Sommaire

Présidence de M. Loïc Hervé

Secrétaires :

Mme Nicole Bonnefoy, Mme Catherine Di Folco.

1. Ouverture de la session extraordinaire de 2024-2025

2. Communication relative à des commissions mixtes paritaires

3. Homicide routier. – Adoption définitive en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale

M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Francis Szpiner, rapporteur de la commission des lois

M. Louis Vogel

M. Laurent Somon

Mme Solanges Nadille

Mme Véronique Guillotin

Mme Olivia Richard

Mme Silvana Silvani

M. Daniel Salmon

Mme Audrey Linkenheld

Mme Alexandra Borchio Fontimp

M. Olivier Paccaud

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Amendement n° 3 de Mme Audrey Linkenheld. – Retrait.

Adoption de l’article.

Articles 1er bis A, 1er ter, 1er quater, 1er quinquies, 2 et 3 – Adoption.

Vote sur l’ensemble

Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission.

Suspension et reprise de la séance

4. Peines d’emprisonnement ferme. – Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale

M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice

5. Modifications de l’ordre du jour

6. Peines d’emprisonnement ferme. – Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (suite)

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur de la commission des lois

M. Louis Vogel

Mme Nadine Bellurot

Mme Patricia Schillinger

Mme Sophie Briante Guillemont

Mme Dominique Vérien

M. Alexandre Basquin

Mme Raymonde Poncet Monge

M. Christophe Chaillou

M. Stéphane Ravier

Mme Marie-Claire Carrère-Gée

Clôture de la discussion générale.

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois

PRÉSIDENCE DE Mme Anne Chain-Larché

Article 1er

Amendement n° 3 de M. Guy Benarroche. – Rejet.

Amendement n° 4 de M. Guy Benarroche. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 2

Amendement n° 5 de M. Guy Benarroche. – Rejet.

Amendement n° 6 de M. Guy Benarroche. – Rejet.

Amendement n° 2 rectifié de Mme Sophie Briante Guillemont. – Rejet.

Amendement n° 1 rectifié de Mme Sophie Briante Guillemont. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 3

Amendement n° 8 de la commission. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 4 (supprimé)

Article 5 – Adoption.

Article 6 (supprimé)

Amendement n° 7 rectifié de M. Guy Benarroche. – Rejet.

L’article demeure supprimé.

Vote sur l’ensemble

M. Christophe Chaillou

Mme Sophie Briante Guillemont

Mme Raymonde Poncet Monge

M. François-Noël Buffet, ministre

Adoption, par scrutin public n° 334, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

7. Communication relative à une commission mixte paritaire

8. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Loïc Hervé

vice-président

Secrétaires :

Mme Nicole Bonnefoy,

Mme Catherine Di Folco.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Ouverture de la session extraordinaire de 2024-2025

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, au cours de la séance du 12 juin dernier, le décret de M. le Président de la République portant convocation du Parlement en session extraordinaire, à compter du 1er juillet 2025, a été porté à la connaissance du Sénat.

En conséquence, je constate que la session extraordinaire est ouverte.

2

Communication relative à des commissions mixtes paritaires

M. le président. J’informe le Sénat que les commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la raison impérative d’intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse, d’une part, et de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, d’autre part, sont chacune parvenues à l’adoption d’un texte commun.

M. Laurent Burgoa. Très bien !

3

 
Dossier législatif : proposition de loi créant l'homicide routier et visant à lutter contre la violence routière
Article 1er

Homicide routier

Adoption définitive en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière (proposition n° 681, texte de la commission n° 746, rapport n° 745).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre d’État.

M. Gérald Darmanin, ministre dÉtat, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, cet après-midi, vous allez pouvoir – enfin – adopter définitivement un texte essentiel, attendu depuis des années par les victimes de la violence routière et par leurs familles, un texte défendu avec dignité et détermination, partout en France, par des femmes et des hommes qui, ayant perdu qui un enfant, qui un parent, qui un mari, qui une épouse, ont fait face au pire et choisi, avec courage, de mener un combat qui connaît aujourd’hui son aboutissement.

Bien sûr, rien ne réparera l’irréparable, mais la loi, désormais, ne détournera plus les yeux.

L’initiative de cette proposition de loi revient au député Éric Pauget, soutenu, je le sais, par de très nombreux parlementaires, notamment au Sénat. Je remercie à cet égard votre rapporteur, Francis Szpiner, ainsi que Laurent Somon, qui a fait de cette cause un combat dans son département de la Somme, et tous ceux qui, parmi vous, ont écrit aux gardes des sceaux et aux ministres de l’intérieur successifs au fur et à mesure que des drames endeuillaient des familles de leurs communes.

La proposition de loi vise à créer dans notre droit pénal une infraction spécifique : l’homicide routier. Elle acte une évolution que les familles réclament depuis longtemps. Elle nomme enfin les choses.

Il y est affirmé avec clarté que tuer sur la route, sous l’emprise de l’alcool ou de la drogue, en excès de vitesse ou dans le mépris délibéré des règles, n’est pas un simple accident : c’est un acte criminel, une faute inexcusable. Et ce doit être reconnu comme tel.

Dans le droit en vigueur, on parle encore, pour qualifier ce genre de comportements, d’« homicide involontaire ».

Mais comment expliquer à une mère ou à un père de famille, à un frère ou à une sœur, à une compagne ou à un époux, que la mort de son proche n’est due qu’à une « imprudence » ?

Comment banaliser l’irréparable quand il s’agit de faits récurrents, de comportements – consommation d’alcool ou de drogue – assumés, parfois revendiqués ?

Comment continuer à déresponsabiliser ceux qui choisissent, en toute conscience, de prendre le volant dans des conditions mortifères ? Ceux-là ne savent peut-être pas qui ils vont tuer, mais ils savent qu’ils vont tuer.

Je pense à Anaïs Dessus, gravement blessée sur une route de Martinique, qui a vu mourir son compagnon sous ses yeux, percuté par un chauffard récidiviste, alcoolisé, drogué, sans permis ni assurance.

« Le mot “involontaire” ne me plaît pas », dit-elle. « Il n’a rien à faire ici. Il fait mal. On m’a arraché le cœur », poursuit-elle. « Et celui qui a détruit notre vie sortira dans quelques années, comme si de rien n’était », sa faute étant caractérisée comme involontaire.

À cette colère, à cette détresse, et surtout à cette demande de reconnaissance, vous allez répondre aujourd’hui.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les victimes et leurs proches ne demandent pas nécessairement des peines plus lourdes : ils demandent la reconnaissance d’une culpabilité, ils demandent la reconnaissance de ce qui s’est passé, ils demandent que l’on mette des mots sur la mort, sur la détresse et sur les blessures.

Ce texte met donc fin à une hypocrisie juridique. Il crée une infraction autonome, claire, identifiable : l’homicide routier.

Il ne s’agit pas simplement d’un changement sémantique : il s’agit d’un changement de regard, d’un message adressé par le Parlement et le Gouvernement à toute la société : la route ne peut plus être un angle mort de la responsabilité pénale.

Ce texte, dont l’adoption fut encouragée par Éric Dupond-Moretti, mon prédécesseur, je suis très fier et très heureux de le conduire à son terme.

À l’issue des travaux menés par les rapporteurs Éric Pauget et Francis Szpiner, que je remercie, ainsi que par François-Noël Buffet, comme président de la commission des lois du Sénat puis comme ministre auprès du ministre de l’intérieur – je le remercie lui aussi pour son implication –, cette proposition de loi prévoit que les responsables d’accidents mortels assortis d’au moins une circonstance aggravante seront poursuivis pour homicide routier.

Ces circonstances aggravantes sont notamment l’état d’ivresse, la consommation de stupéfiants, le défaut de permis, un dépassement de la vitesse maximale autorisée supérieur à 30 kilomètres à l’heure, le délit de fuite, le rodéo urbain ou encore le refus d’obtempérer, qui pourrit – chacun le sait – le travail de nos policiers et gendarmes.

La peine, elle, reste alignée sur ce qui est prévu actuellement : sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende, peine portée à dix ans et 150 000 euros en cas de double circonstance aggravante.

Certains regretteront que le quantum n’ait pas été modifié. Mais ce texte apporte une transformation plus fondamentale encore : il impose aux magistrats un regard nouveau, il leur donne les mots justes et les outils pour dire la gravité et réaffirmer que la vie humaine n’est pas négociable.

En 2024, 3 190 personnes ont perdu la vie sur les routes de France métropolitaine et 233 000 ont été blessées, dont près de 16 000 grièvement ; et nous savons tous qu’outre-mer les chiffres sont encore plus accablants.

Dans deux tiers des accidents corporels, au moins un facteur aggravant est identifié et, dans trois quarts des cas, le responsable est récidiviste. On ne peut donc plus parler de hasard, ni de fatalité.

Ce texte complète un arsenal déjà renforcé, voulu par le président Chirac et par tous ceux qui ont ensuite soutenu la cause de la sécurité routière : contrôles des stupéfiants élargis, suspension automatique du permis, peines aggravées en cas de récidive…

Mais il manquait le mot juste, le mot que la République doit aux victimes.

Oui, ce texte est ferme. Il doit l’être, car les vies brisées par la route méritent mieux que des demi-mots. Et à ceux qui craignent une pénalisation excessive, nous faisons la réponse suivante : il n’y a pas d’excès à protéger la vie ; il n’y a pas d’excès à refuser l’impunité ; il n’y a pas d’excès à vouloir que la justice parle le même langage que les forces de l’ordre et que les familles.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux de nouveau saluer votre travail et rendre hommage à l’esprit de responsabilité de Francis Szpiner, qui nous a aidés à sécuriser ce texte autant que possible d’un point de vue juridique et constitutionnel.

Je veux saluer la responsabilité du Sénat, qui s’apprête à adopter conforme – je l’espère – le texte adopté par l’Assemblée nationale le 3 juin dernier. Cette adoption conforme, qui a déjà trop attendu du fait de la dissolution et des difficultés nombreuses inhérentes à notre procédure parlementaire, permettra une promulgation rapide et une entrée en vigueur sans délai.

Je veux aussi adresser une pensée particulière aux familles de France dont le combat aura marqué ce débat d’une empreinte indélébile. Elles auront, par leur force et leur dignité, permis que ce texte voie le jour. Aujourd’hui, ce combat aboutit. Ce que la République leur doit tient en un mot : merci.

Le Gouvernement soutient donc pleinement cette proposition de loi, car elle est juste, attendue et nécessaire.

Parce qu’en République le droit ne doit jamais être en retard sur la douleur des innocents et que ses mots ne doivent jamais contredire la réalité, j’invite la Haute Assemblée à adopter tel quel ce texte.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Francis Szpiner, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, à l’heure où ce texte revient devant le Sénat, il convient de rappeler quels en sont les enjeux.

En 2022, 3 163 personnes ont trouvé la mort sur les routes de France ; elles étaient 3 193 en 2024. Il y a donc bien une criminalité routière et elle est insupportable.

Comme vous, monsieur le ministre d’État, j’utilise les mots de « criminalité routière » : nous avons le droit d’être parfaitement choqués par ces comportements.

En l’état de notre droit, celui qui occasionne la mort sur la route n’est coupable que d’un homicide involontaire. Or le fait de conduire volontairement en état d’ivresse, sous l’effet de la drogue, sans permis ou à une vitesse excessive n’est certes pas constitutif d’un homicide volontaire, mais cela ne saurait non plus être considéré comme un accident : l’atteinte à la personne ainsi commise est assimilable à une mise en danger de la vie d’autrui.

C’est donc à juste titre que les familles des victimes s’indignaient qu’un comportement volontaire, délibérément adopté, ne soit en définitive assimilé qu’à une faute non intentionnelle.

C’est dans ce contexte que cette proposition de loi a été présentée une première fois au Sénat. J’en ai été désigné rapporteur et je vais vous livrer ce que fut le cheminement de mon esprit.

Je considère que les gens qui conduisent avec ce que l’on appelle aujourd’hui des circonstances aggravantes sont des criminels. La question était donc de savoir si l’on pouvait faire de tels comportements un crime. C’eût été parfaitement possible : je rappelle que notre droit qualifie par exemple les violences volontaires qui ont entraîné la mort – les coups mortels – sans intention de la donner comme une infraction criminelle passible de quinze ans de réclusion et jugée par la cour criminelle.

Cette qualification était tentante.

Elle avait un mérite : elle désignait le chauffard pour ce qu’il est, c’est-à-dire un criminel. Elle le faisait comparaître devant la cour criminelle et, en appel, devant la cour d’assises : le regard posé par la société sur l’auteur d’un tel comportement devenait le regard que l’on pose sur un criminel.

Elle présentait un inconvénient : la justice ne peut pas être seulement théorique ; elle est pratique, malheureusement – et, monsieur le garde des sceaux, soyez assurés que je défendrai votre budget ! Si nous avions criminalisé ce comportement, ce que philosophiquement il convenait de faire, eu égard à la longueur et à la lourdeur de la procédure criminelle et des voies de recours afférentes et compte tenu du nombre d’affaires qui auraient alors eu vocation à faire l’objet de poursuites au criminel, les familles n’auraient pu obtenir satisfaction, c’est-à-dire justice, que dans des délais extrêmement longs.

Dans ces conditions, j’ai renoncé à faire de ce comportement un crime et me suis résolu à ce qu’il demeure dans le domaine délictuel, bien que philosophiquement – j’y insiste – un tel choix me paraisse déplaisant.

À partir du moment où l’infraction restait délictuelle, nous étions évidemment limités à la peine de dix ans, qui est le maximum prévu par la loi : l’homicide dit involontaire aggravé est actuellement puni de sept à dix ans d’emprisonnement, suivant les circonstances.

Or il m’apparaissait anormal de ne changer que le mot figurant dans la loi sans que la répression s’en trouve modifiée. J’avais donc suggéré que nous introduisions à nouveau des peines planchers, dont je rappelle qu’elles ne lient pas le juge, celui-ci conservant la faculté de s’en détacher en expliquant pourquoi il ne les applique pas.

La commission des lois, dans un premier temps, avait accepté cette suggestion. Par un retournement de situation dont le Parlement a le secret, un certain nombre de nos collègues ont changé d’avis en une semaine, sans doute pour des raisons parfaitement honorables et d’ordre exclusivement juridique… Les peines planchers n’ont donc pas été retenues et nous avons voté, en première lecture, un texte qui se limitait à qualifier l’infraction visée d’« homicide routier », et non plus d’« homicide involontaire aggravé ».

La proposition de loi est ensuite revenue devant l’Assemblée nationale, qui a voté un texte identique à celui qu’elle avait adopté en première lecture. Et la voici aujourd’hui soumise au Sénat.

Je le dis très clairement : certes, je trouve ce texte imparfait, mal agencé du point de vue de l’ordonnancement du code pénal, mais la question est de savoir si oui ou non nous répondons à l’attente des victimes.

Les vacances d’été, période de haute circulation routière, sont sur le point de commencer ; il est utile à cet égard, me semble-t-il, que soit introduite dans la loi le plus vite possible la notion d’homicide routier.

Voilà pourquoi j’ai souhaité une adoption conforme par le Sénat du texte voté par l’Assemblée nationale, même si, je le répète en étant très clair, je le trouve insuffisant : dit autrement, le Parlement aura à se pencher de nouveau sur la question de la criminalité routière. Il nous faudra faire une loi qui tienne compte de la réalité de cet enjeu et permette, en cette matière, de consacrer à la justice les moyens nécessaires.

Lorsqu’on prend le volant et que l’on est en état d’ivresse ou drogué, que l’on n’a pas le permis, que l’on roule à toute vitesse, on est un criminel ! Et les criminels sont jugés par les juridictions criminelles. Il faudra donc que la société se donne les moyens de jeter sur ceux que l’on appelle les chauffards la lumière crue de ce qu’ils sont réellement.

Je m’autorise un parallèle : pendant des années, les viols étaient correctionnalisés. Le jour où les auteurs de viols ont été renvoyés devant la cour d’assises, les peines n’ont pas nécessairement été plus sévères, mais la société reconnaissait ainsi que ce comportement était criminel.

Il faut, de la même façon, que les chauffards comprennent que leur comportement est criminel.

Je considère donc l’adoption de ce texte comme une première étape – le point de départ d’une réflexion – et non comme une fin en soi dans la lutte contre les violences et la criminalité routières.

C’est pourquoi, une nouvelle fois, j’invite le Sénat à voter conforme le texte adopté par l’Assemblée nationale, afin que l’on ne puisse plus dire que l’homicide routier est involontaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – Mme Solanges Nadille et M. Louis Vogel applaudissent également.)

M. Jacques Grosperrin. Très clair !

M. le président. La parole est à M. Louis Vogel. (Mme Olivia Richard applaudit.)

M. Louis Vogel. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, chaque année, le rapporteur vient de le rappeler, plus de 3 000 personnes meurent sur la route. Ces morts, pour beaucoup d’entre elles, pourraient être évitées.

Selon l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière, 23 % des accidents mortels sont causés par l’alcool, 13 % par la prise de stupéfiants et 28 % par la vitesse excessive.

Cette proposition de loi créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière est donc une réponse concrète à un problème terrible.

Je tiens à saluer le travail des parlementaires engagés dans cette réforme, en particulier l’auteur de ce texte, la députée Anne Brugnera, ainsi que les rapporteurs, Francis Szpiner au Sénat et Éric Pauget à l’Assemblée nationale.

L’article 1er qualifie d’« homicides routiers » les homicides et atteintes involontaires résultant d’un manquement délibéré à une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ; on ne peut être plus clair.

Cette qualification fait écho à une recommandation du comité interministériel de la sécurité routière, qui demandait qu’une infraction d’homicide routier soit enfin créée.

Le ministre l’a rappelé, l’évolution de la qualification pénale de ces faits n’entraîne pas de modification du quantum de peine, qui prévoit déjà une gradation en fonction des circonstances aggravantes.

Au Sénat, en première lecture, d’importants débats ont eu lieu. La question d’ériger ces infractions au rang de crime s’est posée, comme le rapporteur l’a très justement rappelé.

Toutefois, les procédures criminelles étant très lourdes, retenir une telle qualification aurait eu pour conséquence d’imposer aux proches des victimes des délais excessivement longs avant d’obtenir une décision de justice.

Nous avons raisonné d’un point de vue pratique. Aussi notre rapporteur a-t-il proposé, en commission, d’instaurer des peines planchers en matière d’homicide routier, peines pouvant toutefois être écartées par le juge en fonction des circonstances.

Le retour du texte à l’Assemblée nationale en deuxième lecture a souligné des divergences entre les députés et les sénateurs sur cet article.

Afin de ne pas retarder l’entrée en vigueur de ce texte essentiel pour les victimes, notre commission des lois et notre rapporteur ont agi de façon responsable et fait le choix, en deuxième lecture, de retenir, pour ce qui est de cet article, la version initiale de l’Assemblée nationale.

Autre point majeur du texte : le renforcement de l’information et de la participation des parties civiles au procès.

L’article 1er bis A, introduit grâce au Sénat, modifie en ce sens le code de procédure pénale. C’est très important : en l’absence d’appel sur l’action civile et les intérêts civils, la partie civile sera avisée de la déclaration d’appel portant sur l’action publique ainsi que de la date de l’audience.

C’est une avancée très concrète : ce texte, je l’ai dit, a une portée pratique ; il s’agit d’améliorer réellement la situation des victimes.

La proposition de loi comporte aussi des mesures clés relatives au contrôle de la vitesse sur les routes. Je ne prendrai qu’un exemple : l’article 1er quinquies fait du dépassement d’au moins 50 kilomètres à l’heure de la vitesse maximale autorisée un délit.

Le groupe Les Indépendants soutient pleinement tous ces dispositifs.

Sachant que les excès de vitesse sont responsables de plus d’un quart des accidents mortels, leur qualification juridique ne doit évidemment pas relever du champ de la contravention, mais, à tout le moins, de celui du délit.

Enfin, le texte inscrit dans la loi l’examen médical obligatoire prévu au niveau réglementaire pour les conducteurs qui ont causé des blessures routières ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois.

Considérant l’ensemble de ces dispositions très pratiques, le groupe Les Indépendants soutient cette proposition de loi, qui constitue une avancée considérable pour les victimes, même si une partie du chemin, comme l’a rappelé notre rapporteur, reste à parcourir. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Somon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Somon. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, je m’exprime trois minutes après des années d’un combat mené aux côtés des familles de victimes d’accidents routiers provoqués par des personnes se trouvant sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants ou ayant gravement enfreint les règles de sécurité.

Je m’exprime pour reconnaître, sur le fond, l’avancée majeure qui consiste à qualifier enfin d’homicide routier, et non plus d’homicide involontaire, le fait pour le conducteur responsable d’un accident entraînant la mort ou de graves blessures d’avoir pris le volant en état d’alcoolémie ou après avoir fait usage de substances illicites, ou encore d’avoir contrevenu aux règles élémentaires du code de la route – défaut de permis de conduire, très grande vitesse.

Émise déjà depuis de nombreuses années, cette revendication est enfin satisfaite avec la reconnaissance d’une caractérisation spécifique du délit.

Cela étant, il manque encore, dans ce texte, des améliorations relatives aux délais de procédure, à l’application des sanctions prévues et à la prévention routière, sujets aujourd’hui négligés bien qu’il nous faille agir pour éviter qu’il y ait trop de morts sur les routes à cause de conducteurs inconséquents – c’est particulièrement crucial à l’approche des vacances.

Pour ce qui est de la forme, il résonne en moi ces vers de Jean de La Fontaine : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »

En effet, la méthode retenue pour convaincre les ministères et faire en sorte que cette proposition de loi aboutisse laisse amers tous les législateurs – il en est ainsi du député Pierre Morel-À-L’Huissier qui, dès 2017, réclamait à la fois la reconnaissance de cette dénomination et l’application des sentences prévues par la loi –, mais aussi les victimes, leurs familles et les nombreuses associations, comme Victimes et Avenir.

Celles-ci demandent en effet depuis des années cette reconnaissance, ainsi qu’un resserrement des procédures, tout en exigeant d’être informées des sentences réellement exécutées – 10 % seulement des peines d’incarcération prononcées sont effectuées. Il faut en outre savoir que les amendes sont d’un montant moyen de 500 euros.

Pourquoi faut-il que les textes n’évoluent, avec l’assentiment des gouvernants, que lorsque des personnalités sont touchées ? Pourquoi seuls ceux qui ont l’oreille du Château, grâce à leurs moyens, doivent-ils avoir voix au chapitre dans les discussions au sein des ministères concernés ? Pourquoi des vies meurtries à jamais, des voix comme celle, parmi bien d’autres, de M. Yann Desjardins, après la mort de son fils Guillaume, n’ont-elles pas été considérées ?

Pourquoi ne pas appliquer les sentences avec davantage de rigueur, sans remettre en cause le rôle de la justice ni l’individualisation de la peine ? Il s’agit, précisément pour rendre justice, d’entendre la souffrance des familles et de penser d’abord aux victimes.

