En tout cas, je continuerai à travailler sur ce sujet.
M. le président. La parole est à Mme Else Joseph.
Mme Else Joseph. Je vous remercie pour ces éléments, qui sont de nature à rassurer les acteurs de mon territoire.
En amont de ce débat, j’ai beaucoup consulté. Ce ressenti me semble largement partagé : on voit bien l’évolution des carnets de commandes, mais on ne sait pas à qui s’adresser. Votre annonce est une bonne nouvelle. Il faudra communiquer sur ce sujet.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Valente Le Hir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sylvie Valente Le Hir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Panhard, Citroën, Peugeot, Renault sont devenus des noms synonymes de l’histoire industrielle et automobile française au cours du XXe siècle.
L’automobile a transformé notre quotidien et façonné nos territoires, comme l’illustrent les exemples de Peugeot à Sochaux ou de Michelin à Clermont-Ferrand.
Or ce que nous imaginions impensable est en train de survenir : notre filière automobile et ses sous-traitants sont purement et simplement menacés de disparition.
Les causes sont plurielles : concurrence étrangère, choix industriels erronés, décisions politiques inconsidérées. Quant aux chiffres, ils sont impressionnants : selon les chiffres officiels du ministère, 149 000 entreprises, 990 000 emplois directs et indirects, 155 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 6 milliards d’euros investis chaque année dans la recherche et développement.
Prenons l’exemple de la ville de Méru, dans l’Oise, où le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) affectant un centre technique de Forvia a conduit, en novembre dernier, à la suppression de cent deux postes dans le service de recherche et développement.
Ce fut, pour cette ville de près de 15 000 habitants, un cataclysme, un traumatisme d’autant plus fort qu’en juillet 2020, le ministre de l’économie, M. Bruno Le Maire, était venu sur place parler de verdissement et de relance de l’économie.
Les dernières annonces du président des États-Unis, Donald Trump, sur une augmentation sans précédent des droits de douane viennent encore noircir davantage un tableau déjà sombre.
Comment être conscient de cette situation et laisser faire ? Nous savons et nous laissons faire ! Alors que le libre-échange devient de plus en plus théorique en raison de la montée en puissance de nouveaux acteurs tels que la Chine, qui subventionne allègrement ses constructeurs, nous, Européens, refusons d’accompagner les nôtres.
Pire, nous leur imposons unilatéralement et contre toute réalité un calendrier de fin de vente des véhicules thermiques en Europe à l’échéance 2035.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Sylvie Valente Le Hir. Dans ce contexte et sans modification des règles en vigueur, nous sommes condamnés à vivre et à revivre le même scénario qu’à Méru.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l’économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice Sylvie Valente Le Hir, vous évoquez la situation de la filière automobile et, en particulier, celle d’une entreprise de votre territoire.
Les ventes de véhicules en France sont structurellement en baisse depuis les années 2000, mais elles ont aussi chuté fortement dans les dernières années, puisque l’on compte près de 25 % d’immatriculations en moins par rapport à 2019.
D’autres éléments sont à prendre en compte, comme le choix de sortir du véhicule thermique en 2035. À cet égard, nous sommes au milieu du gué : les constructeurs automobiles ont investi pour transformer leur industrie, des bornes de recharge commencent à être déployées, les utilisateurs de véhicules électriques sont de plus en plus nombreux et cette technologie continuera sans aucun doute à s’implanter dans les années qui viennent.
Je suis consciente des fortes répercussions de ce contexte de marché sur les entreprises de l’industrie automobile, comme Forvia, par exemple, qui vient d’annoncer la suppression de dix mille emplois en Europe.
Il faudra accompagner ces suppressions d’emplois et prêter une attention particulière aux dispositifs de reclassement qui seront mis en place.
