Sommaire

Présidence de M. Alain Marc

1. Questions orales

numerus clausus de la formation à la profession d’orthophoniste

Question n° 656 de Mme Catherine Morin-Desailly. – Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et des personnes handicapées ; Mme Catherine Morin-Desailly.

critères d’identification des intercommunalités vulnérables en matière d’accès aux soins

Question n° 669 de M. Hervé Maurey. – Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et des personnes handicapées ; M. Hervé Maurey.

situation des praticiens à diplôme hors union européenne

Question n° 680 de Mme Marianne Margaté. – Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et des personnes handicapées ; Mme Marianne Margaté.

délais de traitement des demandes de retraite pour les français établis hors de france

Question n° 701 de M. Yan Chantrel. – Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et des personnes handicapées ; M. Yan Chantrel.

situation des mandataires judiciaires à la protection des majeurs exerçant à titre individuel

Question n° 742 de M. Hugues Saury. – Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et des personnes handicapées ; M. Hugues Saury.

présence d’hexane dans les denrées alimentaires

Question n° 732 de Mme Anne Souyris. – Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et des personnes handicapées.

projet de décret revenant sur le remboursement intégral des cures thermales

Question n° 734 de M. Jean-Claude Anglars. – Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et des personnes handicapées ; M. Jean-Claude Anglars.

risque de désertification pharmaceutique lié à la réforme des remises génériques

Question n° 757 de M. Christophe Chaillou. – Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et des personnes handicapées ; M. Christophe Chaillou.

pénurie de médicament repatha et traitement de l’hypercholestérolémie

Question n° 704 de M. Jean-François Longeot. – Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et des personnes handicapées ; M. Jean-François Longeot.

prise en charge des consultations bucco-dentaires des personnes en situation de handicap et mise en œuvre de la convention nationale des chirurgiens-dentistes 2023-2028

Question n° 676 de Mme Jocelyne Guidez. – Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et des personnes handicapées ; Mme Jocelyne Guidez.

instabilité de la politique publique française de rénovation énergétique et ses effets sur l’industrie nationale de l’isolation

Question n° 722 de M. Guislain Cambier. – M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement ; M. Guislain Cambier.

nécessité de l’entretien du viaduc de morlaix

Question n° 737 de M. Jean-Luc Fichet. – M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement ; M. Jean-Luc Fichet.

nécessité de simplifier la réglementation relative à l’entretien des cours d’eau par les communes

Question n° 690 de Mme Elsa Schalck. – M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué chargé de la transition écologique.

ventilation du « fonds friches »

Question n° 694 de M. Christian Redon-Sarrazy. – M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué chargé de la transition écologique ; M. Christian Redon-Sarrazy.

contenu du projet de décret relatif aux conditions d’exercice de la police résiduelle au titre de l’article l. 163-9 du code minier

Question n° 773 de M. Daniel Gremillet. – M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué chargé de la transition écologique ; M. Daniel Gremillet.

conditions de reconnaissance du permis de conduire ukrainien en france

Question n° 535 de M. Bernard Buis. – Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur ; M. Bernard Buis.

demande de reconnaissance en faveur des acteurs de la sécurité civile mobilisés au secours des audois durant les incendies de l’été 2025

Question n° 730 de M. Sebastien Pla. – Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur ; M. Sebastien Pla.

donner des outils aux polices municipales

Question n° 383 de Mme Nathalie Goulet. – Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur ; Mme Nathalie Goulet.

difficultés d’application des obligations légales de débroussaillement pour les communes forestières et conséquences pour la prévention des feux de forêt

Question n° 576 de M. Jean-Yves Roux. – Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur ; M. Jean-Yves Roux.

reconnaissance et financement des sapeurs-pompiers volontaires

Question n° 763 de Mme Dominique Estrosi Sassone. – Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur ; Mme Dominique Estrosi Sassone.

application des règles relatives aux élections complémentaires des conseils municipaux

Question n° 770 de M. Cédric Chevalier. – Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur ; M. Cédric Chevalier.

situation dans les prisons

Question n° 715 de M. Grégory Blanc. – Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur ; M. Grégory Blanc.

modification des règles d’indemnisation des agents territoriaux en arrêt maladie

Question n° 705 de M. Philippe Grosvalet. – M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l’industrie.

réforme de la perception de la taxe d’aménagement

Question n° 749 de M. Jean-Raymond Hugonet. – M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l’industrie ; M. Jean-Raymond Hugonet.

conséquences de la réforme de la taxe d’aménagement sur les finances des collectivités territoriales et sur le modèle économique des conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement

Question n° 731 de Mme Sylviane Noël. – M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l’industrie ; Mme Sylviane Noël.

difficultés de recouvrement de la taxe d’aménagement par les communes

Question n° 740 de M. Didier Rambaud. – M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l’industrie ; M. Didier Rambaud.

conséquence du dispositif de lissage conjoncturel en seine-maritime

Question n° 766 de Mme Céline Brulin. – M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l’industrie ; Mme Céline Brulin.

avenir du pacte dutreil à la lumière des recommandations de la cour des comptes

Question n° 653 de M. Cyril Pellevat. – M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l’industrie ; M. Cyril Pellevat.

avenir et financement de la politique agricole commune

Question n° 698 de M. Olivier Bitz. – Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de l’agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire.

renouvellement du certificat médical pour la pratique de la danse

Question n° 739 de Mme Pascale Gruny. – Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de l’agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire ; Mme Pascale Gruny.

panthéonisation de camille claudel

Question n° 599 de M. Lucien Stanzione. – Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de l’agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire.

absence de transparence sur l’avenir des financements alloués au programme « notre école, faisons-la ensemble »

Question n° 679 de M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. – M. Edouard Geffray, ministre de l’éducation nationale ; M. Jean-Marc Vayssouze-Faure.

participation des communes au financement de la scolarisation des élèves

Question n° 767 de Mme Annie Le Houerou. – M. Edouard Geffray, ministre de l’éducation nationale.

blocages administratifs et pénurie de main-d’œuvre agricole

Question n° 709 de M. Laurent Burgoa, en remplacement de Mme Christine Bonfanti-Dossat. – M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe ; M. Laurent Burgoa.

situation du réseau de l’enseignement français en espagne

Question n° 775 de Mme Évelyne Renaud-Garabedian. – M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe ; Mme Évelyne Renaud-Garabedian.

péréquation des ressources des communes, dotation de solidarité rurale

Question n° 646 de M. Patrick Chaize. – M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité ; M. Patrick Chaize.

paiement par le pétitionnaire de l’instruction des permis de construire

Question n° 672 de M. Laurent Burgoa. – M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité ; M. Laurent Burgoa.

constat d’insalubrité d’un logement et pouvoir de police du maire

Question n° 681 de Mme Laurence Garnier. – M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité ; Mme Laurence Garnier.

loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains et perception des droits de mutation

Question n° 717 de M. Max Brisson. – M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité ; M. Max Brisson.

nouvelles modalités de recensement de la voirie communale pour le calcul de la dotation de solidarité rurale

Question n° 729 de M. Jean-Michel Arnaud. – M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité ; M. Jean-Michel Arnaud.

arrêté de péril imminent

Question n° 771 de M. Bruno Rojouan. – M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité.

avenir des piscines municipales vétustes

Question n° 708 de M. Fabien Genet. – M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité ; M. Fabien Genet.

Suspension et reprise de la séance

2. Situation des finances publiques locales. – Débat sur un rapport remis en application de l’article 52 de la loi organique relative aux lois de finances

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances

Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

Débat interactif

Mme Mireille Jouve ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

M. Bernard Delcros ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation ; M. Bernard Delcros.

Mme Vanina Paoli-Gagin ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation ; Mme Vanina Paoli-Gagin.

M. Jean-Claude Anglars ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

M. Bernard Buis ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

Mme Isabelle Briquet ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

M. Pascal Savoldelli ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation ; M. Pascal Savoldelli.

Mme Ghislaine Senée ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation ; Mme Ghislaine Senée.

M. Hervé Maurey ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation ; M. Hervé Maurey.

Mme Marie-Carole Ciuntu ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation ; Mme Marie-Carole Ciuntu.

Mme Frédérique Espagnac ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation ; Mme Frédérique Espagnac.

M. Jean-Raymond Hugonet ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation ; M. Jean-Raymond Hugonet.

M. Simon Uzenat ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation ; M. Simon Uzenat.

Mme Christine Lavarde ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation ; Mme Christine Lavarde.

M. Stéphane Sautarel ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

M. Laurent Somon ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation ; M. Laurent Somon.

Conclusion du débat

M. Claude Raynal, président de la commission des finances

Suspension et reprise de la séance

3. Avenir de la décentralisation. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme Agnès Canayer, pour le groupe Les Républicains ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

Mme Annick Girardin ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

M. Daniel Fargeot ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation ; M. Daniel Fargeot.

Mme Marie-Pierre Bessin-Guérin ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

M. Jean-Claude Anglars ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

M. Jean-Baptiste Lemoyne ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

M. Pierre-Alain Roiron ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

Mme Céline Brulin

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet

Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation ; Mme Céline Brulin.

Mme Ghislaine Senée ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation ; Mme Ghislaine Senée.

M. Jean-François Longeot ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

M. Pascal Allizard ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation ; M. Pascal Allizard.

Mme Isabelle Briquet ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation ; Mme Isabelle Briquet.

M. Patrick Chaize ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation ; M. Patrick Chaize.

M. Simon Uzenat ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation ; M. Simon Uzenat.

M. Christian Klinger ; Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation ; M. Christian Klinger.

Conclusion du débat

Mme Françoise Gatel, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation

M. François Bonhomme, pour le groupe Les Républicains

4. Quelles réponses apporter à la crise du logement ? – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains ; M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement.

Mme Amel Gacquerre ; M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement ; Mme Amel Gacquerre.

M. Cyril Pellevat ; M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement ; M. Cyril Pellevat.

Mme Martine Berthet ; M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement ; Mme Martine Berthet.

M. Frédéric Buval ; M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement.

Mme Viviane Artigalas ; M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement ; Mme Viviane Artigalas.

M. Pascal Savoldelli ; M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement ; M. Pascal Savoldelli.

Mme Antoinette Guhl ; M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement ; Mme Antoinette Guhl.

Mme Mireille Jouve ; M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement.

M. Yves Bleunven ; M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement.

Mme Sabine Drexler ; M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement ; Mme Sabine Drexler.

M. Lucien Stanzione ; M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement ; M. Lucien Stanzione.

Mme Lauriane Josende ; M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement ; Mme Lauriane Josende.

M. Jean-Baptiste Blanc ; M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement.

Conclusion du débat

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement

M. Marc-Philippe Daubresse, pour le groupe Les Républicains

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

5. Fiscalité du travail, fiscalité du capital : quels équilibres ? – Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

M. Thierry Cozic, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État

Débat interactif

M. Emmanuel Capus ; M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État.

M. Jean-Baptiste Blanc ; M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État.

M. Bernard Buis ; M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État.

Mme Isabelle Briquet ; M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État ; Mme Isabelle Briquet.

M. Pascal Savoldelli ; M. David Amiel, ministre délégué auprès chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État ; M. Pascal Savoldelli.

M. Thomas Dossus ; M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État.

Mme Guylène Pantel ; M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État.

M. Vincent Delahaye ; M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État.

M. Guillaume Chevrollier ; M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État.

Mme Frédérique Espagnac ; M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État ; Mme Frédérique Espagnac.

Mme Nathalie Goulet ; M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État ; Mme Nathalie Goulet.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ ; M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État.

Mme Annie Le Houerou ; M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État.

Mme Frédérique Puissat ; M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État ; Mme Frédérique Puissat.

M. Olivier Rietmann ; M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État.

M. Jean Pierre Vogel ; M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État.

Conclusion du débat

M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

6. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Alain Marc

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Questions orales

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

numerus clausus de la formation à la profession d’orthophoniste

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, auteure de la question n° 656, adressée à Mme la ministre de la santé, des familles, de l’autonomie et des personnes handicapées.

Mme Catherine Morin-Desailly. Je souhaite interpeller Mme la ministre de la santé, chargée de l’accès aux soins, sur le numerus clausus de l’offre de formation initiale concernant la profession d’orthophoniste : il faut en effet répondre aux besoins spécifiques toujours croissants de nos enfants et de nos adolescents, mais aussi des adultes, en la matière.

Avec trente orthophonistes pour 100 000 habitants, la pénurie est particulièrement grave et quasi généralisée en France. De fait, les délais d’attente pour obtenir un rendez-vous auprès de ces spécialistes atteignent un, voire deux ans. Alors qu’en janvier 2023 le ministère de la santé a fait de l’augmentation du nombre de places en formation initiale une priorité, le numerus clausus stagne depuis plusieurs années : il se situe aujourd’hui à un niveau bien inférieur à celui qui conviendrait pour répondre aux besoins de notre territoire. Cette situation est aggravée par le manque de moyens alloués aux centres de formation.

Certaines collectivités, comme la région Normandie, dont je suis élue, mettent pourtant en œuvre, par le biais d’investissements dans les structures, une politique très volontariste permettant d’augmenter le nombre de professionnels formés sur leur territoire.

Ainsi, nous plaidons depuis plusieurs années pour que le numerus clausus s’appliquant aux étudiants admis en première année dans les centres de formation normands soit relevé de manière significative. Limité à trente-cinq places à Rouen et à Caen depuis quelques années, il est passé lors de la dernière rentrée scolaire à quarante places pour chacun des deux centres.

Bien qu’elle aille dans le bon sens, cette évolution est encore loin de répondre aux besoins du territoire, d’autant que ses effets positifs ne se feront sentir qu’à l’issue des cinq années de formation.

Puisque le nombre maximal d’étudiants pouvant être admis en première année d’études préparatoires au certificat de capacité d’orthophoniste est fixé chaque année par le ministère de la santé et le ministère de l’enseignement supérieur, et qu’en Normandie l’ensemble des données semblent justifier une augmentation significative du numerus clausus, je souhaite connaître les raisons d’un tel blocage.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre de la santé, des familles, de lautonomie et des personnes handicapées, chargée de lautonomie et des personnes handicapées. Madame la sénatrice, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Mme la ministre de la santé, qui m’a chargée de vous répondre sur ce sujet essentiel de l’accès aux soins d’orthophonie et de notre capacité à former davantage de professionnels.

Depuis quinze ans, le nombre d’orthophonistes en exercice a augmenté : il est passé de 19 000 à 25 000. Malgré cette hausse, l’accès aux soins reste difficile dans tous les territoires. De plus, il existe de fortes disparités de répartition territoriale, puisque 75 % des orthophonistes exercent en zone urbaine.

Le Gouvernement partage votre souhait de voir la situation s’améliorer, et c’est pourquoi il fait en sorte d’accroître le nombre de professionnels formés.

Pour la rentrée 2025, le nombre de places offertes sur Parcoursup au sein des centres de formation universitaire a dépassé les 1 000, soit une augmentation de 28 % en dix ans. Sur l’initiative d’Agnès Firmin Le Bodo, une proposition de loi a été adoptée par l’Assemblée nationale il y a quelques mois, afin de porter à 1 500 le nombre de personnes à former annuellement à l’horizon 2030.

Mon collègue Philippe Baptiste, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’espace, et moi-même visons ce même objectif. Aussi, nous soutenons pleinement votre démarche et renforçons la formation en mobilisant plusieurs leviers.

D’abord, nous ne fixons plus de quotas de formation depuis deux ans, pour laisser toute latitude aux acteurs de l’enseignement de définir le nombre de places offertes en fonction des besoins.

Ensuite, nous nous concertons avec certaines universités afin de créer de nouveaux centres de formation. À titre d’exemple, nous en ouvrirons un à La Réunion en 2026 : cela permettra de former des orthophonistes sur place et de répondre aux besoins locaux.

M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Enfin, le Gouvernement poursuit l’effort de création de postes universitaires dans la section 91 du Conseil national des universités des sciences de la rééducation et de la réadaptation.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la ministre, les quotas sont définis après consultation des agences régionales de santé. Dès lors que la Normandie a massivement investi dans le Ségur de la santé – c’est un cas unique en France – et dans l’enseignement supérieur, alors même que cette compétence n’est pas du ressort de la région, je demande que l’on débloque enfin la situation. Nos concitoyens viennent nous voir dans nos permanences, car ils sont désespérés : il n’est pas tolérable d’attendre aussi longtemps pour avoir accès à un orthophoniste, quand il s’agit de se rééduquer le plus rapidement possible.

critères d’identification des intercommunalités vulnérables en matière d’accès aux soins

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, auteur de la question n° 669, adressée à Mme la ministre de la santé, des familles, de l’autonomie et des personnes handicapées.

M. Hervé Maurey. Madame la ministre, le Gouvernement a publié le 27 juin 2025 la liste des 151 intercommunalités prioritaires qui accueilleront des médecins généralistes dans le cadre de la mission de solidarité territoriale obligatoire mise en place pour lutter contre les déserts médicaux.

L’Eure fait malheureusement partie des départements les moins bien dotés en médecins, au point que l’ancien ministre de la santé, Yannick Neuder, a lui-même clairement affirmé ici même, le 18 mai dernier, qu’« il ne serait pas crédible d’estimer que [ce territoire] n’est pas un désert médical ». Et pourtant, aucune intercommunalité du département ne figure dans la liste…

Cette situation ubuesque tient à l’absurdité des critères retenus : je pense notamment à la prise en compte du niveau de vie de la population. Le zonage adopté se trouve donc totalement en décalage avec la réalité des territoires.

Je souhaite tout simplement savoir, madame la ministre, si le Gouvernement compte revoir sa copie.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre de la santé, des familles, de lautonomie et des personnes handicapées, chargée de lautonomie et des personnes handicapées. Monsieur le sénateur, vous nous interrogez sur la mise en œuvre de la mesure de solidarité territoriale, qui vise à améliorer l’accès aux soins dans 151 zones rouges. Vous soulevez plus globalement la question de l’accès aux soins, particulièrement dans le département de l’Eure.

En avril dernier, le Gouvernement a lancé le pacte de lutte contre les déserts médicaux, lequel comporte ce dispositif de solidarité territoriale inédit : chaque médecin pourra exercer jusqu’à deux jours par mois dans une de ces zones prioritaires.

En juin, le ministère de la santé a identifié les 151 premières intercommunalités où s’appliquera cette mesure. Ces collectivités sont considérées comme particulièrement vulnérables au regard d’un certain nombre de critères objectifs comme la densité médicale, le niveau de vie et l’état de santé de la population.

Cette liste ne signifie pas que votre département n’est pas un désert médical ou n’a aucun besoin : c’est simplement que les collectivités euroises ne figurent pas dans la liste des 151 intercommunalités pour lesquelles les besoins sont les plus prégnants. Cela ne signifie pas non plus que l’Eure ne bénéficiera pas par la suite de cette mesure de solidarité.

J’ajoute que nous n’en sommes qu’au début du processus, puisque ce dispositif, fondé sur la base du volontariat, ne s’applique que depuis début septembre. Il s’agit encore de la phase pilote : les médecins commencent tout juste à exercer dans les intercommunalités concernées.

Le Premier ministre a par ailleurs annoncé le déploiement des maisons France Santé d’ici à 2027, ce qui doit contribuer à offrir à chaque Français une solution de santé à moins de trente minutes de chez lui et à lui faire obtenir un rendez-vous médical dans les quarante-huit heures. Pour accompagner le déploiement du réseau, le Gouvernement soutiendra chaque structure labellisée, existante ou nouvelle, à hauteur de 50 000 euros.

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour la réplique.

M. Hervé Maurey. Madame la ministre, comment pouvez-vous affirmer que certains territoires ont des besoins plus prégnants que l’Eure, sachant que cette collectivité figure, à mon grand regret, parmi les trois départements où la présence médicale est la plus faible ?

En réalité, le problème est que le Gouvernement a retenu des critères tout à fait ubuesques, comme le niveau de vie – quel lien cela-a-t-il avec l’accès aux soins ? – ou la distance par rapport à l’hôpital. Tout cela n’a vraiment aucun sens !

L’ancien ministre de la santé a lui-même reconnu qu’il y avait un problème. Or cette carte a été publiée, et, si je comprends bien votre réponse, il n’est pas envisagé de la modifier pour l’instant.

Vous avez évoqué les annonces du Premier ministre concernant les maisons France Santé : c’est effectivement une bonne chose. Mais à quoi cela sert-il de créer de telles structures s’il n’y a pas de médecins ? La situation est totalement bloquée depuis une vingtaine d’années, car les gouvernements successifs n’ont pas osé prendre les mesures courageuses qui s’imposent.

Je prends aujourd’hui le pari, hélas ! que les maisons France Santé ne régleront rien. J’y insiste : avoir des maisons sans médecin ne permettra pas de résoudre le problème.

situation des praticiens à diplôme hors union européenne

M. le président. La parole est à Mme Marianne Margaté, auteure de la question n° 680, adressée à Mme la ministre de la santé, des familles, de l’autonomie et des personnes handicapées.

Mme Marianne Margaté. Madame la ministre, j’attire votre attention sur la maltraitance institutionnelle que subissent les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue), notamment en Seine-et-Marne.

Notre pays, comme d’autres en Europe, externalise le coût de formation des médecins en important à bas coût une main-d’œuvre médicale qualifiée. En parallèle, il organise la pénurie par des dispositifs comme le numerus clausus et, à présent, le numerus apertus, afin de fragiliser les carrières, les salaires et notre service public hospitalier.

Dans ce cadre, les Padhue occupent souvent des postes précaires et sous-rémunérés, effectuent des gardes mal payées et vivent dans des conditions difficiles. Ils ne peuvent être titularisés rapidement en raison de procédures opaques et stigmatisantes, tandis que le renouvellement de leur titre de séjour demeure incertain.

Au 1er janvier 2024, selon le Conseil national de l’ordre des médecins, 17 619 Padhue exerçaient en France, soit 7,5 % des 237 300 médecins inscrits à l’ordre. En Seine-et-Marne, département où je suis élue, l’injustice est à son comble : le Trésor public réclame à cinquante de ces praticiens le remboursement de 2,7 millions d’euros de primes, pourtant partie intégrante de leur contrat de travail, qui ont été versées par le Grand Hôpital de l’Est francilien pour pallier la pénurie médicale.

Afin de mettre fin à cette situation ubuesque en Seine-et-Marne et, plus largement, d’assurer une régularisation systématique des Padhue exerçant depuis plusieurs années, notamment dans les départements en tension médicale comme le mien, je demande le déblocage de moyens dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre de la santé, des familles, de lautonomie et des personnes handicapées, chargée de lautonomie et des personnes handicapées. Madame la sénatrice, le Gouvernement est pleinement mobilisé pour favoriser l’accueil des Padhue. D’ailleurs, le choix a été fait d’augmenter significativement le nombre de lauréats admis au concours : 4 000 postes ont été ouverts pour 2024 ; 4 440 le sont pour 2025.

Le Gouvernement mène également une réflexion pour définir un statut plus précis des Padhue, et ce afin qu’ils ne se retrouvent pas en situation de précarité financière. Ainsi, la loi Valletoux de décembre 2023 a permis la création, d’une part, d’une attestation d’exercice provisoire pour accueillir ces professionnels en amont du concours et, d’autre part, du statut de praticien associé contractuel temporaire, lequel rend possible le recrutement des Padhue titulaires de l’attestation d’exercice.

Nous cherchons aussi à simplifier les conditions d’accueil. Pour la première fois cette année, le concours comportera une voie interne simplifiée, consacrée à l’évaluation des connaissances des Padhue déjà en poste dans nos établissements. La ministre de la santé souhaite en outre la transformation de ce concours en examen, disposition qui a été déjà votée par le Sénat en mai 2025 dans le cadre de la proposition de loi de M. Mouiller visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires. Le Gouvernement espère que ce texte sera prochainement inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Enfin, nous entendons améliorer l’accompagnement des Padhue durant le parcours de consolidation des compétences qui suit la réussite au concours : dorénavant, l’inscription à l’université sera systématique et un suivi sera assuré par le coordonnateur de la spécialité concernée.

Ces praticiens apportent une contribution précieuse à l’accès aux soins dans notre pays, notamment dans les territoires les plus isolés, raison pour laquelle nous mettons tout en œuvre pour renforcer leur intégration.

M. le président. La parole est à Mme Marianne Margaté, pour la réplique.

Mme Marianne Margaté. Madame la ministre, je vous remercie de ces précisions, tant sur l’activité que les Padhue exercent dans notre pays que sur leur régularisation. J’espère que l’application de ces mesures sera la plus rapide possible et que Gouvernement aura bien pris la mesure des besoins.

J’insiste sur la situation du Grand Hôpital de l’Est francilien. Ce dossier révèle la misère de l’hôpital public et l’exploitation dont ont été victimes les Padhue concernés. Ceux-ci doivent rembourser les 30 000 à 100 000 euros réclamés par le Trésor public, tout en n’en percevant que 1 100 par mois… Cette situation est inacceptable et le Gouvernement ne peut pas s’en laver les mains.

délais de traitement des demandes de retraite pour les français établis hors de france

M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, auteur de la question n° 701, transmise à M. le ministre du travail et des solidarités.

M. Yan Chantrel. Madame la ministre, je souhaite interpeller le Gouvernement sur une inégalité de traitement. Elle concerne l’activation des droits à la retraite de nos compatriotes établis à l’étranger.

Pour leur permettre de jouir de leurs droits acquis en France et dans leur État de résidence, notre pays a signé de nombreuses conventions internationales. Malgré ces textes, une injustice majeure persiste : celle des délais pour pouvoir bénéficier de sa pension de source française.

Concrètement, nos compatriotes doivent en général activer leurs droits à la retraite dans l’État où ils vivent six mois avant qu’elle soit effective. Le pays de résidence met en moyenne un à trois mois pour traiter cette demande, puis la transmet à la France. Dès lors, il faut compter vingt-quatre mois – vous avez bien entendu, madame la ministre : vingt-quatre mois ! – à réception de la demande pour que le versement de la pension de retraite se concrétise.

Cette attente inadmissible plonge une partie de nos compatriotes dans la précarité. Durant cette longue période, ils sont bien souvent contraints de maintenir leur activité professionnelle, sans que ces mois supplémentaires de travail ouvrent de nouveaux droits à la retraite.

La longueur des délais d’attente résulte de la charge globale de travail qui pèse sur les services de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav), laquelle ne peut évidemment pas compter sur des moyens supplémentaires. L’efficacité du service public est essentielle pour tous nos compatriotes, où qu’ils résident. Il est primordial d’agir rapidement et d’accorder les financements nécessaires pour garantir à nos concitoyens le respect de leurs droits et une retraite sereine.

Madame la ministre, quelles mesures concrètes comptez-vous prendre pour réduire significativement les délais de traitement des demandes de retraite de nos compatriotes établis hors de France ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre de la santé, des familles, de lautonomie et des personnes handicapées, chargée de lautonomie et des personnes handicapées. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser Jean-Pierre Farandou, qui aurait souhaité pouvoir vous répondre, mais qui est retenu aujourd’hui pour le lancement, en présence des partenaires sociaux, de la conférence sur le travail et les retraites, conformément aux engagements pris par le Premier ministre.

Le régime général œuvre bien à la réduction des délais de traitement des dossiers de demande de pension impliquant un mécanisme de coordination. Je pense aux règlements européens ou aux conventions bilatérales, que l’assuré demeure à l’étranger ou en France.

La stratégie de la branche retraite, formalisée par la convention d’objectifs et de gestion 2023-2027, vise à améliorer les délais de traitement de l’ensemble des demandes des assurés. Un objectif concerne plus spécifiquement les assurés résidant à l’étranger : 75 % de leurs demandes devront être traitées en moins de 120 jours d’ici à 2027.

Cette ambition globale se décline en cibles annuelles qui font l’objet d’un suivi régulier par la direction de la sécurité sociale, en lien avec la Caisse nationale d’assurance vieillesse. L’assurance retraite s’organise donc pour atteindre ses objectifs et résoudre les difficultés que vous soulignez. Le déstockage des dossiers se poursuit : 35 000 dossiers ont ainsi été déstockés fin septembre 2025, ce qui correspond à l’objectif assigné.

Par ailleurs, les spécificités mêmes de ces dossiers peuvent contribuer à l’allongement de la durée de traitement. C’est pourquoi une réflexion comportant une dimension internationale a été lancée pour automatiser certaines tâches, et ce afin de réduire plus particulièrement les délais de traitement des demandes de pension des Français établis hors de France. Dans le même objectif, des actions ont été entreprises par la Cnav pour améliorer la qualité des échanges.

M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, pour la réplique.

M. Yan Chantrel. Madame la ministre, la Cnav s’est effectivement vu fixer l’objectif que vous venez de mentionner, mais elle manque cruellement de personnel. L’enjeu est donc avant tout de lui allouer des moyens supplémentaires.

situation des mandataires judiciaires à la protection des majeurs exerçant à titre individuel

M. le président. La parole est à M. Hugues Saury, auteur de la question n° 742, adressée à M. le ministre du travail et des solidarités.

M. Hugues Saury. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur la situation préoccupante des mandataires judiciaires à la protection des majeurs exerçant à titre individuel.

En France, 800 000 mesures de protection juridique sont recensées. Si la moitié est assurée par les familles, environ 160 000 sur les 400 000 restantes, soit 40 %, le sont par 2 300 mandataires indépendants. Ces professionnels, qui accompagnent chaque jour des personnes vulnérables, jouent un rôle essentiel pour la préservation de leurs droits et dans la lutte contre leur isolement social.

Toutefois, leur charge de travail augmente, tandis que leur rémunération est gelée depuis plus de dix ans. Aussi, la Fédération nationale des mandataires judiciaires indépendants à la protection des majeurs demande, à juste titre, la réindexation de cette rémunération sur le Smic et l’allocation aux adultes handicapés, comme c’était le cas avant 2014.

Au-delà de cette revalorisation nécessaire, un autre point mérite d’être examiné en urgence : l’absence totale de dispositif de remplacement en cas d’indisponibilité temporaire de ces mandataires, en raison d’un congé maternité, d’un accident ou d’une maladie. Cette lacune crée un grave risque de rupture dans la prise en charge des personnes protégées.

En réponse à la question d’un député, l’ancienne ministre du travail et des solidarités précisait, le 8 mai dernier : « Des travaux sont envisagés […] en vue de réformer le financement du secteur […], quel que soit le mode d’exercice, et ce afin que la rémunération de la mesure soit plus adaptée à la charge effective de travail effectuée. »

Madame la ministre, où en sont ces travaux ? Quelles mesures concrètes le Gouvernement envisage-t-il, d’une part, pour revaloriser le travail de ces professionnels, d’autre part, pour garantir un remplacement temporaire en cas d’absence ? Il s’agit d’assurer une protection continue des majeurs concernés.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre de la santé, des familles, de lautonomie et des personnes handicapées, chargée de lautonomie et des personnes handicapées. Monsieur le sénateur, vous soulignez l’importance des mandataires judiciaires à la protection des majeurs. Leur rôle est en effet fondamental pour garantir la protection juridique de nos concitoyens les plus vulnérables – il s’agit des personnes âgées, des personnes en situation de handicap, malades ou en grande précarité –, dont les droits doivent être préservés avec rigueur et humanité.

Le Gouvernement reconnaît l’engagement de ces professionnels et la nécessité de leur offrir des conditions d’exercice à la hauteur des responsabilités qui leur incombent. Chaque année, près de 10 000 mandataires assurent plus de 530 000 mesures de protection.

Pour ce qui concerne la question spécifique de la rémunération des mandataires exerçant à titre individuel, le Gouvernement est évidemment conscient des attentes. Comme vous l’avez indiqué, des réflexions sont en cours. Celles-ci devraient aboutir d’ici à la fin de l’année : elles permettront de mieux évaluer la charge de travail liée aux mesures de protection, ainsi que le modèle économique des mandataires individuels comme des services de mandataires.

Toute évolution de la tarification devra s’inscrire dans une approche globale, équilibrée et soutenable, conciliant reconnaissance du travail accompli et viabilité du dispositif à moyen terme. En effet, le nombre de personnes à protéger dans les années à venir, compte tenu du vieillissement de la population, va nécessairement progresser de manière significative, ce qui aura des conséquences budgétaires non négligeables.

Enfin, comme vous le soulignez, le cadre juridique actuel n’offre pas la possibilité de remplacer ces mandataires en cas d’indisponibilité. Déposée à l’Assemblée nationale, la proposition de loi visant à moderniser et à simplifier la protection juridique des majeurs comporte un article 4, qui a précisément pour objet cette problématique. Soyez assuré, monsieur le sénateur, que le Gouvernement suivra de près les futurs débats législatifs.

M. le président. La parole est à M. Hugues Saury, pour la réplique.

M. Hugues Saury. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Toutefois, les mandataires judiciaires exerçant à titre individuel attendent des engagements concrets et un calendrier clair, et ce depuis un certain temps. Leur rôle auprès des personnes les plus fragiles mérite une reconnaissance réelle, à la hauteur de la mission d’intérêt public qu’ils exercent. Sans mesures rapides sur la revalorisation et le remplacement temporaire, la continuité même de la protection des majeurs est menacée.

présence d’hexane dans les denrées alimentaires

M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, auteure de la question n° 732, adressée à Mme la ministre de la santé, des familles, de l’autonomie et des personnes handicapées.

Mme Anne Souyris. Et si je vous disais qu’il y a de l’essence et, plus spécifiquement, de l’hexane – un solvant dérivé de l’industrie pétrochimique – dans vos assiettes ? C’est ce que Guillaume Coudray, dans son ouvrage sorti le 18 septembre dernier, puis Greenpeace, au travers d’une enquête, ont récemment dévoilé au grand public.

Utilisé pour séparer les matières grasses des plantes oléagineuses, l’hexane, comme l’a démontré l’étude de Greenpeace, se retrouve dans les huiles de colza et de tournesol, dans le poulet et même dans le lait infantile ! Pas moins de 64 % de nos assiettes sont contaminées. Pourtant, l’hexane est identifié comme neurotoxique ; il est également classé comme substance cancérogène par l’Agence européenne des produits chimiques. Sa présence dans la nourriture n’est pas pour autant notifiée, l’hexane n’étant pas reconnu comme ingrédient alimentaire.

Les limites maximales de résidus, définies en 1996 à l’échelon européen, ont été définies en tenant compte d’informations communiquées par les industriels eux-mêmes. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) a récemment reconnu l’insuffisance de ses propres données. Par conséquent, ces limites maximales ne protègent pas suffisamment contre les risques sanitaires…

Nous observons également des défaillances réglementaires au niveau national. De fait, il n’existe toujours pas de valeur toxicologique de référence concernant l’ingestion d’hexane. Plutôt qu’à un nouveau scandale, nous faisons surtout face à la nécessité de construire une politique de santé environnementale ambitieuse. Cela n’est pas nouveau ! L’hexane est le symptôme d’un système malade, dans lequel la santé humaine et la Terre sont toutes deux contaminées.

Aussi, madame la ministre, qu’attendez-vous pour saisir la Commission européenne, faire établir une valeur toxicologique de référence, offrir une meilleure information aux consommateurs, transparente et protectrice pour tous et, le cas échéant, interdire rapidement l’hexane, comme le demande Greenpeace ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre de la santé, des familles, de lautonomie et des personnes handicapées, chargée de lautonomie et des personnes handicapées. Madame la sénatrice, ma collègue Stéphanie Rist, ministre de la santé, me charge de vous indiquer que les services de son ministère sont pleinement mobilisés sur ce sujet et qu’ils œuvrent de concert avec le ministère de l’agriculture, de l’agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire.

Le Gouvernement est attentif à cette question depuis plusieurs années, car elle touche à la santé publique. Comme vous l’avez signalé, l’hexane est un solvant, qui peut avoir des effets nocifs sur la santé : troubles neurologiques, effets sur la fertilité, etc.

Dans l’agroalimentaire, cette substance sert à extraire les huiles végétales. Son usage est autorisé par la réglementation européenne, puisque les résidus d’hexane dans les aliments sont strictement limités par une directive. En réalité, ce sont d’abord les industriels qui sont responsables de la sécurité des aliments qu’ils fabriquent et vendent. Telle est la règle fixée dans le paquet Hygiène de l’Union européenne.

En 2013, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) s’est penchée sur les dangers liés à l’inhalation d’hexane. En revanche, il n’existe pas encore d’évaluation officielle des dangers liés à son ingestion.

En 2024, l’Autorité européenne de sécurité des aliments a estimé qu’il fallait procéder à un réexamen de cette question. Cette année, la Commission européenne a donc demandé une nouvelle expertise, ce qui a conduit l’AESA à lancer un appel à données : l’autorité demande à tous les acteurs concernés de transmettre leurs informations, qu’elles soient publiées ou non. Cet appel restera ouvert jusqu’au 12 décembre 2025. Nous suivrons de près ces travaux, en lien avec la ministre de l’agriculture, pour nous tenir informés.

projet de décret revenant sur le remboursement intégral des cures thermales

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars, auteur de la question n° 734, adressée à Mme la ministre de la santé, des familles, de l’autonomie et des personnes handicapées.

M. Jean-Claude Anglars. Madame la ministre, dans le cadre du plan d’économies présenté par l’ancien Premier ministre en juillet 2025, une mesure spécifique prévoit la baisse de la prise en charge des cures thermales. Un projet de décret vise à mettre fin au remboursement intégral de ces cures pour les patients atteints d’une affection de longue durée (ALD).

Ce décret, s’il était publié, limiterait la prise en charge du coût de la cure à hauteur de 65 %, et ce à compter du 1er février 2026. Une telle mesure aurait des conséquences catastrophiques pour le secteur thermal en imposant un reste à charge d’environ 200 euros par cure aux patients les plus vulnérables, déjà confrontés à des pathologies chroniques. Il s’agit d’une atteinte grave à une médecine préventive reconnue.

Cette décision est d’autant plus incompréhensible que les cures thermales ne représentent que 0,1 % du budget de l’assurance maladie – leur coût annuel est de 350 millions d’euros –, alors que leur bénéfice pour la santé est incontestable.

Le thermalisme représente près de 25 000 emplois et génère 4,5 milliards d’euros de retombées économiques chaque année. Ce projet est donc une menace pour l’équilibre économique des stations thermales et de territoires entiers sur lesquels elles rayonnent, la plupart du temps situés en ruralité, souvent en zone fragile.

À Cransac-les-Thermes, en Aveyron, l’établissement thermal accueille en moyenne 4 000 curistes par an, principalement pour des pathologies chroniques. Il emploie trente-six salariés permanents, auxquels s’ajoutent plus de quinze saisonniers. Le projet de réduction du remboursement dont il est question risquerait de mettre en péril cette activité essentielle pour l’économie locale et l’emploi dans la région.

Madame la ministre, pouvez-vous préciser quelle position le Gouvernement compte adopter sur ce projet de décret ? Afin de préserver l’accès aux soins et la vitalité des stations thermales, envisagez-vous de maintenir le remboursement intégral des cures thermales pour les patients en affection de longue durée (ALD) ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre de la santé, des familles, de lautonomie et des personnes handicapées, chargée de lautonomie et des personnes handicapées. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur le projet de décret tendant à revenir sur le remboursement intégral des cures thermales pour les patients en affection de longue durée.

Pour rappel, la France est l’un des derniers pays de l’OCDE à rembourser ces cures thermales. Compte tenu des contraintes qui pèsent sur la sécurité sociale et du dérapage des dépenses que l’on observe cette année, le Gouvernement s’interroge sur la pertinence de maintenir pleinement ce financement public.

Je tiens également à souligner que la Cour des comptes a préconisé un déremboursement des cures thermales, en insistant sur l’absence d’évaluation scientifique démontrant leur efficacité.

Néanmoins, ce que nous prévoyons n’est pas un déremboursement. Nous proposons deux mesures : un alignement du niveau de prise en charge des cures pour les patients en ALD, aujourd’hui de 100 %, sur celui des autres patients, c’est-à-dire 65 % ; une réduction du taux de prise en charge par l’assurance maladie des forfaits thermaux pour l’ensemble des patients en l’abaissant de 65 % à 15 %. Ces deux dispositions permettraient une économie de 200 millions d’euros pour nos comptes sociaux.

Je tiens à le répéter : il s’agit non pas d’un déremboursement, mais bien d’une révision du niveau de prise en charge. Le reste des dépenses pourront être prises en charge par les complémentaires santé, comme c’est aujourd’hui le cas pour les patients hors ALD.

Enfin, à l’occasion de cette réflexion, s’ouvre également le débat sur la vitalité économique des territoires thermaux : ils doivent pouvoir être accompagnés par la force publique pour continuer de faire du thermalisme un relais économique des territoires.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars, pour la réplique.

M. Jean-Claude Anglars. Madame la ministre, votre réponse n’est pas totalement satisfaisante. J’invite le Gouvernement à évaluer les conséquences budgétaires de cette économie de court terme pour l’assurance maladie. Je vous invite également à revenir en Aveyron pour comprendre la situation et en discuter avec les acteurs de Cransac-les-Thermes.

risque de désertification pharmaceutique lié à la réforme des remises génériques

M. le président. La parole est à M. Christophe Chaillou, auteur de la question n° 757, adressée à Mme la ministre de la santé, des familles, de l’autonomie et des personnes handicapées.

M. Christophe Chaillou. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur le dispositif de réduction des remises commerciales accordées aux pharmaciens sur les médicaments génériques.

L’arrêté du 4 août 2025 avait prévu une diminution progressive du plafond de ces remises, passant de 40 % à 30 % dès le 1er septembre 2025, puis à 25 % en 2026 et à 20 % en 2027.

Cette mesure, vivement contestée par la profession, menaçait directement l’équilibre économique de nombreuses officines, en particulier dans les territoires ruraux et périurbains. Je peux en témoigner, étant élu du département du Loiret et, à ce titre, sollicité – comme tous les parlementaires du département – par de nombreux maires et élus locaux.

Selon les syndicats professionnels, les ristournes consenties par les laboratoires représentent jusqu’à 30 % de l’excédent brut d’exploitation des pharmacies et leur réduction brutale aurait pu entraîner la fermeture de 3 000 à 4 000 officines sur le territoire national.

Face à la très large mobilisation, le Gouvernement a publié, le 7 octobre dernier, un nouvel arrêté suspendant pour trois mois la baisse des remises commerciales, rétablissant ainsi à titre provisoire le plafond de 40 %. Si cette décision constitue un premier pas bienvenu, elle ne saurait suffire : une reprise de la diminution à compter du 1er janvier 2026, même différée, fragiliserait de nouveau les structures et compromettrait l’accès aux soins de proximité pour de nombreux habitants.

Compte tenu de ces éléments, le Gouvernement entend-il transformer cette suspension temporaire en mesure pérenne afin de garantir la stabilité économique des officines, de préserver la présence pharmaceutique dans les territoires et de maintenir la dynamique de promotion des médicaments génériques, essentielle à la soutenabilité de notre système de santé ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre de la santé, des familles, de lautonomie et des personnes handicapées, chargée de lautonomie et des personnes handicapées. Monsieur le sénateur Chaillou, vous interrogez Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, sur la suspension de l’arrêté du 4 août 2025 relatif à la baisse du plafond de remise sur les génériques et, plus globalement, sur la préservation de notre réseau de pharmacies, car c’est bien le cœur du sujet.

Fin septembre, le Premier ministre s’est engagé à suspendre pour une durée minimale de trois mois l’application de l’arrêté – j’insiste bien sur le fait qu’il s’agit d’une durée minimale de trois mois.

En parallèle, le chef du Gouvernement s’est engagé auprès des pharmaciens à poursuivre le déploiement des nouvelles missions de santé publique qui leur sont confiées ; il leur a également annoncé le lancement d’une mission d’inspection sur les flux financiers de la chaîne de distribution du médicament, sur lesquels il faut plus de transparence.

Les conclusions de la mission, qui a démarré ses travaux, permettront d’alimenter le dialogue avec la profession sur l’évolution des compétences des pharmaciens et de leur modèle économique.

Si la mission venait à être prolongée, un nouvel arrêté serait pris : la ministre de la santé s’y engage.

Nous proposons également d’autres mesures de soutien à la profession dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 en défendant le développement des médicaments biosimilaires et en permettant la création d’une officine dans les communes de moins de 2 500 habitants où la dernière pharmacie a récemment fermé.

Vous pouvez enfin compter sur la détermination de la ministre de la santé pour mettre en œuvre la réforme du troisième cycle des études de pharmacie et renforcer l’attractivité de la profession.

Le Gouvernement maintiendra un dialogue constructif et soutenu avec les pharmaciens.

M. le président. La parole est à M. Christophe Chaillou, pour la réplique.

M. Christophe Chaillou. Madame la ministre, je vous remercie de ces éléments de réponse.

Nous demeurerons extrêmement vigilants sur les différents points que vous venez d’évoquer, même si subsistent plusieurs interrogations concernant, d’une part, les nouvelles missions d’inspection et, d’autre part, certaines propositions ou solutions qui paraissent parfois peu adaptées à la réalité des territoires.

Ce que chacun constate, c’est la nécessité de maintenir des pharmacies de proximité. Nos concitoyens en dépendent fortement et, dans le contexte actuel, cet ancrage territorial constitue un facteur essentiel de cohésion nationale.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Christophe Chaillou. Je ne doute pas que Mme la ministre Rist portera une attention toute particulière à ces différents aspects.

pénurie de médicament repatha et traitement de l’hypercholestérolémie

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, auteur de la question n° 704, adressée à Mme la ministre de la santé, des familles, de l’autonomie et des personnes handicapées.

M. Jean-François Longeot. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur les conséquences pour les patients de la pénurie actuelle des médicaments Repatha et Praluent, prescrits dans la prise en charge de l’hypercholestérolémie et de certaines pathologies cardiovasculaires sévères.

De nombreux malades se trouvent aujourd’hui dans l’impossibilité de poursuivre leur traitement en raison de l’absence de ce produit dans les pharmacies françaises. Cette situation crée une grande inquiétude et met en péril la continuité des soins, comme en témoignent les appels à l’aide de patients directement concernés.

Face à ces difficultés, plusieurs questions se posent.

Quelles mesures le Gouvernement entend-il mettre en place pour garantir un approvisionnement rapide et sécurisé en Repatha et en médicaments essentiels en cas de pénurie ?

Existe-t-il des alternatives thérapeutiques disponibles et reconnues, pouvant être proposées en substitution ?

Les patients sont-ils contraints, en dernier recours, comme c’est le cas dans le département du Doubs, de se rendre en Suisse ou à l’étranger pour se procurer ce traitement vital et, si oui, dans quelles conditions peuvent-ils bénéficier d’un remboursement ?

Enfin, quelles actions sont envisagées pour prévenir durablement la réapparition de telles pénuries de médicaments en France ?

Je vous remercie de bien vouloir préciser les dispositifs mis en œuvre pour répondre à l’urgence et sécuriser l’accès des patients à leur traitement.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre de la santé, des familles, de lautonomie et des personnes handicapées, chargée de lautonomie et des personnes handicapées. Monsieur le sénateur Longeot, Stéphanie Rist, ministre de la santé, m’a chargée de vous transmettre la réponse suivante.

Votre question porte sur un sujet qui nous concerne depuis plusieurs mois : la pénurie de certains médicaments de la classe des anti-PCSK9. Ces médicaments sont utilisés pour traiter certaines formes d’hypercholestérolémie et des maladies cardiovasculaires graves.

La tension d’approvisionnement touche deux médicaments : le Repatha et le Praluent.

La situation s’est toutefois améliorée depuis le printemps dernier. Cette amélioration résulte d’actions menées par le Gouvernement et par les autorités sanitaires. Nous avons échangé avec tous les acteurs concernés pour trouver des solutions. Dans plus de 80 % des cas, il existe une alternative efficace, disponible et remboursée.

Pour les 20 % de patients restants, l’État suit la situation de très près. Une négociation avec les industriels a ainsi eu lieu cet été. Elle a permis d’obtenir environ 20 % de produits supplémentaires d’ici à la fin de l’année.

Deux raisons principales expliquent la pénurie : la production mondiale est insuffisante pour couvrir les besoins de tous les patients ; les industriels ont réduit les volumes destinés à la France, malgré un accord passé auparavant. Ce choix économique n’est pas acceptable. D’autres pays sont concernés par des décisions similaires.

Nous travaillons donc à un nouvel accord pour sécuriser les approvisionnements. Nous espérons aussi disposer prochainement d’alternatives thérapeutiques pour traiter l’ensemble des patients.

Enfin, la prise en charge par l’assurance maladie est possible pour les patients qui se procurent ces traitements à l’étranger, mais elle se fait selon les règles françaises : mêmes conditions de prescription et de remboursement au tarif français, ce qui peut occasionner un reste à charge.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour la réplique.

M. Jean-François Longeot. Madame la ministre, votre réponse va dans le bon sens, mais plusieurs interrogations demeurent.

Pour le Praluent, des ruptures d’approvisionnement sont survenues et l’on a alors eu recours au Repatha, pour lequel on rencontre désormais les mêmes difficultés.

Si les informations qui me sont rapportées se confirment, les pays voisins du département du Doubs, notamment la Suisse, semblent mieux approvisionnés que la France. La raison en serait simple : le prix de ce médicament atteindrait 770 francs en Suisse, contre 250 euros en France. Les laboratoires, qui se moquent quelque peu du monde, privilégieraient donc le marché suisse, au détriment des soins que nous devons apporter à nos concitoyens.

prise en charge des consultations bucco-dentaires des personnes en situation de handicap et mise en œuvre de la convention nationale des chirurgiens-dentistes 2023-2028

M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, auteure de la question n° 676, adressée à Mme la ministre de la santé, des familles, de l’autonomie et des personnes handicapées.

Mme Jocelyne Guidez. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur les conditions de mise en œuvre des dispositions de la convention nationale des chirurgiens-dentistes libéraux 2023-2028, notamment en ce qui concerne les soins bucco-dentaires des personnes en situation de handicap sévère.

Cette convention a été signée le 21 juillet 2023 par l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam), l’Union nationale des organismes complémentaires d’assurance maladie (Unocam) et les deux syndicats représentatifs des chirurgiens-dentistes libéraux.

Outre son ambition préventive, elle comporte un axe dédié à l’amélioration de l’accès aux soins pour les publics les plus fragiles, parmi lesquels les personnes en situation de handicap. À ce titre, elle prévoit notamment la création d’un nouvel acte remboursé de « séance d’habituation », destiné à permettre aux patients porteurs d’un handicap ou anxieux d’être progressivement familiarisés à l’environnement du cabinet dentaire, en amont des soins.

Elle prévoit également la valorisation de bilans bucco-dentaires spécifiques à l’entrée en établissement médico-social, ainsi que des actes hors les murs pour les praticiens se déplaçant dans ces structures.

Ces dispositions font écho aux préconisations de la Haute Autorité de santé (HAS), qui recommande un suivi régulier pour les personnes dont l’état de santé ou le handicap rend difficile l’expression de la douleur ou la coopération aux soins. Or, dans les faits, certaines structures spécialisées limitent actuellement les consultations à une périodicité de deux ans, même lorsque le besoin d’un suivi renforcé est identifié. Les familles concernées doivent alors solliciter une prescription médicale intermédiaire pour pouvoir accéder à une consultation pourtant recommandée.