Mes chers collègues, je voterai cette proposition de loi, mais j’attends, monsieur le ministre, comme vous l’avez annoncé au Sénat il y a une quinzaine de jours, que vous vous attachiez dès la rentrée, sur la base notamment des travaux de Dominique Vérien et Elsa Schalck, à garantir l’effectivité des peines et à faire en sorte que puisse être rendue une justice équilibrée, comprise, morale.

Les coupables doivent mesurer leur culpabilité par une privation de liberté définie par le juge et comprendre alors la douleur qu’ils font subir, ad aeternam, aux victimes et à leurs familles.

Je voterai ce texte avec une folle – mais réelle – espérance, car il est grand temps, monsieur le ministre, qu’en ce domaine on avance encore davantage, pour plus de sécurité routière et moins d’insécurité pénale.

La cour du Château a entendu en 2022 cette belle phrase que Yann, le père de Guillaume, avait auparavant prononcée à Amiens sans être écouté : « J’essaie de me mettre au service des autres pour donner un sens à ma vie. ».

Yann a été emporté par la maladie en 2021 ; s’il avait été entendu dès 2017, des vies auraient peut-être été sauvées, à supposer que cette proposition de loi ait bien la vertu qu’on lui prête, celle-là même qui a déterminé le calendrier de son examen, à la veille des vacances. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Solanges Nadille. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, chaque jour, sur nos routes, des vies basculent, des familles sont brisées, des espoirs s’éteignent, des tragédies s’inscrivent dans une forme d’injustice silencieuse.

En 2022, 3 267 personnes ont perdu la vie sur les routes de France hexagonale et 283 sur celles d’outre-mer. En définitive, ce sont environ dix personnes qui meurent chaque jour sur les routes. Dans 12 % des cas, des stupéfiants sont en cause. L’alcool, lui, est impliqué dans près de 30 % des accidents mortels.

Derrière ces statistiques, il y a des destins brisés, des familles endeuillées, des absences irréparables. Certains drames suscitent une émotion collective, lorsqu’ils sont médiatisés, mais la plupart demeurent silencieux, ne laissant derrière eux qu’un prénom, parfois oublié, et un chiffre de plus dans une longue liste. Pourtant, chacune de ces vies avait son histoire et aucune ne mérite l’indifférence.

La sécurité routière n’est pas une politique acquise une fois pour toutes. Elle exige engagement constant, vigilance de chaque instant et choix politiques courageux. Et ce texte, mes chers collègues, est un tel choix politique.

La proposition de loi dont nous débattons vise à changer le regard que notre droit pénal porte sur ces infractions : il s’agit de les considérer non plus comme de simples homicides « involontaires », mais bien comme des actes d’une gravité extrême, liés à des comportements de conduite délibérément dangereux. Il s’agit, en d’autres termes, de reconnaître enfin la spécificité de ces drames et de se placer aux côtés des victimes et de leurs familles, qui réclament légitimement justice et reconnaissance.

L’article 1er de la proposition de loi crée ainsi un nouveau chapitre dans le code pénal, introduisant la qualification d’homicide routier et de blessures routières. Dès qu’une circonstance aggravante est constatée – usage de stupéfiants, conduite sans permis, excès de vitesse significatif, entre autres –, la qualification d’homicide routier pourra être retenue.

Ce changement de terminologie n’est pas qu’un symbole : il exprime clairement la gravité des faits.

Le texte va plus loin, en prévoyant des peines complémentaires – suspension ou annulation de permis, confiscation du véhicule, dispositifs d’antidémarrage – et une systématisation des mesures à visée dissuasive et préventive. L’instauration d’un examen médical pour évaluer l’aptitude à la conduite après un accident va également dans le sens d’une meilleure protection.

Je tiens à saluer ici le travail mené par le rapporteur Francis Szpiner, ainsi que celui des députés Anne Brugnera et Éric Pauget, qui ont porté ce texte avec détermination.

Je veux aussi, en tant qu’élue d’outre-mer, insister sur la situation dramatique que connaissent les territoires ultramarins, où les jeunes âgés de 25 à 34 ans figurent parmi les principales victimes de l’insécurité routière. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière, la mortalité routière pour 1 million d’habitants est en moyenne trois fois plus élevée en outre-mer qu’en Hexagone. Alors que la moyenne annuelle s’élève à 45 tués par million d’habitants en France hexagonale, elle est de 78 tués par million en Martinique, de 120 en Guyane et de 143 en Guadeloupe, mon territoire.

Dans notre archipel, les campagnes de prévention et les actions de sensibilisation, bien que récurrentes, n’ont que trop peu d’effets ; encore une fois, les chiffres traduisent une réalité préoccupante.

Si le nombre total d’accidents diminue, les indicateurs les plus graves sont en hausse. Le nombre de décès a augmenté de 18 % par rapport à 2024 et de près de 33 % par rapport à 2023.

Depuis le début de l’année 2025, on a recensé près de 22 personnes tuées sur les routes de Guadeloupe. Il ne s’agit donc plus simplement d’un enjeu de sécurité publique, c’est aussi un défi de santé publique et de cohésion sociale. Dans ces territoires souvent oubliés, l’adoption de cette proposition de loi serait un signal fort. Elle marquerait la reconnaissance d’un fléau que nous devons collectivement affronter.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI apporte son plein soutien à ce texte.

Pour ma part, je le voterai aussi, en conscience, en pensant à ces familles endeuillées et pour inscrire dans la loi une reconnaissance nécessaire : celle que chaque victime de la route, où qu’elle vive, mérite justice et considération. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – Mmes Lauriane Josende et Olivia Richard applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.)

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons aujourd’hui au terme d’un parcours parlementaire long et sinueux, objet de vifs débats.

La proposition de loi que nous examinons en seconde lecture vise à créer une infraction autonome d’homicide routier. Elle tend à apporter une réponse symbolique forte grâce à une évolution juridique attendue par les familles de victimes, les associations, mais aussi de nombreux praticiens du droit.

Je n’attendrai pas la fin de mon intervention pour annoncer que le groupe du RDSE y est évidemment favorable.

Car il ne s’agit pas d’un simple ajustement de terminologie. Il s’agit de rendre justice par les mots, de dire enfin la réalité de ces drames trop longtemps englobés dans une notion devenue insupportable pour les victimes : celle d’homicide « involontaire ».

Comment qualifier d’involontaire le fait de conduire en état d’ivresse, drogué, sans permis, à une vitesse qui défie la raison ? Ce n’est pas un concours de circonstances. Ce sont des comportements fautifs, parfois assumés, toujours lourds de conséquences. Nous sommes là face à la succession d’actes volontaires de quelqu’un qui ne peut ignorer qu’en ne se conformant pas aux règles de sécurité, il expose gravement la vie d’autrui.

Derrière cette réforme, il y a des visages. Celui de la famille Alléno – présente aujourd’hui dans nos tribunes –, qui a beaucoup milité pour ce texte, mais aussi ceux des 3 000 victimes de la route chaque année en France. Des enfants, des parents, des amis fauchés par un conducteur qui avait sciemment pris le risque de tuer. À ces familles, nous devons la vérité du droit.

Le texte qui nous est soumis vise à répondre à cette attente. Il ne bouleverse pas notre édifice pénal. Il n’aggrave pas les peines. Mais il nomme, il distingue, il affirme. L’« homicide routier » devient une qualification autonome, distincte de l’homicide involontaire, dès lors que certaines circonstances aggravantes sont réunies : alcool, stupéfiants, conduite sans permis, grand excès de vitesse ou encore délit de fuite.

Ce texte ne réglera pas tout. Il ne dispensera pas la justice d’examiner les faits, de mesurer la gravité de la faute, d’individualiser les peines. Mais il donnera aux juges une nouvelle grille de lecture, plus conforme au sentiment de justice auquel aspirent nos concitoyens. Nous devons répondre à leurs attentes. Ce texte clarifie et responsabilise.

Au Sénat, en première lecture, nous avions fait le choix d’une réécriture des dispositifs issus de l’Assemblée nationale, au bénéfice d’une rédaction plus éloignée des symboles, mais motivée par une meilleure articulation avec le droit existant. Néanmoins, comme l’a souligné le rapporteur, refuser aujourd’hui de voter ce texte conforme relancerait la navette législative et retarderait inutilement l’entrée en vigueur d’un texte examiné depuis janvier 2024 et attendu par toutes les familles de victimes.

En responsabilité, notre groupe soutiendra l’adoption du texte tel qu’il résulte des travaux de l’Assemblée nationale, car l’essentiel est acquis : un changement de paradigme, une reconnaissance attendue, un signal adressé à la société.

Mes chers collègues, l’homicide routier n’est pas un accident. C’est un acte grave, qui doit être traité comme tel. Ce texte ne rendra pas les vies perdues, mais il apportera un mot juste là où il n’y avait qu’une terminologie blessante. Il est parfois des réformes que l’on vote pour qu’un jour une seule vie soit sauvée : celle-ci en fait partie. (Applaudissements sur les travées du groupe du RDSE et sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Solanges Nadille et M. Louis Vogel applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées des groupes Les Républicains et INDEP.)

Mme Olivia Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, en préparant cette intervention, j’ai consulté les sites d’actualité pour avoir une idée plus concrète de ce dont il était aujourd’hui question. En effet, dire que, toutes les trois heures, une personne meurt sur la route en France reste abstrait.

En lisant les actualités récentes – je m’en suis tenue au mois de juin –, j’ai été sidérée par l’étendue de la bêtise humaine : « ivre, il tue un agent de la route en roulant à une vitesse excessive ». C’était il y a quatre jours dans l’Eure. Le quinquagénaire avait « bu quelques bières avant de prendre le volant ». Ce n’est pas comme s’il ne savait pas que l’alcool affectait la conduite ! « Boire ou conduire, il faut choisir », on connaît pourtant tous le slogan.

Mais, assurément, cet homme expérimenté s’est dit qu’il l’avait fait des milliers de fois. Il sait conduire, lui ! Il connaît l’effet que la bière a sur lui. Il sait : c’est bon, ça passe… Résultat : il a tué un jeune homme de vingt-quatre ans ! Sa vie comme il la connaît est finie. Il est aujourd’hui passible d’homicide involontaire aggravé. Il sera demain passible d’homicide routier.

Hier, un autre jeune homme de vingt-quatre ans était condamné à deux ans de prison ferme pour avoir provoqué un accident sous l’emprise de stupéfiants et d’alcool, alors qu’il était déjà sous le coup d’une interdiction administrative de conduire. Et pour quel motif selon vous ? Pour avoir déjà tué une personne dans un précédent accident de la route !

« Je n’avais pas le choix », s’est-il défendu, en expliquant s’être rendu aux obsèques de son oncle dont il était très proche. Son état de faiblesse l’a amené à s’arrêter pour boire une bière et fumer un joint. Il a repris ensuite le volant et a conduit, encore, quelqu’un à la mort. Deux ans de prison, pour un homicide involontaire en état de récidive, cela semble peu cher payé.

Un autre jeune homme « s’amusait » à se filmer en roulant à 210 kilomètres à l’heure. Il était ivre, sinon cela n’aurait rien eu de drôle… Il a tué quelqu’un, un autre jeune : je pense que même lui ne trouve plus cela drôle maintenant. Il a été condamné à quatre ans de prison. C’est désolant, mais quel gâchis !

Mi-juin encore, un jeune homme de vingt-quatre ans a été condamné à deux ans de prison, dont un ferme avec bracelet électronique, pour en avoir tué un autre en tentant de le doubler. Là encore, il était ivre. Ils avaient tous deux la même date de naissance. Espérons qu’il s’en souviendra toute sa vie au moment de souffler ses bougies.

Je me suis interrogée : qu’est-ce qui permet à quelqu’un de monter dans une voiture et d’en faire une arme létale ? Qu’est-ce qui fait que, lorsqu’on tue sur la route, cela n’est pas considéré comme intentionnel, alors même qu’aucune précaution n’a été prise pour éviter le drame ?

Quel incroyable sentiment de toute-puissance faut-il pour croire que « c’est bon, on gère », alors même qu’on a déjà été condamné, alors même qu’on a déjà tué. Cette fois, ça ira, on fera attention, on peut conduire, même ivre, même « stone », même beaucoup trop vite. Nous, on sait conduire, mieux que les autres. Quelle inconscience coupable, quelle indifférence là encore coupable !

Nous parlons d’hommes tellement sûrs d’eux et de leur conduite qu’ils ne font cas d’aucune loi, d’aucune réglementation. Le code de la route, ce n’est pas pour eux…

Pourquoi parler des hommes ? Parce qu’ils sont, dans l’écrasante majorité des cas, les auteurs de ces morts évitables. Ils représentent 84 % des responsables d’accidents mortels et 91 % des conducteurs alcoolisés impliqués dans un accident mortel. Ils figurent également en nombre parmi les victimes. Au temps pour l’expression : « femme au volant, mort au tournant ».

Ces hommes sont animés d’un sentiment de toute puissance, d’une confiance aveugle dans leurs capacités, mais aussi d’un sentiment d’impunité qui autorise tout. Quelle bien mauvaise combinaison !

Cela doit tous nous faire réfléchir. Combien d’entre nous, mes chers collègues, ont déjà pris la route après un apéro ou un dîner arrosé ? Nous pouvons nous estimer heureux, chanceux, de n’avoir tué ou blessé personne.

Mes chers collègues, c’est tout l’intérêt de cette proposition de loi : par le choix des mots, elle permet de dire la réalité telle qu’elle est vécue par les familles de victimes – homicide routier. La notion d’involontaire, attachée jusqu’ici à cet homicide, disparaît.

Je ne suis pas certaine, pour ma part, que l’on tue tout à fait involontairement, lorsqu’aucune précaution n’a été prise pour éviter le drame.

Des peines complémentaires obligatoires sont prévues et l’échelle des peines est revue. Espérons qu’elles seront plus dissuasives. Ce n’est pas tant le quantum qui est alourdi. Depuis 1764, l’on sait que « ce n’est pas la rigueur du supplice qui prévient plus sûrement les crimes, c’est la certitude du châtiment ». La condamnation n’est pas une prévention.

Or c’est précisément sur la prévention qu’il convient désormais de mettre l’accent. À l’approche de l’été, une grande campagne de sensibilisation doit être organisée à destination des jeunes, mais pas seulement. Il faut surtout s’adresser aux hommes pour leur dire, et leur redire, qu’il est temps de cesser de jouer à la roulette russe sur la route.

C’est toute une éducation qui doit être repensée. Celle qui pousse les petits garçons à prendre des risques, à ne pas avoir peur, à aller plus vite.

Il faut lutter contre la violence routière, parce que les déplacements font partie de nos libertés les plus fondamentales et que la menace d’être tué par un chauffard inconscient met à mal notre vivre ensemble.

Je remercie le rapporteur de la commission des lois, Francis Szpiner, d’avoir proposé un vote conforme sur le texte adopté par l’Assemblée nationale, mettant ainsi un terme à une navette qu’il n’a pas jugé utile de poursuivre. Il a su se montrer particulièrement convaincant dans l’exposé de ses arguments.

Mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani.

Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si aucune loi ne peut ramener les disparus ou effacer la douleur de ceux qui restent, il est néanmoins de notre devoir d’accompagner les pouvoirs publics pour activement lutter contre les accidents de la route.

Je tiens, au nom du groupe CRCE-K, à exprimer une pensée sincère pour toutes celles et tous ceux qui ont perdu un être cher dans un accident de la route, ainsi qu’à toutes les victimes dont l’existence a été brisée par ces drames.

Malheureusement, nous sommes bien trop nombreux à avoir été frappés par une telle tragédie, laissant des traces profondes et indélébiles.

Et pour cause : la mortalité routière reste la première cause de décès chez les jeunes et l’une des causes principales de mort pour le reste de la population.

En 2022, 3 550 personnes ont perdu la vie sur les routes en France ; ce chiffre est en hausse. Dans mon département, la Meurthe-et-Moselle, il y a eu 601 accidents sur les routes en 2023, dont 32 mortels.

Si les engins motorisés restent des outils dangereux par nature, les facteurs comportementaux, tels que la vitesse ou la consommation d’alcool et de stupéfiants, sont à l’origine de la grande majorité des accidents.

Comme le soulignait la Cour des comptes dans un rapport de juin 2021, la France métropolitaine était en 2019 au quatorzième rang en Europe en termes de mortalité routière.

La situation en outre-mer est encore plus inquiétante, avec un taux deux fois plus élevé qu’en métropole. Il est donc nécessaire d’agir !

Ce texte vise à répondre à une demande des associations de victimes : gommer le décalage entre la gravité des faits et leur qualification juridique actuelle d’homicide involontaire.

Lorsqu’un conducteur prend la route ivre, mettant sciemment la vie d’autrui en danger, peut-on parler d’un accident ?

Le texte vise donc à remplacer la qualification d’homicide involontaire par celle d’homicide routier dès lors qu’il existe des circonstances aggravantes : usage de drogue, alcoolémie, excès de vitesse, défaut de permis, délit de fuite… L’article 1er vise à établir ainsi une infraction distincte, qui conserve les mêmes peines encourues, mais reconnaît juridiquement et symboliquement la nature criminelle de ces comportements.

Cette nouvelle infraction couvre également les blessures routières pour les cas où les victimes survivent, mais restent gravement atteintes. Elle introduit, en outre, de nouvelles circonstances aggravantes : usage du téléphone au volant, refus d’obtempérer ou rodéo urbain.

Ces comportements, s’ils entraînent la mort ou des blessures, seront désormais jugés pour ce qu’ils sont : des actes graves, aux conséquences irréversibles.

Mais, si le texte a connu des évolutions que nous saluons, des interrogations demeurent.

Tout d’abord, il introduit une zone grise dans notre droit pénal. Le principe fondamental de distinction entre les actes intentionnels et non intentionnels se trouve brouillé. L’homicide routier s’inscrit à mi-chemin entre ces deux notions, créant une incertitude juridique qui pourrait nuire à la lisibilité des décisions judiciaires.

Nous regrettons ensuite que cette proposition de loi ne s’attaque pas aux causes profondes de la violence routière. Quand on sait que 23 % des accidents mortels sont liés à l’alcool et 13 % aux stupéfiants, ces comportements doivent rester au cœur de nos politiques de sécurité routière.

La prévention est la clé pour éviter de nouvelles victimes. Agir en amont permettrait de faire réellement baisser le nombre de victimes des violences routières. Je souhaite, d’ailleurs, saluer le rôle de nos collectivités dans cette prévention ; nous devons les accompagner dans cette mission.

En conclusion, mes chers collègues, ce texte marque une avancée dans la reconnaissance des souffrances des victimes et dans la responsabilisation des conducteurs. Nous voterons donc en sa faveur.

Cependant, nous appelons à aller plus loin et à investir pleinement dans la prévention, dans l’éducation, ainsi que dans le soutien aux victimes. C’est seulement en agissant sur tous ces fronts que nous pourrons un jour espérer faire disparaître ces drames de nos routes.

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « certains usagers, par les risques qu’ils acceptent de faire courir, par l’insouciance que traduit leur attitude sur la route, se conduisent en véritables “asociaux” ».

Ces propos prononcés par Robert Badinter en 1985 valent – hélas ! – encore aujourd’hui : des comportements fautifs reconnus par la loi, comme la vitesse excessive, l’abus d’alcool et la consommation de stupéfiants, sont les causes de trop nombreux drames sur nos routes.

Notre arsenal législatif réprime d’ores et déjà ces faits inacceptables. Nous continuons de considérer qu’il n’est nullement nécessaire de revenir sur la distinction entre le caractère volontaire ou involontaire des blessures infligées ou de la mort provoquée pour mieux appréhender ces phénomènes.

Les chiffres restent terribles. Quels que soient les progrès, chaque vie perdue sur nos routes du fait des comportements coupables de certains est une vie perdue de trop.

Après avoir baissé pendant des années grâce à des politiques volontaires, le nombre de morts sur les routes de France stagne à plus de 3 000 personnes par an. Face à ce constat, nous avons le devoir d’agir.

Nous entendons et comprenons la demande des familles meurtries.

Pour autant, aussi légitime que soit leur douleur, nous devons, s’agissant du processus judiciaire et de la qualification d’homicide involontaire, légiférer – comme toujours –avec le recul nécessaire à la cohérence d’un ordre juridique robuste.

Jusqu’à ces derniers mois encore, cet ordre juridique distinguait clairement deux types d’atteintes : les atteintes volontaires et les atteintes involontaires. Cette distinction reposait sur un élément constitutif du délit : l’intentionnalité.

Oui, la qualification d’involontaire est difficile à accepter. Mais je ne crois pas que le seul symbole sémantique attaché à la qualification d’homicide routier suffira à satisfaire les proches des victimes.

Les travaux parlementaires menés lors des deux lectures de ce texte le montrent sans équivoque : il s’agit de faire apparaître les conséquences de l’acte plus que l’intention de l’auteur.

Hélas, nous n’avons pas pu disposer d’une étude d’impact sur ce texte, qui ne vise rien de moins qu’un réel changement de paradigme dans la qualification d’une infraction pénale.

Sur un sujet voisin, à une époque où nous avions la chance que nos travaux bénéficient de l’éclairage d’un avis du Conseil d’État, celui-ci se montrait clair : il considérait que la multiplication des incriminations autonomes conduisait à une complexification du droit, résultant de « réponses législatives à des événements particuliers ».

Comme l’a rappelé notre rapporteur en commission, ce texte vise à répondre à une commande du Gouvernement. Le comité interministériel de la sécurité routière avait, en effet, recommandé de créer une qualification d’homicide routier pour « renforcer la valeur symbolique de l’infraction d’homicide dit involontaire commis à l’occasion de la conduite d’un véhicule ».

La violence routière est un fait. Cependant, nous avons déjà alerté sur l’aggravation pénale des comportements liés à l’addiction ou à la maladie mentale. Nous continuerons de le faire, d’autant que les moyens pour leur prise en charge diminuent.

Notre compassion infinie face à des situations dramatiques ne doit pas nous aveugler dans l’écriture du droit, en particulier si cela complexifie le travail des juges.

La seule solution mise en avant par les auteurs de cette proposition de loi est un renforcement de l’arsenal pénal en trompe-l’œil. Les peines principales encourues pour les faits d’homicide routier ou de blessures routières sont identiques à celles actuellement prévues pour les homicides ou blessures involontaires aggravés.

Mais les actions concrètes de prévention routière sont les grandes absentes de ce texte : il ne prévoit ni campagne de prévention ni amélioration de l’éducation routière, éléments pourtant clés dans la lutte contre la violence routière.

Nous sommes pleinement conscients des difficultés qu’il y a à répondre à la demande de justice et de réparation des familles de victimes.

Toutefois, loin d’apporter des réponses et des moyens pour prévenir d’autres drames, ce texte engendre une incertitude juridique majeure qui ne servira personne. Quelle est, au fond, la réelle plus-value du terme « routier » ?

Chers collègues, nous ne pouvons voter ce texte en l’état, mais nous nous abstiendrons afin d’affirmer notre compréhension face à la douleur des familles, ainsi que notre souci de rechercher une solution cohérence et ferme.

M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Audrey Linkenheld. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le début de l’année 2025 plus de 1 100 vies ont été perdues sur nos routes. Derrière chaque chiffre se nichent des drames humains. Les principales causes de la mortalité routière restent inchangées : vitesse, alcool, stupéfiants, téléphone, inattention ou fatigue.