Nous devons également soutenir la filière automobile française dans sa transformation. Au travers de dispositifs comme France Relance ou France 2030 – 54 milliards d’euros ont été engagés au titre de France 2030 dans la rénovation industrielle et la préparation du futur –, nous l’accompagnons déjà et nous continuerons de le faire.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Christian Klinger, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Klinger, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la richesse d’un débat comme celui-ci démontre l’utilité de la délégation sénatoriale aux entreprises, dont la mission est d’aborder les sujets de façon transversale, en complément des travaux des commissions permanentes.
Les questions de nos collègues en témoignent : seule une approche globale permettra d’aborder de façon pertinente la question des défaillances d’entreprises.
Simplification des normes, concurrence européenne et internationale, développement des PME et des ETI, transmission des entreprises, retards de paiement, développement des compétences ou encore viabilité financière de l’AGS sont autant de facettes qui montrent qu’il est impossible de s’attaquer au sujet des défaillances au travers d’un prisme unique.
J’aurais pu, d’ailleurs, ajouter à cette liste la question du foncier économique, ayant été l’auteur, avec mon collègue Michel Masset, d’un rapport de la délégation sur ce sujet. Il y a tant de progrès à accomplir en la matière !
Nous avons, d’une manière générale, un problème de délais : les décisions politiques devant apporter des solutions sont prises dans des délais beaucoup trop longs.
Les présidents des organisations patronales nous l’ont dit cet après-midi lors d’une table ronde : le temps des mesures politiques est trop long, en total décalage avec celui de la vie économique. L’action publique doit impérativement gagner en agilité.
Tous les sujets que la délégation analyse depuis sa création et pour lesquels elle propose des solutions concrètes doivent être traités si l’on veut éviter que les chiffres des défaillances ne repartent fortement à la hausse dans le contexte actuel de guerre commerciale.
Comme l’a rappelé le président de notre délégation, Olivier Rietmann, il faut mettre en œuvre, en complément, une véritable stratégie de soutien à la compétitivité des entreprises.
Nos échanges n’auront de sens que si nous prenons conscience de l’impact de nos décisions, notamment lors des prochains arbitrages budgétaires.
J’insiste sur la nécessité d’élaborer des réformes structurelles visant à réduire la dépense publique, plutôt que de miser sur une contribution toujours plus importante des entreprises.
Dans une récente tribune, le directeur général de Bpifrance, Nicolas Dufourcq, nous interpelle ainsi : « Il est honnêtement dur d’être Européens en ce moment. » Il y regrette que l’Europe ne soit un « prédateur en rien » et doive subir les attaques des États-Unis et de l’Asie. Il ajoute : « Et maintenant, comme on le fait avec les faibles, on nous piétine des deux côtés. »
Nous devons en effet être courageux. Cette vision d’une Europe qui se tire une balle dans le pied, beaucoup de dirigeants la partagent encore davantage pour la France, où la fiscalité, en particulier les impôts de production, constitue un handicap pour les entreprises.
Ayons le courage de continuer ce débat dans les mois qui viennent pour aborder le projet de loi de finances pour 2026 avec pragmatisme et clairvoyance.
Madame la ministre, par le truchement des questions de mes collègues sénateurs, vous avez entendu la souffrance des territoires qui sont touchés par les défaillances d’entreprises. Ce sont autant de drames que nous souhaitons tous éviter.
Nous avons compris que vous partagiez notre préoccupation. Comme vous le disiez en introduction, c’est là la base d’un dialogue. Les échanges de ce soir constituent donc une première étape dont nous pouvons nous réjouir.
Toutefois, la suite à donner requiert une mobilisation urgente sur tous les fronts. Nous continuerons à rappeler les réalités du monde économique et à défendre les mesures qui doivent devenir prioritaires afin d’inverser, enfin, la tendance des défaillances d’entreprises que nous avons décrite. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les défaillances d’entreprises.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt et une heures quarante, sous la présidence de M. Alain Marc.)
PRÉSIDENCE DE M. Alain Marc
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Initiatives européennes en matière de simplification et d’allègement de la charge administrative pesant sur les entreprises
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur les initiatives européennes en matière de simplification et d’allégement de la charge administrative pesant sur les entreprises.
