M. Michel Masset. Madame la ministre, c’est une réalité : nos normes sont trop nombreuses, peu lisibles et coûteuses pour nos entreprises, qui en souffrent énormément. Notre jardin normatif à la française s’est transformé en une jungle hostile. Cette dynamique présente un enjeu de taille pour notre économie.
Aujourd’hui plus que jamais, l’Union européenne est au tournant d’un réagencement de l’ordre économique mondial et une révolution copernicienne doit y être menée pour alléger et simplifier la charge administrative qui pèse sur nos entreprises.
Dans ce contexte, dès le mois de juillet 2024, la présidente de la Commission européenne, Mme von der Leyen, a placé la simplification au centre de son deuxième mandat, avec l’objectif de réduire de 35 % la charge administrative pesant sur les PME d’ici à 2029.
À cet effet, l’année 2025 est structurée autour d’un programme de travail centré sur la compétitivité. Des mesures en la matière ont été lancées en début d’année.
La diminution de la charge administrative doit servir à renforcer la productivité qui fait tant défaut à l’Union européenne et à supprimer les normes qui paralysent nos entreprises.
Trois éléments expliquent à mon sens cette paralysie.
D’abord, l’accumulation et les modifications fréquentes de la législation européenne provoquent des chevauchements et des incohérences.
Ensuite, la transposition du droit européen crée des différences qui alimentent une concurrence déloyale au sein du marché unique. Ainsi, dans le Lot-et-Garonne, mais c’est également le cas ailleurs, la surtransposition des normes dans les secteurs de l’agriculture, du bâtiment, du transport, pour ne citer que ceux-là, pénalise les entreprises locales. Nous aurons probablement l’occasion de reparler de ces sujets prochainement.
Enfin, la réglementation européenne est plus lourde pour les PME et ETI que pour les grandes entreprises.
En faisant le choix d’être proactive sur la simplification administrative, la Commission européenne prend enfin le parti pris de mettre le droit européen au service d’une politique de croissance.
L’adoption des textes à venir représentera une économie potentielle de 6,3 milliards d’euros sur les coûts administratifs et une capacité d’investissement supplémentaire de 50 milliards d’euros.
J’en viens à la méthodologie. Ces initiatives doivent intégrer de meilleurs outils d’évaluation, de pilotage et de contrôle en se plaçant davantage du point de vue des entreprises.
Par exemple, en 2019, l’Union européenne a publié plus de treize mille actes normatifs contre trois mille aux États-Unis. Cet écart gigantesque montre bel et bien que l’Union européenne est atteinte d’une « bureaucratite aiguë ». (Sourires.)
Comment cet échec s’explique-t-il ?
À mon sens, l’Union européenne ne dispose pas d’un cadre d’analyse des coûts et des bénéfices des nouvelles normes qui permettrait de s’interroger réellement sur leur portée et leurs effets.
Face à ce diagnostic, plusieurs initiatives ont été prises ces derniers mois pour mieux évaluer l’incidence des règles européennes existantes et la compétitivité européenne.
Cela fait écho à des dispositifs adoptés par notre assemblée dès le mois de mars 2024 dans le cadre de la proposition de loi, déposée par Olivier Rietmann, visant à rendre obligatoires les « tests PME ». De tels mécanismes répondent à une logique claire : simplifier la vie économique au service de la croissance.
Toutefois, ces initiatives devront nécessairement concilier la libération de notre potentiel économique avec la préservation d’un modèle social et environnemental européen. C’est le dernier point sur lequel je souhaite m’attarder.
Je considère qu’il ne faut pas confondre simplification et dérégulation. Pour répondre aux défis auxquels elle fait face, l’Union européenne doit aussi s’appuyer sur les atouts de son modèle social et sur sa réponse originale et forte au défi de la transition écologique.
Dans ce souci, le groupe du RDSE défend une mondialisation régulée.
Au regard de ces remarques, la France doit veiller à défendre à l’échelon européen une politique de simplification compatible avec des standards sociaux et environnementaux les plus élevés possible. Elle doit aussi éviter la surtransposition du droit communautaire.