C’est dans ce contexte que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture la proposition de loi créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière. Déposé en octobre 2023 à l’Assemblée nationale, ce texte a pour objet de faire disparaître en matière routière une qualification d’homicide involontaire bien souvent mal comprise et très mal vécue par les victimes et leurs familles.

Il convient plutôt de considérer que, s’il n’existe pas d’intention volontaire de donner la mort, demeure néanmoins une intention liée à la violation délibérée et grave du code de la route – alcool, stupéfiants, excès de vitesse –, une intention qui peut in fine mener à une issue tragique.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a, dès la première lecture, souscrit à la portée symbolique forte de cette proposition de loi très attendue, tout en cherchant à en conforter la solidité en droit.

La version issue de la deuxième lecture à l’Assemblée nationale revient certes sur certaines dispositions adoptées ici au Sénat, mais il nous semble dans l’ensemble qu’elle représente un compromis renforcé entre les attentes citoyennes, les préoccupations juridiques et une volonté de durcir la lutte contre la violence routière sans déséquilibrer le droit pénal.

Nous en resterions ainsi aux termes d’« homicide routier » et de « blessures routières ». Nous l’appliquerions à une liste d’infractions qui nous convient, avec un seuil d’excès de vitesse abaissé à 30 kilomètres à l’heure. Les circonstances aggravantes, comme l’utilisation du téléphone au volant, et le quantum des peines nous conviennent également.

Par la qualification juridique actuelle d’homicide involontaire, la justice peut donner le sentiment de minimiser la portée de certains actes. Elle ne fait alors qu’accentuer la souffrance des familles.

Nous soutenons donc ce texte, qui permettra un meilleur accompagnement des plaignants et une plus juste reconnaissance de la gravité de certains faits routiers qui brisent malheureusement des vies.

Si nous partageons l’objectif de la commission des lois d’un vote conforme sur le cœur de la proposition de loi pour répondre aux attentes des familles et des associations, c’est précisément en écho à ces familles et à leurs représentants que j’ai souhaité malgré tout déposer trois amendements qui sont intimement liés.

Ils ne visent pas à modifier le fond des dispositions de la proposition de loi, mais ils tendent à les compléter sur un autre aspect directement lié à la sécurité routière et au code de la route.

Je veux parler des accidents fatals impliquant des conducteurs novices au volant de véhicules surpuissants. Ces accidents sont de plus en plus fréquents dans nos quartiers. Le Nord n’est pas épargné, comme M. le ministre le sait.

Qu’ils soient la conséquence de rodéos urbains délibérés ou d’une conduite à risque inconsciente, ces accidents sont souvent très graves pour les occupants de la voiture et les autres usagers de la route.

C’est la raison pour laquelle Patrick Kanner et moi-même avons déposé il y a plusieurs mois une proposition de loi visant à encadrer l’utilisation de véhicules surpuissants par des conducteurs inexpérimentés. Soutenue par mon groupe, cette proposition est, dans son principe, largement validée par les associations de victimes et les acteurs de la prévention routière, ainsi que par le ministre François-Noël Buffet et ses services, que je remercie pour leur accompagnement.

Traduit ici sous forme d’amendement, ce principe est finalement assez simple. Puisque de plus en en plus d’accidents graves impliquent des conducteurs novices au volant de véritables bolides, faisons en sorte que la conduite de ces véhicules plus puissants, plus lourds et plus rapides que les voitures classiques ne soit réservée qu’aux conducteurs expérimentés, qui savent de ce fait mieux adapter leur pratique.

Si un conducteur encore sous permis probatoire de moins de trois ans conduit malgré tout un véhicule dont la puissance excède la limite réglementaire fixée, alors il commettrait une infraction routière. Et si ce même conducteur encore sous permis probatoire provoque un accident, alors qu’il conduit un véhicule dont la puissance excède la limite réglementaire, alors il commettrait une infraction routière avec circonstances aggravantes – bref, une blessure routière ou un homicide routier.

Ces suggestions s’inscrivent dans une logique de prévention et de sanction tout à fait complémentaire à celle que nous examinons aujourd’hui. Elles s’inspirent, au demeurant, de ce qui fonctionne déjà en Italie pour les voitures et en France pour les motos avec le permis A2.

Élargir ce principe aux voitures au-delà d’un certain seuil de puissance, ce serait protéger nos conducteurs novices et limiter les risques qu’ils créent pour eux-mêmes, leurs passagers et les autres usagers de la route en raison d’une prise en main trop faiblement encadrée de ces véhicules à très haute performance, qui se multiplient depuis quelques années.

Je regrette évidemment que deux des trois amendements que j’ai déposés aient été déclarés irrecevables au titre de l’article 44 bis, alinéas 5 et 6, du règlement du Sénat. Mais je ne doute pas que nous aurons d’autres occasions d’y revenir. Je reste déterminée à soutenir, avec mon groupe, ces propositions très concrètes et à les faire aboutir dans le cadre d’une future discussion législative. Là aussi, il y a urgence.

En tout état de cause, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera pour la proposition de loi dont nous discutons cet après-midi, car elle répond à un besoin de justice pour les victimes et leurs familles.

M. le président. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)

Mme Alexandra Borchio Fontimp. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce mardi 1er juillet 2025 fera date pour toutes les familles endeuillées qui, depuis la perte de leur être cher, ont vu leur vie basculer, puisque c’est aujourd’hui, au Sénat, que sera définitivement votée la proposition de loi créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière.

Je veux remercier les rapporteurs de ce texte, le député Éric Pauget et le sénateur Francis Szpiner, pour leur travail.

Rien ne soulagera l’irréparable. Rien n’effacera la peine. Nous ne remonterons pas le temps. Mais il est temps de nommer les choses.

À ce jour, notre droit parle d’homicide « involontaire », comme si le fait de prendre le volant ivre, drogué ou sans permis relevait de l’imprudence et non d’une faute grave, d’un acte criminel. Ce n’est pas acceptable, ce n’est plus audible.

Dans mon département des Alpes-Maritimes, comme partout en France, les violences routières font chaque année des ravages insoutenables.

Je pense aujourd’hui à Noé, bien sûr, et à sa famille, ici présente. Ce jeune Antibois de 17 ans, tué par un chauffard qui roulait sous l’emprise de l’alcool et de drogues. Sa mort n’est pas une fatalité. C’est une injustice. Et c’est à nous, législateurs, de dire que la vie de Noé compte, que la vie de chaque victime compte.

Je pense aussi à Ambre et Clémence, ces deux infirmières de l’hôpital de Mougins, mortellement percutées jeudi dernier par un chauffard là aussi ivre et sous stupéfiants.

Je pense également au pompier niçois Jérémie Boulon, tué par un conducteur qui venait de consommer du protoxyde d’azote.

Reconnaître l’homicide routier est une première étape très symbolique. Reconnaître, c’est réparer, c’est rendre leur dignité aux victimes, mais nous devons collectivement poursuivre le travail. Je regrette que ce texte ne prévoie rien sur l’effectivité des peines prononcées.

C’était d’ailleurs l’objet de la proposition de loi pour une meilleure prévention des violences routières, que j’ai déposée en 2022 avec Laurent Somon, qui vise à instaurer une peine de prison ferme minimum pour les délinquants routiers. Nous attendons une plus grande fermeté dans l’application des peines. C’est bien là tout l’enjeu.

Deux sujets majeurs doivent également appeler notre attention.

Le premier sujet concerne le renforcement de la prise en charge des victimes et la considération pour les proches de ceux qui ne sont plus là. C’est primordial.

Mon amendement visant à informer obligatoirement les parties civiles de la date d’audience, adopté en première lecture au Sénat, a été conservé dans le texte. C’était une demande récurrente et légitime des familles endeuillées. Nous leur devions cette avancée.

Le second sujet concerne le protoxyde d’azote. Il nous faut lutter plus et mieux contre son usage détourné. Oui, les difficultés liées à sa détection persistent : donnons les moyens à nos chercheurs de développer des techniques probantes. Sanctionnons son usage détourné, qu’il y ait eu ou non un accident de la route. Ce gaz hilarant est un véritable fléau !

Cette proposition de loi est une pierre supplémentaire à l’édifice juridique que nous devons toutefois parfaire. Les sénateurs du groupe Les Républicains répondront, cette fois encore, présents ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Paccaud. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, trop de familles dans notre pays pleurent un enfant, un parent, un ami, fauché sur la route. Les chiffres ont été rappelés : près de 3 000 morts par an. Certes, en 1972, ce nombre s’élevait à 18 000, mais cela n’est pas une consolation ; d’autres pays obtiennent des résultats bien meilleurs que les nôtres.

Comme vous l’avez souligné à juste titre en préambule, monsieur le ministre, la justice commence par des mots justes. Certes, ce texte demeure imparfait, mais son message est clair : c’est le début de la fin de l’impunité.

Conduire est un acte de responsabilité. Lorsqu’un individu prend le volant sous l’emprise de l’alcool, de stupéfiants, qu’il conduit en tapotant sur son portable, à une vitesse folle ou sans permis, ce n’est pas un simple écart de conduite, ce n’est pas un accident : c’est un choix conscient qui doit être assumé, c’est un comportement criminel. Et, lorsqu’il provoque la mort, ce comportement doit être nommé pour ce qu’il est : un homicide.

La présente proposition de loi vise à répondre à une exigence de justice et de vérité. En créant un délit autonome d’homicide routier, nous franchissons un cap. Nous cessons de minimiser. Nous arrêtons de relativiser. Nous revendiquons collectivement une tolérance zéro face à ces violences. Laurent Somon a cité La Fontaine ; pour ma part, je rappelle qu’Albert Camus disait que « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». En l’espèce, notre justice a trop longtemps donné raison à Camus.

Ce texte ne s’attaque pas à ceux qui commettent une faute involontaire : il vise ceux qui, en toute lucidité, décident de braver les règles de prudence, de faire fi de la vie d’autrui. Ce sont eux qui doivent répondre devant la loi. Pour ces derniers, il faut des mots justes, des peines à la hauteur des drames humains qu’ils causent.

Pensons à toutes ces familles qui entendent encore le mot « accident », quand elles ont tout perdu. Pensons à ces enfants qui ne comprendront jamais pourquoi le chauffard qui a tué leur mère écope de quelques mois avec sursis. Pensons à ces maires, à ces élus de terrain qui se sentent seuls et démunis.

En votant cette proposition de loi, nous adressons un message de reconnaissance et de fermeté. Nous rappelons que chaque vie compte, que la route ne saurait être une zone de non-droit et d’impunité, que notre République est du côté des victimes, non de ceux qui transforment un volant en arme.

Ce texte marque une avancée attendue. Il ne réglera pas tout, mais il changera profondément notre regard sur ces drames et renforcera la confiance des citoyens dans la justice.

Pour les victimes, pour la justice, pour la vie, je vous remercie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Christopher Szczurek et Louis Vogel applaudissent également.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi créant l'homicide routier et visant à lutter contre la violence routière
Article 1er bis A

Article 1er

(Non modifié)

Le code pénal est ainsi modifié :

1° Les deuxième à dernier alinéas des articles 221-6-1, 222-19-1 et 222-20-1 sont supprimés ;

2° Après le chapitre Ier bis du titre II du livre II, il est inséré un chapitre Ier ter ainsi rédigé :

« CHAPITRE IER TER

« Des homicides et blessures routiers

« Art. 221-18. – Le fait, pour le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur, de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, la mort d’autrui sans intention de la donner constitue un homicide routier puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende lorsque :

« 1° Le conducteur a commis une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement autre que celles mentionnées aux 2° à 9° du présent article ;

« 2° Le conducteur se trouvait en état d’ivresse manifeste, était sous l’empire d’un état alcoolique au sens du code de la route ou a refusé de se soumettre aux vérifications prévues au même code destinées à établir l’existence d’un état alcoolique ;

« 3° Il résulte d’une analyse sanguine ou salivaire que le conducteur avait fait usage de substances ou de plantes classées comme stupéfiants ou il a refusé de se soumettre aux vérifications prévues par ledit code destinées à établir s’il conduisait en ayant fait usage de stupéfiants ;

« 3° bis Le conducteur a volontairement consommé, de façon détournée ou manifestement excessive, une ou plusieurs substances psychoactives figurant sur une liste dressée dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’État ;

« 4° Le conducteur n’était pas titulaire du permis de conduire ou son permis avait été annulé, invalidé, suspendu ou retenu ;

« 5° Le conducteur a commis un dépassement de la vitesse maximale autorisée égal ou supérieur à 30 kilomètres à l’heure ;

« 6° Le conducteur, sachant qu’il vient de causer ou d’occasionner un accident, ne s’est pas arrêté et a tenté ainsi d’échapper à la responsabilité pénale ou civile qu’il peut encourir ou n’a pas porté secours ou prêté assistance à une personne en danger ;

« 7° Le conducteur a contrevenu aux dispositions du code de la route réglementant l’usage du téléphone portable tenu en main ou le port à l’oreille d’un dispositif susceptible d’émettre du son ;

« 8° Le conducteur a omis d’obtempérer à une sommation de s’arrêter émanant d’un fonctionnaire ou d’un agent chargé de constater les infractions et muni des insignes extérieurs et apparents de sa qualité ;

« 9° Le conducteur a contrevenu à l’article L. 236-1 du code de la route.

« Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 euros d’amende lorsque l’homicide routier a été commis avec deux ou plus des circonstances mentionnées aux 1° à 9° du présent article.

« Art. 221-19. – Le fait, pour le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur, de causer à autrui, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, sans intention de nuire, une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois, constitue des blessures routières ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois punies de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsque :

« 1° Le conducteur a commis une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement autre que celles mentionnées aux 2° à 9° du présent article ;

« 2° Le conducteur se trouvait en état d’ivresse manifeste, était sous l’empire d’un état alcoolique au sens du code de la route ou a refusé de se soumettre aux vérifications prévues au même code et destinées à établir l’existence d’un état alcoolique ;

« 3° Il résulte d’une analyse sanguine ou salivaire que le conducteur avait fait usage de substances ou de plantes classées comme stupéfiants ou il a refusé de se soumettre aux vérifications prévues par ledit code destinées à établir s’il conduisait en ayant fait usage de stupéfiants ;

« 3° bis Le conducteur a volontairement consommé, de façon détournée ou manifestement excessive, une ou plusieurs substances psychoactives figurant sur une liste dressée dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’État ;

« 4° Le conducteur n’était pas titulaire du permis de conduire ou son permis avait été annulé, invalidé, suspendu ou retenu ;

« 5° Le conducteur a commis un dépassement de la vitesse maximale autorisée égal ou supérieur à 30 kilomètres à l’heure ;

« 6° Le conducteur, sachant qu’il vient de causer ou d’occasionner un accident, ne s’est pas arrêté et a tenté ainsi d’échapper à la responsabilité pénale ou civile qu’il peut encourir ou n’a pas porté secours ou prêté assistance à une personne en danger ;

« 7° Le conducteur a contrevenu aux dispositions du code de la route réglementant l’usage du téléphone portable tenu en main ou le port à l’oreille d’un dispositif susceptible d’émettre du son ;

« 8° Le conducteur a omis d’obtempérer à une sommation de s’arrêter émanant d’un fonctionnaire ou d’un agent chargé de constater les infractions et muni des insignes extérieurs et apparents de sa qualité ;

« 9° Le conducteur a contrevenu à l’article L. 236-1 du code de la route.

« Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 euros d’amende lorsque les blessures routières ont été commises avec deux ou plus des circonstances mentionnées aux 1° à 9° du présent article.

« Art. 221-20. – Le fait, pour le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur, de causer à autrui, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, sans intention de nuire, une incapacité totale de travail pendant une durée inférieure ou égale à trois mois constitue des blessures routières ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à trois mois punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsque :

« 1° Le conducteur a commis une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement autre que celles mentionnées aux 2° à 9° du présent article ;

« 2° Le conducteur se trouvait en état d’ivresse manifeste, était sous l’empire d’un état alcoolique au sens du code de la route ou a refusé de se soumettre aux vérifications prévues au même code destinées à établir l’existence d’un état alcoolique ;

« 3° Il résulte d’une analyse sanguine ou salivaire que le conducteur avait fait usage de substances ou de plantes classées comme stupéfiants ou il a refusé de se soumettre aux vérifications prévues par ledit code destinées à établir s’il conduisait en ayant fait usage de stupéfiants ;

« 3° bis Le conducteur a volontairement consommé, de façon détournée ou manifestement excessive, une ou plusieurs substances psychoactives figurant sur une liste dressée dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’État ;

« 4° Le conducteur n’était pas titulaire du permis de conduire ou son permis avait été annulé, invalidé, suspendu ou retenu ;

« 5° Le conducteur a commis un dépassement de la vitesse maximale autorisée égal ou supérieur à 30 kilomètres à l’heure ;

« 6° Le conducteur, sachant qu’il vient de causer ou d’occasionner un accident, ne s’est pas arrêté et a tenté ainsi d’échapper à la responsabilité pénale ou civile qu’il peut encourir ou n’a pas porté secours ou prêté assistance à une personne en danger ;

« 7° Le conducteur a contrevenu aux dispositions du code de la route réglementant l’usage du téléphone portable tenu en main ou le port à l’oreille d’un dispositif susceptible d’émettre du son ;

« 8° (Supprimé)

« 9° Le conducteur a contrevenu à l’article L. 236-1 du code de la route.

« Les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende lorsque les blessures routières ont été commises avec deux ou plus des circonstances mentionnées aux 1° à 9° du présent article.

« Art. 221-21. – I. – Les personnes physiques coupables des délits prévus au présent chapitre encourent également les peines complémentaires suivantes :

« 1° L’interdiction, suivant les modalités prévues à l’article 131-27, d’exercer une fonction publique ou d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise ;

« 2° La suspension, pour une durée de dix ans au plus, du permis de conduire ;

« 3° L’annulation du permis de conduire, avec l’interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pendant dix ans au plus ;

« 4° L’interdiction de conduire certains véhicules terrestres à moteur, y compris ceux pour la conduite desquels le permis de conduire n’est pas exigé, pour une durée de cinq ans au plus ;

« 5° L’interdiction, pendant une durée de cinq ans au plus, de conduire un véhicule qui ne soit pas équipé, par un professionnel agréé ou par construction, d’un dispositif d’anti-démarrage par éthylotest électronique, homologué dans les conditions prévues à l’article L. 234-17 du code de la route. Lorsque cette interdiction est prononcée en même temps que la peine d’annulation ou de suspension du permis de conduire, elle s’applique, pour la durée fixée par la juridiction, à l’issue de l’exécution de cette peine ;

« 6° La confiscation du véhicule dont le condamné s’est servi pour commettre l’infraction, s’il en est le propriétaire ou si le propriétaire du véhicule l’a laissé à la disposition du condamné en ayant connaissance du fait que ce dernier :

« a) Se trouvait en état d’ivresse manifeste ;

« b) Avait fait usage de substances ou de plantes classées comme stupéfiants ;

« c) Avait volontairement consommé, de façon détournée ou manifestement excessive, une ou plusieurs substances psychoactives figurant sur une liste dressée dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’État ;

« d) N’était pas titulaire du permis de conduire exigé par la loi ou le règlement ou avait vu son permis être annulé, invalidé, suspendu ou retenu ;

« 7° La confiscation d’un ou de plusieurs véhicules appartenant au condamné ;

« 8° L’immobilisation, pendant une durée d’un an au plus, du véhicule dont le condamné s’est servi pour commettre l’infraction, s’il en est le propriétaire ou si le véhicule a été laissé à sa libre disposition dans les conditions prévues au 6° du présent I ;

« 9° L’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de cinq ans au plus, une arme soumise à autorisation ;

« 10° La confiscation d’une ou de plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition ;

« 11° Le retrait du permis de chasser, avec l’interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pendant cinq ans au plus ;

« 12° à 14° (Supprimés)

« 15° La peine complémentaire d’affichage ou de diffusion de la décision prévue à l’article 131-35.

« I bis. – Toute condamnation pour les délits prévus aux articles 221-18 et 221-19 donne lieu de plein droit à l’annulation du permis de conduire, avec l’interdiction de solliciter un nouveau permis pendant une durée comprise entre cinq et dix ans. En cas de récidive, la durée de l’interdiction est portée de plein droit à dix ans et le tribunal peut, par décision spécialement motivée, prévoir que cette interdiction est définitive.

« II. – Le prononcé des peines complémentaires suivantes est obligatoire :

« 1° (Supprimé)

« 2° Dans les cas prévus au 4° et au dernier alinéa des articles 221-18, 221-19 et 221-20, les peines complémentaires prévues aux 6° et 7° du I du présent article ;

« 3° Dans les cas prévus au 2° des articles 221-18, 221-19 et 221-20, la peine complémentaire prévue au 5° du I du présent article ;

« 4° Dans les cas prévus aux 2°, 3° et 5° des articles 221-18, 221-19 et 221-20, en cas de récidive ou si la personne a déjà été définitivement condamnée pour un des délits prévus aux articles L. 221-2, L. 224-16, L. 234-1, L. 234-8, L. 235-1, L. 235-3 ou L. 413-1 du code de la route ou pour la contravention mentionnée au même article L. 413-1, les peines complémentaires prévues aux 6° et 7° du I du présent article.

« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer ces peines, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. » ;

3° à 8° (Supprimés)

M. le président. L’amendement n° 3, présenté par Mmes Linkenheld et de La Gontrie, MM. Durain, Bourgi, Chaillou et Kerrouche, Mmes Harribey et Narassiguin, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

I. – Alinéas 17, 19, 29, 31 et 41

Remplacer la référence :

par la référence :

10°

II. – Après les alinéas 16, 28 et 40

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« 10° Le conducteur conduisait, avant l’expiration du délai probatoire mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 223-1, un véhicule dont la puissance du moteur dépasse une limite fixée par voie réglementaire.

La parole est à Mme Audrey Linkenheld.

Mme Audrey Linkenheld. Comme je l’ai indiqué dans la discussion générale, l’objet de cet amendement n’est pas de corriger ou d’amoindrir la portée de ce texte – le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain le votera et souhaite qu’il entre en vigueur le plus rapidement possible.

Mais force est de constater que les accidents de la route causés par des conducteurs novices au volant de véhicules dits surpuissants sont de plus en plus nombreux. Dès lors, il nous semble cohérent d’introduire cette circonstance pour caractériser un homicide routier ou des blessures routières.

C’est le sens de cet amendement – il allait de pair avec deux autres amendements, qui ont, pour leur part, été déclarés irrecevables. Je remercie la commission des lois de permettre que la discussion ait lieu sur ce sujet, sur lequel je veux vraiment insister.

Il me semble qu’il nous faudra revenir sur cette question des bolides et de ceux qui peuvent les conduire, compte tenu du nombre d’accidents qu’ils provoquent dans nos quartiers. Il y a là un enjeu de sensibilisation, de prévention et in fine de sécurité routière.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Francis Szpiner, rapporteur. Ma chère collègue, comme vous l’avez dit, soit on vote conforme, soit on ne le fait pas ! Je considère donc votre amendement, qui est intéressant, comme un amendement d’appel.

