Présidence de M. Didier Mandelli

vice-président

Secrétaires :

M. Guy Benarroche,

Mme Sonia de La Provôté.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 10 avril 2025 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n'y a pas d'observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

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Décès d'un ancien sénateur

M. le président. J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Henri Torre, qui fut sénateur de l'Ardèche de 1980 à 2008.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic
Article 1er

Sortir la France du piège du narcotrafic et statut du procureur de la République national anti-criminalité organisée

Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire sur une proposition de loi et une proposition de loi organique

M. le président. L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic (texte de la commission n° 535, rapport n° 534) et de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur de la République anticriminalité organisée (texte de la commission n° 536, rapport n° 534).

La conférence des présidents a décidé que ces textes feraient l'objet d'explications de vote communes.

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, messieurs, madame les ministres, mes chers collègues, je profite de l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi et la proposition de loi organique relatives au narcotrafic pour évoquer de manière générale ce problème.

Vous vous souvenez tous que la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, créée au mois de novembre 2023, sur l'initiative du groupe Les Républicains, a donné lieu à un travail transpartisan, lequel a montré à quel point le narcotrafic était non pas une simple succession d'infractions qui troubleraient l'ordre public, mais bien une série de comportements portant atteinte aux intérêts de la Nation tout entière.

Une fois cette évidence rappelée, le président de la commission d'enquête Jérôme Durain, aujourd'hui rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire, et le rapporteur Étienne Blanc, ont déposé une proposition de loi et une proposition de loi organique traitant, pan par pan, de l'intégralité des sujets nécessitant une modification législative, afin d'engager efficacement la lutte contre le narcotrafic.

Ce travail a été accompli de manière transpartisane et ces textes ont été votés à l'unanimité. Le même travail a été réalisé à l'Assemblée nationale, où, après des discussions multiples, mais fructueuses, nous avons réussi à trouver un accord sur l'intégralité des dispositions qu'ils contenaient. Le temps qui m'est imparti ne me permettant pas de toutes les énumérer, je me contenterai d'en citer trois, de manière chronologique, jusqu'à l'instruction.

Premièrement, nous avons décidé la création d'un parquet national anticriminalité organisée (Pnaco), parquet unique destiné à coordonner l'action des autres parquets sur la criminalité organisée et le narcotrafic. C'est nécessaire si nous voulons maîtriser l'hydre du narcotrafic qui s'est abattue sur la France comme sur bien d'autres pays.

Ce parquet sera opérationnel dès le mois de janvier prochain, du moins je l'espère, puisque c'est la date qui a été fixée avec l'accord de M. le garde des sceaux. (M. le garde des sceaux acquiesce.) Il permettra cette lutte efficace.

Deuxièmement, nous avons changé le régime non seulement des demandes de nullité, mais surtout des mises en liberté.

Pour un narcotrafiquant, la mise en liberté constitue un enjeu crucial. En effet, un individu détenu, qu'il soit prévenu ou accusé, est jugé dès lors qu'une décision de justice intervient ; en revanche, au regard de l'état d'encombrement des juridictions françaises, malheureusement, dès lors que cet individu est libre, cette décision peut ne pas intervenir.

Il fallait donc que la guérilla procédurale qui est aujourd'hui mise en œuvre par les narcotrafiquants soit freinée par des dispositions qui, sans être attentatoires au droit de la défense, empêchent, de façon objective, de soulever des moyens procéduraux de mauvaise foi aux fins d'obtenir la mise en liberté de ceux-là mêmes qui ne devraient jamais sortir de prison avant d'être jugés.

Troisièmement, nous avons beaucoup travaillé sur l'incarcération, qui constitue l'issue importante de la procédure. À l'Assemblée nationale, M. le garde des sceaux a proposé que des quartiers de lutte contre la criminalité organisée soient instaurés. Nous avons retravaillé cette disposition, à laquelle, comme nos collègues députés, nous sommes favorables sur le principe.

Tout cela nous permet d'obtenir un équilibre qui me paraît bon. Ainsi, la décision du garde des sceaux de recourir à des quartiers de lutte contre la criminalité organisée sera réinterrogée tous les ans, afin qu'elle ne puisse être attentatoire aux libertés individuelles.

Telles sont les principales dispositions sur lesquelles je souhaitais donner quelques éléments d'explication. La proposition de loi en contient d'autres, qui ont déjà été débattues en séance publique et sur lesquelles nous avons trouvé un accord avec nos collègues de l'Assemblée nationale.

