M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Quel dommage, madame Delattre, il y a peu de chances que vous défendiez vos amendements (Sourires.) !

En même temps, monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, que voulez-vous faire ? Le système constitutionnel est le même pour tous les textes. La commission mixte paritaire a échoué et l’Assemblée nationale a voté un texte qui ne correspond pas aux souhaits du Sénat. Donc soit nous débattons pour obtenir un vote conforme, ce qui ne présente que peu d’intérêt, soit nous adoptons le texte non conforme, et il n’y a aucune chance que l’Assemblée nationale revienne sur sa position, après une énième lecture : le texte adopté sera celui de l’Assemblée.

La motion tendant à opposer la question préalable va très probablement être votée. Il n’y a en effet aucun sens à faire travailler le Sénat, et le Parlement en général, de manière complètement illusoire en lui faisant croire à son influence, si tant est qu’il en ait encore une auprès de ce gouvernement…

Madame la secrétaire d’État, personne dans cet hémicycle ne remet en cause le fait que les dérives sectaires se soient multipliées. Mes souvenirs étant anciens, privilège de l’expérience – merci de ne pas dire de l’âge ! (Sourires.) –, je puis vous dire que nous produisons des rapports sur les dérives sectaires depuis dix ou quinze ans. Au Sénat comme à l’Assemblée, ces rapports se sont multipliés, avec des propositions plus satisfaisantes les unes que les autres. Malheureusement, à l’arrivée, il manque toujours les moyens.

L’inestimable président Ouzoulias en a parlé le premier, la remise en cause de l’existence de la Miviludes, il y a quatre ans, avait déclenché la stupeur générale, et notamment la mienne. Tous, nous dénoncions une forme de paradoxe : l’on nous dit que les dérives sectaires explosent sur les réseaux sociaux, dans la vie courante et dans tous les domaines, tandis que l’on vient remettre en cause l’existence de cette mission interministérielle qui a réalisé un travail exceptionnel.

Madame la secrétaire d’État, vous obtiendrez votre version du texte, qui est celle de l’Assemblée nationale. Vous auriez préféré avoir le tampon du Sénat, mais comme nous ne sommes pas là seulement pour voter conforme, cela n’a pas été possible.

Sans revenir sur le détail du projet de loi, je me contenterai d’évoquer des choses relativement simples. Pour ce qui concerne non seulement ce texte, mais aussi la conception globale du sujet, je ne réitérerai pas les reproches, déjà formulés par la rapporteure, liés aux réserves du Conseil d’État ou à la rédaction de l’article 4. Au fond, la question est la suivante : jusqu’où peut aller la liberté d’expression, au sens fort du terme, la liberté de conscience, et jusqu’où peut-on légiférer sans empêcher les personnes d’avoir des opinions et de les exprimer librement, et donc sans les brimer ?

Les dérives sectaires peuvent être d’ordre politique, médical, médiatique, éducatif… Elles peuvent revêtir de très nombreux aspects ! Cela doit interpeller la société française et toutes les sociétés occidentales : nous avons collectivement échoué à éduquer, à former et à sensibiliser nos concitoyens aux vrais problèmes. Nous avons échoué à faire des jeunes Français, et de tous les Français en général, des hommes libres et conscients, ainsi que l’entendait Montaigne, capables de réfléchir et d’analyser par eux-mêmes. C’est ainsi !

Quand lancerons-nous une véritable réforme portant sur la manière de faire société et de former des citoyens libres, aptes à résister aux provocations ?

Madame la secrétaire d’État, n’ayez pas d’inquiétude, nous allons voter dans la joie et l’allégresse la motion tendant à opposer la question préalable !