Je le répète, nous franchissons aujourd’hui une étape. Ce n’est pas la fin d’un processus : ce doit être le commencement d’une meilleure appréhension de la criminalité routière, qui recouvre beaucoup de sujets.

Puisque vous souhaitez vous aussi un vote conforme, je pense qu’il serait plus sage de retirer cet amendement d’appel ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Même avis.

M. le président. Madame Linkenheld, l’amendement n° 3 est-il maintenu ?

Mme Audrey Linkenheld. Non, je le retire, monsieur le président.

M. Francis Szpiner, rapporteur. Merci !

M. le président. L’amendement n° 3 est retiré.

Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
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Article 1er ter

Article 1er bis A

(Non modifié)

Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Le dernier alinéa de l’article 502 est complété par une phrase ainsi rédigée : « En l’absence d’appel sur l’action civile, la partie civile est avisée par le parquet de la déclaration d’appel portant sur l’action publique. » ;

2° L’article 512 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Même en l’absence d’appel sur les intérêts civils, la partie civile est avisée par le parquet de la date de l’audience. Lorsque la partie civile ne comprend pas la langue française, elle a droit, à sa demande, à une traduction de l’avis d’audience. À titre exceptionnel, il peut en être effectué une traduction orale ou un résumé oral. » ;

3° Au début du dernier alinéa de l’article 513, est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Lorsqu’il n’a pas été fait appel de la décision sur l’action civile, la victime constituée partie civile en premier ressort peut demander à être entendue en qualité de témoin. – (Adopté.)

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Article 1er bis A
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Article 1er quater

Article 1er ter

(Non modifié)

Le I de l’article 222-44 du code pénal est ainsi modifié :

1° Au 3°, après la première occurrence du mot : « professionnelle », sont insérés les mots : « ; dans les cas prévus à la section 1 du présent chapitre, la durée de cette suspension est de dix ans au plus » ;

2° Le 4° est complété par les mots : « ; dans les cas prévus à la section 1 du présent chapitre, la durée de l’interdiction est de dix ans au plus » – (Adopté.)

Article 1er ter
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Article 1er quinquies

Article 1er quater

(Non modifié)

Le code pénitentiaire est ainsi modifié :

1° Le chapitre Ier du titre II du livre IV est complété par un article L. 421-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 421-2. – Lorsque la personne a été condamnée pour un des délits prévus au chapitre Ier ter du titre II du livre II du code pénal, le service pénitentiaire d’insertion et de probation met en place des actions visant à prévenir la récidive des violences routières et, le cas échéant, des actions visant à prévenir la consommation de stupéfiants ou de substances psychotropes. » ;

2° La dernière ligne du tableau du second alinéa des articles L. 755-1, L. 765-1 et L. 775-1 est remplacée par trois lignes ainsi rédigées :

« 

L. 413-1 à L. 421-1

Résultant de l’ordonnance n° 2022-1336 du 19 octobre 2022

L. 421-2

Résultant de la loi n° … du … créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière

L. 423-1 à L. 424-5

Résultant de l’ordonnance n° 2022-1336 du 19 octobre 2022

 »

 – (Adopté.)

Article 1er quater
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Article 2

Article 1er quinquies

(Non modifié)

I. – Le code de la route est ainsi modifié :

1° L’article L. 121-6 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « de contravention » sont remplacés par les mots : « d’infraction » ;

b) Le dernier alinéa est complété par les mots : « ou, lorsque l’infraction mentionnée au premier alinéa est un délit, de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe » ;

1° bis A (Supprimé)

1° bis La deuxième ligne du tableau du second alinéa du I de l’article L. 143-1 est ainsi rédigée :

 

« 

Article L. 121-6

La loi n° … du … créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière

 » ;

1° ter (Supprimé)

2° L’article L. 413-1 est ainsi modifié :

a) Le I est ainsi rédigé :

« I. – Le fait, pour tout conducteur d’un véhicule à moteur, de dépasser de 50 kilomètres à l’heure ou plus la vitesse maximale autorisée est puni de trois mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. » ;

b) Le II est ainsi modifié :

– à la première phrase du 1°, le mot : « obligatoire » est supprimé ;

– le début de la seconde phrase du même 1° est ainsi rédigé : « La confiscation est obligatoire en cas de récidive ; la juridiction… (le reste sans changement) ; »

– il est ajouté un 5° ainsi rédigé :

« 5° L’annulation du permis de conduire, avec l’interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pendant trois ans au plus. » ;

c) Il est ajouté un IV ainsi rédigé :

« IV. – Dans les conditions prévues aux articles 495-17 à 495-25 du code de procédure pénale, l’action publique peut être éteinte, y compris en cas de récidive, par le versement d’une amende forfaitaire d’un montant de 300 euros. Le montant de l’amende forfaitaire minorée est de 250 euros et le montant de l’amende forfaitaire majorée est de 600 euros. »

II. – (Non modifié) – (Adopté.)

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Article 2

(Non modifié)

I. – Au neuvième alinéa de l’article 1018 A du code général des impôts, les mots : « du 3° des articles 221-6-1, 222-19-1 ou 222-20-1 » sont remplacés par les mots : « des articles 221-18, 221-19 ou 221-20 ».

II. – Le code pénal est ainsi modifié :

1° À l’avant-dernier alinéa de l’article 131-22, après la référence : « 221-6-1, », sont insérées les références : « 221-18, 221-19, 221-20, » ;

2° Au premier alinéa de l’article 132-16-2, après la référence : « 222-20-1 », sont insérés les mots : « et les délits d’homicide routier ou de blessures routières prévus aux articles 221-18, 221-19 et 221-20 » ;

2° bis Le I de l’article 221-8 est ainsi modifié :

a) Après la seconde occurrence du mot : « professionnelle », la fin du 3° est supprimée ;

b) Le second alinéa du 10° est supprimé ;

c) Le 11° est abrogé ;

d) Le dernier alinéa est supprimé ;

2° ter Le I de l’article 222-44 est ainsi modifié :

a) Après la seconde occurrence du mot : « professionnelle », la fin du 3° est supprimée ;

a bis) (Supprimé)

b) Les deux dernières phrases du 13° sont supprimées ;

c) Le 14° est abrogé ;

d) Le dernier alinéa est supprimé ;

3° Au second alinéa de l’article 434-10, après la référence : « 221-6-1, », sont insérées les références : « 221-18, 221-19, 221-20, ».

III. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Au cinquième alinéa du 1° de l’article 398-1, après le mot : « articles », sont insérées les références : « 221-19, 221-20, » ;

2° Au premier alinéa de l’article 706-176, après la référence : « 221-6-1, », sont insérées les références : « 221-18, 221-19, 221-20, ».

IV. – Le code de la route est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa de l’article L. 123-2, après le mot : « pénal », sont insérés les mots : « ou des délits d’homicide routier ou de blessures routières prévus aux articles 221-18, 221-19 et 221-20 du même code » ;

2° À l’article L. 224-14, après la référence : « 221-6-1, », sont insérées les références : « 221-18, 221-19, 221-20, » ;

2° bis A Au troisième alinéa de l’article L. 231-1, après la référence : « 221-6-1, », sont insérées les références : « 221-18, 221-19, 221-20, » ;

2° bis L’article L. 232-1 est ainsi rédigé :

« Art. L. 232-1. – Les dispositions relatives à l’homicide involontaire et à l’homicide routier commis à l’occasion de la conduite d’un véhicule terrestre à moteur sont prévues aux articles 221-6-1, 221-8, 221-18 et 221-21 du code pénal. » ;

2° ter L’article L. 232-2 est ainsi rédigé :

« Art. L. 232-2. – Les dispositions relatives aux atteintes involontaires à l’intégrité de la personne et aux blessures routières commises par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur sont prévues aux articles 221-19 à 221-21, 222-19-1, 222-20-1 et 222-44 du code pénal. » ;

3° L’article L. 232-3 est ainsi modifié :

a) Après le mot : « personne », sont insérés les mots : « , d’homicide routier et de blessures routières » ;

b) Les références : « 222-19-1 et 222-20-1 » sont remplacées par les références : « 221-18 à 221-20 ».

V. – Au 3° de l’article L. 4271-4 du code des transports, après la référence : « 221-6-1, », sont insérées les références : « 221-18, 221-19, 221-20, ».

VI. – Le code du travail est ainsi modifié :

1° À l’article L. 4741-2, les mots : « 222-19 et 222-20 » sont remplacés par les mots : « 221-6-1, 221-18 à 221-20 et 222-19 à 222-20-1 » ;

2° Au premier alinéa de l’article L. 4741-11, les mots : « 222-19 et 222-20 » sont remplacés par les mots : « 221-6-1, 221-18 à 221-20 et 222-19 à 222-20-1 ».

VII. – À l’article L. 1114-2 du code de la santé publique, les mots : « 222-19 et 222-20 » sont remplacés par les mots : « 221-6-1, 221-18 à 221-20 et 222-19 à 222-20-1 » – (Adopté.)

Article 3

(Non modifié)

Le chapitre II du titre III du livre II du code de la route est complété par un article L. 232-4 ainsi rédigé :

« Art. L. 232-4. – En cas d’homicide routier ou de blessures routières, lorsque les circonstances de l’accident ou de l’infraction laissent présumer que l’état du conducteur peut être incompatible avec le maintien du permis de conduire, le conducteur doit se soumettre à un examen médical. Cet examen visant à déterminer l’aptitude à la conduite du conducteur, réalisé à ses frais, se tient dans un délai de 72 heures à compter de l’accident routier ou, le cas échéant, dans un délai de 72 heures à compter du moment où l’état de santé du conducteur le permet. Il est réalisé par un médecin agréé consultant hors commission médicale.

« Les officiers et les agents de police judiciaire retiennent à titre conservatoire le permis de conduire du conducteur jusqu’à la réalisation de l’examen prévu au premier alinéa. L’article L. 224-4 est applicable.

« Le médecin ayant réalisé l’examen prévu au premier alinéa du présent article transmet au représentant de l’État dans le département de résidence du conducteur un avis médical déterminant l’aptitude à la conduite de celui-ci. Si l’avis médical conclut à l’inaptitude à la conduite, le représentant de l’État peut prononcer la suspension du permis de conduire du conducteur concerné. La durée de la suspension du permis de conduire ne peut excéder un an. À défaut de décision de suspension dans le délai prévu au même premier alinéa, le permis de conduire est remis à la disposition de l’intéressé, sans préjudice de l’application ultérieure des articles L. 224-7 à L. 224-9.

« Le fait de ne pas se soumettre à l’examen médical prévu au premier alinéa du présent article est puni des peines prévues à l’article L. 224-16.

« Le fait pour toute personne, malgré la notification de la suspension du permis de conduire prévue au présent article, de conduire un véhicule à moteur pour la conduite duquel ce permis est nécessaire est puni des peines prévues à l’article L. 224-16. » – (Adopté.)

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M. le président. Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l’objet de la deuxième lecture.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée définitivement.) – (Applaudissements.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures trente-cinq, est reprise à quinze heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

4

Peines d’emprisonnement ferme

Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme (proposition n° 519, texte de la commission n° 781, rapport n° 780).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre d’État.

M. Gérald Darmanin, ministre dÉtat, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux, dans un premier temps, remercier M. le député Loïc Kervran de son initiative, qui témoigne de la volonté sincère du Parlement de répondre aux fortes attentes de nos concitoyens à l’égard de la justice pénale, que ce soit en termes de fermeté, de lisibilité ou de caractère certain de l’exécution des peines.

Sa proposition de loi et les très nombreux travaux en cours, tant à l’Assemblée nationale qu’au sein de la commission des lois de la Haute Assemblée, traduisent une exigence partagée : l’effectivité des peines et l’exécution visible, tangible et concrète des décisions de justice, le sujet n’étant pas tant le quantum de la peine que la certitude et la rapidité de son exécution.

Cet objectif est pleinement légitime. C’est d’ailleurs le mien depuis mon arrivée place Vendôme voilà quelques mois.

Après la réorganisation du monde pénitentiaire, en particulier l’ouverture de prisons de haute sécurité le 31 juillet prochain permise par l’adoption de la proposition de loi Narcotrafic issue des travaux du Sénat et complétée par le Gouvernement – je vous informe d’ailleurs que le projet de décret régissant le nouveau régime carcéral a été transmis aujourd’hui même au Conseil d’État –, j’ai annoncé un projet de loi.

Ce texte, qui devrait contenir une dizaine d’articles, rendra l’échelle des peines beaucoup plus claire et il accroîtra la fermeté des décisions de justice et la rapidité de la réponse pénale : fin de l’aménagement obligatoire des peines – donc, de fait, retour des peines courtes, voire ultracourtes – ; peine de probation ; fin de la dispense de peine ; limitation du sursis à une seule décision pour appliquer plus rapidement les peines de prison ; mandat de dépôt dès la sortie du tribunal ; etc.

M. Michel Savin. Très bien !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Bref, il s’agira d’un changement radical, d’une révolution pénale, qui permettra – je l’espère – de répondre à l’attente très profonde de nos concitoyens.

Il n’est en effet pas acceptable qu’une peine ferme prononcée par un tribunal soit perçue comme une sanction symbolique, théorique et, parfois, sans lendemain. Il n’est pas acceptable que la justice perde de sa force, non pas par la faute des magistrats, mais par l’accumulation de règles nombreuses et complexes, d’exceptions, de contraintes, de mots que personne ne comprend, tout cela désorientant jusqu’aux professionnels eux-mêmes, lesquels ont du mal à conseiller leurs clients, les victimes ou les auteurs d’infractions.

Comme M. le sénateur Olivier Paccaud, qui a lui-même cité mon propos introductif, vient de le dire à l’instant, la justice commence par des mots justes et compréhensibles par chacune et chacun d’entre nous. Or qui peut comprendre que des peines de prison prononcées ne se traduisent pas par des peines de prison effectuées ?

Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de le dire clairement : le problème de la justice aujourd’hui est qu’elle est trop lente et incompréhensible.

Certes, en ce mois de mai 2025, plus de 84 000 personnes sont incarcérées dans nos établissements pénitentiaires. C’est un niveau historiquement élevé et j’assume la politique pénale que j’ai instaurée depuis le mois de décembre dernier via la circulaire et les instructions extrêmement fermes que j’ai adressées aux procureurs de la République.

Cette situation ne témoigne pas d’un nombre sensiblement supérieur de personnes entrant en prison chaque année : ce nombre est à peu près le même depuis 1981. D’ailleurs, le nombre de personnes en détention provisoire est resté le même ces dix dernières années, à quelques centaines près.

Ce qui a profondément changé, c’est le quantum de peine prononcé par les magistrats, c’est-à-dire le temps qu’une personne passe en prison. Il existe plusieurs raisons pour lesquelles une personne passe plus de temps en prison qu’auparavant.

La raison principale réside dans les aménagements de peine obligatoires, une politique qui a été imaginée par M. Perben, puis poursuivie par divers ministres de la justice de différents bords politiques, par exemple Mme Taubira ou Mme Belloubet, jusqu’aux gouvernements auxquels j’ai eu l’honneur d’appartenir. De fait, il n’y a pas de prison effective en cas de condamnation à moins d’un an, voire deux ans.

Cette politique a non seulement envoyé un message différent de celui qu’attendaient les Français, mais il a aussi conduit à ce que le juge, pour être certain que le condamné aille en prison, prononce un quantum de peine supérieur, donc à ce qu’il y ait finalement plus de monde en prison qu’auparavant.

M. Michel Savin. C’est vrai !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Certes, dans une société de plus en plus violente, les magistrats sont amenés, du fait de la gravité des faits et de l’augmentation de la récidive – on assiste même souvent à de la multirécidive –, à prononcer des peines de prison ferme.

Il est vrai que notre code pénal et nos magistrats, qui appliquent celui-ci loyalement, font la part belle à la peine de prison pour les récidivistes, mais, lorsqu’il y a récidive, c’est déjà trop tard !

Plus qu’une peine extrêmement sévère au premier fait, c’est une peine sûre qui est de bonne justice : la société doit non seulement passer un message à l’auteur et aux victimes, mais aussi contribuer de manière générale à l’éducation de ceux qui commettent des délits.

Chacun peut d’ailleurs constater que, pour la plupart des crimes commis, la justice, si elle n’est pas toujours rapide, est ferme.

La question essentielle qui se pose à nous est celle des délits du quotidien, ceux qui embêtent les maires et les habitants, qui touchent l’entourage de tout un chacun, qu’il s’agisse des rodéos urbains, du « narcotrafic de proximité », si j’ose dire, des cambriolages, des atteintes physiques aux personnes ou aux biens, des atteintes sexuelles…

Les magistrats appliquent la loi avec discernement et professionnalisme. Ils ne sont ni complaisants ni faibles : ils appliquent la loi telle que votée par les parlementaires. Il nous appartient donc de changer celle-ci.

M. Michel Savin. Très bien !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. À mesure que la société se durcit, les atteintes à l’intégrité physique explosent. Les incivilités deviennent des violences.

Dès lors, nous devons adapter notre code pénal, ce qui suppose une réforme cohérente et structurelle, non une juxtaposition de mesures nouvelles.

C’est pourquoi le Gouvernement, s’il souscrit à l’objectif de la présente proposition de loi, préfère présenter son propre projet de loi et consulter le Conseil d’État.

Ce travail, monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission des lois, se nourrira des travaux parlementaires. Pour ce qui concerne les peines ultracourtes par exemple, je suis favorable à ce qu’une expérimentation soit menée ; surtout, nous attendons avec intérêt les conclusions de votre commission, qui a confié une mission à ce sujet à Mme Vérien et à plusieurs de ses collègues.

Comme à l’Assemblée nationale, le Gouvernement, tout en saluant la proposition de loi de M. Kervran et du groupe Horizons, s’en remettra à la sagesse du Sénat et le laissera délibérer comme il l’entend. Il sera attentif à votre avis, monsieur le rapporteur : nous connaissons votre fermeté, mais aussi votre sens de la loi bien faite.

De fait, il n’y aurait rien de pire que de reproduire les difficultés que nous avons connues, en adoptant des propositions de loi qui sont ensuite censurées par le Conseil constitutionnel du fait d’un manque de travail collectif, de recul et de consultations juridiques.

Je constate d’ailleurs, madame la présidente, que, lorsque j’ai saisi le Conseil d’État, avec votre assentiment, sur les articles qui me concernaient du texte extrêmement ambitieux du Sénat sur le narcotrafic, il nous a non seulement utilement conseillés, mais il a aussi permis d’éviter une censure.

Le Gouvernement s’en remettra à la sagesse du Sénat, car il est essentiel de traiter ce sujet dans un cadre plus large, celui de la réforme complète du droit des peines que je présenterai au Parlement le plus rapidement possible, c’est-à-dire à la reprise des travaux parlementaires en septembre. Je soumettrai ce texte à M. le Premier ministre à la mi-août et je saisirai ensuite le Conseil d’État de manière à pouvoir le présenter au Conseil des ministres à la rentrée pour que nous puissions en débattre le plus rapidement possible.

À ce jour, 235 peines sont à la main du magistrat, contre 4 en Allemagne par exemple.

Cette réforme devra concilier plusieurs impératifs : l’effectivité des sanctions, la lisibilité pour le justiciable, l’efficacité pénale, mais aussi les exigences de réinsertion et de prévention de la récidive.

La conciliation de ces impératifs est un peu une gageure pour les fonctionnaires qui m’accompagnent – je remercie notamment la direction des affaires criminelles et des grâces, dont les effectifs sont réduits, mais qui est extrêmement efficace et dont l’expertise est pointue.

Notre modèle est mauvais, car 70 % des détenus récidivent dans les cinq années après leur sortie de prison – je parle bien de récidive, soit d’une condamnation de justice à la suite d’une infraction de nature identique, et non de réitération.

Vous avouerez, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’on doit aussi tenir compte de la réalité carcérale…

Les très courtes peines, dont le rétablissement est ici proposé, sont-elles utiles ? Oui, sans doute. En tout cas, le modèle actuel n’est pas très efficace, et je veux dire que je soutiens les peines ultracourtes telles qu’elles ont été imaginées dans d’autres pays – je pense notamment aux Pays-Bas, un pays souvent pris en exemple –, même s’il faut bien avouer que la question de leur efficacité réelle peut se poser quand on s’y penche davantage.

Mon ambition et mon énergie me conduisent à penser qu’il ne faut pas simplement s’opposer à une mesure quand une question réelle se pose.

À cet égard, si le Parlement, notamment le groupe Horizons de l’Assemblée nationale – il me semble avoir entendu que plusieurs autres groupes politiques soutenaient aussi le principe des peines ultracourtes –, veut accompagner le Gouvernement sur ce sujet, il doit le faire, me semble-t-il, de manière posée et réfléchie, en travaillant à une bonne rédaction et, surtout, sans aggraver la surpopulation carcérale.

Il nous faut au préalable construire des places de prison et surtout distinguer entre les détenus – il ne s’agirait pas d’incarcérer dans les mêmes structures des personnes condamnées à quinze jours ou trois semaines de prison et des détenus radicalisés, des narcotrafiquants ou des gens condamnés pour des faits de criminalité organisée.

Si la proposition de loi était adoptée immédiatement, nous nous exposerions à cette difficulté, qui, à mon avis, conduirait à ne pas pouvoir répondre à la demande du Parlement. Il faudrait donc, à tout le moins, différer quelque peu la date d’entrée en vigueur du texte.

Comme vous l’avez vu, j’ai exprimé, à mon arrivée place Vendôme, la volonté de construire des places de prison de manière très différente. Je pense notamment aux prisons modulaires en béton, dont la construction prend dix-huit mois seulement, contre sept ans pour les établissements classiques. Les premières seront d’ailleurs inaugurées en octobre 2026 à Troyes-Lavau – je remercie le maire de cette commune. De même, le Parlement pourrait décider de réquisitionner des lieux que je qualifierais de moins carcéraux, comme des hôtels, afin de rendre effectives les peines ultracourtes, si celles-ci devaient être mises en œuvre.

Si les peines courtes ou ultracourtes étaient à nouveau rendues possibles sans changement profond de notre code, ce que le Gouvernement ne souhaite pas, il conviendrait qu’elles ne puissent être prononcées par les magistrats qu’à l’encontre d’actes graves commis par des individus n’ayant pas ou ayant très peu d’antécédents – il me semble que la proposition de loi pose ce principe – et qu’elles soient purgées dans des établissements travaillant à la non-récidive et à la réinsertion.

Sinon, le risque serait, premièrement, que ces individus soient incarcérés sans accompagnement dans des établissements accueillant des personnes plus dangereuses ; deuxièmement, que l’on épuise les moyens du service public pénitentiaire sans gain réel pour la société.

Nous ne disposons pas aujourd’hui d’une réforme profonde et cohérente du code pénal qui permettrait de créer un nouveau modèle carcéral, mais nous y travaillons pour cet été.