Il me paraît important que cette proposition de loi et cette proposition de loi organique, qui ont été adoptées ici même à l'unanimité, connaissent aujourd'hui une issue similaire, au moment nous examinons les conclusions de la commission mixte paritaire. En effet, c'est d'une seule voix que les parlementaires et le Gouvernement, par l'intermédiaire des ministres ici présents, qui se sont beaucoup investis sur ce sujet, doivent s'exprimer face à l'hydre du narcotrafic.

Cela nous permettra de lutter efficacement contre la criminalité organisée qui s'abat sur la France, avec son cortège de menaces, de corruptions et de violences. Nous devons apporter une réponse commune, forte et unanime.

J'ai l'espoir que, aujourd'hui encore, nous retrouverons cette même unanimité dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et RDSE, ainsi qu'au banc des commissions. – M. le garde des sceaux applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie les parlementaires, qu'ils siègent au Sénat ou à l'Assemblée nationale, du travail accompli en séance publique et en commission mixte paritaire sur ces textes si importants pour nos magistrats, nos forces de l'ordre et l'ensemble de notre pays. Ainsi, nous pourrons lutter contre le narcotrafic.

Je remercie évidemment au premier chef les auteurs de cette proposition de loi et de cette proposition de loi organique, MM. Étienne Blanc et Jérôme Durain, même s'ils peuvent considérer que le bébé dont ils ont permis la naissance a grossi depuis lors. En effet, de nouveaux articles ont été introduits et des modifications ont été apportées – pour autant, tout cela a été fait avec votre accord, monsieur le rapporteur.

C'est le cas du parquet national antistupéfiants, qui est devenu le parquet national anticriminalité organisée (Pnaco). C'est également le cas de dispositions très importantes qui ont été instaurées à destination des magistrats, notamment des magistrats spécialisés.

C'est aussi le cas de certains articles qui, comme vous l'avez souligné dans votre rapport, monsieur Durain, ne sont pas des cavaliers législatifs, puisqu'ils contiennent des dispositions pénitentiaires, et qui ont considérablement enrichi ce texte pour créer le nouveau régime carcéral, inspiré de l'article 43 bis italien, avec des prisons de haute sécurité.

La première de ces prisons de haute sécurité sera inaugurée le 1er juillet prochain, à Vendin-le-Vieil ; la seconde sera ouverte le 15 octobre, à Condé-sur-Sarthe.

Y seront enfermés les 200 narcotrafiquants les plus dangereux, rompant ainsi avec la tradition pénitentiaire française qui consiste à classer ou à catégoriser les détenus selon leur statut devant la justice – ceux qui relèvent de la détention provisoire sont placés en maison d'arrêt, ceux qui sont condamnés pour peine sont détenus en prison pour peine, etc. –, et non en fonction de leur dangerosité. Ainsi, il est prévu que la prison de Vendin-le-Vieil accueille 70 % de personnes placées en détention provisoire.

C'est vrai, ce régime carcéral est extrêmement strict, mais il permet d'isoler les trafiquants et les narcotrafiquants du reste de la société, pour qu'ils ne puissent plus diriger leur point de deal, blanchir leur argent, commanditer des assassinats ou menacer des directeurs de prison, des agents pénitentiaires, des magistrats, des policiers, des femmes et des hommes politiques, des journalistes ou des avocats, comme on l'a vu encore très récemment à Nancy. À l'instar des Italiens, nous couperons tout lien social entre les personnes placées en détention et l'extérieur, notamment le narcotrafic.

Vous l'avez souligné, madame la présidente de la commission des lois, ce régime carcéral extrêmement original et strict soulève des questions.

C'est pourquoi j'ai souhaité que le travail que nous avons accompli à l'Assemblée nationale – je sais qu'il a recueilli le même consensus au Sénat – puisse avoir lieu d'abord avec MM. Durain et Vicot, respectivement rapporteurs pour le Sénat et pour l'Assemblée nationale de la commission mixte paritaire, puis avec le groupe socialiste, et plus largement la gauche, qui représente l'opposition au Sénat comme à l'Assemblée nationale.

J'ai également souhaité que le Conseil d'État soit saisi des dispositions carcérales que j'ai proposées, puisqu'elles ne figuraient pas dans la proposition de loi initiale. Après que celui-ci a émis un avis positif, nous avons modifié à la virgule près ce nouveau régime carcéral, lequel, j'en suis sûr, échappera aux fourches caudines du Conseil constitutionnel.