Où en est-on de la mise en œuvre des dispositions de la convention nationale des chirurgiens-dentistes libéraux relatives aux séances d’habituation et aux soins spécifiques aux personnes en situation de handicap ? Quelles consignes et modalités de suivi ont été données aux structures et aux caisses d’assurance maladie pour garantir leur effectivité sur l’ensemble du territoire, notamment dans les centres dentaires spécialisés ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre de la santé, des familles, de lautonomie et des personnes handicapées, chargée de lautonomie et des personnes handicapées. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre engagement sur cet enjeu majeur de l’accès aux soins des personnes en situation de handicap, qui est encore parfois très difficile, comme vous le soulignez. Effectivement, de trop nombreux patients finissent par renoncer à des soins bucco-dentaires, pourtant essentiels à leur santé.

Vous l’avez rappelé, en 2023, les représentants des chirurgiens-dentistes et l’assurance maladie ont signé une convention pour cinq ans.

Parmi les objectifs prioritaires de cette convention figure l’amélioration de la prise en charge des personnes en situation de handicap, à travers notamment la valorisation des actes effectués par les chirurgiens-dentistes « hors les murs » et la création d’une séance dite d’habituation, qui facilite la réalisation de soins ultérieurs.

Depuis sa signature, les caisses primaires d’assurance maladie accompagnent la mise en œuvre de cette convention, dans le cadre d’un dialogue continu avec les représentants de la profession. Les campagnes de communication, les webinaires et les visites individuelles des chirurgiens-dentistes par les délégués de l’assurance maladie ont permis de faire connaître ces nouveaux dispositifs.

En mai dernier, j’ai lancé avec Yannick Neuder, ancien ministre de la santé, une mission sur la santé des personnes en situation de handicap. Celle-ci nous rendra ses conclusions dans les prochains mois, voire dans les prochaines semaines, ce qui nous permettra de repérer comment améliorer l’accessibilité de notre système de santé et de mieux garantir un accès aux soins sans rupture.

Une multitude d’expériences menées sur le territoire national en matière d’accès à la santé bucco-dentaire sont également efficaces. Elles méritent d’être soulignées et d’essaimer.

La ministre de la santé, Stéphanie Rist, et moi-même serons attentives aux conclusions de cette mission et poursuivrons notre action pour lever les barrières qui empêchent l’accès aux soins.

Le prochain comité interministériel du handicap portera d’ailleurs sur la question de l’accès à la santé des personnes en situation de handicap.

M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour la réplique.

Mme Jocelyne Guidez. J’attends avec impatience les conclusions de cette mission, car nous ne sommes pas au rendez-vous des besoins bucco-dentaires pour les personnes handicapées.

instabilité de la politique publique française de rénovation énergétique et ses effets sur l’industrie nationale de l’isolation

M. le président. La parole est à M. Guislain Cambier, auteur de la question n° 722, transmise à M. le ministre de la ville et du logement.

M. Guislain Cambier. Monsieur le ministre, nous sommes nombreux à nous interroger sur la cohérence et la stabilité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, notamment concernant le rôle de l’isolation.

La publication du décret du 8 septembre dernier concernant MaPrimeRénov’ prévoit la suppression de l’aide relative au geste d’isolation des murs – par l’intérieur et l’extérieur – dans le parcours par geste, suppression effective au 1er janvier 2026.

Pourtant, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) évalue les déperditions thermiques par les murs à 25 %. Cette décision est intervenue contre l’avis du Conseil national de l’habitat (CNH), qui a estimé la mesure contraire au principe d’efficacité énergétique durable. L’isolation des murs représentait près de 20 % des dossiers MaPrimeRénov’ au premier semestre 2025.

Le message économique est préoccupant. Le stop and go des aides publiques, avec notamment une reprise timide du parcours prévu pour les rénovations d’ampleur jusqu’à la fin de l’année, met en péril de nombreux artisans et entreprises et menace l’emploi industriel en France.

Le message politique est, lui, dangereux. En décrédibilisant l’isolation au profit d’une stratégie d’électrification massive, vous ne réduisez pas les fractures et les factures énergétiques des ménages et vous pérennisez des logements insalubres.

Pour le particulier comme pour les professionnels, cette exclusion s’ajoute au manque de lisibilité et de stabilité à long terme des dispositifs d’aide.

Monsieur le ministre, pouvez-vous clarifier votre vision de la rénovation énergétique en France ? Quelles mesures immédiates seront-elles prises pour revenir sur le décret du 8 septembre 2025 et réintégrer l’isolation des murs dans le dispositif MaPrimeRénov’ ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Cambier, je comprends le besoin de stabilité et de visibilité éprouvé par l’ensemble des acteurs économiques de la rénovation énergétique. Le stop and go que nous avons subi cette année a de lourdes conséquences et ne doit en aucun cas se reproduire. Il faudra donc clarifier la méthode.

Vous évoquez la question de l’électrification. Pour vous répondre à ce sujet, je serai – et je vous prie de m’en excuser – un peu technique : la modification du coefficient de conversion de l’énergie finale en énergie primaire pour l’électricité dans le diagnostic de performance énergétique (DPE) était nécessaire. Autrement dit, il eût été incohérent, alors que nous avons la chance de disposer d’une production électrique décarbonée, de ne pas renforcer le vecteur électrique dans le calcul du DPE. En bref, l’utilisation de radiateurs électriques en France n’a pas la même portée sur le climat et sur les enjeux liés au carbone que dans d’autres pays ; il fallait donc revaloriser ce coefficient.

La réouverture du guichet pour les rénovations d’ampleur au début du mois d’octobre 2025 s’accompagne de nouvelles modalités d’accès visant à mieux cibler les aides sur les logements présentant les besoins les plus importants. Cette réouverture a d’ailleurs connu un réel succès, puisque 6 000 dossiers ont été déposés dès les tout premiers jours. Nous constatons donc une attente forte de la part de nos concitoyens et des ménages français.

Notre action s’est concentrée d’abord sur les logements les plus énergivores – les passoires thermiques – et sur les gestes les plus efficaces pour décarboner tout en réalisant des économies d’énergie. Enfin, les plafonds pour les travaux ont été ajustés au plus près des besoins de la profession.

L’isolation des murs, de fait, n’est pas totalement exclue, puisqu’elle doit simplement être prise en compte dans le cadre d’une rénovation d’ampleur, c’est-à-dire d’un projet global concernant le logement. Mais il est vrai qu’elle ne figure plus dans le parcours par geste comme par le passé, du moins pour le moment, c’est-à-dire durant cette période de deux mois qui a été rouverte.

La discussion sera remise au goût du jour pour l’année 2026. Je ne peux pas vous faire d’annonce aujourd’hui, mais nous menons des discussions avec les représentants de l’Agence nationale de l’habitat (Anah) – je les ai d’ailleurs rencontrés hier matin. Tout cela répond à un impératif à la fois d’efficacité des politiques publiques et d’efficience en termes d’accompagnement des ménages.

Enfin, le Gouvernement confirme son engagement en faveur de la rénovation énergétique des logements.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre. Nous maintiendrons bien évidemment les moyens consacrés à l’Anah à un niveau élevé. Ainsi, en 2026, nous ferons le maximum pour atteindre nos objectifs et soutenir l’industrie.

M. le président. La parole est à M. Guislain Cambier, pour la réplique.

M. Guislain Cambier. J’ai bien relevé que les mesures envisagées ne revêtent qu’un caractère temporaire, avant une nouvelle discussion sur le processus que vous pourriez engager afin d’aboutir à une rénovation aussi cohérente que possible.

La meilleure énergie demeure bien entendu celle que l’on ne consomme pas. Mieux vaut donc isoler que produire, qu’il s’agisse d’une énergie carbonée ou non – mais il est tout de même préférable qu’elle ne le soit pas…

Je prends donc bonne note de votre réponse et reste à votre disposition pour évoquer la suite, étant également administrateur de l’Anah.

nécessité de l’entretien du viaduc de morlaix

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, auteur de la question n° 737, adressée à M. le ministre des transports.

M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur l’état du viaduc ferroviaire de Morlaix, ouvrage emblématique du Finistère, inscrit à l’inventaire des monuments historiques depuis 1975 et propriété de SNCF Réseau. Ce monument, véritable symbole de la « cité du viaduc », souffre aujourd’hui d’un encrassement manifeste – pollution, mousses, salissures – qui altère fortement l’image du centre-ville et dégrade la valeur patrimoniale de ce site majeur de Bretagne.

Si la responsabilité de SNCF Réseau en matière de sécurité et de maintenance structurelle ne fait aucun doute, l’entreprise estime ne pas être tenue d’assurer l’entretien esthétique de l’ouvrage, dont le dernier nettoyage remonte à 1989. La ville de Morlaix s’est pourtant dite prête à assumer la maîtrise d’ouvrage déléguée pour un nettoyage, mais les discussions restent dans l’impasse.

Monsieur le ministre, ma question est simple : au regard de l’article L. 621-29-1 du code du patrimoine, quelles sont les obligations exactes de SNCF Réseau en tant que propriétaire d’un monument historique inscrit ? Peut-on lui imposer légalement un nettoyage ou un ravalement lorsque l’apparence du monument est manifestement dégradée et porte atteinte à sa valeur patrimoniale, ainsi qu’à la perception du public ?

Au regard des dégradations constatées très inquiétantes – salissures, effritements de pierre de taille –, l’État compte-t-il demander à SNCF Réseau de nettoyer et de vérifier l’entièreté du système de l’ouvrage dont il est le propriétaire, ainsi que la sécurité de l’édifice, y compris pour les passants du centre-ville de Morlaix ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Fichet, je vous prie tout d’abord d’excuser mon collègue Philippe Tabarot, qui ne pouvait être présent aujourd’hui et qui m’a demandé de vous apporter quelques éléments de réponse.

Le viaduc ferroviaire de Morlaix est un ouvrage d’art ferroviaire en maçonnerie construit au milieu du XIXe siècle. Il supporte les voies de la ligne de Paris-Montparnasse à Brest, franchit la rivière de Morlaix et donne accès à la gare nationale de Morlaix. Comme vous l’avez indiqué, il est inscrit au titre des monuments historiques depuis 1975.

À la demande de la mairie de Morlaix, SNCF Réseau a mené, sur ses fonds propres, des études pour chiffrer un nettoyage de l’ouvrage, dont le montant a été évalué à environ 600 000 euros.

SNCF Réseau ne dispose pas d’enveloppes financières spécifiques pour traiter l’aspect esthétique de l’ensemble de son patrimoine architectural ou historique.

Ainsi, il est à noter que l’inscription d’un ouvrage ou d’un bâtiment au titre des monuments historiques n’impose en aucune manière à son propriétaire des travaux de traitement esthétique à l’opposé des travaux de sécurisation pour éviter des chutes de parties de l’ouvrage, par exemple. Il n’y a donc pas d’obligation légale pour SNCF Réseau de financer des travaux de nettoyage d’un ouvrage classé aux monuments historiques.

Cependant, les services de l’État comme ceux de SNCF Réseau pourront faciliter la réalisation de ces travaux de nettoyage, notamment pour boucler le financement de l’opération, en confiant, par exemple, la maîtrise d’ouvrage des travaux à la mairie de Morlaix dans le respect des conditions de sécurité des accès et d’intervention dans les emprises ferroviaires.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour la réplique.

M. Jean-Luc Fichet. Ma question portait également sur l’état général du viaduc. Chacun sait qu’un ouvrage de cette nature, lorsqu’il ne fait pas l’objet d’un entretien régulier et de diagnostics périodiques, se dégrade inexorablement. Lorsqu’il devient nécessaire d’engager des réparations, il est souvent trop tard et les investissements requis s’avèrent alors considérables.

L’exemple du pont de Taulé l’illustre parfaitement : ce pont ferroviaire, construit par Eiffel, ne peut aujourd’hui plus être réparé faute d’entretien suffisant.

Il me paraît donc indispensable que SNCF Réseau intervienne rapidement et massivement sur le viaduc de Morlaix.

nécessité de simplifier la réglementation relative à l’entretien des cours d’eau par les communes

M. le président. La parole est à Mme Elsa Schalck, auteure de la question n° 690, adressée à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité et des négociations internationales sur le climat et la nature.

Mme Elsa Schalck. Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur la réglementation concernant l’entretien des cours d’eau, qui pose beaucoup de difficultés à de nombreuses communes. Nous le savons, leur entretien régulier est un facteur de réduction de la gravité des crues. Les enjeux sont donc majeurs en termes de sécurité.

Face au changement climatique, la prévention des inondations fait partie des défis auxquels les communes sont et seront de plus en plus confrontées. La responsabilité de la collectivité et des maires peut être engagée. Une mission d’information a été conduite ici même, au Sénat, en 2024, sur le défi de l’adaptation des territoires face aux inondations. Le constat est implacable : les remontées de terrain font état d’une complexité administrative excessive, notamment dans la mise en œuvre d’actions de prévention des inondations et dans la gestion des cours d’eau.

Pour remplir leurs obligations, les élus doivent respecter, dans ce domaine, comme dans bien d’autres malheureusement, des prescriptions très nombreuses, voire trop nombreuses. Différents régimes juridiques coexistent en fonction de l’ampleur de l’entretien et des normes environnementales applicables. Cette complexité administrative n’invite pas à l’action : elle bride les élus, qui craignent parfois de commettre une infraction et de faire l’objet de poursuites.

Or, face à un événement climatique, les maires se retrouvent bien souvent seuls et en première ligne ; la réglementation, là encore, ne doit pas être un frein et un facteur d’empêchement.

Au vu de ce constat et face à la nécessité de faire évoluer les choses, ma question est simple : comment comptez-vous accompagner davantage les élus qui réclament à la fois une meilleure information, un conseil éclairé et, surtout, des mesures de simplification en la matière ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, de la biodiversité et des négociations internationales sur le climat et la nature, chargé de la transition écologique. Madame la sénatrice, vous avez raison de le rappeler : les communes sont évidemment en première ligne, notamment dans la gestion des inondations.

La réglementation impose aux riverains l’entretien régulier des cours d’eau pour maintenir leur équilibre, permettre l’écoulement naturel des eaux et contribuer à leur bon état écologique. Cet entretien n’est pas soumis à une procédure au titre de la loi sur l’eau.

Au-delà de cet entretien, l’État encadre, par une procédure d’autorisation ou de déclaration, les interventions plus lourdes afin de limiter la perturbation du milieu et les impacts négatifs potentiels pour les tiers.

Pour ce qui concerne les collectivités compétentes en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, celles-ci peuvent mener des opérations groupées d’entretien des cours d’eau. Cette faculté a notamment été mise en place en cas de déficit d’entretien, qui aurait conduit à un besoin de rattrapage, afin de permettre des interventions à l’échelle du bassin versant.

Vous avez évoqué la nécessité de procéder à des simplifications. Le ministère de la transition écologique y est évidemment tout à fait prêt.

Il dispose, depuis la fin de l’année 2024, d’une feuille de route pour clarifier et simplifier la réglementation applicable.

Est notamment prévue la publication d’un guide pédagogique sur l’entretien des cours d’eau, qui visera à préciser ce qu’est l’entretien non soumis à la réglementation et ce qui n’en relève pas. Un groupe de travail avec les parties prenantes réfléchit actuellement à l’élaboration de ce guide. Je m’engage, madame la sénatrice, à ce que vous puissiez en faire partie si tel n’est pas déjà le cas et à ce que ce document puisse être produit le plus rapidement possible.

Enfin, le Gouvernement a proposé, dans le cadre de la proposition de loi visant à soutenir les collectivités territoriales dans la prévention et la gestion des inondations, déposée par MM. les sénateurs Jean-François Rapin et Jean-Yves Roux et que le Sénat a adoptée, d’intégrer des simplifications procédurales en matière de déclaration d’intérêt général pour alléger cette procédure dans le cadre des travaux d’entretien et de restauration de cours d’eau. Elles permettront, à terme, de simplifier la réglementation applicable à l’entretien des cours d’eau pour les collectivités compétentes.

ventilation du « fonds friches »

M. le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, auteur de la question n° 694, transmise à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité et des négociations internationales sur le climat et la nature.

M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le ministre, le fonds d’accélération de la transition écologique dans les territoires, dit fonds vert, a été mis en place par la circulaire du 14 décembre 2022, afin de subventionner des investissements locaux favorisant la performance environnementale, l’adaptation au changement climatique et l’amélioration du cadre de vie.

Le fonctionnement et la dotation de ce fonds, destiné à toutes les collectivités territoriales, ont été inscrits dans la loi de finances pour 2023. Sa gestion est aux mains des préfets de région et de département, et ses enveloppes financières sont fongibles entre les différentes mesures proposées.

Cet outil a été salué par les acteurs locaux comme étant très performant, notamment pour débloquer des opérations en stagnation.

Le fonds vert comporte notamment un quota de financements dédiés à la réhabilitation des friches industrielles, afin de soutenir les communes qui s’engageraient dans cette démarche souvent onéreuse.

Cependant, la ventilation précise de ces fonds dédiés aux friches manque de clarté. Les critères d’attribution et le fait que les préfets soient seuls décisionnaires dans la répartition des crédits contribuent à cette opacité.

L’inflation des prix du foncier est un autre effet de bord négatif de ce système, tout comme le délai d’attente, souvent long, pour les collectivités qui soumettent des projets pour approbation.

Pouvez-vous préciser à quoi correspondent exactement les crédits du fonds dédié à la réhabilitation des friches au sein du fonds vert et la part de ce fonds qui est effectivement fléchée vers des projets réalisés par des communes ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, de la biodiversité et des négociations internationales sur le climat et la nature, chargé de la transition écologique. Monsieur le sénateur, je vous remercie d’avoir salué l’existence du fonds vert.

Cet outil, créé en 2023, finance des projets de transition écologique conduits par les acteurs locaux, en particulier les collectivités territoriales, avec trois objectifs, que vous avez rappelés : la performance environnementale, l’adaptation au changement climatique et l’amélioration du cadre de vie.

Pour ce qui concerne les modalités opérationnelles de déploiement du fonds, ses crédits sont répartis entre les préfectures de région en vue d’une gestion déconcentrée. La sélection des projets est effectuée au niveau local par les préfectures, qui peuvent répartir les crédits disponibles par mesures en fonction des besoins locaux. Cette fongibilité est nécessaire pour permettre l’adaptation aux besoins des territoires, sans figer verticalement la répartition par mesures. Il me semble que nous y sommes ici tous attachés.

Dans ce contexte, le fonds vert finance, depuis 2023, les projets de recyclage foncier, en lien avec les actions en faveur de la sobriété foncière que mène le Gouvernement, et ce sous la forme d’un financement du déficit d’opération dans le cadre de projets de réhabilitation de friches qui ne seraient, à défaut d’un tel apport, pas à l’équilibre.

L’instruction ministérielle du 28 février 2025 relative au fonds vert a fait de la sobriété foncière l’une des priorités de ce dispositif. Par cohérence, cette mesure représente aujourd’hui une part importante de ses interventions.

On dénombre 703 projets financés en 2023, pour un montant de 370 millions d’euros de subventions octroyées – soit environ 19 % du total des crédits du fonds vert – et 683 projets en 2024, pour 328 millions d’euros de subventions octroyées, soit quelque 21 % du total. Plus globalement, sur les 1 386 projets financés en 2023 et 2024, 494 se situent dans des communes rurales, pour un montant de 146 millions d’euros de subventions.

Pour 2026 – je le dis avant que le Sénat ait débattu du projet de loi de finances –, il est prévu de maintenir cette mesure en tant que priorité du fonds vert. Le montant qui lui sera affecté dépendra évidemment des moyens que le Parlement voudra bien confier au Gouvernement au titre du programme budgétaire qui lui est consacré.

M. le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour la réplique.

M. Christian Redon-Sarrazy. Merci, monsieur le ministre, de ces précisions.

C’est justement parce que cet outil, bien que perfectible, a déjà montré son efficacité que je veux rappeler ici la nécessité de le préserver.

L’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité et de nombreux établissements publics fonciers (EPF), dont celui de Nouvelle-Aquitaine, dont ma commune dépend, nous ont alertés sur les effets négatifs que sa suppression entraînerait pour le développement des territoires. Nous défendrons donc son maintien lors des débats budgétaires.

C’est un outil important pour la reconquête du foncier dégradé et, de fait, dans la lutte contre l’artificialisation des sols dans les territoires.

contenu du projet de décret relatif aux conditions d’exercice de la police résiduelle au titre de l’article l. 163-9 du code minier

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, auteur de la question n° 773, transmise à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité et des négociations internationales sur le climat et la nature.

M. Daniel Gremillet. Monsieur le ministre, sur la recommandation de la commission d’enquête sénatoriale sur la pollution des sols, qui a mené ses travaux en 2020, la loi Climat et Résilience a prévu l’extension, pour une durée de trente ans, des conditions d’exercice de la police résiduelle des mines après l’arrêt des travaux, afin de permettre à l’État de rechercher la responsabilité des exploitants en cas d’apparition de nouveaux désordres et dommages.

Cette extension a été encadrée par un décret en Conseil d’État pour tenir compte de la situation telle qu’elle ressort des analyses conduites lors de l’arrêt des travaux, afin d’éviter de faire peser sur un opérateur une responsabilité qui ne lui incombe pas.

Considérée comme équilibrée, cette disposition n’avait alors soulevé aucune objection de la part des acteurs industriels concernés.

Cependant, un projet de décret mis en consultation publique il y a quelques mois prévoit de revenir sur cette prescription trentenaire en instituant une police résiduelle dans tous les cas où, lors de l’arrêt des travaux, des risques graves ont été identifiés et perdurent. Ainsi, un exploitant pourrait rester sous le régime de la police des mines pour une durée supérieure à trente ans après la cessation de son activité.

La filière minière s’inquiète du manque de sécurité juridique et de l’absence de visibilité économique qu’engendrerait une telle modification.

En effet, cette évolution pourrait freiner les investissements dans l’activité minière, qui sont lourds pour l’exploitant, mais essentiels pour notre autonomie stratégique, comme l’a rappelé l’ancien ministre chargé de l’énergie, Marc Ferracci.

Monsieur le ministre, quelles sont les raisons ayant présidé à la rédaction de ce projet de décret ? Pouvez-vous nous dire précisément quelles situations seraient concernées par le dispositif envisagé ? Enfin, le nouveau gouvernement a-t-il l’intention de publier ce décret ? Si oui, sous quel délai ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, de la biodiversité et des négociations internationales sur le climat et la nature, chargé de la transition écologique. Monsieur le sénateur Gremillet, je vous remercie pour votre question sur le très important projet de décret relatif aux conditions d’exercice de la police résiduelle des mines.

Ce mécanisme est essentiel pour garantir la sécurité des populations et de l’environnement après l’arrêt de l’exploitation des travaux miniers.

Introduite par la loi Climat et Résilience de 2021, qui a réformé le code minier, cette police permet au préfet d’imposer, trente ans au plus tard après l’exécution des mesures d’arrêt des travaux, toute mesure destinée à assurer la protection des intérêts protégés par le code minier en raison de l’existence de dangers ou de risques graves.

En réalité, ce concept de police résiduelle existe déjà pour les installations classées depuis plus de vingt ans.

Le décret du 28 novembre 2022 limite la mise en œuvre de cette police aux risques « qui sont nouveaux ou qui ont été omis ou sous-estimés dans la déclaration d’arrêt des travaux ».

Il apparaît que ce texte souffre, en l’état, de certaines imperfections : dans certaines situations, bien que les risques fussent connus au moment de l’arrêt des travaux et que des mesures aient été prescrites, ces risques peuvent demeurer graves, car les mesures prescrites se sont avérées insuffisantes. Il faut alors mettre en œuvre des mesures supplémentaires pour protéger les populations et les biens.

Tel est l’objet du projet de décret que vous évoquez : il permettra de couvrir les risques et dangers qui étaient identifiés dans la déclaration d’arrêt des travaux, mais qui demeurent graves en dépit des mesures mises en place lors de l’arrêt de ces travaux miniers.

Sous le contrôle du Parlement, j’ajoute que le projet de décret me paraît conforme à la loi, qui impose de tenir compte des analyses conduites au moment de l’arrêt des travaux, ce que fait le texte proposé. Le Conseil d’État a confirmé ce point juridique, tout en proposant au Gouvernement des améliorations juridiques et rédactionnelles propres à inspirer confiance aux opérateurs miniers – ce qui est légitime –, sans nullement renier le principe de pollueur-payeur tel que la loi le définit.

Je suis conscient, monsieur le sénateur, des inquiétudes suscitées par ce décret chez les opérateurs miniers en France ; vous avez raison de les relayer.

Une réunion est prévue prochainement avec la Compagnie des Salins du Midi. Je propose que vous y soyez associé, si tel n’est pas déjà le cas, pour que nous puissions poursuivre nos échanges.

Soyez assuré que l’attractivité du cadre juridique français…

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.

M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué. … est évidemment une priorité du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour la réplique.

M. Daniel Gremillet. Monsieur le ministre, la réaction que m’inspire votre réponse est double : s’il est essentiel de rassurer les populations, il est tout aussi essentiel de rassurer les industriels, à l’heure où notre pays a besoin d’une relance minière – nous voyons à quel point il est exposé sur ce plan.

Il aurait été nécessaire qu’une concertation ait lieu. Vous nous annoncez qu’une réunion se tiendra. Je souhaite que tout cela se fasse dans l’ordre, de manière à relancer l’exploitation minière en France.

conditions de reconnaissance du permis de conduire ukrainien en france

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, auteur de la question n° 535, adressée à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Buis. Madame la ministre, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur les difficultés rencontrées par les réfugiés ukrainiens en France pour faire reconnaître leur permis de conduire.

Selon l’article R. 222-1 du code de la route, les permis de conduire d’un État n’appartenant pas à l’Union européenne ou à l’Espace économique européen sont reconnus pendant un délai d’un an maximum après l’acquisition par son titulaire d’une résidence normale en France, sauf accord de réciprocité entre les deux États.

Un tel accord de réciprocité n’existe pas entre la France et l’Ukraine.

À l’issue de leur période de protection temporaire ou à l’occasion d’un changement de statut, les ressortissants ukrainiens réfugiés dans notre pays ne peuvent plus conduire légalement avec le permis de conduire qu’ils ont acquis dans leur pays.

Pour se déplacer, ces personnes sont dès lors contraintes d’obtenir un permis français, démarche particulièrement difficile pour des réfugiés en cours d’intégration, confrontés à des difficultés linguistiques et administratives, alors même que la mobilité est essentielle pour accéder à un emploi.

Si l’on peut saluer la mise en place du régime de protection temporaire, force est de constater que la guerre en Ukraine s’inscrit dans la durée et que nombre de réfugiés s’installent désormais durablement dans notre pays.

Cette situation est injuste, puisque les ressortissants russes peuvent continuer d’échanger leur permis de conduire en vertu d’un accord bilatéral toujours en vigueur.

En mars dernier, le ministère de l’intérieur s’est engagé à envoyer des émissaires en Ukraine afin d’évaluer les modalités de délivrance du permis de conduire dans ce pays.

Madame la ministre, quelles sont les conclusions tirées de cette évaluation ?

Dans quelle mesure le Gouvernement pourrait-il, en cas de conclusions positives, réévaluer la possibilité d’un accord avec les autorités ukrainiennes, à l’image de celui entre la France et la Moldavie, qui a été adopté, le 29 octobre dernier, par le Sénat ? En cas de bilan négatif, quelles mesures transitoires pourrait-on mettre en place pour permettre aux réfugiés ukrainiens de conduire légalement au-delà du délai d’un an, et ce afin de ne pas compromettre leur intégration en France ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur. Monsieur le sénateur Bernard Buis, vous attirez mon attention sur les conditions de reconnaissance du permis de conduire ukrainien en France.

Je vous en remercie, car ce sujet est d’importance pour le ministère de l’intérieur, notamment en matière de coopération dans le domaine de la sécurité routière.

Avant toute chose, il est primordial de souligner que différents régimes s’appliquent en fonction du statut des ressortissants ukrainiens en France.

Les Ukrainiens bénéficiaires de la protection temporaire peuvent conduire sur le territoire français avec leur permis ukrainien, sans aucune autre condition. Ce régime a récemment été prolongé jusqu’en mars 2027.

Comme vous le mentionnez justement, ceux qui ne bénéficient pas de la protection temporaire et qui sont en situation régulière sur le sol national peuvent conduire en France avec leur permis ukrainien, dans la limite d’un an suivant l’établissement de leur résidence normale en France.

Afin de pouvoir légalement continuer à conduire au-delà de cette période, ils doivent se présenter aux épreuves du permis de conduire français, tout en étant dispensés des vingt heures de formation obligatoires. Après une année passée sur notre territoire, l’obstacle de la langue, que vous avez évoqué, apparaît de surcroît moins rédhibitoire.

Pour les exempter de passer les épreuves, il convient de s’assurer que les conditions d’obtention du permis en Ukraine répondent aussi à nos exigences en matière de sécurité routière.

Effectivement, la délégation à la sécurité routière (DSR) s’est rendue en Ukraine en avril dernier. Elle confirme les progrès accomplis par les autorités ukrainiennes dans l’organisation des épreuves, aussi bien théoriques que pratiques, ainsi que dans la lutte contre la fraude.

Les travaux techniques se poursuivent actuellement, en étroite collaboration avec nos partenaires, en vue de la conclusion d’un accord, dont l’objectif est de garantir la sécurité sur nos routes, aussi bien pour les Ukrainiens que pour tous les autres usagers.

En outre, les permis ukrainiens sont reconnus sur l’ensemble du territoire européen. Un projet d’accord est en cours d’élaboration pour permettre l’échange des permis entre nos deux pays. Une déclaration d’intention a été signée en juin dernier entre la France et l’Ukraine, matérialisant cette volonté de conclure un tel accord.

Soyez assuré, monsieur le sénateur, des efforts intenses que le ministère de l’intérieur continuera de déployer pour faciliter la reconnaissance des permis de conduire ukrainiens en France.

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour la réplique.

M. Bernard Buis. Merci, madame la ministre, de votre réponse précise. Nous attendons maintenant l’accord que vous venez d’évoquer.

demande de reconnaissance en faveur des acteurs de la sécurité civile mobilisés au secours des audois durant les incendies de l’été 2025

M. le président. La parole est à M. Sebastien Pla, auteur de la question n° 730, adressée à M. le ministre de l’intérieur.

M. Sebastien Pla. Madame la ministre, c’est chez moi, dans les Corbières, que nous avons vécu cet été le plus grand incendie que la France ait connu dans son histoire.

C’est une immense tragédie et un désastre économique, avec 17 communes touchées, un mort, 23 blessés, 63 maisons détruites et 17 000 hectares partis en fumée, sans plus aucune faune ni flore, transformés en un paysage lunaire.

Au regard de l’accélération du changement climatique et de la déprise agricole, cet événement d’une ampleur exceptionnelle en laisse augurer d’autres, que personne – vraiment personne – n’est prêt à affronter.

Pourtant, grâce à leur courage et leur bravoure, les 2 000 sapeurs-pompiers, professionnels et bénévoles, de la sécurité civile, les anciens sapeurs-pompiers, l’armée, la gendarmerie, les services forestiers, les réserves communales, les habitants et les élus locaux, après vingt-trois jours de lutte, en sont venus à bout.

Compte tenu du caractère exceptionnel de ces événements, je vous demande, madame la ministre, une reconnaissance exceptionnelle et sollicite la création : premièrement, d’une médaille d’or pour acte de courage et de dévouement pour le drapeau du corps départemental des sapeurs-pompiers de l’Aude ; deuxièmement, d’une médaille à l’échelon or pour acte de courage et de dévouement pour les personnels qui ont mis leur vie en péril pour sauver les habitants ; enfin, de la croix de la valeur des sapeurs-pompiers pour saluer le dévouement de l’ensemble des professionnels – j’y insiste, l’ensemble – mobilisés sur cet événement.

C’est le moindre des gestes que la Nation tout entière leur doit ; à votre ministère de l’accomplir.

Je profite aussi de cette occasion pour insister sur le fait que le volontariat, clé de voûte de notre modèle de sécurité civile, est mis en danger par la proposition de révision de la directive européenne sur le temps de travail.

Par ailleurs, si le Parlement s’est largement prononcé en faveur d’une reconnaissance par bonification de la retraite des sapeurs-pompiers ayant accompli plus de dix ans de service, les annonces gouvernementales récentes diffèrent des dispositions législatives que nous avons votées ici. Pouvez-vous m’éclairer sur ce point ?

Enfin, à la veille des débats budgétaires, je vous demande de réviser la clé de financement des départements de la zone sud, dont les budgets consacrés aux feux de forêt explosent, et de créer un fonds d’urgence exceptionnel pour le conseil départemental de l’Aude, pour qui le seul incendie des Corbières a coûté 1,5 million d’euros.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur. Monsieur le sénateur Sebastien Pla, le Gouvernement est très attaché à la singularité, que vous avez rappelée, du modèle français de sécurité civile, fondé sur la complémentarité des statuts de sapeur-pompier professionnel, militaire et volontaire.

La France connaît des étés de plus en plus dévastateurs, avec des saisons de feux de forêt de plus en plus longues et des incendies de plus en plus violents.

Oui, au regard de leur engagement, les acteurs de la sécurité civile méritent une reconnaissance forte de la part de l’État.

À cet égard, vous m’interrogez au sujet des décorations et sur les dispositions régissant l’activité des sapeurs-pompiers volontaires.

Au sujet des décorations, vos deux premières demandes portent sur la médaille pour actes de courage et de dévouement (MACD). Je tiens à préciser que son attribution demeure une prérogative des préfets. À ce titre, le préfet de l’Aude est actuellement en lien avec la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) pour examiner l’attribution d’une MACD au drapeau du corps départemental des sapeurs-pompiers de l’Aude.

Concernant l’attribution d’une médaille d’or aux « personnels qui ont mis leur vie en péril pour sauver des habitants », la DGSCGC est là encore concernée, en appui de la préfecture de l’Aude, malgré des réserves sur l’échelon or, qui est habituellement attribué à titre posthume.

Votre troisième demande a trait à l’attribution de la croix de la valeur des sapeurs-pompiers volontaires et professionnels pour l’ensemble des personnes engagées sur le grand incendie de l’été 2025.

Une proposition de loi visant à créer cette décoration a été déposée à l’Assemblée nationale et adoptée le 15 mai 2025 ; elle doit être examinée en première lecture par le Sénat.

Au sujet des règles encadrant l’activité des sapeurs-pompiers volontaires, je souhaite vous assurer que le Gouvernement entend bien préserver ce modèle. Un travail est en cours pour réduire certaines fragilités identifiées compte tenu des jurisprudences européennes. Pour connaître les fonctions que j’ai exercées précédemment, vous connaissez mon engagement sur ce point.

Un ensemble de mesures est aussi envisagé pour valoriser le volontariat : la revalorisation du taux de l’indemnité horaire pour les sapeurs-pompiers volontaires devrait aboutir très prochainement ; un nouveau plan d’action visant à consolider leur engagement est en cours de finalisation ; l’attribution de trimestres supplémentaires pour leur retraite, prévue à l’article 24 de la loi du 14 avril 2023, a été confirmée par le Premier ministre. Devant entrer en vigueur en 2026, le dispositif retenu permettra à ceux qui auront servi au moins quinze ans en qualité de sapeur-pompier volontaire de bénéficier d’un trimestre supplémentaire, puis d’un trimestre par tranche de cinq ans dans la limite de trois trimestres. Il s’agit d’une réelle avancée dans la reconnaissance due à ces citoyens, qui, comme vous l’avez dit, sont pleinement impliqués au service de notre Nation tout entière.

M. le président. Madame la ministre, vous avez dépassé votre temps de parole, mais je vous ai volontairement laissé achever votre réponse, car ces problèmes se posent dans tous les départements.

Certes, l’Aude est, cette année, dans une situation spécifique, mais, partout sur le territoire, les sapeurs-pompiers volontaires nous sollicitent en ce sens.

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée. Tout à fait !

donner des outils aux polices municipales

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, auteur de la question n° 383, adressée à M. le ministre de l’intérieur.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, nous sommes évidemment favorables à cette demande d’attribution de médailles formulée par notre collègue Sebastien Pla. Une suite positive me semblerait tout à fait naturelle.

Je souhaite vous interroger, madame la ministre, sur l’articulation entre les polices municipales et la police nationale. Ce sujet revient d’autant plus dans l’actualité que les élections municipales approchent. Il constitue un enjeu très important.

Les effectifs des polices municipales ont augmenté de 45 % depuis 2012 ; celles-ci emploient aujourd’hui 28 000 agents. Le problème de la coordination devient crucial, tout comme celui de la formation et de l’équipement. (Mme la ministre opine.) Ces sujets sont d’une très grande actualité.

Le rapport d’information de la commission des lois du Sénat de mai 2025 contient plusieurs pistes relatives à la mutualisation, à l’adaptation des prérogatives judiciaires, au renforcement du contrôle national et à l’amélioration des formations.

Faute de texte à l’ordre du jour sur le sujet, et compte tenu de la situation particulièrement instable, êtes-vous en capacité, madame la ministre, de prendre des dispositions sur les aspects – je pense particulièrement à la formation – pour lesquels la loi n’est peut-être pas totalement nécessaire ? Quelle est la vision du Gouvernement sur ce point ? Quelles améliorations immédiates pourraient être apportées dans l’attente d’une loi ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur. Madame la sénatrice Nathalie Goulet, il n’y a effectivement pas eu de réforme sur ces enjeux fondamentaux depuis la loi Chevènement de 1999.

C’est pourquoi, à l’issue du Beauvau des polices municipales, un projet de loi a été préparé et présenté en conseil des ministres le 29 octobre dernier.

Pour ce qui concerne plus spécifiquement l’accès aux fichiers de police, le sujet n’est pas tant juridique que technique : les policiers municipaux sont déjà autorisés à accéder à plusieurs fichiers, comme ceux des immatriculations ou des permis de conduire.

Cependant, il n’existe pas d’outil de consultation unifié des fichiers et de répertoire national des policiers municipaux. La sécurité et la traçabilité des connexions ne sont donc pas garanties.

C’est pourquoi le Gouvernement propose la création d’un registre national des policiers municipaux, avec l’attribution d’un numéro unique pour les agents. C’est le point de départ d’un vaste projet de transformation numérique qui s’étalera sur plusieurs années, la dématérialisation étant aussi attendue sur le terrain.

Pour ce qui concerne la verbalisation des infractions aux arrêtés de police du maire, il faut distinguer deux cas.

Certaines infractions pourraient être créées en faisant référence à des arrêtés, mais elles devront être très strictement encadrées. Par exemple, un projet de décret en Conseil d’État est actuellement à l’étude en matière de police de la baignade.

Pour les autres arrêtés pris par le maire dans des domaines très particuliers et pour des durées plus ou moins longues, il ne peut y avoir d’infraction générique : il faut à tout le moins que l’arrêté puisse être communiqué à l’officier du ministère public.

Il est à noter que l’article 2 du projet de loi sur l’extension des prérogatives des polices municipales, dont l’objectif est d’étendre les prérogatives de police judiciaire à des agents de police municipale et à des gardes champêtres lorsque les communes en font le choix, permettra à ces derniers de constater certains délits limitativement énumérés, de manière strictement encadrée. Plusieurs champs sont concernés, et neuf délits pourront être constatés sans acte d’enquête, comme les ventes à la sauvette, l’occupation illicite de halls d’immeubles ou la vente d’alcool aux mineurs.

J’en viens à l’armement des agents de police municipale : les différents types d’armes auxquels ils peuvent avoir accès sont dûment proportionnés à la nature de leur mission. Il appartient aux maires qui les emploient de décider ou non d’armer ces agents et de fixer leur dotation au regard des enjeux de sécurité locaux.

En revanche, le ministère de l’intérieur n’est pas favorable à ce que les polices municipales, y compris lorsqu’elles exerceront des prérogatives élargies, soient dotées d’armes longues. Ce serait disproportionné,…

M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée. … car ces polices sont et doivent rester une police de proximité et de tranquillité publique, qui n’ont pas vocation à se substituer à d’autres.

M. le président. La réponse aurait pu être plus synthétique…

La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.

Mme Nathalie Goulet. Madame la ministre, il est important et nécessaire de garantir l’unité de la police républicaine.

Toutefois, il existe des collectivités – je songe notamment à la ville d’Argentan, dans l’Orne – où la coopération entre la police municipale et les autres services est déjà très bonne.

Pour l’heure, nous sommes dans l’attente de l’inscription du texte à l’ordre du jour. Vous devez mettre à profit le temps qui s’écoulera d’ici à son adoption pour consulter les élus qui accomplissent déjà ce travail.

Des problèmes se poseront, par exemple, en cas de mutualisation au sein d’une intercommunalité : comment le maire pourra-t-il conserver la main sur sa police municipale en cas de délégation ou de travail trop en commun avec l’intercommunalité ?

Ces problèmes doivent être résolus rapidement, avant que le texte soit adopté.

difficultés d’application des obligations légales de débroussaillement pour les communes forestières et conséquences pour la prévention des feux de forêt

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux, auteur de la question n° 576, transmise à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité et des négociations internationales sur le climat et la nature.

M. Jean-Yves Roux. Madame la ministre, la mise en œuvre et le respect des obligations légales de débroussaillement (OLD) sont, de l’avis de tous les acteurs de la sécurité civile, absolument indispensables à la prévention des incendies de forêt.

Dans les Alpes-de-Haute-Provence, territoire particulièrement exposé, l’engagement de l’État s’est traduit par la publication récente, le 1er octobre 2025, d’un arrêté préfectoral qui actualise les règles pour se conformer à la loi de 2023.

Or, si la publication de cet arrêté est une avancée nécessaire, la pleine application de la loi se heurte aux réalités du terrain et aux contraintes du service public dans la ruralité.

Vous me permettrez, mes chers collègues, de vous faire part de trois remarques.

Premièrement, les communes forestières sont confrontées à un faible taux de conformité spontanée des propriétaires, et le contrôle et la mise en œuvre de la procédure d’exécution d’office sont des tâches extrêmement lourdes, longues et coûteuses. Les maires manquent cruellement de moyens humains et financiers pour assurer cette police administrative.

Deuxièmement, l’intégration des règles en matière de biodiversité rend le débroussaillement techniquement complexe, nécessitant une expertise qui n’est pas accessible aux petites communes ou aux propriétaires individuels.

Troisièmement, le coût des travaux est significatif. L’absence d’une incitation fiscale directe – je pense à une récupération du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) dès la première année, au recours au fonds vert ou à un crédit d’impôt dédié – conduit à un report des charges sur la collectivité.

En conséquence, madame la ministre, comment envisagez-vous de soutenir la mise en œuvre effective de cet objectif indispensable, notamment le travail des maires, désarmés face à l’ampleur de la tâche, bien que convaincus de la nécessité de la mener à bien ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur. Monsieur le sénateur Roux, je suis tout comme vous bien consciente de l’importance de la protection des massifs forestiers à travers la mise en œuvre par chacun des obligations légales de débroussaillement.

Comme vous l’avez rappelé, le débroussaillement est une mesure efficace de prévention contre les incendies et de protection non seulement des personnes et des biens, mais aussi de la forêt et de la biodiversité.

En application de la loi n° 2023-580 du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie, l’arrêté du 29 mars 2024 est venu préciser l’articulation entre les mesures de mise en œuvre des obligations légales de débroussaillement et les dispositifs de protection des espèces protégées.

Ce nouveau cadre conduit à une actualisation des arrêtés préfectoraux dans les départements et contribuera à une sécurisation juridique indispensable pour la réalisation des obligations au regard de la protection des espèces.

Afin d’aider les élus, le ministère de la transition écologique soutient la fédération des communes forestières, en lui permettant d’assurer formations, mise à disposition de documents, mise en place d’une hotline ou encore organisation de chantiers pilotes.

Les moyens de l’Office national des forêts ont également été renforcés de 118 équivalents temps plein (ETP) en 2023 et 2024 pour favoriser l’accompagnement des maires.

Sachez enfin que la ministre, Monique Barbut, est à l’écoute des difficultés dont on lui fait part. Afin de favoriser la compréhension des mesures, elle a demandé que chaque arrêté soit accompagné d’une notice pédagogique sur les modalités concrètes de débroussaillement attendues.

Il a également été demandé aux services d’organiser rapidement un retour d’expérience sur ces nouveaux arrêtés et la réalisation des OLD, avec la mise en place d’un groupe de travail dédié, regroupant des parlementaires et les principaux partenaires concernés par la mise en œuvre de ces obligations légales.

Sur le fondement de ce retour d’expérience, de nouvelles mesures d’accompagnement favorisant la réalisation effective des OLD seront proposées.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux, pour la réplique.

M. Jean-Yves Roux. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Cependant, le coût financier des débroussaillements est très élevé pour les collectivités territoriales. Aussi, je souhaiterais qu’une réflexion soit menée sur un possible acompte ou une éventuelle récupération du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée, afin d’aider les communes à respecter cette obligation légale dans d’autres secteurs.

reconnaissance et financement des sapeurs-pompiers volontaires

M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, auteur de la question n° 763, adressée à M. le ministre de l’intérieur.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Madame la ministre, bien que vous ayez déjà apporté quelques éléments de réponse à notre collègue Sebastien Pla, je souhaite à mon tour vous interroger sur les retraites des sapeurs-pompiers volontaires.

Ces derniers perçoivent non pas un salaire, mais des indemnités liées à leurs interventions. Leur engagement repose sur le volontariat et peut durer quelques années comme plusieurs décennies, tandis qu’ils exercent souvent, en parallèle, une activité professionnelle.

Aussi, cet engagement commande une reconnaissance à la hauteur de l’abnégation qu’il implique. À ce titre, la bonification de trimestres de retraite, prévue par la loi du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale, est une avancée particulièrement importante. Elle l’est d’autant plus qu’elle met un terme à une attente de plus de deux ans.

Quoiqu’elle soit indispensable, cette mesure n’est pas suffisante. En effet, la loi prévoyait une ouverture du dispositif après dix années de service, ce qui exprimait une volonté unanime de reconnaître l’ensemble des parcours, mais c’est un seuil de quinze ans qui a finalement été retenu.

Madame la ministre, dans quelle mesure et à quelle échéance un réexamen de cette mesure pourra-t-il être envisagé afin de prévenir toute exclusion de ces sapeurs-pompiers volontaires, dont le parcours est certes plus court, mais tout aussi exemplaire ?

Comment le Gouvernement entend-il garantir la pérennité financière de la nouvelle prestation de fidélisation et de reconnaissance ? Ce dispositif indispensable dans la durée, bien qu’il constitue la pierre angulaire du volontariat, repose aujourd’hui sur un équilibre financier fragile.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur. Madame la sénatrice, je puis vous assurer que le Gouvernement et moi-même sommes particulièrement attachés aux sapeurs-pompiers volontaires et sensibles à la question de la reconnaissance et de la valorisation de leur engagement.

Vous l’avez rappelé, l’engagement de ces sapeurs-pompiers appelle une reconnaissance à la hauteur des sacrifices consentis par ces derniers dans leur vie professionnelle et privée. Renforcer la fidélisation est par ailleurs essentiel pour la pérennité de notre modèle.

Vous m’interrogez sur l’application du dispositif de bonification de trimestres de retraite pour les sapeurs-pompiers volontaires et sur la possibilité de réexaminer les règles en vigueur pour en assurer réellement la pérennité financière.

Pour ce qui est tout d’abord de la nécessité d’une mise en œuvre effective de cette bonification, je vous confirme, comme l’a annoncé le Premier ministre en clôture du dernier congrès national des sapeurs-pompiers, la volonté du Gouvernement de mener à bien cette ambition.

Vous m’interrogez également sur la possibilité d’abaisser le seuil de déclenchement du dispositif de quinze ans à dix ans. Le principe d’un seuil à partir de quinze ans d’engagement a été retenu par cohérence avec le premier seuil, lui aussi fixé à quinze ans, pour la nouvelle prestation de fidélisation et de reconnaissance (NPFR), et ce en vue d’inciter ceux qui rompent leur engagement au bout de douze ans à le poursuivre.

J’ajoute qu’une réévaluation de la mesure sera toujours possible à l’aune du bilan qui sera effectué dans le cadre de la mise en œuvre du dispositif.

Il convient en outre de rappeler que la NPFR est l’un des leviers essentiels de la reconnaissance de l’engagement des sapeurs-pompiers. Cette prestation porte ses fruits : la durée d’engagement moyen a progressé de six mois ces deux dernières années, passant de onze ans et neuf mois à douze ans et cinq mois.

Je le réaffirme très clairement : le Gouvernement n’a nullement l’intention de supprimer cette bonification. Il ne souhaite pas non plus revenir sur la prise en charge – volontaire – par l’État de la moitié du coût de la NPFR. La question du financement de cette prestation doit cependant être étudiée, car on observe une croissance significative des dépenses liées au dispositif. Le Gouvernement entend travailler avec les collectivités locales qui le cofinancent et l’association qui en assure le pilotage, afin de maintenir un certain équilibre budgétaire.

M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour la réplique.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Nous dressons tous le même constat dans les territoires, et le Gouvernement semble le partager : il ne reste donc plus qu’à agir.

Vous le savez, un syndicat de sapeurs-pompiers volontaires a récemment déposé une plainte au sujet de la mise en œuvre du dispositif de bonification. Désormais, la balle est dans le camp du Gouvernement : nous attendons des actes !

application des règles relatives aux élections complémentaires des conseils municipaux

M. le président. La parole est à M. Cédric Chevalier, auteur de la question n° 770, adressée à M. le ministre de l’intérieur.

M. Cédric Chevalier. Madame la ministre, je souhaite appeler votre attention sur l’application des règles relatives aux élections complémentaires des conseils municipaux, dans le cadre de la réforme issue de la loi du 21 mai 2025 visant à harmoniser le mode de scrutin aux élections municipales afin de garantir la vitalité démocratique, la cohésion municipale et la parité.

Concrètement, dans une commune comptant entre 100 et 499 habitants, il arrive que le conseil municipal ne soit composé que de neuf membres, au lieu des onze prévus par le code électoral. Dans ce cas, une question se pose : comment apprécier la perte du tiers des membres du conseil, qui emporte l’obligation d’organiser des élections complémentaires ?

L’article L. 258 du code électoral prévoit qu’il faut procéder à de telles élections si le conseil municipal a perdu « le tiers ou plus de ses membres », ou s’« il compte moins de cinq membres ».

Dans le même temps, l’article L. 2121-2-1 du code général des collectivités territoriales, dans la version qui s’appliquera prochainement, dispose que, dans les communes de 100 à 499 habitants, le conseil municipal est réputé complet dès lors qu’il compte au moins neuf membres à l’issue d’une élection.

Par conséquent, pour les communes de cette taille, faut-il considérer que le conseil a perdu le tiers de ses membres lorsqu’il ne reste plus que six élus – soit un tiers de sièges vacants sur neuf, seuil retenu pour considérer que le conseil est complet –, ou lorsqu’il n’en reste que sept – soit un tiers de sièges vacants sur onze, effectif légal du conseil fixé par la loi ?

Cette précision est essentielle pour sécuriser juridiquement l’organisation des élections complémentaires dans les communes concernées. Vous avez deux minutes, madame la ministre ! (Sourires)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur. Monsieur le sénateur Cédric Chevalier, vous appelez mon attention sur la tenue des élections partielles complémentaires dans les communes de moins de 1 000 habitants, à la suite de la promulgation de la loi du 21 mai 2025.

À compter du prochain renouvellement général des conseils municipaux des 15 et 22 mars 2026, ceux-ci seront réputés complets s’ils comptent jusqu’à deux personnes de moins que leur effectif légal.