Le 11 mai dernier, j’ai adressé une lettre aux magistrats pour leur présenter les grands contours de la réforme que je présenterai. Je propose de distinguer entre les détenus selon leur dangerosité et les faits commis, et non plus selon leur statut devant la justice – maisons d’arrêt pour les détentions provisoires et les peines inférieures à deux ans de prison, etc. J’ai saisi, pour consultation, les groupes politiques et nous tiendrons les premières réunions demain dans ce cadre.

En attendant ce projet de loi, je veux redire que l’objectif des auteurs de la présente proposition de loi est juste. Je veux saluer les améliorations déjà introduites par les deux chambres du Parlement – Assemblée nationale et, à ce stade, commission des lois du Sénat. Elles permettent de clarifier les modalités d’aménagement pour le juge et de mettre un terme à certaines incohérences en vigueur.

Cependant, il faut aller plus loin, notamment en mettant fin à tout aménagement de peine obligatoire. Un mois de prison doit valoir un mois de prison !

Il faut également mettre en place la peine de probation, comme l’ont fait nos amis anglais et allemands, tout en apportant davantage de cohérence d’ensemble et en donnant beaucoup plus de moyens à l’administration pénitentiaire. Ainsi, les agents des services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) me semblent les plus à même de répondre aux demandes de réinsertion ou de suivi ; aujourd’hui, ils doivent souvent demander au juge d’application des peines de prendre une décision, ne serait-ce que pour changer l’horaire du bracelet électronique ou aménager la peine d’un condamné qui trouve un travail. Il nous faut simplifier tout cela et faire confiance à ces agents.

Même si le débat soulevé par cette proposition de loi est très important, la justice pénale mérite plus qu’un ajustement : elle mérite une vision et un projet. J’espère que le Gouvernement répondra à cette demande maintes fois formulée – ce fut encore le cas récemment par la voix de la présidente de votre commission des lois.

J’espère en tout cas que l’examen de la présente proposition de loi nous permettra, sur la base de vos réflexions, de préparer ce travail. Cela dit, je m’en remets à la sagesse du Sénat. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

M. Michel Savin. La droite qui applaudit la droite !

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Modifications de l’ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date du 30 juin, le Gouvernement a demandé le report au soir du mercredi 2 juillet de la déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, sur la situation au Proche et Moyen-Orient, initialement inscrite l’après-midi ; et l’inscription, en troisième point de l’ordre du jour de l’après-midi du 2 juillet, de la proposition de loi relative à la protection sociale complémentaire des agents publics territoriaux, initialement prévue le soir.

De plus, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement a demandé l’inscription, le mercredi 9 juillet : l’après-midi, en troisième et quatrième points de l’ordre du jour, de la lecture, sous réserve de leur dépôt, des conclusions des commissions mixtes paritaires sur la proposition de loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement et sur la proposition de loi visant à renforcer le parcours inclusif des enfants à besoins éducatifs particuliers, initialement prévue le jeudi 10 juillet ; le soir, de la nouvelle lecture, sous réserve de sa transmission, de la proposition de loi visant à réformer le mode d’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille.

Le Gouvernement a également demandé l’inscription, l’après-midi et le soir du 10 juillet, de la deuxième lecture de la proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle, et la suite de son examen le vendredi 11 juillet.

Acte est donné de ces demandes.

En conséquence, nous pourrions ouvrir les nuits des mardi 8 et mercredi 9 juillet.

Par ailleurs, nous pourrions fixer le délai limite pour le dépôt des amendements de séance au lundi 9 juillet à douze heures pour la proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle ; au mercredi 9 juillet à dix-sept heures pour la proposition de loi visant à réformer le mode d’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille.

Pour ces deux textes examinés en deuxième lecture, nous pourrions fixer à quarante-cinq minutes le temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale.

En outre, à la demande de la commission des lois, nous pourrions fixer au mercredi 9 juillet, à l’ouverture de la discussion générale, le délai limite de dépôt des amendements sur la deuxième lecture de la proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive.

Enfin, nous pourrions fixer le délai limite pour les inscriptions des orateurs des groupes, pour chacun des textes que j’ai mentionnés, à quinze heures la veille de leur inscription à l’ordre du jour.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

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Peines d’emprisonnement ferme

Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme.

Discussion générale (suite)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi du député Loïc Kervran, adoptée le 3 avril dernier à l’Assemblée nationale, vise à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme.

Son auteur est parti d’un constat partagé, je pense, par l’ensemble des Français : le fossé continue inlassablement de se creuser dans notre pays entre la décision judiciaire et son exécution, ce qui suscite incompréhension et même défiance envers notre système judiciaire.

En effet, depuis la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, tout notre système pénal et carcéral s’est construit sur le modèle suivant : la détention doit être réservée aux peines les plus longues, selon le principe que la privation de liberté ne devrait être, en toutes circonstances, que l’ultime recours.

En France, depuis 2019, il n’est pas possible de prononcer des peines de prison inférieures à un mois ; celles qui sont comprises entre un et six mois s’exécutent, par principe, en dehors de la prison ; les peines de six mois à un an sont quasi systématiquement aménagées.

Cet état de fait procure un sentiment puissant d’impunité, qui ne rend service ni à la société ni aux délinquants et qui fragilise profondément notre pacte républicain ; plus encore, il produit des effets indésirables, contraires à l’intention du législateur.

Premier effet de bord, la surpopulation carcérale n’a cessé de croître, tout simplement parce que les juges ont prononcé des peines de prison plus élevées pour éviter les procédures d’aménagement de peine ab initio et ainsi garantir l’incarcération. Ainsi, entre 2019 et 2024, nous observons une augmentation de plus de 50 % des peines comprises entre six mois et un an, alors que, dans le même temps, les peines d’emprisonnement courtes, comprises entre un et six mois, connaissaient une baisse marquée de plus de 20 %.

Second effet de bord, les peines de prison ferme n’ont pas été exécutées dans les meilleures conditions possible, du fait de la surpopulation carcérale, qui atteint un niveau inédit – j’y reviendrai –, mais aussi en raison des aménagements décidés dès le prononcé de la peine par le tribunal correctionnel.

Il est vrai que chaque peine a son utilité en fonction des faits commis, de la personnalité de l’auteur et de ses antécédents judiciaires, du moment où elle s’intègre dans son parcours de vie et de l’éventuelle nécessité d’un aménagement judiciaire. Mais encore faut-il que le juge du fond dispose de l’ensemble de ces éléments, ce qui n’est pas toujours le cas. Or des arrêts de la Cour de cassation, conjugués à la loi du 23 mars 2019, ont rendu en pratique de tels aménagements obligatoires.

Cette proposition de loi entend donc inverser la logique, en opérant un renversement total de la philosophie pénale, telle qu’elle a évolué ces dernières années.

Il s’agit, tout d’abord, de privilégier l’incarcération face à l’aménagement des peines, en supprimant l’interdiction de prononcer une peine d’emprisonnement ferme de moins d’un mois.

Il s’agit, ensuite, de rétablir la liberté donnée au juge du fond de prononcer de courtes peines d’emprisonnement, tout en portant à deux ans le plafond des peines susceptibles d’être aménagées.

Il s’agit, encore, de supprimer le recours à la libération sous contrainte de plein droit, qui permet une libération quasi automatique des détenus trois mois avant la fin de leur peine, ce qui constitue une forme de régulation carcérale non avouée : elle équivaut à accorder des aménagements de peine non préparés, qui peuvent être assimilés à des sorties sèches peu anticipées et sans suivi.

Il s’agit, enfin, de remettre la question de l’aménagement des peines entre les mains du juge de l’application des peines, en prévoyant une césure entre la décision de culpabilité, qui appartient au juge du fond, et l’exécution des peines.

On ne peut que partager le constat – il est préjudiciable à la qualité de la justice et à sa lisibilité par les justiciables, mais aussi, plus largement, par les citoyens – et les objectifs de l’auteur.

Cela étant, nos travaux et nos débats en commission ont permis de soulever quelques questionnements, voire des inquiétudes, qu’il conviendrait de dissiper.

Tout d’abord, il faut noter que le temps d’examen a été singulièrement court – moins de trois jours – pour permettre d’élaborer un texte parfait. C’est regrettable, car nous ne sommes pas en procédure accélérée – il y aura donc une seconde lecture, dans un calendrier incertain –, d’autant plus regrettable que l’examen de ce texte entre en collision non seulement avec la mission d’information conduite par Mmes Vérien, Schalck et Harribey, que je salue, mais également avec la réflexion d’ensemble que le garde des sceaux mène sur ce sujet.

Par ailleurs, il y a ce phénomène de surpopulation carcérale qu’il nous faut enrayer. Notre politique pénale ne peut plus à terme dépendre de ce phénomène.

On comptait, au 1er mai 2025, plus de 83 000 détenus en France, pour environ 62 500 places. Il y a plus de 5 200 matelas au sol, et des prévenus peuvent vivre avec deux, trois, voire quatre codétenus dans des maisons d’arrêt dans l’attente de leur jugement – maisons d’arrêt dont le taux d’occupation dépasse parfois les 200 %. Chaque mois, un nouveau record est battu.

La surpopulation carcérale rend toujours plus difficile et complexe la mission de réinsertion des personnes condamnées. Par ailleurs, les conditions de détention sont de plus en plus indignes. Sans même parler du taux de récidive dans un délai de cinq ans, évoqué par le garde des sceaux, qui s’élève à plus de 60 %, ce qui prouve que le système actuel ne fonctionne pas…

Créer des places de prison adaptées à l’exécution de courtes peines est une bonne solution. Si des peines plus courtes sont exécutées, la rotation pourrait être plus importante et le taux d’occupation baisserait mécaniquement. Autre avantage, aucun détenu ne penserait à s’évader s’il n’avait qu’une courte peine à exécuter. Ces nouveaux établissements seront donc bien moins chers et plus rapides à construire.

Enfin, j’évoquerai un débat qui nous anime depuis plusieurs années sur l’utilité de ces courtes ou ultracourtes peines. Les courtes peines, lorsqu’elles sont mal organisées, peuvent désocialiser. Elles ne facilitent pas toujours la réinsertion. Sur ce point, les études scientifiques comme l’expérience des autres pays sont instructives.

Toutefois, ce qu’il faut surtout éviter en faisant preuve d’une extrêmement prudence, c’est que ce texte ne soit que le miroir de celui de 2019, c’est-à-dire qu’il crée les mêmes effets de bord néfastes en faisant augmenter la surpopulation carcérale. Car appliquer immédiatement de très courtes peines sans régler le problème de la surpopulation carcérale poserait évidemment un problème dans l’organisation de la justice.

Ce risque, nous ne pouvons l’ignorer quand nous élaborons la loi ; il pèse sur les conditions de détention, l’humanité de notre justice, l’efficacité de la peine et l’augmentation déjà très importante du risque de récidive.

C’est pourquoi la commission a souhaité, d’une part, revenir sur les dispositifs qui auraient des effets pervers et qui ne seraient ni un gage de fermeté ni le reflet d’une approche pragmatique du sujet, et, d’autre part, renforcer l’autonomie des juges.

La commission a donc substitué aux exigences de motivation spéciale, qui créent de réels risques de cassation, une motivation simple, applicable aux peines elles-mêmes comme à leur exécution lorsque cette dernière est décidée ab initio par le tribunal correctionnel.

Elle a facilité le renvoi des dossiers au juge de l’application des peines lorsque le juge du fond ne dispose pas des éléments requis pour définir ab initio les modalités d’exécution de la sanction qu’il a prononcée.

Elle a rétabli les dispositions permettant le placement en détention, au titre de l’exécution provisoire, des condamnés dont la peine n’a pas été aménagée ab initio.

Enfin, elle a supprimé les dispositions relatives à la réforme du fractionnement qui figuraient initialement dans le texte, lequel prévoyait les mêmes conditions de mise en œuvre, y compris dans le cadre de la récidive légale.

Mes chers collègues, pour conclure, ce texte n’est pas l’alpha et l’oméga de notre politique pénale, mais il a le mérite de réaffirmer le principe de l’effectivité de la peine, en particulier de la peine d’emprisonnement ferme, et de garantir une traduction concrète à chaque décision de justice.

Ces évolutions peuvent être gages d’une plus grande individualisation des peines, donc d’une meilleure qualité de la réponse pénale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Michel Savin. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Louis Vogel.

M. Louis Vogel. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, la proposition de loi visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme, que nous examinons aujourd’hui, ouvre devant notre assemblée le débat sur notre politique pénale, c’est-à-dire sur le prononcé, l’application et l’exécution de la peine.

Avec 83 681 détenus au 1er juin 2025, pour 62 570 places, la surpopulation carcérale empêche la prison de répondre à ses missions : protéger la société, tout d’abord ; réinsérer, ensuite.

La solution bâtimentaire, le fameux plan 15 000 places, bien qu’elle soit nécessaire notamment pour remplacer les prisons insalubres ou inadaptées, ne pourra pas résoudre à elle seule cette question.

Ce constat, j’ai pu le faire dès mon premier rapport, au nom de la commission des lois du Sénat, sur le budget de l’administration pénitentiaire. En effet, pour suivre l’évolution actuelle du nombre de détenus, il faudrait construire un établissement par mois, ce qui est strictement impossible ! Le garde des sceaux a lui-même constaté que les objectifs du plan 15 000 places devaient être revus : il privilégie désormais des solutions modulaires, adaptées et ambitieuses.

Cette situation inacceptable aboutit à une impasse que les Français vivent douloureusement et qui explique largement le divorce entre eux et la justice de notre pays.

Les lois créant de nouvelles infractions sont de plus en plus nombreuses, le quantum des peines prévu par ces textes de plus en plus lourd, les peines prononcées de plus en plus sévères et la durée de détention de plus en plus longue ; pour autant, plus de 40 % des peines de prison ferme n’ont pas été exécutées en détention en 2023 !

De même, en raison de la surpopulation carcérale, les peines de prison ferme inférieures à un an sont quasi systématiquement aménagées.

Disons-le clairement, notre politique pénale dysfonctionne. En outre, elle est inefficace en ce qu’elle condamne trop et trop tard, ou pas du tout. Ne pas faire exécuter la peine ou libérer pour faire de la place constitue un remède pire que le mal.

Comme l’affirmait Beccaria, qui a déjà été cité aujourd’hui, « ce n’est pas la rigueur des châtiments qui prévient le plus sûrement les crimes, c’est la certitude du châtiment. La perspective d’un châtiment modéré, mais inévitable, fera une impression plus forte que la crainte vague d’une punition terrible, auprès de laquelle se présente quelque espoir d’impunité. »

Pour que la sanction retrouve tout son sens et toute son efficacité, il faut l’appliquer le plus rapidement possible après l’infraction. Que disent les gens aux maires ou aux élus locaux que nous sommes ou avons été ? « Il est de nouveau en liberté, alors qu’il a été arrêté avant-hier… »

En ce sens, l’exemple des Pays-Bas est éloquent. Le gouvernement néerlandais a en effet réformé sa politique pénale au début des années 2000 pour accroître la rapidité de la procédure. Aujourd’hui, si la justice néerlandaise envoie en prison pour des durées plus courtes, elle le fait aussi plus souvent : pour 23 % des condamnations, contre 15 % en moyenne en Europe. Les peines y sont plus courtes, mais elles sont certaines.

La proposition de loi de nos collègues députés Loïc Kervran et Agnès Firmin Le Bodo, dont je salue le travail, va exactement dans ce sens et répond donc en partie au dysfonctionnement de notre politique pénale.

Avec ce texte, il s’agit de rétablir la possibilité pour le juge de prononcer une peine de prison ferme, même inférieure à un mois, et de supprimer – enfin ! – l’automaticité de l’aménagement des peines inférieures à un an.

Je salue également le travail de notre rapporteur, Stéphane Le Rudulier, et de la commission des lois, qui a permis deux apports majeurs : rendre au juge la liberté de prononcer de courtes peines d’emprisonnement, qui puissent être réellement exécutées ; et mettre fin à l’obligation d’une motivation spéciale pour l’exécution des peines de prison.

Ce texte apporte aujourd’hui une réponse adéquate pour traiter rapidement la délinquance du quotidien et des mineurs, laquelle nécessite, le plus souvent, de courtes peines, prononcées le plus vite possible, dès le premier fait de délinquance.

Nous devrons demain poursuivre ce travail en facilitant les peines alternatives, comme les travaux d’intérêt général ou la probation, auxquelles le ministre d’État a fait allusion, qui sont elles aussi plus nombreuses et mieux appliquées aux Pays-Bas. C’est ainsi que nous lutterons contre le sentiment d’impunité et la lenteur, décriée, de notre justice. C’est ainsi que nous redonnerons son sens à la peine.

Le groupe Les Indépendants votera en faveur de cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à Mme Nadine Bellurot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Nadine Bellurot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour citer de nouveau Beccaria, après Louis Vogel, « ce n’est point par la rigueur des supplices qu’on prévient le plus sûrement les crimes, c’est par la certitude de la punition ».

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui entend corriger les effets de bord issus de la loi dite Belloubet de 2019, reposant sur l’aménagement automatique des peines courtes. Ce régime, censé désengorger les prisons, a paradoxalement aggravé la surpopulation carcérale et suscité des stratégies d’évitement. Cela a été rappelé, au 1er avril 2025, on comptait plus de 81 000 détenus pour 62 000 places de prison.

La loi de 2019 mène donc bien à une impasse : les dispositions du code pénal ne permettent plus de mettre en œuvre des incarcérations de courte durée, incitant les magistrats à prononcer des peines plus longues pour garantir l’exécution effective d’une sanction réellement privative de liberté.

Nous le constatons, notre système pénal est à bout de souffle. Il ne répond plus à l’attente de nos concitoyens, qui exhortent l’État à une fermeté concrète et efficace. Combien de Français sont sidérés par le fait que le délinquant n’exécutera pas sa peine jusqu’au bout, ou même pas du tout ? Selon différentes études, entre 30 % et 40 % des personnes condamnées n’effectuent jamais leurs peines fermes, et ceux qui la font ne l’exécutent jamais entièrement.

Il nous faut donc réformer notre système pénal en profondeur, en ayant le courage d’une grande réforme, d’un véritable choc pénal.

Il est obligatoire de passer par une simplification massive du code de procédure pénale et du code pénal, qui font respectivement, je le rappelle, 2 300 et 1 700 pages. Même les magistrats demandent une simplification, ils ne s’y retrouvent plus ! Il faut replacer la victime au cœur de la procédure, car elle en est trop souvent écartée au profit de l’auteur de l’infraction.

Notre police est embourbée dans un labyrinthe de procédures, avec tout ce que cela peut entraîner comme vices de procédure, et ces procédures sont de plus en plus complexes. On constate une explosion du nombre de dépôts de plainte, dont le stock est de plus de 3 millions.

Se pose la question de la responsabilité pénale des mineurs. J’ai déposé une proposition de loi pour lever l’excuse de minorité dès 15 ans, et non 16 ans comme aujourd’hui. M. le ministre d’État a dit être favorable à une réforme constitutionnelle pour abaisser la majorité pénale ; nous verrons ce qu’il en sera.

Une réflexion mériterait aussi d’être menée sur la question importante du développement des centres éducatifs fermés et des établissements pénitentiaires pour mineurs, lesquels sont trop peu nombreux, alors qu’ils sont des substituts à la liberté surveillée et à l’emprisonnement dans des quartiers pour mineurs.

La Cour des comptes préconise d’ailleurs de consolider le projet des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) face aux quartiers pour mineurs, ce qui pourrait désengorger en partie les prisons. Mais bien entendu, tout cela demande des moyens supplémentaires, notamment financiers.

Pour restaurer l’autorité attendue par les Français, il est urgent de retrouver une justice lisible, respectant l’équilibre entre répression, individualisation de la peine et prévention de la récidive.

Je soutiens donc ce texte, qui apportera l’autonomie nécessaire au magistrat et redonnera du sens à la fonction répressive de la peine privative de liberté.

M. Michel Savin. Très bien !

Mme Nadine Bellurot. Je remercie notre rapporteur Stéphane Le Rudulier, qui a travaillé dans des délais contraints.

Le texte issu de la commission conserve la philosophie de la proposition de loi initiale en intégrant notamment le renforcement du rôle du juge de l’application des peines pour évaluer le mode d’exécution la plus adapté ; c’est un point important.

Il redonne du sens à la prison ferme et restaure l’autorité des décisions judiciaires. Nous en avons besoin.

Enfin, j’espère qu’il ouvrira la voie, pour reprendre les termes du ministre de la justice, à une « révolution pénale ». Nous lui donnons rendez-vous en septembre prochain. Les Français attendent et ont besoin d’une justice lisible, pour eux comme pour les victimes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui touche à un fondement de notre pacte républicain : la justice, plus particulièrement l’effectivité de la peine.

Ce texte se fonde sur un constat : une part importante des peines d’emprisonnement ferme n’a pas donné lieu à l’incarcération des condamnés, en raison des aménagements prévus par la loi. En 2023, cette proportion représentait plus de 40 % des peines prononcées.

En parallèle, de nombreux sondages montrent que la plupart des Français jugent la justice trop laxiste. Cette situation alimente le sentiment d’impunité, entame la crédibilité de notre système judiciaire et nourrit l’idée, injuste mais tenace, d’une justice trop indulgente.

Ce phénomène est en partie dû à la loi du 23 mars 2019, qui impose un aménagement quasi systématique des peines d’une durée inférieure ou égale à un an. Ces dispositions, connues sous le nom de « bloc peine », visaient à réduire la surpopulation carcérale et à favoriser la réinsertion.

J’aimerais tout de même rappeler que l’intention de la loi de 2019 était tout à fait louable. Elle avait vocation à ne plus systématiser l’emprisonnement ferme pour les courtes peines du fait de leur caractère désocialisant, favorisant plutôt la récidive. Ce choix nous semblait redonner du sens à la sanction.

Or force est de constater que la densité carcérale n’a cessé d’augmenter : au 1er mai 2025, plus de 82 000 personnes étaient détenues – un record ! –, avec un taux d’occupation moyen supérieur à 130 %, atteignant presque 160 % en maison d’arrêt.

Ce dispositif a pu également induire des effets de bord, conduisant les magistrats à prononcer des peines plus longues pour contourner un aménagement automatique.

Le texte vise donc à inverser la logique actuelle. Il rétablit la possibilité de prononcer des peines d’emprisonnement inférieures à un mois et met fin à l’obligation quasi systématique d’aménager les peines inférieures à un an.

Il porte également à deux ans le seuil permettant un aménagement de la peine. Il fait de l’exécution effective de la peine ferme le principe et de l’aménagement, l’exception.

En commission, plusieurs ajustements ont été apportés pour éviter que cette réforme ne reproduise, à rebours, les défauts du droit actuel. Par exemple, la motivation spéciale imposée en cas d’aménagement a été supprimée pour éviter de dissuader les magistrats.

Toutefois, malgré ces améliorations, des réserves subsistent. Car permettre un retour en force des courtes et très courtes peines sans réforme structurelle du système pénitentiaire risque de désorganiser encore davantage des établissements déjà sous tension. Une peine de quelques semaines, mal exécutée, peut se révéler plus désocialisante qu’utile.

Face à la surpopulation carcérale chronique, nous croyons qu’il est essentiel de privilégier les alternatives à l’emprisonnement ferme, comme la détention à domicile sous surveillance électronique ou la semi-liberté.

