M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur cette motion.

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Quoi que vous en disiez, mes chers collègues, cette proposition de loi est contraire à notre Constitution. Vous ne pouvez pas interpréter celle-ci dans le sens qui vous arrange.

M. Olivier Paccaud. C’est pourtant ce que vous faites !

Mme Cathy Apourceau-Poly. Par ailleurs, lorsque mon collègue Barros a salué les cheminots qui nous écoutent depuis les tribunes, certains ont ironisé, en indiquant que ces derniers n’étaient pas au boulot. Ils ont pourtant raison de défendre leur travail, leurs collègues et le droit de grève, et je regrette le mépris avec lequel vous les avez considérés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Comme je le disais, le présent texte s’oppose à la Constitution sur le fond, en limitant le droit de grève, pourtant garanti par différentes dispositions constitutionnelles. Je n’y reviendrai pas, cela ayant été très bien exposé par mon collègue Pierre Barros.

Ce texte s’oppose aussi à l’esprit de notre Constitution et aux valeurs de notre République, en s’en prenant à la liberté et aux fondements de nos conquêtes sociales.

M. Olivier Paccaud. Et la liberté de circuler et de travailler ?

Mme Cathy Apourceau-Poly. La grève n’est qu’un outil de contestation. Elle est l’expression des travailleurs qui défendent la valeur de leur travail et font valoir leur dignité au travail.

Par cette proposition de loi, mes chers collègues, vous indiquez aux cheminots qu’ils devront travailler, peu importe leur salaire, peu importent leurs conditions de travail, peu importe le manque d’investissement et d’entretien des transports. « Travaille et tais-toi ! »

Si les transports terrestres et maritimes sont aujourd’hui visés, vous risquez d’attaquer demain d’autres secteurs d’activité. En tout état de cause, nous avons bien compris que vous vouliez ouvrir la boîte de Pandore…

Ce sont pourtant les grèves, et plus largement les mobilisations du plus grand nombre, qui ont permis, dans notre histoire, de bâtir notre République et d’obtenir des droits nouveaux.

Pour toutes ces raisons, nous voterons bien évidemment pour cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité au présent texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.

M. Olivier Jacquin. Le droit de grève est constitutionnel. Son intégrité est garantie par le préambule de la Constitution de 1946. C’est un droit protégé, sacré et déjà largement encadré, offrant aux contre-pouvoirs une expression claire et libre.

Ce droit préserve le corps social, dès lors que celui-ci est empêché de négocier, afin que chacun puisse gagner de nouveaux droits ou protéger ceux qu’il a acquis, dans le pur respect de notre contrat social, et que chacun puisse aspirer à changer sa vie pour vivre mieux.

Pour ce qui nous concerne aujourd’hui, l’intégrité du droit de grève des travailleurs du secteur des transports n’est déjà plus totalement garantie par le droit positif. L’encadrement de ce droit par la loi du 21 août 2007 a contribué à restreindre celui-ci, pour garantir, très naturellement, le droit à l’information des voyageurs affectés par les mouvements sociaux et l’organisation du nécessaire service minimum.

Nous avons déjà été appelés à nous prononcer sur certaines de ces dispositions, et nous les avons déjà rejetées lors de l’examen de ce qui deviendrait la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités. Je pense notamment à l’allongement du délai de déclaration d’intention individuelle.

Le présent texte, bien qu’il ait été subtilement modifié pour exclure de son champ le transport aérien, n’apporte ainsi rien de nouveau. Pis, il est inconstitutionnel. Cela est révélateur d’un mépris grandissant du Conseil constitutionnel, dont la légitimité des décisions est de plus en plus souvent remise en cause. La loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, dite loi Immigration, l’a bien montré.

Cet exercice dangereux avec la norme suprême de notre pays doit cesser. Comme le ministre chargé des transports, qui le rejettera, nous, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, en cohérence avec notre attachement au respect du contrat social, nous rejetons ce texte et voterons en conséquence la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Je tiens enfin à saluer l’engagement syndical et la présence, cet après-midi, de syndicalistes dans les tribunes de cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.