J’y insiste, je ne vois pas quel serait l’intérêt de refaire un débat ne servant à rien, puisque l’Assemblée nationale reprendrait sa version du texte en lecture finale. Toutefois, au-delà du succès que vous ne manquerez pas d’obtenir à l’Assemblée, demandez-vous sincèrement ce que peut faire le Gouvernement pour inverser enfin ce courant au sein de la société française ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Baptiste Blanc. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans quelques mois, les proches encore en vie des victimes de l’Ordre du temple solaire commémoreront les trente ans de la disparition de soixante-quatorze malheureux. La plupart avaient été recrutés par un médecin adepte de doctrines alternatives, qui peuvent être qualifiées de complémentaires, de douces ou même de quantiques… Ces éléments de croyance ont permis l’assujettissement qui a mené aux drames que nous connaissons.

Le délit de provocation à l’abandon de soins et à l’adoption de pratiques non conventionnelles aurait dû être abordé sous cet éclairage, car ces pratiques illusoires, au-delà du paravent des libertés derrière lesquelles elles se cachent, impliquent une perte d’esprit critique.

Chacun est libre de croire ce qu’il veut, mais à une époque où nous légiférons, à juste titre, sur la traçabilité de nos biens de consommation ordinaires pour nous protéger des risques encourus, comment pouvons-nous hésiter à protéger le fondement scientifique du soin, et ainsi laisser nos concitoyens confier leur santé à des croyances issues de l’irrationnel et nourries des fantasmes qui entourent un médecin ?

Ne perdons pas de vue le cadre posé par l’article 1er, celui de la sujétion. Demandons-nous où se situe la liberté de choix, la liberté du patient lorsque ce dernier a perdu son libre arbitre. De surcroît, lorsque de prétendues méthodes de soins sont relayées et amplifiées par les réseaux sociaux et les algorithmes qui les véhiculent, n’est-il pas urgent de protéger le consommateur de soins ?

Combien comptons-nous de victimes des dérives sectaires depuis trente ans ? Malgré toutes ces victimes, malgré tous les efforts qui ont été faits pour améliorer ce projet de loi, rien n’a suffi pour obtenir un consensus, malheureusement. Que pèsent nos désaccords par rapport à la triste réalité de ces victimes ?

L’abus de faiblesse, tel que défini par la loi About-Picard, a montré ses limites. Les praticiens de terrain demandent un instrument plus efficace. Les exemples internationaux, comme ceux de l’Espagne et de l’Italie, montrent une volonté partagée de renforcer le cadre législatif en la matière.

Les dérives sectaires méritent d’être examinées à la lumière des témoignages des victimes, ex-adeptes ou entourage d’adeptes, tout comme à celle des atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales perpétrées par certains groupements. La dimension individuelle des drames liés à l’emprise sectaire ne doit pas faire oublier que transformer un citoyen en adepte asservi désagrège insidieusement la République.

En tant que parlementaires, en tant que gardiens des valeurs démocratiques, nous sommes appelés à faire preuve d’une vigilance constante à l’encontre des dangers des mouvements sectaires, tout en respectant la pluralité des croyances et des expressions de la liberté individuelle.

Étant le dernier orateur à intervenir, je rappelle, à l’instar de mes prédécesseurs, que les victimes attendent que nous leur donnions le texte qu’elles espéraient : une protection légale réfléchie et efficace, plutôt qu’une solution hâtive.

Pour toutes ces raisons, je voterai en faveur de la motion tendant à opposer la question préalable déposée par Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l'accompagnement des victimes
Question préalable (fin)

M. le président. Je suis saisi, par Mme la rapporteure, au nom de la commission, d’une motion n° 5.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l’accompagnement des victimes (n° 455, 2023-2024).

La parole est à Mme la rapporteure, pour la motion.

Mme Lauriane Josende, rapporteure. Je ne développerai pas davantage les arguments en faveur de cette motion, car j’en ai assez dit. Même si des apports du Sénat ont été maintenus, des pierres d’achoppement demeurent. Ce texte est trop imparfait pour que nous validions sa rédaction ; il n’y a donc pas lieu de débattre plus avant.