L’incarcération systématique d’un individu dans un établissement saturé, où il est parfois contraint de dormir sur un matelas au sol, compromet gravement le sens de la peine. Une telle situation met en péril le triple objectif de notre politique pénale : assurer la protection de la société, prévenir la récidive et accompagner la réinsertion.

C’est pourquoi, au sein du groupe RDPI, nous partageons l’objectif de restaurer pleinement la crédibilité de la réponse pénale, mais nous estimons que cette question ne peut être traitée isolément de cette manière. Elle doit s’inscrire dans une réflexion plus large sur l’exécution des peines, le rôle de la probation, les peines alternatives et, bien évidemment, la capacité d’accueil de nos établissements pénitentiaires, permettant une incarcération et une prise en charge différenciée en fonction des infractions, soutenue en parallèle par la création de places de prison.

En ce sens, la réforme annoncée par M. le garde des sceaux nous semble un véhicule législatif plus approprié pour légiférer sur ce sujet. Aussi, nous saluons l’esprit du texte, mais nous considérons qu’à ce stade, il convient de s’en tenir à une position de prudence.

Pour ces raisons, la majorité du groupe RDPI s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme a été déposée en octobre dernier par Loïc Kervran et plusieurs de nos collègues députés.

Quelqu’un ne connaissant rien à la prison ou à la justice pourrait s’étonner d’un tel intitulé et se demander s’il signifie que, en France, les criminels et les délinquants ne vont pas en prison… Évidemment, une telle observation serait légèrement simplificatrice.

En réalité, l’objectif principal du texte est d’éviter, autant que faire se peut, l’aménagement des peines de prison d’une durée inférieure ou égale à un an, et de favoriser les peines ultracourtes, afin de mieux lutter contre la récidive.

Concrètement, il va donc à l’inverse de l’esprit de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui visait notamment à permettre à de nombreux condamnés de purger leurs peines différemment, en milieu ouvert, en effectuant par exemple des travaux d’intérêt général ou en portant un bracelet électronique. En 2019, le but du législateur était bien sûr de désengorger les prisons.

Tout d’abord, il est vrai que le nombre de personnes effectivement condamnées à des peines de prison ferme, mais n’étant pas détenues, a augmenté : il est passé de 12 500 à 18 000 entre janvier 2021 et aujourd’hui.

Or la population carcérale n’a pas diminué pour autant. Quelle en est la raison ? En partie, mais en partie seulement, la réforme a eu des effets de bord. En effet, depuis son entrée en vigueur, lorsque les juges veulent s’assurer qu’un prévenu ira bien en prison, ils prononcent des peines plus sévères que par le passé.

En conséquence, l’un des objectifs de la loi de 2019, à savoir la réduction de la population carcérale, n’est pas atteint. Au contraire, cette dernière atteint des sommets. Actuellement, en France, près de 82 000 personnes sont détenues dans 62 000 places de prison et 4 500 personnes dorment sur des matelas à même le sol. La surpopulation dans les prisons françaises est donc de plus de 130 %.

Une question tout à fait pratique se pose donc : comment favoriser l’exécution des courtes peines et mieux prévenir la récidive, alors qu’il n’y a tout simplement pas assez de places dans les prisons et qu’il faudrait des années pour en construire davantage ? Plusieurs réponses sont envisageables.

Peut-être faudrait-il repenser l’ensemble de la chaîne pénale et davantage coordonner ses acteurs, en suivant les préconisations formulées dans le rapport rendu par la Cour des comptes en mars dernier.

Peut-être faudrait-il rendre effectives les condamnations à des peines de travaux d’intérêt général et celles qui sont exécutées sous bracelet électronique, puisque les résultats de la réforme ne sont pour l’instant pas satisfaisants en la matière.

Peut-être s’agirait-il encore de renforcer le suivi des personnes condamnées par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip). Le rapport que je mentionnais souligne que « l’accompagnement reste trop limité, alors que le profil des condamnés présente des difficultés sociales plus marquées et des parcours de réitération aggravés ».

Peut-être, enfin, faudrait-il donner plus de moyens à la justice, à nos magistrats et à nos greffiers.

Dans tous les cas, il faudrait un texte complet, une étude d’impact, voire une véritable « révolution pénale », pour « améliorer drastiquement le service public de la justice ». Cela tombe bien, tel est précisément l’objectif du garde des sceaux, écrit noir sur blanc dans une lettre adressée à nos présidents de groupe respectifs.

Ce courrier lance une large concertation et annonce le début des États généraux de l’insertion et de la probation, qui auront lieu jusqu’en décembre prochain. Parmi les propositions soumises à la discussion figurent la mise en place de peines minimales, la suppression du sursis et de l’aménagement obligatoire des peines et l’expérimentation des ultracourtes peines de prison. Bref, nous reparlerons exactement de ces sujets dans quelques mois, mais en disposant de chiffres, d’une étude d’impact et éventuellement de davantage de temps.

Aussi, pourquoi le Gouvernement a-t-il donc inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour de nos travaux, et pourquoi annonce-t-il s’en remettre à la sagesse du Parlement, alors que le projet de loi du garde des sceaux se précise, que la mission d’information sur l’exécution des peines du Sénat n’a pas encore rendu ses conclusions et que la présente proposition de loi ne se fonde sur aucun bilan ni avis du Conseil d’État ?

Mon groupe considère que voter en faveur de ce texte reviendrait à faire une nouvelle fois exactement tout ce que les professionnels de la justice nous reprochent : légiférer par à-coups sans anticiper les conséquences de nos décisions et adopter un texte d’appel, par ailleurs totalement inapplicable et hors sol.

Que le rapporteur ait en commission amélioré le texte comme il le pouvait ne change malheureusement pas ce constat. En attendant la « révolution pénale », le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen s’abstiendra. (M. Christophe Chaillou applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons a été déposée en octobre 2024 par Loïc Kervran et plusieurs députés. Elle vise principalement à revenir sur certaines dispositions de la loi du 23 mars 2019 qui ont profondément modifié les règles d’aménagement des peines d’emprisonnement ferme, au travers de ce que l’on a appelé le « bloc peine ».

L’objectif affiché était de renforcer le sens des peines, de limiter les incarcérations inutiles et de garantir un meilleur suivi des condamnations. Malheureusement, le résultat est bien différent.

Le « bloc peine » a produit des effets de bord massifs. Il a aggravé la surpopulation carcérale, sans pour autant améliorer l’exécution des peines. Pis, il a contribué à une complexification excessive du prononcé et de l’exécution des peines, entraînant parfois le contournement de décisions devenues peu lisibles.

En réponse, la proposition de loi tend à inverser la logique actuelle. Elle revient sur l’aménagement systématique des peines et supprime la libération sous contrainte de plein droit, qui permet une sortie quasi automatique trois mois avant la fin de la peine. Je dois le dire, une telle suppression est demandée par tous les acteurs de la chaîne pénale.

La proposition de loi a donc deux objectifs. Le premier est de permettre l’exécution effective des peines inférieures ou égales à un mois, aujourd’hui presque systématiquement écartée. Le second est de mettre fin à l’obligation quasi automatique d’aménager les peines d’une durée inférieure ou égale à un an, en redonnant aux magistrats leur pleine liberté d’appréciation pour les peines d’une durée inférieure ou égale à deux ans.

Si personne ne conteste qu’il est nécessaire d’agir, permettez-moi de formuler une remarque de méthode. Est-il bien sérieux, sur un sujet aussi fondamental que l’exécution des peines, de légiférer après une seule journée d’auditions, alors même qu’un projet de loi plus ambitieux est attendu à la rentrée et qu’une mission parlementaire est en cours ?

Je pense au travail que je mène avec mes collègues Elsa Schalck et Laurence Harribey dans le cadre de la mission d’information sur l’exécution des peines. Depuis plusieurs mois, nous y entendons la réalité du terrain : magistrats, surveillants, associations, tous alertent sur le décalage croissant entre les intentions de la loi et ses effets réels.

Saluons néanmoins le travail du rapporteur, qui, malgré des délais contraints, a proposé plusieurs amendements utiles. Il a justement constaté que les solutions avancées risquaient de reproduire les mêmes travers que le droit actuel, à savoir complexité, rigidité et stratégies de contournement.

C’est pourquoi, sur l’initiative du rapporteur, la commission des lois a pris des mesures importantes. Elle a ainsi décidé de mettre fin à l’obligation de motivation spéciale pour l’exécution des peines de prison ferme, sans imposer pour autant une motivation équivalente pour leur aménagement.

Elle a également décidé de favoriser le passage des condamnés devant le juge de l’application des peines lorsque la juridiction de jugement n’est pas en mesure de déterminer la modalité d’exécution la plus adaptée, mais aussi de mieux encadrer le recours au fractionnement des peines, aujourd’hui encore trop peu utilisé.

Plus généralement, nous le savons, l’aménagement quasi automatique des peines d’une durée inférieure ou égale à un an alimente de profonds sentiments d’impunité chez les auteurs et d’injustice chez les victimes.

En 2023, plus de 40 % de ces peines n’ont pas abouti à une incarcération effective. Cela nourrit une défiance croissante envers notre justice, particulièrement chez les victimes de violences conjugales, les élus ou les commerçants ciblés par des actes répétés. Que signifie une peine de prison, si celle-ci n’est ni visible ni ressentie ?

En réalité, il s’agit d’un problème de communication. Nous savons bien que la condamnation en années de prison est prononcée par le juge du fond, qui tient compte de ce que la peine sera ensuite aménagée par les juges de l’application des peines. Toutefois, la méconnaissance de la justice et un manque de pédagogie provoquent de nombreuses déceptions de la part des victimes et de la société, qui entendent le prononcé d’une peine de prison.

Soyons lucides : les courtes peines ne sont pas une solution miracle. Pourtant, bien utilisées, elles permettraient d’intervenir tôt dans les parcours de délinquance, de limiter l’ancrage criminel et de moins désocialiser que les longues détentions.

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. C’est vrai !

Mme Dominique Vérien. Laisser aux juges la possibilité de prononcer davantage de peines ferme, même si celles-ci sont courtes, voire très courtes, permettrait également de mieux optimiser l’occupation carcérale. Une même place pourrait accueillir plusieurs détenus par an, au lieu d’un seul.

Pour autant, restons prudents au sujet de l’efficacité des peines courtes et très courtes, surtout dans l’état actuel de notre système carcéral, car nos prisons restent malheureusement des lieux de reproduction de la violence.

Tant que les profils – primodélinquants, trafiquants, détenus violents – ne seront pas mieux séparés, on continuera à transformer de petits délinquants en récidivistes aguerris.

Il faut créer des filières spécifiques, en assurant l’encadrement et un suivi adapté aux courtes peines. Des pays européens s’y emploient déjà. La Suède ou la Finlande, par exemple, ont développé des unités semi-ouvertes pour les peines inférieures à six mois, centrées sur le travail, la préparation à la sortie et la responsabilité. Pourquoi ne pas nous en inspirer ?

Ces prisons présentent aussi l’avantage d’avoir moins besoin d’être sécurisées. Il n’y a en effet aucun risque que l’un de ces détenus s’évade en hélicoptère, ce qui signifie de réelles économies lors de leur construction. Les moyens dégagés pourraient d’ailleurs être réinvestis dans la modernisation de nos établissements existants ou dans les moyens humains nécessaires à l’accompagnement.

Surtout, une peine bien exécutée, c’est une sortie bien préparée. Logement, emploi, soins : la prévention de la récidive commence bien avant la sortie. Si nous voulons que la justice soit efficace, il faut aller jusqu’au bout de la peine.

Mes chers collègues, nous voterons ce texte qui libère le juge, mais nous devons admettre que nous n’en maîtrisons pas tous les effets.

Si son adoption a pour conséquence de multiplier les courtes peines de prison effective au lieu des aménagements de peine, gare à l’explosion carcérale, tant que des places aménagées ne seront pas créées. Si au contraire, comme j’aimerais le croire, le texte permet au juge de prononcer une peine de prison ferme de seulement six mois et non plus une peine supérieure à un an, tout en étant sûr que le prévenu ira en prison, alors il aura des effets positifs.

Toutefois, ce texte ne saurait être un point d’arrivée. Nous ne l’examinons pas selon la procédure accélérée et nous discuterons bientôt d’autres textes, ainsi que du rapport de notre mission d’information. La proposition de loi présente au moins le mérite d’ouvrir la discussion, et nous ne voyons donc pas de raison de nous y opposer. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Louis Vogel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Alexandre Basquin.

M. Alexandre Basquin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après plusieurs réformes pénales, nous voilà devant une nouvelle proposition de loi visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme, en particulier les courtes peines. Permettez-moi d’y voir une forme de fuite en avant et de surenchère sur le paysage pénal et pénitentiaire.

M. Alexandre Basquin. La proposition de loi fait d’ailleurs débat sur l’ensemble des travées du Sénat, et pour cause.

Ainsi que cela a été souligné, la France compte 62 000 places de prisons pour près de 85 000 détenus. Notre pays a d’ailleurs été condamné par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en 2020, la Cour qualifiant d’« indignes » les conditions de détention et de « structurelle » la suroccupation carcérale.

Didier Migaud, alors garde des sceaux, avait d’ailleurs confié au Sénat qu’il faudrait construire une prison par mois pour atteindre un taux d’occupation digne. M. le ministre Darmanin s’est également engagé, à raison, à construire 15 000 nouvelles places de prison pour lutter contre la surpopulation carcérale. En effet, la surpopulation est dangereuse et nuit à la réinsertion des détenus, qui, dans certaines prisons, vivent à trois ou quatre dans des cellules de neuf mètres carrés.

Dans ce contexte, il est proposé d’enfermer systématiquement les personnes condamnées à de courtes peines. Cela n’a absolument aucun sens, si ce n’est d’aggraver une situation déjà extrêmement tendue, ainsi que M. le rapporteur l’a souligné.

Rappelons-le, l’inflation carcérale vient en partie de l’inflation du nombre des infractions. Selon un article publié en 2022 dans le journal Le Monde, dont on connaît le sérieux, en onze années, 3 600 infractions pénales nouvelles, de la contravention de première classe au crime, ont été ajoutées à l’arsenal existant.

La proposition de loi tend à inverser la logique, en faisant de l’aménagement de peine non pas le principe, mais l’exception, mais ses auteurs ignorent la réalité du monde carcéral.

Aujourd’hui, un conseiller d’orientation et de probation suit en moyenne 70 personnes, parfois même jusqu’à 120 personnes, alors que le Conseil de l’Europe estime qu’il devrait suivre 40 personnes, si bien que, en pratique, il n’est pas rare qu’un détenu sorte de détention sans même avoir rencontré un conseiller.

S’agissant des courtes peines, il est évident que les services ne seront pas en mesure d’accompagner vers un changement durable les personnes écrouées. De nombreux criminologues estiment ainsi que l’incarcération courte est criminogène. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio proteste.)

Je me permets une parenthèse, à toutes fins utiles : on compte 4 000 postes vacants au sein de la direction de l’administration pénitentiaire… Peut-être faudrait-il commencer par régler ce problème.

De même, un rapport d’information rendu en juillet 2023 par les députés Caroline Abadie et Elsa Faucillon soulignait l’efficacité des solutions alternatives à la prison ferme et encourageait leur poursuite, tout simplement parce qu’elles réduisent les risques de récidive.

Toutes les études le démontrent, il faut travailler sur l’emploi, l’insertion et le suivi de la famille pour prévenir la délinquance. La réinsertion, quand elle est menée dans de bonnes conditions, fait évidemment ses preuves. Malheureusement, ces éléments sont totalement occultés du débat public, ce que je regrette, car, lorsqu’on les a en tête, on se rend compte que la peine de prison ne peut pas être la référence, encore moins dans une société civilisée telle que la nôtre.

Enfin, ma philosophie quelque peu rousseauiste me conduit à penser que les hommes et les femmes sont naturellement bons et que c’est la société qui les change.

Disons-le, de cures d’austérité en cures d’austérité, notre société sacrifie le contrat social : réduction des moyens de l’éducation nationale, remise en cause de la politique de la ville, sacrifice de la vie associative sur l’autel des restrictions budgétaires, aide sociale à l’enfance en souffrance, services publics amoindris et attaqués de toute part, politique de l’offre inefficace, chômage endémique, vie chère, pauvreté ne cessant de s’installer, jeunesse aux abois. Dans les communes rurales comme dans les quartiers, de trop nombreuses personnes se lèvent le matin groggy par la vie.

Si l’on prend en compte le fait que les classes modestes et populaires sont surreprésentées dans le milieu carcéral, on peut réellement parler de déterminisme social – permettez-moi de le formuler ainsi.

Il y a là un échec patent de notre société à construire un cadre émancipateur pour le plus grand nombre. C’est à cela qu’il faut s’attaquer. On s’attarde trop souvent à traiter les conséquences, mais je pense plus que jamais nécessaire de traiter enfin collectivement les causes des maux de notre société.

Pour terminer, affirmer que cette proposition de loi, qui n’a qu’une visée purement punitive, améliorera notre sort collectif est parfaitement illusoire. Vous l’aurez compris, le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky s’opposera au principe d’incarcération aveugle et à tout va, ainsi qu’à cette proposition de loi dogmatique, déséquilibrée et de très courte vue.

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je prononce cette intervention au nom de mon collègue Guy Benarroche, dont je vous prie d’excuser l’absence.

Je regrette que nous nous retrouvions à examiner une proposition de loi politicienne, sans disposer d’un avis du Conseil d’État, et dont le message simpliste est : « Plus d’enfermement, c’est bien ».

En outre, je regrette que cette vision punitive de l’enfermement soit pensée de manière différenciée, les délinquants financiers en étant exemptés, ainsi qu’en attestent les déclarations du garde des sceaux.

Pour le formuler trivialement, y aurait-il donc une bonne délinquance, qui ne mérite pas de peines de prison, et une mauvaise délinquance, celle qui ne doit pas bénéficier d’un prétendu laxisme ? Peut-on toujours parler de justice dans ces conditions ?

Ce texte vise à favoriser le prononcé de très courtes peines de prison ferme. Au-delà du fond, de la vision du droit pénal et de la philosophie du droit que cela illustre, je souhaite rappeler la situation actuelle de manière pragmatique.

A-t-on vraiment les moyens de mettre encore plus de personnes en prison ? Dans quelle mesure pouvons-nous incarcérer plus, et bien incarcérer ?

L’état de nos prisons est déjà lamentable. Je parle des détenus, mais aussi des conditions dans lesquelles nous acceptons de faire travailler des fonctionnaires impliqués et courageux, mis en difficulté et parfois en danger par la surpopulation carcérale.

Les chiffres, aussi édifiants que honteux, ne résultent pas du seul gouvernement actuel. Comment accepter qu’en moyenne la densité carcérale soit au 1er juin dernier de 135 % et que 4 500 personnes dorment à même le sol ?

Dans certains établissements, comme dans la maison d’arrêt de Lyon-Corbas ou à la prison des Baumettes à Marseille, le taux de remplissage atteint les 200 %. D’après les syndicalistes sur place, trois ou quatre détenus sont contraints de partager des cellules de 9 mètres carrés, ce qui crée des tensions, notamment dans le quartier des arrivants, où la situation est critique depuis longtemps. Les détenus y restent souvent environ un mois, contre dix jours normalement.

L’enfermement a pour but d’assurer la protection de la société, la punition du coupable et la préparation à sa réinsertion.

En ce qui concerne la réinsertion, les études sont formelles : les courtes peines de prison sont un facteur de précarisation. Les personnes incarcérées perdront souvent leur emploi, voire leur logement. Les services pénitentiaires n’auront pas le temps de les accompagner dans une réinsertion raisonnable et le nombre de sorties sèches augmentera.

Si l’exécution d’une peine de prison ne prépare pas les condamnés à la réinsertion, elle devient déséquilibrée, dangereuse et néfaste. C’est un facteur de récidive, la première étape du cercle vicieux de la délinquance.

Tout le monde cite en exemple des pays étrangers où l’exécution des peines de prison ferme est automatique, mais les conditions et les moyens alloués à la détention ne sont pas équivalents aux nôtres.

Ce texte va donc à rebours des études et des avancées récentes que nous avons discutées lors de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Il vise par exemple à revenir sur le principe actuel selon lequel l’emprisonnement ferme ne peut être prononcé qu’en dernier recours. C’est un vrai changement de paradigme, un revirement coupable décidé sans rationalité, alors que ce fondement avait été consacré par la loi de programmation de 2019.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires proposera des amendements visant à supprimer les mesures les plus dangereuses de la proposition de loi.

Nous demanderons la suppression de l’article 1er, qui constitue le cœur du dispositif. Au-delà de la volonté d’affichage idéologique que nous ne partageons pas, nous le répétons, l’enfermement de courte durée constitue dans les conditions actuelles un premier pas vers la récidive, tant que la réinsertion, grande absente du texte, n’est pas assurée.

Nous demanderons également la suppression de l’article 2, qui revient sur le principe d’un aménagement de la peine ab initio.

Encore une fois, les solutions de rechange à l’enfermement sont bénéfiques pour la lutte contre la récidive. Revenir sur le principe selon lequel le juge peut en prononcer revient aussi à s’attaquer à l’office du juge.

Mes chers collègues, la proposition de loi est sous-tendue par l’idée, fausse, qu’une peine aménagée serait une peine non exécutée. Le groupe GEST votera résolument contre ce texte, qui met à mal, une fois encore, notre État de droit et les principes fondamentaux de la justice.

M. le président. La parole est à M. Christophe Chaillou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Christophe Chaillou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme, déposée par notre collègue Loïc Kervran, s’inscrit dans une succession de propositions de loi à visée sécuritaire portées par la majorité sénatoriale et très souvent soutenues par le Gouvernement.

Ces textes marquent une évolution réellement préoccupante du débat public en matière pénale – allongement des durées de rétention, création de nouveaux délits, restrictions des aménagements de peine.

Souvent portées dans l’urgence ou sous l’effet de l’émotion, ces propositions de loi dessinent une politique de plus en plus tournée vers l’incarcération et la dissuasion, au risque d’affaiblir les principes fondamentaux de notre droit pénal et la capacité de notre système à prévenir durablement la récidive. Surtout, les moyens adaptés à la mise en œuvre de leurs mesures ne sont pas prévus, et ces textes sont donc, de fait, inapplicables.

La proposition de loi vise à répondre à un questionnement légitime et à une attente de nos concitoyens, ainsi que M. le ministre l’a indiqué. Chacun en convient, nous sommes tous attachés à l’application et à l’exécution plus systématiques des peines, notamment en matière correctionnelle.

Nous comprenons la logique du changement de paradigme que cela implique, mais celui-ci soulève de réelles interrogations légitimes, tant sur le fond que sur les conditions concrètes de sa mise en œuvre.

La proposition de loi tend à revenir sur les principes posés par les réformes conduites en 2014 et en 2019 par Mmes les ministres Taubira et Belloubet, qui avaient fait de l’aménagement des peines, notamment pour les plus courtes d’entre elles, une règle visant à renforcer la cohérence et l’efficacité de la réponse pénale.