Pour dépasser le cadre de notre débat, je conclus en précisant que ces discussions doivent également questionner nos modes de consommation. En effet, le premier prescripteur de l’économie reste le consommateur. C’est lui qui, par son action, a un rôle de promotion d’entreprises plus vertueuses et peut encourager les circuits courts. Madame la ministre, qu’en pensez-vous ?
M. Olivier Rietmann. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l’intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, je vous rassure : l’objectif du paquet omnibus, en particulier pour les directives dont nous discutions – CSRD, devoir de vigilance, MACF… –, est bien d’alléger la charge des plus petites entreprises. Non, l’ambition n’est pas de leur faire porter plus de charges que sur les autres, bien au contraire.
Nous devons maintenir nos objectifs, tout en veillant à ne pas freiner la compétitivité de l’économie, en particulier celle des petites entreprises, pour lesquelles – c’est une évidence – les obligations sont plus lourdes à porter.
Cette précision me permet de revenir sur la question de la compétitivité. Dans le contexte géopolitique actuel, il est beaucoup question de dérégulation ; vous l’avez vous-même mentionné, monsieur le sénateur. Il me semble au contraire que maintenir les objectifs à l’échelon européen peut aussi être une opportunité de compétitivité pour nos acteurs économiques.
Je m’explique. L’environnement international qui est le nôtre aujourd’hui pousse de plus en plus de fonds de pension qui investissent à long terme et qui continuent à prendre en compte les risques environnementaux à confier la gestion de leur portefeuille à des gestionnaires d’actifs européens plutôt qu’américains.
Par conséquent, dans l’effort d’équilibre que nous poursuivons, il ne faut pas oublier que nos objectifs en matière de responsabilité sociale et environnementale sont très positifs et favorables aussi à la compétitivité.
M. le président. La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Madame la ministre, le débat que nous avons ce soir est très intéressant. À ce titre, je remercie mes collègues du groupe Les Républicains de nous permettre d’échanger nos points de vue sur les initiatives européennes en matière de simplification et d’allégement de la charge administrative pesant sur les entreprises – même si la notion de simplification peut parfois poser question…
Je tiens tout d’abord à saluer la proposition de législation dite omnibus.
Ce paquet vise notamment à alléger les contraintes pesant sur les entreprises européennes engagées sur la voie de la transition écologique. Son ambition est de simplifier la publication d’informations en matière de durabilité, de devoir de vigilance et de taxonomie.
Il doit aussi faciliter les activités commerciales des petites entreprises à moyenne capitalisation. Ainsi, il sera possible de réduire les charges administratives et réglementaires, tout en maintenant les objectifs de transition écologique. Cette initiative va dans le bon sens et c’est heureux.
Notons que cela fait suite à deux rapports que j’ai déjà évoqués lors d’un débat préalable au Conseil européen et qui ont souligné la perte de vitesse de l’industrie européenne par rapport à celles de la Chine ou des États-Unis. Il s’agit du rapport d’Enrico Letta d’avril 2024 et de celui de Mario Draghi de septembre 2024. La législation omnibus permet la traduction concrète de certaines des recommandations contenues dans ces rapports.
Par ailleurs, le discours simpliste et anti-européen que nous entendons à chaque campagne électorale européenne s’appuie souvent sur le fait que les maux de nos entreprises proviendraient de l’Union européenne.
Madame la ministre, permettez-moi de rappeler que la France n’est pas la dernière à faire de la surtransposition. Les exemples sont nombreux, notamment en droit du travail. Elle a souvent ajouté des protections supplémentaires pour les travailleurs, allant au-delà des exigences minimales des directives européennes, ce qui peut rendre le marché du travail moins flexible et augmenter les coûts pour les employeurs français.
Dans le domaine environnemental, là encore, la France est trop souvent dans la surtransposition. Il n’est qu’à voir les contraintes lourdes qui pèsent sur nos entreprises agricoles par rapport à celles des autres États membres. Cela a été rappelé au cours de ce débat.
Enfin, la réduction des délais administratifs est aussi un levier crucial pour améliorer la compétitivité des entreprises. En France, plusieurs types de délais administratifs pourraient être optimisés pour créer un environnement plus favorable aux entreprises.