Ainsi, mes chers collègues, nous vous invitons à adopter la motion tendant à opposer la question préalable, et ainsi à rejeter le projet de loi.

M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire dÉtat. Je regrette que cette motion ait été déposée, car elle me semble mettre un terme à un travail parlementaire ayant porté de nombreux fruits – quoi qu’on en dise –, ce qui a permis de faire évoluer significativement un texte dont tous, sur ces travées, ont souligné qu’il s’attaquait à un sujet de société des plus préoccupants.

Le projet de loi soumis à l’examen du Sénat a été profondément enrichi et amélioré, notamment grâce aux préoccupations du Sénat exprimées en première lecture : la nécessité, désormais actée, de donner une assise législative à la Miviludes, pour garantir sa pérennité et son importance institutionnelle ; la volonté de faire le lien avec les instances locales de prévention de la délinquance, ce que le code de la sécurité intérieure prévoit désormais ; la prise en compte de la commission des infractions en ligne, avec des aggravations de peine ; enfin, une meilleure protection des mineurs. Ces quatre avancées significatives, l’Assemblée nationale les a conservées et le Gouvernement les soutient désormais.

Derrière ces points d’accord sont apparues en première lecture de profondes inquiétudes, que je comprends, concernant en particulier l’article 4, lequel constitue – quoi qu’on en dise, là encore – la grande avancée pénale du projet de loi. Le débat s’est très largement focalisé sur cet article : très innovant, il traite d’un sujet d’une immense sensibilité qui constitue une inquiétude majeure pour les services de l’État, les associations de victimes et les professionnels de santé.

Comme je l’ai dit devant l’Assemblée nationale, je reste convaincue que la représentation nationale ne peut pas rester sourde aux difficultés que font remonter les services opérationnels et les victimes. Oui, il y a des gourous, des influenceurs, des prétendus soignants et guérisseurs qui sont des criminels, parce qu’ils promeuvent des pratiques qui tuent. Le Conseil d’État l’a d’ailleurs bien expliqué dans son avis, considérant que « la légitimité de l’objectif poursuivi par le projet de loi est incontestable ».

La réponse apportée par le Gouvernement prend la forme d’un article qui a pour but d’empêcher des abus délétères, et souvent mortels, de la liberté d’expression.

Cet article crée une nouvelle infraction, qui réprime deux types de discours : les provocations à interrompre ou à s’abstenir de prendre un traitement, en cas de conséquences particulièrement graves pour la santé ; les provocations à s’empoisonner, ni plus ni moins.

Le Gouvernement et l’Assemblée nationale ont bien entendu les critiques formulées, notamment par le Sénat, contre le projet de loi initial, sur trois points essentiels : le texte doit garantir la liberté de conscience, préserver la liberté critique médicale et s’abstenir de réprimer les discours familiaux tenus, pour ainsi dire, à l’emporte-pièce.

Sur ces trois points, nous avons collectivement apporté des garanties rédactionnelles.

S’agissant de la liberté de conscience, il n’y a pas d’infraction si l’on ne prétend pas que l’interruption d’un traitement qui maintient en vie est bonne pour la santé.

J’y insiste, aux termes de l’alinéa 2 de l’article, pour que l’infraction soit constituée, l’interruption de traitement doit être présentée comme bénéfique. Seule est exigée la délivrance d’une information claire et complète permettant d’établir la volonté libre et éclairée de la personne concernée.

Concernant la liberté de critique médicale, l’alinéa 6 exclut explicitement les lanceurs d’alerte du champ d’application du texte. En outre, le critère de gravité des conséquences de l’arrêt du traitement a été rehaussé : on parle désormais de « conséquences particulièrement graves ». En la matière, il faut cesser de nous expliquer qu’Irène Frachon n’aurait pas pu alerter, parce que cela est faux ! Elle a pu le faire, grâce à des méthodes scientifiques et prouvées.