L’article 1er traduit ce basculement en supprimant l’obligation d’aménagement ab initio des peines d’une durée inférieure ou égale à un an qui avait été introduite par la loi du 23 mars 2019. Il autorise les juridictions à aménager, sans plus aucune automaticité, les peines allant jusqu’à deux ans, à la condition que la personne condamnée présente certaines garanties de réinsertion.

Le texte abandonne ainsi l’automaticité d’une règle de droit au profit d’un mécanisme conditionnel, limitant d’autant la faculté du juge d’adapter la peine à la situation de la personne condamnée. Cette évolution soulève d’autant plus de réserves qu’elle permettrait, de fait, de réintroduire des peines de prison ferme inférieures à un mois, pourtant largement dénoncées pour leur inefficacité.

Les très courtes incarcérations, souvent exécutées dans des maisons d’arrêt surpeuplées, ne permettent ni accompagnement, ni suivi, ni préparation à la sortie. Elles entraînent au contraire une désocialisation brutale – perte d’emploi, de logement, de lien familial – et exposent à une probabilité accrue de récidive.

Ainsi, 62 % des personnes condamnées à des peines de moins de six mois récidivent dans les cinq ans qui suivent leur sortie de prison, contre 37 % pour des personnes condamnées à des peines plus longues.

L’exécution des courtes peines dans des conditions dégradées, sans qu’un travail de réinsertion puisse être engagé, va à rebours des objectifs proclamés de lisibilité et d’efficacité de la réponse pénale.

Le gouvernement d’Édouard Philippe avait lui-même validé ce constat dans la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, laquelle réaffirmait que la privation de liberté devait rester l’exception et les mesures de substitution la norme.

Le texte fragilise par ailleurs le principe constitutionnel d’individualisation des peines. En subordonnant toute mesure d’aménagement à une liste limitative de situations – emploi, obligations familiales, traitement médical, efforts de réinsertion –, l’article 2 restreint sensiblement la marge d’appréciation du juge. Ce dernier ne pourra donc plus adapter la peine à la trajectoire du condamné, même lorsque l’incarcération se révèlerait manifestement contre-productive.

La suppression, par l’article 3, de l’obligation pour le tribunal de motiver sa décision en se fondant sur un rapport socio-éducatif pour les peines inférieures à six mois, combinée à l’exclusion de toute mesure d’aménagement pour les récidivistes condamnés à des peines inférieures ou égales à un an constitue un très net durcissement. Elle rompt avec la philosophie d’un accompagnement individualisé et progressif vers la réinsertion, pourtant au cœur des politiques pénales.

En parallèle, nous nous interrogeons sur la soutenabilité opérationnelle de cette proposition de loi. Beaucoup l’ont signalé, ce texte risque d’aggraver une situation déjà critique. Au 1er mai 2025, on comptait 83 681 personnes détenues pour 62 570 places opérationnelles, soit une densité carcérale de 133,7 %, atteignant même 163,2 % en maison d’arrêt. Vingt-trois établissements dépassent les 200 % d’occupation et 5 234 détenus dorment sur un matelas au sol.

La surpopulation carcérale compromet gravement les conditions de détention, tout autant que la qualité du suivi pénitentiaire et la prévention de la récidive. Rappelons-le, la France a déjà été condamnée par la CEDH sur ce motif en 2023.

Nul besoin d’insister sur le contexte de ces derniers jours : la canicule frappe une population carcérale déjà confrontée à la surpopulation, à l’insalubrité et à l’inadaptation des infrastructures aux enjeux climatiques. La chaleur extrême aggrave des conditions de détention déjà dénoncées pour leur indignité.

Le plan canicule a certes été activé, avec des mesures ponctuelles de prévention et des transferts, mais il ne saurait compenser l’inadéquation structurelle de notre parc carcéral. La même situation se répète chaque été. Nous devrions donc être incités à agir avec beaucoup de prudence avant d’accroître le recours à l’enfermement en guise de réponse pénale.

Il convient d’ailleurs de rappeler que notre justice ne fait pas preuve de laxisme. Divers chiffres en témoignent. En particulier, le quantum moyen des peines d’emprisonnement ferme prononcées en 2023 a augmenté de 29 % par rapport à 2014, traduisant un durcissement progressif, déjà à l’œuvre, de la réponse pénale.

La mise en œuvre d’une peine ne saurait être réduite à son exécution immédiate. Elle suppose un équilibre entre sanction, accompagnement et perspective de réinsertion.

Or cette proposition de loi repose sur une vision très resserrée de l’exécution pénale, centrée sur la mise à exécution rapide et automatique des peines, sans que soient abordés les moyens humains, matériels et judiciaires nécessaires pour garantir une justice effective, durable et respectueuse des droits.

Enfin, ainsi que plusieurs de nos collègues l’ont déjà signalé, les peines d’emprisonnement de courte durée font l’objet de nombreuses interrogations. Trop souvent, elles prennent la forme d’une réponse standardisée et déconnectée des parcours des personnes condamnées. Leur impact réel sur la réinsertion demeure incertain.

Les auditions en cours de la mission d’information sur l’exécution des peines, à laquelle participent nos collègues Dominique Vérien, Elsa Schalck et Laurence Harribey, rappellent que les incarcérations de moins de six mois, lorsqu’elles ne sont ni préparées ni accompagnées, contribuent à l’illisibilité de la réponse pénale et nuisent à la prévention de la récidive.

En l’absence de cadre probatoire structuré, de telles peines risquent d’accroître la désocialisation plus qu’elles ne réaffirment la loi.

Il est donc permis de s’interroger sur l’opportunité de prendre de telles décisions sans une réforme d’ensemble, alors que les services d’insertion et de probation demeurent sous-dotés, que les moyens manquent pour assurer un suivi individualisé et que la cohérence du système d’aménagement reste fragilisée par les réformes successives.

À ce titre, l’efficacité réelle du dispositif reste à démontrer. En l’absence de substituts crédibles à la détention et de moyens nouveaux alloués à la chaîne pénale – services d’insertion et de probation ou administration pénitentiaire –, le renforcement mécanique du recours à l’incarcération risque de produire des effets contraires à ceux qui sont recherchés : engorgement des établissements, dégradation de l’accompagnement et récidive accrue.

La commission des lois du Sénat a souhaité, sur la proposition de M. le rapporteur, préciser le texte sur certains aspects, tout en en conservant l’orientation générale. Aussi, plusieurs amendements ont été adoptés sur l’initiative de M. Le Rudulier pour renforcer l’autonomie du juge et simplifier la procédure. Leurs dispositions vont dans le bon sens, car elles réduisent la lourdeur procédurale sans renoncer à la cohérence de la décision.

À l’inverse, certaines modifications appellent plus de réserves. Je pense aux articles 2 et 3, ainsi qu’aux suppressions réalisées dans les articles 4 et 6, qui ne convainquent pas mon groupe.

Au-delà du fond, se pose une question de méthode. Une telle réforme du régime d’exécution des peines aurait dû s’inscrire dans une vision d’ensemble, en étant accompagnée d’une étude d’impact, d’une évaluation des réformes passées et d’un avis du Conseil d’État. Le texte annoncé pour l’automne prochain pourrait être l’occasion de fournir ce cadre.

Dès lors, pourquoi isoler dès maintenant un pan aussi structurant de notre droit pénal dans un texte relevant d’une initiative parlementaire, sans les garanties classiques d’une réforme de fond passant par un projet de loi ?

Notre débat ne doit pas opposer, de manière caricaturale, fermeté et humanité. Il doit nous permettre de faire évoluer la politique pénale avec responsabilité, clarté et cohérence. Tel n’est pas l’esprit de cette proposition de loi.

Pour cette raison, les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne pourront approuver ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST, RDSE et RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pourrons-nous participer à notre fête nationale le 14 juillet prochain dans la paix civile ? Voilà ce que se demandent, inquiets, les jeunes filles, les parents, les personnes âgées et les propriétaires des commerces en ville.

La violence ordinaire, qui se déploie au point de devenir une conquête de territoire, est directement liée à l’absence de réponse pénale ferme. Environ 80 % des Français, selon l’institut CSA, jugent que la justice est trop laxiste dans notre pays. Si vous cherchez une majorité politique, monsieur le ministre, en voici une : la volonté populaire !

Les chiffres nous donnent des certitudes. Depuis les années 1990, les coups et blessures volontaires ont augmenté de 391 %, tandis que les enfermements ont crû de 31 % seulement. Parmi les condamnés à la rétention ferme, quatre sur dix n’entrent finalement pas en prison. De plus, selon l’Institut pour la justice, les juges prononcent des peines d’une durée en moyenne égale à 19 % des durées prévues dans le code pénal.

Pendant que les honnêtes gens subissent l’insécurité et que les forces de l’ordre risquent leur vie ou leur carrière pour rétablir l’ordre, les juges refusent de contribuer à l’apaisement par l’enfermement. Pourtant, une fois les délinquants français incarcérés et les délinquants étrangers expulsés, toute la société sera protégée.

L’exécutif a toute sa part de responsabilité dans cette situation. À peine un tiers des 15 000 places de prison promises par le Président de la République en 2017 ont été livrées à ce jour.

En outre, depuis quinze ans, les circulaires de la place Vendôme en faveur de l’aménagement des peines se sont succédé sans discontinuer, de Mme Dati à M. Dupond-Moretti. Sous leur direction, le juge d’application des peines est devenu un juge d’aménagement des peines. En l’absence de public et de contradictoire, ils défont les décisions de justice. L’aménagement de la peine est devenu la norme et la prison l’exception.

Le Conseil constitutionnel a aussi, par ses censures répétées, sa part de responsabilité dans cette situation déliquescente : loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, loi visant à renforcer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents… Toutes les initiatives, même timides, du législateur pour rétablir l’ordre et l’autorité se retrouvent entravées par cette juridiction autoproclamée aux prérogatives injustement illimitées.

À l’heure où le refus d’obtempérer est devenu un sport national – je devrais plutôt dire antinational – et alors que nous connaissons des guérillas les soirs de matchs de football et l’anarchie le soir de la fête de la musique, la République française perd du terrain et la France des pans entiers de son territoire.

Face à cette situation, nous devons recourir à la prison non pas en dernier, mais en premier recours. Les très courtes peines d’emprisonnement peuvent constituer une réponse face au sentiment d’impunité généralisée.

Qu’il faille investir la Guyane ou Saint-Pierre-et-Miquelon, peu importe ! Le bon sens impose qu’une peine de prison ferme soit prononcée et fermement appliquée dans un cadre fermé. Être obligé de voter une loi pour qu’une décision de justice soit appliquée est lunaire ! Devoir légiférer pour ce qui est une évidence aux yeux des Français montre à quel point notre système judiciaire est devenu hors sol.

Je conclurai par ces mots adressés au Conseil constitutionnel et à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) : l’emprisonnement est un principe d’humanité et de clémence pour le peuple et pour les honnêtes gens, car la paix civile, donc le bien-être des Français, en découle. La justice est rendue, dois-je le rappeler, au nom du peuple français.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claire Carrère-Gée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi a une visée simple et essentielle : rendre sa cohérence et son intelligibilité à la chaîne pénale, en assurant qu’une peine de prison de courte durée soit possible et qu’une peine prononcée soit comprise, donc exécutée.

La suppression du caractère quasi automatique de l’aménagement pour les peines de moins d’un an ab initio est salutaire. Une chose est sûre : en privant le magistrat de la possibilité de retenir une peine d’emprisonnement, fût-elle brève, l’autorité de la sanction pénale a été dévitalisée. L’individualisation de la peine ne doit pas être un slogan : la décision doit se prendre librement. Il en va de même du choix de l’incarcération, lorsque la situation le commande.

À cet effet, la présente proposition de loi vise à rétablir la pleine liberté du juge. La culture de l’aménagement systématique a entrainé une frustration légitime auprès des victimes, des forces de l’ordre et de l’ensemble des citoyens. Tous constatent l’écart croissant et inacceptable entre la sanction proclamée et sa mise en œuvre. Il faut mettre fin sans délai à cette contradiction, source d’un profond sentiment d’impuissance publique.

Cette proposition de loi permet au juge de rétablir la cohérence entre le délit, la peine et l’exécution. Comme de nombreux collègues l’ont déjà indiqué aujourd’hui, la dissuasion provient moins de la sévérité de la peine que de la certitude de voir celle-ci appliquée.

Nous avons ainsi récemment défendu la possibilité pour les juridictions pour mineurs de prononcer des peines courtes, et même ultracourtes, lorsque la gravité des faits et la personnalité du jeune l’exigent, non pour le plaisir d’incarcérer, mais pour fournir un outil de rupture, d’évaluation et d’orientation, voire de protection, dont on ne saurait se priver par principe.

Une courte peine, prononcée sans attendre, peut conduire à identifier des vulnérabilités majeures, psychologiques, sociales ou familiales, car seule une mesure immédiate de mise à l’écart ou de mise à l’abri permet parfois de les révéler.

Enfin, il faut l’affirmer sans faux-semblant : la sous-capacité de notre système carcéral est un problème majeur. Il est terrible de constater que l’on aménage les peines non par choix de justice, mais par contrainte d’espace, du fait du manque de mètres carrés. Il s’agit non pas d’une stratégie pénale, mais véritablement d’une résignation logistique. La situation est inacceptable.

Je compte sur vous, monsieur le ministre, pour mettre à profit vos responsabilités et accomplir des progrès décisifs dans l’ouverture de places de prison comme de centres éducatifs fermés pour les mineurs.

Pour ce faire, point besoin de majorité à l’Assemblée nationale ! Il faut une forte dose de détermination, de l’énergie et aussi du sens des responsabilités. En effet, même s’il est connu que les ministres de la justice ne tirent pas forcément avantage de leur engagement, compte tenu des délais de construction, il faut véritablement mettre ce dossier sur le haut de la pile.

Par ailleurs, je tiens à interroger le Gouvernement sur le seuil de deux ans qui a été retenu dans la proposition de loi pour rendre possible l’aménagement ab initio des peines. Ce chiffre me laisse perplexe. Ne pas tout bouleverser et en rester à un an ne serait-il pas plus judicieux ?

À vrai dire, l’immense majorité des peines de prison resterait susceptible d’être aménagée. Si l’aménagement demeurait quasi systématique, l’élévation du seuil à deux ans pourrait être perçue comme une manière de réaffirmer notre laxisme. Nous ferions du « super Belloubet », en quelque sorte ! De surcroît, comme l’ont souligné certains collègues, notamment M. le rapporteur, l’absence d’étude d’impact et d’évaluation nous chagrine quelque peu.

J’y insiste, j’aimerais connaître le point de vue du Gouvernement sur cette question, monsieur le ministre. Bien sûr, me répondrez-vous, ces deux ans ont déjà figuré dans notre droit par le passé, mais ce seuil d’aménagement des peines était alors accompagné de peines planchers, lesquelles ont depuis disparu.

Sous réserve de cette interrogation d’importance, je suis naturellement favorable à cette proposition de loi, qui sera votée par mon groupe. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Je tiens à adresser quelques mots à M. le ministre, tout en déplorant, quel que soit le plaisir de vous retrouver dans cette assemblée, monsieur Buffet, que le ministre au banc du Gouvernement ne soit pas celui qui est intervenu lors de la discussion générale.

Tout à l’heure, M. le ministre de la justice nous a indiqué qu’il s’en remettrait à la sagesse du Sénat sur l’ensemble cette proposition de loi. Par ailleurs, il a précisé qu’il préparait, conformément à son rôle, une réforme de plus grande ampleur sur l’exécution des sanctions et, de manière générale, des peines. Il n’a pas manqué de souligner aussi que le Sénat, jouant lui-même son rôle, rédigeait actuellement un rapport d’information sous la plume de Mmes Dominique Vérien, Elsa Schalck et Laurence Harribey.

Je dois reconnaître que la commission partage son opinion : cette proposition de loi tombe assez mal chronologiquement… Pourquoi diable alors le Gouvernement l’a-t-il inscrit à l’ordre du jour ?

M. Laurent Burgoa. Bonne question !

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. En effet, M. le rapporteur a bénéficié – ce terme est un peu inapproprié ! – de trois jours ouvrables pour travailler sur ce texte. À peine a-t-il été désigné qu’il lui fallait rendre son rapport… Tous les groupes ont eu la même difficulté à se pencher sur la rédaction.

Le Sénat se retrouve aujourd’hui avec une proposition de loi qui suscitera une très large adhésion – même si certains ne l’acceptent pas, chacun, en réalité, en comprend la philosophie –, mais, dans la mesure où la procédure accélérée n’a pas été engagée, il faut comprendre, en raison de la réforme annoncée par M. le ministre, que le parcours législatif du présent texte, malgré la décision du Sénat, n’aboutira jamais.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. C’est intéressant !

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. À la suite de la communication de M. le président, le Sénat a appris tout à l’heure une nouvelle modification de l’ordre du jour.

Notre temps est suffisamment compté pendant cette session extraordinaire pour que – permettez-moi de ne pas citer Beccaria comme tout le monde ! – la main droite du Gouvernement n’ignore pas ce que fait sa main gauche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

(Mme Anne Chain-Larché remplace M. Loïc Hervé au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Anne Chain-Larché

vice-présidente

Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme

Article 1er

Le code pénal est ainsi modifié :

1° L’article 132-19 est ainsi modifié :

a) La seconde phrase du premier alinéa est supprimée ;

b) Les deuxième à dernier alinéas sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque la juridiction de jugement prononce une peine inférieure ou égale à deux ans d’emprisonnement, elle peut décider, dans les conditions mentionnées à l’article 132-25, que cette peine fera l’objet de l’une des mesures d’aménagement prévues aux sous-sections 1 et 2 de la section 2 du présent chapitre. » ;

c et d) (Supprimés)

2° Après le mot : « loi », la fin de l’article 711-1 est ainsi rédigée : « n° … du … visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna. »

Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Par le présent amendement, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’oppose au rétablissement des courtes peines de prison.

Le « tout carcéral » promu dans cette loi est un non-sens total, en particulier dans les conditions de détention actuelles. Selon les chiffres donnés ce matin par le ministère de la justice, le nombre de détenus dans les prisons françaises au 1er juin dernier s’élevait à 84 447, pour 62 539 places opérationnelles. La densité carcérale globale est donc de 135 %, alors qu’elle était de 124 % au 1er mars 2024. Elle dépasse même les 200 % dans quinze établissements ou quartiers pénitentiaires.

Or les personnes incarcérées pour de courtes peines le sont dans des maisons d’arrêt, où la surpopulation est la plus critique.

Cette vision va également à rebours de toutes les études scientifiques démontrant que les courtes incarcérations sont inefficaces : 62 % des détenus condamnés à moins de six mois de prison récidivent dans les cinq ans. Cette politique est contre-productive.

Les courtes peines de prison désocialisent, fragilisant la situation des condamnés : perte d’emploi, de logement ou de liens familiaux. Elles alimentent en ce sens la machine à récidive.

Pour ces raisons, mon groupe propose la suppression de l’article 1er.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Madame la sénatrice, vous voulez supprimer l’article 1er. La majorité d’entre nous part du constat que le « bloc peine », issu de la réforme de 2019, a été l’un des facteurs de la surpopulation carcérale, que vous déplorez à juste titre. Revenir sur cette mesure permettrait justement d’éviter d’aggraver le phénomène.

En effet, si nous analysons bien les quanta, nous nous rendons compte que l’augmentation des peines prononcées depuis l’entrée en vigueur de la loi de programmation a été assez significative, conséquence directe du « bloc peine ». Certaines peines de plus de six mois mériteraient peut-être d’être ramenées en dessous de ce seuil, étant donné que le juge prononce des peines lourdes pour contourner le dispositif de 2019 et éviter ainsi d’éventuels aménagements. Cette situation est source de surpopulation carcérale.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de lintérieur. Madame la présidente de la commission des lois, j’ai bien entendu vos propos et je puis comprendre votre étonnement. Je ne manquerai pas de transmettre le message non pas au conseil des ministres – n’allons pas si loin ! –, mais au ministre chargé des relations avec le Parlement. Le Gouvernement veillera à ce que les choses se fassent dans l’ordre.

En ce qui concerne le présent amendement, mon avis se fondera sur la même justification que celle de M. le rapporteur.

À la tribune tout à l’heure, le garde des sceaux a annoncé qu’il lançait une réforme, absolument nécessaire, portant sur les peines – Dieu sait que nous attendons un texte en ce sens depuis longtemps ! –, sachant qu’une modification du code de procédure pénale est déjà engagée, à droit constant. La démarche du ministre est la bienvenue.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Je m’étonne que le Sénat valide le contournement par les juges de la loi de 2019 ! À partir du moment où le Parlement a décidé de ce dispositif, augmenter les peines pour refuser, en tout état de cause, leur aménagement me semble quelque peu pervers. Mais peut-être les moyens manquent-ils ?

Il n’est pas normal que ce constat soit votre argument principal, monsieur le rapporteur, pour refuser la suppression de l’article. Ma foi, je comprends que l’on rejette l’amendement en raison de divergences d’ordre philosophique, mais je ne puis certainement pas entendre une motivation fondée sur des contournements. Cette explication me paraît non recevable.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Peut-être me suis-je mal exprimé : le juge ne contourne pas la loi. Celle-ci est simplement mal faite !

Si, en fonction de la gravité des faits et de la personnalité de leur auteur, le juge estime qu’une peine d’emprisonnement ferme de trois ou de quatre mois est plus adaptée qu’un aménagement, alors rendons-lui, grâce à ce texte, la liberté de le décider ! À l’heure actuelle, il est dans l’impossibilité de le faire, d’où le fait non pas qu’il contourne la loi, mais qu’il prononce des peines plus fortes pour avoir la certitude que le justiciable ira directement en prison.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 3.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 4, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Cet amendement de Guy Benarroche et du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires vise à maintenir l’interdiction des peines de prison ferme inférieures à un mois, telle qu’elle est prévue à l’article 132-19 du code pénal.

L’emprisonnement de courte durée ne permet pas de mettre en place un suivi structuré des condamnés et la surpopulation carcérale actuelle réduit totalement leurs opportunités de travail, de formation et de soutien social. Les personnes détenues se retrouvent donc en situation de sortie sèche après leur libération, ce qui est le plus grave des facteurs de récidive et de retour vers l’environnement délinquant.

J’y insiste, une peine d’un mois exécutée en maison d’arrêt n’a aucun effet dissuasif ni éducatif. Elle ne permet ni suivi, ni accompagnement, ni préparation à la sortie. Ces peines très courtes sont contre-productives, coûteuses et ne favorisent en rien la réinsertion. Leur exécution dans des conditions dégradées – je pense à la surpopulation carcérale – renforce même les risques de récidive.

La courte peine de prison ferme va aussi à rebours du principe de l’individualisation de la sanction. Le Gouvernement avait lui-même validé ce constat dans la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, dans laquelle il était réaffirmé que la privation de liberté devait rester l’exception et les mesures alternatives la norme.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Entendons-nous bien : la commission vise non pas à rendre systématique l’application de courtes peines, mais à lever l’interdiction de prison ferme qui a été intégrée à la loi en 2019.

Je vous rejoins sur un autre point, madame la sénatrice : pour certaines personnes, les courtes peines peuvent être désocialisantes. Le constat est clair.