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.
Dans le débat, la parole est à M. Jean-François Rapin, pour le groupe auteur de la demande.
M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie le groupe Les Républicains, qui a souhaité ce débat sur les initiatives européennes en matière de simplification et d’allégement de la charge administrative pesant sur les entreprises.
Ce débat intéresse au-delà de nos murs. Une contribution m’a ainsi été adressée par le Conseil national des barreaux, qui souligne les enjeux de sécurité juridique et de cohérence du marché unique liés aux initiatives qui sont actuellement prises par la Commission européenne.
Voilà quelques semaines, la commission des affaires européennes a organisé, conjointement avec la délégation sénatoriale aux entreprises, une table ronde sur la simplification.
Elle a également adopté une proposition de résolution européenne que j’ai présentée avec le président Rietmann pour défendre la reconnaissance par l’Union européenne des entreprises de taille intermédiaire (ETI).
Lors de notre réunion conjointe, les représentants des entreprises nous ont fait part de leur vive préoccupation quant à la mise en œuvre de plusieurs réglementations européennes, mais ils ont aussi souligné un changement d’approche de la part de la nouvelle Commission européenne.
Soyons clairs : cette nouvelle approche, dont la restauration de la compétitivité européenne est l’un des maîtres-mots, répare certaines erreurs commises sous la précédente mandature.
La période 2019-2024 a en effet été marquée par des mesures fortes et parfois très symboliques de régulation de certains pans de notre économie. Je pense évidemment aux règles adoptées en matière de durabilité et de devoir de vigilance au travers des fameuses directives sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) et sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D), que la Commission européenne propose désormais de réviser.
Je pense aussi au paquet Ajustement à l’objectif 55, qui a posé des règles à certains égards trop contraignantes – le Sénat l’a souvent souligné – pour notre industrie, depuis la fin des véhicules thermiques neufs en 2035 jusqu’aux modalités de mise en œuvre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), que la Commission européenne envisage désormais de reprofiler, ce dont je me félicite.
La Commission semble ainsi s’engager dans une nouvelle voie, plus réaliste et plus en phase avec les contraintes des entreprises ; plus consciente, aussi, me semble-t-il, du basculement qui s’opère au niveau mondial.
L’Union européenne fait face à des stratégies économiques très agressives de la part de nombreux concurrents, en particulier de la Chine et des États-Unis. L’administration Trump se montre aujourd’hui particulièrement véhémente, mais nous ne devons pas oublier que c’est l’administration Biden qui a fait adopter l’Inflation Reduction Act (IRA).
Confrontée à cette situation, l’Union n’a pas d’autres choix que de devenir plus productive, de libérer son potentiel d’innovation, de simplifier sa réglementation et de lui redonner de la cohérence.
Mario Draghi a souligné avec force que, sans un effort de productivité, l’Europe ne pourra pas « être à la fois un leader des nouvelles technologies, un phare de la responsabilité climatique et un acteur indépendant sur la scène mondiale ». Il ajoutait qu’elle ne pourrait pas non plus financer son modèle social et qu’elle devrait « revoir à la baisse » certaines de ses ambitions, « si ce n’est toutes ».
La Commission européenne a ainsi présenté à la fin du mois de janvier une ambitieuse « boussole pour la compétitivité », qui passe en particulier par un « choc de simplification » pour les entreprises, c’est-à-dire un allégement des contraintes administratives qui pèsent sur elles.
La Commission européenne l’affirme : « Cette fois, nous sommes sérieux. » L’ambition est forte et je m’en félicite, puisqu’elle vise à réduire d’au moins 25 % la charge administrative qui pèse sur les entreprises et d’au moins 35 % celle qui pèse sur les PME.
Mais à quoi nos entreprises peuvent-elles s’attendre en pratique, après plusieurs années pendant lesquelles elles se sont vu imposer des contraintes nouvelles ?