Le processus de création d’une entreprise peut prendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois, notamment en raison des délais liés à l’enregistrement auprès des différentes administrations comme le greffe du tribunal de commerce ou l’Urssaf. Il en va de même pour l’obtention de certains permis de construire ou de licences d’exploitations. De plus, les entreprises doivent souvent attendre plusieurs mois pour obtenir des remboursements au titre de la TVA ou du crédit d’impôt recherche ou bénéficier de certaines aides.
Madame la ministre, vous l’aurez compris, la réduction des délais administratifs est essentielle pour améliorer la compétitivité des entreprises en France. En simplifiant et en numérisant les procédures, en harmonisant les délais à l’échelle nationale et en favorisant une meilleure coordination entre les administrations, il est possible de créer un environnement plus favorable à l’entrepreneuriat et à l’innovation.
Pour le groupe Union Centriste, les initiatives prises récemment vont dans le bon sens. Il faut poursuivre dans cette voie, car les perspectives économiques sont malgré tout obscures dans le contexte géopolitique que nous traversons. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l’intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, je vous remercie d’avoir posé la question de la surtransposition. J’y répondrai en prenant quelques exemples récents.
Dans le cadre du projet de loi Ddadue, non seulement nous avons transposé le mécanisme dit Stop the clock. Nous avons ainsi gagné du temps sur la mise en place des obligations contenues dans les différentes directives, tout en restant fidèles à ce qui a été décidé à l’échelon européen, et nous sommes allés plus loin en décidant de lever l’obligation pénale des dirigeants que nous avions auparavant introduite dans le droit français. Je rappelle que le droit européen n’imposait pas cette mesure, mais la laissait au choix de chaque État membre. Nous avons pris conscience de cette situation et en avons tiré des conséquences fortes.
Pour ce qui concerne les textes à venir, dans le cadre du projet de loi relatif à la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité, dit Résilience, qui a été récemment examiné dans cet hémicycle et que je connais bien, j’ai fixé comme priorité à mon action le souci de ne pas surtransposer afin d’aboutir à une harmonisation maximale à l’échelon européen et d’éviter d’avoir des règles différentes entre chaque État membre.
Il y va de la compétitivité de nos entreprises et j’y veille avec fermeté.
M. le président. La parole est à Mme Marion Canalès. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et du RDSE.)
Mme Marion Canalès. Madame la ministre, simplifier, oui. Reste que simplifier, ce n’est pas renoncer.
Il paraît pour le moins contradictoire de multiplier les discours de souveraineté européenne, tout en s’alignant sur des normes américaines ou chinoises et non sur celles qui ont été édictées par l’Union européenne.
Toute puissance productive est aussi une puissance normative. Je partage les récents propos d’Olivia Grégoire : « Ceux qui ne font pas la règle la subissent à terme. »
Les normes sociales et environnementales apparaissent bien souvent comme le coupable idéal du ralentissement économique ! Comment peut-on incriminer des directives qui ne sont pas encore entrées pleinement en vigueur pour justifier un ralentissement économique européen, alors que le rapport Draghi recommande surtout et avant tout un choc d’investissement à hauteur de 800 milliards d’euros pour combler le déficit de compétitivité que vous avez évoqué, madame la ministre.
Mon intervention portera principalement sur le devoir de vigilance.
Au cœur de la récente proposition de directive de simplification dite omnibus se trouvent des sujets sur lesquels la France peut se targuer d’avoir été pionnière. Je pense notamment à la redevabilité, qui est un miroir de la société. Pour autant, tout miroir, s’il donne une image du réel, est aussi un outil puissant de transformation de cela même qu’il reflète.
Il existe une véritable valeur ajoutée de la norme. Loin de se limiter à sa seule portée technique, celle-ci constitue un puissant outil pour les entreprises au service de leurs activités.
J’aimerais tuer dans l’œuf la vision assez binaire qui pourrait émerger de ce débat : il n’y a pas, d’un côté, les dangereux bureaucrates accrocs à la norme et totalement déconnectés des enjeux et défis des entreprises et, de l’autre, les hussards bleu blanc rouge des entreprises qui apporteraient une réponse simple à un sujet aussi complexe que l’environnement normatif européen.