Enfin, les discours privés et les paroles en l’air sont clairement exclus du champ d’application du projet de loi, grâce à l’ajout d’une précision : les provocations concernées doivent dorénavant se faire « au moyen de pressions ou de manœuvres réitérées », ce qui ne correspond pas, à l’évidence, à une conversation familiale ou entre amis.

Puisque les débats parlementaires sont une source d’interprétation du droit, je le dis ici devant la représentation nationale : il n’est dans l’intention du Gouvernement ni d’interdire la critique médicale, ni d’empêcher les malades de décider, en toute conscience et pleinement éclairés, de prendre ou de s’abstenir de prendre un traitement, fût-ce au détriment de leur santé, ni d’épingler les discussions familiales ou amicales.

En revanche, il est bien dans l’intention du Gouvernement de mettre hors d’état de nuire les gourous 2.0, les guérisseurs malhonnêtes et les escrocs qui mentent, tuent et font souffrir. Provoquer à interrompre une chimiothérapie pour lui substituer un jus de légume, ce n’est en rien un usage de bon aloi de la liberté d’expression !

Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte qui est soumis à votre examen n’est pas le même que celui qui vous a été présenté par le Gouvernement. Cette version est le fruit d’un travail collectif auquel le Sénat a largement pris part, en l’enrichissant et en exprimant des critiques que nous avons su entendre.

De l’avis général des acteurs de la lutte contre les dérives sectaires, l’article 1er du projet de loi constitue une avancée majeure pour la protection des victimes et la réparation de leur préjudice. Le Conseil d’État a émis un avis favorable sur cet article. Il est regrettable que votre assemblée n’ait pas partagé son point de vue. Le Gouvernement reste, bien entendu, disposé à évoquer toute proposition d’amélioration, comme je l’ai dit à plusieurs reprises à Mme la rapporteure.

Lors des explications de vote en séance publique, en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, le groupe Les Républicains, en la personne du député Xavier Breton (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.),…

M. Laurent Burgoa. Nous sommes au Sénat ici !

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire dÉtat. … a indiqué qu’il s’abstenait, en ces mots : « Si nous votions contre, nous ne prendrions pas en considération les avancées obtenues. Par son abstention, le groupe Les Républicains invite à dialoguer avec le Sénat. »

J’appelle donc le Sénat à rejeter cette motion tendant à opposer la question préalable pour que le débat sur ce texte d’importance se poursuive et qu’il soit, comme le fut en son temps la loi About-Picard, le fruit d’un travail qui fait le pari de l’intelligence collective.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 5, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.

Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 170 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l’adoption 189
Contre 152

Le Sénat a adopté.

En conséquence, le projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l’accompagnement des victimes est rejeté.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Sylvie Robert.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Question préalable (début)
Dossier législatif : projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l'accompagnement des victimes
 

9

Situation de l’hôpital

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la situation de l’hôpital.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Philippe Mouiller, pour le groupe auteur de la demande.

M. Philippe Mouiller, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Les Républicains a fait le choix de proposer au Sénat d’organiser un débat sur l’hôpital, en raison de la situation sanitaire et financière de nos structures, qu’elles soient publiques ou privées.

Concrètement, si nous souhaitons vous entendre ce soir, monsieur le ministre, c’est pour vous interroger sur vos projets. Nous voudrions tout simplement savoir ce que le Gouvernement entend faire de notre système hospitalier.

En effet, alors que le Président de la République promettait, durant la campagne électorale de 2022, de faire de l’hôpital sa priorité, peu de projets ont émergé. Le Gouvernement se contente, depuis des années, de tenir une posture attentiste, laissant prospérer des initiatives parlementaires non évaluées, non coordonnées et parfois incohérentes.

Vous le savez bien, monsieur le ministre, grâce au travail de qualité de certains parlementaires, nous en sommes venus à introduire des mesures par petites touches, notamment sur la permanence des soins en établissements de santé et sur les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue). S’il s’agit en effet de sujets importants, ils auraient mérité d’être intégrés à une réflexion globale.