Afin de préserver la stabilité des exécutifs locaux, cette réforme a également modifié les critères d’organisation des élections partielles complémentaires. En application de l’article L. 258 du code électoral, ces dernières devront se tenir dans deux cas de figure : d’une part, dans l’hypothèse où le conseil municipal perdrait un tiers ou plus de ses membres, ou la moitié ou plus d’entre eux dans les mois qui précèdent un renouvellement général ; d’autre part, dans l’hypothèse où il serait nécessaire d’élire le maire ou les adjoints, alors que le conseil municipal n’est pas complet.

Votre question porte sur le premier cas de figure. Je vous confirme qu’en application des dispositions de l’article L. 258 du code électoral l’effectif à prendre en compte pour calculer le seuil de déclenchement d’une élection partielle complémentaire est l’effectif légal théorique du conseil municipal, et non son effectif réel.

Ainsi, pour les communes de moins de 100 habitants, une élection partielle devra être organisée si le conseil municipal compte quatre membres ou moins sur un effectif théorique de sept. Pour les communes de 100 à 499 habitants, ce seuil sera de sept membres pour un effectif théorique de onze. Pour les communes comptant entre 500 et 999 habitants, ce seuil sera de dix pour un effectif théorique de quinze.

L’annexe 2 de la circulaire du 19 septembre 2016 relative à l’organisation des élections partielles rappelle ces seuils, qui ne sont pas modifiés par la récente réforme du mode de scrutin dans les communes de moins de 1 000 habitants.

Ces règles ont d’ores et déjà fait l’objet d’une diffusion auprès de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, ainsi qu’auprès de l’Association des maires ruraux de France (AMRF). Plusieurs séminaires et webinaires ont été organisés avec les maires, afin de clarifier les conséquences de la réforme. Les actions de communication doivent se poursuivre : le prochain salon des maires nous donnera ainsi l’occasion de mettre en lumière cette question importante.

M. le président. La parole est à M. Cédric Chevalier, pour la réplique.

M. Cédric Chevalier. Madame la ministre, je vous remercie de m’avoir répondu de manière aussi claire, qui plus est dans le temps imparti. Vos précisions seront utiles à l’organisation des futures élections complémentaires qui pourraient avoir lieu.

situation dans les prisons

M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc, auteur de la question n° 715, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Grégory Blanc. Madame la ministre, la situation actuelle de la maison d’arrêt du Pré-Pigeon, à Angers, est inquiétante.

Pour rappel, cette prison, construite en 1856 et conçue pour 216 détenus, 12 arrivants et 38 personnes en semi-liberté, accueillait à l’été 2025 près de trois fois plus de détenus, ce qui a créé un cocktail explosif.

Le report permanent du projet de construction d’un nouveau centre pénitencier à Loire-Authion ne peut justifier l’absence d’investissements au sein de l’établissement. Les conditions d’hygiène y sont déplorables. Le tribunal administratif a d’ailleurs condamné l’État, en septembre dernier, à réaliser des travaux dans cette maison d’arrêt.

Surtout, faute de bâtiments modulaires sanitaires suffisants, le nombre de prisonniers entrant pour des faits liés à des addictions et sortant sans avoir vu un seul soignant est en augmentation permanente. Cette tendance s’explique non seulement par la surpopulation carcérale, mais aussi par la rotation de plus en plus importante des prisonniers du fait de politiques pénales visant à favoriser l’emprisonnement pour de courtes peines.

Concrètement, pour cet établissement de 216 places, 99 détenus sont sortis sans avoir rencontré le moindre médecin et le nombre de détenus n’ayant fait l’objet d’aucun suivi a doublé entre 2021 et 2024. En clair, les personnes entrent en prison pour des problèmes d’alcool et de drogue et en ressortent avec encore plus de problèmes, ce qui entraîne, de fait, une multiplication des récidives.

Aussi, madame la ministre, quand l’État compte-t-il enfin installer un bâtiment modulaire supplémentaire pour accueillir le personnel médical qui assurera une prise en charge des prisonniers souffrant d’addictions ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur. Monsieur le sénateur Grégory Blanc, vous soulignez l’importance d’une bonne collaboration entre les services de l’administration pénitentiaire et le corps médical.

Sachez que les personnels pénitentiaires redoublent continuellement d’efforts pour assurer l’effectivité de l’accès aux soins des détenus.

Vous m’interrogez plus particulièrement sur la situation de la maison d’arrêt d’Angers et sur l’installation d’un bâtiment modulaire sanitaire pour renforcer la prise en charge des troubles addictifs de la population pénale, dans le contexte de surpopulation carcérale que vous décrivez.

Au 1er septembre 2025, 503 personnes détenues étaient écrouées à la maison d’arrêt d’Angers pour une capacité opérationnelle de 266 places. Toutefois, les services œuvrent à améliorer la situation. En effet, depuis le mois de septembre et jusqu’au mois de janvier 2026, la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) de Rennes procède au transfert d’une trentaine de personnes détenues vers d’autres établissements. En complément, la DISP sensibilise les services judiciaires à la possibilité de recourir aux placements extérieurs.

Concernant les conditions matérielles de détention et l’ordonnance en référé rendue le 12 septembre 2025 par le tribunal administratif de Nantes, je précise que l’absence de bâtiments modulaires sanitaires suffisants n’a pas été mentionnée par les associations requérantes ni par le juge administratif. L’administration pénitentiaire a été enjointe à prendre des mesures, notamment pour renforcer le cloisonnement des sanitaires, ce qu’elle a fait. Plus encore, le tribunal considère que l’accès des personnes détenues aux soins est assuré de façon satisfaisante au sein de la maison d’arrêt.

Pour autant, il est vrai que l’unité sanitaire de l’établissement manque de locaux et de place. La direction de l’administration pénitentiaire, en lien avec la direction générale de l’offre de soins (DGOS) et la délégation au numérique en santé (DNS), a donc lancé un appel à projets en avril 2025 en vue d’encourager le déploiement de nouvelles solutions. Dans ce cadre, un projet de nouveaux bâtiments modulaires sanitaires a été présenté par la DISP de Rennes, l’agence régionale de santé (ARS) et le centre hospitalier d’Angers.

Par ailleurs, l’Association ligérienne d’addictologie, qui intervient au sein de la maison d’arrêt, a recruté un nouvel intervenant, ce qui devrait contribuer à une réduction des délais de prise en charge des personnes incarcérées souffrant de problèmes d’addiction.

Enfin, les procédures préalables à l’implantation d’un nouvel établissement se poursuivent, et des garanties quant à sa future construction seront apportées dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2026.

M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc, pour la réplique.

M. Grégory Blanc. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse et des précisions que vous serez susceptible d’apporter ultérieurement.

Cela étant, il est assez paradoxal que le ministre de la justice répète, sur un ton quasi martial, qu’il est nécessaire de systématiser l’emprisonnement ferme pour les courtes peines, alors que notre appareil pénitentiaire n’est pas conçu pour accueillir davantage de détenus.

Il n’est pas normal que des hommes et des femmes souffrant de problèmes d’addiction, notamment à l’alcool, soient incarcérés pour des faits de violences conjugales, par exemple,…

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Grégory Blanc. … et puissent ressortir de prison sans avoir fait l’objet du moindre suivi.

modification des règles d’indemnisation des agents territoriaux en arrêt maladie

M. le président. La parole est à M. Philippe Grosvalet, auteur de la question n° 705, adressée à Mme la ministre de l’action et des comptes publics.

M. Philippe Grosvalet. Sans doute par souci d’équité entre agents de l’État et fonctionnaires territoriaux, le gouvernement précédent a décidé, dans le cadre de la loi de finances pour 2025, de réduire l’indemnisation des trois premiers mois de congé de maladie ordinaire des agents de la fonction publique territoriale de 100 % à 90 % de leur traitement.

Or, trop souvent, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Très vite, les représentants des collectivités locales au sein des instances de dialogue ont donné l’alerte quant aux effets néfastes d’une telle mesure. En effet, la réduction des indemnités équivaut à une baisse de leur pouvoir d’achat. Cette décision pénalise en particulier les agents de catégorie C, qui représentent la majorité des fonctionnaires territoriaux.

Plus insidieusement, cette nouvelle règle accroît les problèmes d’attractivité de la fonction publique territoriale dans un contexte où les collectivités territoriales peinent à recruter.

Aussi, les représentants des collectivités estiment que, dans le respect du principe constitutionnel de libre administration territoriale, celles qui le souhaitent devraient être autorisées à maintenir une indemnisation à hauteur de 100 % du traitement principal et des primes de leurs agents.

Cette proposition ne s’oppose pas au principe de parité avec les fonctionnaires de l’État, puisqu’elle permet de maintenir l’intégralité des traitements des agents en congé de maladie sans introduire un complément de rémunération.

Le 15 octobre dernier, ici même, le Premier ministre affirmait que l’intelligence locale devait nous inspirer nationalement. Dans ce contexte, quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il pour encadrer les indemnités des agents territoriaux en arrêt maladie, tout en respectant le principe de libre administration territoriale ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de lindustrie. Monsieur le sénateur Grosvalet, depuis le 1er mars 2025, la rémunération des agents publics, titulaires comme contractuels, est maintenue à 90 % pendant les trois premiers mois de congé de maladie ordinaire, puis à 50 % les neuf mois suivants.

Cette règle, fixée par la loi, s’applique à l’ensemble de la fonction publique et garantit une égalité de traitement entre les agents, quel que soit leur employeur. Le principe de libre administration des collectivités territoriales ne permet pas de déroger à cette règle.

Ainsi, une délibération locale prévoyant le maintien du plein traitement pendant un congé de maladie ordinaire serait illégale. Les tribunaux administratifs ont d’ailleurs confirmé cette position en suspendant, depuis 2025, toutes les délibérations de ce type.

Cette réforme traduit un choix responsable face à une tendance à la hausse de l’absentéisme, depuis la crise sanitaire, qui s’inscrit dans la durée. En 2024, le nombre moyen de jours d’absence s’établissait à 11,1 dans la fonction publique, contre 9,5 en 2019, et à 13,3 dans la fonction publique territoriale, contre 11 avant 2019.

Nous cherchons donc à responsabiliser les agents sans les fragiliser ou remettre en cause les autres congés statutaires. Le Gouvernement reste pleinement mobilisé aux côtés des collectivités pour réduire l’absentéisme, améliorer les conditions de travail et renforcer la protection sociale des agents.

Prévenir, protéger, accompagner : telle est la ligne de conduite du Gouvernement.

réforme de la perception de la taxe d’aménagement

M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, auteur de la question n° 749, adressée à Mme la ministre de l’action et des comptes publics.

M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le ministre, l’actualité récente et les difficultés de financement des conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) ont mis de nouveau en lumière les conséquences néfastes de la réforme portant sur la perception de la taxe d’aménagement.

Le projet de loi de finances pour 2021 a opéré un transfert de la gestion de la taxe d’aménagement, jusqu’alors dévolue aux directions départementales des territoires (DDT), vers la direction générale des finances publiques (DGFiP).

Centraliser pour simplifier : tel était l’objectif… Voilà une rengaine dont nous avons désormais malheureusement l’habitude.

Toutefois, au regard des nombreuses remontées de terrain et de la profusion de questions adressées au Gouvernement sur ce sujet, force est de constater que la réforme n’a pas atteint l’objectif initial.

D’une part, les communes, déjà pénalisées par une énième déconnexion avec le contribuable, se retrouvent lésées sur le montant restant à percevoir.

D’autre part, vient inévitablement se greffer à ce mouvement une complexification supplémentaire de la déclaration, dont l’usager, même s’il ne manque pas d’entraînement dans cette discipline, n’avait nul besoin.

Résultat : les maires et leurs équipes, qui subissent déjà une réduction de leurs marges de manœuvre, voient s’ajouter un énième facteur d’incertitude dans l’élaboration de leurs budgets communaux.

Aussi, monsieur le ministre, qu’entendez-vous mettre en œuvre concrètement pour rétablir une bonne gestion de la taxe d’aménagement, telle qu’elle existait lorsque cette taxe était directement recouvrée par les communes ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de lindustrie. Monsieur le sénateur Hugonet, vous êtes un fin connaisseur de ces questions, car vous bénéficiez, comme moi, d’une expérience locale. Je mesure donc la portée de vos propos.

Néanmoins, je ne peux m’empêcher de rappeler que la collecte de la taxe d’aménagement est, depuis fin 2022, exigible à l’achèvement des travaux et non plus au dépôt du permis de construire. La réforme visait à éviter aux collectivités d’avoir à rembourser une partie de l’avance à la fin du chantier.

Avec une exception notable pour les projets dont l’emprise au sol excède 5 000 mètres carrés, qui continuent de faire l’objet d’un acompte, conformément à la demande des associations d’élus, ce nouveau dispositif évite que plus du quart des sommes prélevées au titre de la taxe ne soit remboursé par les collectivités.

Celui-ci a toutefois rencontré des difficultés lors de sa mise en œuvre, ce qui a provoqué un retard dans la collecte de la taxe. La DGFiP a donc engagé des efforts importants pour le rattraper. Ses services locaux sont en contact avec les élus et des relances ont été effectuées auprès des contribuables en retard dans leur déclaration, en lien et en accord avec les collectivités, pour identifier les biens a priori achevés.

Après un certain nombre d’échanges avec l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, la DGFiP a cherché à faire un point sur la situation et, plus particulièrement, sur les sommes restant à collecter.

La baisse du montant des sommes recouvrées par l’État au titre de la taxe d’aménagement et reversées aux collectivités locales s’explique notamment par la diminution des constructions et mises en chantier, ainsi que par la réduction de la surface moyenne des constructions.

En mobilisant l’ensemble des leviers à la main de l’État, nous mettons tout en œuvre pour améliorer le rendement de la taxe d’aménagement et simplifier son recouvrement. La DGFiP a d’ailleurs engagé une réflexion sur le sujet, à laquelle les élus seront associés.

M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.

M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre éclectisme, mais, sauf votre respect, la DGFiP a du mal à reconnaître qu’elle est à côté de la plaque…

Le vrai problème, indépendamment de la technique, c’est que l’on éloigne le contribuable de la commune. C’est un fait majeur, qui n’est pas le fruit du hasard – bon nombre de mes collègues partagent d’ailleurs mon opinion.

conséquences de la réforme de la taxe d’aménagement sur les finances des collectivités territoriales et sur le modèle économique des conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement

M. le président. La parole est à Mme Sylviane Noël, auteure de la question n° 731, adressée à Mme la ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

Mme Sylviane Noël. Monsieur le ministre, depuis l’entrée en vigueur de la réforme de la taxe d’aménagement en janvier 2022, les communes sont confrontées à des difficultés insurmontables dans le recouvrement de cette taxe.

En effet, alors que la taxe d’aménagement était auparavant exigible quelques mois après la délivrance de l’autorisation d’urbanisme, elle ne l’est désormais qu’après la déclaration d’achèvement des travaux.

Ce nouveau mécanisme a profondément désorganisé le recouvrement, jusque-là automatique, du fait des retards considérables dans les déclarations et d’une charge accrue de relances qui incombe désormais aux communes.

Le manque à gagner est colossal : dans mon département, par exemple, la commune de Marignier prévoyait le recouvrement de 300 000 euros en 2025 ; or elle n’a perçu que 10 000 euros à mi-année. Et les retards s’accumulent : la commune des Houches est toujours en attente du recouvrement de 216 000 euros au titre des permis délivrés en 2021 et 2022…

Les conséquences de cette réforme affectent également les départements. La part départementale de la taxe d’aménagement finance notamment les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement, dont les ressources ont chuté de 40 % en 2024, obligeant plusieurs d’entre eux à licencier.

Depuis deux ans, je ne cesse d’alerter sur les effets désastreux de cette réforme, via des questions au Gouvernement, une proposition de loi et de nombreuses remontées que je tiens du terrain, auxquelles le Gouvernement est resté sourd.

Monsieur le ministre, je vous en conjure : il y a urgence à revenir au dispositif antérieur pour mettre fin à ce grand bazar extrêmement pénalisant pour les collectivités locales.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de lindustrie. Madame la sénatrice Noël, les sommes collectées par l’État au titre de la taxe d’aménagement et reversées aux collectivités locales sont en effet en forte baisse : elles s’élevaient à 2,2 milliards d’euros en 2023 contre 1,5 milliard d’euros en 2024, et une nouvelle diminution est attendue en 2025.

Cette évolution tient notamment à la chute du nombre de permis de construire entre 2022 et 2024 – environ moins 31 % –, et à la réduction de la surface moyenne des constructions.

Par ailleurs, depuis fin 2022, la taxe d’aménagement est exigible à l’achèvement des travaux, sauf pour les projets de plus de 5 000 mètres carrés qui restent soumis à un acompte.

Ce nouveau dispositif, associé au transfert de la liquidation et du recouvrement à la DGFiP évite que plus du quart des sommes collectées au titre de la taxe ne soit remboursé ensuite aux usagers et ainsi reversé par les collectivités.

Sa mise en œuvre a toutefois entraîné un retard dans la collecte. Comme je l’ai souligné, la DGFiP a engagé d’importants efforts de rattrapage, en mobilisant ses ressources internes et son réseau territorial.

Des échanges récents avec l’AMF et de nombreux élus ont permis de faire le point sur les sommes restant à recouvrer ; des montants significatifs seront liquidés dans les prochains mois, avant l’expiration des délais de prescription.

La DGFiP a en outre engagé une réflexion avec son réseau, en concertation avec les élus, pour améliorer la gestion et la lisibilité de ces taxes, souvent complexes pour les usagers.

Enfin, le Premier ministre a appelé les élus locaux, les membres du Gouvernement et les parlementaires à engager une réflexion sur la décentralisation, la déconcentration et l’organisation générale de l’État : vos propositions, que nous examinerons avec la plus grande attention, nourriront ce débat.

M. le président. La parole est à Mme Sylviane Noël, pour la réplique.

Mme Sylviane Noël. Monsieur le ministre, cessez de dire que la diminution du recouvrement est due à une baisse des mises en chantier. Les élus savent parfaitement ce qu’ils ont à recouvrer en fonction des autorisations d’urbanisme qu’ils ont délivrées.

Par ailleurs, vous êtes mal informé : la direction départementale des finances publiques de la Haute-Savoie a indiqué à une commune de mon département qu’il était aujourd’hui impossible de réaliser la taxation d’office, au prétexte que « la DGFiP ne dispose pas encore des instructions qui permettent de le faire et que l’applicatif actuel n’est pas encore adapté ».

Le Gouvernement porte une très lourde responsabilité dans la mise en œuvre de cette réforme improvisée, qui a des conséquences désastreuses pour les finances des collectivités locales. On peut même craindre que certains contribuables ne se prévalent d’une prescription fiscale si la commune ne parvient pas à recouvrer sa dette dans les temps. Il y a urgence à revenir au dispositif initial.

difficultés de recouvrement de la taxe d’aménagement par les communes

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud, auteur de la question n° 740, adressée à Mme la ministre de l’action et des comptes publics.

M. Didier Rambaud. Monsieur le ministre, après mes collègues Jean-Raymond Hugonet et Sylviane Noël, je souhaite, à mon tour, attirer votre attention sur les difficultés que rencontrent les communes pour recouvrer la taxe d’aménagement.

Le maire de Voiron, M. Julien Polat, m’a alerté il y a plusieurs semaines sur la situation de sa commune iséroise.

L’article 155 de la loi de finances pour 2021 a prévu le transfert de la gestion des taxes d’urbanisme des services de l’urbanisme vers la direction générale des finances publiques (DGFiP).

Depuis cette réforme, c’est bien la DGFiP qui assure le recouvrement de la taxe d’aménagement sur le fondement d’une déclaration effectuée par le propriétaire à l’achèvement des travaux – j’y insiste –, via le service en ligne « Gérer mes biens immobiliers ».

Or, vous l’avez compris, monsieur le ministre, de nombreuses collectivités font face à des retards considérables dans les encaissements et à une grande incertitude quant aux montants réellement dus et aux véritables échéances de perception.

Ces dysfonctionnements fragilisent sérieusement les budgets communaux. Pour la commune de Voiron, les recettes encaissées au 1er septembre 2025 ne représentent que 15 % des prévisions budgétaires initiales, soit 90 000 euros encaissés sur 600 000 euros attendus.

Monsieur le ministre, quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il de prendre pour rétablir la fiabilité et la transparence du dispositif ? Peut-on faire en sorte que les collectivités locales puissent, à titre transitoire, reporter les produits attendus dans leur compte financier unique pour 2025 dès la transmission valable d’une déclaration d’achèvement ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de lindustrie. Monsieur le sénateur Rambaud, comme je l’indiquais, la collecte de la taxe d’aménagement a fait l’objet d’une profonde évolution depuis fin 2022. Le nouveau dispositif, bien qu’il soit perfectible, évite que plus d’un quart des montants perçus ne soit ensuite remboursé aux usagers et, donc, restitué par les collectivités locales.

L’alignement de la taxation sur la réalité des constructions achevées permet désormais d’éviter l’émission de taxes sur des projets finalement abandonnés, qui entraînait auparavant des annulations a posteriori.

Le dispositif a toutefois rencontré des difficultés lors de sa mise en place, et je comprends que les élus s’interrogent face au retard pris dans la collecte.

La DGFiP a donc engagé des efforts importants pour rattraper ce retard et s’est rapprochée de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité pour faire un point complet sur la situation.

D’une manière générale, puisque votre point de vue fait l’unanimité sur les travées du Sénat, il me paraît nécessaire que nous examinions les situations très précises dont vous m’avez fait part. J’appellerai donc les services de Bercy à toucher du doigt les difficultés concrètes auxquelles sont confrontés les élus locaux. Si des améliorations doivent être apportées dans le cadre de la réforme de la décentralisation et de la déconcentration qu’a proposée le Premier ministre, c’est avec pragmatisme et sens des responsabilités que nous agirons.

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud, pour la réplique.

M. Didier Rambaud. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, mais faisons vite, car les retards mettent en péril l’équilibre des budgets locaux et compromettent les investissements publics qui doivent être menés à leur terme avant les prochaines élections municipales. J’insiste sur ce point : il est question, non pas de travaux inachevés ou abandonnés, mais de travaux qui sont réellement terminés.

conséquence du dispositif de lissage conjoncturel en seine-maritime

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, auteure de la question n° 766, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique.

Mme Céline Brulin. Après une loi de finances pour 2025 déjà douloureuse pour les collectivités, le Gouvernement prévoit de doubler le dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico), lequel devait pourtant être temporaire. Il serait porté à 2 milliards d’euros, dont plus de 1,2 milliard d’euros à la charge des communes et des intercommunalités, ce qui représente autant de moins pour les services publics et les investissements locaux et, du coup, pour les habitants.

Ce dispositif frappe les collectivités sans tenir compte de leurs projets, pas plus que de la situation sociale de leur population. Les plus engagées d’entre elles dans la modernisation des écoles, les centres sociaux ou la transition écologique sont les premières touchées.

Aucun compte n’est tenu des efforts que certaines doivent accomplir pour construire logements ou infrastructures afin, par exemple, d’accueillir des projets industriels d’envergure nationale ou, au contraire, de faire face à l’arrêt d’activités industrielles et à la perte d’emplois.

Plus grave encore, les modalités de remboursement s’apparentent à une véritable punition collective. En effet, celui-ci n’interviendrait que si les dépenses de la strate des collectivités concernées évoluaient moins vite que le PIB.

C’est pire qu’un retour des contrats de Cahors et cela donne le sentiment que plus l’État déserte les territoires, plus il accentue son contrôle sur les collectivités.

Qui peut imaginer qu’une réduction des investissements permettra de soutenir notre économie ? Qui peut croire qu’un transfert de l’endettement national vers les territoires aidera la France à sortir des déficits ?

À quelques mois des élections municipales, alors que s’engager comme élu local est de plus en plus compliqué, quel effet aura, selon vous, cette nouvelle réduction particulièrement drastique des leviers d’intervention des équipes communales ?

Est-ce cela votre vision de la décentralisation : décentraliser l’austérité ? Envisagez-vous d’abandonner ce dispositif, comme la commission des lois de l’Assemblée nationale vient de le voter, ou vous entêterez-vous ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de lindustrie. Madame la sénatrice Brulin, dans le cadre du débat budgétaire, la position du Gouvernement relève non pas de l’entêtement, mais bien de la discussion, de l’écoute et du dialogue avec le Parlement.

Puisque vous m’interrogez sur le Dilico, je vous rappelle que ce dispositif a été mis en place l’année passée au cours d’un échange riche et nourri qui a eu lieu au Sénat, lors de l’examen du projet de loi de finances, et qu’il visait notamment à corriger les propositions initiales du Gouvernement relatives aux collectivités locales.

Il est proposé, dans le projet de loi de finances pour 2026, non seulement de maintenir le Dilico, mais aussi d’en doubler l’enveloppe budgétaire. Je ne doute pas que le Sénat sera extrêmement attentif à cette question et qu’il fera des propositions pour améliorer le dispositif.

À ce stade, et afin d’en garantir la prévisibilité, ses modalités de prélèvement resteraient identiques à celles de 2025. Le prélèvement serait réparti sur un plus grand nombre de contributeurs, lissé et effectué mensuellement à compter du mois suivant la notification par arrêté interministériel.

Il est prévu dans le projet de loi de finances d’étaler la restitution du Dilico sur cinq ans à partir de 2027, afin de l’aligner sur le rythme des cycles électoraux.

Une part du reversement, portée de 10 % à 20 %, continuera d’abonder un fonds de péréquation, représentant un soutien annuel de 80 millions d’euros aux collectivités les plus fragiles. Le solde de 80 % sera reversé selon l’évolution des dépenses réelles de fonctionnement et d’investissement de chaque catégorie de contributeurs, et notamment au regard de l’évolution du PIB.

Vous l’avez indiqué, l’effort serait réparti entre les communes, les intercommunalités, les départements et les régions.

Telle est la proposition que le Gouvernement a mise sur la table. Je suis certain qu’elle fera, compte tenu de l’attachement du Sénat aux collectivités locales et du fait que plusieurs membres du Gouvernement sont aussi des élus locaux, d’un débat riche et approfondi permettant d’améliorer les dispositions prévues.

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.

Mme Céline Brulin. J’entends votre volonté de dialogue, monsieur le ministre. Pour autant, vous n’avez fait que répéter ce qu’est, selon vous, le Dilico à l’heure actuelle. Or nous contestons cette définition.

Il convient donc de corriger très sensiblement ce dispositif. Nous y prendrons toute notre part !

avenir du pacte dutreil à la lumière des recommandations de la cour des comptes

M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, auteur de la question n° 653, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique.

M. Cyril Pellevat. Dans un rapport publié en juin 2025, la Cour des comptes propose une réforme profonde du dispositif Dutreil, qui permet, depuis 2003, de bénéficier d’une exonération des droits de mutation à hauteur de 75 % lors de la transmission d’entreprises familiales, sous réserve d’un engagement de gestion et de conservation des parts ou actions concernées.

La Cour considère aujourd’hui que ce mécanisme coûterait près de 4 milliards d’euros par an, un chiffre très supérieur aux évaluations avancées jusqu’à présent par Bercy, qui l’estimait à 800 millions d’euros. À la lumière de cette appréciation, elle propose de restreindre, voire de plafonner, les avantages fiscaux accordés.

Or ce dispositif est un levier crucial pour pérenniser les entreprises familiales, particulièrement dans l’industrie. En France, seulement 14 % à 20 % des entreprises sont transmises dans un cadre familial, contre plus de 60 % en Italie et 50 % en Allemagne. Supprimer ou fragiliser le pacte Dutreil, ce serait entraver la transmission entre des générations d’entrepreneurs, briser la chaîne qui fait vivre nos territoires et favoriser la vente à de grands groupes ou à des groupes étrangers au détriment de l’ancrage local.

Alors que la réindustrialisation est reconnue comme une priorité nationale, suivre les recommandations de la Cour des comptes reviendrait à faire l’exact inverse de ce que commande l’intérêt économique et territorial du pays.

Monsieur le ministre, le Gouvernement entend-il suivre l’avis de la Cour des comptes ? Peut-il s’engager à préserver le cœur du pacte Dutreil, pour ne pas compromettre la transmission d’entreprises, l’emploi local et notre souveraineté économique, alors même qu’il a été question lors de récentes discussions budgétaires de le raboter et, en tant que niche fiscale, de le surveiller tout particulièrement ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de lindustrie. Monsieur le sénateur Cyril Pellevat, nous partageons votre attachement au dispositif du pacte Dutreil, en vigueur depuis plus de vingt ans, qui contribue à préserver le tissu des entreprises familiales. Sa longévité témoigne du consensus qui existe sur la nécessité de conserver un tel outil.

La Cour des comptes a mené ces derniers mois une étude méticuleuse, soulignant le coût croissant de cette dépense fiscale. Celui-ci résulte principalement d’une anticipation de son possible resserrement, qui accroît le rythme des transmissions.

Sans le pacte Dutreil, beaucoup de transmissions n’auraient pas eu lieu, ce qui aurait été dommageable tant sur le plan économique que pour nos finances publiques.

Plusieurs propositions visent à limiter la portée de ce pacte, notamment par un plafonnement ou une restriction aux seules très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME). Mais le Gouvernement estime que ce n’est pas pertinent, la pérennité d’une société ne dépendant ni de sa taille ni de sa valeur. Les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les grandes entreprises sont, en outre, plus exposées aux risques de démantèlement ou de prise de contrôle par des entités étrangères.

Des amendements avaient déjà été adoptés l’an dernier, lors de l’examen du projet de loi de finances, pour en réduire le périmètre, et ce afin d’éviter que le dispositif ne s’étende à la transmission de biens étrangers à l’activité principale de la société. Le Gouvernement partage les préoccupations exprimées sur ce point et veille à prévenir tout usage abusif de cet avantage fiscal. À cet égard, l’Assemblée nationale a adopté, hier, plusieurs amendements sur ce sujet, qui tendent notamment à exclure des biens personnels de l’assiette ou à introduire une condition d’âge.

Ce sont là des débats légitimes, mais le Gouvernement a à cœur de conforter le dispositif, tout en veillant à corriger les éventuels errements. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen par le Sénat du projet de loi de finances pour 2026.

M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour la réplique.

M. Cyril Pellevat. Dans les territoires, et notamment les départements, comptant de nombreuses entreprises qui ont été transmises et sont le fruit d’un travail, les dernières déclarations ainsi que certains amendements déposés font peur. Nous sommes d’ailleurs régulièrement sollicités à ce sujet sur le terrain.

Je vous remercie par conséquent, monsieur le ministre, pour les éléments de réponse que vous venez d’apporter, lesquels sont de nature à rassurer les entrepreneurs qui seraient justement en train de transmettre leur entreprise ou l’envisageraient. Ceux-ci ont en effet besoin que le système fiscal soit clair et lisible, car l’incertitude crée des tensions, notamment dans nos territoires. Nous serons très attentifs à cette question lors du débat budgétaire.

avenir et financement de la politique agricole commune

M. le président. La parole est à M. Olivier Bitz, auteur de la question n° 698, adressée à Mme la ministre de l’agriculture, de l’agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire.

M. Olivier Bitz. Madame la ministre, politique fondatrice de la construction européenne, la politique agricole commune (PAC) représente encore aujourd’hui un axe majeur de l’action de l’Union européenne (UE).

Or, le 16 juillet dernier, la présidente de la Commission européenne a présenté les premières orientations du futur cadre financier pluriannuel de l’Union européenne pour la période 2028-2034. L’architecture budgétaire s’en trouverait profondément modifiée, avec des conséquences importantes pour la PAC.

Actuellement, celle-ci bénéficie de 386 milliards d’euros. La Commission européenne prévoit désormais une enveloppe de 300 milliards d’euros sur la période 2028-2034, ce qui correspondrait à une baisse de 20 % des crédits. En outre, la PAC se trouverait très largement intégrée dans un grand fonds, plus global, comprenant d’autres programmes. Selon les projections réalisées, plus de la moitié des agriculteurs français seraient affectés par une réduction des aides.

Ces premières orientations constituent un risque important pour la production et la souveraineté de l’agriculture européenne, dont la France est l’une des principales locomotives. Depuis ces annonces, les syndicats agricoles se mobilisent pour exprimer leurs plus vives préoccupations, tout particulièrement les filières bovine et laitière.

Madame la ministre, les négociations européennes ont démarré. Le 27 octobre dernier, lors du Conseil agriculture et pêche (Agripêche), vous avez déclaré qu’en l’état le budget dévolu à la PAC était « insuffisant » et qu’il « compromet[tait] le succès d’une politique faisant la fierté de l’Union européenne ». Nous ne pouvons que vous suivre !

Le lendemain, le Premier ministre s’est entretenu avec M. Christophe Hansen, commissaire européen à l’agriculture et à l’alimentation. À l’issue de cet échange, le chef du Gouvernement a affirmé que « les enveloppes de la PAC devaient être intégralement maintenues ». Nous en sommes également d’accord.

Madame la ministre, pouvez-vous nous assurer que le Gouvernement est pleinement mobilisé pour que la PAC demeure une politique commune d’avenir, reposant sur des garanties financières durables, en vue de soutenir le développement de l’agriculture française ? Bref, comment entendez-vous rassurer nos agriculteurs ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Annie Genevard, ministre de lagriculture, de lagro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Olivier Bitz, je tiens à dire en préambule qu’il est indispensable que l’Union européenne continue de se doter d’une PAC robuste permettant de garantir notre souveraineté alimentaire, les revenus des agriculteurs, et de faciliter le renouvellement des générations. À cet égard, la vive inquiétude exprimée par les milieux agricoles, que je partage, doit être entendue.

Ainsi, le montant alloué de manière certaine au périmètre garanti de la PAC dans le budget européen, et la proposition d’enveloppe nationale octroyée à la France qui en découle, suscitent une profonde incompréhension.

La France fera preuve d’une vigilance absolue pour obtenir toutes les garanties nécessaires à la préservation des aides liées à la PAC.

Nous n’avons jamais eu autant de besoins pour relever les immenses défis agricoles du XXIe siècle. Il nous faut donc obtenir une clarification rapide de la part de la Commission sur les évolutions budgétaires proposées pour la PAC, à l’échelle de l’Union comme des États membres.

En outre, la demande initiale de la France et de nombreux États membres était que la PAC demeure une politique commune à part entière, et qu’elle continue à bénéficier de dispositions et d’un budget dédiés, séparés d’un éventuel fonds unique – je l’ai encore dit, la semaine dernière, très clairement à Luxembourg lors du Conseil Agripêche.

La Commission a proposé une nouvelle architecture qui nuit à la lisibilité des dispositions et de l’action publique pour les agriculteurs. Il est donc d’autant plus indispensable que la Commission apporte toutes les garanties nécessaires pour faire en sorte que la PAC soutienne le revenu des agriculteurs et permette de répondre aux nombreux défis auxquels ils font face, alors même que nous avons plus que jamais besoin d’eux pour assurer notre souveraineté alimentaire.

Dans ce contexte, je note toutefois certains motifs de satisfaction, tels que le maintien des soutiens au revenu, des aides couplées et de l’indemnité compensatoire des handicaps naturels (ICHN).

Enfin, le besoin de simplification de la PAC ne saurait constituer un prétexte pour gommer son caractère commun.

Soyez persuadé, monsieur le sénateur, que le Gouvernement, le Premier ministre et moi-même serons particulièrement attentifs à cette question et déterminés à nous faire entendre.

renouvellement du certificat médical pour la pratique de la danse

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, auteur de la question n° 739, adressée à Mme la ministre de la culture.

Mme Pascale Gruny. Ma question s’adressait à Mme la ministre de la culture.

Si la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France a assoupli le contrôle médical préalable à la pratique sportive, ce n’est pas le cas pour la danse, qui reste régie par la loi du 10 juillet 1989 relative à l’enseignement de la danse.

Ainsi, le code de l’éducation dispose que l’école de danse doit s’assurer, chaque année, que les élèves sont munis d’un certificat médical, lequel doit impérativement être renouvelé tous les ans. Pour la pratique d’un sport, en revanche, ce certificat doit être renouvelé tous les trois ans.

Si la danse n’est pas considérée, comme le rappelle le code de l’éducation, comme une pratique sportive standard, cette différence de traitement est incompréhensible. Et obtenir un certificat médical de danse est de plus en plus difficile au regard du manque croissant de médecins généralistes dans nombre de territoires.

En réponse à une question écrite posée en 2024, Mme la ministre de la culture avait indiqué que l’obligation d’obtenir un certificat médical pour la danse méritait d’être réinterrogée et que le ministère travaillait à une évolution réglementaire susceptible d’intervenir prochainement. Où en sont ces réflexions ? Envisage-t-on effectivement d’assouplir la loi de 1989 pour rapprocher les dispositions qui y figurent des mesures de simplification introduites dans le code du sport en 2022 ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Annie Genevard, ministre de lagriculture, de lagro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice Pascale Gruny, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de ma collègue ministre de la culture, qui m’a demandé de vous transmettre la réponse suivante.

L’article R.362-2 du code de l’éducation découle de l’article L.462-1 du même code, qui prévoit un contrôle médical pour les élèves pratiquant la danse.

Toutefois, l’obligation de fournir un certificat médical, instaurée en 1992, apparaît aujourd’hui datée. À la lumière des réformes intervenues dans le domaine sportif, notamment la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France, le ministère de la culture a engagé une réflexion pour adapter la réglementation applicable à la danse.

Une évolution réglementaire est ainsi envisagée à court terme afin d’harmoniser les pratiques avec celles du sport, tout en tenant compte des spécificités de la danse. Dans l’attente de cette révision, et pour simplifier les démarches des familles comme des établissements, le ministère recommande, en cas d’impossibilité d’obtenir un certificat médical, d’utiliser le questionnaire de santé prévu par le code du sport.

Conscient toutefois que ce document pourrait ne pas couvrir certaines particularités propres à la danse, notamment les contraintes physiques spécifiques, comme la pratique des pointes, le ministère a sollicité l’expertise du Conseil national de l’ordre des médecins. L’objectif est d’élaborer un questionnaire adapté, garantissant la sécurité des élèves, tout en évitant des démarches médicales parfois complexes.

Le ministère de la culture attend actuellement la réponse du Conseil national de l’ordre, avant de finaliser l’évolution du dispositif. Cette démarche vise à concilier la simplification administrative, à laquelle nous sommes tous attachés, la prévention médicale adaptée, qui est absolument nécessaire, et la promotion de la pratique de la danse dans des conditions de sécurité optimales.

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.

Mme Pascale Gruny. Je vous remercie de cette réponse, madame la ministre. Le problème, c’est que nous attendons depuis longtemps ; une solution devient donc urgente.

Lorsque l’on interroge l’ordre des médecins, au travers par exemple de l’un de ses conseils départementaux – je l’ai fait dans mon département –, celui-ci répond qu’aucun certificat n’est à fournir… Les textes en vigueur ne sont donc pas en phase avec le message de cet ordre professionnel. En conséquence, une lourde responsabilité pèse sur les écoles de danse en cas d’accident et en l’absence de ce certificat.

Enfin, la difficulté est liée non seulement au nombre insuffisant de médecins, mais aussi au manque de temps médical. Tout ce que l’on pourra faire pour simplifier les formalités sera donc important.

panthéonisation de camille claudel

M. le président. La parole est à M. Lucien Stanzione, auteur de la question n° 599, adressée à Mme la ministre de la culture.

M. Lucien Stanzione. C’est toujours avec un grand plaisir que je vous interroge sur les questions agricoles, madame la ministre de l’agriculture, mais, en l’occurrence, ma question porte aujourd’hui sur la culture… (Sourires.)

Camille Claudel, c’est l’histoire d’un génie que l’on a voulu faire taire, d’une sculptrice libre, puissante, qui a révolutionné son art à une époque où les femmes n’avaient pas le droit d’être des femmes créatrices à part entière. Formée très jeune, collaboratrice de Rodin, mais surtout artiste à part entière, elle a donné à la sculpture une émotion et une liberté nouvelles. Ses œuvres, comme La Valse ou LÂge mûr, sont devenues des symboles : elles parlent d’amour, de douleur, de passage, mais aussi de résistance et d’émancipation.

Et pourtant, la société de son temps ne lui a pas pardonné son indépendance. Internée contre son gré en 1913, elle passa plus de trente années enfermée à l’asile des aliénés de Montdevergues-les-Roses, à Montfavet, près d’Avignon dans le Vaucluse, avant d’y mourir, seule, en 1943.

Son destin raconte une double injustice : celle faite à une femme artiste, et celle faite à des milliers de malades mentaux abandonnés sous le régime de Vichy.

Rendre hommage à Camille Claudel aujourd’hui, c’est reconnaître ce que la République a parfois refusé de voir : le génie des femmes, la dignité des fragilisés et la mémoire des oubliés.

Lui ouvrir les portes du Panthéon serait un acte fort, culturel et moral à la fois, un geste de réparation, de reconnaissance et de fidélité à nos valeurs républicaines. Une démarche a été engagée directement auprès du Président de la République en ce sens.

Madame la ministre, le Gouvernement entend-il soutenir cette entreprise visant à faire entrer Camille Claudel au Panthéon, pour qu’elle rejoigne enfin celles et ceux qui ont fait la grandeur et la conscience de notre Nation ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Annie Genevard, ministre de lagriculture, de lagro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Stanzione, j’ai encore en mémoire la magnifique biographie de Camille Claudel par Anne Delbée et l’émotion que j’avais ressentie en lisant le destin tragique de cette femme qui a créé dans l’ombre de Rodin, lequel s’est largement inspiré de son œuvre, puis qui a été abandonnée à la solitude et au dénuement. Je comprends donc ce qui motive votre démarche.

Je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Mme la ministre de la culture, qui m’a demandé de vous apporter la réponse suivante.

Vous appelez à juste titre l’attention du Gouvernement sur la personnalité remarquable de Camille Claudel, l’une des plus grandes artistes françaises, au rayonnement national et international considérable – l’histoire lui rend justice ! –, qui symbolise par ailleurs le combat des femmes et les difficultés qu’il y avait pour celles-ci, à cette époque, à voir l’importance de leurs œuvres reconnue par leurs pairs et le grand public.

En effet, la motivation du transfert de cendres au Panthéon ne se résume pas, en général, à la valeur d’une œuvre artistique ou scientifique, fût-elle considérable, mais elle met en exergue un engagement ou un symbole lié aux valeurs de la Nation ou de la République.

Victor Hugo, Émile Zola, André Malraux et Alexandre Dumas sont certes de grands écrivains, Marie Curie est certes une grande scientifique, mais ce sont aussi, ou surtout, leurs combats civiques ou humanistes qui leur ont valu les honneurs de la nécropole nationale. Ce sont ces combats qui ont d’ailleurs présidé aux récentes panthéonisations de Missak et Mélinée Manouchian et de Robert Badinter.

Comme vous le relevez, l’entrée au Panthéon des restes de personnes illustres relève, sous la Ve République, d’un décret du Président de la République. La prochaine cérémonie devrait être dédiée à Marc Bloch, grand historien et martyr de la Résistance.

Il appartiendra au Président de réserver la suite qu’il jugera pertinente à la proposition de transfert des cendres de Camille Claudel, d’autres personnalités pouvant également prétendre à cet hommage national.

absence de transparence sur l’avenir des financements alloués au programme « notre école, faisons-la ensemble »

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Vayssouze-Faure, auteur de la question n° 679, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale.

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. Monsieur le ministre, en 2022, le Président de la République lançait le Conseil national de la refondation (CNR). Dans ce cadre, le programme « Notre école, faisons-la ensemble » faisait l’objet d’une large campagne de communication de la part de l’État, invitant les établissements scolaires à se saisir du dispositif pour bénéficier de financements et, ainsi, mettre en œuvre leurs projets.

Le Gouvernement et le ministère de l’éducation nationale ont vanté, de manière très appuyée, les mérites de ce dispositif auprès des élus locaux et des enseignants, en s’engageant à ce que des financements soient effectivement attribués. Or, si certains projets se sont concrétisés, de nombreux établissements ayant fait acte de candidature n’ont jamais été informés des suites données à leur dossier. D’autres ont été destinataires d’une réponse favorable, mais n’ont toujours pas obtenu les financements censés contribuer à la concrétisation des projets labellisés.

Dans le Lot, les personnels de plusieurs écoles et collèges ont pris la peine de se mobiliser, et de déployer leur énergie pour bâtir des projets sérieux et adaptés au contexte local. Plus d’un an et demi après le dépôt de leur candidature, certains établissements n’ont toujours pas reçu de réponse de l’État.

Les personnels éducatifs m’ont fait part d’un sentiment légitime de déception au regard du travail qu’ils ont fourni et des attentes suscitées par le ministère de l’éducation nationale autour de ce programme. De nombreux autres exemples m’ont été rapportés à l’échelle de plusieurs académies, ce qui fait craindre une mise à l’arrêt brutale de ces financements à l’échelle nationale.

Alors que 500 millions d’euros étaient annoncés sur cinq ans, 95 millions d’euros avaient été alloués en février 2024 : il s’agit du dernier chiffre actualisé dont nous disposons. Où en est-on à ce jour ?

Monsieur le ministre, les aides annoncées par l’État seront-elles, oui ou non, versées aux écoles lauréates ? S’agissant des candidatures restées lettre morte, vous engagez-vous à apporter une réponse transparente à l’intégralité des établissements ayant sollicité un accompagnement ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Edouard Geffray, ministre de léducation nationale. Monsieur le sénateur Jean-Marc Vayssouze-Faure, le programme « Notre école, faisons-la ensemble » a été lancé en 2022 afin de « faire école » différemment, de manière très partenariale, en réunissant les parents d’élèves, les enseignants, la communauté éducative et, au premier chef, les collectivités territoriales.

Cette démarche a suscité une dynamique très importante : au total, 8 600 projets ont d’ores et déjà été validés, et 2,9 millions d’élèves en sont bénéficiaires, soit quasiment un élève sur quatre.

Parmi ces projets, on peut en citer trois : une méthode d’enseignement des mathématiques au collège Léon-Huet de La Roche-Posay, qui s’est traduite par une amélioration des résultats au brevet ; un passeport maritime pour former les élèves au monde maritime afin d’ouvrir des perspectives d’emploi et de lutter contre le décrochage scolaire au collège Archipel des Saintes de Terre-de-Haut, en Guadeloupe ; une classe opéra encourageant le travail sur l’oral et donnant lieu à un projet linguistique dans un collège d’Aix-en-Provence.

Par la mobilisation d’une enveloppe nationale dédiée au fonds d’innovation pédagogique (FIP), ce sont aussi près de 123 millions d’euros qui ont été engagés entre 2022 et 2024.

Pour autant, dans la période actuelle, la contrainte budgétaire est forte. Par ailleurs, une fois la phase d’initiation achevée, la démarche a vocation à s’intégrer dans le fonctionnement normal des écoles et à « faire école ».

C’est la raison pour laquelle, depuis l’été 2025, une nouvelle enveloppe budgétaire de 13,4 millions d’euros a été déléguée aux académies pour soutenir prioritairement les projets déjà engagés devant se poursuivre dans le temps long. Au total, plus de 136 millions d’euros ont été consacrés à cette politique depuis 2022.

J’ai bien entendu votre alerte, monsieur le sénateur. Nous devons en effet donner une réponse – j’y veillerai personnellement – à tous les établissements qui ont candidaté. Par ailleurs, nous allons poursuivre la démarche engagée, même si le contexte budgétaire est plus contraint.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Vayssouze-Faure, pour la réplique.

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. Je vous remercie, monsieur le ministre, de cette réponse. Cette transparence et cet effort, nous les devons à nos écoles de proximité, à nos collèges et à nos lycées.

participation des communes au financement de la scolarisation des élèves

M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou, auteure de la question n° 767, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale.

Mme Annie Le Houerou. Monsieur le ministre, l’article L.442-5-1 du code de l’éducation, issu de la loi du 28 octobre 2009 tendant à garantir la parité de financement entre les écoles élémentaires publiques et privées sous contrat d’association lorsqu’elles accueillent des élèves scolarisés hors de leur commune de résidence, dite loi « Carle », prévoit que les communes du lieu de résidence des élèves ont l’obligation de participer aux dépenses de fonctionnement des classes sous contrat d’association pour les élèves scolarisés dans une autre commune, lorsqu’elles ne disposent pas des capacités d’accueil dans leurs propres écoles publiques.

Dans le cadre d’un regroupement pédagogique intercommunal (RPI) réalisé sur l’initiative d’un établissement public de coopération intercommunale, et lorsque l’ensemble des niveaux d’enseignement du premier degré est proposé et accessible à tous les enfants domiciliés dans les communes membres, ces communes ne sont pas tenues de contribuer financièrement à la scolarisation d’élèves dans une école privée extérieure, dès lors que l’offre publique complète existe et est accessible. Dans ce cas, l’offre d’accueil de l’enseignement public est appréciée non pas commune par commune, mais à l’échelle du regroupement pédagogique.

Lorsque ce regroupement pédagogique intercommunal s’organise dans le cadre d’une convention associative entre des communes, l’offre d’accueil de l’enseignement public est appréciée commune par commune, et non à l’échelle des communes membres du RPI. L’obligation financière s’impose pour les classes qui ne sont pas assurées dans la commune de résidence de l’élève.

Ainsi, deux communes placées dans une situation identique sur le plan de l’offre scolaire se voient appliquer des règles financières différentes selon le seul critère du statut de l’organisation de leur RPI.

Pouvez-vous m’indiquer les raisons qui justifient cette différence de traitement entre des communes qui assurent toutes une offre complète et accessible de scolarisation ? En effet, l’offre d’enseignement public est identique pour les familles dans les deux situations.

Une évolution de la réglementation peut-elle être envisagée afin d’assurer une égalité de traitement entre des communes qui contribuent au financement de l’éducation de leurs enfants dans le périmètre de plusieurs communes associées, et afin de garantir le service tant en investissement qu’en fonctionnement ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Edouard Geffray, ministre de léducation nationale. Madame la sénatrice Annie Le Houerou, je vous remercie d’avoir attiré mon attention sur le cas particulier des RPI constitués sans transfert de compétence à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI).

Le droit en vigueur repose sur un principe clair : la commune de résidence est responsable de l’organisation scolaire, sauf lorsqu’elle a explicitement transféré cette compétence à une intercommunalité.

Dans le cadre d’un regroupement pédagogique intercommunal « conventionnel », chaque commune demeure donc compétente et l’appréciation de la capacité d’accueil de l’école publique se fait à l’échelon communal. À l’inverse, lorsqu’un EPCI assume la compétence scolaire, la capacité d’accueil est appréciée au niveau du territoire intercommunal, avec les conséquences que vous avez mentionnées sur la prise en charge du forfait pour les élèves scolarisés dans un établissement privé sous contrat.

Très concrètement, la distinction résulte aujourd’hui du degré d’intégration scolaire que les communes choisissent d’établir au sein des intercommunalités. Pour autant, j’entends très bien qu’au quotidien cette distinction soit difficilement lisible pour les collectivités, ce qui peut susciter des interrogations, voire des confusions.

À mon sens, nous devons garder deux enjeux à l’esprit.

Le premier, c’est celui de la transparence et de la communication la plus claire possible vis-à-vis des collectivités : il faut que les communes, lorsqu’elles envisagent de transférer leur compétence scolaire à un EPCI, puissent d’abord être dûment informées par les services de l’État des conséquences que vous venez de mentionner, madame la sénatrice.