M. Guillaume Gontard. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutient et votera naturellement cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Vous savez fort bien, mes chers collègues, que les dispositions de ce texte portent atteinte au droit de grève et qu’elles seront frappées d’inconstitutionnalité. Vous le savez pertinemment et vous jouez avec ce risque !

J’estime que cela n’est pas sérieux, cela nuit au débat parlementaire, de même qu’il n’est pas sérieux, monsieur le ministre, de vous en remettre à la sagesse du Sénat sur la présente motion, alors que vous savez que les dispositions de ce texte seront frappées d’inconstitutionnalité.

La grève est un moyen de pression dont l’emploi montre que le dialogue social n’a pas été possible. Avant de porter atteinte au droit de grève, sans doute faudrait-il s’interroger à ce sujet.

Je tiens à rappeler que le droit de grève a façonné l’histoire de notre pays et que, si nous débattons de la possibilité que nos concitoyens puissent prendre le train pour partir en vacances, c’est parce qu’en 1936 une grande grève a permis d’obtenir le droit à des congés payés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Et, depuis lors, d’autres grandes grèves ont contribué à défendre le service public et le ferroviaire.

Telle est l’utilité du droit de grève, que vous vous efforcez de bannir comme s’il était la cause de tous les maux, mes chers collègues ! Comme vous le savez pourtant, les difficultés que rencontre le ferroviaire tiennent, non pas aux grèves ni aux syndicats, mais au manque d’investissement ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

(La motion nest pas adoptée.)

M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par MM. Fernique, Jacquin, Devinaz, Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon, Mmes Senée, Souyris, M. Vogel, Artigalas, Bélim, Blatrix Contat et Bonnefoy, MM. Bouad et Bourgi, Mmes Briquet, Brossel et Canalès, M. Cardon, Mme Carlotti, MM. Chaillou et Chantrel, Mmes Conconne et Conway-Mouret, M. Cozic, Mme Daniel, MM. Darras, Durain et Éblé, Mme Espagnac, MM. Fagnen et Féraud, Mme Féret, MM. Fichet et Gillé, Mme Harribey, MM. Jeansannetas, P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, MM. Kanner et Kerrouche, Mmes de La Gontrie, Le Houerou et Linkenheld, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Marie, Mérillou et Michau, Mme Monier, M. Montaugé, Mme Narassiguin, MM. Ouizille et Pla, Mme Poumirol, MM. Raynal et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert, MM. Roiron et Ros, Mme Rossignol et MM. Stanzione, Temal, Tissot, Uzenat, M. Vallet, Vayssouze-Faure, M. Weber et Ziane, d’une motion n° 9.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi visant à concilier la continuité du service public de transports avec l’exercice du droit de grève (n° 493, 2023-2024).

La parole est à M. Jacques Fernique, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Pierre Barros applaudit également.)

M. Jacques Fernique. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, posons-nous la question : franchement, est-ce le moment ? (Oui ! sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Olivier Paccaud. Ce n’est jamais le moment !

M. Jacques Fernique. Est-ce vraiment en procédant ainsi que nous contribuerons à apaiser le climat ? Est-ce vraiment en procédant ainsi que nous assurerons la continuité du service public des transports dans cette passe olympique délicate (Oui ! sur les travées du groupe Les Républicains.) et dans un contexte de carence en conducteurs, de saturation des réseaux et de mauvais état du matériel roulant de nos transports publics, alors que nos opérateurs de transport aspirent à bénéficier des conditions de leur essor ?

Pouvons-nous nous engager dans de telles restrictions d’un droit fondamental, en renversant les conditions d’encadrement légal du rapport de force des conflits sociaux, et le faire de façon expéditive, dans l’« impromptu parlementaire », dans la fragilité juridique et constitutionnelle, sans avis du Conseil d’État, et alors que la concertation des syndicats s’est faite au travers d’une audition en visioconférence de cinquante-cinq minutes, sans analyse précise de faisabilité opérationnelle et sans étude d’impact ?

Si nous étions raisonnables, il faudrait que nous répondions à cette question par la négative. Je dis « il faudrait », car ce n’est sans doute pas le scénario que va choisir cet après-midi la majorité de notre hémicycle. En effet, mes chers collègues, vous venez de renoncer à ce texte en niant son irrecevabilité constitutionnelle, pourtant assez évidente.