Pourtant, la crise sanitaire que nous avons connue voilà quatre ans aurait dû nous faire réagir collectivement et, surtout, faire réagir le Gouvernement. Certes, il y a eu le Ségur de la santé qui a permis de renouveler – ou recycler – une série de mesures, comme l’annonce d’une réforme du financement ou un effort d’investissement de 13 milliards d’euros, présenté six mois plus tôt comme la reprise d’un tiers de la dette hospitalière.

Quel est le bilan aujourd’hui ? Les revalorisations étaient nécessaires, indispensables. Pourtant, les 10 milliards d’euros annuels que celles-ci représentent ont été perçus par les bénéficiaires non pas comme un choc d’attractivité des carrières, mais comme un rattrapage. Pire, nous n’avons de cesse depuis lors de compter les « oubliés ».

Sur le volet des investissements, force est de constater que l’enveloppe portée par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) n’a pas non plus suscité de spectaculaires effets d’engouement. Surtout, quatre ans après, on peine encore à identifier les grands projets structurants que ce plan aura permis, le contexte inflationniste ayant de surcroît largement raboté les crédits effectifs.

Quatre ans après la crise sanitaire, quel est le plan du Gouvernement pour l’hôpital ? Comment renouer avec l’attractivité des postes, pour les médecins comme pour les professionnels médicaux ?

Comment permettre aux services hospitaliers de retrouver des équipes stables, gage de qualité de vie au travail pour les soignants, de permanence et de sécurité des soins pour les patients ?

Comment engager une réelle et ambitieuse transformation de l’hôpital et le préparer aux défis de demain ?

Comment préserver l’excellence de l’hôpital public et assurer la qualité des soins de proximité ?

Comment faire pour que les 105 milliards d’euros de dépenses annuelles permettent à l’hôpital de redevenir une fierté, aux Français d’être correctement soignés et aux soignants de travailler dans de bonnes conditions ? Comment sortir des déficits permanents ?

Lors de ses vœux voilà un peu plus d’un an, le Président de la République annonçait tambour battant un big-bang pour l’hôpital. Sans délai, il fallait réformer la gouvernance hospitalière et en finir avec la tarification à l’activité (T2A).

Qu’en est-il aujourd’hui ? Le tandem médico-administratif, qui devait être inscrit dans la loi avant juin 2023, n’a toujours pas été débattu au Parlement, pas plus que n’a été publié le rapport de la mission du professeur Olivier Claris et de Mme Nadège Baille, censé préfigurer cette nouvelle gouvernance.

Pour ce qui est du financement, la situation n’est guère meilleure. À la hâte, l’ancien locataire de l’avenue Duquesne a dû défendre une « sortie de la T2A », qui n’est qu’un trompe-l’œil, comme l’avait dénoncé la rapporteure Corinne Imbert lors de l’examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Alors que cette réforme devait théoriquement entrer en vigueur au 1er janvier dernier, rien n’a en réalité changé s’agissant des modalités de financement des hôpitaux pour 2024. En outre, aucune clarification n’a été apportée sur la construction réelle du modèle cible.

Par ailleurs, les effets redistributifs potentiellement massifs d’une telle réforme n’ont pas été évalués, malgré ses possibles conséquences sur l’offre de soins dans nos territoires.

Surtout, dans ce débat sur la tarification et les dotations – populationnelles, socles ou à la qualité –, le Gouvernement a démontré qu’il était prêt à longuement disserter sur la réécriture du code de la sécurité sociale, mais jamais à parler de financement… L’étude d’impact annonçait une réforme à enveloppe constante, quand le ministre, ici même, reportait le débat budgétaire sine die : le comble pour la discussion d’un PLFSS !

Comme vous le savez, année après année, la commission des affaires sociales regrette un débat tronqué, focalisé sur le vote d’un objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) non documenté, non justifié et – nous le pensons – souvent insincère. Plus de 100 milliards d’euros sont consacrés aux établissements de santé sans que le Parlement puisse arbitrer la finalité de la dépense publique.