Que les choses soient claires : loin de moi l’idée qu’il faille rejeter en bloc la réglementation fixant aux entreprises des obligations en matière de durabilité ou de responsabilité sociale et environnementale.
Rappelons qu’avant la CSRD la directive NFRD (Non Financial Reporting Directive) adoptée en 2014 avait déjà imposé à plus de onze mille entreprises de réaliser un reporting extrafinancier.
La Commission européenne ne propose pas de déréguler – c’est un autre débat –, mais de simplifier. Et il y avait urgence, compte tenu du périmètre des entreprises couvertes et du nombre d’indicateurs qu’elles devront fournir. On avait mis en place une véritable usine à gaz !
Je ne perds pas de vue non plus l’enjeu de la transition écologique, mais nous devons être lucides et responsables. Les entreprises européennes sont de très loin parmi les plus vertueuses du monde sur le plan écologique et social.
Dans un contexte de concurrence exacerbée, ne leur imposons pas des contraintes excessives qui vont les conduire à s’implanter en dehors de l’Union ou favoriser des concurrents bien moins vertueux.
Je me réjouis donc de l’adoption rapide de la directive dite Stop the Clock, qui a retardé de deux ans la mise en œuvre de la directive sur la durabilité et d’un an celle de la directive sur le devoir de vigilance.
Il faut maintenant réviser le fond de ces dispositifs et veiller à une réelle cohérence de l’ensemble des normes au niveau européen – je pense notamment à la taxonomie –, mais aussi à une bonne articulation entre le droit national et le droit européen.
Je ne méconnais pas non plus les craintes exprimées par le Conseil national des barreaux. En matière de durabilité, la France a fait figure de bon élève en transposant en premier la directive dès 2023. Arrêter la pendule permettra de donner aux entreprises concernées le temps de s’adapter, mais qu’en sera-t-il de celles qui ont déjà scrupuleusement rempli leurs obligations ? Comment éviter une forme de prime aux mauvais élèves ?
En ce qui concerne le devoir de vigilance, nous avions déjà alerté sur le poids de la charge pesant sur les entreprises pour s’assurer du respect des normes en matière de droits de l’homme et de protection de l’environnement tout au long de la chaîne de valeur.
Là encore, nous ne pouvons que nous féliciter de l’allégement proposé, notamment de la concentration des mesures de vigilance sur les seuls partenaires directs et de la diminution de la fréquence de déclaration incombant aux entreprises.
Toutefois, les entreprises ne seront-elles pas soumises à des obligations de reporting différentes selon que leur chaîne de valeur est composée d’un grand nombre de petites entreprises ou principalement d’entreprises de plus grande taille ?
J’observe que le nouveau gouvernement allemand devrait proposer d’abroger la loi sur les obligations de devoir de vigilance dans les chaînes de valeur, entrée en vigueur en janvier 2023, pour la remplacer par une loi sur la responsabilité internationale des entreprises, qui mettra en œuvre la directive européenne en cours de renégociation. En attendant, il n’y aura pas de sanction pour les entreprises qui ne respecteraient pas la loi actuellement en vigueur, à l’exception des violations massives de droits de l’homme.
Il est donc urgent d’adopter le premier train de simplification contenu dans le paquet omnibus du 26 février dernier pour éviter toute distorsion de concurrence au sein de l’Union.
Je veux également souligner l’intérêt que pourrait présenter la proposition de création d’un vingt-huitième régime juridique. Il se veut le moyen, pour les entreprises innovantes, de bénéficier d’un ensemble homogène de règles lorsqu’elles investissent et exercent leurs activités où que ce soit au sein du marché unique. Pouvez-vous, madame la ministre, nous donner des précisions quant à la position du Gouvernement sur ce dossier ?
Au-delà de ces premières mesures, il est nécessaire que la démarche de simplification se poursuive dans la durée. D’autres paquets de simplification sont attendus en faveur des ETI, mais aussi pour redonner de l’air au secteur agricole, qui a subi tant de contraintes ces dernières années.