Le second enjeu, c’est l’éventuelle modification de la réglementation. Ayant été sensibilisé sur ce point, je vais demander aux services du ministère de dresser un panorama complet de la situation. À ce jour, nous ne disposons pas des éléments permettant d’étudier le cas particulier que vous avez soulevé. Sur ce fondement, j’examinerai évidemment avec la plus grande bienveillance une éventuelle modification des règles applicables en la matière.

blocages administratifs et pénurie de main-d’œuvre agricole

M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, en remplacement de Mme Christine Bonfanti-Dossat, auteur de la question n° 709, adressée à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

M. Laurent Burgoa. Monsieur le ministre, je supplée ma collègue Christine Bonfanti-Dossat, sénateur de Lot-et-Garonne, qui souhaitait attirer l’attention du Gouvernement sur les blocages administratifs et la pénurie de main-d’œuvre agricole.

Dans le département du Lot-et-Garonne comme dans tant d’autres territoires agricoles, nos producteurs vivent aujourd’hui une situation ubuesque et profondément injuste. Chaque année, la récolte devient un véritable casse-tête administratif.

En effet, les exploitants attendent des mois pour obtenir les visas de leurs travailleurs saisonniers étrangers, alors qu’il s’agit d’hommes et de femmes qu’ils connaissent, qui reviennent chaque année et dont les autorisations de travail sont parfaitement en règle.

Malgré des dossiers complets, les réponses tardent. Les refus s’accumulent, les délais s’étirent et les services consulaires, comme l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), laissent les exploitants dans une incertitude totale.

En conséquence, des fruits restent sur les arbres, faute de bras pour les cueillir. En 2024 déjà, de nombreux arboriculteurs du département de Lot-et-Garonne ont perdu une partie de leur récolte. En 2025, le scénario se répète, avec les mêmes drames économique et humain.

Cette situation n’est plus une exception ; c’est un dysfonctionnement structurel, mais aussi, disons-le clairement, le résultat d’une profonde absurdité administrative. Comment expliquer qu’alors que nos frontières peuvent être traversées sans contrôle nos agriculteurs, eux, peinent à obtenir quelques dizaines de visas pour des travailleurs réguliers, identifiés et indispensables à la survie de leur exploitation ?

Ce « deux poids, deux mesures » alimente un sentiment d’injustice, de colère et de découragement. Nos producteurs se sentent abandonnés. Ils voient leur travail, leur engagement et parfois même leur patrimoine sacrifiés sur l’autel d’une bureaucratie incompréhensible.

Aussi, monsieur le ministre, je vous le demande : quelles instructions précises comptez-vous donner aux services consulaires et à l’Ofii pour que de tels blocages cessent enfin ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Vous avez raison, monsieur le sénateur, nous ne pouvons pas sacrifier notre agriculture à cause de procédures administratives excessives.

La réforme des services de la main-d’œuvre étrangère, entrée en vigueur en avril 2021, a permis de dématérialiser et de simplifier la procédure. L’employeur saisit désormais une plateforme nationale pour obtenir une autorisation de travail, transmise ensuite à l’Office français de l’immigration et de l’intégration au Maroc, dépendant du ministère de l’intérieur, qui organise les rendez-vous auprès de notre prestataire TLScontact. Le consulat général de France à Casablanca intervient en fin de chaîne pour instruire les demandes de visa.

Les chiffres disponibles mettent en évidence un effet de vases communicants : le nombre de visas accordés diminue, tandis que les titres de séjour pluriannuels délivrés en préfecture augmentent. En 2024, plus de 10 000 titres de séjour portant la mention « travailleur saisonnier » ont été établis, ce qui est le signe d’une fidélisation croissante des salariés par leurs employeurs.

Les refus résultent d’un examen rigoureux mené en coopération avec l’Ofii. Ils concernent principalement des situations où sont constatés un état de santé incompatible avec les travaux agricoles, une méconnaissance manifeste de l’employeur, un recours à des intermédiaires rémunérés, la présentation de documents douteux, ou encore des taux de retour insuffisants pour certaines entreprises – lorsque ces derniers sont inférieurs à 80 %, l’entreprise ne peut plus se voir accorder de nouveaux visas.

Monsieur le sénateur, ces garde-fous indispensables pour garantir la crédibilité du dispositif ne doivent pas, en effet, fragiliser nos filières agricoles. C’est pourquoi un travail interministériel est en cours, en lien avec les organisations professionnelles, pour améliorer la lisibilité et la prévisibilité de la procédure. Il faut concilier les besoins des exploitants agricoles avec la nécessaire maîtrise des flux migratoires.

Vous pouvez compter sur notre mobilisation pour que l’agriculture française puisse continuer de compter sur une main-d’œuvre saisonnière encadrée, régulière et respectueuse de nos règles.

M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour la réplique.

M. Laurent Burgoa. Monsieur le ministre, j’ai bien entendu votre réponse, mais, alors que nous nous trouvons dans cet hémicycle, sachez que, dans les champs, les fruits pourrissent et les producteurs s’épuisent… Ce que nos agriculteurs demandent, comme beaucoup de nos concitoyens, ce n’est pas une faveur, mais du bon sens !

situation du réseau de l’enseignement français en espagne

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Renaud-Garabedian, auteur de la question n° 775, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de la francophonie, des partenariats internationaux et des Français de l’étranger.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. Quelle ne fut pas la stupeur des enseignants, des familles et des élus des Français de l’étranger d’apprendre que la Mission laïque française (MLF) cherchait un repreneur privé pour tout son réseau en Espagne ! Je dis bien « stupeur », car la nouvelle ne nous est pas parvenue directement de la MLF : ce n’est que grâce à l’insistance d’une association de parents d’élèves auprès de la direction que la manœuvre a été rendue publique.

Et pourtant, la décision de la MLF de se désengager de ses neuf établissements en Espagne, prise sans aucune concertation, est lourde de conséquences. Le projet de cession, déjà très avancé, intervient après des années de hausse régulière des frais d’écolage, le déconventionnement de deux lycées et la vente de l’établissement de Séville au groupe Odyssey.

La MLF est sur le point de céder des établissements et un patrimoine foncier dont la valeur résulte en partie de la contribution significative des familles et d’un important soutien public, tant pour la rémunération d’enseignants détachés que pour l’octroi de bourses scolaires.

Les familles, les enseignants et les élus s’interrogent. Pourquoi un tel retrait ? Dans quels délais ? Comment expliquer une telle opacité, alors même qu’un accord-cadre a été conclu entre l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) et la MLF ? Tous demandent une chose simple : la transparence et leur participation aux décisions.

Que compte faire le Gouvernement pour que la cession ne conduise ni à une captation de valeur par des opérateurs privés, ni à une baisse du niveau de l’enseignement, ni à une augmentation des frais de scolarité, ni au licenciement du personnel ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Aux côtés de notre réseau diplomatique en Espagne, nous suivons avec la plus grande attention la situation des établissements relevant de la Mission laïque française (MLF).

Je le rappelle, la MLF est une association de droit privé, indépendante de l’État. Ses décisions relèvent de son conseil d’administration, dans lequel le ministère siège à titre consultatif, sans droit de vote.

Les établissements concernés ne perçoivent pas de subventions publiques, hormis – vous l’avez mentionné – les bourses attribuées aux élèves français éligibles, comme dans tout établissement homologué.

Le 16 octobre 2025, la MLF a annoncé son désengagement de ses neuf établissements en Espagne, invoquant d’importantes difficultés financières, en l’occurrence une perte cumulée de 18,2 millions d’euros en dix ans et un déficit annuel estimé à 2,5 millions d’euros.

Le réseau a perdu environ 630 élèves en deux ans, ce qui, malgré une hausse de 19 % des frais de scolarité, a fragilisé durablement sa trésorerie. Cette situation a conduit la MLF à rechercher un repreneur unique avant la fin de l’année scolaire 2025-2026.

Je vous l’assure, madame la sénatrice, le ministère a regretté de ne pas avoir été informé plus en amont. Nous avons rappelé à la MLF la nécessité d’une concertation avec les familles, les enseignants et les représentants des Français de l’étranger, dans la transparence que vous appelez de vos vœux.

La MLF s’est engagée à garantir la continuité pédagogique, à reprendre les personnels et à maintenir l’homologation des établissements pour préserver la reconnaissance de la scolarité française.

Un calendrier a été élaboré : un point d’étape sur les offres reçues se tiendra le 4 décembre ; l’offre ferme sera choisie le 19 février ; enfin, le vote définitif ainsi que la signature des actes de cession interviendront en avril, pour un transfert effectif en septembre 2026.

Vous pouvez compter sur la mobilisation de nos postes et de nos consulats pour accompagner les familles et veiller à la continuité du service éducatif français à l’étranger.

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Renaud-Garabedian, pour la réplique.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. Monsieur le ministre, vous venez d’indiquer que l’aide de l’État ne concernait que les bourses scolaires, mais celui-ci prend également en charge la rémunération du personnel enseignant mis à la disposition des établissements de la MLF.

péréquation des ressources des communes, dotation de solidarité rurale

M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, auteur de la question n° 646, transmise à Mme la ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

M. Patrick Chaize. Le code général des collectivités territoriales encadre l’attribution de la dotation de solidarité rurale (DSR) aux communes de moins de 10 000 habitants.

Dite « dotation de péréquation », la DSR est accordée pour tenir compte, d’une part, des charges que ces communes supportent pour contribuer au maintien de la vie sociale en milieu rural et, d’autre part, de l’insuffisance de leurs ressources fiscales. La DSR est divisée en trois fractions : la fraction bourg-centre, la fraction péréquation et la fraction cible.

Cela étant, les élus déplorent parfois le manque de transparence des critères de répartition de cette dotation au vu des écarts parfois importants constatés au niveau des montants attribués entre des communes dont les caractéristiques sont pourtant similaires.

Tel est le cas pour la commune de Polliat, dans le département de l’Ain. D’une comparaison effectuée avec les dotations perçues par treize communes comptant entre 2 500 et 3 000 habitants, il ressort que le montant de la DSR de cette commune de 2 700 habitants est inférieur de moitié à la moyenne, les écarts allant de 1à 3.

Si la raison pour laquelle il en va ainsi tient à ce que cette commune n’est pas reconnue comme un bourg-centre, c’est parfaitement contestable. En effet, Polliat est la deuxième commune du canton la plus peuplée, et le nombre de ses habitants a crû de 10 % en dix ans. Elle doit être considérée comme un pôle structurant, puisqu’elle dispose de nombreux équipements et services qui la légitiment dans ce rôle.

Dès lors que les critères d’attribution de la DSR ne reflètent plus la réalité, il serait opportun de réévaluer la situation de la commune en tenant compte de son rôle territorial croissant.

Aussi, le Gouvernement envisage-t-il de prendre des mesures pour réformer le mécanisme de la DSR, et ce afin d’assurer un financement plus équitable, en adéquation avec les réalités et les besoins de nos communes ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Michel Fournier, ministre délégué auprès de la ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur, vous interrogez le Gouvernement sur les conditions d’octroi de la dotation de solidarité rurale et sur les écarts parfois importants que l’on constate entre des communes comparables.

Vous avez notamment évoqué la commune de Polliat, dans l’Ain. Je peux vous dire que je comprends parfaitement le sentiment d’injustice dont vous faites part, qui est d’ailleurs partagé par de nombreux maires ruraux, surtout lorsqu’ils constatent des différences qu’ils jugent difficiles à expliquer.

La DSR repose sur un ensemble de critères prévus par la loi, qui évoluent chaque année : la population ; le potentiel financier ; les dépenses d’équipement ; le revenu moyen par habitant ; ou encore les charges de centralité. Ces indicateurs visent à garantir une répartition équitable de la dotation, conformément au principe constitutionnel de péréquation.

Pour ce qui concerne Polliat, la commune n’est pas éligible à deux des trois fractions de la DSR. D’une part, la fraction cible est réservée aux 10 000 communes rurales les plus fragiles ; d’autre part, la fraction bourg-centre est attribuée aux communes chefs-lieux, sièges de bureaux centralisateurs ou représentant au moins 15 % de la population de leur canton. Or Polliat n’atteint pas ce seuil, et n’est pas non plus chef-lieu de canton. Cela explique peut-être la différence constatée entre les sommes allouées, sans qu’il y ait pour autant d’erreur dans les calculs.

En revanche, je partage pleinement votre constat : il faut sans doute faire évoluer la fraction bourg-centre. En effet, ses critères, fondés sur la réforme de la carte des cantons de 2014, ne correspondent plus toujours aux réalités locales, notamment à la situation des anciens chefs-lieux de canton qui faisaient fonction de relais ruraux.

Il faut aussi, me semble-t-il, réfléchir à d’autres critères, notamment celui de la surface, auquel je tiens personnellement. La réflexion s’est engagée dans le cadre des travaux sur la réforme des dotations. Elle devra être menée en lien étroit avec les élus et les associations d’élus, car toute modification entraîne des effets redistributifs importants.

Monsieur le sénateur, je tiens à vous assurer que le Gouvernement reste pleinement mobilisé pour rendre ces dotations plus lisibles, plus justes et plus cohérentes avec les réalités vécues par nos communes rurales – j’en parle en connaissance de cause.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.

M. Michel Fournier, ministre délégué. C’est l’esprit même de la solidarité que nous voulons renforcer.

M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour la réplique.

M. Patrick Chaize. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse somme toute assez positive. Nous nous tenons évidemment à votre disposition pour travailler sur ce sujet, qui revêt une grande importance en termes d’égalité pour les territoires.

Des progrès restent par ailleurs à faire en matière de transparence : chaque commune devrait connaître les différents critères d’attribution, pour rendre les dotations les plus compréhensibles possible.

paiement par le pétitionnaire de l’instruction des permis de construire

M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, auteur de la question n° 672, adressée à Mme la ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

M. Laurent Burgoa. Monsieur le ministre, j’appelle votre attention sur les difficultés financières que rencontrent les communes face au coût de l’instruction des permis de construire et des autres documents d’urbanisme.

En effet, depuis le désengagement des services de l’État, la facture est adressée aux communes. Cela représente une charge significative pour les plus petites d’entre elles, notamment celles qui sont situées à proximité des grandes agglomérations et qui sont, à ce titre, exposées à une forte pression foncière.

La décentralisation de cette compétence, bien qu’elle se justifie en raison du service de proximité qu’il s’agit de rendre, fait peser sur les communes une pression financière disproportionnée. Pour certaines, le coût de ces démarches peut très facilement atteindre 10 000 euros par an, soit 500 euros par dossier. En outre, certains dossiers sont mal préparés, ce qui entraîne le réexamen de la demande d’un seul et même pétitionnaire.

Auparavant, la direction départementale de l’équipement (DDE) réalisait gratuitement l’instruction des permis de construire pour les communes. Dans cette optique, il ne semblerait pas illégitime que la personne qui sollicite un permis de construire prenne en charge le coût de l’instruction de sa demande. Qu’envisage le Gouvernement pour soutenir financièrement les communes face à ces surcoûts ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Michel Fournier, ministre délégué auprès de la ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur, vous soulignez avec raison les difficultés que rencontrent de nombreuses petites communes pour assumer le coût de l’instruction des autorisations d’urbanisme. Ce sujet très concret touche au quotidien des maires ruraux et de leurs équipes.

Depuis que l’État n’exerce plus cette compétence, beaucoup d’élus considèrent que cette charge nouvelle est disproportionnée par rapport aux moyens humains et financiers dont dispose leur commune. Je connais bien cette réalité : instruire un permis de construire n’est pas seulement un acte administratif ; c’est aussi un enjeu en termes d’aménagement, de sécurité et de responsabilité.

La loi a posé un cadre clair : l’instruction et la délivrance des autorisations d’urbanisme sont des compétences décentralisées, exercées par les communes ou, plus souvent encore, par les intercommunalités.

Toutefois, l’État reste présent : pour les communes de moins de 10 000 habitants qui ne relèvent pas d’un grand EPCI, ses services peuvent encore assurer gratuitement l’étude technique des dossiers. On a encore recours à cette faculté dans de nombreux départements, même si, effectivement, ce n’est pas le cas partout.

Par ailleurs, la mutualisation entre communes, au sein d’un service commun d’instruction, est encouragée et permet d’obtenir de très bons résultats dans certains territoires. Depuis la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Élan), il est aussi possible de confier cette mission à des prestataires privés, même si le législateur a clairement exclu la possibilité d’en reporter le coût sur le pétitionnaire, comme vous venez de le suggérer.

C’est une question de principe : un permis de construire reste un acte public et son instruction relève de la puissance publique.

Pour autant, le Gouvernement n’ignore pas la tension financière à laquelle sont soumises les communes. C’est pourquoi la dotation générale de décentralisation, d’un montant de 26 millions d’euros en 2025, vise à soutenir les communes et les EPCI dans la mise en œuvre de leurs documents d’urbanisme.

Monsieur le sénateur, je vous le dis simplement : le Gouvernement est pleinement conscient de la charge que l’instruction des documents d’urbanisme représente. Il n’est pas question de laisser les maires seuls face à ces difficultés.

M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour la réplique.

M. Laurent Burgoa. Monsieur le ministre, je sais pertinemment que vous connaissez bien le sujet, puisque vous étiez, dans de précédentes fonctions, président de l’Association des maires ruraux de France.

En réalité, je souhaitais avant tout savoir qui, selon vous, de l’usager ou du contribuable, devait payer. À un moment donné, il faudra, me semble-t-il, mettre davantage à contribution l’usager que le contribuable. Pourquoi l’instruction des dossiers est-elle du ressort des municipalités ?

Vous devriez plutôt exiger que le coût du permis de construire soit assumé par celui ou celle qui en fait la demande. Dans la ruralité, une telle mesure serait très appréciée. C’est d’ailleurs pourquoi je vous fais toute confiance pour inviter vos services à y réfléchir.

constat d’insalubrité d’un logement et pouvoir de police du maire

M. le président. La parole est à Mme Laurence Garnier, auteure de la question n° 681, adressée à Mme la ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

Mme Laurence Garnier. Monsieur le ministre, j’ai récemment été alertée par le maire de La Chapelle-Glain, petite commune rurale du pays de Châteaubriant, en Loire-Atlantique, qui se trouvait en difficulté, parce qu’on le sollicitait pour réaliser un constat d’insalubrité d’un logement de sa commune.

Le code de la santé publique précise effectivement que, dans le cadre de ses pouvoirs de police, le maire a la responsabilité de contrôler les règles d’hygiène et de sécurité des logements sur son territoire. Concrètement, cela veut dire qu’il doit visiter le logement, entamer si besoin une médiation avec le propriétaire ou le locataire, rédiger un courrier ou prendre un arrêté enjoignant de réaliser des travaux, effectuer ensuite la visite de contrôle et, le cas échéant, signer un procès-verbal d’infraction au règlement sanitaire départemental.

Quand la commune est suffisamment grande pour disposer d’un service communal d’hygiène et de santé, les choses se passent bien, puisque le service compétent instruit le constat d’insalubrité en lien avec les services de la préfecture et ceux de l’agence régionale de santé (ARS).

Lorsque la commune est en revanche plus petite, la situation est à la fois plus floue et plus complexe. Souvent, les maires des communes rurales – vous les connaissez bien, monsieur le ministre – sont en difficulté, car ils ne disposent pas des services compétents pour réaliser les constats d’insalubrité dans leurs communes.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire si, dans les petites communes rurales, il revient bien aux délégations départementales de l’ARS compétentes et non aux maires des communes concernées de réaliser ces constats d’insalubrité ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Michel Fournier, ministre délégué auprès de la ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice, vous attirez l’attention du Gouvernement sur un sujet essentiel, celui du pouvoir de police du maire face à l’insalubrité des logements. Cette question touche directement à la santé publique, à la sécurité, ainsi qu’à la dignité des habitants.

En la matière, la répartition des compétences peut sembler complexe. Je la rappelle donc simplement : le pouvoir de police spéciale en matière d’insalubrité relève du préfet, sur le fondement du code de la construction et de l’habitation. Cependant, nous le savons, le maire est toujours en première ligne : c’est lui qui alerte, constate et transmet les signalements.

Comme vous l’avez souligné, lorsqu’une commune dispose d’un service communal d’hygiène et de santé, c’est ce service qui établit le rapport d’évaluation. Lorsqu’elle n’en dispose pas, c’est bien l’agence régionale de santé qui intervient pour réaliser ce rapport et enclencher la procédure.

Ainsi, les maires ne sont jamais seuls : l’État, par l’intermédiaire de ses services déconcentrés, les accompagne systématiquement. C’est une garantie essentielle.

Je le sais, ces situations sont souvent lourdes à gérer pour un élu local. Il faut faire face à des situations humaines souvent très délicates, parfois même à la détresse de familles, tout en appliquant la loi. Le Gouvernement en est pleinement conscient et veut simplifier et clarifier les circuits d’intervention.

Madame la sénatrice, vous pouvez compter sur la mobilisation conjointe des préfets et des ARS pour continuer de soutenir les maires dans cette mission difficile, mais essentielle.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Garnier, pour la réplique.

Mme Laurence Garnier. Monsieur le ministre, je vous remercie de cette clarification bienvenue.

Effectivement, ainsi que vous l’avez indiqué, les maires sont en première ligne, car ils sont les premiers informés. Je transmettrai votre réponse au maire de la commune concernée, ainsi qu’à d’autres maires qui pourraient se trouver dans des situations similaires, pour leur faire savoir qu’ils peuvent solliciter les services de l’ARS.

loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains et perception des droits de mutation

M. le président. La parole est à M. Max Brisson, auteur de la question n° 717, adressée à Mme la ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

M. Max Brisson. L’article 55 de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) prévoit l’obligation pour les communes de plus de 3 500 habitants qui appartiennent à des EPCI de plus de 50 000 habitants comprenant au minimum une commune de plus de 15 000 habitants de disposer au sein de leur parc de résidences principales d’au moins 25 % de logements sociaux, ou d’au moins 10 % de logements sociaux dans les territoires moins tendus.

Ainsi, toute commune répondant à ces critères se trouve soumise aux obligations de la loi dès lors qu’elle compte plus de 3 500 habitants. Cela signifie qu’une commune qui dépasserait tout juste ce seuil doit procéder à la mise en conformité de ses politiques en matière de logements sociaux et d’aménagement.

Parallèlement, l’article 1584 du code général des impôts dispose que seules les communes de plus de 5 000 habitants sont habilitées à percevoir directement les droits de mutation à titre onéreux (DMTO).

Il en découle dès lors une distorsion, puisque les communes comptant entre 3 500 et 4 999 habitants sont tenues d’assumer les charges et de respecter les contraintes définies par la loi SRU, sans bénéficier en retour du levier financier que constitue la perception directe des DMTO. Une telle manne leur serait pourtant très utile pour financer la mise en œuvre de ces obligations, souvent très coûteuses.

Face à cette distorsion, ma question est double. Comment le Gouvernement explique-t-il la différence de traitement réservé aux communes comptant entre 3 500 et 4 999 habitants ? Envisage-t-il d’y remédier en offrant aux communes de plus de 3 500 habitants la possibilité de percevoir directement les DMTO ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Michel Fournier, ministre délégué auprès de la ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur, votre question porte, à juste titre, sur la situation des communes comprenant entre 3 500 et 5 000 habitants, qui sont soumises aux obligations de la loi SRU sans pour autant percevoir directement les droits de mutation à titre onéreux, une situation qui peut effectivement paraître incohérente.

Le régime actuel distingue deux cas.

Les communes de plus de 5 000 habitants et celles qui sont classées stations de tourisme perçoivent directement des DMTO. Les communes de moins de 5 000 habitants, elles, bénéficient d’une attribution via le fonds départemental de péréquation, qui est alimenté par le produit de cette taxe. Ce fonds, dont les modalités de répartition sont définies par le conseil départemental selon des critères précis – population, effort fiscal, dépenses d’équipement –, permet à toutes les communes, même les plus petites, de bénéficier d’un levier financier.

En pratique, les communes de 3 500 à 5 000 habitants ne sont donc pas privées de tout soutien. Elles perçoivent en effet une part de ce fonds, calculée pour refléter leurs charges réelles.

Je comprends néanmoins qu’une telle distinction puisse sembler injuste – il y a inévitablement des effets de seuil –, dès lors que ces communes supportent des obligations nouvelles, notamment au titre de la loi SRU.

C’est pourquoi le Gouvernement est attentif à l’équité du dispositif, et est ouvert à son évolution dans le cadre des discussions que nous aurons sur les dotations locales. Une réflexion sera menée sur ce point.

Notre objectif est simple : garantir à chaque commune les moyens d’assumer ses responsabilités sans compromettre son équilibre financier.

M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.

M. Max Brisson. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse et de l’esprit d’ouverture dont vous venez de faire preuve, puisque vous avez parlé d’une question juste et d’une situation incohérente et que vous appelez à réfléchir collectivement à ce sujet.

Je peux vous dire que beaucoup de maires de communes de la côte basque, dont la population excède tout juste les 3 500 habitants, et qui sont de ce fait soumises aux dispositions de la loi SRU, seront très heureux de vous accueillir et de travailler avec vous à une évolution de la législation. Ces communes ne sont pas obligatoirement les plus favorisées dans le cadre de la répartition des crédits du fonds départemental de péréquation que vous avez mentionné.

Il y a là un vrai sujet. Vous avez appelé à l’ouverture et au travail : je suis à votre disposition !

nouvelles modalités de recensement de la voirie communale pour le calcul de la dotation de solidarité rurale

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, auteur de la question n° 729, adressée à Mme la ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

M. Jean-Michel Arnaud. Ma question porte sur les nouvelles modalités de recensement de la voirie communale pour le calcul de la dotation de solidarité rurale (DSR).

Jusqu’alors, la longueur de la voirie prise en compte pour le calcul de la DSR correspondait à celle des voies classées dans le domaine public communal. Cette donnée était donc transmise directement par la collectivité à la préfecture.

L’article 178 de la loi de finances pour 2025 a modifié le mode de calcul : le recensement est désormais fondé sur la typologie de la voirie et non plus sur sa domanialité. L’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) se voit ainsi confier la mission de produire les données de référence relatives aux longueurs de voirie. Il s’agit donc non plus de déclarations communales aux préfectures, mais d’un recensement géographique qui repose sur des données topographiques.

Dès lors, la direction générale des collectivités locales, s’appuyant sur ces données topographiques, exclut de fait les chemins et les routes non revêtues, ainsi que le directeur de l’IGN me l’a récemment confirmé. Alors que les territoires ruraux de montagne disposent naturellement d’un plus grand réseau de chemins et de routes non revêtues que les territoires urbains, la minoration du linéaire de voirie communale a pour conséquence de diminuer la part de dotation globale de fonctionnement (DGF) qui leur est attribuée.

Dans les Hautes-Alpes, la longueur de voirie passe ainsi de 2 838 kilomètres à 2 520 kilomètres, soit une baisse de 11 % par rapport à 2024. Cette évolution a un impact significatif sur le calcul de la DSR – je pense à cet instant à la maire de la commune de Molines-en-Queyras, Valérie Garcin-Eyméoud, qui m’a alerté sur cette problématique.

Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour que ces nouvelles modalités de calcul ne se traduisent pas par la baisse de la part de dotation de solidarité rurale versée aux communes rurales, notamment aux communes de montagne ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Michel Fournier, ministre délégué auprès de la ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur, vous interrogez le Gouvernement sur la réforme des modalités de recensement de la voirie communale pour le calcul de la dotation de solidarité rurale (DSR). C’est un sujet très concret, qui touche directement au financement des communes rurales.

Depuis la loi de finances pour 2025, les données de voirie utilisées pour la répartition de la DSR proviennent non plus des délibérations communales, mais des bases de données de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN).

Cette évolution, validée par le Comité des finances locales, répond à un triple objectif : alléger le travail administratif des mairies et des préfectures, fiabiliser les données utilisées pour le calcul, garantir une égalité de traitement entre les communes.

Il en résulte, en effet, que les chemins non revêtus ne sont pas intégrés dans le nouveau mode de calcul. Ils ne l’étaient d’ailleurs pas davantage avec l’ancienne méthode ! (M. Jean-Michel Arnaud fait une moue dubitative.)

Quant à la longueur de voirie, elle n’intervient qu’à hauteur de 30 % dans le calcul des fractions « péréquation » et « cible » de la DSR. Son impact reste donc limité.

Je comprends néanmoins votre inquiétude, ainsi que celle des maires, ceux des territoires de montagne, mais, plus largement, ceux des communes caractérisées par un habitat dispersé. La voirie communale y est en effet souvent très étendue.

Les chiffres montrent toutefois que, dans votre département des Hautes-Alpes, monsieur le sénateur, la longueur de voirie recensée par l’IGN n’a baissé que de 1,9 %, tandis que, entre 2024 et 2025, 81 % des communes ont vu leur DSR augmenter en moyenne de plus de 10 %.

Monsieur le sénateur, le Gouvernement restera attentif aux effets de cette réforme sur ces territoires particuliers et saura, si nécessaire, ajuster les dispositifs en concertation avec les élus.

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour la réplique.

M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le ministre, je ne partage pas les analyses de la direction générale des collectivités locales (DGCL) : l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF), que j’ai sollicitée sur la question, dispose de chiffres différents.

Par ailleurs, le fait d’avoir une voirie non bitumée est, par définition, propre aux territoires de montagne, puisque cela permet d’éviter les problèmes de gel et de dégel.

Aussi, je vous invite, notamment au nom de l’Association nationale des élus de la montagne (Anem), à vérifier les chiffres que j’avance et, évidemment, à rechercher des solutions moins pénalisantes pour les communes de montagne, qui connaissent des difficultés financières liées au climat, en particulier en hiver et au printemps.

arrêté de péril imminent

M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan, auteur de la question n° 771, transmise à Mme la ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

M. Bruno Rojouan. Les maires disposent d’un outil juridique pour faire face aux situations de danger liées à des bâtiments menaçant de tomber en ruine : l’arrêté de péril imminent.

Ce dispositif permet, d’une part, de mettre en demeure un propriétaire de réaliser les travaux d’office nécessaires de sécurisation, d’autre part, d’autoriser la commune à se substituer à lui en cas de carence pour protéger la sécurité publique.

La commune doit alors avancer les fonds, avec la possibilité de recouvrer les sommes auprès du propriétaire. Dans la pratique, le recouvrement effectif des sommes est souvent très long, incertain, voire impossible, lorsque les propriétaires sont insolvables, domiciliés à l’étranger ou introuvables, ou qu’il s’agit d’indivision ou de succession non réglée.

De plus, les aides de l’Agence nationale de l’habitat (Anah) ne financent pas les travaux d’office faisant suite à un arrêté de péril imminent, laissant ainsi les communes sans aucun soutien financier immédiat.

Quant à la procédure de recouvrement confiée au comptable public, elle se révèle souvent longue et peut durer plusieurs mois, voire des années.

Résultat, des communes se retrouvent contraintes, en vertu de leur obligation de protection de leurs administrés contre tous les risques, d’engager des dizaines, voire des centaines de milliers d’euros, sans garantie de recouvrement. Ces sommes, d’un montant considérable pour les petites communes, sont alors mobilisées au détriment du budget communal.

Monsieur le ministre, le Gouvernement envisage-t-il de mieux sécuriser juridiquement et financièrement les maires dans l’exercice de leurs responsabilités en matière de péril imminent ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Michel Fournier, ministre délégué auprès de la ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur, vous avez raison, les situations de péril imminent mettent souvent, littéralement, les maires au pied du mur : ils doivent protéger leurs habitants et, le cas échéant, lancer des travaux d’urgence souvent coûteux, tout en sachant qu’ils auront les pires difficultés à récupérer les sommes engagées.

L’État en est pleinement conscient. C’est la raison pour laquelle il agit, afin de sécuriser juridiquement et financièrement l’action des élus locaux.

Depuis l’ordonnance du 16 septembre 2020 relative à l’harmonisation et à la simplification des polices des immeubles, locaux et installations, le cadre a été simplifié et renforcé.

Premièrement, le comptable public peut être mobilisé pour assurer le recouvrement des créances.

Deuxièmement, les maires bénéficient désormais de garanties légales : d’une part, la solidarité entre vendeur et acquéreur d’un bien ayant fait l’objet de travaux d’office, d’autre part, la solidarité entre co-indivisaires, pour éviter qu’une succession bloquée n’empêche le recouvrement.

Troisièmement, l’hypothèque légale permet de garantir la créance de la commune en cas de défaillance du propriétaire.

En matière de financement, plusieurs outils existent. Le fonds d’aide pour le relogement d’urgence (Faru) peut être mobilisé non seulement pour l’hébergement temporaire des occupants évacués, mais aussi pour les travaux d’urgence et de sécurisation. Par ailleurs, dans les cas de mise en sécurité ordinaire, l’Anah peut intervenir à hauteur de 50 % maximum du coût des travaux prescrits.

Il nous faut néanmoins travailler avec les associations d’élus et les préfets pour renforcer l’accompagnement juridique des maires confrontés à de telles situations, en particulier dans les communes rurales où les moyens techniques sont limités.

En un mot, le maire n’est pas seul. L’État lui donne les leviers, les garanties et les soutiens financiers nécessaires pour agir sans craindre de mettre en péril les finances de sa commune. Malgré tout, le problème reste souvent entier.

avenir des piscines municipales vétustes

M. le président. La parole est à M. Fabien Genet, auteur de la question n° 708, transmise à Mme la ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

M. Fabien Genet. Nous terminons cette séance de questions orales par une question concernant le plus beau des départements, celui de la Saône-et-Loire. (Sourires.)

La première cause de mortalité accidentelle chez les moins de 25 ans demeure la noyade. C’est pourquoi l’apprentissage de la natation est essentiel et implique un renforcement du maillage des équipements nautiques dans notre pays.

Les piscines publiques sont des infrastructures indispensables à la vie de nos territoires en matière de pratique sportive, de santé publique ou de cohésion sociale.

Pourtant, nombre d’entre elles datent des plans 1 000 piscines des années 1970 et sont aujourd’hui vétustes, ce qui rend l’exploitation coûteuse. De nombreuses collectivités sont contraintes d’envisager sinon la fermeture de ces équipements de proximité, du moins la réduction de leurs horaires d’ouverture.

Un tel risque pèse plus fortement dans les territoires ruraux, alors même que l’accès à la piscine y est déjà beaucoup plus difficile et moins fréquent qu’en milieu urbain. En effet, 81 % seulement des personnes habitant en zone rurale sont proches d’un bassin, contre 95 % dans certains centres urbains.

Dans mon département de la Saône-et-Loire, plusieurs communes rencontrent des difficultés croissantes à maintenir leurs piscines en fonctionnement – c’est notamment le cas de ma ville de Digoin en Grand Charolais. Elles soulignent la nécessité urgente de rénover de tels équipements afin de réduire les charges de fonctionnement et de sécuriser leur avenir. Elles sont également confrontées à la difficulté de cofinancer les travaux.

Dans ce contexte, alors même que de nombreux élus locaux appellent à un soutien renforcé de l’État, le Gouvernement envisage-t-il la mise en place d’un plan de soutien aux équipements de natation en milieu rural, afin de garantir l’égalité d’accès à l’apprentissage de la natation, de renforcer la prévention des noyades et d’accompagner la rénovation énergétique des infrastructures ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Michel Fournier, ministre délégué auprès de la ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur, vous appelez l’attention du Gouvernement sur la situation préoccupante des piscines municipales vétustes, dont beaucoup datent du plan 1 000 piscines des années 1970.

Comme vous l’avez rappelé, de tels équipements sont essentiels à la vie locale.

Depuis 2017, l’État s’est fortement mobilisé aux côtés des collectivités pour soutenir la création et la rénovation d’équipements sportifs, notamment aquatiques, notamment à l’occasion des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP), et ce sur l’ensemble du territoire.

Cette mobilisation se poursuit et les piscines municipales peuvent bénéficier de plusieurs leviers de financement dans le cadre des dotations d’investissement de l’État : la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) pour la mise aux normes ou la rénovation des équipements publics, la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), qui permet de financer des projets sportifs et touristiques, ou encore la dotation politique de la ville (DPV) pour les opérations améliorant les services publics de proximité dans les quartiers prioritaires.

En 2024, plus de quatre-vingts projets de piscines ont ainsi été soutenus pour un montant total d’environ 18 millions d’euros, quarante-neuf l’ayant été via la DETR.

Dans votre département par exemple, monsieur le sénateur, la communauté de communes du Brionnais Sud Bourgogne a bénéficié d’une subvention de 21 000 euros pour le renouvellement du chauffage solaire de la piscine de La Clayette.

Au-delà de ces financements classiques, l’État agit également au travers du plan 5 000 équipements – Génération 2024 géré par l’Agence nationale du sport (ANS). Ce plan, doté de près de 100 millions d’euros en 2025, vise la création ou la rénovation de 5 000 équipements sportifs supplémentaires entre 2024 et 2026, en ciblant prioritairement les territoires carencés, qu’ils soient urbains ou ruraux.

Une part importante des crédits, environ 25 %, est spécifiquement orientée vers la construction et la rénovation de piscines, afin de favoriser la transition énergétique, la sobriété foncière et, surtout, la réduction des coûts d’exploitation.

Monsieur le sénateur, le Gouvernement partage pleinement votre constat. Aussi, l’État restera mobilisé pour accompagner les collectivités dans la modernisation de leur patrimoine sportif et garantir à tous l’accès à de tels équipements.

M. le président. La parole est à M. Fabien Genet, pour la réplique.

M. Fabien Genet. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Je note l’intérêt de l’État à soutenir dans la durée les infrastructures essentielles que sont les piscines.

Je note également avec plaisir que vous avez cité les différentes aides possibles, notamment la DSIL et la DETR. Je ne doute pas, dès lors, que vous vous tiendrez à nos côtés lors des intéressants débats budgétaires qui auront lieu ici même ces prochains jours, afin de défendre le maintien de ces deux fonds d’aide à l’équipement des territoires ruraux.

M. le président. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quatorze heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Situation des finances publiques locales

Débat sur un rapport remis en application de l’article 52 de la loi organique relative aux lois de finances

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande de la commission des finances, le débat sur le rapport sur la situation des finances publiques locales remis en application de l’article 52 de la loi organique relative aux lois de finances.

La parole est à M. Jean-François Husson, au nom de la commission qui a demandé ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite ouvrir ce débat sur les finances locales en rappelant avec force que, à rebours de l’allégation parfois entendue dans le débat public et répandue par plusieurs ministres des précédents gouvernements, les collectivités territoriales ne sont pas responsables de la situation calamiteuse des finances publiques de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. En effet, les collectivités territoriales de la République sont apparues trop souvent comme les boucs émissaires de la crise des finances publiques, alors que la responsabilité de la dégradation de nos comptes publics repose presque entièrement sur les choix opérés par l’État ces dernières années.

Tout d’abord, il faut noter que le budget de l’État représente une part écrasante du déficit public. Jugez-en par vous-mêmes : en 2024, alors que le déficit public s’élevait à 5,8 % du PIB, 5,3 points étaient directement imputables à l’État !

Ensuite, il faut par exemple rappeler que, pour 40 euros de hausse de la dette publique depuis 2019, seulement 1,1 euro est imputable à la dette des collectivités. Et pour cause, celles-ci sont soumises à la règle d’or budgétaire.

Ainsi, la part des collectivités territoriales dans la dégradation des comptes publics est à relativiser. Certes, le solde des administrations publiques locales (Apul) a atteint -0,6 % du PIB en 2024, soit son plus bas niveau depuis 1985, mais cela ne représentait qu’un neuvième du déficit public total. Surtout, les prévisions du projet de loi de finances pour 2026 montrent que ce solde, déjà modeste, se résorberait en 2025, pour s’établir à -0,3 % en 2026.

Par ailleurs, si les dépenses des collectivités locales ont bien augmenté de manière dynamique en 2024 – 4,1 % de hausse en fonctionnement et 6,8 % de hausse en investissement d’après la Cour des comptes –, cette dynamique serait plus modeste en 2025, les derniers chiffres publiés par la direction générale des finances publiques (DGFiP) faisant, par exemple, état d’une progression de 1,9 % des dépenses réelles de fonctionnement (DRF) des collectivités en septembre 2025 par rapport à septembre 2024.

D’ailleurs, une part sensible de cette hausse est due aux dépenses sociales des départements, qui, vous en conviendrez, sont entièrement contraintes.

Quant aux dépenses d’investissement, elles sont clairement liées au cycle électoral du bloc communal et devraient sensiblement diminuer à l’approche des prochaines échéances électorales.

En contrepoint, la situation de l’État ne pourrait pas fournir contraste plus saisissant : l’image d’un Léviathan impuissant, soumis à une sévère cure d’amaigrissement pour avoir trop longtemps festoyé à crédit, fait peine à voir.

Cela pourrait prêter à sourire s’il n’était question des services publics, donc des services rendus aux Français, qui pâtissent de l’échec des politiques budgétaires et fiscales menées depuis 2017.

Nous avons heureusement un modèle à opposer à cet État omniprésent, mais incapable : celui d’un État pleinement décentralisé, qui réduirait son champ d’intervention et confierait davantage de responsabilités aux collectivités, celles-ci ayant prouvé ces dernières années leur capacité à faire et leur pouvoir d’agir. De ce point de vue, le projet décentralisateur du Premier ministre serait pertinent, s’il aboutissait.

Est-ce à dire que les collectivités territoriales doivent être exonérées de toute participation à l’effort collectif de redressement des comptes publics ? Je ne le crois pas.

Comme l’année dernière, cette contribution doit, en revanche, être proportionnée, ramenée à un niveau qui corresponde aux responsabilités de chacun et équitablement répartie entre les différentes catégories de collectivités territoriales.

Comme en 2025, la contribution des collectivités ne devra pas dépasser la somme de 2 milliards d’euros – nous le répétons, madame la ministre. Il s’agit d’ailleurs de l’équilibre que nous avons atteint l’année dernière, alors que le déficit atteignait des niveaux records et sensiblement plus élevés.

Depuis, les collectivités ont suffisamment démontré leur sens des responsabilités, rendant superflue et surtout injuste toute contribution supérieure à 2 milliards d’euros.

Le Sénat propose, pour y parvenir, de constituer un paquet de mesures, en puisant dans les outils existants, en particulier en diminuant les compensations figées de fiscalité « morte » liées à des réformes antédiluviennes.

L’année dernière, le Sénat a démontré son sens des responsabilités en se montrant moteur sur les dispositifs de contribution des collectivités. Je me tourne vers vous, madame la ministre : pourquoi ne pas poursuivre cette démarche d’un partenariat respectueux de chacun ?

Vous l’aurez compris, je ne conteste pas le principe d’une participation des collectivités au redressement des comptes publics. Je pense néanmoins qu’elle doit être proportionnée à la contribution des collectivités aux déficits et équitablement répartie entre elles.

Ce dernier point est d’autant plus crucial cette année que les collectivités locales ne constituent pas, loin de là, un ensemble homogène. La situation des départements doit en effet nous conduire à envisager un traitement particulier pour cette strate indispensable, mais considérablement affaiblie.

Selon l’Assemblée des départements de France (ADF), quatorze départements se trouvaient dans une situation critique en 2024 ; ils seraient une soixantaine aujourd’hui. Il est donc nécessaire d’envisager une contribution réduite pour les départements et de s’assurer que le montant de l’abondement du fonds de sauvegarde prévu dans le prochain budget est à la hauteur des besoins.

Madame la ministre, vous aurez compris que, comme à son habitude, le Sénat se montrera dans nos travaux un partenaire loyal, mais exigeant.

Deux objectifs doivent nous guider : aboutir à une juste contribution des collectivités à l’effort commun et protéger les plus fragiles d’entre elles. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP. – M. Daniel Fargeot applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

M. Olivier Paccaud. Dont la tenue montre bien qu’elle voit la vie en rose ! (Sourires.)

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Je connaissais le Sénat sage, je ne le savais pas taquin… (Nouveaux sourires.)

Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, monsieur le président de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de l’organisation de ce débat sur la situation des finances locales : il me permet, en amont des prochains débats budgétaires, de rappeler la position du Gouvernement.

Je remercie également M. le rapporteur général d’affirmer que le Sénat sera, comme à son habitude, un partenaire loyal et exigeant.

Chacun le mesure, le niveau d’endettement de la France est considérable. Nous connaissons notre situation de départ : chaque heure qui passe, près de 12 millions d’euros s’ajoutent à la dette nationale. C’est un fait et je le dis ici très clairement, monsieur le rapporteur général, les collectivités territoriales n’en sont pas à l’origine.

De même, je réaffirme haut et fort qu’aucun membre de ce gouvernement n’a jamais accusé les collectivités d’être responsables de la situation dans laquelle nous sommes.

Les collectivités sont soumises à des contraintes budgétaires, à des normes et à des dépenses souvent incompressibles ; c’est notamment le cas des départements. Pourtant, elles continuent de supporter la majorité de l’investissement public, voire plus, dans le respect du principe de libre administration auquel nous sommes attachés et de l’exigence d’équilibre de leur budget de fonctionnement.

Toutefois, le constat de la dette nous oblige. Les services publics – l’action publique, en somme –, qu’ils soient assurés par l’État – la justice, la police, la sécurité – ou par les collectivités – écoles, voiries, etc. –, doivent être garantis à nos concitoyens. C’est la promesse d’avenir que nous partageons tous.

Pour préserver cette capacité d’action collective, il nous faut redresser nos comptes. C’est pourquoi, ainsi que l’a présenté le Premier ministre, le Gouvernement a choisi comme boussole le redressement des comptes publics.

L’objectif est de ramener le déficit public de 5,4 % du PIB en 2025 à 3 % d’ici à 2029. Telle est la condition pour que nous préservions, demain, notre capacité d’action dans les territoires comme à l’échelle nationale.

Redresser le bateau France est donc une responsabilité collective, où chacun est amené à prendre sa part : l’État, les entreprises, les ménages et les collectivités locales, qui représentent environ 20 % de la dépense publique et 8 % de la dette nationale, mais plus de la moitié de l’investissement public du pays.

En quarante ans, le rôle des collectivités s’est profondément élargi. Celles-ci ont su façonner un équilibre subtil entre autonomie locale et solidarité nationale. J’ai conscience que celui-ci s’est vu profondément bousculé ces dernières années par les crises successives. Pourtant, il a tenu, preuve de la solidité de notre modèle et de la résilience des élus locaux.

Malgré les tempêtes, les budgets des collectivités locales ont tenu bon, soutenus pour certains par la dynamique de la TVA, mais aussi, je le répète, grâce à la gestion rigoureuse des élus et à une solidarité nationale constante.

L’année 2024 a sans doute marqué un tournant. Le recul des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) a pesé très lourd sur les finances des départements, dont l’épargne brute s’est considérablement contractée.

De son côté, l’État a tenu ses engagements. La dotation globale de fonctionnement (DGF) a été stabilisée à hauteur d’un peu plus de 27 milliards d’euros et a progressé de 800 millions d’euros depuis 2023.

Par ailleurs, le projet de budget pour 2026 qui vous est présenté ne contient aucun recul en matière de solidarité territoriale. Au contraire, il prévoit une augmentation de 150 millions d’euros de la dotation de solidarité rurale (DSR) et de 140 millions d’euros de la dotation de solidarité urbaine (DSU).

Les enveloppes d’investissement, que nous aborderons probablement, sont maintenues à un haut niveau et tiennent compte du cycle électoral qu’évoquait M. le rapporteur général.

Enfin, la dotation de soutien aux communes pour les aménités rurales (DSCAR) est passée de 42 millions d’euros en 2023 à 110 millions d’euros en 2025.

Au total, les concours financiers de l’État aux collectivités représentent près de 55 milliards d’euros, essentiellement sous forme de dotations et de prélèvements sur recettes. Toutefois, si l’on prend en compte l’ensemble des transferts financiers de l’État – cela inclut la fiscalité transférée et les programmes d’accompagnement, quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), Villages d’avenir, Petites Villes de demain –, l’effort global atteint 104 milliards d’euros. C’est dire si l’État reste très engagé aux côtés des collectivités.

Les communes et les intercommunalités affichent des finances plutôt solides. Quant aux régions, elles ont retrouvé un certain équilibre après la crise sanitaire, portées par la reprise économique et les efforts de réindustrialisation.

Les départements, en revanche, connaissent des tensions très importantes du fait, je le répète, de la baisse des DMTO, qui représentent parfois un quart de leurs recettes, tandis que leurs dépenses sociales, qui sont imposées, continuent de croître, tirées par la démographie et par la conjoncture.

Résultat, l’épargne brute des départements s’érode – 6 % en moyenne – et une vingtaine de départements frôlent à ce jour la tutelle budgétaire.

Face à ces écarts, la péréquation reste un pilier du modèle de solidarité nationale.

La péréquation verticale représente actuellement 35 % de la dotation globale de fonctionnement (DGF), contre 15 % en 2007. La solidarité a plus que doublé en vingt ans. En 2026, cet effort sera encore renforcé de 290 millions d’euros pour les communes, de 90 millions d’euros pour les intercommunalités et de 10 millions d’euros pour les départements.

Quant à la péréquation horizontale, que chacun connaît ici, elle représente environ 2 % des recettes de fonctionnement de nos collectivités.

Je dirai quelques mots sur les fragilités de certains territoires, sujet qui, je le sais, tient à cœur au rapporteur général. Celui-ci a déposé une proposition de loi visant à garantir une solution d’assurance à l’ensemble des collectivités territoriales, afin de répondre aux difficultés qu’elles rencontrent pour s’assurer et faire face à la hausse de la sinistralité, au risque climatique ou encore aux émeutes, qui a été adoptée par le Sénat avant l’été.

Je rappelle que le montant de la dotation de solidarité en faveur de l’équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des événements climatiques ou géologiques sera rehaussé, conformément aux conclusions du rapport de la mission d’inspection que nous avons sollicitée en début d’année.

Un plan d’action sur l’assurabilité des collectivités territoriales a été lancé à l’issue du Roquelaure de l’assurabilité des territoires, organisé par mon prédécesseur François Rebsamen. Ce plan associe les maires, les assureurs et l’État. Il faut également mentionner les textes réglementaires qui ont suivi, la publication du guide pratique de la passation des marchés publics en matière d’assurance ou encore la mobilisation inédite des préfets.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pouvez compter sur moi pour continuer à déployer ces mesures, dans un cadre budgétaire contraint que nul ne saurait nier.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Très bien ! Nous comptons sur vous, madame la ministre !

Mme Françoise Gatel, ministre. Nous travaillerons ensemble, monsieur le rapporteur général !

Il me semblait en tout cas utile, à ce stade, en préambule de ce débat, d’indiquer que le Gouvernement a voulu élaborer un budget pour 2026 qui reconnaisse le rôle essentiel des collectivités. Telle est la copie que nous vous proposons.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Il faut la corriger !

Mme Françoise Gatel, ministre. Comme le Premier ministre a eu l’occasion de le dire, vous débattrez, vous discuterez, il pourra même vous arriver de décider ! (Sourires.)

Parallèlement aux débats budgétaires en cours au Parlement, nous devons poursuivre deux types de travaux.

Je pense tout d’abord à l’effort de simplification que nous devons entreprendre pour faciliter l’action publique, mais aussi pour éviter des dépenses parfois superfétatoires. À cet égard, je soumettrai dans les jours qui viennent une proposition de méthode au Premier ministre.

Je pense ensuite à la décentralisation. Comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur général, le Premier ministre a une ambition en la matière. Nous pouvons nous appuyer sur les excellents travaux – je le dis très franchement – qui ont été réalisés, notamment au Sénat, dont nous aurons l’occasion de débattre tout à l’heure.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Cela ne coûte pas cher !

Mme Françoise Gatel, ministre. C’est tout à fait vrai. La vérité n’a pas de prix, monsieur le rapporteur général ! (Sourires)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Très bien ! (Nouveaux sourires.)