Simplifier, c’est l’action de rendre plus simple, plus facile. Je ne vous apprends rien avec cette définition très sommaire. Cela étant, cela m’amène à poser la question suivante : qu’est-ce qui complique aujourd’hui la vie des entreprises ?
Dans l’océan actuel d’incertitudes économiques et géopolitiques, les entreprises ont besoin que le cap soit maintenu pour élargir sur le long terme leur horizon de navigation.
Ce qui leur complique la vie, ce sont les allers et retours dans les décisions qui les touchent. C’est précisément ce stop and go qui caractérise la position du gouvernement français sur la directive CS3D. La volte-face de la France est difficilement compréhensible.
Cette directive impose aux entreprises de prévenir et corriger les impacts négatifs de leurs activités et de celles de leurs filiales et partenaires commerciaux sur les droits humains et l’environnement. Rien que cela, et ce alors que 160 millions d’enfants travaillent sur les chaînes de production mondialisées et que, partout, la planète déborde ou brûle, comme le dit très justement mon collègue député Dominique Potier.
Renoncer, c’est nier les millions de victimes de tous les Rana Plaza du monde, alors que nous venons de commémorer les treize ans de l’effondrement de ce bâtiment ayant entraîné la mort de plus de mille deux cents personnes employées par des sous-traitants de grandes entreprises du textile.
Alors que la directive CS3D devait être transposée avant le mois de juillet 2026, la récente directive Stop the clock est venue acter le report d’un an de la mise en œuvre du devoir de vigilance. Pour sa part, le gouvernement français en a préconisé le report sine die. Il s’agit là d’une position pour le moins paradoxale, puisque la France a intégré ce devoir de vigilance dans son droit national dès 2017 et que, le 30 novembre 2022, le Gouvernement qualifiait encore notre pays de pionnier en la matière !
Dans ces conditions, qu’est-ce qui qui fragilise les entreprises ? La directive en elle-même ou les volte-face successives, quand les entreprises souhaitent un cap et des règles stables ?
Dans son étude d’impact préalable, la Commission européenne affirmait clairement que le devoir de vigilance contribue à renforcer la compétitivité des entreprises européennes.
Il est possible de simplifier la vie des entreprises sans porter atteinte à l’objectif fixé et sans délai supplémentaire. Et c’est le sens de l’histoire ! Pour cela, il aurait fallu agir sur l’acceptabilité des nouvelles réglementations par les entreprises elles-mêmes et non les laisser seules face à ces nouvelles préconisations. Il aurait également fallu motiver toute la chaîne d’accompagnement des entreprises pour leur expliquer qu’elles passeraient très vite du décryptage à l’avantage compétitif.
La mise en œuvre de certaines normes a un coût, mais le coût social et écologique de leur absence serait plus lourd encore. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l’intelligence artificielle et du numérique. Madame la sénatrice, vous le savez, la France a été pionnière pour ce qui concerne le devoir de vigilance.
La position de la France est claire en la matière et c’est celle qui nous guide dans l’effort de simplification que nous menons. Il s’agit de ne pas revenir en arrière, mais d’avoir un cadre en phase avec le droit français, notamment sur la question du seuil de salariés : cinq mille en droit français, alors que la directive européenne vise à l’abaisser à mille.
Pour que ce soit plus prévisible pour nos entreprises et que nous ayons de la stabilité, nous plaidons pour que la directive soit le plus fidèle possible à ce que la France a mis en place.
M. le président. La parole est à Mme Marion Canalès, pour la réplique.
Mme Marion Canalès. Je m’étonne de l’injonction paradoxale du Gouvernement.
Pourquoi, dans une note datant de janvier ou février dernier, la France a-t-elle reculé et demandé le report sine die du devoir de vigilance, alors même qu’elle avait pris une position courageuse et anticipative sur une mesure essentielle qui vise à conforter les droits humains, à lutter contre l’exploitation des personnes ?
Je ne m’explique toujours pas ce revirement. Espérons que ce recul permettra de prendre un nouvel élan et ne provoquera pas un nouveau retard.