Je me félicite du vote très large que ce régime carcéral a recueilli à l'Assemblée nationale – le texte qui a été voté à l'unanimité au Sénat ne contenait pas ces dispositions.

C'est pourquoi, dans un esprit de compromis, j'ai accepté que, au lieu des deux ans d'enfermement qui étaient prévus, soit posé le principe d'un an d'enfermement renouvelable, afin de recueillir le vote positif du groupe socialiste. Un tel dispositif, sur lequel, une fois que nous aurons pris les premières décisions, nous disposerons rapidement des jurisprudences du Conseil d'État, est un bon compromis républicain : il s'agira bien d'un régime carcéral, expression de la volonté de la Nation tout entière, respectueux de la dignité des personnes détenues.

Le ministre d'État, ministre de l'intérieur, et moi-même avons constaté à quel point ce régime carcéral nouveau, qui isolera les personnes de leur trafic, soulevait question, posait problème et, si j'ose dire, stressait les narcotrafiquants.

Il n'est qu'à voir les très nombreuses prises à partie d'agents pénitentiaires survenues récemment : leurs voitures et leurs domiciles ont été attaqués à la kalachnikov ou au cocktail Molotov ; les centres de détention eux-mêmes ont été visés. Les auteurs de ces actes ont voulu s'opposer à l'instauration de ce régime carcéral, imaginant peut-être que les agents de l'administration pénitentiaire, déjà sous le coup de menaces et en butte aux difficultés extrêmement fortes de leur métier, fassent grève ou en empêchent l'adoption.

Tel n'a pas été le cas : malgré les difficultés, les agents de surveillance pénitentiaire et les agents des services de probation ont été courageux et ont tenu un peu partout en France. Vous les avez soutenus, mesdames, messieurs les parlementaires. Je vous en remercie, comme je salue le parquet national antiterroriste et les forces de l'ordre sous l'autorité du ministre de l'intérieur, qui ont interpellé une partie très importante des personnes responsables de ces menaces.

Le vote du Sénat aujourd'hui, comme celui de l'Assemblée nationale demain, sera aussi une réponse aux narcotrafiquants, qui ont voulu nous faire reculer et faire reculer l'autorité de l'État.

Une fois que le Conseil constitutionnel se sera exprimé – si j'ai bien lu les gazettes, il sera saisi par les députés de La France insoumise –, nous préparerons les décrets d'application, qui sont déjà en cours d'élaboration.

Madame la présidente de la commission des lois, ainsi que je vous l'ai proposé, nous vous soumettrons les décrets relatifs au monde carcéral, afin qu'ils puissent être publiés au mois de juin prochain. Ainsi, le 31 juillet prochain, la prison de Vendin-le-Vieil deviendra la première prison de haute sécurité de notre pays et accueillera les cent premiers narcotrafiquants soumis à ce nouveau régime.

C'est un point important, d'autant que, le 14 mai prochain, nous commémorerons le massacre d'Incarville et l'assassinat de deux agents pénitentiaires lors de l'évasion de M. Amra.

Ce régime carcéral n'est pas complet. C'est pourquoi, à l'occasion de l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire et contrairement à mon habitude en tant que ministre, j'ai déposé deux amendements – je prie cette assemblée de m'en excuser.

Tous deux visent à rétablir l'anonymisation des agents pénitentiaires lorsqu'ils établissent les procès-verbaux dans le cadre de leur mission. En effet, d'après les témoignages que j'ai recueillis, au cours de ses travaux longs et fructueux, les membres de la commission ont – par erreur ou en raison de la difficulté de leur tâche – supprimé cette disposition.

Lorsqu'ils découvrent un téléphone portable en cellule ou qu'ils doivent prendre un certain nombre de dispositions – placer des détenus dans un quartier disciplinaire, par exemple –, ces agents doivent inscrire leur nom et prénom, ce qui les expose, ainsi que leurs familles, puisque leur domicile peut être trouvé. Cela crée un très fort climat d'insécurité.

Depuis très longtemps, ils réclament l'anonymisation de la procédure et l'inscription de leur seul numéro de matricule, sur le modèle de ce qui a été prévu en 2021, lorsque j'étais ministre de l'intérieur, pour les officiers de police judiciaire, notamment ceux qui sont chargés des enquêtes sur les trafics de drogue. Il me semble donc opportun de rétablir cette disposition, supprimée par inadvertance en commission mixte paritaire.

Au regard des difficultés que rencontrent les agents de l'administration pénitentiaire, j'ai déposé un second amendement ayant pour objet l'anonymisation générale des agents des maisons d'arrêt et de tous les centres de détention.