Avec l’arrivée du nouveau gouvernement viennent s’ajouter en ce début d’année 2024 des annonces sur des rallonges budgétaires pour 2023, au titre de l’inflation, et une revalorisation des tarifs hospitaliers. Las ! Nous aurions aimé, monsieur le ministre, avoir plus d’informations et débattre de ces sujets lors du vote de l’Ondam, en novembre dernier.

Mme Corinne Imbert. Absolument !

M. Philippe Mouiller. Nous aurions aimé aussi pouvoir débattre du coût que cela représente, alors que le ministre de l’économie annonce un dérapage du déficit public. Nous aurions souhaité pouvoir discuter de la différence substantielle que vous faites entre le secteur public et le secteur privé, opposant deux branches du système hospitalier qui devraient au contraire mieux coopérer.

Comment comprendre la stratégie du Gouvernement avec un Ondam en progression voté en novembre 2023, une rallonge budgétaire annoncée en début d’année 2024, et maintenant, en urgence, la recherche d’économies ? Comment s’y retrouver face à toutes ces annonces ? Bien entendu, tout cela intervient dans un contexte où le Parlement ne fait qu’observer cette trajectoire budgétaire, particulièrement claire depuis six mois.

Pourtant, la situation des établissements hospitaliers se dégrade et, avec ces annonces, les professionnels de santé ne se sentent pas soutenus. Nous les auditionnons souvent au Sénat et nous sentons bien qu’ils n’ont plus confiance.

C’est aussi pour en finir avec ce contournement du Parlement que le groupe Les Républicains a souhaité ce débat, pour échanger sur les enjeux, la stratégie et les économies attendues.

Vous le voyez, monsieur le ministre, les sujets sont nombreux. Je n’en doute pas, les sénatrices et sénateurs qui interviendront dans ce débat auront des questions concrètes à vous poser. J’espère que vous vous attacherez à y apporter de vraies réponses.

Vous êtes donc attendu. Si le contexte est difficile, nous avons énormément de doutes sur la trajectoire et la stratégie portées par le Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de nous donner l’opportunité d’échanger sur la situation de nos hôpitaux.

À l’hôpital travaillent plus d’un million de personnes, qui participent à la prise en charge de 12 millions de patients hospitalisés chaque année, dans 1 400 établissements de toute taille, sur tout le territoire.

L’hôpital est à la croisée des chemins, comme en témoigne l’organisation de ce débat. Il sort à peine de la crise sanitaire, pendant laquelle il a assuré majoritairement la gestion de l’urgence et la continuité des soins.

Il fait face à de nombreux défis, notamment des attentes très fortes, légitimes et croissantes de la population partout sur le territoire, auxquelles nous devons répondre, et une crise des ressources humaines liée au manque d’attractivité de l’hôpital et des métiers de la santé, qui a pris le relais de la crise du covid-19 et qui oblige le Gouvernement.

Pour autant, nous devons veiller collectivement à la façon dont nous décrivons la situation de l’hôpital : il nous faut être lucides sans être misérabilistes.

Certes, l’hôpital rencontre des difficultés structurelles, mais nous pouvons être fiers de ce service public ! En tout cas, moi, je le suis. Il est bien sûr le lieu où l’on soigne – on peut discuter des conditions dans lesquelles on le fait –, mais c’est aussi le lieu où l’on forme et où l’on fait de la recherche. C’est également le lieu de nombreuses premières mondiales et d’innovations, qui portent les entreprises du secteur de la santé et que nous oublions pour nous focaliser sur ce qui ne fonctionne pas.