Mme Françoise Gatel, ministre. Je termine ainsi mon propos introductif. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente et aura la faculté de répondre à la réplique pendant une minute ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Mireille Jouve. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, s’il est désormais nécessaire de poser la question de la dette, de la contenir et de la réduire, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur le sens à donner à ce débat.

Nous savons que, dans leur immense majorité, les collectivités ont un réel souci de bonne gestion. Depuis la crise du covid, au cours de laquelle leur action, indispensable, a été remarquable, elles ont dû faire face à l’inflation et à la hausse des coûts de l’énergie. Malgré la suppression totale de la taxe d’habitation sur les résidences principales, qui représentait plus de 21 milliards d’euros de recettes, et malgré la disparition progressive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), elles ont su faire des choix courageux.

Dès lors, à quoi bon soulever une fois encore la question de la responsabilité des collectivités locales ? Nous devrions plutôt engager, sans œillères, une discussion sur les transferts de compétences, notamment sur les transferts rampants, qui ne sont jamais – ou si peu, ou si mal – compensés. Leur multiplication met à mal l’idée même de décentralisation.

Le Premier président de la Cour des comptes se plaît à pointer le rôle « significatif » des collectivités territoriales dans la dégradation de la situation des finances publiques dans leur ensemble. Je veux lui dire que, si la part desdites collectivités dans le déficit a progressé de 10 milliards d’euros depuis 2017, celle de l’État a, quant à elle, bondi de plus de 880 milliards d’euros au cours de la même période. De même, le projet de loi de finances pour 2026 prévoit que la contribution des collectivités territoriales représentera plus de 15 % de l’effort budgétaire global, alors que leur dette ne représente que 8 % de la dette publique, soit 262 milliards d’euros sur un total de 3 305 milliards d’euros.

Ma question est simple : en quoi les collectivités, soumises à une règle d’or qui leur impose de voter des budgets en équilibre, sont-elles responsables du déficit ? Que M. Moscovici ose donc désigner les vrais responsables, sans transformer les collectivités locales en boucs émissaires ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice Mireille Jouve, vous interpellez M. Moscovici. Je lui transmettrai le message, mais il l’a sans doute déjà entendu.

Je pense sincèrement ce que j’ai dit tout à l’heure. Au nom du Gouvernement, je peux affirmer qu’aucun membre de ce gouvernement, ni du précédent, n’a dit que les collectivités étaient responsables de ce déficit.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Du précédent, si !

Mme Françoise Gatel, ministre. En tout cas, vous n’entendrez jamais cela dans ma bouche. Je sais, madame de La Gontrie, que les gouvernements se succèdent rapidement, mais le dernier n’a guère eu le temps de dire ce qu’il pensait… (Sourires.)

Une chose est sûre, nous n’avons qu’un seul budget : celui de la France. Si nous avons eu l’occasion de dire que l’État avait peut-être été un peu trop cigale, il faut aussi rappeler que le budget de la France n’est pas en équilibre depuis plus de cinquante ans. Nous avons connu des périodes où la DGF n’avait pas été revalorisée à hauteur de l’inflation ; d’ailleurs, dans les années 2015, celle-ci a baissé très significativement. Il y a donc eu des aléas et des trous d’air.

Ce que nous vous proposons, c’est d’affirmer notre volonté collective de redresser nos finances et de limiter l’endettement. Il s’agit d’un effort collectif, auquel nous demandons aux collectivités de participer. En effet, il ne faut pas oublier que l’État finance la justice, les forces de police, les forces de gendarmerie, etc. Pendant la crise sanitaire, il est même intervenu pour aider les entreprises et pour éviter la destruction du tissu économique. On peut penser ce que l’on veut de la manière dont cet argent a été dépensé, mais il est indéniable qu’il a bénéficié en partie à l’ensemble des Français.

M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros.

M. Bernard Delcros. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans son rapport sur la situation financière et la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements en 2024, la Cour des comptes aborde la question du soutien de l’État à l’investissement local, qui, nous le savons, est essentielle pour tous les territoires de France.

Permettez-moi tout d’abord de me réjouir que le Gouvernement ait pris en compte les propositions que nous avons formulées pour sauver le fonds national d’aménagement et de développement du territoire (FNADT). Cela permettra notamment de poursuivre les actions du plan France Ruralités.

En revanche, madame la ministre, je veux vous alerter sur les risques que ferait peser sur nos territoires ruraux la suppression de la DETR – car c’est bien de cela qu’il s’agit ! –, que le Gouvernement propose de diluer dans un fonds unique regroupant l’ancienne DETR, l’ancienne DSIL et aussi l’ancienne dotation politique de la ville (DPV).

La DETR, je le rappelle, est un outil financier au service des territoires ruraux, un outil simple, bien connu et apprécié de tous les élus ruraux.

Pourquoi casser ce qui marche bien ? Alors qu’il y a tant de problèmes à régler dans notre pays, pourquoi en créer là où il n’y en a pas, madame la ministre ?

Nous comptons sur vous pour ne pas envoyer ce mauvais message aux communes rurales et pour maintenir la DETR dans sa forme actuelle, qui, j’y insiste, est très appréciée des élus locaux.

Surtout, ne mettez pas en avant l’argument séduisant de la simplification pour justifier cette mesure. Nous pouvons facilement simplifier la vie des élus tout en maintenant la DETR. Je suis prêt à en parler avec vous.

Madame la ministre, accepteriez-vous de nous aider à sauver la DETR, en renonçant à ce projet de fusion ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, INDEP et SER.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Oui, bien sûr !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur Delcros, j’aime beaucoup votre question, car la réponse s’y trouve ! (Sourires.)

Permettez-moi de vous exposer l’origine de cette proposition, qui consiste à regrouper les dotations que vous avez citées dans un fonds d’intervention territoriale (FIT) – c’est ainsi que nous l’avons nommé.

Il est envisagé de créer ce fonds, sans diminution des enveloppes financières concernées – c’est important –, pour répondre aux demandes de simplification des élus et des préfets.

Vous avez raison : la DETR vise une certaine catégorie de communes et ses modalités de calcul sont bien définies. Il en est de même pour la DSIL, que tout le monde connaît dans cet hémicycle, et pour la DPV.

Vous savez comme moi, parce que vous siégez à la commission d’élus de la DETR de votre département, que les préfets, qui font toujours preuve d’une agilité et d’une grande écoute des territoires, parviennent à soutenir certains projets des communes grâce à la DETR ou à la DSIL, quelquefois même en combinant les deux ou en ayant en plus recours à des crédits provenant du fonds vert.

Lorsque nous avons proposé de créer le FIT tel qu’il figure dans le projet de loi de finances, notre idée était de faire en sorte que tous les crédits soient consommés à la fin de l’année, ce qui n’est jamais le cas.

Je ne préjuge pas des discussions qui auront lieu au Sénat sur ce point.

Je vous assure toutefois, et vous le savez très bien, qu’au sein de cette enveloppe globale de dotations nous avons isolé la DETR. Nous avons d’ailleurs pris soin de préciser que, si le FIT était mis en place, les critères d’éligibilité à cette dotation ne changeraient pas. Les communes qui y étaient éligibles le seront donc toujours, et de la même manière.

Je sais qu’il faut tenir compte du poids des mots et que ces derniers sont parfois des symboles. C’est pourquoi vous pouvez avoir l’impression que la DETR, parce qu’elle n’est plus mentionnée de manière isolée, a disparu. Je tiens à vous rassurer : ce n’est pas du tout le cas.

Nous aurons certainement l’occasion de débattre de ce sujet durant l’examen du projet de loi de finances.

M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros, pour la réplique.

M. Bernard Delcros. Madame la ministre, je vous remercie de cette ouverture ; c’est en tout cas ainsi que je comprends vos propos.

Toutefois, je suis persuadé, et je ne suis pas le seul à le penser, que toutes les explications du monde ne suffiront pas à justifier la suppression de la DETR. Le Sénat mènera le combat pour la sauver de façon déterminée ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, INDEP et SER, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nos collectivités ont du talent, ce talent même qui, trop souvent, manque à l’État. Quand elles ne sont pas maltraitées, elles font systématiquement les bons choix budgétaires.

Cette bonne gestion, si on la compare à celle de l’État, peut se mesurer à une seule aune : l’investissement.

La dynamique d’investissement du bloc communal a ainsi continué de croître l’an dernier, et ce à un rythme accéléré. Après une année 2023 où les investissements ont progressé de 8 %, en 2024, les communes ont augmenté de 10 % leurs dépenses en la matière. C’est cela, le bon sens communal, madame la ministre !

De même, les dépenses réelles d’investissement des régions ont progressé de 6,6 %, en 2024, comme en 2023.

Parlons enfin de nos départements, dont les finances et la liberté d’action sont malmenées depuis si longtemps. Nous connaissons bien les conséquences de cette situation sur le terrain : les départements n’ont d’autre choix que de réduire leur dynamique d’investissement, qui s’établit, en moyenne, à 3,7 % en 2024.

Voici donc la leçon que nous devons apprendre de nos collectivités : quand nous leur laissons suffisamment de liberté et de marge de manœuvre, elles privilégient les dépenses d’investissement plutôt que celles de fonctionnement.

Madame la ministre, comment l’État compte-t-il s’inspirer des élus locaux pour donner la priorité aux dépenses d’investissement sur ses dépenses de fonctionnement ? Comment, par ailleurs, allez-vous diminuer la facture que le projet de loi de finances fait peser sur nos collectivités, afin de les laisser continuer à investir, c’est-à-dire à préparer l’avenir ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice Paoli-Gagin, votre question est intéressante, car les dépenses d’investissement sont des dépenses qui visent à préparer l’avenir. Comme je l’ai déjà indiqué, les collectivités réalisent à peu près 70 % de l’investissement public.

Toutefois, nous savons que les collectivités ne peuvent investir que si elles dégagent des excédents de fonctionnement : ce n’est que si leur budget de fonctionnement est équilibré qu’elles peuvent ensuite investir.

Dans le projet de loi de finances que vous aurez à examiner, le Gouvernement propose de préserver la capacité de fonctionnement des collectivités territoriales. Nous prévoyons ainsi d’augmenter les crédits de la DSR de 150 millions d’euros et ceux de la dotation de solidarité urbaine (DSU) de 140 millions d’euros.

Il a également maintenu une enveloppe de crédits pour accompagner les collectivités qui investissent, tout en prenant en compte le fait que, comme l’a souligné le rapporteur général de manière pertinente, dans les cycles électoraux, l’année du scrutin est en général une année de baisse de l’investissement.

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour la réplique.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la ministre, nous comptons vraiment sur vous, car, comme vous le savez, les bons gestionnaires se trouvent plutôt parmi les collectivités. L’État devrait s’inspirer de leurs méthodes de saine gestion. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Claude Anglars. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la fiscalité locale doit servir à financer les services publics locaux. Voilà une évidence qui se heurte aujourd’hui à une réalité plus complexe.

Depuis la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales, les communes sont en effet privées d’un outil crucial de fiscalité directe locale, dont elles avaient la maîtrise.

Pour neutraliser la perte de ressources communales, l’État a mis en place un outil de compensation, le coefficient correcteur, dit Coco. (Sourires.) Entré en vigueur en 2021, il vise à ce que le produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) perçu par une commune – composé désormais de l’ancienne part départementale de TFPB, désormais transférée, et de la part communale – corresponde à l’euro près à ce que la commune percevait auparavant au titre de sa part de la taxe d’habitation et de sa part de la TFPB.

Les communes pour lesquelles le montant du reversement de la part départementale de TFPB est supérieur à la perte des ressources de la taxe d’habitation sont dites surcompensées et se voient alors prélevées au bénéfice des communes dites, à l’inverse, sous-compensées.

Ce dispositif a été vivement critiqué, car il désavantage les communes rurales, qui sont souvent plus contributrices que les communes urbaines, et il supprime le lien entre l’impôt local et le territoire concerné.

Son mécanisme est désormais encore plus contestable : en raison de l’effet du Coco sur la dynamique des assiettes, les communes rurales se voient infliger une double peine, tandis que leurs contribuables sont trompés.

Dans la mesure où le coefficient correcteur est figé dans le temps, son effet multiplicateur sur le produit de la TFPB est constant et cela s’ajoute désormais à la dynamique des bases. En d’autres termes, les collectivités qui investissent pour leur attractivité, l’accueil de la population et le développement économique de leur territoire sont conduites à partager, à cause du Coco, la croissance du produit de la TFPB obtenue grâce à la construction de nouveaux logements ou aux résultats des entreprises. Le Coco apparaît donc dès lors comme un mécanisme non plus compensatoire, mais confiscatoire.

Madame la ministre, n’est-il pas temps de revenir aux fondamentaux ? Comment envisagez-vous de corriger et de neutraliser l’impact du Coco sur la dynamique de l’assiette foncière des communes ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Jean-Claude Anglars, j’apprécie que la gravité du sujet ne vous empêche pas de faire preuve d’humour ! (Sourires.)

Vous me posez en fait deux questions.

La première la suppression de la taxe d’habitation, qui a fait disparaître le lien entre les habitants, les citoyens et la commune. Il s’agit là d’un sujet de fond qui, à mon avis, ne sera pas traité dans le projet de loi de finances.

La seconde concerne la pertinence de ce que vous appelez le Coco, à savoir le coefficient correcteur qui a été créé pour compenser la perte de recettes, pour les communes, provoquée par la suppression de la taxe d’habitation.

Nous serons sans doute, monsieur le sénateur, en désaccord sur l’appréciation de ce mécanisme. Ce système est fiable, car il est stable dans le temps. Il est contrôlé chaque année et l’État en demeure le garant, car il prend à sa charge tout écart éventuel entre les versements et les prélèvements.

En 2023, l’État a ainsi pris à sa charge 728 millions d’euros, ce qui était nécessaire pour garantir la compensation à l’euro près des communes sous-compensées. En 2021, l’abondement de l’État a été de 581 millions d’euros, pour équilibrer le dispositif et rattraper les effets du fameux coefficient correcteur.

Ce dispositif ne crée donc ni perdants structurels ni situations de fragilisation durable d’une collectivité. Ce principe de neutralité entre collectivités est le garant de la pertinence du coefficient correcteur. En outre, le Conseil constitutionnel a validé le mécanisme, estimant que sa création est conforme à l’objectif d’équité territoriale.

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Bernard Buis. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis des années, le Sénat plaide pour que les élus locaux se voient octroyer davantage d’autonomie fiscale. Force est pourtant de constater que cette autonomie se réduit comme peau de chagrin.

Il va de soi que j’assume mon soutien à la réforme visant à supprimer la taxe d’habitation. J’estimais alors que, pour diverses raisons, cette réforme renforcerait le pouvoir d’achat de nombreux foyers. C’est toujours le cas.

Néanmoins, je dois reconnaître qu’en dépit d’une compensation de la part de l’État la suppression de la taxe d’habitation a suscité beaucoup d’inquiétudes et entraîné des conséquences parfois contre-productives.

Dans un moment crucial pour notre pays, qui a besoin de décentralisation – le débat qui nous occupera après celui-là portera d’ailleurs sur ce sujet –, le temps est venu de réformer le schéma de nos finances locales.

Au lendemain des élections sénatoriales de 2023, mon collègue Didier Rambaud a soulevé à plusieurs reprises la question du lien fiscal entre un habitant et sa commune.

Sous réserve d’une réforme globale du schéma des finances locales, pour que chaque strate de collectivité dispose d’un impôt clairement identifié, que pense le Gouvernement de l’organisation d’une réflexion portant sur la création d’un nouveau lien fiscal entre un habitant et sa commune ?

Il s’agirait non pas d’ajouter une taxe à la taxe foncière, mais bien de repenser tout le système. Beaucoup de foyers, en effet, ne comprennent plus où vont leurs impôts, où ils sont décidés, ni même où ils sont votés.

Il devient donc urgent de recréer de la lisibilité à cet égard. Ce serait dans l’intérêt des élus locaux, mais cela permettrait aussi, plus largement, de préserver le consentement à l’impôt dans notre pays. (Mme Mireille Jouve applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur, votre question, comme un grand nombre de celles qui m’ont déjà été posées, dépasse le strict cadre du projet de loi de finances.

Vous posez une question de fond, si je puis dire, que l’on peut reformuler ainsi : à quel moment allons-nous entreprendre la mise à jour du système de financement des collectivités locales ?

Pour avoir longtemps siégé sur les travées de cette assemblée, je sais que nous appelions régulièrement de nos vœux cette réforme, qui n’est pas un petit chantier.

Lorsque nous réformons, nous ne cessons de le faire de manière partielle, impôt par impôt, dotation par dotation, en prévoyant des compensations. Nous avons ainsi construit un système de rustines, qui est unique au monde. En dehors de quelques spécialistes des finances locales présents dans cet hémicycle, nous sommes tous parfois un peu perdus et incapables de comprendre comment le système fonctionne.

C’est pourquoi, comme vous, monsieur le sénateur, je considère qu’il est nécessaire d’entreprendre avec sérieux une véritable réforme des finances locales.

Voilà qui nécessite beaucoup de courage et d’endurance. En effet, les tentatives de réforme n’ont jamais abouti.

Nous devrions commencer par la question : qui fait quoi ? En fonction de ce que chaque collectivité devra faire – c’est le « quoi » –, il nous faudra définir les recettes nécessaires, en créant, comme cela se fait dans certains grands pays européens, en Allemagne par exemple, des dotations à partir d’impôts nationaux. Si chaque collectivité est dans une situation particulière, elles ont toutes les mêmes obligations. Chacune doit donc jouir d’une capacité de financement assurée par l’État et, sans doute, disposer aussi d’un levier fiscal, comme le souhaitent certains d’entre vous, pour lui permettre de mener ses propres politiques, conformément au principe de libre administration des collectivités territoriales.

Ce chantier est très important. Je ne prendrai qu’un exemple, qui a été avancé par M. Éric Woerth. Il estime que les départements dont les dépenses sont essentiellement d’ordre social et les recettes constituées de DMTO se trouvent dans une situation d’incohérence entre compétences et ressources. Dès lors, il demande que les départements bénéficient d’une part de la contribution sociale généralisée (CSG) nationale.

Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette question, qui constitue aussi une ouverture pour mener une réflexion sur certains dossiers sur lesquels il convient d’avancer.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Isabelle Briquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la situation financière des départements devient critique. Il y a trois ans, quinze d’entre eux étaient en difficulté ; ils sont désormais trente-cinq à être dans cette situation. Certains d’entre eux affichent une épargne nette, voire brute, négative.

Cette dégradation est le fruit non pas d’une mauvaise gestion, mais d’un effet ciseaux : alors que leurs dépenses sociales progressent fortement, leurs recettes sont figées depuis la suppression de la part départementale de la taxe foncière départementale, qui a été remplacée par l’octroi d’une fraction de la TVA, qui ne compense ni la volatilité des droits de mutation ni la hausse structurelle des charges sociales.

Les départements supportent les conséquences sociales des difficultés économiques de notre pays. Ils ne peuvent plus être la variable d’ajustement d’une politique d’austérité qui les prive de moyens, tout en leur transférant toujours plus de charges.

Il avait pourtant été annoncé que leur situation particulière serait prise en compte. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Aucune mesure structurelle n’a été engagée. Pis encore, de nouvelles ponctions sont prévues dans le projet de loi de finances pour 2026, par exemple 280 millions d’euros au titre du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico).

La création d’un fonds de sauvegarde allait dans le bon sens, mais son enveloppe demeure insuffisante. Madame la ministre, comptez-vous pérenniser et renforcer ce fonds et mieux le cibler pour aider les départements les plus en difficulté ?

C’est une question de cohérence républicaine. L’État ne peut pas, d’un côté, confier aux départements des missions toujours plus lourdes, de l’autre, les laisser affronter seuls la tempête sociale.

Oui, le redressement des finances publiques est nécessaire, mais il doit être proportionné. Les départements ne demandent pas de faveur. Ils souhaitent seulement que l’État tienne ses engagements et compense intégralement les charges qu’il décide d’instaurer. À défaut, la décentralisation elle-même perdra son sens. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Je vous remercie, madame la sénatrice Briquet, de cette question, qui porte sur les collectivités sans doute actuellement le plus en difficulté.

Je vous remercie, en même temps, d’avoir rappelé que la France a un déficit budgétaire et que cela a des effets sur l’ensemble des services publics, y compris sur ceux qui sont assurés par les collectivités.

D’une manière générale, lorsqu’un transfert de compétences intervient, dont le coût est calculé au moment du transfert, une clause de revoyure doit être prévue – le Sénat a d’ailleurs beaucoup insisté sur ce point. En effet, quand les collectivités se voient imposer, par l’État ou par la loi, de nouvelles normes et dépenses obligatoires qu’elles ne peuvent pas refuser, une révision des conditions financières du transfert s’impose.

Par ailleurs, on en parle peu, même si je l’ai évoqué dans mon propos liminaire : nous devons être très attentifs aux normes. Nous sommes en effet confrontés à une surenchère en la matière. Je souhaite que nous soyons plus frugaux en ce qui concerne le flux de normes et que nous travaillions sur le stock.

Madame la sénatrice, nous serons en léger désaccord sur ce point : le budget 2026 est un budget non pas d’austérité, mais frugal, qui permet d’envisager un redressement de nos comptes. Ce n’est pas tout à fait la même chose.

Le projet de loi de finances, tel qu’il sera soumis à votre examen, prend en compte la particularité des départements. Nous proposons en effet d’alimenter le fonds de sauvegarde, comme cela a été le cas non pas en 2025, mais en 2024, à hauteur de 100 millions d’euros. En 2026, nous le ferons à hauteur de 300 millions d’euros, afin d’aider la trentaine de départements en difficulté.

Le fonds de sauvegarde a vocation à être conjoncturel. En effet, si le produit des DMTO a beaucoup baissé, nous assistons depuis quelques mois à un frémissement à la hausse, même si la situation varie fortement selon les territoires.

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Madame la ministre, je vous écoute attentivement, mais votre gouvernement ne réduit pas seulement les budgets des communes, il réduit aussi la démocratie vécue. Il faut le dire !

À quelques mois des élections municipales, ce n’est pas qu’une affaire de chiffres, c’est aussi un signal politique. On bride l’action locale, on conditionne l’engagement, on place les scrutins sous tutelle budgétaire.

Après un prélèvement de 5,7 milliards d’euros en 2025, le budget 2026 – le vôtre, madame la ministre – prévoit encore près de 8 milliards supplémentaires de contributions, directes ou indirectes, imposées aux collectivités territoriales. C’est colossal ! Cela représente l’équivalent d’un quart de leur épargne brute, alors que celle-ci est déjà en recul de 7 % cette année et est fragilisée par le désengagement continu de l’État.

Au-delà de ces montants se dévoile une philosophie de Gouvernement, une manière de penser la décentralisation non plus comme un partage de responsabilités publiques, mais comme une chaîne hiérarchique de la rigueur.

Le meilleur exemple est le Dilico 2, dont le montant double, pour s’élever à 2 milliards d’euros – 1,2 milliard pour le bloc communal. Il concernera trois fois plus de municipalités que l’an dernier. C’est l’esprit du dispositif qui inquiète surtout les élus : si la croissance des dépenses locales est supérieure à 1 %, soit le taux de croissance du PIB, les sommes mises en réserve ne seront pas restituées.

La réalité contredit ce soupçon : les collectivités sont à l’origine de 70 % de l’investissement public, pour une dette équivalant à 9 % du PIB. Nous le savons tous.

Madame la ministre, si les collectivités doivent à ce point se plier à la trajectoire de l’État, quelle place leur reste-t-il pour l’initiative ?

Plus profondément, peut-on encore parler de décentralisation quand la libre administration devient à ce point conditionnelle ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur Savoldelli, vous ne serez pas surpris si je vous dis que je ne partage pas tout à fait votre analyse.

M. Pascal Savoldelli. Ce n’est pas un scoop !

Mme Françoise Gatel, ministre. Non, mais nous allons confirmer ce constat dans l’allégresse et le respect. (Sourires.)

Vous parlez du Gouvernement. Il s’agit du gouvernement de la France, qui présente une proposition de budget, laquelle est discutée de manière très démocratique dans les assemblées. Quand vous affirmez qu’il briderait l’action locale, permettez-moi non pas d’être offusquée – entre nous, ce mot ne conviendrait pas –, mais d’exprimer mon désaccord.

J’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer en répondant aux précédentes questions, le budget proposé par le Gouvernement préserve les recettes de fonctionnement des collectivités. Ainsi, la dotation de solidarité rurale est augmentée de 150 millions d’euros et la dotation de solidarité urbaine de 140 millions d’euros. Ne me dites pas que nous bridons l’action locale !

En tout cas, monsieur le sénateur, vous ne pouvez pas déduire de budgets qui sont des budgets de transition – la France n’a pas eu de budget équilibré depuis cinquante ans – que nous serions dans un moment de recentralisation. Je vous rappelle que le premier acte du Premier ministre, Sébastien Lecornu, a été d’écrire à tous les maires de France pour leur exprimer toute sa reconnaissance, puis de solliciter l’ensemble des collectivités pour recueillir des suggestions et des propositions sur la décentralisation.

Monsieur le sénateur, il ne vous a pas échappé que ce budget est un budget de redressement. Quand, à l’issue de ce débat, nous multiplierons les quelques heures passées ensemble – pour le plus grand plaisir de chacun d’entre nous – par 12 millions d’euros, ce qui correspond à l’augmentation de la dette par heure, nous aurons une idée de l’urgence à stopper l’aggravation de l’endettement. C’est ce que nous nous efforçons de faire, pour une promesse d’avenir.

Enfin, monsieur le sénateur, vous le savez comme moi, des pays comme la Grèce ou le Portugal, parce qu’ils n’ont pas su redresser leurs finances, ont, à un moment donné, vu les services publics assurés par l’État ou par les collectivités considérablement diminuer.

M. le président. Il faut conclure, madame la ministre !

Mme Françoise Gatel, ministre. C’est la dette qui est l’ennemie de la démocratie !

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la réplique.

M. Pascal Savoldelli. Je vais peut-être surprendre mes collègues, mais je pense à cet instant à Jacques Chirac, qui disait : on ne change pas la société par décret.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Ce n’est pas Jacques Chirac !

M. Pascal Savoldelli. C’est pourtant bien un décret que vous êtes en train de préparer. C’est une hiérarchie inversée !

Je reformule ma question : allez-vous laisser aux collectivités territoriales, particulièrement aux communes, une autonomie fiscale ?

M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée.

Mme Ghislaine Senée. Madame la ministre, je concentrerai mon propos sur la dotation globale de fonctionnement.

Cette dotation reste la première ressource versée aux collectivités territoriales. Elle est un dû : elle compense les transferts de charges de l’État vers les collectivités territoriales. À périmètre constant, son montant sera le même en 2026 qu’en 2025, soit 27,3 milliards d’euros. Sa non-indexation dans la durée asphyxie les communes et fragilise directement leur capacité d’action. Parallèlement, les collectivités voient s’éroder, voire disparaître, la part de fiscalité sur laquelle elles exerçaient un pouvoir de taux par le passé.

Dans nos territoires, de nombreux maires nous alertent. Les évolutions dans le temps du versement de la DGF par commune ne sont pas comprises et les critères d’attribution de ses composantes, que ce soit la dotation forfaitaire ou la dotation de solidarité urbaine, produisent des écarts incompréhensibles entre des communes pourtant comparables. Le critère de richesse semble, par exemple, assez obsolète aujourd’hui. Je relaie ici l’alerte d’un maire de mon département : une commune qui construit des logements sociaux et qui est en dynamique démographique voit sa dotation forfaitaire décroître, alors même que de nouvelles charges, notamment scolaires, s’ajoutent.

L’opacité des attributions nourrit le sentiment d’injustice entre collectivités et complique la programmation budgétaire, alors que chaque euro non couvert en fonctionnement se traduit par des investissements différés ou annulés, notamment au détriment de la transition écologique, qui exige des moyens massifs et immédiats. Cette situation interroge le respect du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, dont l’autonomie fiscale est le fondement.

Madame la ministre, que répondez-vous aux demandes d’indexation de la DGF que vous exprimiez comme sénatrice ? Que répondez-vous aux demandes de clarté et d’équité des critères d’attribution de cette dotation ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice, oui, j’ai apporté ici même un soutien constant à l’augmentation de la DGF, mais nous n’étions pas dans une période où le montant de la dette était grave au point qu’elle menace aujourd’hui notre pays et les services publics. Je l’ai dit, nous sommes dans un effort de redressement et de frugalité.

Sur la DGF, j’ai déjà répondu. Elle donne lieu à de nombreux commentaires. Par exemple, les écarts de dotation entre les territoires ruraux et les territoires urbains ne paraissent pas justifiés. À l’intérieur de l’enveloppe, certaines répartitions interrogent. La question que vous posez est légitime, mais ce n’est pas dans un projet de loi de finances que nous devons corriger, comme on l’a fait souvent, ou « rustiner » le problème des finances des collectivités locales. Il faut entreprendre une réforme plus globale.

Les modalités de répartition de la DSU ont fait l’objet d’une réforme dans la loi de finances pour 2017. Il n’est pas souhaitable de décider de manière conjoncturelle, dans le projet de loi de finances pour 2026, de modifier ces critères sans analyse d’impact sur l’ensemble des dotations.

J’entends vos préoccupations, mais je le répète, il est nécessaire de réfléchir à une réforme globale. En même temps, je vous rappelle que la DSU augmentera cette année de 140 millions d’euros.

M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour la réplique.

Mme Ghislaine Senée. Oui, il faut entreprendre une réforme globale, mais je m’interroge : dans la mesure où il n’est pas possible de redonner de l’autonomie fiscale, comment le Gouvernement peut-il souhaiter lancer un nouvel acte de décentralisation ? Il y a là une contradiction qu’il faudra régler une bonne fois pour toutes.

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Hervé Maurey. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, il existe une différence importante entre la part forfaitaire de la dotation globale de fonctionnement des communes rurales et celle des communes urbaines. En 2025, la part attribuée aux communes de 500 habitants est environ deux fois et demie inférieure à celle des communes de 170 000 à 350 000 habitants.

À plusieurs reprises, le Sénat a adopté des amendements visant à corriger cette disparité. Les gouvernements successifs ont toujours fait en sorte que cette disposition soit retirée des textes budgétaires définitivement adoptés, en promettant, en contrepartie, des travaux visant à remettre à plat le mode de calcul de la DGF. Ces annonces et ces promesses n’ont jamais été suivies d’effet et cette injustifiable différence perdure.

Madame la ministre, ma question est donc très simple : que comptez-vous faire pour remédier à cette situation tout à fait inacceptable ?

M. Stéphane Sautarel. Excellente question !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Maurey, vous avez raison de souligner l’attachement du Sénat à cette question. Bruno Belin a d’ailleurs interrogé le Gouvernement à ce sujet lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement voilà quinze jours.

Il existe en effet un écart de dotation entre les territoires ruraux et les territoires dits urbains. C’est un motif d’interrogation, comme l’est également la répartition au sein de l’enveloppe dédiée aux villes. C’était d’ailleurs l’objet de la précédente question.

J’y insiste, il est nécessaire d’entreprendre une réforme globale sur l’initiative du Parlement et des associations d’élus. Il faudra à cet effet dire qui fait quoi. Je connais les besoins des territoires ruraux, mais je sais également qu’il existe des fonctions de centralité, y compris dans de petites villes de 15 000 ou 20 000 habitants, qui permettent à des territoires ruraux de se maintenir.

Je rappelle les efforts de l’État. Ainsi, la dotation de solidarité rurale augmentera de 150 millions d’euros, la DSCAR, dotation à destination des seules communes rurales, est passée de près de 42 millions d’euros lors de sa création en 2023 à 110 millions d’euros en 2025.

Il conviendrait de justifier l’écart que vous évoquez, monsieur le sénateur, mais en ayant une approche globale de tous les concours de l’État en faveur tant des territoires ruraux que des territoires urbains.

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour la réplique.

M. Hervé Maurey. Madame la ministre, je connais votre attachement à ce sujet. Vous avez d’ailleurs été la première cosignataire d’un amendement que j’ai déposé en ce sens lors de l’examen d’un projet de loi de finances et déclaré à cette occasion en séance publique qu’il fallait « prendre l’engagement de regarder avec courage, au Comité des finances locales (CFL) comme au Sénat, ce sujet ». « Cessons de mettre des rustines et d’inventer des usines à gaz ! », avez-vous ajouté. Vous avez même affirmé, et nous en attestons : « Le sénateur est endurant, persévérant et conséquent. »

Vous le voyez, nous continuons ce combat. Puisque vous n’avez a priori pas changé d’avis sur le sujet – ce qui est déjà une bonne chose, madame la ministre –, j’aimerais que vous passiez de la parole aux actes, maintenant que vous êtes aux responsabilités, et que ce vrai débat annoncé par tous les gouvernements successifs ait, grâce à vous, enfin lieu. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Carole Ciuntu.

Mme Marie-Carole Ciuntu. Madame la ministre, l’État est en manque de recettes, mais jamais à court d’inventions pour s’en procurer. Depuis l’année dernière, un dispositif a été inventé afin de retirer aux collectivités locales des recettes fiscales qui leur sont totalement dues, qu’elles perçoivent légalement en application des textes, et ce non pas en fonction de leur bonne ou mauvaise gestion financière, mais à partir d’un calcul basé sur leur potentiel financier par habitant et leur revenu par habitant.

Le dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités locales, puisque tel est son nom, est désormais bien identifié par les élus locaux. Et pour cause : la ponction était déjà considérable en 2025, voici qu’elle est doublée dans le projet de loi de finances pour 2026 pour atteindre 2 milliards d’euros. Il est prévu que davantage de communes contribuent et pour des montants beaucoup plus importants.

Ainsi, dans le département du Val-de-Marne, dont je suis élue, trente et une communes sur quarante-sept devront contribuer et la contribution passera de 7,5 millions d’euros à 27,5 millions d’euros. Vous le constatez, nous sommes plus près d’un quadruplement que d’un doublement.

De surcroît, le Dilico, mesure principale d’économie demandée aux collectivités, est loin d’être la seule, puisque l’effort total s’élève à plus de 5 milliards d’euros d’après le Gouvernement. Ce montant serait même supérieur à 7 milliards d’euros d’après d’autres estimations, une fois cumulées toutes les mesures.

Que chacun doive participer à l’effort national, nous pouvons vous rejoindre sur ce point, madame la ministre. Reste que tout est une question de proportion et d’équité. Comme le souligne le rapporteur général, les administrations locales ne sont responsables que de 3 % de la progression de la dette depuis 2019. L’effort demandé par le Gouvernement aux collectivités locales dans ce projet de loi de finances pour 2026 pèse, quant à lui, pour 13 %.

Notre pays tient debout aujourd’hui en grande partie grâce aux administrations locales, qui entretiennent très largement l’espace public, alimentent l’investissement et font vivre les services publics. Pourquoi s’en prendre à ce qui marche encore ?

Madame la ministre, comptez-vous renoncer au doublement du Dilico pour 2026 ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice, je souhaite rendre à César ce qui appartient à César, mais que César a partagé avec l’ensemble des Romains… Le Dilico est une création intelligente et pertinente du Sénat, à qui je rends hommage pour cet ouvrage en réalité coconstruit.

Madame la sénatrice, le sénateur Maurey a rappelé mes propos et je n’ai pas changé d’avis : je sais l’importance du travail conduit par les collectivités pour préserver la cohésion sociale et fournir des services publics. C’est d’ailleurs pour pérenniser ce modèle qu’il nous appartient d’entreprendre, à regret sans doute, un budget de redressement auquel nous devons, à regret également, tous contribuer.

Le Dilico a été créé l’an dernier. En soi, c’est une innovation intéressante, car elle permet de diminuer la dépense des collectivités, non pas en confisquant leurs recettes, mais en retenant une partie de leur capacité de dépense, étant précisé que l’État rendra cette année 30 % de ces sommes. C’est ce que l’on a appelé le Dilico 1 – un intitulé appelant sans doute un Dilico 2. C’est en tout cas ce que prévoit le projet de loi de finances pour 2026, dont vous aurez à débattre très prochainement.

Il appartiendra à l’Assemblée nationale et au Sénat de discuter de l’ensemble des dispositions de ce texte, y compris du Dilico, en ayant toujours en ligne de mire le redressement global de nos finances publiques et le ralentissement de notre niveau de déficit.

Travaillons sur des propositions, comme nous l’avons fait d’une manière très positive sur le Dilico 1.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Carole Ciuntu, pour la réplique.

Mme Marie-Carole Ciuntu. Le Dilico 1 devait être unique ; or il y a un Dilico 2. C’est ce qui nous pose problème, mais nous travaillerons ensemble pour qu’il ne reste pas en l’état, ce qui serait un trop mauvais coup porté aux collectivités. (M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Frédérique Espagnac. Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur la création du fonds d’investissement pour les territoires, qui fusionnerait la dotation de soutien à l’investissement local, la dotation d’équipement des territoires ruraux et la dotation politique de la ville.

Présentée comme une simplification, cette réforme suscite pourtant beaucoup d’inquiétudes chez les élus, car, nous le savons bien, ces fusions s’accompagnent trop souvent de baisses de crédits. De fait, il est regrettable de constater qu’à cette fusion s’ajoute une réduction des dotations de 200 millions d’euros. Cette contraction budgétaire fait craindre, au-delà de la simplification annoncée, une dilution des moyens et des priorités. On note par exemple une priorité accordée aux quartiers prioritaires de la politique de la ville sur les territoires ruraux et la DETR.

Ce nouveau fonds envoie un mauvais signal aux élus locaux. Il limitera leurs moyens d’action en plafonnant les sommes allouées, en plus de fusionner les dotations.

Dans la période que nous traversons, nos collectivités ont besoin de stabilité et de visibilité sur les moyens de soutien à l’investissement dont elles peuvent bénéficier.

En privant les collectivités de leur autonomie et en multipliant les fusions de dotations, vous mettez à mal l’esprit même de la décentralisation, cette décentralisation que votre gouvernement promet pourtant d’accélérer.

Comment nos maires peuvent-ils bâtir une stratégie d’investissement solide si les règles changent tous les deux ans, au gré des contraintes budgétaires ?

Madame la ministre, entendez leur appel ! Allez-vous sanctuariser un socle de dotations d’investissement pour garantir enfin aux collectivités la visibilité nécessaire à la conduite des projets dont nos territoires ont besoin ?

De leur côté, les sénateurs du groupe SER resteront pleinement mobilisés pour défendre le maintien de la DSIL, de la DETR et de la DPV sans diminution de moyens ni plafonnement des aides aux projets, dans le respect des principes de la décentralisation et de la confiance envers les élus locaux. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K. – M. Guislain Cambier applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice Espagnac, votre interpellation rappelle celle du sénateur Delcros.

J’entends ce qui se dit sur la création du FIT. Je rappelle l’origine de cette proposition : vous le savez comme moi, les commissions d’élus de la DETR examinent des projets pouvant bénéficier à la fois de la DETR et de la DSIL et, quand il n’y a plus assez de DETR, ils prennent sur la DSIL, etc. Vous voyez donc l’intérêt de mutualiser les enveloppes, …

Mme Frédérique Espagnac. Si on ne les plafonne pas !

Mme Françoise Gatel, ministre. … car tous les territoires, y compris les territoires ruraux, en bénéficient. Nous faisons donc une proposition d’officialisation de la mutualisation et de simplification.

Néanmoins, je vous invite à regarder tout ce que mon ministère a produit. Nous avons sacralisé, si je puis dire, la DETR.

M. Patrick Kanner. Sanctuarisé !

Mme Françoise Gatel, ministre. Nous avons fait les deux, sacralisé et sanctuarisé, me semble-t-il.

Connaissant l’attachement très justifié des territoires ruraux à la DETR, j’ai souhaité faire en sorte que celle-ci ne bouge pas en montant et que les conditions d’attribution, donc les territoires éligibles, n’évoluent pas.

Maintenant, je le répète, je connais le poids des mots. Selon vous, supprimer le mot revient à supprimer l’argent, mais nous aurions pu – mon humeur ne vous plaira pas – supprimer et le mot et l’argent ; nous n’avons pas fait cela. Nous avons préservé l’argent, et il vous appartiendra d’en discuter.

Je rappelle simplement que, comme moi, vous avez dû participer à de nombreuses inaugurations. J’y rencontre des maires très heureux d’annoncer qu’ils ont obtenu 100 de DETR, 100 de DSIL, 50 du fonds vert. Je rappelle que c’est bien de l’argent de l’État.

Je devine que nous aurons l’occasion de rediscuter de ce sujet…

M. Patrick Kanner. Rétablissons la réserve parlementaire… (Sourires sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, pour la réplique.

Mme Frédérique Espagnac. En effet, nous allons en rediscuter, madame la ministre.

Je le répète, une baisse de crédits de 200 millions d’euros aujourd’hui n’est pas acceptable dans le cadre de cette fusion.

Dans les commissions d’élus de la DETR, les préfets imposent aujourd’hui des plafonds. Ainsi, contrairement à ce que vous prétendez dans votre exemple, les collectivités n’auront pas 100 plus 100 plus 50, mais seulement 100. C’est gravissime au moment où nos collectivités, notamment les plus petites, ont besoin de continuer à investir. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDSE. – M. Guislain Cambier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la ministre, je ne vous cache pas qu’année après année, ici même, dans la chambre des territoires, quand on demeure un élu local avant d’être un parlementaire, si les formes ne sont pas mises, l’examen du rapport sur la situation des finances publiques locales peut être perçu comme une véritable provocation.

En effet, durant sept ans, nous avons dû supporter un ministre des finances, véritable Schubert de la banqueroute (M. le rapporteur général de la commission des finances rit.), osant se présenter devant nous et nous expliquer avec aplomb que les collectivités étaient responsables de la dérive des comptes publics.

Eh oui, mes chers collègues, il a fallu supporter cela !

Madame la ministre, rassurez-vous, puisque vous fûtes l’une des nôtres et que vous avez vocation à le redevenir (Exclamations amusées. – Mme la ministre acquiesce en souriant.), je suis parvenu, non sans mal, à trouver une vertu à ce rapport.

Il a en effet l’avantage de mettre en lumière deux mondes qui ne se comprennent plus, mais alors plus du tout !

D’un côté, un État protéiforme et suradministré – songez aux administrations publiques centrales (Apuc), aux administrations de sécurité sociale (Asso) et autres administrations publiques locales (Apul) –, toujours plus éloigné des réalités de terrain et noyé dans un sabir technocratique dont le Dilico est le dernier avatar.

De l’autre, des élus locaux hagards, qui, au contact quotidien des populations qu’ils représentent, essayent, tant bien que mal, de mener à bien de plus en plus de politiques publiques, dont au passage l’État se défausse joyeusement sur eux, avec de moins en moins de ressources.

Il est plus que temps de faire œuvre de réconciliation, me semble-t-il. Il y va de notre démocratie et, je le crois profondément, de l’essence même de notre République.

Croyez-vous sérieusement, madame la ministre, que cela soit encore possible ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Hugonet, je vous remercie d’avance de l’accueil que vous me réserverez à mon retour, un jour prochain… (Sourires.)

Plus sérieusement, vous exprimez en des termes très justes ce que les élus disent et ce que les sénateurs et les ministres, parfois, ressentent.

En effet, nous sommes face à un véritable enjeu d’efficacité de l’action publique jusqu’au dernier kilomètre et de simplicité. Aujourd’hui, l’État s’est alourdi au point de s’ankyloser et d’être totalement hémiplégique, parce qu’il s’occupe de tout et qu’aucune des réformes territoriales entreprises depuis plus de dix ans n’a jamais défini ce qui était de son ressort.

Par conséquent, la volonté du Premier ministre d’avancer sur ce que l’on appelle la décentralisation consiste à définir qui fait quoi, quelles sont les responsabilités et comment les choses sont organisées. Je l’ai souvent dit, l’État doit se détendre, c’est-à-dire qu’il doit faire confiance aux élus locaux, qui sont aussi responsables que des ministres : ils ont des projets à mener à terme et ils vivent au milieu de leurs concitoyens, qui sont leurs principaux interlocuteurs. L’efficacité de l’action publique à l’échelon local est avérée.

Il nous faut donc entreprendre ce travail, être dans une relation de confiance avec les élus locaux et redonner, comme l’a fait le Premier ministre François Bayrou, du pouvoir au préfet de département, qui doit être le chef d’orchestre de tous les services de l’État et des agences.

Ici, au Sénat, vous vous êtes beaucoup intéressés à l’efficacité de l’action publique et aux agences. Je ne dis pas qu’il faut supprimer les agences. Elles rendent des services ; il faut réfléchir à la manière dont nous devons optimiser leur organisation. Toutefois, nous souffrons d’un manque de clarté sur le « qui fait quoi » : il y a trop d’intervenants.

Au-delà des dotations qu’il nous faut préserver – je rappelle qu’aujourd’hui nous sommes dans un budget de redressement –, il faut travailler sur le désengorgement des normes et sur la décentralisation.

M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre. Un budget de redressement, je l’ai dit, n’est pas un budget sans horizon : nous voulons nous redresser pour améliorer les services et redonner des moyens aux collectivités locales.

M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.

M. Jean-Raymond Hugonet. Je bois vos paroles, madame la ministre.

En ce qui concerne les agences, la difficulté réside dans le tri, nous l’avons bien compris.

Pour ce qui vous concerne, nous sommes partagés entre le désir de vous voir rentrer au bercail et le fait rassurant de vous savoir là où vous êtes. (Exclamations amusées. – M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit. – Mme la ministre sourit.)

M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Simon Uzenat. Madame la ministre, l’une des questions posées par ce débat est celle de la valeur de la parole de l’État. En effet, pour 2025 était annoncé un effort pour les collectivités à hauteur de 2,2 milliards d’euros ; en réalité, il sera supérieur à 7 milliards d’euros. A priori, à regarder de près le texte budgétaire que vous nous proposez, ce sera le même niveau pour 2026.

Sur l’autonomie fiscale, j’ai bien entendu certaines des réponses que vous avez apportées. Toutefois, lorsque nous observons que les transferts financiers de l’État représentent près de 80 % des recettes réelles de fonctionnement et d’investissement pour les départements ou pour les régions, la question demeure.

Le débat, nous le voyons aujourd’hui, est bien celui de la crise des recettes, pour l’État comme pour les collectivités. La suppression de la taxe d’habitation a été financée par de l’endettement, madame la ministre, au prix d’une perte de pouvoir d’agir pour les collectivités.

Sur les ressources de financement d’investissement des collectivités territoriales, notamment rurales, vous apportez des garanties sur le fonds d’investissement pour les territoires, mais, encore une fois, la parole de l’État peut être très largement mise en doute. En effet, depuis le début de l’automne 2025, les acomptes de DSIL, jusqu’à présent autorisés à hauteur de 30 %, ne le sont plus par les préfectures. De même, nous pouvons constater la quasi-disparition du fonds vert, divisé par quatre en deux ans.

Enfin, madame la ministre, pour les régions, nous redisons notre opposition à la transformation de la part de TVA en DGF. Dans votre rapport, vous évoquez une situation financière solide pour les régions, mais la Cour des comptes tient un autre discours. Pour elle, ce sont les régions dont la situation financière s’érode qui sont les plus mises à contribution. Il faut les aider. Êtes-vous prête, notamment sur le financement des mobilités, à envisager une taxe de séjour additionnelle en lieu et place du versement mobilité régional et rural (VMRR) ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Uzenat, je ne voudrais pas, par des réponses rapides, priver le Sénat de débattre du projet de loi de finances et d’apporter lui-même ses réponses. Le Gouvernement présente sa copie et je pense que nous ne nous contredisons pas forcément, même si nous ne disons pas la même chose.

J’ai dit que les départements étaient les collectivités les plus fragiles, et c’est une réalité. J’ai dit que les régions, proportionnellement, reprenaient un peu de couleur après la crise sanitaire, ce qui est vrai. Pour autant, vos chiffres sont exacts.

En même temps, à mon sens, nous ne connaissons pas seulement une crise de recettes : c’est surtout une crise de dépenses. (M. Laurent Somon exprime son désaccord.)

En effet, je cite souvent cet exemple, depuis cinquante ans, nous avons conjugué la fable de La Fontaine, La Cigale et la Fourmi, en étant essentiellement des cigales, sans doute, à chaque fois, pour des motifs justes et à bon escient – sauf qu’à un moment l’ardoise est là. Et nous y sommes !

Quand on a une ambition, comme vous l’avez tous ici, et que l’on veut préserver l’avenir et les services publics, il faut se ressaisir et redresser la situation. C’est désagréable, mais nous proposons de le faire ensemble.

Vous m’interrogez sur deux points.

D’abord, l’État a maintenu ses engagements, à la fois sur la tenue du déficit 2025 – sauf dérapage au mois de décembre, nous serons au niveau de déficit annoncé – et sur le remboursement du Dilico tel que cela est prévu. Si la baisse de dotation aux investissements existe, je l’ai dit, vous ne pouvez nier que, dans un cycle électoral communal normal, l’année du scrutin est une année où l’investissement diminue.

Ensuite, vous appelez à une visibilité accrue et à une véritable pluriannualité. Je suis d’accord avec vous : je me satisferais de voir l’État capable de contractualiser avec des collectivités sur tel ou tel projet, comme il le peut aujourd’hui avec les régions seulement.

Quant au regret que vous exprimez vis-à-vis du non-versement de certains crédits de paiement, certes, je ne crois pas au père Noël, mais il me semble que certains de ces problèmes seront réglés prochainement.

Pour ce qui est de la situation des régions, je ne puis aujourd’hui me prononcer pour ou contre telle ou telle mesure.

M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre. L’Assemblée nationale a été saisie de plusieurs amendements sur ce sujet. Les services rendus par les régions doivent être financés à la fois par l’impôt et par les dotations. Sur ces dispositions, nous verrons quelle position le Sénat adoptera.

M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat, pour la réplique.

M. Simon Uzenat. Madame la ministre, je reprends vos propres mots : « L’ardoise est là. » Oui, l’ardoise du macronisme depuis huit ans ! (Mme la ministre sexclame.) Quelque 60 milliards d’euros d’impôts n’ont pas été prélevés ; nous en voyons les effets aujourd’hui. Si cet argent avait été effectivement perçu, nous ne connaîtrions pas la crise actuelle. Oui, c’est bien une crise des recettes ! (Mme Ghislaine Senée acquiesce.)

Enfin, madame la ministre, l’arrêt des acomptes de DSIL est une décision de l’État.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Simon Uzenat. Au moment où nous nous parlons, les collectivités ne peuvent plus percevoir les 30 % d’acompte permis jusqu’à présent. Vous en portez la responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Lavarde. Madame la ministre, ma question sera assez courte et rapide. Chacun ici connaît cette antienne, désormais célèbre : « Le Gouvernement proposera, nous débattrons, vous voterez. »

Toutefois, pour qu’il en soit ainsi, il faudrait que le Parlement dispose de la bonne information. En ce qui concerne les collectivités, une fois que j’aurai dressé la liste des documents pertinents à cette fin, nous reconnaîtrons tous que l’exercice est extrêmement difficile.

En effet, afin de recenser et de retracer les 315 milliards d’euros de recettes des administrations publiques locales, il est nécessaire de se référer à sept types de recettes, relevant d’au moins autant de documents différents, que je veux vous énumérer : les prélèvements sur recettes (PSR), qui figurent dans la première partie du projet de loi de finances ; les comptes de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », que l’on trouve dans la deuxième partie ; le compte de concours financiers « Avances aux collectivités territoriales et aux collectivités régies par les articles 73, 74 et 76 de la Constitution » ; la fiscalité transférée et les taxes affectées, recensées dans le tome I de l’annexe Évaluation des voies et moyens ; les dégrèvements et subventions, disséminés entre les différentes missions ministérielles ; les transferts entre administrations de sécurité sociale et administrations publiques locales inscrits au seul projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), à l’instar du versement mobilité ; toutes les recettes locales et subventions européennes, dont le montant est précisé dans le seul rapport de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL).