M. le président. La parole est à M. Clément Pernot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Clément Pernot. Madame la ministre, au mois de septembre dernier, Mario Draghi lançait, dans son rapport, un cri d’alerte : depuis vingt ans, l’économie européenne décroche. Face aux États-Unis et à la Chine, notre productivité et notre capacité d’innovation s’effondrent.
La tendance ne faiblit pas, au contraire. Selon Mario Draghi lui-même, si rien n’est fait, l’Union européenne est condamnée à « une lente agonie ».
Il est utile de le répéter, fût-ce à l’envi. Si rien n’est fait, l’Union européenne produira toujours moins de richesses, disposera de moins en moins de ressources et sera impuissante à relever les défis démographiques, sociaux, militaires, environnementaux, migratoires et technologiques de notre temps.
Face aux offensives commerciales américaines, aux surcapacités et au dumping chinois, face aux investissements massifs qu’exigent notre sécurité et les transitions, il n’y a plus de temps à perdre : restaurer la compétitivité européenne est devenu un enjeu existentiel.
Si beaucoup reste à faire, il est une cause profonde de l’asphyxie de nos entreprises qu’il nous appartient de traiter rapidement : le fardeau réglementaire, fruit de nos propres excès législatifs et bureaucratiques.
Chaque année, selon Eurostat, ce fardeau coûte 150 milliards d’euros aux entreprises européennes. Ces dernières années, il n’a cessé de croître. De 2019 à 2024, l’Union européenne a produit plus de treize mille textes, soit plus de deux fois plus que les États-Unis. L’administration Trump s’apprête à creuser davantage cet écart, en annonçant une vague de dérégulation sans précédent.
Dans l’énergie, la finance, l’intelligence artificielle, les télécoms, la défense, le spatial ou les biotechnologies, les défis sont immenses. Soyons lucides : jamais nos entreprises ne pourront les relever si nous ne simplifions pas radicalement nos cadres réglementaires.
Après des années de surréglementation méthodique, l’Union européenne semble enfin prendre la mesure de l’urgence.
Depuis 2022, le principe du one in, one out s’applique. Pour chaque nouveau surcoût imposé par une norme, d’autres normes doivent être supprimées à coût équivalent.
Depuis 2023, chaque analyse d’impact doit intégrer un contrôle de compétitivité.
Depuis 2024, l’objectif est fixé : réduire de 25 % la charge administrative des entreprises, 35 % pour les PME.
La Commission européenne admet désormais que certaines législations, notamment celles qui sont issues du Green Deal ou encore les objectifs environnementaux, sociaux et de gouvernance, les fameux critères ESG, sont allées trop loin. Si leurs objectifs étaient louables, ces réglementations ont aussi engendré des monstres administratifs, déconnectés des réalités économiques. Leur révision, parfois avant même leur entrée en vigueur, en est la preuve.
La boussole pour la compétitivité, le paquet omnibus et la révision des textes sur le reporting de durabilité, la taxonomie des investissements ou le mécanisme d’ajustement carbone sont des actes positifs.
Nous saluons également l’attention portée dès cette année au statut des entreprises intermédiaires, aux cadres d’investissement, ainsi qu’aux simplifications promises dans l’agriculture, la défense, la chimie, le numérique et l’industrie décarbonée.
De façon plus générale, la volonté de passer en revue l’intégralité de l’acquis communautaire est une initiative salutaire, tout comme la mise en place d’un cycle annuel d’évaluation de la législation au sein de chaque portefeuille de commissaire, associant systématiquement les entreprises.
Cependant, cette dynamique doit s’inscrire dans la durée. La simplification doit non plus être l’exception, mais devenir un réflexe permanent de notre culture législative et réglementaire.
Il nous faut même aller plus loin et porter ouvertement la question de la déréglementation. Il nous faut non seulement simplifier, mais aussi questionner l’utilité même de certaines normes. Certaines doivent être corrigées ; d’autres, tout simplement, supprimées.
Madame la ministre, votre responsabilité, comme celle de vos collègues chargés des entreprises, est déterminante. Les attentes de nos entreprises sont immenses. Elles aspirent à retrouver leur liberté d’innover, de produire, de créer de la valeur et de l’emploi dans un monde où la croissance n’est plus notre monopole et où la pertinence réglementaire façonne désormais la puissance économique. Les ministères chargés des entreprises sont au cœur de la tourmente, mais ils doivent être tournés vers ce redressement.