Nous avons besoin de redonner de la compétitivité aux entreprises dans l’ensemble des secteurs économiques. Nous avons besoin de mieux prendre en compte leur capacité à absorber les normes, en traitant en particulier de manière adaptée les PME et les ETI, mais aussi de mieux prendre en compte leur capacité à faire face à la concurrence internationale.
Pouvez-vous, madame la ministre, affirmer devant nous la détermination du Gouvernement à défendre cette démarche de restauration de la compétitivité ? Pouvez-vous également nous préciser les mesures que vous soutenez plus particulièrement, ainsi que vos éventuelles lignes rouges ou mises en garde ? (Mme Pascale Gruny applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l’intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier pour l’organisation de ce débat sur les travaux européens en matière de simplification des obligations administratives des entreprises.
Il s’agit là d’une priorité du Gouvernement au moment où, comme vous l’avez très justement dit, monsieur le sénateur Rapin, la compétitivité européenne doit être renforcée, où le Pacte vert est en train d’être mis en œuvre et où les équilibres géopolitiques internationaux se recomposent.
À la suite de la publication du rapport Draghi et du constat unanime d’un déficit de compétitivité de l’Union européenne, la Commission a proposé, à la fin du mois de février dernier, un premier paquet omnibus de simplification de la réglementation en matière de durabilité.
Il ne s’agit en aucun cas, au travers de ces mesures, de remettre en question les objectifs environnementaux que s’est fixés l’Union européenne dans le cadre du Pacte vert – ils sont eux-mêmes gage de compétitivité – ni son leadership en la matière.
Nous savons en effet que l’inaction environnementale est un risque majeur. Selon le réseau des banques centrales sur le climat, la poursuite des trajectoires climatiques actuelles conduirait à une perte de 15 % à 20 % du PIB mondial d’ici à 2050. L’année 2024 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée, marquant le premier dépassement du seuil des 1,5°degré Celsius de réchauffement.
Dans ce contexte, la mise en œuvre des objectifs du Pacte vert reste un impératif crucial et les entreprises doivent pleinement intégrer ces objectifs et les risques environnementaux dans leur gestion stratégique sans toutefois perdre en compétitivité.
En pratique, ces enjeux deviennent constitutifs des relations d’affaires, tandis que les institutions financières les intègrent de plus en plus dans leurs décisions d’investissement.
Il est capital de s’appuyer sur l’expérience concrète de nos entreprises européennes, dans un contexte où certaines grandes puissances se désengagent politiquement de la lutte contre le changement climatique.
L’appel lancé par Mario Draghi a bel et bien été entendu et la France agit pleinement pour proportionner sa réglementation et ne pas freiner sa compétitivité.
Le paquet omnibus prévoit de limiter le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières aux importations de plus de 50 tonnes de marchandises par an, alors que le seuil initial était de 150 euros d’importation. Il est important de le mentionner, car il s’agit d’une simplification massive et efficace, puisqu’elle sort du champ 92 % des entreprises tout en couvrant toujours 98 % des émissions. Cet exemple est à suivre.
Le paquet omnibus vise également à réviser la directive CSRD, qui requiert la publication d’informations auditées et comparables en matière de durabilité. L’exercice étant manifestement trop lourd, il est prévu de recentrer la directive sur les entreprises de plus de mille salariés, ce qui conduit à exempter 80 % des entreprises. Un décalage de deux ans du calendrier est aussi prévu, en particulier pour les entreprises non cotées. Enfin, le volume des informations à publier sera réduit.
Il s’agit donc d’une simplification très forte, que le Gouvernement soutient vivement.
Au niveau national, nous avons pris le plus tôt possible, au travers de la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne (Ddadue) adoptée par le Parlement voilà quelques semaines, des dispositions de transposition.