L’année 2023 fut une année charnière pour l’hôpital. De nombreuses mesures ont été mises en place ou annoncées pour relancer l’attractivité des métiers du soin. L’activité repart à la hausse dans le secteur public, mais la situation reste assez tendue malgré la reprise, notamment dans certains services d’urgence. En réponse à ce constat, ma priorité en tant que ministre chargé de la santé et de la prévention est de continuer à soutenir l’hôpital et à lui donner les moyens d’assurer la qualité des soins et la sécurité des patients.

Pour cette année 2024, je vous confirme que le Gouvernement est plus que jamais attentif à la situation financière des établissements, préoccupante dans le secteur public, mais également dans les établissements de santé privés. Deux explications peuvent être mises en avant : premièrement, l’impact de l’inflation ; deuxièmement, le redémarrage peu dynamique de l’activité en sortie de crise, notamment dans le public, l’activité de l’hôpital étant freinée par les problématiques de ressources humaines.

J’entends souvent que l’hôpital ne bénéficierait pas de moyens suffisants. Je dénonce un tel constat, à mes yeux totalement faux. En effet, depuis 2017, les gouvernements successifs ont augmenté l’Ondam, c’est-à-dire le budget que la Nation consacre aux dépenses de santé, qui est passé de 191 milliards d’euros en 2017 à 255 milliards en 2024, soit un effort de plus de 60 milliards d’euros.

Par ailleurs, les hôpitaux publics comme les cliniques privées verront, une fois de plus, leurs tarifs augmenter cette année. Cela représente une augmentation de 3,2 milliards d’euros des ressources des établissements. Cette hausse des tarifs, qui explique sans doute la différence entre public et privé, permet de financer près d’un milliard d’euros de mesures de revalorisations salariales et d’attractivité pour les professionnels des hôpitaux publics. Elle permet enfin d’accompagner la reprise d’activité, pour que les établissements puissent répondre au mieux aux besoins de santé de la population.

En outre, la période actuelle est aussi celle de la mise en place de réformes de financement structurantes sur les urgences, la psychiatrie, ainsi que les soins médicaux et de réadaptation (SMR).

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 a posé les bases d’une réforme du financement de l’hôpital et de la tarification à l’activité.

L’autre chantier majeur pour l’année à venir concerne les ressources humaines en santé. Il est nécessaire d’arrêter la fuite des soignants, personnels médicaux comme non médicaux, et de les faire revenir à l’hôpital. Pour ce faire, de nombreuses actions ont été mises en œuvre pour rémunérer les personnels hospitaliers à la hauteur de leur engagement et susciter des vocations.

Le Gouvernement s’est engagé, depuis plusieurs années, dans une augmentation significative du nombre de professionnels formés, en supprimant le numerus clausus et en augmentant le nombre d’infirmiers diplômés.

Nous avons aussi annoncé l’année dernière des mesures de revalorisation du travail de nuit et de week-end. En effet, travailler à l’hôpital, c’est accepter des sujétions particulières et des contraintes horaires qui doivent être mieux reconnues et valorisées. Ces revalorisations s’ajoutent évidemment aux efforts historiques réalisés depuis 2020, en particulier grâce au Ségur de la santé.

Améliorer les conditions de travail, c’est aussi le sens du Ségur investissement, doté de 15,5 milliards d’euros. Cet effort inédit, qui n’est pas une avance de trésorerie, contrairement aux plans Hôpital 2007 ou Hôpital 2012, a permis d’accompagner la modernisation de 3 000 établissements.

Par ailleurs, pour fidéliser nos professionnels de santé, nous devons travailler pour faire évoluer les métiers. Ainsi, pour les personnels non médicaux, un chantier global sur la profession d’infirmière a été lancé ; il doit aboutir la semaine prochaine. Pour les personnels médicaux, les études médicales sont en cours de réforme, et des points restent à approfondir sur la quatrième année de médecine générale. La loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels permettra également de répondre aux difficultés rencontrées par les praticiens à diplôme hors Union européenne.