Par vos actions, la France peut adresser un message clair à ses entreprises : celui de la confiance retrouvée et d’une ambition renouvelée pour notre compétitivité.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Clément Pernot. Si, demain, vous témoignez de cette ambition, vous pourrez compter sur le soutien sans faille des sénateurs de la commission des affaires économiques, des sénateurs de la délégation aux entreprises et, plus généralement, des sénateurs d’utilité économique.
Madame la ministre, ne les décevez pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Henno applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l’intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le président, je répondrai d’abord à Mme Canalès.
L’expression sine die a été employée dans la note à laquelle vous avez fait référence pour laisser aux discussions le temps d’aboutir et affiner notre position sur le devoir de vigilance. Il ne s’agissait pas d’un report ad vitam aeternam.
J’en viens à la question de M. Pernot, qui remet la question de l’investissement, abordée précédemment, au centre du débat. Simplifier, c’est bien, mais – nous sommes d’accord – cela ne suffira pas pour gagner en compétitivité.
Aussi, parmi les actions visant à convaincre nos entreprises de notre ambition et de notre détermination à les accompagner, afin qu’elles deviennent les fers de lance de notre politique d’innovation, je prendrai un exemple, celui d’un secteur qui me tient à cœur : l’intelligence artificielle.
Avec le Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, nous avons fait précisément ce que vous proposez, monsieur le sénateur : nous avons redonné confiance.
Nous l’avons d’abord fait par le discours, en plaçant la France au cœur de la dynamique de l’intelligence artificielle ; Paris, la France tout entière, ont ainsi été le théâtre de l’IA pendant plusieurs jours, ont rayonné à l’échelle internationale et ont suscité une véritable dynamique.
Ensuite, au-delà du discours et des images de ce sommet, il y a eu des actes forts, notamment en matière d’investissement. En France, d’abord, le Président de la République a annoncé un investissement de 109 milliards d’euros destiné à créer l’infrastructure dont nous avons besoin pour faire tourner nos modèles d’intelligence artificielle. À l’échelon européen, ensuite, le plan InvestAI, d’un montant de 200 milliards d’euros d’origine publique et privée, doit renforcer notre capacité à développer nos propres technologies.
Cela est fondamental, car la souveraineté, dont on parle beaucoup, passera par le soutien aux entreprises européennes qui sont à la pointe des technologies comme l’intelligence artificielle ; elles peuvent nous éviter de dépendre de technologies extra-européennes, comme c’est le cas dans nombre d’autres domaines du secteur numérique.
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Olivier Henno. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est des sujets dont on parle avec constance, souvent avec de bonnes intentions, mais qui peinent – hélas ! – à se traduire par des changements concrets. La simplification administrative en Europe en est une illustration parfaite.
En effet, implanter, développer ou simplement maintenir une activité économique en Europe constitue un défi de plus en plus difficile à relever, et cela ne date pas d’hier. Depuis plusieurs années, les chefs d’entreprise, les industriels, les investisseurs dénoncent une surcharge administrative étouffante, qui alourdit les coûts, bride l’agilité et finit par miner notre compétitivité. En comparaison, nos concurrents, qu’ils soient américains ou asiatiques – souvent chinois –, évoluent dans des cadres bien plus souples, souvent plus lisibles et par conséquent plus favorables à l’investissement.
Prenons un chiffre simple, mais qui résume l’ampleur du problème : entre 2019 et 2024, pendant le mandat de la précédente commission européenne, l’Union a produit près de treize mille nouvelles normes, soit plus du double de ce qu’ont produit sur la même période les États-Unis. Comprenez-moi bien, ce n’est pas seulement une question de quantité ; c’est aussi une question de lisibilité, de cohérence et d’équation avec la réalité du terrain.
Soyons clairs, les directives dites omnibus ont le mérite d’exister, elles représentent un progrès indéniable, mais elles ne sont pas encore à la hauteur de l’impératif de productivité et de création de richesses ; cela reste encore timide…
Je suis élu du Nord et, dans ce département, une menace plane sur une entreprise importante, ArcelorMittal. Cela m’inspire trois observations.