Par conséquent, il faut examiner le profil, la gravité des faits et le parcours de vie du justiciable : dans quel contexte la sanction intervient-elle ? Le juge de fond doit apprécier tous ces critères. Lui laisser la liberté de prononcer une peine de prison ferme de quinze jours ou de trois semaines, parce qu’il considère que cette sanction sera suffisante et que la réinsertion sera ensuite garantie, le justiciable ayant compris le message, me paraît utile.

Avant d’être ministre, vous étiez, monsieur Buffet, président de la commission des lois du Sénat. Je cite le rapport législatif sur la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, que vous aviez rendu : « Des condamnations à des peines d’emprisonnement effectives, courtes, intervenant plus tôt dans le parcours des délinquants, peuvent être efficaces si elles sont exécutées dans des établissements présentant un degré moindre de sécurisation et donc de coût. » Votre analyse de 2019 me semble toujours valable.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François-Noël Buffet, ministre. Sur le fond, je ne changerai pas un mot à la phrase de mon rapport ! (Sourires.)

Tel est l’état d’esprit du garde des sceaux : laisser au magistrat la liberté totale d’adapter la peine à la personne qui se trouve en face de lui. Une peine extrêmement courte, voire exécutée en semi-liberté, ne serait-ce que huit jours, peut être beaucoup plus efficace, selon le public concerné, qu’une peine de quatre mois ou de longue durée. Ne privons pas nos magistrats de cette possibilité !

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le ministre, vous ne devez pas ignorer la situation de la maison d’arrêt de Lyon-Corbas, qui se trouve dans la circonscription où nous avons été élus. La surpopulation y est telle que les personnes détenues restent presque un mois, au lieu de huit à dix jours, dans le quartier des arrivants. (M. le ministre acquiesce.)

Les condamnés à des peines d’emprisonnement de courte durée seraient envoyés là. Même si le juge devrait analyser le profil du justiciable et sa capacité à subir le choc de l’incarcération, ce dernier ne saurait être évité : il est vécu dès le quartier des arrivants. En effet, au lieu d’être seuls dans leur cellule, les condamnés s’y retrouvent à deux ou à trois.

Surtout, à Lyon-Corbas comme dans de nombreux centres de détention, les condamnés à des peines de moins d’un mois d’emprisonnement stationneraient dans ce quartier avant d’en ressortir illico. Voulez-vous d’une telle situation ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre. Sans vouloir m’exprimer sur des sujets qui excèdent mes prérogatives, permettre de courtes peines d’emprisonnement est une question de principe. Le magistrat en décidera avec une grande liberté.

Rendre possibles de telles peines se fera à une condition : la diversification des lieux privatifs de liberté. Le garde des sceaux en est parfaitement conscient. Il a annoncé il y a plusieurs semaines déjà cet objectif. Le Gouvernement développe une stratégie en ce sens, car il faut prendre la question dans sa globalité.

Cette manière de procéder me semble la bonne. Je l’affirme non pas pour des raisons circonstancielles, mais par conviction.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 4.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 2

L’article 132-25 du code pénal est ainsi rédigé :

« Art. 132-25. – Lorsque la juridiction de jugement prononce une peine inférieure ou égale à deux ans d’emprisonnement, elle peut décider que la peine sera exécutée en tout ou partie sous le régime de la détention à domicile sous surveillance électronique, de la semi-liberté ou du placement à l’extérieur, lorsque le condamné justifie :

« 1° Soit de l’exercice d’une activité professionnelle, même temporaire, du suivi d’un stage ou de son assiduité à une formation ou à la recherche d’un emploi ;

« 2° Soit de sa participation essentielle à la vie de sa famille ;

« 3° Soit de la nécessité de suivre un traitement médical ;

« 4° Soit de l’existence d’efforts sérieux de réadaptation sociale résultant de son implication durable dans tout autre projet caractérisé d’insertion ou de réinsertion de nature à prévenir les risques de récidive.

« Le présent article est également applicable aux peines d’emprisonnement partiellement assorties d’un sursis ou d’un sursis probatoire, lorsque la partie ferme de la peine est inférieure ou égale à deux ans.

« Dans les cas prévus au présent article, la juridiction de jugement peut ordonner le placement ou le maintien en détention du condamné dans les conditions prévues aux articles 397-4 et 465-1 du code de procédure pénale dès lors qu’elle assortit sa décision de l’exécution provisoire. Le juge de l’application des peines fixe les modalités d’exécution de la mesure dans un délai de cinq jours ouvrables, dans les conditions prévues à l’article 723-7-1 du même code. »

Mme la présidente. L’amendement n° 5, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Par cet amendement, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires vise à supprimer l’article 2. Celui-ci porte atteinte au principe de subsidiarité lors du prononcé d’une courte peine d’emprisonnement ferme, en limitant la possibilité d’avoir recours à un aménagement aux conditions mentionnées.

Par cet amendement, nous nous opposons à la vision démagogique selon laquelle les magistrats seraient laxistes. Nous demandons qu’ils puissent conserver leur libre arbitre lors de la décision de recours à un aménagement de peine. L’aménagement est non pas une atténuation de la peine ou une faveur faite aux personnes condamnées sous couvert de laxisme judiciaire ; c’est une autre modalité d’exécution de la peine.

Les substituts à l’incarcération sont plus efficaces en matière de réinsertion et de prévention de la récidive que les courtes peines d’emprisonnement. Même si un vent de contestation de la science souffle actuellement, plusieurs études ont montré que des mesures comme la détention à domicile sous surveillance électronique ou la semi-liberté réduisaient le risque de récidive.

Ainsi, une étude réalisée en 2017 par Anaïs Henneguelle et Benjamin Monnery a prouvé que le placement sous surveillance électronique, bien qu’il soit imparfait, réduit de 10 % à 12 % le risque de récidive dans les cinq ans. Les sanctions alternatives et les peines en milieu ouvert sont aussi jugées plus efficaces pour prévenir la réitération des infractions.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Cet article vise à réintroduire dans la loi les critères d’aménagement de peine qui étaient en vigueur avant 2019. Il n’a pas pour objet les aménagements ab initio.

Il me paraît tout à fait surprenant que quelqu’un qui ne fait pas l’effort de comparaître à son audience peut aujourd’hui bénéficier d’un aménagement de peine systématique. Il me semble également tout à fait regrettable que le juge de fond soit obligé de prononcer des aménagements de peine alors même qu’il est engorgé par les dossiers.

Il me semble que la césure temporelle entre la détermination de la culpabilité de l’individu, l’exécution de la peine et son éventuel aménagement peut être bénéfique. Le juge d’application des peines a cinq jours après la condamnation pour se prononcer sur l’aménagement : un choc carcéral d’une durée équivalente suffit parfois à faire comprendre à un individu qu’il ne doit pas récidiver.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François-Noël Buffet, ministre. Mon analyse est exactement la même. En outre, en l’absence d’étude d’impact, il est impossible de mesurer les conséquences d’une telle modification législative. Dans un domaine aussi sensible que celui de la sanction pénale, nous avons besoin de disposer d’un peu de recul.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 5.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 6, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L’article 132-25 du code pénal est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les trois occurrences des mots : « six mois » sont remplacées par les mots : « un an » ;

2° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :

a) Les mots : « six mois » sont remplacés par les mots : « un an » ;

b) Les mots : « un an » sont remplacés par les mots : « deux ans ».

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 mars 2019, de nombreux juristes ont souligné l’existence d’un décalage entre les mécanismes d’aménagement ab initio et post-sentenciel.

Actuellement, une peine de plus d’un an d’emprisonnement, mais de moins de deux ans, n’est pas aménageable directement par le tribunal correctionnel. En revanche, elle le devient dès l’entrée en détention, car le juge de l’application des peines peut accorder un aménagement pour les peines inférieures à deux ans. Cette situation multiplie les procédures inutiles et retarde l’aménagement et l’exécution des peines.

Cet amendement du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires vise donc à rehausser les seuils d’aménagement des peines d’emprisonnement ab initio, en les portant à un an pour un aménagement obligatoire et à deux ans pour un aménagement quasi obligatoire.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Sur le fond, vous allez, par cet amendement, totalement à l’encontre de l’article 1er que le Sénat vient d’adopter.

Au-delà, la commission est partie du constat du véritable échec du « bloc peine » de 2019 : les aménagements, rendus quasi systématiquement obligatoires pour les peines de moins d’un an, aggravent la surpopulation carcérale. Pourtant, vous souhaitez faire passer le seuil d’un an à deux ans !

L’effet sera le même. Peut-être sera-t-il même démultiplié : le juge souhaitera, tout compte fait, condamner un justiciable non pas à deux ans d’emprisonnement, mais à deux ans et un mois, pour s’assurer de l’exécution de la peine de prison ferme. L’adoption de cet amendement aurait donc un effet délétère sur la surpopulation carcérale ;

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François-Noël Buffet, ministre. Même avis.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 6.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par Mme Briante Guillemont, MM. Bilhac, Daubet, Fialaire, Grosvalet et Guiol, Mme Jouve, MM. Laouedj et Masset et Mme Pantel, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Remplacer le mot :

essentielle

par le mot :

utile

La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont.

Mme Sophie Briante Guillemont. L’alinéa 4 donne la possibilité au juge, lorsque celui-ci prononce des peines de prison inférieures ou égales à deux ans, d’aménager la peine, dès lors que le condamné justifie d’une participation « essentielle » à la vie de la famille. Ce terme nous semble trop restrictif. Nous proposons de le remplacer par « utile ».

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Au-delà du débat sémantique, ce terme a servi de référence aux magistrats de 2009 à 2019. Il donnait alors pleine satisfaction, le juge y trouvant une certaine liberté pour prononcer, ou non, l’aménagement de peine en fonction de la situation familiale de l’individu.

Par ailleurs, la Cour de cassation pourrait faire de votre amendement une interprétation différente ; les effets seraient alors contraires à votre intention.

Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François-Noël Buffet, ministre. Là encore, une analyse plus approfondie, singulièrement une étude d’impact, serait la bienvenue.

Il faudrait mesurer davantage les conséquences d’une telle modification. De prime abord, elle paraît sympathique, mais en réalité, elle ouvre complètement le dispositif avec tous les risques, d’effets de bord ou de changements de jurisprudence que cela entraîne, comme le soulignait M. le rapporteur.

Le Gouvernement émet donc également un avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par Mme Briante Guillemont, M. Fialaire, Mmes Pantel et Jouve et MM. Masset, Laouedj, Guiol, Daubet, Bilhac et Grosvalet, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Rédiger ainsi cet alinéa :

« 4° Soit de tout autre élément permettant d’apprécier ses efforts d’insertion ou de réinsertion.

La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont.

Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le ministre, nous aurions bien aimé disposer d’une étude d’impact sur l’ensemble du texte ! Il est peu incohérent de votre part de formuler une telle remarque…

L’amendement n° 1 rectifié a pour objet la liste des éléments permettant de justifier l’aménagement de peine. Dans la rédaction actuelle, les efforts de réadaptation doivent être « sérieux » et la réadaptation elle-même doit résulter « d’une implication durable dans un projet caractérisé d’insertion ou de réinsertion de nature à prévenir les risques de récidive ».

Cette formulation nous paraît là encore trop restrictive. Nous proposons une rédaction qui laisserait une plus grande marge de manœuvre aux magistrats.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Madame la sénatrice, la rédaction que vous proposez est imprécise. Elle encourt, selon moi, deux critiques.

Premièrement, elle ne respecte pas le principe constitutionnel de légalité : vous donnez aux juges une liberté excessive, qu’eux-mêmes ne revendiquent pas. Ils attendent au contraire de la part du législateur de la clarté et, surtout, de la stabilité.

Deuxièmement, le flou de votre formule risque malheureusement d’entraîner une inflation de recours et de pourvois à n’en plus finir, notamment auprès de la Cour de cassation : un condamné pourra toujours soutenir qu’il a donné à la juridiction des éléments qui, à ses yeux, sont totalement satisfaisants pour témoigner de ses efforts d’insertion ou de réinsertion.

Même si telle n’est pas votre volonté, je crains fort que l’adoption de votre amendement ne conduise à l’embolie des juridictions.

J’émets donc un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François-Noël Buffet, ministre. Même avis défavorable, madame la présidente.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.

(Larticle 2 est adopté.)

Article 3

I. – L’article 464-2 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Le I est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « un an » sont remplacés par les mots : « deux ans » et le mot : « doit » est remplacé par le mot : « peut » ;

a bis) (nouveau) Le 2° est ainsi rédigé :

« 2° Soit, s’il ne dispose pas des éléments lui permettant de se prononcer sur un aménagement de la peine au regard des critères mentionnés aux articles 132-19 et 132-25 du code pénal ou en cas de non-comparution du prévenu, ordonner que le condamné soit convoqué devant le juge de l’application des peines et le service pénitentiaire d’insertion et de probation conformément aux articles 474 et 723-15 du présent code, sans préjudice de la possibilité pour le juge de l’application des peines de décider d’une libération conditionnelle ou d’une conversion, d’un fractionnement ou d’une suspension de la peine ; »

b) À la première phrase du 3°, les mots : « , si l’emprisonnement est d’au moins six mois, » sont supprimés ;

c) Le dernier alinéa est ainsi rédigé :

« Le tribunal motive sa décision au regard des faits de l’espèce et de la personnalité de leur auteur ainsi que par référence aux justifications mentionnées à l’article 132-25 du code pénal. » ;

2° Le II est abrogé ;

3° À la fin du III, les mots : « un an » sont remplacés par les mots : « deux ans » ;

(Supprimé)

bis (nouveau). – À la première phrase du premier alinéa des articles 474 et 723-15 du code de procédure pénale, après le mot : « tribunal », sont insérés les mots : « a fait application du 2° du I de l’article 464-2 ou s’il ».

II. – (Non modifié) Le début du premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale est ainsi rédigé : « Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme, en Nouvelle-Calédonie… (le reste sans changement). »

Mme la présidente. L’amendement n° 8, présenté par M. Le Rudulier, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 12

Compléter cet alinéa par les mots :

et les mots : « I de l’article 464-2 » sont remplacés par les mots : « du même I »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François-Noël Buffet, ministre. Sagesse !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 8.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 3, modifié.

(Larticle 3 est adopté.)

Article 4

(Supprimé)

Article 3
Dossier législatif : proposition de loi visant à faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme
Article 5

Article 5

(Non modifié)

Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° L’article 465 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « et si la peine prononcée est au moins d’une année d’emprisonnement sans sursis » sont supprimés ;

b) Les deuxième et troisième alinéas sont supprimés ;

2° À la première phrase du premier alinéa de l’article 474, les deux occurrences des mots : « un an » sont remplacées par les mots : « deux ans » ;

3° Les II à IV de l’article 720 sont abrogés ;

4° Le premier alinéa de l’article 723-15 est ainsi modifié :

a) La première phrase est ainsi modifiée :

– les trois occurrences des mots : « un an » sont remplacées par les mots : « deux ans » ;

– les mots : « bénéficient, dans la mesure du possible et » sont remplacés par les mots : « peuvent bénéficier, » ;

b) La seconde phrase est supprimée – (Adopté.)

Article 6

(Supprimé)

Mme la présidente. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport concernant son impact sur la récidive et sur la surpopulation carcérale.

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. M. le ministre souhaite des études d’impact. Il devrait donc aller dans mon sens…

Puisque ce texte va à rebours de la déflation pénale et de la lutte contre la récidive, puisque l’administration pénitentiaire est aujourd’hui submergée par le flot continu des condamnés et que le coût économique très important des incarcérations de très courte durée devra être supporté par les Françaises et les Français, cet amendement du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires vise à rétablir l’article 6.

Nous souhaitons en effet que le Gouvernement remette au Parlement un rapport concernant l’impact de cette loi sur la récidive et sur la surpopulation carcérale.

Cela a été dit, 62 % des détenus condamnés à des peines de moins de six mois récidivent dans les cinq ans, contre 37 % pour des peines plus longues. Ces chiffres témoignent de l’échec de la politique du « tout carcéral » ou du « choc carcéral ». Parfaitement inefficace, celle-ci entraîne les personnes condamnées vers la poursuite des activités délinquantes, la prison étant un lieu hautement criminogène. Les personnes détenues pour de si courtes peines sont par ailleurs confortées dans leur identité de délinquants.

L’incarcération courte accroît ainsi tous les facteurs de délinquance. En tout état de cause, ce rapport confirmera ou non cette analyse.

Je rappelle également que le coût d’un détenu varie de 64 euros à 104 euros par jour de détention en fonction des établissements et que les peines alternatives, notamment les journées de semi-liberté, sont bien moins onéreuses.

Un changement dans la culture judiciaire et dans l’opinion publique est nécessaire pour que l’emprisonnement ne soit plus perçu comme la seule sanction de référence pour les petits délits.

Le rapport d’évaluation fera apparaître – ou non – l’inutilité et le non-sens de cette proposition de loi pour prévenir la récidive et lutter contre la délinquance.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. S’agissant d’une demande de rapport, l’avis de la commission sera défavorable.

Contrairement à ce que j’ai pu entendre, y compris sur les travées du groupe communiste, le texte que nous examinons ne relève pas du « tout carcéral » ! Il rend au juge sa liberté d’apprécier, selon le profil de l’individu et la gravité des faits, la peine qui lui paraît la plus adaptée à l’infraction.

Par ailleurs, plutôt que sur une demande de rapport, nous devrions nous concentrer sur les travaux qui sont en cours. La mission d’information du Sénat, qui rendra ses conclusions dans les meilleurs délais, mais aussi la réflexion que mène actuellement le garde des sceaux, apporteront de l’eau à notre moulin. Nous pourrons discuter d’un projet de loi, précédé d’une étude d’impact, et, ainsi, légiférer dans de meilleures conditions.

J’émets donc un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François-Noël Buffet, ministre. Je rejoins M. le rapporteur : des travaux sont en cours, y compris au Sénat. Le garde des sceaux travaille également au dépôt d’un texte à la rentrée.

En outre, madame la sénatrice, si votre groupe politique a envie d’aller plus loin, il dispose des moyens prévus par le règlement de la Haute Assemblée, comme la création d’une mission d’information ou d’une commission d’enquête. En la matière, le travail de contrôle du Parlement est en tout point utile.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cette demande de rapport.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le ministre, certes, les travaux sont en cours, mais c’est aujourd’hui que nous votons ! Il est tout de même assez incroyable d’entendre dire que l’impact sera mesuré a posteriori.

Vous affirmez que le « bloc peine » favorise la surpopulation. Il eût été intéressant de disposer rapidement d’une évaluation : dans la mesure où cette proposition de loi sera adoptée, les juges prononceront de nouveau des peines de trois semaines d’emprisonnement.

Ce cas n’est pas isolé : très souvent, vous renvoyez l’analyse des impacts à plus tard, alors que nous devrions délibérer et voter en connaissance de cause.

L’argument selon lequel des études sont en cours n’est pas recevable. Ou alors ne votons pas aujourd’hui, attendons de disposer de leurs conclusions !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre. Voilà quelques minutes, le Gouvernement a regretté, s’agissant d’une proposition de loi, l’absence d’étude d’impact.

C’est aussi la raison pour laquelle il émet un avis de sagesse, qui est tout de même, en réalité, un avis de sagesse « pas très favorable »… En effet, nous avons besoin de cette étude d’impact. (Mme Raymonde Poncet Monge sexclame.)

C’est toute la difficulté des propositions de loi : le Parlement prend parfois des décisions, alors même qu’il n’en mesure pas totalement les conséquences. Mais il s’agit là d’un autre débat. Ne prolongeons pas inutilement celui qui nous occupe présentement.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Mes chers collègues, puisqu’il y aura une seconde lecture, je vous propose d’en discuter à cette occasion. (Sourires.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 7 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l’article 6 demeure supprimé.

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Christophe Chaillou, pour explication de vote.

M. Christophe Chaillou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’avais certes indiqué que nous ne voterions pas ce texte, mais, plus le débat avance, plus je suis conforté dans notre position !

M. le ministre émet un avis de sagesse qui n’est pas favorable.

M. François-Noël Buffet, ministre. Pas « très » favorable !

M. Christophe Chaillou. Soit, pas très favorable !

Mme la présidente de la commission des lois souligne par ailleurs que le calendrier n’est pas vraiment le bon. Et l’on nous indique que de nombreuses études seraient nécessaires pour mesurer l’impact de ces dispositions !

Très honnêtement, dans ces conditions, nous n’aurons aucune difficulté à voter contre cette proposition de loi. Ce texte n’est pas mûr ; il n’est pas prêt. Il doit être documenté et débattu davantage.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont, pour explication de vote.

Mme Sophie Briante Guillemont. Je rejoins notre collègue : ce texte est assez révélateur de l’absurdité de nos conditions de travail actuelles.

J’aimerais donc savoir clairement quel est l’avis du Gouvernement : avis de sagesse ou avis de sagesse négatif, auquel cas la position de la majorité pourrait évoluer ?

Je rappelle que nous sommes en session extraordinaire.

Mme Sophie Briante Guillemont. C’est tout de même le Gouvernement qui, de ce fait, a inscrit ce texte à l’ordre du jour, en sachant pertinemment qu’il était issu de l’Assemblée nationale et que des travaux sont en cours au Sénat. Un peu de clarté serait bienvenue !

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Je souscris tout à fait aux deux dernières interventions. Il est tout de même assez incroyable que le Gouvernement multiplie l’inscription de propositions de loi en session extraordinaire pour masquer l’absence de projets de loi.

Nous opposer des études en cours qui pourront, le cas échéant, invalider notre jugement et de nous obliger, dans le même temps, à voter aujourd’hui en session extraordinaire – en un mot, de nous faire perdre notre temps (M. Christophe Chaillou acquiesce.) –, me semble vraiment représentatif de cette session parlementaire.

Monsieur le ministre, soumettez-nous des projets de loi. Nous en discuterons. Nous aurons des études d’impact. Mais de grâce, cessez de multiplier les propositions de loi ! Non seulement celle-ci a saturé la session ordinaire, mais elle se paye le luxe d’être inscrite à l’ordre du jour de la session extraordinaire.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre. L’avis du Gouvernement est clairement un avis de sagesse.

M. Michel Savin. De sagesse favorable ?…

M. François-Noël Buffet, ministre. Un avis de sagesse, c’est clair. Cela étant précisé, je me rassois à ma place. (Rires.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 334 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 305
Pour l’adoption 205
Contre 100

Le Sénat a adopté.

M. François-Noël Buffet, ministre. Bravo !

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Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer le parcours inclusif des enfants à besoins éducatifs particuliers n’est parvenue pas à l’adoption d’un texte commun.

En conséquence, la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur ce texte est retirée de l’ordre du jour du mercredi 9 juillet 2025.

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Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 2 juillet 2025 :

À quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures trente :

Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur (texte de la commission n° 800, 2024-2025) ;

Proposition de loi relative à la protection sociale complémentaire des agents publics territoriaux, présentée par Mme Isabelle Florennes et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 785, 2024-2025).

Le soir :

Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, sur la situation au Proche et Moyen-Orient.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-sept heures quarante-cinq.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER