrai que le texte, tel qu’il nous a été transmis par l’Assemblée nationale, reprend certains dispositifs introduits par le Sénat. Je pense en particulier à l’article 2 bis, issu d’un amendement que j’avais déposé et qui prévoit un allongement du délai de prescription applicable aux abus de faiblesse à l’encontre de mineurs.

L’article 9, adopté par l’Assemblée nationale, met l’accent sur les pratiques de santé non réglementées, afin d’assurer une protection accrue des patients contre les risques de confusion et de tromperie. Le rapport de Jacques Mézard, qui date de 2013, avait mis en lumière ces potentielles dérives : c’est pourquoi j’avais déposé des amendements allant en ce sens. Aussi, je me réjouis que ces sujets soient pris en compte dans le texte.

Ce sont les articles 1er, 2 et 4 qui ont continué de ne pas vous convaincre, madame la rapporteure. Certes, vous avez des réserves légitimes, mais ils offrent de véritables solutions aux pouvoirs publics et, surtout, la perspective d’extraire certains de nos concitoyens de mécanismes d’abus qu’ils subissent.

M. Olivier Bitz. Absolument !

Mme Nathalie Delattre. Pour toutes ces raisons, nous voterons contre la motion. Nous souhaitons continuer de débattre de ce projet de loi et, pour le signifier, nous avons même déposé des amendements, que j’espère pouvoir défendre tout à l’heure. Je suis optimiste ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la Haute Assemblée est de nouveau réunie pour examiner le projet de loi visant à lutter contre les dérives sectaires, car la commission mixte paritaire, qui s’est réunie le 7 mars dernier, n’a pas été conclusive.

Pourtant, ce texte s’inscrit dans le cadre de l’ambitieuse stratégie nationale de lutte contre les dérives sectaires, présentée en novembre 2023, et des premières Assises nationales de lutte contre les dérives sectaires, réunies en mars 2023, dont il constitue l’une des traductions.

Au travers de ce texte, le Gouvernement entend répondre à une hausse préoccupante des dérives sectaires, notamment des dérives thérapeutiques, qui empruntent, pour atteindre leurs cibles, de nouveaux canaux de communication.

Comme l’indique son intitulé, le présent projet de loi a, pour ce faire, deux objectifs majeurs : adapter notre arsenal juridique, manifestement à la traîne face aux récentes évolutions des dérives sectaires, et améliorer l’accompagnement de ceux qui en sont victimes.

Il prévoit ainsi de donner la possibilité à plus d’associations de se constituer partie civile en matière de lutte contre les dérives sectaires et de permettre de mieux informer les ordres lors de la condamnation de professionnels de santé.

Il prévoit également – et c’est ce sur quoi porte le désaccord entre les deux assemblées – l’institution d’un délit de placement ou de maintien en état de sujétion psychologique ou physique, ainsi qu’un délit de provocation à l’abandon ou à l’abstention de soins ou à l’adoption de pratiques présentées comme bénéfiques pour la santé des personnes, quand de telles décisions entraînent, pour celles-ci, des conséquences graves pour leur santé physique ou psychique.

Le Sénat et l’Assemblée n’ont pas su s’entendre sur l’article 4, malgré une rédaction retravaillée, désormais équilibrée et tenant compte des critiques qui lui avaient été opposées.

Ainsi, le traitement proposé devra être présenté comme bénéfique pour la santé ; les pressions et les manœuvres devront être réitérées ; la personne malade devra présenter des chances de guérison avérées ; enfin, l’intentionnalité devra être appréciée par le juge. Un tel encadrement de l’article en cause préserve la liberté d’expression et le rôle des lanceurs d’alerte.

Le groupe RDPI regrette bien évidemment la décision de la majorité sénatoriale, qui refuse de débattre du texte en déposant une motion tendant à opposer la question préalable, et ce en totale opposition avec l’intérêt des victimes.

M. Thani Mohamed Soilihi. C’est d’autant plus regrettable que les travaux du Sénat en première lecture avaient permis d’enrichir le texte. Je pense notamment à la consécration législative du statut de la mission interministérielle chargée de la lutte contre ce phénomène, à la circonstance aggravante lorsque l’abus de faiblesse est commis en ligne ou encore aux modifications apportées au délai de prescription de l’action publique concernant ce délit lorsque la victime est mineure.

Nous aurions souhaité que le Sénat cherche au moins à parvenir à un texte commun conciliant l’exercice des libertés individuelles et la protection de la santé publique.

Hélas, l’adoption probable de la motion tendant à opposer la question préalable nous empêchera de le faire. Nous le déplorons, et c’est pourquoi nous ne voterons pas pour cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Laure Darcos applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Chaillou.