Parallèlement, l’amélioration de la situation aux urgences reste évidemment une priorité du Gouvernement. On le sait, les urgences ne fonctionnent bien que lorsque le parcours des patients, en amont et en aval, est fluide. Cela renvoie aux enjeux du nombre de lits ouverts, d’attractivité des métiers et de fidélisation des professionnels.

Mais il existe d’autres leviers d’amélioration, comme l’organisation des parcours des patients, la gestion de l’activité non programmée, ou encore le partage de la contrainte de la permanence des soins entre les établissements. Avec la loi du 27 décembre 2023, nous avons décidé une augmentation concrète de l’implication de tous les acteurs dans la permanence des soins.

De plus, conformément aux engagements du Premier ministre, le service d’accès aux soins (SAS) sera généralisé dans tous les départements d’ici à l’été 2024. Avec le SAS, nous organisons le système de santé pour que, à toute heure de la journée, les citoyens puissent trouver une réponse, par un appel téléphonique, pour des soins non programmés.

Aujourd’hui, nous avons 63 SAS actifs, qui couvrent 80 % de la population. D’ici à la fin de l’été, 100 SAS auront été ouverts. C’est un outil formidable pour l’égalité d’accès aux soins, et c’est aussi le témoin des nouvelles relations de confiance et de soutien qui se nouent entre la médecine de ville et la médecine hospitalière. En effet, pour soulager l’hôpital, il faut que la médecine de ville prenne toute sa part.

La loi que j’ai portée, en tant que député, vise justement à mieux coordonner l’organisation territoriale des soins, et à mieux répartir les compétences et les responsabilités de chacun des acteurs, en fonction des besoins, dans les territoires.

Plus largement, la réforme des autorisations ou de la permanence des soins en établissement constitue un moyen de faire évoluer l’offre sur le territoire, pour s’adapter et mieux répondre aux besoins des patients.

Outre ces chantiers incontournables, nous sommes enfin pleinement engagés dans la transition écologique et la digitalisation du système de santé.

Le Gouvernement s’est engagé à réduire de 5 % par an les émissions de gaz à effet de serre du secteur de la santé. Cela passe par plusieurs axes : le bâtiment, des achats plus durables, une meilleure valorisation des déchets ou encore le développement de soins écoresponsables.

Concernant le numérique, le ministère poursuit son programme de modernisation des systèmes d’information hospitaliers.

L’intelligence artificielle (IA) et les opportunités ouvertes par l’utilisation des données de santé nous obligent également. Ce sont des chantiers majeurs des prochaines années, qui auront un impact très fort sur l’organisation et le fonctionnement de notre système de soins.

Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà ce que nous pouvons dire des défis que doit aujourd’hui relever l’hôpital.

Je souhaiterais conclure mon intervention en rappelant plusieurs points.

Ne considérer que les quatre murs de l’hôpital, c’est ne voir qu’une partie du sujet. Car, de plus en plus, l’hôpital joue un rôle structurant de l’offre de soins dans les territoires et de coopération avec la médecine de ville. Cette responsabilité territoriale doit être prise en compte.

Permettez-moi également d’évoquer les choses formidables qui se passent tous les jours à l’hôpital. Je citerai ainsi les résultats de la campagne de recrutement lancée ces derniers mois. Ils sont encourageants et nous confirment que l’attention portée à la rémunération et aux conditions de travail porte ses fruits. Grâce à ces recrutements, notre objectif est de rouvrir des lits, dès maintenant, un peu partout en France.

Je veux aussi rappeler que l’activité repart à la hausse dans le secteur public, dépassant même en volume les prévisions qui avaient pu être faites.

Bien évidemment, l’hôpital représente bien plus que des chiffres et des statistiques. Il incarne le dévouement et le professionnalisme de milliers de soignants qui travaillent au quotidien pour assurer la santé de nos concitoyens. La mobilisation du Gouvernement est pleine et entière pour continuer à soutenir et moderniser notre système hospitalier, et lui garantir un avenir solide et pérenne.

Débat interactif