Que pouvez-vous nous proposer pour que le Parlement puisse, enfin, disposer pour les débats budgétaires d’une vision claire des recettes des collectivités ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice, le sujet que vous évoquez est réel et revient dans le débat chaque année.

Rappelons qu’une proposition de simplification a été examinée par le Sénat. Elle n’a pas abouti, car elle présentait des risques. Disons-le franchement : une bonne idée avait émergé des groupes de travail créés sous la houlette du président Larcher, celle d’une loi de financement des collectivités locales et de leurs groupements. Un tel texte nous aurait offert de la clarté, car nous y aurions retrouvé l’ensemble des éléments relatifs aux collectivités.

Toutefois, cette idée, nous y avons renoncé ! Le Sénat a en effet mesuré les risques de cette proposition et a craint que l’on n’aboutisse à des textes similaires aux lois de financement de la sécurité sociale, où l’on aurait chaque année inventé l’équivalent de l’Ondam (objectif national de dépenses d’assurance maladie) pour les collectivités. De fait, l’ultra-simplification et l’ultra-clarté nécessitent des garanties.

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour la réplique.

Mme Christine Lavarde. Madame la ministre, vous m’avez répondu sur la prévisibilité. C’est indéniablement une qualité à laquelle les collectivités sont attachées. Je me souviens que, lors de ma campagne pour les élections sénatoriales de 2017, les élus locaux m’interrogeaient déjà sur cette loi de financement, dont l’idée avait été évoquée pendant la campagne présidentielle. Nous sommes en 2025 et elle ne s’est toujours pas concrétisée.

À vrai dire, je vous interrogeais plutôt sur la lisibilité de la maquette budgétaire. Mes collègues de la commission des finances savent que c’est un modeste combat que j’ai commencé à mener auprès de la ministre des comptes publics – je compte bien revenir à la charge régulièrement…

En effet, si nous avions une telle lisibilité, peut-être ne passerions-nous pas des dizaines d’heures dans cet hémicycle à débattre des 5 milliards d’euros de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », sur 315 milliards d’euros, puisque les enjeux réels des collectivités se trouvent ailleurs. Malheureusement, nous ne pouvons en avoir pleinement conscience, parce que nous ne disposons pas de cette vision globale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Sautarel. Madame la ministre, nous pourrions revenir sur les nombreuses étapes qui, depuis 1982, ont rythmé les relations financières entre l’État et les collectivités dans leur diversité. Notre pays, malgré ces évolutions, reste très jacobin ; il est même, depuis 2017, plus centralisateur que jamais, à contre-courant de l’histoire et de l’efficacité de l’action publique.

Nous pourrions évoquer tous les chiffres, nous opposer des ratios, des indicateurs, des références, rappeler notamment le triste épisode qui fit subir aux collectivités, entre 2013 et 2017, une baisse aveugle d’un tiers de la DGF – plus de 11 milliards d’euros ! –, une somme qui arrangerait bien aujourd’hui les comptes de nos collectivités. (Mme la ministre acquiesce.)

Sachant que, dans le contexte actuel, il est impossible de dégager une véritable ambition décentralisatrice (Mme la ministre acquiesce.), qui serait pourtant seule à même d’inspirer une réforme profonde, je préfère ici parler du réel, du terrain. Les collectivités territoriales – la commune et le département au premier chef – sont des acteurs du quotidien, qui offrent un service public de proximité et assument les investissements qui font, encore, tenir le pays. C’est notre bien commun à tous et une promesse faite à chacun.

Le véritable enjeu est donc de renouer le pacte de confiance entre l’État et les collectivités territoriales. Si ce pacte est actuellement très largement affaibli, c’est parce que l’État, d’une part, s’enferme dans une vision court-termiste pour boucler son budget, comme un ménage dépensier en difficulté tente de boucler ses fins de mois, d’autre part, impose des contraintes à son voisin, alors que celui-ci ne cesse de faire des efforts pour offrir un visage encore présentable.

Je souhaite donc vous soumettre trois attentes urgentes, madame la ministre, en espérant que vous partagez ces préoccupations. Vous me direz ce qu’il en est.

Premièrement, comme en 2025, il faudrait ne pas aller au-delà de 2 milliards d’euros de ponctions, tout en limitant au maximum la contribution des communes, dans l’attente d’une vraie réforme systémique.

Deuxièmement, il faudrait répondre, enfin, aux besoins à la fois structurels et urgents des départements.

Troisièmement, il faudrait conserver non seulement le cadre actuel du Dilico, tout en allégeant les normes, afin de conserver notre trajectoire jusqu’en 2029, mais aussi le périmètre des aides à l’investissement au sein de la DETR, aides auxquelles nous sommes tous très attachés .

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Sautarel, je reconnais dans vos suggestions la sagesse et la précision bien connues du Sénat, mais je relève aussi que vous préféreriez que je réponde par « oui » ou par « non » à chacune d’entre elles. Dès lors, je crains de vous décevoir en me refusant à cette approche binaire et en vous répondant qu’il appartiendra au Sénat, suivant la formule citée par Mme Lavarde, de débattre et de voter.

Je dis une nouvelle fois très sincèrement ce que vous savez pertinemment : la cohésion sociale dépend avant tout de l’engagement des collectivités et des élus locaux – nous l’avons vu dans toutes les crises. Je ne dirai jamais le contraire. En même temps, nous savons tous aussi que l’État est très engagé en faveur de la justice et de la sécurité.

Je suis d’accord avec vous : nous avons besoin de visibilité. Je l’ai dit tout à l’heure : l’annualité budgétaire génère une incapacité à travailler, alors même que les collectivités, en particulier les départements, ont des charges fixes très lourdes et des recettes aléatoires. La recentralisation actuelle résulte, entre autres choses, du recours accru à des dotations financières et à des compensations plutôt qu’à des recettes propres aux collectivités, ce qui suscite bien des incertitudes ; je suis la première à le reconnaître. Lorsque vous laissez aux collectivités un levier fiscal, en revanche, tout dépend de leur capacité à lever l’impôt et du rendement de celui-ci ; il y a donc un effort de péréquation à mener.

Le Dilico, fruit d’un effort de coconstruction entrepris l’an dernier par le Sénat et le Gouvernement, connaît cette année sa saison 2, si je puis dire, via la copie que nous soumettons au Parlement. J’ai bien conscience des débats qu’il suscite et des questions que vous posez. Il nous appartiendra d’avoir ensemble un dialogue franc, sans oublier le montant de l’endettement – vous le connaissez mieux que quiconque – et l’ampleur de l’effort de redressement que nous devons consentir. À l’intérieur de ce cadre, nous pouvons faire bouger les choses, mais l’objectif doit être préservé.

Sur l’allégement des normes, j’ai comme vous une obsession : la norme doit être utile et pertinente ; en revanche, elle ne doit pas être superfétatoire et empêcher d’agir.

Je proposerai donc dans les prochains jours au Premier ministre d’organiser, autour du Conseil national d’évaluation des normes,…

M. le président. Il faut conclure, madame la ministre !

Mme Françoise Gatel, ministre. … un travail rigoureux et pérenne d’évaluation des normes existantes, car il nous faut agir tant sur le stock que sur le flux pour retrouver des capacités.

M. le président. La parole est à M. Laurent Somon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Somon. Madame la ministre, le Dilico, adopté dans la dernière loi de finances sur l’initiative du Sénat, a un effet de bord très net : il pénalise les intercommunalités les plus intégrées, c’est-à-dire celles dont le coefficient d’intégration fiscale (CIF) est supérieur à 60 %, qui sont pourtant celles qui ont fait l’effort majeur de mutualiser leurs services pour maîtriser leurs charges.

Le cas d’Amiens Métropole est typique de cette situation. Avec un CIF au-delà de 60 %, elle compte parmi les 72 EPCI (établissements publics de coopération intercommunale), sur 1 254 en France, qui ont poussé à leur terme la logique historique du bloc communal : intégrer, mutualiser, rationaliser. Pourtant, elle se voit imposer au titre du Dilico une contribution dépassant 3,4 millions d’euros, soit plus de 2 % de ses recettes de fonctionnement, et ce du seul fait qu’elle contribue à la compensation des intercommunalités qui bénéficient de plafonnements ou d’exonérations.

En d’autres termes, on impose aujourd’hui plus lourdement ceux qui ont déjà fait l’effort de réduire leurs coûts de fonctionnement, alors que le législateur considérait explicitement qu’un CIF de 60 % était un niveau d’intégration exceptionnel et souhaitable.

Nous proposerons donc lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2026, à enveloppe constante, d’intégrer dans le Dilico 1 une modulation favorable à ces intercommunalités, à savoir un coefficient réducteur spécifique aux EPCI dont le CIF dépasse 60 %, sur le modèle de celui dont bénéficie déjà la métropole de Lyon. L’idée est simple : récompenser l’intégration réelle plutôt que la sanctionner.

Nous ne doutons pas de la nécessité de partager l’effort pour réduire les déficits, mais cela doit se faire de manière juste et égale.

Madame la ministre, êtes-vous prête à envisager l’introduction, dès cette année, d’un coefficient réducteur spécifique pour les EPCI très fortement intégrés, afin d’alléger leur contribution au titre du Dilico 1 et de rétablir, pour les années qui viennent, une cohérence économique dans le financement du bloc communal ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur, votre question s’apparente davantage à une suggestion, elle-même amenée à se traduire dans un amendement au projet de loi de finances…

De manière générale, sans fuir votre question, je rappellerai l’objet initial du Dilico : limiter la dépense des collectivités ; nous souhaitons que l’effort de compensation par l’État soit poursuivi à hauteur de l’engagement pris par lui l’année dernière. Il appartiendra au Sénat de débattre de cette proposition d’aménagement du Dilico 2 et de ses conditions économiques, notamment de restitution.

Vous comprendrez donc que je ne puisse répondre par « oui » ou par « non » à votre question, parce que c’est ici que se tiendra le débat budgétaire sur les collectivités. Nous discuterons alors ensemble et nous verrons à quoi nous aboutirons.

En tout cas, soyez assuré, monsieur le sénateur, même si cela ne suffit pas à votre bonheur, que j’ai bien entendu votre question.

M. le président. La parole est à M. Laurent Somon, pour la réplique.

M. Laurent Somon. Pour rebondir sur les propos de ma collègue Marie-Carole Ciuntu, je souligne combien il importe de récompenser les vertueux qui ont déjà fait des efforts de maîtrise de leurs dépenses de fonctionnement, en tenant bien compte du caractère communal ou intercommunal de cette gestion.

Conclusion du débat

M. le président. La parole est à M. Claude Raynal, au nom de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme de ce débat sur la situation des finances locales. Tous les groupes de notre assemblée, ainsi que les représentants de la commission et le Gouvernement, ont pu défendre leur point de vue. Je crois pouvoir dire, une nouvelle fois, que l’exercice est utile et que toutes les opinions ont pu s’exprimer dans le respect des convictions de chacun.

Que retenir de ce débat sur les finances locales ?

D’abord, l’on note que la copie proposée par le Gouvernement pour le budget 2026 paraît manifestement déséquilibrée pour les collectivités territoriales.

Certes, je peux me réjouir avec vous que ce projet de loi de finances acte la difficile situation financière de nos départements ; il serait compliqué d’y échapper. En choisissant d’abonder le fonds de sauvegarde des départements, à hauteur de 300 millions d’euros, le Gouvernement s’efforce de corriger les effets néfastes que sa politique budgétaire a pu entraîner, en particulier pour les départements dont la situation financière est la plus fragile. Bien entendu – le rapporteur général l’a dit –, nous examinerons si ce montant est suffisant.

Cependant, même si l’on prend en compte cette mesure favorable, l’addition reste corsée. Ce sont près de 4 milliards d’euros qui sont aujourd’hui demandés aux collectivités, soit le double de l’effort exigé l’an passé. Si l’on y ajoute – vous n’ignorez pas cet enjeu – l’ensemble des baisses de crédits de soutien à l’investissement, on arrive plutôt à 6 milliards d’euros ; si l’on prend aussi en compte la participation annuelle des collectivités à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), on dépasse 7 milliards d’euros !

La proposition du Gouvernement comprend notamment deux dispositifs structurants : nous avons largement abordé le dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales, ou Dilico, qui serait porté à 2 milliards d’euros dans ce budget et dont les conditions de remboursement apparaissent rédhibitoires – il faut bien le dire –, mais ne négligeons pas pour autant la baisse prévue de la compensation par le prélèvement sur recettes sur les valeurs locatives des établissements industriels, nouveauté dont l’impact budgétaire est estimé à 1,2 milliard d’euros.

Cette dernière mesure incarne à mes yeux l’inconséquence de la politique menée et défendue par les gouvernements successifs en matière de finances publiques locales. Constatant le coût démesuré d’un allégement des impôts de production, décidé voilà quelques années sans être financé, le Gouvernement s’efforce évidemment aujourd’hui de faire machine arrière. Il le fait de façon brutale, au détriment des EPCI. Une baisse de 25 % de l’enveloppe du prélèvement sur recettes entraînerait, pour 81 % d’entre eux, la perception d’un produit inférieur à ce qu’ils avaient perçu en 2021.

De plus, la mesure affecte en premier lieu des territoires industriels marqués par des difficultés sociales et sanitaires, dont les revenus par habitant sont – vous le savez, madame la ministre – inférieurs à la moyenne nationale.

Plus largement, pourquoi débattons-nous aujourd’hui de la juste contribution des collectivités territoriales au redressement des comptes publics ? D’où vient le déficit public auquel nous sommes confrontés ?

À mes yeux, la situation actuelle traduit avant tout l’échec d’une politique, celle de la dernière mandature, qui a consisté à réduire les impôts sans s’astreindre à une réduction parallèle des dépenses, et ce en l’absence de ce qui était souhaité, mais ne s’est pas produit : une augmentation significative de la croissance.

Ainsi, la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales et, surtout, la poursuite de cette politique en période de crise figurent parmi les décisions qui ont le plus grevé nos finances publiques. Cette réforme, que personne n’avait demandée – on en discutait, mais personne ne l’avait réclamée, en tout cas pas la population –, a réduit drastiquement les recettes de l’État, de quelque 20 milliards d’euros au total.

Il en va de même de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises : en rompant de la sorte le lien entre la fiscalité et l’aménagement du territoire, on a aussi contribué à diminuer les recettes publiques de 4 milliards d’euros en 2023. Ce n’est pas faute d’avoir tenté, depuis 2020, de vous prévenir des conséquences dommageables de ces décisions.

Sur ce sujet, le projet de loi de finances pour 2026 marque une nouvelle volte-face : le Gouvernement prévoit désormais d’anticiper la trajectoire de sa suppression, pour un coût d’un peu plus de 1 milliard d’euros en 2026.

Le Gouvernement réussit ainsi l’exploit de dégrader un peu plus encore le solde des finances publiques par une mesure que seul le président du Medef semble encore demander, et encore, seulement parce qu’il considérait, quand la décision a été prise, que passer de 4 milliards d’euros à 1 milliard d’euros ne servait strictement à rien. Je le confirme : cela ne sert strictement à rien !

Que ce soit pour les collectivités territoriales ou les acteurs économiques de notre pays, la principale conséquence de la politique économique de cette mandature, faite de virements et de revirements, aura été de rompre la confiance dans la parole de ce gouvernement et de désorienter les collectivités et les entreprises qui investissent et créent la richesse.

Mes chers collègues, à nous de remettre les choses en place, notamment en fixant à un juste niveau une éventuelle participation des collectivités à l’effort général ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le rapport sur la situation des finances publiques locales remis en application de l’article 52 de la loi organique relative aux lois de finances.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures dix.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Avenir de la décentralisation

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « L’avenir de la décentralisation ».

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de repartie, pour une minute.

Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à Mme Agnès Canayer, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)

Mme Agnès Canayer, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a moins d’un mois, à cette même tribune, le Premier ministre annonçait son intention de mener un énième « grand acte de décentralisation », qui serait engagé dans les trois mois.

Même si le timing de cette annonce soulève certaines interrogations, nous ne doutons nullement que poursuivre et approfondir la décentralisation soit un impératif.

Bien qu’il soit plébiscité par les Français, l’échelon local souffre. Il est pourtant le terreau de notre démocratie.

Au fil des années, malgré la succession rapprochée des actes de décentralisation, les élus locaux font tous le même constat : ils ont perdu leurs marges d’action, tant dans la prise de décision que dans le financement des politiques locales. (M. Jean-Baptiste Lemoyne acquiesce.)

On trouve là l’une des causes de la crise de l’engagement local, dont nous discutions dans cet hémicycle il y a moins de deux semaines, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local.

Évidemment, notre assemblée n’a pas attendu cette annonce du Premier ministre. Bien au contraire – vous le savez particulièrement bien, madame la ministre, pour y avoir largement contribué vous-même –, le Sénat mène depuis des années…

Mme Agnès Canayer. … des travaux riches et transpartisans sur la décentralisation, la déconcentration et la différenciation, et ce avant même que ces notions ne deviennent les « 3 D » de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite 3DS.

Comment ne pas mentionner ici les cinquante propositions du Sénat « pour le plein exercice des libertés locales », présentées le 2 juillet 2020 par le président Larcher et nos anciens collègues Philippe Bas et Jean-Marie Bockel ?

Toujours d’actualité, ce rapport ambitieux, qui associait les différentes sensibilités politiques de notre assemblée, illustre l’existence d’une voie vers une décentralisation qui allie renforcement des collectivités et cohérence de l’action de l’État.

Ces travaux ont été enrichis le 6 juillet 2023 par le rapport du groupe de travail du Sénat sur la décentralisation et ses quinze propositions « pour rendre aux élus locaux leur pouvoir d’agir », prolongé par le dépôt de trois propositions de loi – respectivement constitutionnelle, organique et ordinaire.

C’est dans la continuité de ces contributions que le groupe Les Républicains souhaite, aujourd’hui, débattre de l’avenir de la décentralisation.

Évidemment, nous n’aurons pas la possibilité de faire un tour complet du sujet. Je me contenterai donc, en guise de propos introductif, de présenter quelques grands axes qui doivent guider l’orientation de tout futur acte de décentralisation.

Avant toute chose, madame la ministre, il faudra se garder de la tentation d’orchestrer un big-bang territorial. De prime abord, cela peut sembler séduisant aux puristes qui souhaiteraient construire, depuis Paris, une architecture territoriale comme on dessine un jardin à la française. Toutefois, une telle approche méconnaîtrait les particularités des territoires, leur histoire et l’intelligence locale de ceux qui les font vivre. Les années passées à gommer les irritants de la loi NOTRe (loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République) et l’héritage controversé de la carte des régions en attestent.

Bien au contraire, toute décentralisation doit se faire dans le cadre d’un partenariat renouvelé avec les collectivités locales, afin de répondre à leurs besoins sans créer de nouvelles difficultés. Il convient donc d’acter un changement de philosophie.

Évidemment, cela n’est qu’un début et, même sans big-bang, beaucoup reste à faire si nous souhaitons donner un sens à l’article 1er de notre Constitution, selon lequel l’« organisation [de la République] est décentralisée ».

Cela implique de renforcer le principe de subsidiarité et les compétences réglementaires des collectivités, afin de lever les entraves juridiques à une action plus proche du terrain et à la conduite par les élus de projets très attendus par leurs électeurs.

Cela implique aussi de donner aux collectivités plus de flexibilité en matière d’expérimentation et de différenciation.

En l’état actuel du droit, l’exercice différencié des compétences est limité et l’expérimentation locale demeure trop étroitement encadrée.

Nous avons déjà proposé des pistes d’évolution, notamment via la proposition de loi de Rémy Pointereau visant à renforcer et sécuriser le pouvoir préfectoral de dérogation afin d’adapter les normes aux territoires.

Ces initiatives demeurent contraintes par un cadre constitutionnel strict, qu’il faudra amender afin de permettre aux territoires de se différencier durablement sans multiplier les régimes d’exception.

Sans attendre une hypothétique révision constitutionnelle, des ajustements pourraient rendre aux élus des marges de manœuvre et leur offrir un surcroît de flexibilité dans l’exercice de certaines compétences clés, par exemple en matière de logement, de construction ou de tourisme.

Madame la ministre, les élus locaux réclament avant tout du pragmatisme et de la souplesse. Pour cela, une méthode s’impose : ils doivent être associés aux réformes qui les concernent.

La question de l’autonomie financière des collectivités locales, consacrée à l’article 72-2 de la Constitution, est cruciale. Nous venons d’en discuter très largement dans le cadre du débat précédent. Là aussi, la réalité diverge de la théorie. La réalité, c’est que le modèle fiscal local n’a cessé d’être grignoté. La notion de « ressources propres », telle qu’elle est interprétée dans le droit en vigueur, n’a tout simplement pas permis de freiner la confiscation croissante des marges de manœuvre fiscales. En la matière, nous venons de le voir, une plus grande clarté est donc nécessaire.

Je ne m’étendrai pas plus sur ce sujet financier, même s’il est central et que beaucoup de propositions du Sénat pourraient être évoquées. Parler de décentralisation sans évoquer l’autonomie fiscale et financière des collectivités territoriales, c’est comme parler du Sénat sans évoquer les territoires ! (Sourires.)

Des progrès réels en l’espèce nécessiteraient non seulement la mobilisation du législateur, mais aussi une action volontariste de l’exécutif.

Pour plus de décentralisation et de différenciation, il faut surtout une meilleure déconcentration. Cela passe par un changement de paradigme du rôle de l’État. À cet égard, la loi 3DS a été une déception. Beaucoup reste à faire.

Il faut en particulier renforcer la place des préfets de département comme acteurs de référence de l’action déconcentrée de l’État et consolider leur rôle de conseil et d’appui aux collectivités locales. Le décret du 30 juillet 2025, qui renforce leur pouvoir, va dans le bon sens. Plus que des censeurs lointains, les préfets doivent être des partenaires, des conseillers de l’action des collectivités locales. C’est tout l’intérêt du couple maire-préfet.

En parallèle, des efforts considérables de simplification normative doivent également être conduits par tous afin de faciliter et de sécuriser juridiquement l’action des élus locaux, notamment dans les plus petites communes, qui n’ont pas les moyens de se doter d’un juriste ou des services d’un cabinet externe.

Force est de constater que les études d’impact des textes législatifs relatifs aux collectivités restent encore trop souvent insuffisantes. Le Conseil constitutionnel n’opère d’ailleurs qu’un contrôle limité. Il est donc indispensable que l’exécutif s’empare de cette obligation afin d’éviter ou de limiter les normes déconnectées de la réalité locale. Potentiellement, le cadre constitutionnel pourrait aussi être ajusté afin de donner plus de substance à cette règle.

Sur ce sujet également, le Sénat a engagé des travaux. Cependant, à l’instar de beaucoup d’autres, ceux-ci restent aujourd’hui au milieu du gué, faute d’avoir été repris, notamment par l’Assemblée nationale.

Tels sont, en quelques mots, certains des grands axes des travaux réalisés ces dernières années par notre assemblée, qui assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Nous invitons vivement le Gouvernement à s’en saisir s’il souhaite qu’un nouvel acte de décentralisation ne soit pas un simple coup d’épée dans l’eau.

Je suis certaine que les prochains orateurs présenteront d’autres pistes, d’autres réflexions, qui viendront alimenter notre discussion. Tel est le sens du débat dont le groupe Les Républicains a souhaité l’organisation. Nous espérons qu’il sera fécond et qu’il permettra, demain, les avancées tant attendues par les élus locaux et les Français. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice Canayer, vous l’avez dit, on ne peut pas inventer la décentralisation boulevard Saint-Germain. Il s’agit d’ailleurs non pas d’inventer la décentralisation, mais de mettre en œuvre ce que le Sénat appelle de ses vœux : une méthode qui garantisse l’efficacité de l’action publique jusqu’au dernier kilomètre, en prenant en compte le fait que la France est une nation une et indivisible, mais constituée de territoires divers et variés, où la norme doit être adaptée.

Comme vous, j’en appelle au pragmatisme. Je souhaite que l’on s’inspire des nombreux travaux qui ont déjà été réalisés, non seulement par le Sénat, où une réflexion de très grande qualité a été menée – chacun le sait –, mais aussi par Éric Woerth et d’autres encore.

En tout cas, madame la sénatrice, je vous le dis aussi franchement que je le pense : je ne crois pas aux Grands Soirs, parce que les lendemains sont des petits matins blêmes. (Sourires.) Sincèrement, je pense que nous avons subi trop de grandes lois de réforme territoriale. Je songe à la loi NOTRe, à la réforme des régions, ces lois qui ont été conçues d’une manière uniforme, un peu sous forme d’équations, et qui mesuraient l’efficacité de l’action publique en s’appuyant sur des seuils et le nombre d’habitants. Nous en corrigeons aujourd’hui encore les irritants.

Soyons donc pragmatiques. L’objectif est l’efficacité de l’action publique jusqu’au dernier kilomètre. Il faut que l’État – et cela n’a jamais été fait – définisse avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, et avec les associations d’élus ce qui relève de sa compétence. L’État doit se détendre, s’occuper de ce qu’il sait faire, puis laisser les collectivités agir.

Mme Françoise Gatel, ministre. Cela va de pair, vous l’avez dit, avec la simplification et la déconcentration – nous aurons l’occasion d’y revenir –, mais aussi avec une réforme des finances locales. L’autonomie fiscale, voire l’autonomie financière, sont des sujets qui méritent également d’être débattus.

En tout cas, je vous remercie, madame la sénatrice Canayer, car je pense que vous avez bien posé le problème. Je ne peux qu’acquiescer à un certain nombre de vos suggestions.

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Annick Girardin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Annick Girardin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plus de quarante ans, on cherche, avec la décentralisation, à rapprocher la décision publique du citoyen, sans rompre avec la cohérence nationale. Le débat organisé aujourd’hui fait écho à l’objectif du Premier ministre de lancer un « grand acte de décentralisation » pour clarifier les compétences et éviter la dilution des responsabilités.

Ces réflexions, le groupe du RDSE les mène au Sénat depuis des décennies. Pour rappel, en 2019, nous avons œuvré en faveur de la mise en place d’une véritable ingénierie territoriale et pris l’initiative de proposer la création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), laquelle est d’ailleurs aujourd’hui affaiblie par une diminution des postes, soit l’inverse de ce qui est attendu par les territoires.

Dix ans après la loi NOTRe, Maryse Carrère a remis un rapport d’information intitulé Pour une intercommunalité de la confiance, au service des territoires et relayé les souhaits des élus : ils aspirent à un apaisement législatif et à une consolidation des équilibres existants. Par ailleurs, ils déplorent la multitude des contraintes et les complexités normatives excessives, qui ne tiennent pas compte des particularités et des spécificités de leurs territoires.

La proposition de loi de Jean-Yves Roux visant à permettre une gestion différenciée des compétences « eau » et « assainissement » et celle de Guylène Pantel et Rémy Pointereau visant à sécuriser le pouvoir préfectoral de dérogation afin d’adapter les normes aux territoires illustrent cette nécessaire adaptation au terrain.

Fort de son héritage, le groupe du RDSE défend depuis toujours la capacité à agir de nos territoires. Il plaide pour une simplification ancrée dans le réel face à un empilement de dispositifs à périmètre variable, qui étouffe nos collectivités et rend notre action commune illisible pour nos concitoyens.

Le Sénat et les élus de la Nation peuvent compter sur nous pour œuvrer en faveur de l’efficacité publique et de la proximité. Attention toutefois à ne pas ajouter une vague de plus, que l’organisation actuelle ne pourrait en l’état absorber.

Madame la ministre, mes chers collègues, puisque nous débattons aujourd’hui de l’avenir de la décentralisation, permettez-moi d’ouvrir une perspective plus lointaine, car c’est le rôle prospectif du Sénat, et d’évoquer une France repensée dans sa propre organisation au regard des défis nationaux et territoriaux qui s’annoncent.

Pendant une année, j’ai été placée au rang d’observatrice. J’ai mis à profit ce temps pour écouter et comprendre les attentes dans l’Hexagone comme en outre-mer. Elles sont claires : nos concitoyens ont besoin de proximité, d’efficacité et de sens, d’une présence tangible dans leur vie quotidienne en matière de santé, d’éducation, de mobilité, de services publics essentiels, entre autres.

Venant de Saint-Pierre-et-Miquelon, au cœur du bassin nord-américain, j’ai naturellement baigné dans un environnement fédéral. En étudiant de manière approfondie les organisations institutionnelles à l’échelon européen, une question s’est imposée à moi : et si la France de demain s’inspirait du modèle fédéraliste ?

C’est non pas une provocation, mais la conviction qu’un nouveau souffle est nécessaire pour notre modèle. Il s’agit non pas d’opposer Paris aux territoires, mais de redonner à chacun sa juste place dans une nouvelle construction nationale qui doit avoir deux objectifs : renforcer ce qui fait nation et conforter nos territoires dans leur liberté.

Dans cette configuration, nous devons nous interroger sur ce qui relève de l’État. Celui-ci doit non seulement exercer ce que l’on appelle aujourd’hui les compétences régaliennes, mais également être le garant de ce qui fait l’unité et la solidarité dans notre pays et être le porteur de ce qui constitue notre souveraineté et notre rayonnement.

Des entités fortes et responsables, disposant d’une plus grande liberté d’organisation au sein de leur territoire, verraient ainsi leurs compétences renforcées constitutionnellement, conformément au principe de subsidiarité. Ces entités, je les appelle les provinces, non par nostalgie, mais parce que ce mot est porteur d’une identité forte, de cultures, d’une histoire, de géographies.

Une France provinciale accorderait à chaque territoire son autonomie budgétaire et fiscale, tout en instaurant un mécanisme de solidarité nationale, la péréquation. Chaque province pourrait choisir son organisation, décider de conserver ou non le département, de fusionner ses communes et, pourquoi pas, de se doter d’un exécutif élu directement, capable d’assurer la coordination des services publics et de redonner visibilité et efficacité à l’action locale.

Nous pouvons nous inspirer de ce que nous avons déjà su faire dans les territoires ultramarins, qui sont de parfaits exemples de différenciation territoriale. Saint-Pierre-et-Miquelon, la Guadeloupe, la Guyane ou encore la Polynésie française, entre autres, montrent que la diversité statutaire n’empêche ni la cohésion ni la solidarité.

Cette provincialisation, dans ses délimitations, doit aussi tenir compte des défis de demain : ressources, forces économiques, zones vivables, équilibres écologiques et humains. Il nous faut penser à un maillage cohérent, durable, respectueux des identités et des transitions à venir.

Mes chers collègues, bien entendu, rien ne sera acté aujourd’hui. La France provinciale n’est pas une rupture, au contraire ; elle est peut-être une fidélité à notre histoire d’équilibre, aux territoires, aux libertés, une fidélité à notre volonté de bâtir une République vivante, incarnée et proche. Ainsi retrouvera-t-elle du souffle et la confiance de nos concitoyens.

Je vous poserai une seule question, madame la ministre : le Gouvernement mène-t-il des travaux en ce sens et a-t-il ouvert des pistes de réflexion ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Je partage votre analyse, madame la sénatrice : peut-être vivons-nous une période de transition vers une organisation institutionnelle et territoriale appelée à s’adapter au monde d’aujourd’hui et de demain.

Nous avons beaucoup employé le mot « territoire », qui est un peu clinique. Lorsque l’on parle d’un territoire, il n’est pas question de la province que vous avez évoquée, on ne la sent pas. Le mot ne laisse pas entrevoir d’éléments géographiques, culturels et historiques, alors que nous savons que les territoires peuvent fabriquer des alliances à partir de dispositions géographiques – nous l’avons vu pour l’eau et l’assainissement –, mais aussi d’enjeux culturels.

Comme vous, madame la sénatrice, je pense que donner de la liberté d’agir aux territoires et instaurer de la différenciation ne signifie pas rompre avec l’unité de la République. J’affirme ici que la République française est une et indivisible. Elle s’incarne autour de la promesse républicaine, qui est une promesse d’égalité de droits, quel que soit l’endroit où l’on habite et quelle que soit sa classe sociale.

Pour que cette promesse républicaine soit tenue, il faut mettre en place des moyens différents, vous avez parfaitement raison. Les dispositions spécifiques qui existent dans les territoires d’outre-mer sont l’exemple même d’une adhésion à la République, malgré des organisations différentes. Au-delà de l’outre-mer, nous avons reconnu et en quelque sorte sanctuarisé la différenciation, puisque nous appliquons des dispositions différentes pour les communes du littoral et pour les communes de montagne.

Il nous faut donc d’abord entamer ce travail qui n’a été fait lors d’aucune réforme territoriale : définir le rôle et la mission de l’État, au-delà de ses fonctions régaliennes. Il faut aussi réfléchir à un mécanisme de péréquation pour permettre aux territoires plus pauvres d’assumer eux aussi leurs compétences.

Comment travailler sur ce sujet ? Encore une fois, il ne s’agit pas de rester enfermé boulevard Saint-Germain. Nous avons vu comment les dernières lois territoriales, notamment la loi NOTRe, en fonctionnant mécaniquement, ont engendré dans les territoires des inadaptations qui nous coûtent cher.

Dès sa prise de fonctions, le Premier ministre a écrit à l’ensemble des élus locaux, notamment aux maires, pour les inviter à lui faire part de leurs suggestions.

M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre. Quand il a parlé de décentralisation, il a demandé aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, aux présidents des délégations aux collectivités territoriales et à la décentralisation des deux chambres, à l’ensemble des exécutifs, de lui transmettre leurs suggestions avant le 31 octobre. C’est donc avec vous, je l’espère, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous construirons une nouvelle promesse républicaine fondée sur le souci d’efficacité.

M. le président. La parole est à M. Daniel Fargeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Daniel Fargeot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Premier ministre a voulu mettre la décentralisation au menu du dîner politique. J’ai cependant la douce impression qu’il nous l’a servie comme un digestif, après un budget indigeste, dont les dispositions vont dans le sens exactement inverse de la décentralisation, notamment pour les collectivités : suppression d’un quart de la compensation de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la cotisation foncière des entreprises (CFE) des industries ; pérennisation du Dilico (dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités) aggravé, Bercy sacrifiant encore une fois les bons élèves sur l’autel de la rigueur. Où est donc la volonté réelle de décentraliser ?

Pourtant, la décentralisation est la solution évidente à la crise profonde que nous vivons : crise de gouvernance, crise de confiance, crise financière. Nous avons atteint le paroxysme d’un système dans lequel l’État central s’occupe de tout, perd la main sur tout et oublie l’essentiel. La preuve : plus personne ne se comprend, pas même dans la cuisine de Matignon.

Une véritable décentralisation, c’est celle qui donne la main et les moyens, pas seulement des missions. Encore faut-il savoir de quoi l’on parle : décentraliser quoi et, surtout, décentraliser qui, puisque la responsabilité est au cœur du sujet ?

Depuis quarante ans, on confond faire confiance et se désengager. Nos chefs étoilés – les gouvernants – disent : « Je fais confiance aux territoires. » En cuisine, les commis – les territoires – répondent : « Je fais ce que je peux avec ce qu’il me reste. » La décentralisation doit être un transfert de confiance et non un transfert de charges.

Cette confiance suppose de la clarté : des compétences nettes, des moyens adaptés et, surtout, la fin du fameux « coco » : coconstruction, cofinancement, cogestion, « co-confusion ». Si, au passage, on supprimait le Dili-co, nous nous serions compris. (Sourires.)

Aujourd’hui, tout le monde rend des comptes à tout le monde, sauf aux électeurs. La France est devenue la championne du monde de la désorganisation systémique, prisonnière d’un modèle jacobin dotée des apparats d’une décentralisation. Cela ne fonctionne plus !

L’enlisement est devenu la norme si bien que, quand on veut véritablement faire avancer un projet, on invente une loi d’exception, comme pour Notre-Dame de Paris. C’est devenu le génie français : créer un régime dérogatoire pour chaque idée, faute d’une vision d’ensemble.

Madame la ministre, il est temps de remettre de l’ordre pour obtenir un plat de résistance consistant. Tocqueville l’analysait déjà : la décentralisation est non pas un transfert, mais un retour de responsabilité. Elle rapproche l’État du citoyen et fait vivre la démocratie.

Pourtant, on nous sert souvent une décentralisation managériale réduite à un pilotage par tableur Excel, avec des élus sous tutelle. Je n’y crois pas. Les territoires ne sont pas les filiales de l’État, les maires ne sont pas des sous-traitants de la République : ils en sont les premiers responsables. Encore faut-il, pour exercer leurs responsabilités, qu’ils puissent actionner de véritables leviers : la fiscalité locale, l’autonomie de décision, la souplesse normative.

Pour ce faire, un État et des territoires forts passent par une vague de déconcentration ; l’une ne va pas sans l’autre. D’ailleurs, le couple maire-préfet reste l’un des rares qui fonctionnent encore. C’est cette articulation qu’il faut renforcer, plutôt que de multiplier les agences et autres comités.

Jean-Louis Borloo en appelle à une « République fédérale à la française ». Une « République des responsabilités locales assumées » serait la cerise sur le gâteau. Remettons de la cohérence et de la responsabilité.

Enfin, le véritable enjeu est de rendre à chaque échelon les responsabilités qui lui reviennent, afin de redonner aux élus le goût de l’action publique et du sens à ce qu’ils font : à l’État, la stratégie et le régalien ; aux collectivités, la proximité, l’action et la redevabilité devant leurs électeurs.

Si la République veut rester indivisible, c’est bien parce que la responsabilité, elle, ne se divise pas. Bon appétit ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Henri Cabanel applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Fargeot, je vous remercie de cette intervention gourmande. (Sourires.)

Vous avez raison, les élus locaux ne sont pas des commis de l’État. Il fut un temps où, chacun le sait, il existait de grands commis et où l’on considérait que la France marchait relativement bien. Cette opinion a changé. Je vous le redis avec beaucoup de conviction : l’action publique relève de l’État et des collectivités. À chacun sa responsabilité – j’aime ce mot – et à chacun ses compétences.

Vous avez raison, s’agissant par exemple des départements : on ne leur a pas transféré des compétences, on les a chargés de les mettre en œuvre comme l’État l’a dit, avec les moyens que ce dernier leur a donnés.

Ce qu’il nous faut, c’est transférer aux collectivités des responsabilités en leur donnant la capacité d’agir, de trouver des solutions. Cela suppose d’organiser la chaîne de l’ordonnancement – c’est le « qui fait quoi » dont parle le Premier ministre – et la chaîne du commandement. Le responsable organise et décide, mais il rend également des comptes.

Enfin, monsieur le sénateur, je suis heureuse de vous entendre parler de différenciation. Je me souviens de débats ici même, lors desquels on assimilait égalité et uniformité. Toutefois, l’uniformité n’a jamais été la garante de l’égalité ; elle est au contraire la garante de l’inégalité. Il existe une égalité de droits avec une différence de moyens. Travaillons donc pour corriger ces différences.

En matière de déconcentration, il y a un patron dans les départements, c’est le préfet. À lui d’harmoniser les choses.

Enfin, vous avez parlé de « qui fait quoi et avec quoi » et de financement. Une partie du budget des collectivités provient de dotations, l’autre doit sans doute reposer sur un levier fiscal, qu’il faut définir en fonction des compétences transférées.

Travaillons avec gourmandise sur ce chantier, car nous sommes tous d’accord sur l’objectif. Faisons face aux difficultés qui surgiront sans aucun doute, agissons en confiance pour débloquer les articulations qui ne manqueront pas à un moment de se gripper.

M. le président. La parole est à M. Daniel Fargeot, pour la réplique.

M. Daniel Fargeot. Comme vous l’avez dit, l’État doit se détendre et conserver à l’esprit un principe simple : faire preuve de bon sens et de pragmatisme. Là où il y a une volonté, il y a un chemin. (Exclamations amusées sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Bessin-Guérin.

Mme Marie-Pierre Bessin-Guérin. « Faites-nous confiance ! »

Voilà le cri du cœur de la maire de La Meilleraye-de-Bretagne, commune de 1 500 habitants, que j’étais avant d’être élue au Sénat. Ce cri du cœur n’est pas seulement le mien ; nous le savons tous ici, nombre d’élus locaux le poussent également.

Pour étayer mon propos, je vous ferai part d’un exemple personnel. Il y a quelques années, il m’a été demandé de réaliser des travaux sur l’une des voies de ma commune. En plus d’être coûteux, ceux-ci posaient un problème majeur en matière de sécurité routière. En tant que maire, j’ai proposé, avec les habitants, un autre chemin plus sécurisé, qui n’aurait nécessité que de petits aménagements à la marge. Il aura fallu une mobilisation de près de deux ans pour que notre voix soit entendue et que cette solution bien plus pragmatique soit finalement retenue. Nous aurions gagné bien du temps si nous avions été écoutés dès le départ…

Cet exemple illustre le quotidien de nombreux élus locaux en France. Il montre aussi à quel point il est impératif de remettre la confiance au cœur de notre relation avec les territoires. L’avenir de la décentralisation passe avant tout par la confiance : confiance dans les élus locaux, qui sont mobilisés en permanence ; confiance dans les instances de proximité, qui relaient avec force la voix des territoires.

Depuis plus d’une quarantaine d’années, plusieurs vagues de décentralisation se sont succédé. Elles répondaient toutes à des objectifs nobles, mais force est de constater qu’elles s’articulent mal entre elles. Le cadre juridique actuel manque de cohérence, mais aussi de souplesse. Il en résulte un manque de lisibilité, tant pour les élus locaux que pour nos concitoyens. Réformer ce cadre de façon globale s’impose aujourd’hui comme une évidence.

D’un point de vue constitutionnel tout d’abord, il s’agit notamment de sanctuariser les principes de subsidiarité et de différenciation territoriale. L’unité de la République, le lien avec les citoyens, passent autant par le respect des spécificités locales que par une action publique plus efficace et proche du terrain. C’est ce que permettent ces principes.

Se pose aussi, bien évidemment, la question de la répartition des compétences. Dans bien des domaines, elle doit être simplifiée et rationalisée. Il est essentiel aussi de renforcer les leviers de coopération entre les collectivités territoriales. À mon sens, la commune doit être au cœur de l’organisation territoriale française. Quant à l’échelon départemental, il reste indéniablement pertinent, en particulier dans les territoires les plus ruraux.

À cet égard, le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutient l’idée d’une large réforme de la décentralisation pour une gouvernance fondée sur la proximité. Faut-il rappeler ici la crise des vocations, enjeu parfaitement cerné par les auteurs de la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2025, plus de 6 % des maires élus en 2020 ont déjà démissionné de leur mandat. Le nombre de démissions volontaires a été multiplié par quatre par rapport à la précédente mandature.

Je donnerai un exemple concret : lorsque je suis devenue sénatrice il y a quelques semaines, j’ai dû renoncer à mon mandat de maire. Aucun candidat ne s’est présenté pour me succéder. Et pour cause, les multiples difficultés et obstacles inhérents à la fonction de maire rebutent de nombreuses personnes. C’est un véritable gâchis pour notre République, mes chers collègues.

Vous le voyez, vous le savez, il y a urgence. Les élus de proximité sont ceux qui font le lien entre la République et les citoyens. Il faut leur donner les moyens d’agir.

J’en viens à présent à l’épineux sujet des finances publiques locales. Celui-ci – je tiens à le souligner – doit être au cœur des réflexions sur l’avenir de la décentralisation. Non, le budget des collectivités territoriales n’est pas une variable d’ajustement. Lorsque je vois se profiler à l’horizon la baisse de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), à laquelle je suis fermement opposée, je m’inquiète.

Au-delà, il doit être mis fin définitivement à certaines pratiques. Chaque compétence dévolue à une collectivité doit donner lieu à une compensation financière adéquate. De la même façon, il est essentiel que le décideur soit celui qui paie et qu’une commune n’ait plus à l’avenir à financer des initiatives décidées par un autre échelon sans son accord.

Enfin, en matière de budget, la prévisibilité doit être le maître mot. Les collectivités locales doivent pouvoir se projeter et anticiper. Certaines communes attendent parfois des mois durant le versement de sommes pourtant déjà votées par un autre échelon. Oui, il faut donner aux collectivités les moyens d’agir, ce qui passe par une transformation de notre mode de fonctionnement actuel.

En définitive, je le rappelle encore, l’avenir de la décentralisation se résume à un maître mot : confiance. Faisons confiance aux élus de proximité, car ce sont bien eux qui incarnent et font vivre notre République au plus près de nos concitoyens dans nos territoires. Notre République s’honorerait à leur accorder la juste place qu’ils méritent et à leur donner les marges de manœuvre nécessaires pour exercer pleinement leurs prérogatives au service des Français.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Marie-Pierre Bessin-Guérin. Madame la ministre, comment le Gouvernement compte-t-il accompagner les élus locaux, dont le travail est indispensable à notre pacte républicain ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice Marie-Pierre Bessin-Guérin, je suis très heureuse de vous saluer quelques jours après votre arrivée au Sénat. Je répondrai point par point aux sujets que vous avez évoqués.

Je crois beaucoup à la proximité. Je le dis sans plaisanter : puisque nous défendons le circuit court dans le domaine de l’alimentation, j’aimerais qu’il en soit de même en matière d’action publique. Ce circuit est efficace et permet d’identifier le responsable. Selon le principe de subsidiarité, le niveau le mieux placé peut prendre la compétence et s’allier avec d’autres territoires.

Par ailleurs, madame la sénatrice, vous avez raison d’évoquer la question de l’engagement des élus locaux. Le Sénat a beaucoup travaillé sur la facilitation et la sécurisation de l’engagement. C’est en effet ici qu’est née une proposition de loi transpartisane, qui poursuit sa route aujourd’hui et que nous espérons voir adoptée le plus rapidement possible.

M. François Bonhomme. Il y a intérêt !

Mme Françoise Gatel, ministre. Notre intérêt commun est d’œuvrer pour les maires !

Sur les finances publiques, je tiens à apporter une correction et à vous rassurer, madame la sénatrice. L’enveloppe de la DETR ne diminue pas en 2026 dans le fonds d’investissement pour les territoires (FIT) ou en dehors de lui. Il est important de le redire.

En vous écoutant, j’ai constaté que vous avez déjà une forte culture sénatoriale, car vous prononcez des phrases que l’on entend souvent ici, par exemple « Qui décide paie ». En d’autres termes, celui qui fixe la norme doit l’assumer ; inversement, celui qui paie doit être associé à la décision. Comme l’a souligné le sénateur Fargeot précédemment, les élus locaux ne sont pas les commis de l’État ; ce sont des gens responsables qui doivent être associés aux décisions.

C’est en ne l’oubliant pas que nous retrouverons le chemin de la confiance de nos concitoyens et, surtout, de l’efficacité.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur les travées de groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Jean-Claude Anglars. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dès sa nomination, le Premier ministre a souhaité ouvrir des consultations rapides pour « présenter un nouvel acte de décentralisation, de clarification et de liberté locale ».

En France, la décentralisation définit la relation entre l’État et les collectivités territoriales. Elle repose sur plusieurs principes clés : répartition des compétences, libre administration, responsabilité des élus locaux, fiscalité directe locale.

À l’heure où le Parlement examine le projet de loi de finances, par lequel l’État souhaite une forte contribution des collectivités locales au redressement des comptes publics, il est bon de rappeler un fondement élémentaire : les collectivités locales disposent, certes, de concours financiers ponctuels de l’État, mais surtout d’un pacte qu’il est indécent de renier, les compensations des transferts de compétences ; de plus, elles disposent de ressources propres.

La suppression de la taxe d’habitation, échelonnée de 2018 à 2023, est une mesure confiscatoire pour les collectivités territoriales. Il faudra avoir le courage de procéder à son évaluation, car, en définitive, elle constitue une atteinte à la libre administration locale et creuse la dette de la nation.

L’acte III de la décentralisation a été mis en œuvre à marche forcée à partir de 2015. Alors qu’il visait à réorganiser et à clarifier les compétences des collectivités territoriales, les transferts de compétences obligatoires entraînent des dysfonctionnements et l’on observe la création d’hyperstructures qui éloignent les centres de décisions.

Notre assemblée n’a cessé de tenter de clarifier le partage des compétences en faisant inébranlablement du principe de subsidiarité sa boussole. Chaque compétence doit être exercée par l’échelon territorial le plus à même d’agir, ce qui dépend des territoires, admettons-le. La subsidiarité, corrélée aux libertés locales et aux principes de différenciation et d’expérimentation, doit reconnaître à tout échelon la capacité de pouvoir exercer une compétence, totale ou partielle.

C’est le sens de la proposition de loi visant à assouplir la gestion des compétences « eau » et « assainissement », d’initiative sénatoriale, promulguée le 11 avril dernier, qui a pour objectif de laisser le choix du transfert aux élus. Il s’agit de prôner une intercommunalité choisie plutôt que subie. En effet, le socle de la République, c’est la commune, dont la clause de compétence générale doit conférer aux maires le pouvoir de décider pour tout ce qui concerne leur commune.

M. Laurent Burgoa. Très bien !

M. Jean-Claude Anglars. Par ailleurs, la possibilité d’expérimentation offerte par la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS), en permettant de s’emparer de nouvelles compétences sur une base volontaire, rouvre le champ des possibles pour le partage de compétences. Ainsi, depuis le 1er janvier 2024, les départements ou régions volontaires peuvent reprendre la gestion de routes nationales non concédées. C’est le cas de la RN 88 : le département de l’Aveyron a fait le choix volontariste d’en obtenir le transfert afin de conduire de manière déterminée sa mise en deux fois deux voies. Cet exemple illustre ce qu’aspire à être la décentralisation : une réponse sur mesure, adaptée aux besoins locaux.

La décentralisation ne se décrète pas, elle se construit. Plus qu’un nouvel acte de décentralisation imposé, les élus attendent désormais plus de liberté d’agir. Sur ce sujet, le Sénat sera un partenaire exigeant, relayant la voix des élus locaux – comme vous le savez, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je constate cet après-midi la puissance de l’Aveyron, qui prend décidément de la hauteur, si je puis dire ! (Sourires.)

Permettez-moi d’apporter quelques éléments très concrets en complément de ce qui a été dit.

Monsieur le sénateur, vous évoquez le transfert de compétences. Pour l’instant, nous avons surtout procédé à des transferts d’exécution de compétences prévus par la loi. (M. Jean-Baptiste Lemoyne acquiesce.) Au moment du transfert de l’exécution de l’État à la collectivité territoriale, une évaluation a été réalisée, mais il n’existe pas de clause de revoyure. La confiance passe à mon sens par la contractualisation et par une clause de revoyure, qui permet à chacun de vérifier la justesse et la pertinence des dispositifs mis en œuvre.

La liberté des territoires et des collectivités territoriales va de pair avec la responsabilité, je vous l’accorde, monsieur le sénateur ; je suis responsable, donc je suis libre ; je suis libre, donc je suis responsable – dans le cadre d’une nation une et indivisible.

J’en viens aux différences territoriales. Nous savons que certaines compétences ne peuvent pas s’exercer seules. Je prendrai un exemple bien connu, celui du tourisme.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Ah, très bien !