Pour ce qui est de la directive CS3D sur le devoir de vigilance, l’enjeu de la négociation européenne est de simplifier la directive actuelle, qui va au-delà de la loi française, et d’assurer des conditions de concurrence équitables.
La proposition de la Commission apporte des modifications bienvenues, qui renforcent la proportionnalité du cadre, comme la focalisation des mesures de vigilance sur les partenaires directs.
Le Gouvernement est favorable à des modifications supplémentaires, comme le rehaussement du seuil à cinq mille salariés, en cohérence avec la loi française, afin de limiter son application aux entreprises ayant les moyens humains et financiers suffisants, ainsi qu’une influence véritable sur leur chaîne de valeur.
Par ailleurs, la suppression d’un régime de responsabilité civile harmonisé se ferait au détriment des entreprises françaises. Il s’agit donc d’un point important dans les négociations qui sont en cours.
Comme vous le voyez, le Gouvernement ne recule pas devant l’obstacle, il agit avec détermination pour que ce travail de simplification soit ambitieux et adapté aux réalités économiques, sans toutefois compromettre – j’insiste sur ce point – nos objectifs premiers.
Renforcer notre compétitivité en limitant la lourdeur administrative nous permettra d’atteindre de façon pragmatique les objectifs du Pacte vert, qui restent notre priorité.
M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Gérard Lahellec, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (M. Michaël Weber applaudit.)
M. Gérard Lahellec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la Commission européenne a présenté le 26 février dernier une proposition de directive dite omnibus visant à réduire les charges administratives et réglementaires pesant sur les entreprises d’au moins 25 %.
Sous prétexte de renforcer la compétitivité, cette proposition fragilise plusieurs avancées récentes : la responsabilité sociétale des entreprises, la finance durable et les exigences accrues de transparence.
Or, si nos entreprises sont dans une situation compliquée, c’est parce que l’économie contemporaine est régie par une forme de prime au vice.
En gros, plus une entreprise a des pratiques délétères pour l’intérêt général, plus elle est profitable. Si vous décidez de délocaliser pour produire dans des pays où les normes sociales et environnementales sont limitées, vous obtenez des coûts de production moins élevés et vous êtes donc plus compétitifs.
Forcément, pour les entreprises qui veulent produire en France tout en respectant le droit applicable, il est extrêmement compliqué de s’en sortir.
La fast fashion est l’incarnation, dans le secteur du textile, de ces pratiques délétères : les entreprises vendent à bas prix des produits fabriqués dans des conditions déplorables et acheminés souvent par avion. En face, les PME françaises qui veulent produire du textile de qualité en Europe sont étranglées par cette concurrence déloyale.
Dans le contexte de guerre commerciale engagée par Donald Trump, le phénomène pourrait s’amplifier. Faute de débouchés aux États-Unis, les produits chinois à prix cassés vont affluer et investir le champ européen. C’est déjà le cas, notamment, pour les voitures électriques.
Les entreprises de plusieurs secteurs ont donc besoin de régulations pour être protégées de ce système pernicieux.
Je prends pour exemple la proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile, dite « anti fast fashion », qui a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en 2024.
Elle prévoit notamment d’augmenter les contributions financières payées par ces entreprises dans le cadre de la responsabilité élargie des producteurs (REP), en prenant en considération l’impact environnemental des produits mis sur le marché. Ce type de mesures contribuerait à réduire la concurrence déloyale que subissent les acteurs du made in France ou du made in Europe.
Méfions-nous donc de certaines préconisations affirmant que la régulation est un fardeau administratif. Elles servent des intérêts privés. Les lobbies profitent des inquiétudes sur le commerce international pour remettre en cause l’ensemble du cadre réglementaire.
Ce n’est pas parce qu’il y a des accidents à certains carrefours qu’il faut pour autant supprimer les feux rouges ! C’est au contraire en régulant la vitesse et le trafic qu’on peut fluidifier la mobilité.