Même si cela sera sans doute vain, souffrez d’entendre, mes chers collègues, avant de mettre à mal en sept articles le droit des salariés de défendre leurs conditions de travail et la qualité du service public, combien votre choix sera inconsidéré, inopportun, inopérant, voire – vous devriez au moins comprendre cela – totalement contre-productif.

Monsieur le rapporteur, cher Philippe Tabarot, selon vous – vous l’avez signifié crûment, à votre façon, en commission –, l’opposition à ce texte ne mériterait pas de considération, car elle ne serait que l’idéologie prenant le dessus, qu’une posture renonçant à tout bon sens.

M. Olivier Jacquin. Tout à fait.

M. Jacques Fernique. Pourtant, considérons ce que la commission a fait, sur votre proposition, monsieur le rapporteur, de l’article 1er du texte initial ! Vous avez carrément divisé par deux le champ de cette proposition de loi, en réduisant la possibilité de recours au dispositif de soixante à trente jours cumulés par an et de quinze à sept jours d’affilée et vous avez remplacé les sanctions pénales lourdes par des sanctions disciplinaires, révélant ainsi à quel point ce texte correspond peu à son intitulé : « concilier la continuité du service public de transports avec l’exercice du droit de grève ». N’y a-t-il pas là comme un aveu du caractère épidermique, déséquilibré et à l’emporte-pièce de ce texte de réaction, marqué avant tout par une volonté d’affichage face à l’opinion telle que vous la percevez, cette fameuse « majorité silencieuse » que vous avez déjà invoquée ?

Avez-vous ramené tout cela à l’équilibre et au juste milieu ? Non, parce que vous aurez beau réduire la part de ce qui est anticonstitutionnel, vous n’en changerez pas la nature. L’euphémisme n’abuse personne, la « suspension » est tout bonnement une interdiction. Qu’elle intervienne pendant soixante jours ou trente jours par an, pendant quinze jours ou sept jours d’affilée, il s’agit bien de supprimer un droit essentiel, un droit constitutionnel, pendant une période où, précisément, l’exercice de ce droit a le plus fort impact. Il s’agit, d’une certaine façon, d’opérer une sorte de réquisition générale des salariés pendant cette période, alors que la jurisprudence constitutionnelle n’a jamais considéré que les services de transports faisaient partie des besoins essentiels du pays.

Entendons-nous bien, les transports collectifs ont une importance majeure du point de vue social, économique et climatique. Leur qualité et leur essor nécessitent que soient assurées les conditions d’un dialogue social performant et fluide et non pas d’un monologue dans le vide. Sur ce point, vous avez raison, mais je ne crois pas que ce soit par l’amputation du droit de grève et de la liberté d’action syndicale que l’on y contribuera.

La commission ne s’est pas bornée à adapter les périodes et les durées d’interdiction. Elle a aussi fait des ajouts en reprenant telles quelles toute une série de revendications des employeurs qui visent à amoindrir, à décourager et à compliquer l’action collective des salariés. Pour cela, il a fallu monter en épingle des abus et des dérives, certes réels, mais un peu caricaturés. Et tout y passe : les préavis longs, l’échéance des déclarations d’intention, celles des rétractations ou encore les grèves courtes.

Oui, c’est une caricature que d’évoquer des préavis dormants jusqu’en 2045 ou même jusqu’en 2040 ! On nous dit que nombre de ces préavis auraient plus de dix ans d’âge. Je crois qu’il serait souhaitable, plutôt que de laisser chacun lancer ses chiffres, de dresser un diagnostic reconnu tant par les employeurs que par les syndicats représentatifs.

Oui, la grève est action collective. Elle ne peut pas être mobilisée pour convenance personnelle d’individus isolés couverts par un quelconque vieux préavis. Mais faut-il pour autant remettre en cause, exclusivement pour les transports collectifs terrestres, le régime de préavis qui résulte tout de même d’un texte datant de 1963 sur les conflits sociaux pour tout le secteur public ? Il convient, à tout le moins, de faire preuve de circonspection.