Mme Françoise Gatel, ministre. Le département et la région considèrent tous deux que cette compétence est de leur ressort, alors que tout dépend des territoires. À Honfleur ou à Deauville, c’est la commune elle-même qui exerce cette compétence, car elle incarne la destination touristique. Je pense, pour que les choses soient claires, qu’il faut désigner un chef de file…

M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est dommage, cela commençait bien…

Mme Françoise Gatel, ministre. … qui doit avoir la capacité de s’organiser avec la collectivité qui est la plus à même d’agir, exactement comme nous l’avons fait pour l’eau et l’assainissement. Voilà d’ailleurs un bon exemple d’intercommunalité utile et pertinente, dès lors qu’elle répond aux besoins, sans que soit imposée une structure qui ne fonctionne pas.

La loi 3DS permet de mener des expérimentations. Je crois que si nous procédions davantage à des expérimentations avant de décider, de manière définitive, que ce qui est voté ici ou ailleurs fonctionnera nécessairement partout, nous réduirions nombre d’irritants. Mme Canayer l’a bien dit, il nous faut modifier l’article 72-2 de la Constitution, pour que l’expérimentation puisse conduire à une véritable différenciation. C’est un enjeu essentiel, afin de ne pas imposer à certaines collectivités territoriales ce que d’autres auraient choisi.

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat sur l’avenir de la décentralisation vient à point nommé. Le Premier ministre a annoncé vouloir un grand acte de décentralisation et a demandé leur contribution au Sénat et aux associations d’élus locaux.

Avant tout nouvel acte de décentralisation, il est impératif de faire le bilan des précédents, les actes I, II et III. Permettez-moi cette précaution méthodologique, car l’enfer peut être pavé de bonnes intentions. (Mme la ministre acquiesce.)

Certains objectifs annoncés – une meilleure lisibilité des politiques conduites, une meilleure identification du « qui fait quoi »… – peuvent sembler séduisants au premier abord, mais pourraient en fait se révéler des irritants.

J’entends ainsi parler d’une rationalisation des actions en matière de tourisme, de culture ou de sport. Ce sont justement des compétences où les interventions conjointes des communes, intercommunalités, départements et régions s’additionnent fort heureusement. Madame la ministre, ériger dans ces domaines un monopole d’intervention ou un chef de filat pour une collectivité territoriale au détriment des autres serait en réalité soustraire des moyens à des politiques qui contribuent à la vitalité et à l’attractivité de tous nos territoires – ruraux comme urbains, hexagonaux comme ultramarins. D’ailleurs, rappelons-le, il ne s’agit pas là d’une demande des collectivités. Pour la compétence tourisme, elles l’ont signifié avec force lors du congrès de la Fédération nationale des organismes institutionnels de tourisme (ADN Tourisme), qui réunit les offices de tourisme, les comités départementaux du tourisme et les comités régionaux du tourisme. J’espère que ces voix du terrain seront entendues.

Revenons au bilan des actes I, II et III de la décentralisation. Interrogez un maire, un président d’établissement public de coopération intercommunale (EPCI), un président de conseil départemental ou de conseil régional, ils vous diront tous que le système est au bout du rouleau. Ayons donc le courage de regarder ce qui a marché et ce qui n’a pas marché.

On peut objectivement saluer l’acte I, voulu par Gaston Defferre, car il a permis de libérer les énergies et mis fin à la tutelle de l’État sur les collectivités. En revanche, la prétendue « stricte » – les guillemets s’imposent – compensation des charges résultant du transfert de compétences s’est révélée une matrice destructrice, hélas !

J’en viens à l’acte II, décidé par les gouvernements successifs de Jean-Pierre Raffarin. L’intention était sûrement louable, mais la loi relative aux libertés et responsabilités locales a conduit, elle aussi, à des transferts de charges mal compensés. Force est de constater que ce texte, adopté grâce au 49.3, est mal né et a mal vieilli. Les départements, à qui l’on a alors attribué la gestion du revenu minimum d’insertion (RMI), sont aujourd’hui asphyxiés par son successeur, le revenu de solidarité active (RSA). Dans l’Yonne, le RSA coûte 60 millions d’euros : l’État n’en donne royalement que 27 millions ! Je pourrais aussi vous parler longuement de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et des services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), mais nous y serions encore demain matin…

Le Sénat a d’ailleurs été la vigie de l’autonomie financière des collectivités. Imaginez-vous qu’à l’époque le Gouvernement voulait faire rentrer les dotations dans les ressources propres des collectivités ! Hommage soit rendu à Daniel Hoeffel qui, sur ces travées, a veillé à ce que cela ne se produise pas. Déjà, en ouverture des travaux sur ce sujet, le président du Sénat Christian Poncelet soulignait « l’absolue nécessité de veiller à ne pas transformer les élus locaux en gestionnaires démotivés de ressources au sein desquelles les dotations préétablies occuperaient une part trop nettement prépondérante. » Cela ressemble, hélas ! au quotidien des élus locaux…

Pierre Mauroy, qui présida en 2000 une commission pour l’avenir de la décentralisation, déclarait : « Un élu vote l’impôt. Sinon, c’est lui retirer sa liberté. » Oui, des libertés ont été retirées aux collectivités. Avouons-le, tous les gouvernements, depuis quarante ans, ont péché.

Avec la suppression de pans entiers de fiscalité locale, les collectivités territoriales collectionnent les dotations de compensation ou les prélèvements sur recettes, qui deviennent véritablement illisibles. Pour couronner le tout, un acte III, avec deux textes fameux, la loi NOTRe et la loi Maptam (loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles), n’a pas laissé que de bons souvenirs aux élus locaux, qui doivent désormais vivre avec des cantons et des régions de taille XXL. Tout cela a fait dire au Président de la République, lors d’une allocution devant les maires prononcée au mois de novembre 2023, que la décentralisation était « cul par-dessus tête ».

Il faut donc tout repenser. L’avenir de la décentralisation passe par un profond changement de paradigme. Il faut tout revoir, de la cave au grenier, pour plusieurs raisons.

Première raison : dans ce monde caractérisé par des révolutions technologiques, des ruptures et des instabilités géopolitiques, l’État doit se concentrer sur l’essentiel et mettre le paquet sur le régalien, la jeunesse et l’innovation. Les territoires peuvent parfaitement prendre en charge des fonctions essentielles du quotidien. Pourquoi ne pas faire passer les agences régionales de santé (ARS) et les sujets de santé dans le giron des régions ? Je lance le débat.

Deuxième raison : nos concitoyens ont trop souvent le sentiment que le contrôle de leur vie, de leur pays, leur échappe. Redonner du pouvoir aux collectivités, c’est aussi redonner aux citoyens prise sur le cours des choses. Voyez la vitalité démocratique de nos voisins suisses au sein de leurs cantons !

Troisième raison : nos concitoyens ont besoin de réenracinement et de territoires qui gardent leur identité, quand la mondialisation uniformise tout. Il est d’ailleurs regrettable que certains voient encore dans les langues et cultures régionales une menace, alors qu’elles sont nos racines et qu’elles appartiennent au patrimoine de la France.

Vers quelle nouvelle organisation territoriale nous diriger ? Nos outre-mer peuvent utilement montrer le chemin. Ils sont à l’avant-garde de formules sur mesure. Faisons du sur-mesure partout ! Redonnons la main et la parole au terrain, aux collectivités territoriales, pour que celles-ci puissent décider elles-mêmes de leur organisation et des compétences qu’elles souhaitent assumer ! Voilà la subsidiarité, du bas vers le haut et non du haut vers le bas, en commençant par la cellule de base qu’est la commune.

Jean-Louis Borloo tiendra une causerie dans quelques instants, ici au Sénat, sur le fédéralisme à la française. Le principe fédératif de Proudhon peut nous orienter vers des recettes pour repenser l’articulation entre les collectivités et l’État, au bénéfice du citoyen. Pour que cela fonctionne, il faut que les collectivités retrouvent du pouvoir normatif, du pouvoir fiscal, du pouvoir de faire. Le temps n’est donc plus aux ajustements à la marge ni aux rustines, il est à une forme de révolution territoriale.

C’est cela qui permettra, pour reprendre les mots du penseur régionaliste et personnaliste Alexandre Marc, qu’« au sein de l’Europe, la France renouvelée reprenne la route royale de la nation créatrice et libératrice. » (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Je reconnais bien là votre envie de convaincre, monsieur Lemoyne !

J’ai pris un exemple qui vous parle particulièrement, celui du tourisme. Si nous souhaitons une clarification des compétences, il faut à un moment désigner clairement qui est responsable, tout en permettant que, sur les territoires, les organisations soient spécifiques. Nous l’avons vu, par exemple, avec la gestion de l’eau et de l’assainissement : les territoires s’organisent comme ils l’entendent, mais un responsable est identifié.

Je rappelle que les communes disposent de la compétence générale, comme vous le savez. Elles conservent donc la capacité d’intervenir sur l’ensemble des champs, néanmoins il me semble nécessaire de clarifier le paysage. Quoi qu’il en soit, je constate que nous en débattrons longuement et que les points de vue seront variés.

La décentralisation va de pair avec la déconcentration, c’est-à-dire qu’il faut donner à l’État territorial la capacité d’apporter des solutions et une certaine liberté dans l’application des normes. Cela est en cours et, vous l’avez souligné, c’est une profonde révolution. Le préfet pourra ainsi constater qu’une norme est inadaptée à une collectivité et, à l’échelon local, être en mesure de décider.

Donner du pouvoir normatif aux élus locaux, je partage ce projet. Toutefois, vous le savez bien, il existe un enjeu de responsabilité et de judiciarisation. Certaines collectivités, notamment parmi les plus petites, ne souhaitent pas disposer de ce pouvoir normatif, car elles ne sont pas en mesure d’assumer les risques qui y sont associés. Cela signifie que la loi doit sans doute être moins bavarde : elle doit fixer un cadre normatif clair tout en laissant la possibilité aux collectivités qui le peuvent d’adapter ce cadre à leur réalité.

J’en viens au financement. Il y a un débat sur l’autonomie financière et fiscale. Je ne crois pas que, dans un pays où les collectivités exercent des compétences aussi importantes que l’éducation, on puisse se passer totalement de dotations. Les grands pays fédéraux, comme l’Allemagne, fonctionnent avec un système de dotations régionales ajustées au niveau des compétences exercées. À ces dotations provenant d’impôts nationaux partagés s’ajoute un levier fiscal, faute de quoi il n’y aurait pas d’égalité dans la qualité du service rendu.

Je prendrai un dernier exemple : celui du coût de la scolarisation d’un élève dans une école élémentaire. À l’échelon départemental, ce coût a été défini afin d’assurer un financement équitable.

M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre. Nous établissons un coût et nous le reconnaissons. Je pense donc qu’il est nécessaire de maintenir un équilibre entre dotation et levier fiscal.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Roiron. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Pierre-Alain Roiron. Madame la ministre, mes chers collègues, parler de l’avenir de la décentralisation suppose d’abord de dresser un constat lucide sur le présent. Quarante ans après les lois de décentralisation, nous sommes au seuil d’un nouveau modèle à inventer. Hélas, ce qui devait être un partage du pouvoir s’est peu à peu transformé en dilution progressive de celui-ci.

Aujourd’hui, alors que le Premier ministre annonce un grand acte de décentralisation, le projet de loi de finances pour 2026 dessine une trajectoire incompatible avec cette perspective. Rappelons que l’article 72-2 de notre Constitution garantit aux collectivités des « ressources dont elles peuvent disposer librement ». La décentralisation repose sur un triptyque indissociable : compétences, moyens, autonomie fiscale. Toutefois, cette autonomie s’étiole, notamment depuis la suppression de la taxe professionnelle en 2010 et de la taxe d’habitation en 2018. Cela crée une dépendance croissante aux dotations de l’État, laquelle fragilise la prévisibilité nécessaire à tout investissement de long terme.

Pierre Mauroy, Premier ministre au moment du vote de la loi relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État, dite Defferre, avait déjà cette formule prémonitoire : « Aucun nouvel acte de la décentralisation ne pourra désormais se passer d’une réforme en profondeur de l’État central lui-même. »

M. Patrick Kanner. Très bien !

M. Pierre-Alain Roiron. Réformer l’État en profondeur, c’est aussi et d’abord accepter que l’uniformité des règles ne garantisse plus l’égalité entre les territoires. Le droit à la différenciation territoriale, que notre famille politique défend, doit être pleinement consacré, de même que l’affirmation du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales. C’est l’aboutissement logique du processus de décentralisation.

Il va sans dire qu’une telle réforme institutionnelle appelle une réelle traduction financière. L’autonomie budgétaire et fiscale demeure la condition sine qua non d’une décentralisation véritable et pérenne. Cependant, au-delà de la question financière, c’est toute l’architecture de nos compétences qu’il faut repenser. Trop de doublons subsistent entre l’État et les collectivités, entre les différents échelons territoriaux, créant confusion, inefficacité et pertes financières.

Comment justifier que l’État finance et définisse les normes ayant trait à l’apprentissage et à la formation professionnelle, tandis que les régions gèrent l’orientation et le développement territorial ? Ce chevauchement, constant depuis la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, illustre parfaitement cette dilution du pouvoir que nous dénonçons. En matière de politique du logement social, c’est la même incohérence : l’État fixe les quotas, les intercommunalités planifient, les départements financent. Cette fragmentation engendre lenteurs et inefficacité, pendant que des familles attendent un toit.

Nous appelons à un réexamen systématique de la répartition des compétences, guidé par un principe simple : une compétence, un échelon, des moyens adaptés. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Roiron, je pense que vous confondez les temps.

Jusqu’en 2029, le temps budgétaire est un temps de redressement. En d’autres termes, nous travaillons non pas à niveau zéro, mais avec la réalité budgétaire et financière que nous connaissons tous. C’est bien, monsieur le sénateur, parce que nous partageons la même ambition d’une action publique efficace et de collectivités territoriales disposant des moyens nécessaires, qu’il nous faut redresser nos finances. Je pense donc qu’il n’y a pas de contradiction entre affirmer une volonté de décentralisation et le projet de budget que nous présentons, qui est un budget de redressement et non d’austérité.

Je partage ce qu’avait dit M. Mauroy à l’époque : commençons donc par définir ce que fait l’État ! J’aime l’idée d’un État qui assume la décentralisation, mais, dans le même temps, ce dont les collectivités doivent s’occuper et dans quelles conditions elles doivent le faire. Jusqu’à présent, il y a eu une délégation d’exécution de compétences, mais je pense que le temps qui vient, celui d’une transition et d’une période de crise, exige de nous une remise en ordre, si je puis dire, afin de redéfinir ce qui relève des compétences propres de l’État.

Pour ce qui concerne les financements, il faut un mix entre des dotations, qui garantissent que les objectifs fixés par l’État puissent être atteints, une capacité fiscale propre aux collectivités et, surtout, une clause de revoyure. Je l’ai dit tout à l’heure, le contrat doit reposer sur des clauses de revoyure. Il faut de la cohérence.

Je partage votre constat : lorsque les régions disposent de la compétence de l’économie et de l’emploi, mais n’ont pas la capacité d’agir sur la formation, l’efficacité n’est pas optimale. Sur le logement également, je vous rejoins. Est-ce depuis Paris que l’on doit continuer de définir des zonages qui échappent souvent à la réalité des territoires ? En Bretagne, par exemple, une territorialisation du logement et de l’investissement locatif a été expérimentée : cela a très bien fonctionné et n’a pas coûté plus cher.

Enfin, je le répète, M. Lemoyne a raison : avant d’inventer autre chose, il faut évaluer l’efficacité de ce qui a été fait, de ce qui ne l’a pas été ou de ce qui l’a été insuffisamment.

M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre. En tout cas, je serai très heureuse de travailler avec vous tous autour d’un objectif qui nous réunit.

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme Céline Brulin. Je remercie mes collègues d’avoir organisé ce débat sur la décentralisation. Il touche au cœur de notre République, à sa capacité à garantir l’égalité, la solidarité et la proximité avec les citoyennes et citoyens.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, regardons toutefois la réalité en face. Depuis des années, nos territoires subissent un affaiblissement durable de la présence de l’État déconcentré et un recul continu des services publics : sous-préfectures exsangues, trésoreries éloignées et amoindries dans leur capacité à accueillir les contribuables comme à conseiller les élus locaux, permanences supprimées dans les caisses d’allocations familiales (CAF) et les caisses d’assurance retraite et de santé au travail (Carsat), bureaux de poste à l’amplitude horaire diminuée ou devenus agences postales communales, à la charge principale des mairies… – et j’en passe !

Les moyens de nos collectivités ont subi les mêmes coups de rabot et, à mesure qu’elles devaient assumer de nouvelles missions, répondre à de nouveaux besoins de la population, leurs ressources ont diminué.

Nous ne pouvons pas nous contenter de belles paroles ou de belles intentions. Il faut des actes, des moyens et du respect. C’est indispensable dans le climat de défiance que nous connaissons actuellement.

Les élus locaux, souvent les premiers à affronter les difficultés du quotidien, le disent : la République s’éloigne quand le service public recule. Quand la dotation globale de fonctionnement diminue, quand la fiscalité locale est réformée sans concertation, quand l’ingénierie publique manque, ce sont les maires, les conseillers départementaux et régionaux, qui doivent faire plus avec moins.

La multiplication des agences, sous couvert de modernité, d’agilité, d’efficience et autres concepts aussi libéraux que technocratiques, éloigne encore un peu plus les décisions et leur élaboration même, du terrain. Cette « agencisation » des politiques publiques, c’est la traduction d’un État bureaucratique qui ne fait plus avec les territoires, mais qui leur enjoint de déployer ses propres politiques, à coups d’appels à projets, de programmes nationaux à décliner.

Un nouvel acte de décentralisation, que nous appelons de nos vœux, doit clairement se traduire par de la confiance accordée aux territoires, sans que l’État se désengage de ses propres missions. Nous voulons un État partenaire, garant de l’égalité républicaine, pas un État qui se délite au profit d’acteurs privés, avides de nouveaux marchés.

Nous voulons un État accompagnateur, aménageur du territoire, pas censeur de décisions prises en vertu de la libre administration des collectivités territoriales. Nous défendons un modèle de coopération, pas de liens hiérarchiques ou d’autorité. Nous plaidons pour la restauration de la clause générale de compétence pour tous les échelons de collectivités, et pas seulement pour les communes.

C’est, à nos yeux, le moyen d’assurer la possibilité pour chaque échelon de mettre en œuvre des choix qui répondent aux besoins des habitants, à la réalité des territoires, dans leur complexité et leurs différences, tout en préservant l’unité et l’indivisibilité de la République.

Nous devons tirer les leçons d’une organisation territoriale où quelques métropoles devaient ruisseler, nous disait-on, « en mode gagnant-gagnant », sur l’ensemble de leur région. Des territoires fragiles ont continué de dévisser, dans une concurrence accrue qui conduit à ce que de plus en plus de nos concitoyens se sentent abandonnés, laissés pour compte de la République.

La République doit revenir à ses fondements mêmes, être garante d’égalité et n’accepter qu’aucun bassin de vie, qu’aucun de nos concitoyens ne soit considéré comme de seconde zone. Comme le disait Rousseau, « c’est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l’égalité que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir ».

Notre ambition, c’est une décentralisation solidaire, dans un cadre national clair, avec des moyens et un accompagnement de l’État. Et cette solidarité doit s’incarner par une péréquation repensée et renforcée, pour réduire les écarts entre territoires riches et territoires pauvres. Aucune liberté locale ne peut s’exercer sans autonomie financière, aucune compétence ne peut être transférée sans être compensée de façon pérenne.

Nous ne pouvons pas déconnecter ce débat du contexte et des débats budgétaires en cours. « Dangereux », « indigeste pour nos collectivités », « une saignée sans précédent », « une purge massive, une punition collective » : voilà un florilège des commentaires qu’inspire aux associations d’élus votre projet de budget… Et pour cause ! Près de 8 milliards d’euros de nouvelles baisses des moyens des collectivités locales ! Pour l’instant, la seule chose que vous décentralisez, c’est l’austérité.

À l’inverse, nous pensons que les collectivités doivent devenir les fabriques du changement attendu par nos citoyens. Donnons-leur du souffle, des moyens et la confiance qu’elles méritent. Nous ferons œuvre utile pour notre économie, pour la cohésion sociale et, même, pour la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

(Mme Sylvie Vermeillet remplace M. Alain Marc au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice, je ne regrette pas d’être venue, après le plaidoyer que vous venez de prononcer !

Nous nous connaissons bien et je sais la sincérité de votre conviction et de votre engagement dans votre territoire. Néanmoins, je pense que vous faites une sorte de procès en excès. Je me suis déplacée dans cinquante départements, tous très différents, et je n’ai pas constaté la même réalité que vous.

Je connais les difficultés des territoires très ruraux et des territoires industriels, mais je ne peux pas laisser dire que l’État aurait disparu des écrans radars. Six nouvelles sous-préfectures ont été créées. Aujourd’hui, dans tous les départements où je me suis rendue, j’ai rencontré l’ensemble des maires et il n’y a pas de parole plus franche ni plus claire qu’une parole de maire. Tous m’ont dit que les préfets et les sous-préfets étaient désormais dans un rôle non plus de censure, mais d’accompagnement et de facilitation, pour aider à trouver des solutions.

Quand vous évoquez les bureaux de poste, madame la sénatrice, vous êtes trop sérieuse pour que je vous croie. Dans mon propre village, le bureau de poste était vide et, lorsque l’on rentrait du travail, il était déjà fermé, car il n’ouvrait que jusqu’à quinze heures ! Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est d’un service disponible quand les citoyens le sont. De nombreuses communes ont d’ailleurs créé des commerces multiservices qui incluent un point postal, ce qui permet une offre de proximité tout en assurant une meilleure viabilité économique.

Je pense que le monde change, que nous traversons des transitions, rien n’est parfait. Il faut accepter de se transformer pour continuer à offrir à nos concitoyens ce dont ils ont besoin.

Le budget que nous proposons est un budget non pas d’austérité, mais de redressement. Le Gouvernement aurait pu ne pas le présenter et laisser filer les déficits, mais, dans cinq ans, tout le monde dans cet hémicycle aurait râlé contre l’État, qui nous aurait conduits à la faillite et l’on n’aurait plus les moyens de financer les services publics locaux.

Mme la présidente. Madame la ministre, il faut conclure.

Mme Françoise Gatel, ministre. Pour être juste, la nuance est nécessaire. Travaillons ensemble à améliorer les choses !

M. Alexandre Basquin. C’est le principe !

Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.

Mme Céline Brulin. Madame la ministre, je reprendrai l’exemple que vous avez cité. Même si vous maîtrisez sans doute mieux que moi les chiffres, il existe, à ma connaissance, presque autant d’agences postales communales que de bureaux de poste. Je souhaitais par conséquent vous alerter : des missions qui étaient auparavant exercées par des services publics nationaux sont à présent à la charge de nos collectivités.

En qualifiant le projet de loi de finances de « budget d’austérité », je n’ai fait que m’appuyer sur quelques-uns des propos des associations d’élus. Vous pouvez vous réjouir de ce PLF, mais il posera problème, car, au sein des collectivités, il fait l’unanimité contre lui.

J’entends dire que l’heure serait au dialogue, mais, quand on vous écoute, cela ne me semble pas être le cas. Il n’est pas imaginable de transférer aux collectivités non seulement l’austérité, mais aussi l’endettement actuel de l’État. En faisant ainsi, on ne résoudrait aucun des problèmes, on les déplacerait, on les aggraverait et on abîmerait encore plus la cohésion nationale.

Ce n’est vraiment pas le chemin que souhaite prendre mon groupe. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Ghislaine Senée.

Mme Ghislaine Senée. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat débat aujourd’hui de décentralisation, alors que le Premier ministre appelle les groupes politiques à contribuer à un projet de loi sur l’avenir des territoires.

Nous prenons cette invitation au sérieux. Il nous faut d’abord regarder la réalité en face. L’État est dans une situation politique extrêmement fragile : absence de majorité stable, menace latente de dissolution, défiance généralisée envers les élus nationaux et, devant nous, un embouteillage électoral : élections municipales en 2026, présidentielle en 2027 et législatives au plus tard dans la foulée de celle-ci.

Dans ce contexte et alors que la France connaît en outre une grave crise financière, annoncer un nouveau grand acte de décentralisation suscite chez les élus locaux au mieux de la défiance, au pire de la colère : il ne faut pas leur raconter d’histoires. Or nous constatons ces sentiments dans les différents retours des associations ; il semble que cette initiative les agace. Les maires et les présidents des conseils départementaux et régionaux n’ont pas besoin que l’État leur promette le Grand Soir institutionnel. Ils n’ont pas davantage besoin d’effets d’annonce. Il leur faut plutôt des marges de manœuvre,…

Mme Françoise Gatel, ministre. Oui.

Mme Ghislaine Senée. … de la visibilité, de la stabilité financière, des moyens humains et des outils juridiques clairs.

Le Gouvernement doit avancer sur ces sujets, car, depuis dix ans, la décentralisation est moins en panne qu’en recul. Suppression de la taxe d’habitation, compensations via des fractions de TVA, contrats de maîtrise des dépenses, perte d’autonomie fiscale et financière, reprise en main des préfectures : c’est une recentralisation silencieuse, mais profonde, qui s’est réalisée.

Le projet de loi de finances pour 2026 contient encore une ponction, de 6 milliards à 7 milliards d’euros, sur les budgets locaux, à laquelle s’ajoutent 1,2 milliard de charges nouvelles liées aux cotisations retraite de la CNRACL. Ces coupes signifient moins de rénovations d’écoles, moins de lignes de bus, moins de réseaux de chaleur, moins d’investissements pour s’adapter aux effets du dérèglement climatique et les prévenir, autrement dit moins de transition écologique, moins de résilience et des carences fatales dans la préparation de l’avenir.

Pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, la décentralisation ne se limite pas et ne peut pas se limiter à des répartitions de compétences ou à une remise à plat des agences et des opérateurs. Personnellement, je me méfie toujours du « pragmatisme », du « bon sens » auquel vous avez fait plusieurs fois référence, madame la ministre.

La décentralisation est, au contraire, un projet politique et démocratique fondé sur la subsidiarité, la coopération et, surtout, la confiance. Nous aussi, nous revendiquons un fédéralisme différencié. Nous défendons des régions fortes, autonomes, capables de planifier, de coordonner, d’accompagner et de mettre en œuvre les politiques de mobilité, d’aménagement du territoire, de formation et d’adaptation au changement climatique.

Nous défendons un bloc communal tout aussi fort, car beaucoup se joue au sein de ces collectivités : rénovation des logements, mobilité du quotidien, accès à la nature, circuits alimentaires, tissu associatif. À cette échelle, les transitions deviennent concrètes, vécues et partagées. Or les communes et intercommunalités doivent composer avec des appels à projets illisibles, une ingénierie insuffisante, des financements instables et des injonctions contradictoires. C’est, en fait, l’inverse de la subsidiarité…

Permettez-moi de faire un zoom sur la transition écologique. Les alertes des associations d’élus rejoignent celles que mon groupe formule depuis plusieurs années : sans investissement local, la France s’écartera de la trajectoire climatique qu’elle s’est fixée. Pour avancer, il faut changer de méthode, clarifier les compétences, construire la transition avec les territoires, sortir de la logique de guichet et sécuriser les ressources.

La décentralisation n’existe pas sans autonomie fiscale et financière. Restaurer un véritable pouvoir de taux, donner aux régions des ressources dynamiques, comme une part modulable de l’impôt sur les sociétés, garantir aux départements une ressource stable, telle une fraction de la CSG, indexer les dotations sur l’inflation et compenser intégralement les transferts de charges : ce sont non pas des revendications techniques, mais bien les conditions mêmes de l’existence et de l’efficacité de l’action publique locale.

J’ajoute ceci : la décentralisation doit être un progrès démocratique et non une régression. On ne redonne pas du pouvoir aux territoires en concentrant davantage les responsabilités entre les mains de quelques-uns. Aussi, le retour du cumul des mandats serait un contresens, une manière de verrouiller la vie politique locale au lieu de l’ouvrir. La transition écologique exige de la proximité, de l’écoute et de la disponibilité. Elle ne se pilote ni à distance ni à temps partiel.

Mon groupe exige, à tout le moins, de faire cesser les ponctions sur les collectivités, de sanctuariser un fonds consacré à la transition écologique territoriale, avec une trajectoire définie et une réelle croissance pluriannuelle de ses ressources, et d’engager la restauration progressive d’une véritable autonomie financière locale. La transition écologique ne réussira pas sous tutelle. Elle exige de la confiance, de la clarté et de la démocratie.

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Ghislaine Senée. Les collectivités sont prêtes à prendre leurs responsabilités, à l’État de prendre les siennes. Qu’il desserre le garrot et leur donne les moyens et la liberté d’agir ! (M. Simon Uzenat applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice Senée, la situation politique est très fragile, chacun le sait, et l’état financier et budgétaire de notre pays est très grave. Ce dernier constat nous concerne tous, tant les collectivités que nos concitoyens. Faut-il pour autant rester immobile ? Un cycliste qui arrête de pédaler finit par chuter !

Madame la sénatrice, nous sommes d’accord : ne confondons pas l’horizon, c’est-à-dire l’amélioration de l’organisation de notre pays, et le temps du redressement des finances. Aussi, si ce projet de loi de finances n’est pas, je le répète, un budget d’austérité, il doit néanmoins être frugal pour permettre au pays de se rétablir et d’avoir un avenir.

Vous affirmez, madame la sénatrice – je l’entends bien volontiers –, que les paroles du Premier ministre sur la décentralisation engendrent de la colère et de l’incompréhension. Pour ma part, j’ai aussi perçu de l’envie de la part des élus. Je serais heureuse que nous arrivions à débattre du sujet et que nous avancions en nous appuyant sur tout le travail effectué par le Sénat. Nous le devons à nos concitoyens et aux élus locaux.

Je n’ai jamais promis de Grand Soir. J’ai même indiqué tout à l’heure détester les Grands Soirs, parce qu’ils ne font que laisser place, pour rester polie, à de petits matins blêmes… Je souhaite appliquer les décisions du Premier ministre, c’est-à-dire définir qui est responsable de quoi, comment on s’y prend et avec quels moyens. Il me semble que nous sommes d’accord là-dessus.

En ce qui concerne les appels à projets, l’État les a largement supprimés ou, en tout cas, les a considérablement encadrés.

En revanche, je partage vos propos sur les injonctions contradictoires. Ayant été maire, comme nombre de sénateurs, je me souviens d’avoir un jour franchi les portes de six bureaux pour un projet et d’en être ressortie avec cinq consignes différentes et une terrible migraine… Renforcer les pouvoirs du préfet de département signifie simplifier, en assurant l’accompagnement de l’État. Par conséquent, madame la sénatrice, je pense, une nouvelle fois, que nos analyses se rejoignent.

En ce qui concerne la transition écologique,…

Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre. … l’État a mis en place les contrats pour la réussite de la transition écologique (CRTE), afin que chaque territoire ait son propre projet en la matière.

Mme la présidente. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour la réplique.

Mme Ghislaine Senée. Le problème, ce n’est pas que le cycliste reste immobile, c’est que, dans certains territoires, il n’a même plus de vélo ! En effet, sans autonomie financière, pas de décentralisation, tout le monde le sait.

Dès lors, le débat sur la décentralisation, aussi intéressant soit-il, peut être considéré comme un moyen d’occuper le terrain de la part du Premier ministre et, à ce titre, vous faites très bien votre travail, madame la ministre. Néanmoins, la réalité est qu’il faut se donner les moyens d’agir.

Nous nous retrouverons pour en discuter lors de l’examen du PLF.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, décentraliser est à la fois nécessaire, souhaité et attendu. Toutefois, comment y parvenir lorsque tout le monde fait tout et que personne ne sait plus vraiment qui est responsable de quoi ?

Le transfert de compétences vers l’échelon local est une avancée essentielle, à condition que celles-ci ne soient pas morcelées entre deux échelons et six acteurs différents ! La complexité du millefeuille administratif a un coût : 7,5 milliards d’euros par an. Dès lors, une clarification est tout aussi nécessaire, tout autant souhaitée et peut-être même encore plus attendue que la décentralisation. Réduire ce millefeuille administratif reviendrait à trancher le nœud gordien qui entrave toute véritable politique de décentralisation.

Il est plus que jamais nécessaire, dans cette optique, d’appliquer enfin le principe « Une norme créée, une norme supprimée ». (Mme la ministre acquiesce.) Plus encore, il faut s’assurer que la norme créée n’ajoute pas pour les collectivités de la complexité à la complexité. Pour ce faire, il convient, par exemple, de faciliter les possibilités de saisine du Conseil national d’évaluation des normes.

Madame la ministre, comment le Gouvernement entend-il concrètement réduire le nombre de strates, clarifier les compétences et « désembrouiller » ce millefeuille administratif ?

Les filières à responsabilité élargie du producteur sont, elles aussi, victimes d’un archipel de réglementations : celles-ci sont souvent conçues en silos, sans vision d’ensemble.

Comme le préconisent justement nos collègues Marta de Cidrac et Jacques Fernique dans un excellent rapport d’information sur l’économie circulaire, il est urgent de bâtir une « stratégie industrielle interministérielle » claire et déclinée de façon cohérente à l’échelon régional.

Pourtant, pour que les régions soient capables d’assumer ce rôle, encore faut-il leur en donner les moyens. Le fonds Économie circulaire pourrait devenir le bras armé de ces collectivités, en cogestion avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) : à l’État la stratégie, aux territoires l’action. En effet, la décentralisation ne vaut que si elle s’accompagne de la confiance – ce mot a été évoqué plusieurs fois, faire confiance aux élus est primordial – et des moyens nécessaires aux administrations compétentes pour appliquer les politiques dont elles ont la charge.

Madame la ministre, la décentralisation vers les régions des financements de l’économie circulaire fera-t-elle partie de l’acte IV annoncé par M. le Premier ministre ?

Enfin, décentraliser, c’est avant tout rapprocher le pouvoir du citoyen. Ce principe fondateur n’a de sens que s’il s’accompagne du plein exercice des libertés locales. Pourtant, force est de constater que plusieurs réformes récentes ont contribué à affaiblir progressivement cet exercice, réduisant ainsi la capacité des élus à agir librement au nom de leurs administrés.

La suppression totale de la taxe d’habitation sur les résidences principales l’illustre parfaitement. Elle a eu un double effet néfaste : d’une part, elle a distendu le lien civique et concret entre le citoyen et sa collectivité ; d’autre part, elle a réduit l’autonomie financière des communes, qui, désormais, dépendent principalement de dotations ou de compensations décidées par l’État.

Il est temps de resserrer ce lien, de rendre aux collectivités les moyens de leur liberté et de faire confiance à l’expertise des élus, ancrés dans la réalité de leur territoire. Cela passe par la réaffirmation de l’autonomie fiscale comme un véritable pilier de notre République. Pourquoi ne pas l’ériger en principe constitutionnel, au même titre que la libre administration des collectivités territoriales ? Ce serait là un signal fort de confiance, en faveur de la responsabilité et de la vitalité démocratique locales.

Madame la ministre, comment le Gouvernement entend-il redonner aux collectivités les moyens réels de leur liberté ? Prévoyez-vous de réaffirmer leur autonomie fiscale ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur Longeot, nous construirons ensemble cette nouvelle phase de décentralisation, y compris sous l’angle financier. Comme je l’ai indiqué précédemment, nous ne réformerons pas d’une manière pertinente et structurelle le financement des compétences exercées par les collectivités au travers d’un projet de loi de finances.

Reprenons vos questions l’une après l’autre.

Vous m’interrogez sur la décentralisation du financement de l’économie circulaire, autre sujet sur lequel nous travaillerons ensemble. Il faut de la cohérence : puisque les régions ont pour attribution le développement économique, ne doivent-elles pas avoir également la charge de la formation et de l’emploi ?

En partant non pas des attributions actuelles, mais des services à rendre, déterminons quelle échelle est la plus adaptée aux objectifs, quelles collaborations envisager et comment fournir des moyens cohérents par rapport aux compétences, de telle sorte que ces dernières soient assurées efficacement.

Je vois d’ici les débats que nous aurons, car les avis divergent de manière nette, comme vous avez pu le constater au cours de ce débat. Certains suggèrent de doter tous les niveaux de collectivité de la clause générale de compétence, d’autres souhaitent un chef de file par sujet, pour mieux comprendre qui fait quoi. Comme vous le voyez, le sujet n’est pas simple…

En matière de simplification, je proposerai au Premier ministre une démarche, d’ailleurs lancée par le Sénat, l’exigence de l’évaluation et d’allégement des normes. Ainsi, nous pouvons nous guérir de cet afflux de règles contradictoires, qui nous coûte cher et nous empêche d’agir.

Pour reprendre une recommandation d’un rapport d’information que Rémy Pointereau et moi avions « commis » quand je siégeais sur vos travées, je souhaite que l’examen de tout projet de loi soit précédé d’une étude d’options, avant même la réalisation d’une étude d’impact : avons-nous vraiment besoin de rédiger un texte sur le sujet envisagé ? Il faudrait en outre intégrer aux textes du Gouvernement et du Parlement des « clauses guillotines », comme on les appelle en Angleterre, qui instaurent une norme pour une durée déterminée, quatre ou cinq ans.

Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre. Cela oblige à l’évaluer et éventuellement à la corriger.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Bitz applaudit également.)

M. Pascal Allizard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, aborder les questions de décentralisation au moment où s’ouvrent les difficiles discussions budgétaires et à la veille d’une année électorale 2026 importante pour les collectivités territoriales nous offre l’occasion de mettre en lumière certains sujets préoccupants, qui ont été développés depuis presque une heure.

Chacun d’entre nous constate dans le département dont il est le représentant les difficultés quotidiennes des collectivités, en particulier des plus modestes. Lorsque nous sommes sur le terrain, nous voyons aussi l’affaiblissement progressif des services déconcentrés de l’État dans les préfectures ou les sous-préfectures, souvent par manque de moyens.

À quelques jours du congrès des maires, les questions budgétaires préoccupent les élus. Les finances du pays sont fortement dégradées et doivent être redressées au plus vite. Les collectivités assurent une part significative de l’investissement public ; aussi, en fragilisant ces leviers, des pans entiers de l’économie du territoire sont affectés.

Au-delà des restrictions budgétaires, n’est-ce pas en réalité à une forme de recentralisation financière de la part de l’État que nous assistons ? Les élus et leurs associations s’en inquiètent à juste titre.

De plus, les règles imposées entravent leur action. Voilà des années que les élus locaux entendent des discours volontaristes sur la réduction des normes. Pourtant, l’État dicte aux collectivités non seulement ce qu’elles doivent faire, mais aussi comment elles doivent le faire. Ce n’est plus possible.

Le cas du « zéro artificialisation nette » (ZAN) est emblématique des complexités actuelles. La mise en œuvre de la garantie communale d’un hectare suscite de nombreuses interrogations et les interprétations de l’administration varient d’un département à l’autre, d’une administration à l’autre. J’ai adressé, madame la ministre, une question écrite à l’un de vos collègues et j’ai eu – c’est fantastique ! – une réponse de mon préfet ! Ce procédé est totalement décourageant…

Les élus, notamment ceux de la ruralité, ont donc le sentiment de perdre la maîtrise de l’avenir de leur collectivité. Or les habitants de ces territoires veulent faire des projets et il ne s’agit nullement – vous le savez bien – de faire de ces territoires une réserve naturelle pour urbains en mal de campagne.

Quarante années après les premières lois de décentralisation, l’échelon local a connu des évolutions positives – il faut tout de même le rappeler –, mais l’accumulation des difficultés pèse sur l’avenir.

Aussi, je souhaite savoir, madame la ministre, comment le Gouvernement entend lever ces irritants pour donner un nouvel élan à la décentralisation, clarifier les compétences et restaurer une confiance, qui a été altérée, dans la relation État-collectivités. (M. Jean Sol applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Allizard, votre question porte sur deux sujets : d’une part, les normes et, comme on dit, l’enchevêtrement des compétences ; d’autre part, le ZAN.

Commençons par ce dernier point. Je sais à quel point le Sénat a mis en avant l’absence d’étude d’impact préalable à l’adoption du ZAN – dispositif qui porte un nom un peu étrange… – et je connais la difficulté de définir un objectif de frugalité foncière, auquel nous souscrivons d’ailleurs tous, de manière uniforme.

La Haute Assemblée a œuvré à la révision de cette définition via la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux (Trace), dont l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale est annoncée, semble-t-il, même si les points de vue sur ce texte divergent. Je rencontrerai les sénateurs et les députés pour en discuter ; j’espère que nous cheminerons ensemble. C’est l’intérêt de tous.

Ensuite, en ce qui concerne les normes, qui sont produites par les règlements mais aussi les lois, il faut que leur accumulation cesse. Chacun d’entre vous connaît l’excellent rapport de Boris Ravignon sur le sujet : le coût net des normes pour les seules collectivités entre 2009 et 2023 dépasse 14 milliards d’euros. Certaines de ces normes sont très utiles, mais nous pourrions peut-être nous passer d’une partie des autres. Chaque année, le flux de normes, c’est-à-dire l’adoption de nouveaux textes, représente une dépense supplémentaire de 2 milliards à 3 milliards d’euros.

Il nous faut donc tous faire preuve de frugalité normative. Veillons à ce que les règles qui sont édictées n’empêchent pas l’action, ne la ralentissent pas et n’engendrent pas de coûts supplémentaires.

Par conséquent, comme je l’ai répété tout au long de l’après-midi, je souhaite vraiment que l’État suive les préconisations du Sénat : il faut travailler davantage avec le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) pour s’attaquer au stock de normes et alléger les contraintes, afin de retrouver une capacité d’action et de gagner en rapidité.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard, pour la réplique.

M. Pascal Allizard. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Je vous remercie également d’avoir cité précédemment Deauville et Honfleur ; en tant que Calvadosien, je ne peux pas ne pas le relever !

Plus sérieusement, les chiffres de 2024 sont tout de même extrêmement inquiétants : la production normative de cette année-là représente près de 450 millions d’euros de dépenses supplémentaires pour les collectivités. Le sujet est donc toujours d’actualité. Il faut vraiment mettre fin à ce mouvement…

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Isabelle Briquet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plus de quarante ans, la décentralisation constitue l’un des piliers de notre démocratie. Elle repose sur un principe fondamental : la libre administration des collectivités territoriales. Toutefois, ce principe n’a de sens que s’il s’accompagne d’une véritable autonomie financière permettant aux collectivités d’exercer leurs compétences avec responsabilité et visibilité.

Or force est de constater que cette autonomie est gravement fragilisée. En trois ans, l’épargne nette des collectivités a chuté de 40 %. Une telle dégradation de leur autofinancement compromet directement leur capacité d’investissement, au moment même où l’État leur demande d’accélérer la transition écologique, la rénovation énergétique ou la modernisation de leurs équipements publics.

Le contraste est saisissant entre les déclarations politiques et la réalité budgétaire. Le Premier ministre affirme vouloir renouer la confiance avec les territoires, restaurer la proximité et inaugurer un nouvel acte de décentralisation, mais le PLF 2026 consacre, en réalité, une logique inverse : une recentralisation financière et une dépendance accrue des collectivités aux dotations d’État. Cela a été largement évoqué lors du précédent débat.

Dans ces conditions, comment parler de confiance ? Comment évoquer un nouvel acte de décentralisation, alors que les leviers fiscaux locaux disparaissent les uns après les autres ? Cette situation pose une question institutionnelle de fond : peut-il y avoir libre administration sans autonomie fiscale ?

Depuis plusieurs années, le financement des collectivités est de plus en plus contraint. Les réformes successives, comme la suppression de la taxe d’habitation ou la diminution des impôts de production, ont eu pour effet de nationaliser les recettes locales. Il n’existe pas de véritable autonomie si la collectivité ne dispose d’aucun levier fiscal pour ajuster ses ressources en fonction de ses charges.

Madame la ministre, cette situation conduit mon groupe à poser une question claire : le Gouvernement envisage-t-il un retour vers une fiscalité locale adaptée à chaque strate de collectivité, permettant de renouer le lien entre décision, financement et responsabilité ? C’est à cette seule condition que nous pourrons redonner sens à la libre administration et restaurer la confiance des élus locaux, qui sont les premiers partenaires de l’État dans la mise en œuvre des politiques publiques.

Un nouvel acte de décentralisation se bâtira non pas sur des promesses verbales et des transferts sans moyens, mais sur la clarté, la stabilité et la responsabilité. Les collectivités territoriales ne sont pas un appendice budgétaire de l’État, elles en sont le socle opérationnel. C’est pourquoi nous appelons le Gouvernement à ouvrir sans tarder un chantier sur la refondation de la fiscalité locale, en lien étroit avec les associations d’élus et le Parlement, afin que chaque niveau de collectivité dispose à nouveau de ressources propres adaptées à ses compétences. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice Isabelle Briquet, je vous remercie de votre intervention. Je le répète, le temps budgétaire que nous vivons est celui du redressement, parce que nous partageons tous une ambition : non seulement maîtriser la dépense publique, mais aussi s’assurer qu’elle soit parfaitement utile. Nous devons garantir, pour l’avenir, le fonctionnement de nos services publics.

J’y insiste, sans cette étape de redressement des finances publiques – elle est désagréable, je l’entends –, nous ne pourrons plus assurer le financement des services de l’État et des collectivités. Nous visons un horizon, mais, au préalable, ce passage à gué est nécessaire.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer, chacun reconnaît et affirme la nécessité d’une réforme des finances locales, parce que nous n’avons pas cessé d’y coller des rustines et d’y introduire de l’incohérence.

Prenons l’exemple des départements. Leurs dépenses sont, pour l’essentiel, d’ordre social : ces dépenses représentent pratiquement 70 % de leurs charges, sont fixes et ne cessent de s’alourdir. Face à cela, ces collectivités ont comme recettes les droits de mutation à titre onéreux, qui constituent une sorte de levier fiscal. Tant que le montant de ces droits progressait, tout le monde était content et l’on n’entendait personne protester ; seulement, les DMTO étant devenus volatils avec la crise de l’immobilier, les ressources sur lesquelles s’appuyaient les départements pour financer leurs dépenses sociales se sont évanouies.

Dès lors, je reviens à votre propos sur la cohérence entre la compétence et la ressource. Éric Woerth explique très bien dans son rapport qu’il serait plus logique que les départements reçoivent une part de l’impôt national qu’est la CSG. Ce dernier est plus fiable, car fondé sur des recettes structurelles.

Enfin, j’y insiste avec beaucoup de sincérité : les collectivités locales ne sont ni les commis ni des appendices de l’État.

Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre. Ce sont des acteurs essentiels pour la cohésion sociale.

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet, pour la réplique.

Mme Isabelle Briquet. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Nous avons déjà eu l’occasion d’échanger sur le sujet, mais nos discussions ne font que commencer.

En effet, si les prises de décision locales ne sont plus possibles, faute de marge de manœuvre, alors, plutôt que de « décentralisation », il faudra parler de « déconcentration ». Ce sera plus clair, même si ce n’est pas du tout ce que nous souhaitons… (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Chaize. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, alors que le Président de la République a plutôt œuvré dans le sens d’une recentralisation depuis 2017, le Premier ministre appelle à un acte IV de la décentralisation. Eu égard à cette annonce, je rappelle une réalité simple : nous arrivons au bout du modèle actuel d’organisation et de financement des collectivités. Pourtant, dans le contexte politique fragmenté que nous connaissons, il serait illusoire d’attendre un grand bouleversement institutionnel.

Pour avancer, il suffit, me semble-t-il, de réaffirmer quelques principes fondamentaux.

Tout d’abord, il faut mettre l’accent sur la place du département. Depuis plus de deux siècles, celui-ci est un pilier de l’action publique de proximité, au même titre que la commune et l’État. Il est présent dans la vie quotidienne des Français, où qu’ils vivent. Il faut donc cesser d’agiter régulièrement la menace de sa disparition ou de la recentralisation.

Les réalités territoriales sont diverses, parfois au sein d’un même département. C’est pourquoi il faut instaurer un véritable droit à la différenciation. Le département doit pouvoir adapter ses politiques à son territoire plutôt que d’être réduit à un rôle de guichet social.

Ensuite, la libre administration des collectivités doit être pleinement respectée. Toute décision nationale qui affecte les finances locales doit être concertée et, si nécessaire, compensée à l’euro près. Sans cela, il n’y a ni autonomie ni responsabilité.

De même, il est temps de rétablir une véritable autonomie fiscale, afin de redonner du sens au lien entre l’impôt, l’action publique et nos concitoyens. La déconnexion actuelle entretient incompréhension et défiance.

Par ailleurs, l’État doit se recentrer sur ses fonctions régaliennes, notamment la sécurité.

Pour le reste, faisons confiance aux collectivités. Elles savent agir, elles connaissent les besoins du terrain.

En réalité, le cœur du sujet n’est pas seulement la répartition des compétences. C’est – cela a été rappelé plusieurs fois cet après-midi – la confiance : la confiance dans l’élu local, dans la capacité des collectivités à organiser la vie de nos concitoyens, dans la force du terrain.

Notre pays ne souffre pas d’un manque de démocratie, mais il pâtit d’un État qui veut trop en faire, là où la réponse doit être locale, au moyen d’une autonomie fiscale et financière.

Dans un monde complexe, nous avons besoin de proximité, de souplesse et de liberté d’action. Redonner aux collectivités les moyens d’agir, ce n’est pas affaiblir la République, c’est la renforcer.

Dans ce contexte, que comptez-vous faire, madame la ministre, pour accorder, ou ré-accorder, votre confiance aux élus locaux ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Chaize, votre dernière phrase résume parfaitement la situation. Pourquoi faut-il qu’il y ait de la confiance entre des partenaires et non plus un État qui délègue à des collectivités – lesquelles n’auraient pas leur mot à dire – l’exécution de ses compétences ? Parce qu’il y va de l’efficacité de l’action publique, jusqu’au dernier kilomètre. C’est la confiance de nos concitoyens que nous recherchons et que nous devons mériter.

D’abord, je partage votre analyse : il importe de définir le rôle de l’État, garant des fonctions régaliennes, mais également porteur d’une mission de péréquation, destinée à offrir à tous les territoires les moyens d’agir.

Ensuite, je le répète, je ne m’inscris nullement dans une logique de suppression d’un niveau de collectivité. Partons des services que nous avons à rendre et voyons qui est le mieux placé. Le Sénat a plutôt considéré, naguère, que les départements étaient une échelle intéressante pour mutualiser des réseaux. Nous l’avons vu sur le très haut débit, mais nous l’avons vu aussi sur l’eau et l’assainissement.

Quant à la recentralisation, elle doit aussi faire l’objet d’une discussion : lorsqu’un département doit exécuter, scrupuleusement, la compétence que l’État lui a confiée dans des conditions prédéfinies, pourquoi ne pas envisager une renationalisation ? Une expérimentation est d’ailleurs en cours concernant l’éventuelle renationalisation du revenu de solidarité active. Cela doit pouvoir fonctionner dans les deux sens. Il convient que nous nous interrogions sur ce point.

Enfin, un mot sur les normes : on en meurt ! Nous siégeons ici sous la protection de Portalis (Mme la ministre désigne de la main la statue du jurisconsulte, qui surplombe le fauteuil de la présidence.), qui disait : « Les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois. » La norme demeure nécessaire : nos concitoyens la réclament pour garantir leur sécurité et prévenir les risques, nous sommes d’accord, d’autant que la Constitution consacre le principe de précaution ; l’État s’y conforme donc. Toutefois, je le dis sans vouloir accabler quiconque, d’autant que je suis issue de cette maison, le législateur charge parfois la barque. Il nous revient donc aussi, quand nous élaborons la loi, d’accorder notre confiance aux élus et de reconnaître que le maire est aussi responsable qu’un parlementaire.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize, pour la réplique.