En effet, l'anonymisation ne peut pas concerner uniquement les prisons de haute sécurité : elle concerne les agents de tous les établissements pénitentiaires, qui doivent pouvoir n'inscrire que leur matricule, dès lors qu'ils dressent un procès-verbal. Ainsi, en cas de contestation, il sera possible de connaître leur identité, sans que leurs noms et prénoms soient jetés en pâture.

L'adoption de ces amendements de bon sens permettra d'envoyer un signe d'encouragement à l'administration pénitentiaire, me semble-t-il.

Oui, madame le rapporteur, je le confirme, le Pnaco existera bien au 1er janvier prochain. Nous pourrons l'inaugurer ensemble. Je vous remercie d'avoir trouvé un compromis sur la date.

Oui, grâce au travail accompli par M. le ministre de l'intérieur, au chef de filât qu'il aura désigné, mais aussi aux dispositions numériques et techniques qu'il a fait voter, nous contribuerons à procéder à davantage d'interpellations et à mettre fin à l'expansion du narcotrafic dans notre pays, contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays qui nous entourent, comme la Belgique et les Pays-Bas.

Aujourd'hui, pour la première fois, nous regagnons du terrain ; pour la première fois, nous faisons mal aux narcotrafiquants. Les attaques de prison et des agents pénitentiaires le démontrent.

Cela, nous le devons au Sénat. Nous le devons à l'action de nos policiers, de nos magistrats, de nos greffiers, de nos forces de l'ordre. Nous le devons aussi à la Nation tout entière, qui, je l'espère, soutiendra ce texte ici et, demain, à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d'État.

M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, peu de textes ont une telle force.

Je l'ai déjà dit le 4 février dernier : ce texte n'a rien de banal. En effet, il s'agit d'un texte régalien puissant, résultat d'une initiative parlementaire et plus encore sénatoriale. C'est très rare, et cela fait bien longtemps que cela ne s'est pas produit. Je tenais à le souligner.

Je me souviens de la commission d'enquête qui a été à son origine, de ses conclusions reprises par son président et son rapporteur, Jérôme Durain et Étienne Blanc, dans une proposition de loi, du vote à l'unanimité au Sénat le 4 février et de l'adoption à une large majorité à l'Assemblée nationale – 436 voix pour. Ce fut une bonne surprise et un vrai succès, car cela n'allait pas de soi.

Ce qui est rare aussi, par les temps qui courent et dans la situation politique qui est la nôtre, c'est qu'un texte aussi important soit adopté avec une pareille majorité. Cela veut bien dire que l'on peut transcender les clivages partisans, dès lors que les objectifs touchent aux intérêts fondamentaux de la Nation.

Vous l'avez souligné, madame la présidente de la commission des lois, le narcotrafic est à la fois la cause et la racine de nombreux homicides, de l'hyperviolence que connaît notre société et d'un ébranlement de nos institutions, notamment via les phénomènes de corruption.

Je suis certain que ce texte marquera une rupture : il y aura un avant et un après.

M. Jérôme Durain, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Espérons-le !

M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Nous en avons déjà des manifestations.

Comme le ministre d'État, garde des sceaux, vient de l'évoquer, dans la matinée, nos forces de sécurité intérieure, sous l'autorité du procureur national antiterroriste, ont interpellé pas moins d'une trentaine de narcoracailles, ainsi que je les appelle. Petites mains, donneurs d'ordre : tous ces individus ont participé à plus d'une centaine de faits ayant visé les établissements pénitentiaires et les domiciles des agents pénitentiaires.

C'est bien la preuve que ce texte va déranger le milieu du narcotrafic. Nous avons déclaré la guerre aux narcotrafiquants, et c'est la raison pour laquelle ils veulent aussi nous faire la guerre.

Si ce texte est voté avec la même unanimité que le 4 février dernier, nous disposerons d'un arsenal qui changera tout. L'État sera totalement réorganisé.

Le garde des sceaux a parlé de la spécialisation de la chaîne judiciaire. Dans quelques semaines je me rendrai à Nanterre, où nous inaugurerons l'état-major chargé de la lutte contre la criminalité. Je rappelle que, sur un même plateau, seront rassemblés les services de renseignement et les services d'enquête de quatre ministères – l'intérieur, l'économie, la justice, via le renseignement pénitentiaire, et les armées, via la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) –, sur le modèle de l'état-major permanent qui a fait ses preuves en matière de lutte contre le terrorisme.