Tout d’abord se pose la question de l’emploi, puisque quelque quatre cents familles dans le Dunkerquois et deux cents à Florange sont concernées ; c’est grave, c’est lourd, c’est un problème autant économique que social.
Ensuite, il y a le refus de l’entreprise ArcelorMittal d’investir dans la décarbonation, alors même qu’elle est subventionnée à cette fin à hauteur de 800 millions d’euros sur un projet de 1,7 milliard d’euros et que, dans le même temps, elle annonce un investissement de 1 milliard d’euros aux États-Unis.
Enfin se pose la question de la souveraineté. Nous avons la volonté de réarmer la France et l’Europe, mais, sans une production souveraine et autonome d’acier et d’aluminium – les mêmes questions se posent en effet pour l’aluminium avec Tata –, j’ai bien peur que ces appels au réarmement de la France et de l’Europe restent des mots creux. Voilà la réalité brutale du monde !
Alain Chatillon et moi-même avons rédigé un rapport d’information sur la concurrence européenne voilà près de cinq ans, à l’époque du projet de fusion entre Siemens et Alstom, car c’est la compétence par excellence de l’Union européenne. Les principes qui avaient été défendus lors de nos travaux étaient ceux de la concurrence libre et non faussée, du multilatéralisme, du meilleur prix pour le consommateur et de la norme. Mais c’est le monde d’hier ! Aujourd’hui, nous faisons face à des États, des empires, des continents qui abordent l’industrie sous le seul angle de la souveraineté et de la volonté de puissance !
Ils n’ont rien inventé, d’ailleurs : au XVIIe siècle déjà, La Bruyère affirmait que la puissance d’un pays se mesurait à son industrie. Ces pays subventionnent donc la leur et la défendent avec leurs droits de douane, quoi qu’il en coûte sur le plan financier, voire, pour ce qui concerne les États-Unis, avec la bourse. Or la réplique de l’Union européenne me semble bien timide.
Comprenez-moi bien, mes chers collègues, il ne s’agit nullement de renoncer à nos ambitions environnementales ou sociales ; il s’agit simplement de rendre celles-ci compatibles avec la réalité économique.
C’est pourquoi il est grand temps d’engager un véritable aggiornamento administratif et fiscal, de penser efficacité, lisibilité, cohérence, car la compétitivité de notre continent, la vitalité de nos entreprises et l’avenir de nos emplois en dépendent. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l’intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, mon collègue Marc Ferracci est très attaché à la défense de la productivité et de la compétitivité de nos industries et il s’est déjà exprimé sur plusieurs des sujets que vous avez évoqués.
Il s’agit, comme pour l’agriculture tout à l’heure, d’un secteur spécifique ; je laisserai donc à mon collègue le soin de vous présenter plus précisément nos plans d’action en la matière.
Sachez tout de même que nous restons très attentifs à la situation des entreprises, notamment de celles que vous avez mentionnées. La question de la compétitivité de ces secteurs est bien présente à notre esprit.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Olivier Rietmann, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. Olivier Rietmann, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons eu, à la demande, fort pertinente, du groupe Les Républicains, un débat riche, qui ne peut que réjouir le président de la délégation aux entreprises que je suis.
Ce débat prolonge les réflexions de notre délégation sur deux sujets : l’indispensable simplification des charges administratives pesant sur les entreprises et l’allégement des normes européennes en matière de responsabilité sociale des entreprises. Les deux sujets se conjuguent et s’alimentent, naturellement.
Une leçon doit être retenue de cette séquence normative européenne : qui trop embrasse mal étreint, comme le disait déjà Rabelais. Celui qui veut entreprendre trop de choses à la fois risque de ne rien réussir.
En effet, nombreuses sont les initiatives européennes justifiées dans leurs principes, mais élaborées en silos et visant toujours les mêmes opérateurs économiques : les entreprises. Celles-ci ploient donc sous l’empilement des normes et voient à juste titre dans cette pratique une menace pour leur compétitivité, une entrave à leur croissance, voire un risque pour leur survie.