En proposant de faire passer les délais de quarante-huit à soixante-douze heures pour la déclaration d’intention et de vingt-quatre heures à quarante-huit heures pour la renonciation éventuelle, que s’agit-il d’améliorer : l’information préalable des usagers ? La réorganisation du service en fonction des non-grévistes ? Ou, plus simplement, les détournements de la loi qui consistent à utiliser ce laps de temps pour exercer une pression systématique sur chacun des grévistes pressentis ? (M. Olivier Jacquin renchérit.)

L’interdiction des grèves courtes, c’est-à-dire l’obligation de n’exercer le droit de grève qu’à la prise de service et jusqu’au terme de celui-ci, constituerait tout de même une restriction d’importance. Certes, cela est conditionné à l’existence d’un « risque de désordre manifeste à l’exécution du service public », mais cette appréciation n’aurait rien d’évident ni de manifeste.

La direction de la RATP nous l’a d’ailleurs indiqué, l’effet des grèves par tranches de 59 minutes se voit très peu sur l’offre de service. En revanche, ce qui pose problème, c’est que la baisse de salaire qui en résulte pour les grévistes ne couvre pas la baisse de travail effectif, car, bien évidemment, le service ne s’effectue pas par tranche de 59 minutes. C’est un problème, certes, mais qui ne constitue pas pour autant un « désordre manifeste à l’exécution du service public ».

Enfin, à l’article 9, vous franchissez un palier vraiment très élevé, en procédant à des ajouts que même les employeurs ne demandent pas ! Vous reprenez ainsi un principe de la proposition de loi Retailleau de 2020, selon lequel, pendant toute l’année, la réquisition du personnel pourra servir à assurer, dès que nécessaire, un service garanti fixé par chaque autorité organisatrice de mobilité. Si l’on voulait surcharger la barque, on ne procéderait pas autrement…

Idéologie ou équilibre, affichage ou pragmatisme ? Avouez que nous pouvons vous retourner la question…

Cette motion tendant à opposer la question préalable est sans doute vaine, mais cette proposition de loi sera-t-elle féconde pour autant ? Ses carences juridiques et opérationnelles, ainsi que son défaut de concertation préalable et de prise en compte des parties prenantes, compromettront sans doute la suite de son parcours parlementaire.

Je crois que, dans le champ des conflits sociaux, l’intérêt général est plutôt dans la recherche d’un équilibre et dans la volonté de faire mieux fonctionner le régime issu de la loi de 2007 : alarmes sociales, dialogue pris au sérieux, facilitation de l’exercice de représentation du personnel, valorisation des organisations représentatives, déclarations individuelles d’intention de grève qui ne soient pas utilisées pour faire pression et dissuader ceux qui les déposent, voilà des pistes qui seront autrement positives que des interdictions, des réquisitions et des sanctions, qu’elles soient pénales ou disciplinaires.

Pour les usagers, la mise en place du service prévisible sur la base des grévistes annoncés et l’information des voyageurs à son sujet ont été un réel progrès. Pour les salariés et leurs employeurs, bien des avancées sont issues des alarmes sociales et des phases de dialogue qui ont permis de résoudre de nombreux conflits. Prenons-en la mesure plutôt que de légiférer encore à l’excès. La loi de 2007 offre un cadre qui permet à l’intelligence collective de s’exercer. C’est cela qu’il faut faire bien fonctionner plutôt que de durcir, de contraindre et en définitive d’attiser ce que l’on prétendait apaiser.

Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste considère, avec le groupe socialiste, qu’il serait préférable d’en rester là. Il suffit d’adopter la présente motion. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais vous raconter l’histoire d’une jeune Américaine du Midwest, venue s’installer dans notre capitale, où elle a décidé d’inviter ses meilleures amies pour visiter « son Paris chéri », à l’occasion des jeux Olympiques. Nos chanceuses touristes américaines en rêvent déjà : cette chère vieille France, Paris, la bonne cuisine, les Folies Bergère, le gai Paris, la haute couture, les bateaux-mouches, la tour Eiffel, les jardins du Sénat…

M. Pierre Barros. La Révolution française !

Mme Céline Brulin. Les congés payés !