Il s'agit de décloisonner l'État, pour que l'information circule entre les ministères et les différents services. Ainsi, face à des réseaux très structurés et très coordonnés, nous aurons enfin un État bien plus agile.

En outre, nous bénéficierons d'une mobilisation nouvelle et forte contre le blanchiment d'argent, mais aussi contre les phénomènes de corruption, qui aujourd'hui concernent les emplois tant publics que privés.

Nous n'avons voulu désigner aucune profession en particulier, mais les chroniques médiatiques montrent bien que des procès en cours touchent un grand nombre de professions. Un réarmement régalien est donc nécessaire contre le blanchiment et les phénomènes de corruption de plus en plus prégnants – les narcotrafiquants et la criminalité organisée charrient des milliards d'euros et de dollars.

Nous doterons aussi de nouvelles armes nos services de renseignement, qui, au quotidien, luttent contre des narcotrafiquants et des criminels, qui, j'y insiste, sont extrêmement dangereux. En effet, il nous faut adapter les nouvelles technologies d'interception – satellites, algorithmes… Il s'agit là d'un pas décisif.

Les élus sont satisfaits que les préfets puissent disposer du pouvoir d'interdiction de paraître sur un point de deal, ainsi que d'un pouvoir de substitution à un bailleur social ou privé pour expulser de son domicile une narcoracaille qui pourrit la vie des habitants de l'ensemble de son immeuble, lesquels doivent subir ses nuisances, puisqu'ils n'ont pas les moyens de déménager.

Nous étendrons les pouvoirs dont les préfets disposent en matière de fermeture de commerces, notamment des débits de boissons, pour que des établissements qui sont aujourd'hui des blanchisseuses – on le sait parfaitement – puissent être fermés. (M. le rapporteur acquiesce.) Le maire de Belfort, que j'ai rencontré à l'occasion de l'un de mes nombreux déplacements, m'a indiqué avoir dû acheter pas moins de trente commerces pour éviter un tel phénomène.

Il est important que les élus aient le soutien de l'État, via les préfets.

Je remercie la commission des lois et les auteurs de la proposition de loi d'avoir été à l'initiative de mesures de protection de nos personnels, notamment ceux qui peuvent avoir recours aux appareils de renseignement.

Nous avons progressivement affiné le dossier coffre, qui s'appelle désormais le procès-verbal distinct. Le Conseil d'État, à qui il a été soumis, a validé les choix que nous avons faits ensemble et qui visent à rendre notre action plus efficace, c'est-à-dire à protéger notre personnel et à sauver des vies sans porter atteinte à nos grands équilibres constitutionnels en matière de libertés publiques.

Je conclurai en adressant un immense merci à ceux qui ont participé à l'aventure qu'a constituée ce parcours parlementaire sénatorial : Jérôme Durain, Étienne Blanc, les sénateurs qui ont fait partie de la commission mixte paritaire et qui sont ici présents, ceux qui ont défendu la proposition de loi et la proposition de loi organique et vous tous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui avez voté à l'unanimité le 4 février dernier.

J'espère que cette unanimité sera de nouveau de mise aujourd'hui. C'est important, parce que, grâce à ce nouveau texte, non seulement nous disposerons désormais d'un nouvel arsenal, mais, surtout, nous exprimerons une volonté nationale, celle des représentants du peuple français, quelles que soient les travées sur lesquels ils siègent au Sénat.

Je n'ai jamais dit, et personne d'autre au Gouvernement non plus, que le combat contre les narcotrafiquants et la criminalité organisée serait facile et que, en quelques semaines, après le vote de ce texte, nous arriverons à éradiquer le narcotrafic. Ce sera long, mais nous y parviendrons, car nous aurons désormais les armes nécessaires.

Cette volonté nationale est fondamentale. Cela donne une force à la République et à la France. Je vous remercie de l'avoir compris et de tous exprimer votre vote, comme le 4 février dernier, pour donner le maximum de force à ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le président, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons eu plusieurs fois l'occasion de le rappeler, ici, devant vous, et devant les députés, la lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée est une priorité absolue du Gouvernement. Le Premier ministre en a souligné l'urgence dès sa déclaration de politique générale. Et chaque jour, l'actualité nous montre l'intensité de la menace que constitue la criminalité organisée.

Vous savez mon attachement, en tant que ministre des comptes publics, à la situation budgétaire de notre pays. Nous ne pouvons pas tolérer la perte de recettes fiscales et le détournement d'argent public liés à la criminalité organisée.