M. Christophe Chaillou. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous étions quasiment unanimes, en première lecture, pour considérer que la lutte contre les dérives sectaires constituait un enjeu majeur, notamment au regard des dommages considérables pour ceux de nos concitoyens qui y sont confrontés, pour leur entourage et pour notre société.

Rappelons la hausse importante du nombre de cas – 4 020 signalements enregistrés par la Miviludes en 2021, un chiffre record –, qui reflète le phénomène croissant des dérives sectaires ; les médias ont rapporté de nombreux faits au cours des derniers mois. Cela procède de l’utilisation massive des réseaux sociaux et de la crise sanitaire liée à la pandémie.

Les champs de la santé, du développement personnel, du coaching, de la formation sont désormais pleinement investis par nombre de charlatans, et les victimes sont de plus en plus nombreuses.

Ces phénomènes doivent donc être traités comme il se doit : ils justifient un réel débat et impliquent des évolutions législatives.

En première lecture, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain avait soutenu une partie des dispositions du projet de loi, mais il avait partagé les préoccupations exprimées par Mme la rapporteure, à propos notamment des difficultés posées, au regard de l’avis du Conseil d’État, par la rédaction initiale de l’article 4.

Notre groupe avait par ailleurs salué les dispositions visant à améliorer le texte et avait voté certaines des modifications proposées par la commission sur l’initiative de Mme la rapporteure.

Il nous semble que le texte proposé, à la suite de l’échec de la commission mixte paritaire du 7 mars dernier, répond à une grande partie des préoccupations que nous avions formulées.

Cette nouvelle version, qui nous est aujourd’hui proposée par le Gouvernement et par nos collègues de l’Assemblée nationale, contient une partie des modifications que nous avions souhaitées, sur votre proposition, madame la rapporteure. Ont notamment été retenues l’intégration dans la loi des statuts de la Miviludes ou encore des mesures de protection des mineurs contre les dérives sectaires. Nous saluons l’ajout de circonstances aggravantes pour les thérapies de conversion, apport de l’Assemblée nationale.

Nous avions insisté, lors de l’examen du projet de loi en décembre dernier, sur l’importance des moyens à accorder à la mission interministérielle, qui effectue un travail reconnu par tous les acteurs sur le terrain. Consacrer ses prérogatives et sa mission dans la loi constitue, à nos yeux, un signal particulièrement fort.

Nous avions émis des doutes liés à la rédaction de certains articles, notamment l’article 4 : l’avis du Conseil d’État soulignait que ce projet de loi posait quelques questions, entre autres d’ordre constitutionnel. Le Sénat avait fait le choix de supprimer cet article ; l’Assemblée nationale et le Gouvernement souhaitaient le réécrire, pour préciser certains points. La nouvelle rédaction, adoptée à l’Assemblée nationale, répond à un certain nombre de préoccupations du Sénat en matière de liberté de conscience, de liberté de choix, de lanceurs d’alerte ou de propos tenus dans des cercles privés. Malgré les imperfections du texte, certaines de nos demandes ont été intégrées au texte.

Les débats des dernières semaines et des derniers mois, y compris avec nos collègues de l’Assemblée nationale lors de la commission mixte paritaire, nous ont convaincus de la nécessité qu’il y avait à légiférer, y compris sur les sanctions. La réécriture de ce texte nous semble adaptée à l’urgence de la situation et à la forte augmentation du nombre de victimes d’abus, de cas d’emprise, d’isolement, de violences et de mise en danger de mort.

Concernant les sanctions pénales, je déplore une forme d’appréciation à géométrie variable de la part de la majorité sénatoriale : tantôt de nous dire que l’aggravation de la sanction pénale est la solution, quand bien même elle n’aurait pas d’effet réel, tantôt de nous inviter à la prudence, madame la rapporteure, car de nouvelles mesures pénales seraient sans effet… J’ai pourtant en mémoire un débat qui n’est pas si ancien sur la sécurité dans les transports, où l’apport réel d’un certain nombre de sanctions n’est pas avéré. Les appréciations sont parfois divergentes, en fonction des sujets.

Nous en sommes tous conscients, la loi seule ne suffit pas. Nous nous rejoignons sur un point : il faut une véritable politique de prévention, avec des moyens pour la mission interministérielle, tout comme pour l’éducation nationale, car il faut agir massivement auprès des plus jeunes.

La prévention, qui attaque les dérives sectaires à leur source en endiguant les discours de recrutement et de manipulation, devrait accompagner toute législation.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, nous regrettons l’approche trop restrictive de Mme la rapporteure, de la majorité sénatoriale et de la commission des lois, qui minorent les améliorations contenues dans ce texte et qui, via la motion tendant à opposer la question préalable, nous empêchent de nous prononcer sur ce texte.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain approuve ce projet de loi et votera contre cette motion. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI.)