Mme Audrey Linkenheld. La sécurité sociale !

M. Pascal Savoldelli. Aragon, Picasso !

M. Stéphane Le Rudulier. Cette jeune Américaine a tout prévu pour accueillir au mieux ses amies.

Tout prévu ou presque. Les malheureuses ! C’était sans compter sur la RATP ! Pas l’entreprise en elle-même, mais les syndicats…

Mme Raymonde Poncet Monge. Pas la direction bien sûr !

M. Pascal Savoldelli. Elle est américaine : elle appelle un Uber !

M. Stéphane Le Rudulier. … du « racket arbitraire des transports parisiens », qui déposent un préavis de grève – tenez-vous bien ! – de six mois, avant les jeux Olympiques.

Certains partenaires sociaux des entreprises de transport se sont transformés depuis longtemps – osons le dire ! – en pollueurs sociaux profitant des moments importants du calendrier pour imposer un chantage à la mobilité, afin d’obtenir la rançon la plus élevée possible.

Ces agences d’anti-tourisme, ces « Robin des Bois version Lutèce » (Sourires sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) pénalisent des citoyens, les touristes, mais surtout les travailleurs les plus modestes, qui dépendent de façon vitale des transports en commun pour gagner leur vie.

Soyons clairs, le refus de débattre de cette proposition de loi peut paraître totalement irresponsable. Je pense que nous avons atteint un excès inacceptable. Cela a été dit, comme pour les prélèvements obligatoires, la France est championne du monde du nombre de jours de grève, alors que dans le même temps le taux de syndicalisation ne cesse de baisser et est passé sous la barre de 10 % en 2022.

Nous comptons 127 jours de grève par an pour 1 000 salariés durant la dernière décennie, contre 49 en Espagne, 46 au Danemark, 19 aux Pays-Bas et 17 en Allemagne. Cette situation peu envieuse nous pousse à agir.

Les mobilisations syndicales dans les transports, et donc les grèves, ne sont souvent suivies que par une minorité de travailleurs prenant en otage le reste de leur profession, leurs collègues, ainsi que l’ensemble des Français. Ils exercent une forme de diktat syndical contre l’intérêt populaire, oubliant qu’un service public est d’abord et avant tout un service au public.

Laissez-moi vous poser la question : qui, à part les agents de la RATP et de la SNCF, peut cesser de travailler en engendrant un tel potentiel de nuisance et en imposant à tous d’être les témoins de ses revendications ? Personne, aucun commerçant, aucun artisan, aucun salarié d’entreprise, qu’il s’agisse des très petites entreprises (TPE) ou des petites et moyennes entreprises (PME), n’a cette capacité.

Loin d’être rares, ces mouvements de grève, notamment pendant la période des fêtes de fin d’année, sont récurrents. Il s’agit même – mes collègues l’on dit – d’une tradition ou d’un marronnier. Rendez-vous compte, seize mouvements sociaux à la SNCF ont été enregistrés au cours des vingt dernières années !

Au choix du moment, opportun pour certains, s’ajoute celui de son exécution, qui peut être vicieux : c’est la grève et ses contours flous, la rétention d’informations par ses décideurs, parfois vindicatifs et moralisateurs. L’incertitude sur sa durée et sa forme nous plonge dans des conjectures hésitantes et angoissantes. (Exclamations sur des travées du groupe CRCE-K.)

Tout cela suscite une exaspération légitime et compréhensible de nos compatriotes : 64 % des Français considèrent que la grève à la SNCF pendant les vacances représente un abus du droit de grève.

Ces phénomènes récurrents apparaissent en totale contradiction avec l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui rappelle que la liberté « consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». De la fiabilité des transports publics dépend la liberté d’aller et venir de nos compatriotes.

Force est de constater que la réalité franco-française de la gréviculture est à des années-lumière de la situation de nos voisins européens.

Prenons l’exemple de l’Italie, qui a fait le choix d’instaurer dès 1990, puis en 2000, un service minimum dans les transports afin de garantir la liberté de circulation durant les jours de grève. Dans les secteurs stratégiques, il est même impossible que les travailleurs exercent leur droit de grève à certains moments de l’année. Pourtant, le droit de grève est consacré dans la constitution italienne exactement de la même manière et dans la même rédaction, mot pour mot, que dans notre loi fondamentale.

Nous devons aux Français cette évolution pour mieux encadrer l’exercice du droit de grève, dans le respect du préambule de la Constitution de 1946 selon lequel le « droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ».

Comme mes collègues l’ont dit, le droit de grève n’est pas un principe absolu, des limites peuvent y être apportées et encadrer le droit de grève relève de la compétence du législateur. Proposer un service garanti dans les transports publics au cours des périodes les plus cruciales n’entrave en rien la recherche du point d’équilibre entre le droit de grève et la continuité du service public.

La France est l’une des démocraties sociales les plus avancées, bénéficiant du droit du travail le plus protecteur et avantageux au monde. Mais, hélas ! une minorité de bloqueurs fait de notre fierté sociale un boulet, voire un repoussoir. Ces derniers ne sont plus les disciples, malheureusement, du Front populaire et des congés payés, ils sont les héritiers des pires conservatismes et des sociétés figées, bloquées, paralysées.

M. Stéphane Le Rudulier. Si l’on veut en finir avec cette culture du conflit, qui atténue la portée d’un droit constitutionnel, il faut accepter une modernisation de notre matrice sociale.

Chers collègues, pour conclure, je pense à l’événement qui propulsera la France sous le feu des projecteurs pendant plusieurs semaines : les jeux Olympiques. (M. Michel Savin acquiesce.) Le monde entier nous regarde, nous jouons notre crédibilité et notre place dans le concert des grandes nations. Ces Jeux doivent être la vitrine du savoir-faire français, montrant la qualité de notre accueil et notre force dans l’organisation d’événements internationaux. Il ne faudrait pas qu’ils deviennent le pavillon témoin du diktat de la gréviculture. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. Vincent Louault applaudit également.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Tabarot, rapporteur. Quelle que soit la voie choisie, ces prises de position ne sont pas une surprise. Elles sont aussi prévisibles que la périodicité des grèves dans notre pays…

Toutefois, mes chers collègues, une chose m’échappe : vous êtes pour le dialogue social, mais en défendant cette motion tendant à opposer la question préalable, vous refusez le dialogue !

Je rappelle que notre rôle de législateur, comme l’a souligné le Conseil constitutionnel dès 1979, est d’opérer « la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte ». Dès lors que l’exercice de la grève est dénaturé, comme on l’observe aujourd’hui, il nous appartient de revoir l’équilibre existant pour répondre de la façon la plus équilibrée possible aux différents détournements dont il fait l’objet.

Ainsi, je veux citer l’exemple de la région dont je suis élu, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, où l’on enregistre 90 jours de grève sur 365.

Dès lors que vingt conducteurs de métro sont en grève chaque jour à la RATP, sur le fondement de préavis dormants, dès lors que certains préavis courent bien jusqu’en 2040 ou 2045 à la SNCF, cher Jacques Fernique, estimez-vous de façon responsable et rationnelle que le droit de grève s’exerce aujourd’hui de façon normale et proportionnée ?

En tout état de cause, les évolutions positives apportées par la loi de 2007, notamment en matière de renforcement du dialogue social et de prévention des conflits, semblent désormais se heurter à de nouvelles pratiques, comme l’ont d’ailleurs reconnu les ministres qui avaient défendu ce texte, Dominique Bussereau et Xavier Bertrand.

La grève qui était pensée comme un levier ultime et comme une manifestation de l’échec du dialogue social est devenue un préalable, si ce n’est un contournement du dialogue social. Cette situation justifie une évolution conséquente du droit.

Je suis d’accord avec vous sur un point, mes chers collègues : la grève n’est pas l’alpha et l’oméga de nos politiques de transports, lesquels souffrent d’un sous-investissement chronique. Pour autant, ne détournons pas le regard à l’heure où il est demandé à SNCF Voyageurs de réaliser une part considérable des investissements sur le réseau, car les jours de grève coûtent entre 10 millions et 15 millions d’euros par jour et contribuent à creuser des difficultés déjà existantes.

Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable sur cette motion.