Je suis également la ministre des douanes. Plusieurs services de Bercy concourent à la lutte contre la criminalité organisée. C'est le cas de deux centrales du renseignement du premier cercle, la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et Tracfin, mais également de la direction générale du Trésor, notamment en matière de sanctions et de lutte contre la criminalité financière.

Nous avons fait le vœu de ne pas avoir la main qui tremble face à ces criminels et de nous donner collectivement les moyens d'agir pour lutter contre ces trafics.

C'est tout d'abord grâce à vous, qui avez pris l'initiative de cette proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, et je vous en remercie très sincèrement.

C'est aussi grâce au travail collaboratif que nous avons mené pour identifier les besoins des services et leurs contraintes, afin de coller aux réalités du terrain, pour penser le corpus législatif le plus adapté à cette menace nouvelle, du moins par son ampleur.

Tout cela concourt à récompenser le travail considérable qui est accompli par les services de Bercy dans la lutte contre les trafics de stupéfiants et la criminalité organisée, le blanchiment et les flux financiers illicites.

Je tiens, une fois encore, mais ce n'est que mérité, à saluer la très grande mobilisation et l'engagement sans relâche, chaque jour, à chaque heure, des services de la douane, de Tracfin et de la direction générale du Trésor, pour lutter contre ce fléau. Ils collaborent avec les services de police judiciaire et l'autorité judiciaire et inscrivent leur action en matière de lutte contre les trafics de stupéfiants et contre le blanchiment dans le cadre interministériel du Plan national de lutte contre les stupéfiants.

La proposition de loi permet de renforcer significativement les pouvoirs d'action de mon ministère, pour entraver et bloquer les flux, la logistique et l'enrichissement des trafiquants.

Je rappelle les mesures qui nous paraissent les plus importantes.

Il a été décidé de créer un dispositif de gel administratif des avoirs des narcotrafiquants (Gaban), sur le modèle de ce qui existe déjà en matière de lutte contre le terrorisme, pour bloquer l'accès aux financements, en complément de l'action judiciaire, dans les cas de fuite, ou pour élargir les actions aux personnes de l'entourage de la personne impliquée et aux structures-écrans.

Il est prévu d'interdire aux fournisseurs de services sur actifs numériques de proposer des comptes anonymes ou des mixeurs de cryptoactifs, qui sont des vecteurs majeurs de blanchiment des revenus issus de trafics de stupéfiants.

Tracfin aura accès au système d'immatriculation des véhicules (SIV) pour élargir ses enquêtes patrimoniales.

La présomption de blanchiment douanier sera élargie aux évolutions technologiques, notamment aux cryptomonnaies. Nous pourrons ainsi mieux suivre tout ce qui concourt à opacifier les transactions financières. Les lanceurs d'alerte auront également la possibilité d'adresser des signalements à Tracfin.

Grâce à vous, sur proposition du Gouvernement, plusieurs mesures visant à renforcer la répression du blanchiment et à entraver les criminels ont été adoptées lors des débats. Toutefois, je regrette que certaines mesures très importantes pour les douanes et qui constituaient de réelles avancées n'aient pas été retenues par la commission mixte paritaire.

Je pense en particulier à la disposition permettant aux agents des douanes d'avoir accès systématiquement aux données de certains opérateurs privés dans les secteurs des transports et de la logistique, mesure dont la portée a été très largement atténuée.

Je pense également à la possibilité, pourtant votée à l'unanimité dans les deux assemblées, pour des agents des douanes spécialement habilités d'appréhender des criminels en autorisant les visites domiciliaires passé vingt et une heure, sur ordonnance du juge des libertés et de la détention, en flagrance dans les locaux d'habitation et hors flagrance dans les locaux qui ne sont pas à usage d'habitation.

Vous le voyez, beaucoup reste à faire. J'espère que nous aurons très prochainement la possibilité de discuter de nouveau de ces sujets, car je sais votre attachement à nos douaniers et à leur travail. Vous savez combien leur implication au quotidien et leur rôle en matière de lutte contre les stupéfiants et la criminalité organisée sont majeurs. Je rappelle que 70 % des stupéfiants saisis dans notre pays sont le fait des douaniers.

Je vous remercie une nouvelle fois pour l'ensemble du travail que vous avez accompli. Les progrès sont indéniables ; il nous reste cependant encore du travail. Je salue la mobilisation nationale pour lutter contre le fléau qu'est le narcotrafic. Nous le combattons en menant une action résolue. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et INDEP.)