Les entreprises ont besoin de régulations qui les protègent du dumping social et environnemental. Sans régulation, c’est toujours la loi du plus fort et du moins scrupuleux qui s’applique.
L’Europe fait face à une perte de souveraineté économique. Si nous voulons nous en sortir, nous avons tout intérêt à préserver la qualité de nos emplois, notre système de santé, nos sols, la qualité de notre air et de notre eau. Pour cela, il faut des règles.
L’Europe a la possibilité d’incarner une autre économie, sociale et écologique. C’est aussi ce qui lui permettra de rester une puissance durable sur la scène mondiale.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l’intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur Lahellec, je vous remercie d’avoir attiré notre attention sur un certain nombre de points.
Je reviendrai dans un instant sur la question de la fast fashion et des produits chinois, sur laquelle nous avons particulièrement travaillé ce matin avec mes homologues relevant du périmètre de Bercy.
Il est vrai que nous entendons beaucoup parler de cette Europe qui régule, mais nous devons faire la différence entre, d’une part, l’objectif de la régulation, laquelle vise très souvent, en Europe, à protéger nos valeurs et à définir les modalités selon lesquelles nous souhaitons que l’Union européenne fonctionne, et, d’autre part, la mise en œuvre de cette régulation. Nous travaillons, à cet égard, à simplifier le plus possible afin de ne pas ralentir nos entreprises, qui elles-mêmes portent nos valeurs.
Il ne faut donc pas se laisser enfermer dans un discours, qui est d’ailleurs parfois instrumentalisé – je vous rejoins sur ce point, monsieur le sénateur –, selon lequel la régulation serait une fin en soi et ne serait que négative.
En ce qui concerne la fast fashion et la concurrence des produits chinois, j’indique tout d’abord que la proposition de loi que vous avez évoquée sera examinée en séance publique, au Sénat, les 2 et 3 juin prochains. Je m’en réjouis. Nous serons très attentifs à l’évolution des débats.
J’ai en effet pu observer de mes propres yeux, ce matin, comment se matérialisait le risque que vous avez décrit, monsieur le sénateur. Autour du ministre Éric Lombard, nous étions ainsi, avec mes collègues Amélie de Montchalin et Véronique Louwagie, à Roissy. Nous avons pu constater la masse des petits colis d’une valeur inférieure à 150 euros : on estime que 800 millions de ces colis arrivent chaque année en France !
Nous avons discuté avec les agents des services des douanes et des autres services concernés. Ces colis présentent des risques avérés : pour les Français, tout d’abord, parce que dans 94 % des cas ils contiennent des produits non conformes, mais aussi pour notre économie, en raison notamment de la contrefaçon, et pour nos finances publiques, parce que ces colis ne sont pas toujours bien déclarés.
Nous allons donc renforcer les contrôles. Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics, envisage d’ailleurs d’instaurer des frais de gestion pour les financer, car il ne revient pas aux contribuables d’en payer le coût.
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jacques Fernique. Madame la ministre, le paquet omnibus proposé par la Commission européenne prétend alléger les charges administratives qui pèsent sur les entreprises. Derrière ce vernis de simplification se concrétise en réalité un très net coup de frein à la transition écologique européenne.
On veut nous fait croire que l’objectif serait de faciliter la vie de nos entrepreneurs écrasés par les formalités administratives, que les obligations sociales et environnementales seraient des tracasseries qui, permettez-moi l’expression, pourriraient la vie des acteurs économiques, et cela sans utilité.
En fait, parler de simplification à propos du paquet omnibus relève de l’abus de langage. Ce qui se joue réellement, ce n’est pas la suppression de lourdeurs administratives. En vérité, on assiste à un renoncement, à une régression par rapport à des avancées qui ne résultent pas de décisions prises à la légère, mais qui ont été réalisées en toute connaissance de cause, à l’issue de concertations,…
M. Olivier Rietmann. Certainement pas !
M. Jacques Fernique. … de négociations difficiles, en trilogue notamment.