M. Patrick Chaize. Madame la ministre, je vous remercie de de votre réponse. Nous partageons, me semble-t-il, le même constat. Maintenant, si j’ose dire, « y a plus qu’à »… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Françoise Gatel, ministre. Voilà !

Mme la présidente. La parole est à M. Simon Uzenat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Simon Uzenat. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, pour reprendre l’intitulé du thème de notre débat, plus que jamais nous pouvons dire que la décentralisation est l’avenir.

Nos citoyens sont aujourd’hui en colère, voire défaitistes, face à l’impuissance publique. L’une des meilleures solutions est le pouvoir d’agir local et la libre administration de nos collectivités.

Vous l’avez dit, d’une certaine manière, face à la crise démocratique – nous en sommes tous conscients –, nous avons besoin de proximité, de reconnaissance, de différenciation. C’est le message que les citoyens nous adressent.

Pour cela, il faut un État qui se concentre sur le régalien, qui assure la péréquation pour garantir cette égalité républicaine et qui laisse aux collectivités territoriales la responsabilité de la vie quotidienne de nos forces vives : nos citoyens, nos associations, nos entreprises.

Je souhaite, madame la ministre, centrer mon propos sur quelques sujets que vous connaissez bien, vous qui avez été une parlementaire bretonne et qui restez bretonne dans l’âme.

Le premier point d’attention est l’autonomie, un sujet porté avec conviction par la région Bretagne en tant que collectivité, ainsi que par l’ensemble de ses élus. Cette autonomie s’entend de façon très large, mais en particulier dans sa dimension financière et fiscale.

Vous avez précédemment évoqué le nécessaire équilibre entre les dotations et le levier fiscal. Force est de constater que cet équilibre est aujourd’hui inexistant, puisque près de 80 % des recettes réelles de fonctionnement et d’investissement, notamment des départements et des régions, procèdent de transferts financiers de l’État et que les paniers de recettes sont complètement déconnectés des compétences des collectivités. Vous avez cité à ce titre les départements, mais c’est vrai également pour les régions : celles-ci perçoivent des taxes sur les cartes grises ou sur l’essence, alors qu’elles doivent promouvoir les mobilités décarbonées…

Quelles mesures concrètes proposez-vous à cet égard ?

Mon deuxième point d’attention concerne le pouvoir réglementaire local, sujet que vous connaissez bien, madame la ministre. Très concrètement, il s’agit de faire confiance aux élus locaux. C’est tout le sens de la différenciation entre nos territoires : oui, une péninsule, un territoire de montagne, une île, présentent des réalités spécifiques, et, en matière de transition écologique, les mêmes solutions ne sauraient s’appliquer uniformément sur l’ensemble du territoire national.

Nous sommes aujourd’hui dans un entre-deux : la notion d’« autorité organisatrice » a été mise en avant, mais sa traduction concrète dans les faits tarde à se réaliser.

Nous évoquons les uns et les autres des actions concrètes. L’article 72 de la Constitution offre des pistes de travail. En outre, des propositions de loi constitutionnelle ont été déposées, mais, dans la période actuelle, nous aurons sans doute du mal à utiliser cet outil. Par conséquent, madame la ministre, quelles actions concrètes et urgentes le Gouvernement pourrait-il déployer pour que les élus puissent enfin voir se matérialiser cette confiance que nous entendons leur accorder ?

Ma dernière question, madame la ministre, porte sur la consultation démocratique tant attendue par les Bretons et par les habitants de la Loire-Atlantique, afin qu’ils puissent enfin donner leur avis sur le rattachement de ce département à cette région, reconstituant ainsi la Bretagne historique.

Mme Françoise Gatel, ministre. Ah !

M. Simon Uzenat. Nous estimons que cela doit être le fruit d’un processus démocratique. Les précédents gouvernements s’y étaient engagés, notamment en 2024. Prévoyez-vous enfin d’actionner les leviers pour que cette consultation puisse avoir lieu ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Uzenat, il ne vous aura pas échappé, cela a été souligné précédemment, que l’existence du Gouvernement est très précaire, son espérance de vie est incertaine.

Nous avons la volonté d’avancer et d’aborder un certain nombre de sujets. Il faudra notamment entreprendre la révision constitutionnelle de l’article 72, afin de permettre la différenciation.

Pour ce qui est du pouvoir réglementaire local, c’est une vraie question, qui suscite à la fois de l’envie et de la peur. Je le rappelle, ce pouvoir réglementaire local est accordé aux communes depuis la loi du 5 avril 1884, mais il n’est pas très connu et il n’est pas utilisé. Depuis 1983, cette compétence est également accordée aux départements et aux régions. Ainsi, comme le dit le sénateur Chaize, « y a plus qu’à » ou presque.

Je veux en outre souligner la nécessité d’une cohérence entre les compétences et les ressources. Le panier de ressources doit permettre de faire face aux dépenses ; il faut donc des dotations adaptées et un levier fiscal. Il existe déjà une liberté d’agir, puisque, l’année dernière, vous avez décidé de permettre aux régions de percevoir un versement mobilité. Certaines régions s’en sont saisies, dont la Bretagne, mais pas toutes.

Vous m’avez enfin posé une question un peu centrée sur la Bretagne, mais il s’agit en réalité d’une vraie question de fond. C’est le maréchal Pétain qui a mis fin à la Bretagne à cinq départements : les quatre départements que nous connaissons aujourd’hui, auxquels s’ajoutait la Loire-Atlantique. Le rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne est depuis longtemps un sujet de débat. Cela aurait sans doute une certaine cohérence, mais, sans modifier ma position personnelle sur le sujet, cette question exige un traitement responsable ; on ne saurait rattacher un département à une région sans s’interroger sur l’avenir les départements qui demeurent dans la région d’origine. Parlons-en.

Mme la présidente. La parole est à M. Simon Uzenat, pour la réplique.

M. Simon Uzenat. Nous avons beaucoup parlé de confiance. Or la confiance repose sur le respect de la parole de l’État, laquelle est aujourd’hui gravement mise en cause.

Nous le constatons notamment à la lecture du projet de loi de finances, madame la ministre. Lorsqu’il est question d’une compensation à l’euro près, puis que l’on y revient, notamment au travers du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée, les règles du jeu se trouvent modifiées en cours de mandat. Une telle instabilité ne favorise pas la confiance. Il faut de la cohérence entre la parole et les actes et nous en sommes pour l’instant très loin.

Vous évoquiez un budget de redressement, madame la ministre. Oui, le redressement s’impose, mais il ne faudrait pas que le remède soit pire que le mal, car, en l’occurrence, vous vous attaquez à l’un des moteurs essentiels de la croissance, du développement économique et du soutien à l’emploi local. Nous le réaffirmons, la préservation des moyens d’action des collectivités permet de soutenir le rebond économique, notamment via la commande publique.

Enfin, j’ai bien entendu votre remarque sur le versement mobilité régionale et rurale. Nous plaidons justement pour offrir un bouquet de solutions aux collectivités locales, notamment aux régions, via une taxe de séjour additionnelle. Libre à elles ensuite de choisir parmi des options. Ce dispositif existe pour la région Île-de-France ; nous souhaitons qu’il puisse s’appliquer à l’ensemble des régions françaises.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Klinger. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christian Klinger. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la décentralisation en France est un sujet complexe et récurrent, un vieux serpent de mer.

La France est marquée par un jacobinisme tenace, en vertu duquel Paris concentre pouvoir et ressources. La décentralisation se heurte à une méfiance historique envers les territoires. Cette complexité institutionnelle, la superposition des échelons et le chevauchement des compétences rendent le système illisible pour nos concitoyens.

Il est manifeste que, au plus haut niveau de l’État, à l’Élysée, la décentralisation n’est pas en odeur de sainteté. Il y règne plutôt un parfum de jacobinisme, avec une note florale persistante de narcissisme. Alors que le paquebot France croule sous la dette et que le bateau prend l’eau de partout, on s’enfonce tranquillement vers les abîmes, à 3 400 milliards sous les mers, tout en remarquant que les passagers se font séduire à tribord par la sirène Marine, qui promet un trésor de solutions qui n’existent pas, ou à bâbord par la sirène Mathilde qui nous conduit droit dans le panneau(Sourires.)

Nous voyons bien que nous sommes à la fin d’un cycle, que le système actuel est à bout de souffle. Pour lui redonner de l’oxygène, il faut repenser notre organisation, ce qui passe inévitablement par une décentralisation aboutie. Pour cela il faut du courage, de l’audace et un mini big-bang territorial.

Certes, il faudra renverser la table, mais aussi faire confiance aux élus locaux, qui détiennent la solution.

Mon mentor en politique, Adrien Zeller, militait, lorsqu’il était président du conseil régional d’Alsace, pour le droit à l’expérimentation. Il disait, à juste titre, que l’Alsace était à la bonne échelle pour mettre en place de nouvelles politiques publiques, au plus près de nos concitoyens. Mais pour cela il faut oser : oser la différenciation, oser l’expérimentation, afin d’en tirer des conclusions sur ce qui fonctionne ou ce qui ne fonctionne pas.

Prenons l’exemple de la Collectivité européenne d’Alsace (CEA), qui est un premier pas vers la décentralisation. Créée par une loi de 2019, elle est née de la fusion des deux départements alsaciens, le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, en une seule collectivité territoriale. Les deux départements ont été remplacés par une seule collectivité, qui exerce les compétences normalement dévolues aux départements, ainsi que certaines compétences de l’État, en disposant d’une marge de manœuvre accrue pour adapter les politiques publiques aux spécificités alsaciennes.

Nous sommes néanmoins restés au milieu du gué. En transférant d’autres compétences, comme celles de la région ou de l’État, nous aurions une décentralisation aboutie avec, enfin, la disparition d’une strate du millefeuille institutionnel, mais aussi, à la clé, de fortes économies de fonctionnement. Selon l’économiste Jean-Philippe Atzenhoffer, le transfert des compétences de la région vers la Collectivité européenne d’Alsace engendrerait une économie de fonctionnement de l’ordre de 100 millions d’euros par an.

Madame la ministre, les milliards que cherche le Gouvernement sont là : 100 millions d’euros à l’échelle alsacienne, imaginez le montant au niveau national !

La solution est donc dans la décentralisation, la simplification et la mise en œuvre des politiques publiques par les élus locaux.

Mme la présidente. Veuillez conclure.

M. Christian Klinger. Décentraliser, c’est faire des économies et reconnaître l’identité d’un territoire, tout en préservant l’unité républicaine.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur, la Collectivité européenne d’Alsace – je salut d’ailleurs Agnès Canayer, ici présente, qui fut rapporteur du texte qui l’a instituée – n’est pas une collectivité à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution. C’est l’exemple même de la différenciation, fondée sur le fait que l’Alsace a une particularité, au-delà de son identité : elle est un espace frontalier.

C’est sur ce fondement que nous avons travaillé à la coopération transfrontalière, à la création de fédérations culturelles ou sportives à l’échelle de l’Alsace et au transfert des routes non concédées.

Ce que je vous propose, c’est de procéder à une évaluation de la mise en œuvre de ce texte ; la question sera ouverte. Je l’ai indiqué : nous ne nous orientons pas vers un Grand Soir de découpes et de copier-coller de territoires. Il n’empêche qu’il convient peut-être de revenir à une approche plus équilibrée.

En 2024, le Président de la République a indiqué qu’il fallait rouvrir la question des transferts de compétences, sans pour autant s’engager dans de grands jeux institutionnels.

Je rappelle toutefois que, depuis 2017, des avancées ont été réalisées avec la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS) – vous avez d’ailleurs participé à cette évolution –, ainsi qu’avec la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique.

Je ne doute pas que ce débat se poursuivra.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Klinger, pour la réplique.

M. Christian Klinger. Effectivement, l’Alsace est un véritable terrain de jeu, qui pourrait encore recevoir quelques compétences supplémentaires. Il conviendrait en effet de faire un bilan d’étape, afin de voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

Sabine Drexler, qui est aussi conseillère d’Alsace, peut en témoigner : les élus sont en attente de compétences accrues, mais évidemment avec les moyens correspondants.

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme la ministre.

Mme Françoise Gatel, ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, mes propos seront un écho de nos débats.

Je me félicite de la richesse de nos échanges, qui témoignent à la fois de la diversité de nos opinions et de l’engagement du Sénat en faveur de la confiance entre l’État et les territoires. Une fois encore, je salue les travaux conduits ici, que Mme Agnès Canayer a rappelés avec justesse.

La question de la décentralisation n’est pas une question technique, elle touche au corps même du pacte républicain. Pourquoi décentralise-t-on ? Pourquoi déconcentre-t-on ? Pourquoi différencie-t-on ?

Vous l’avez rappelé tout au long de l’après-midi, la République repose sur deux piliers : l’État et les collectivités, qui doivent être responsables et en mesure d’agir pour offrir à nos concitoyens les services qu’ils attendent.

Les réformes successives ont souvent engendré de la complexité ; à tout le moins, elles ont créé des irritants. Il a beaucoup été question de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République ; on a formaté la taille des collectivités et on a imposé des transferts de compétences, en faisant fi de la réalité des territoires. Depuis 2017, nous avons accompli plusieurs avancées, certes modestes mais réelles : la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, la loi 3DS, ainsi que le lancement de la simplification et de l’expérimentation.

Il importe néanmoins de réaffirmer un cadre clair de responsabilités partagées. Il n’y a pas un donneur d’ordre et des sous-traitants ; il y a des partenaires, qui doivent travailler ensemble pour renforcer l’efficacité de l’action publique. Nous devons définir un horizon, indépendamment de la durée de vie des gouvernements, afin d’avancer, de progresser, de retrouver la confiance, tout en traversant le gué du déficit budgétaire, qu’il convient de prendre plus que jamais en considération si nous nourrissons des ambitions fortes.

Je terminerai sur un point auquel je tiens : l’engagement résolu dans la chasse aux normes inutiles, ou du moins leur évaluation systématique.

Je vous remercie de la qualité de nos échanges et de la pertinence de vos observations. Ce débat marque le commencement d’un travail que nous mènerons, à la demande du Premier ministre, en parfaite synergie avec vous, avec les élus locaux, via leurs associations, et avec l’ensemble des partenaires concernés.

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cela a été relevé çà et là : voilà plus de deux siècles que notre organisation territoriale et administrative est traversée par deux courants contradictoires : d’un côté, le centralisme jacobin, avec un État omniprésent, unifié et centralisateur ; de l’autre, l’esprit local des provinces, conçu comme la condition de la liberté et de la vertu civique, bien mieux représenté ici.

Si la République a consacré un État fort, garant de la cohésion et de l’égalité, elle a souvent confondu – vous l’avez dit, madame la ministre – unité et uniformité.

Chacun a rappelé ici combien les lois Defferre ont favorisé l’établissement d’une France plus décentralisée, visant à rapprocher les citoyens des centres de décision et à responsabiliser les autorités élues. Beaucoup ont toutefois souligné combien, quarante ans plus tard, cette promesse demeure inachevée et parfois brouillée par l’empilement des structures et la complexité des compétences.

Déjà, en 2009, le comité Balladur dressait un bilan sévère de cette décentralisation. Rappelons ce qu’il indiquait alors dans son rapport : « l’organisation des collectivités locales n’a cessé de se compliquer au fil du temps, les étapes récentes de la décentralisation et la multiplication […] des établissements publics de coopération intercommunale ne s’étant pas accompagnées d’un effort de rationalisation des structures des collectivités locales, des compétences qu’elles exercent et des financements qui s’y attachent. Il en résulte une perte d’efficacité pour l’action publique et pour les usagers des services publics, un coût élevé pour le contribuable et un manque de transparence pour l’électeur. »

La Cour des comptes elle-même ne disait pas autre chose en 2023 : elle soulignait combien notre organisation territoriale n’est ni claire, ni efficace, ni durable.

Ce constat demeure, bien sûr, et a parfois été aggravé par une succession de lois ; je songe à la loi de 2010, à la funeste loi NOTRe de 2015 ou à la loi Maptam.

Aujourd’hui, la grave crise budgétaire que nous connaissons devrait nous obliger à repenser et à recentrer le rôle de l’État. À vouloir tout faire ou trop faire, à vouloir tout régenter et tout financer, l’État le fait maladroitement. Résultat : des dépenses publiques à la dérive, une bureaucratie léthargique et gesticulante, entravée par des circuits complexes de décision et de nombreux doublons administratifs.

Le périmètre d’action de l’État est devenu trop large et diffus, sa dépense trop contrainte. Il doit donc se recentrer sur ses missions régaliennes : la sécurité évidemment, la justice, la défense, la politique migratoire, la stratégie énergétique, la diplomatie.

Pour tout le reste, qui concerne le quotidien des Français, ce sont bien sûr les collectivités territoriales qui doivent avoir les leviers, les moyens et la responsabilité d’agir, car, en l’espèce, c’est bien la proximité qui fait l’efficacité. Un maire connaît mieux que quiconque – en tout cas mieux qu’un préfet – les besoins de sa commune, sans doute parce que le système communal repose sur une organisation simple : un responsable, le maire, et une assemblée communale ; un territoire clairement identifié et pertinent ; et un budget.

Un État recentré ne doit pas être un État éloigné. Éric Woerth, dans son rapport de 2024, ne disait pas autre chose, quand il appelait à rétablir de la cohérence dans l’action publique territoriale et à articuler décentralisation et déconcentration.

Si nous reconnaissons la nécessité que chaque service public soit incarné par une autorité identifiée et disposant des moyens nécessaires, encore faut-il que l’État accepte de transférer de véritables compétences avec les moyens correspondants.

Le Gouvernement parle de clarification des responsabilités. Bien sûr, nous y souscrivons, mais, dans ce cas, le principe doit être celui de la subsidiarité réelle, non pas descendante, mais ascendante, comme le réclame fort justement l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) : que les collectivités elles-mêmes déterminent l’échelon le plus pertinent pour chaque politique publique.

Nul ne peut être plus clair que l’AMF, qui rappelle les quatre préalables à appliquer : la subsidiarité ascendante, l’autonomie financière et fiscale des collectivités, le transfert immédiat d’un pouvoir réglementaire local et, enfin, une redéfinition du sacro-saint principe de libre administration.

Parallèlement, nous aurons à nous attaquer à l’indigeste millefeuille territorial : communes, intercommunalités, départements, régions, métropoles. L’enchevêtrement des compétences entre collectivités territoriales est illisible et parfois coûteux. Nous avons besoin de plus de cohérence dans l’organisation pour avoir plus d’efficacité.

La décentralisation ne saurait être un simple transfert des compétences sans transfert des moyens. C’est le prix de la liberté ! Or c’est malheureusement ce que fait bien souvent l’État depuis de nombreuses années : il décentralise les charges, mais garde d’une main de fer les recettes budgétaires.

À quoi sert de promettre un nouvel acte de décentralisation, si, dans le même temps, le projet de loi de finances prévoit de lourdes ponctions sur les finances locales ? Gel de la dotation globale de fonctionnement, nouvelle réduction du fonds vert, reconduction et augmentation du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales, coup de rabot sur les prélèvements sur recettes et hausse de la taxe générale sur les activités polluantes.

Mes chers collègues, le Premier ministre a annoncé, dans son discours de politique générale, un grand acte de décentralisation devant se traduire par un futur projet de loi, dont la date semble encore incertaine. Cette initiative est certes louable, mais a-t-elle réellement des chances d’aboutir au cours des prochains mois ?

J’ai donc une requête : un peu moins de sermons, un peu plus de praxis, et espérons que nous ne nous rassurerons pas une fois de plus en renvoyant cet impératif au grand rendez-vous présidentiel, qui constitue trop souvent un faux-fuyant confortable de nos propres renoncements ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « L’avenir de la décentralisation ».

4

Quelles réponses apporter à la crise du logement ?

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « Quelles réponses apporter à la crise du logement ? »

Je vous rappelle que dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de repartie, pour une minute.

Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis trois ans, notre pays s’enfonce dans une crise du logement sans précédent, dont les effets dramatiques sur le pouvoir d’achat, la qualité de vie et les parcours résidentiels engendrent découragement, frustration et même colère chez nombre de nos concitoyens.

Nous en connaissons les causes. Certains décrivent cette crise comme un phénomène exogène et conjoncturel, que la baisse des taux viendrait résoudre comme par magie. Je crois au contraire qu’elle a des racines structurelles, à savoir les renoncements et les coups de canifs portés à la politique du logement dans notre pays depuis 2018.

Nous connaissons aussi les chiffres et les drames que ceux-ci reflètent bien souvent. Rappelons que la construction neuve est loin d’avoir retrouvé son niveau d’avant la crise sanitaire, que plus d’un Français sur deux déclare avoir des difficultés à se loger et que le taux d’effort des ménages sur le logement a atteint un niveau inégalé.

Ce qu’il nous manque aujourd’hui, c’est une action publique résolue et volontariste en faveur du logement, et s’inscrivant dans la durée.

La crise du logement est un sujet trop grave pour faire les frais de l’instabilité politique. Depuis un an, nous agissons par petites touches, au gré de propositions de loi sectorielles. Je pense, par exemple, à la régulation de la location meublée touristique ou à la transformation des bureaux en logements : ces textes sont assurément utiles, mais ils ne donnent ni un cap ni un souffle à notre politique du logement !

Il est temps de reconstruire les fondations d’une politique de moyen terme, à la hauteur de la promesse républicaine du droit au logement. C’est pourquoi, comme je l’ai annoncé l’été dernier, je déposerai prochainement une proposition de loi de refondation de la politique du logement ; aucun segment ne sera écarté.

La première pierre à l’édifice de cette refondation doit être, me semble-t-il, la programmation. C’est indispensable : comment agir dans la durée sans se fonder sur une vision partagée de l’ampleur de la tâche ? Cessons de naviguer à vue ! Les élus locaux et les acteurs économiques ont plus que jamais besoin de visibilité.

Pour refonder la politique du logement, il nous faut avancer sur nos deux jambes : le logement privé et le logement social. Ne nous enfermons pas dans une opposition stérile entre les deux.

Appuyons-nous sur les bailleurs sociaux. Ils peuvent jouer un rôle contracyclique déterminant. Il faut leur redonner des marges de manœuvre pour relancer la production de logements.

Le budget 2025 avait marqué une avancée, grâce à Valérie Létard, en réduisant de 200 millions d’euros la réduction de loyer de solidarité, la fameuse RLS, source d’économies budgétaires pour l’État au détriment des capacités d’investissement du secteur. Hélas, dans sa version actuelle, le projet de budget 2026 revient en arrière : en plus de rétablir cette ponction contre-productive, il augmente considérablement la contribution des bailleurs sociaux au fonds national des aides à la pierre, le Fnap.

C’est d’autant plus regrettable que, depuis 2018, l’État s’est totalement désengagé du Fnap, qui est dans une situation financière critique, comme l’a rappelé en juillet dernier notre collègue Jean-Baptiste Blanc, que je salue.

Alors qu’il faudrait des mesures contracycliques pour permettre aux organismes HLM de répondre à la crise, c’est précisément le chemin inverse que prend le nouveau gouvernement.

Nous devons ensuite bâtir un pacte renouvelé avec les élus locaux. La planification se fait avant tout à l’échelle locale : faisons confiance aux maires et renforçons leurs moyens d’action, notamment en matière de foncier, véritable clé de la relance.

Plusieurs évolutions récentes doivent être poursuivies, comme la transformation des bureaux en logements, qui n’est pas suffisante, ou encore les adaptations à la trajectoire zéro artificialisation nette adoptées par le Sénat via la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux (Trace).

En matière de logement social, nous avons déjà assoupli, en 2022, le cadre posé par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) : nous pouvons et devons aller plus loin, pour prendre davantage en compte les contraintes de nos territoires et leurs spécificités.

Il s’agit enfin de répondre au sentiment de dépossession des maires dans l’attribution des logements sociaux, et de les replacer au centre des décisions.

Il convient aussi de relancer l’investissement locatif. À cet égard, je défends depuis plusieurs années la création d’un véritable statut du bailleur privé : il est temps de voir les propriétaires non plus comme les profiteurs d’une rente, mais bien comme des contributeurs essentiels à la vie économique et sociale de notre pays.

Appuyons-nous pour cela sur le travail de notre collègue Marc-Philippe Daubresse (M. le ministre acquiesce.) pour faire aboutir enfin ce statut du bailleur privé au cours des prochaines discussions budgétaires.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Ce dispositif doit encourager l’investissement dans le neuf, mais aussi dans l’ancien, car ce parc est un réservoir immédiatement mobilisable.

En outre, n’envisageons pas le statut du bailleur privé seulement sous l’angle de son coût, comme Bercy a tendance à le faire : c’est un véritable choc d’investissement qu’il s’agit de créer, source de recettes nouvelles pour l’État et pour nos collectivités. Ne nous contentons pas d’un compromis frileux qui dénaturerait le dispositif avant même de l’avoir fait vivre. Monsieur le ministre, avec Marc-Philippe Daubresse, le Sénat sera au rendez-vous sur ce statut du bailleur privé !

Enfin et surtout, il faut débloquer les parcours résidentiels. Relancer l’accès à la propriété est une urgence politique. Pour les classes moyennes, ne pas parvenir à sortir du parc locatif est une source de frustration, qui alimente le sentiment de déclassement et d’assignation à résidence. C’est malheureusement le terreau du ressentiment dont nous voyons aujourd’hui les effets sur l’échiquier politique.

Outre le maintien de la généralisation du prêt à taux zéro (PTZ), il nous faut encourager l’accession sociale à la propriété. Comme l’a décidé l’Assemblée nationale, le prêt à taux zéro doit être ouvert aux logements acquis une première fois en bail réel solidaire (BRS), pour ne pas gripper les parcours résidentiels des classes moyennes, à qui ce produit est destiné, et ne pas créer un véritable goulet d’étranglement.

Face à la crise, durable et multifactorielle, aucun segment du logement ne doit être négligé, aucune solution ne doit être écartée. Surtout, il nous faut rompre avec les réponses par à-coups : il nous faut regarder loin, fixer un cap clair et penser une politique de moyen terme pour redonner confiance à ceux qui construisent, investissent et font vivre nos territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Viviane Artigalas applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie Dominique Estrosi Sassone d’avoir dit les choses si clairement et de porter le combat du sauvetage – je pense qu’on peut le nommer ainsi – du logement depuis tant d’années, y compris au travers de l’action de la commission des affaires économiques, qu’elle préside avec talent.

Sa volonté de sortir de la crise du logement n’est plus à démontrer, puisqu’elle a elle-même été corapporteur, avec les sénatrices Gacquerre et Artigalas, d’une mission d’information dont le rapport m’a été très utile pour ma prise de fonctions. Je tenais à vous en remercier, madame la sénatrice.

Vous avez raison, madame Estrosi Sassone, de parler de découragement, de frustration, de colère. Nous sommes face à une crise d’ampleur, à une crise majeure, et il va falloir ouvrir les yeux à tous ceux qui n’auraient pas encore perçu la réalité de la crise qui nous attend, de cette bombe sociale qu’est la crise du logement. C’est pour cela que je suis très heureux que nous ayons ce débat aujourd’hui.

Nous mesurons qu’il existe encore énormément de clichés, notamment une volonté farouche de considérer que la France des propriétaires est dépassée, qu’elle est derrière nous. Il faut absolument battre cette idée en brèche. Je crois, au contraire, comme vous l’avez très justement rappelé, qu’il faut donner un rôle crucial et central aux familles qui souhaitent investir, non pas dans la finance, mais dans la pierre et, ce faisant, fournir un logement, une habitation digne et décente à des familles françaises qui en ont grand besoin. Un quart des ménages français sont logés par de petits propriétaires qui ont investi dans la pierre.

J’aurai l’occasion d’y revenir en répondant aux différents intervenants, mais je peux dire d’ores et déjà que je souscris à certains de vos constats.

Oui, cette crise du logement dure, depuis maintenant longtemps. Il faudra donc lui apporter une réponse inscrite elle aussi dans la durée. Cela passe, vous l’avez dit, par la programmation et par une synergie absolument fondamentale entre le social et le privé.

Bien sûr, il faut décentraliser et donner beaucoup plus la main aux maires, et c’est un ancien maire, dont je puis vous assurer qu’il n’a pas oublié les années où il exerçait un mandat local, qui vous le dit.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre. Il faut évidemment soutenir le statut du bailleur privé.

Je reviendrai sur les autres points et vous remercie de ce propos introductif.

Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Amel Gacquerre.

Mme Amel Gacquerre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour commencer, je veux vous faire part de mon incompréhension.

Voilà quelques semaines, j’ai publié une tribune, cosignée par mes collègues du groupe Union Centriste, qui appelait le Gouvernement à prendre la mesure de la grave crise du logement que nous traversons et à faire du logement la grande cause nationale 2026, tribune que je me suis empressée d’adresser directement au Premier ministre ; vous n’étiez pas encore en fonction, monsieur le ministre. À ce jour, nous n’avons reçu aucune réponse, aucune réaction.

Pourtant, ce n’était pas un simple exercice de communication : c’était un cri d’alarme, appelant à regarder ce qui se passe dans notre pays, dans l’ensemble de nos territoires, à prendre la mesure de la détresse des millions de Français qui sont dans l’impossibilité de se loger dignement, voire de se loger tout court.

C’était un appel à voir qu’un pan entier de notre économie vacille sous l’effet de la baisse historique des constructions neuves, des transactions immobilières, des reports en cascade des projets de rénovation.

Au regard de la situation plus que critique que traverse le secteur, faire du logement la grande cause nationale 2026 serait tout à fait justifié. Nos appels à l’engagement pour un logement pour chacun, quel qu’il soit, méritent d’être entendus. Le débat inscrit à l’ordre du jour de la séance publique de cet après-midi va dans ce sens. J’en profite pour saluer le groupe Les Républicains, qui en a pris l’initiative.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 350 000 personnes sont aujourd’hui sans domicile, nombre qui a plus que doublé depuis 2012, et 2,8 millions de ménages sont dans l’attente de l’attribution d’un logement social, alors que seulement 82 000 logements sociaux ont été financés en 2024, le pire résultat depuis vingt ans.

Cette crise touche tous les secteurs, tous les publics – les étudiants, les salariés, nos aînés… – et elle affecte directement le pouvoir d’achat des Français, le logement représentant près de 30 % de leurs dépenses. C’est le premier poste de dépenses, loin devant l’alimentation ou les transports.

Face à cette urgence absolue, nous devons bâtir une politique du logement sur trois horizons temporels : à court, moyen et long termes. En effet, ce dont souffrent véritablement les acteurs du logement, c’est du manque de stabilité et de visibilité. Une politique du logement ne doit pas subir l’instabilité politique que nous traversons : elle exige une continuité.

Cette ambition doit se traduire par une politique volontariste, bien sûr dotée de moyens, et articulée autour de quatre axes majeurs.

Premier axe : redonner confiance aux bailleurs privés, en créant un statut attractif, afin de relancer l’investissement locatif, comme cela a été soutenu par nos collègues.

Deuxième axe fort : réhabiliter l’accession à la propriété, afin que celle-ci redevienne un objectif atteignable pour les classes moyennes et populaires, par exemple en maintenant l’extension du prêt à taux zéro et en développant le bail réel solidaire.

Troisième axe : la relance massive de la construction de logements sociaux, en redonnant prioritairement des capacités d’investissement aux bailleurs ; en maintenant à tout le moins la réduction de loyer de solidarité au niveau actuel, soit 1,1 milliard d’euros, comme l’avait soutenu Valérie Létard pour le PLF 2025 ; en sécurisant le fonds national des aides à la pierre, qui a été sacrifié dans la copie initiale du PLF 2026 ; en soutenant les collectivités territoriales qui construisent ; enfin, en simplifiant les normes qui alourdissent les coûts de construction.

Quatrième et dernier axe : la refonte de la politique de rénovation des logements. Le dispositif MaPrimeRénov’, dont on peut saluer le succès, a connu d’importantes difficultés en 2025. Ces incertitudes permanentes découragent les ménages et paralysent les professionnels du bâtiment.

Le logement n’est pas un sujet technique parmi tant d’autres : c’est le premier poste de dépenses des Français et celui qui conditionne leur capacité à se projeter dans l’avenir.

Nous avons le devoir d’apporter des réponses concrètes, ambitieuses et durables. Monsieur le ministre, quels engagements prenez-vous en ce sens ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Madame la sénatrice, vous avez raison de pousser ce cri d’alarme et je veillerai à ce que la tribune que vous avez adressée au Premier ministre obtienne réponse.

Je souscris à vos priorités et, comme vous le savez, puisque nous avons déjà eu l’occasion de nous rencontrer et d’échanger à ce sujet, je considère qu’il est fondamental que nous puissions apporter un certain nombre de réponses et sécuriser, avec une vision de long terme, les différents outils que vous avez évoqués.

Votre premier point – redonner confiance – est absolument crucial. J’ai déjà pu échanger sur ce point avec Marc-Philippe Daubresse : redonner confiance à tous ceux qui participent à la construction et à la production de logements dans notre pays est fondamental.

Nous devons évidemment aller plus loin. Je pense que j’aurai l’occasion d’y revenir, le débat budgétaire doit conduire à préciser les modalités de soutien de l’aide à la pierre et à permettre aux bailleurs sociaux de jouer un rôle éminent dans la résolution de cette crise. Nous l’avons dit, aucun logement privé ne sort de terre aujourd’hui si l’on ne soutient pas le logement social à certains endroits et, inversement, on ne construit pas de logements sociaux sans opérations conjointes avec le privé. Cette symbiose est fondamentale ; il faut évidemment la soutenir.

Votre cri d’alarme est très juste, car la crise que nous évoquons ici est multiple.

C’est évidemment une crise économique : un pan entier de notre économie, de notre industrie, est menacé si nous ne faisons rien.

C’est également une crise écologique : si nous n’avons pas la capacité d’agir sur la rénovation – sujet qui vous tient particulièrement à cœur, madame la sénatrice –, notamment de l’ancien, des passoires thermiques continueront d’exister.

Enfin, c’est évidemment une crise sociale. Il s’agit d’une bombe à retardement énorme. J’ignore si nous pourrons faire du logement une grande cause nationale, mais celui-ci mérite au moins que nous nous en fassions tous aujourd’hui une grande cause et une urgence. En effet, derrière la question du logement, il y a des familles qui ne se logent pas correctement, dignement, voire qui ne se logent pas tout court et qui, par conséquent, ne peuvent pas étudier, travailler, s’insérer, bref, faire partie de notre pays, de notre société. C’est évidemment inacceptable.

Faire en sorte de développer avec vous, en coconstruction, un grand plan pour le logement, un plan d’urgence pour que, demain,…

Mme la présidente. Veuillez conclure.

M. Vincent Jeanbrun, ministre. … les Français puissent se loger dignement, c’est tout le sens de la mission que m’a confiée le Premier ministre.

Mme la présidente. La parole est à Mme Amel Gacquerre, pour la réplique.

Mme Amel Gacquerre. Merci beaucoup de votre réponse, monsieur le ministre. J’ajouterai simplement un point sur un sujet que vous avez évoqué ; la question du logement comporte des volets extrêmement nombreux, tous importants, mais je veux m’attarder sur celui de la rénovation énergétique.

Nous avons bien conscience du contexte budgétaire. Or, si nous devons évidemment mobiliser des fonds publics, il est également possible de mobiliser des fonds privés. Je n’ai pas pu évoquer le sujet de la « banque de la rénovation », que j’ai déjà eu l’occasion d’aborder avec vous ; nous pourrions en parler longuement. Cet outil mutualisé entre banques volontaires permettrait de mobiliser davantage les financements privés.

La création de cet outil a été préconisée par la mission d’information que j’ai présidée et dont ma collègue Marianne Margaté, ici présente, était rapporteure, avec d’autres acteurs, comme Yannick Borde, président de Procivis.

Je vous invite à regarder ce projet de près et à le soutenir. Merci beaucoup !

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’interruption de l’examen du projet de loi de finances pour 2026 à l’Assemblée nationale n’augure rien de bon pour le logement, alors que la France traverse aujourd’hui une crise sans précédent dans ce domaine.

Les causes de cette crise sont multiples et bien connues : augmentation du coût du foncier et des prix de la construction, arrêt des chantiers, parc vieillissant, métropolisation, fiscalité locative trop importante, durcissement des conditions de crédit et relations complexes entre bailleurs et locataires. Tous les indicateurs sont dans le rouge.

Cette situation a des conséquences catastrophiques dans nos territoires : nos concitoyens n’investissent plus, l’offre se tarit, certains sont mal logés et d’autres ne le sont pas du tout, le logement affecte trop fortement notre pouvoir d’achat, nos entreprises sont à la peine, nos finances publiques sont affectées, l’équilibre de nos territoires est menacé.

Cette crise est le produit de dynamiques économiques, sociales, fiscales et territoriales. Nous devons agir sur tous ces sujets en même temps. C’est une urgence sociale et économique.

Parce qu’elle est multifactorielle, cette crise ne pourra être résolue par une seule loi ou par quelques apports au projet de loi de finances. Nous pouvons toutefois, à ce stade, saluer des propositions avancées lors de l’examen du budget à l’Assemblée nationale, comme l’augmentation des plafonds d’opération du prêt à taux zéro ou la volonté d’introduire un statut de bailleur privé.

Néanmoins, il nous faut une vision globale et une volonté politique, car la situation ne cesse d’empirer.

En Haute-Savoie, la production de logements neufs s’est effondrée. En 2024, à peine 1 500 logements ont été vendus, contre plus de 4 200 en 2019. Dans le même temps, la population augmente de plus de 1 % par an depuis 2014, ce qui représente près de 7 900 habitants supplémentaires chaque année.

Comment répondre aux besoins de nos habitants ?

Nous devons agir sur la demande en relançant l’accession à la propriété pour réduire la pression sur le marché locatif. Néanmoins, étant donné que l’État ne peut pas loger tous les Français et que tous les Français ne peuvent pas être logés dans le parc social, nous devons aussi agir sur l’offre. Je rappelle à mon tour que 25 % des Français sont locataires dans le parc locatif privé !

Nous devons multiplier les sources de logements, donc encourager l’investissement locatif, dans le neuf comme dans l’ancien.

Cet effort passe nécessairement par la fiscalité. Il faut améliorer la rentabilité de la location à usage de résidence principale. Rehaussons le taux d’abattement du régime micro-foncier pour la location nue, afin de rendre la location de longue durée plus attractive, sans pour autant resserrer la vis de la location meublée.

Il faut rééquilibrer la relation entre propriétaires et locataires. Le durcissement des mesures contre le squat et la délinquance, qui a été évoqué, est nécessaire dans les logements sociaux, mais également dans le parc privé : les propriétaires ont peur des impayés et des dégradations. Il faut restaurer la confiance pour redonner de la fluidité au marché.

Il convient de repenser l’aménagement du territoire, en incluant dans notre réflexion les mobilités, les activités économiques, les services publics et les transports. L’offre doit pouvoir se développer sur l’intégralité de nos territoires afin d’alléger la pression qui pèse sur les métropoles. Nos territoires sont riches et variés ; profitons-en !

Nous devons poursuivre dans la simplification. De fait, construire ou réhabiliter est devenu un parcours du combattant : l’accumulation des procédures et des contraintes paralyse l’action publique et nous empêche de répondre aux besoins de nos habitants.

C’est pourquoi nous attendons avec impatience que soit inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale la proposition de loi de notre collègue Amel Gacquerre visant à clarifier les obligations de rénovation énergétique des logements et à sécuriser leur application en copropriété. De même, nous attendons la promulgation de la loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement.

Alors que les conséquences de cette crise ont un impact négatif sur nos recettes publiques, entre contraction des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et perte de TVA pour l’État, la politique du logement coûte par ailleurs, chaque année, près de 40 milliards d’euros à nos finances. Nous devons mieux cibler les besoins.

La politique du logement doit être incitative pour les particuliers bailleurs, protectrice pour les plus fragiles et cohérente avec nos objectifs de transition écologique.

Notre débat d’aujourd’hui est utile, mais nous devons désormais passer à l’action. Monsieur le ministre, vous aviez parlé d’un plan d’urgence pour le logement. Nous l’attendons !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Monsieur le sénateur, vous avez raison : il va falloir que nous envoyions un électrochoc.

C’est d’ailleurs tout l’objet du rapport de votre collègue Marc-Philippe Daubresse et du député Mickaël Cosson, qui souhaitent que les investisseurs comprennent qu’il est de nouveau rentable d’investir dans la pierre. C’est un vrai enjeu compte tenu de l’urgence à laquelle nous devons faire face.

Il est bien évident que, si plan logement il y a, nous devrons le coconstruire ensemble. À cet égard, la crise politique que nous traversons, liée à l’absence de majorité, doit être vécue non pas comme une souffrance, mais presque comme une chance, puisque c’est l’occasion de se mettre autour de la table pour discuter et d’avoir un moment parlementaire inédit sous la Ve République.

Ce grand plan devra aller au-delà de la simple question de la fiscalité : il devra restaurer la confiance, comme nous l’avons dit tout à l’heure. Cette confiance passe par un élément très simple : pour qu’un propriétaire ait la garantie de percevoir un loyer, il faut que son logement soit occupé. Autrement dit, il faut accélérer un certain nombre de procédures en cas de squat – je répète que des progrès ont déjà été réalisés sur ce point grâce à la loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite, dite « loi Kasbarian » – et d’impayés, de façon à balayer les inquiétudes.

Il est vrai qu’aujourd’hui, quand bien même nous redonnerions un peu d’oxygène et de respiration fiscale à l’investissement dans la pierre, le risque subsiste que l’investisseur potentiel, en allumant sa télévision, voie des histoires de squats à répétition et se décourage face à ce risque. Notre rôle est de le rassurer et de faire en sorte que la confiance revienne.

Vous avez dit que le logement devait aussi, dans le cadre de la politique d’aménagement de notre territoire, être partout et pour tous. Cela tombe bien : c’est, à mes yeux, le « sous-texte » du plan logement. Nous devons repenser le logement, non seulement dans les zones tendues et les zones denses, mais bien sur l’ensemble du territoire.

C’est d’ailleurs pour cette raison que la question de la rénovation est elle aussi fondamentale : il est des parties de notre territoire national où construire du neuf, a fortiori en grande quantité, n’aurait pas de sens, mais où, en revanche, il existe déjà des maisons, des logements qu’il suffirait de rénover, de réhabiliter pour avancer.

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour la réplique.

M. Cyril Pellevat. Monsieur le ministre, je vous remercie des éléments clairs que vous avez apportés.

Il faut bien évidemment rétablir la confiance pour les personnes qui veulent investir, ainsi qu’une forme de stabilité. Nous en avons besoin.

Nous voyons, sur certains territoires, notamment sur des territoires dynamiques, comme celui de la Haute-Savoie, que des entreprises précédemment fortes commencent à couler parce que nous n’arrivons pas à produire des logements ; j’ai rappelé les chiffres.

Comme vous l’avez dit, il faut effectivement une coconstruction, avec une prise en compte des enjeux locaux.

Un département comme la Haute-Savoie, qui, je le répète, accueille, en moyenne, 7 900 nouveaux habitants par an – parfois 13 000 et parfois 5 000 –, a besoin de cette production et de cette confiance ! Nous devons nous aussi pouvoir aller de l’avant sur ce sujet.

Il faut également que nous prenions en compte les spécificités du diagnostic de performance énergétique (DPE) et de la rénovation dans les stations de montagne, qui est aussi un enjeu très important sur nos territoires.

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Berthet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Martine Berthet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est du logement des jeunes que je souhaite vous parler dans le cadre de ce débat. Ce sujet du logement vu à travers le prisme des 18 – voire 16 – à 30 ans a fait l’objet d’un rapport d’information récent, que j’ai eu l’honneur de rédiger avec mes deux collègues corapporteurs.

Apprentis, alternants, étudiants, jeunes ménages, primo-accédants, saisonniers : voilà une jeunesse qui travaille, mais qui ne peut plus se loger.

Les jeunes cumulent les obstacles : revenus modestes et instables, contrats courts, manque de garanties familiales, mais aussi concurrence sur le marché privé face à des ménages plus solvables et, tout simplement, grave pénurie de logements dans notre pays.

Les logements trop petits, les passoires énergétiques, les appartements surpeuplés à cause des colocations sont une réalité qui touche autant les grandes villes que les territoires ruraux, où l’offre adaptée est presque inexistante.

Or la politique du logement des jeunes est aujourd’hui centrée sur les étudiants, alors que les jeunes non étudiants sont majoritaires à partir de 21 ans. Si le plan estudiantin, lancé en janvier 2025, est nécessaire, ses mesures doivent absolument être élargies aux jeunes actifs et prolongées jusqu’en 2030.

C’est l’objet d’une partie de nos recommandations, qui prévoient aussi une programmation territorialisée et une plateforme nationale regroupant tous les logements sociaux et intermédiaires accessibles aux jeunes, au-delà du seul public étudiant.

En effet, il faut dépasser la segmentation artificielle entre étudiants et jeunes actifs et expérimenter des modèles mixtes incluant les saisonniers. La fragmentation des offres n’est plus tenable face à la réalité de la porosité des statuts des jeunes.

Pour les saisonniers, nous devons aller au-delà du bricolage et élaborer des solutions de logement ad hoc. Les résidences à vocation d’emploi, comme celles qui ont été adoptées par notre commission dès 2024, sont une bonne solution. Certains territoires commencent, en outre, à développer des résidences mixtes.

Enfin, nous recommandons de mieux mobiliser le parc social classique et d’accélérer la production de logements consacrés aux jeunes. Je pense notamment au développement de petites surfaces, à la reconversion de grands logements, à l’expérimentation de la cooptation encadrée des colocataires et à la récupération des charges via un forfait.

Nous proposons de renforcer la communication autour de la garantie Visale afin d’en améliorer l’acceptabilité auprès des bailleurs privés et publics.

Par ailleurs, les jeunes ont une forte aspiration à l’accès à la propriété, contrairement à ce que certains peuvent penser. Aussi, n’alimentons pas leur sentiment de déclassement ! Il faut s’inspirer de modèles mis en œuvre ailleurs, tout en gardant les avancées du projet de loi de finances pour 2025 et du prêt à taux zéro généralisé.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous redonner confiance, en l’aidant à se loger, à une génération – l’une des plus pessimistes d’Europe – qui doute de sa place dans notre société ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Madame la sénatrice, je vous remercie du rapport d’information que vous avez présenté à la commission des affaires économiques du Sénat le 15 octobre dernier. Il a permis de mettre en lumière les difficultés majeures que vous venez de rappeler en matière de logement des jeunes.

J’ai bien noté vos constats sur la situation économique et sociale particulièrement alarmante de la jeunesse et les deux moments clés de leur parcours résidentiel que vous avez très bien identifiés, à savoir le départ du domicile parental et l’accès à un logement autonome, d’abord en tant que locataire, puis en tant que propriétaire.

Permettez-moi de saluer le sérieux et la rigueur de vos travaux, qui vous ont notamment conduits à organiser dix-huit auditions et à entendre vingt-deux représentants d’administrations, d’associations, de bailleurs sociaux et d’élus locaux. Cette maille fine a été particulièrement utile, ces contributions offrant un panorama complet et très précieux pour orienter les politiques publiques.

Vous avez rappelé des éléments importants concernant les étudiants et les saisonniers, pour lesquels on voit bien la nécessité de disposer d’offres adaptées, voire sur mesure ; peut-être parlerons-nous des tiny houses, ou petites maisons. Quoi qu’il en soit, il faut probablement que nous innovions sur ces sujets.

Je le dis, vous m’avez aidé en mettant en lumière la segmentation artificielle des parcours entre jeunes actifs et non actifs, laquelle marque encore trop profondément la manière dont nous concevons nos politiques publiques.

Enfin, vous avez souligné la nécessité d’adapter nos dispositifs à la situation du terrain, ce qui rejoint des éléments que nous avons déjà évoqués ici. Il est probablement nécessaire de rapprocher les décisions concernant l’habitat et le logement des réalités locales, des élus locaux et des maires, qui connaissent très bien leur territoire, les besoins de leurs entreprises et de leurs étudiants, donc de faire preuve de plus d’innovation pour proposer des solutions plus adaptées.

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Berthet, pour la réplique.

Mme Martine Berthet. Merci, monsieur le ministre.

La précarité de notre jeunesse s’est aggravée rapidement, et le logement en est un facteur majeur.

Il ne faudrait pas que nous creusions encore davantage le fossé intergénérationnel.

Si vous le souhaitez, nous serions très heureux, mes collègues et moi-même, de vous présenter plus en détail le rapport que nous avons rédigé.

M. Vincent Jeanbrun, ministre. Avec plaisir !

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Buval. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Frédéric Buval. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France traverse une grave crise du logement. Cette crise touche tout le monde : ceux qui veulent construire, ceux qui cherchent à louer, ceux qui espèrent acheter et ceux qui attendent un logement social.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2024, à peine 300 000 logements ont été mis en chantier, contre plus de 400 000 voilà quelques années. Le logement social, lui, est saturé, avec plus de 2,8 millions de demandes en attente.

Cette crise est encore plus marquée dans les territoires ultramarins. Nous en avons parlé la semaine dernière, lors de l’examen du projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer : le logement est une part essentielle de cette cherté. Près de 600 000 personnes, soit trois habitants sur dix, vivent dans des conditions de mal-logement.

De plus, la production de logements locatifs sociaux a chuté de 29 % entre 2011 et 2021. Cette pénurie fait grimper les prix. En Guadeloupe, les loyers du parc social atteignent ainsi 6,10 euros par mètre carré, ce qui les classe parmi les plus élevés de France. Dans le privé, c’est encore pire : en Guyane, le loyer médian s’élève à 15 euros par mètre carré, comme dans certaines grandes villes métropolitaines. Ainsi, sachant que 80 % des demandeurs sont éligibles au logement très social, la majorité des familles n’ont pas les moyens de se loger décemment…

À cela s’ajoutent des freins structurels : le foncier difficile à mobiliser, l’indivision, le manque d’un cadastre à jour, la spéculation ou encore des terrains souvent restreints ou protégés. Les commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) bloquent également trop souvent les projets des élus locaux.

Le soutien à l’investissement devient, lui aussi, plus fragile. Par exemple, la baisse envisagée des aides fiscales à l’investissement productif dans le PLF 2026 pourrait freiner les opérations mixtes, pourtant essentielles à l’équilibre financier des bailleurs sociaux et à la mixité résidentielle.

De même, face aux défis démographiques du vieillissement en Martinique et en Guadeloupe, il devient urgent d’étendre le champ d’application du crédit d’impôt en faveur du logement social afin de permettre aux organismes HLM de bénéficier de l’avantage fiscal pour la création de logements destinés aux personnes âgées à faibles revenus dans ces territoires, soutenant ainsi la production d’Ehpad.

Enfin, si nous saluons l’expérimentation de logements locatifs très sociaux (LLTS) adaptés en Guyane et à Mayotte, l’action de l’Agence nationale de l’habitat (Anah) reste limitée. Elle ne concerne que les propriétaires bailleurs, alors que beaucoup de propriétaires occupants ont besoin d’aide pour rénover des logements dégradés.

Monsieur le ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour répondre à la crise du logement social ? Que pensez-vous des pistes du projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables déposé l’an dernier, en particulier de l’augmentation de la part de logements locatifs intermédiaires (LLI) gérés par les bailleurs sociaux et de la possibilité d’ajuster les loyers à la relocation ?

Êtes-vous favorable à l’élargissement du crédit d’impôt pour permettre aux organismes HLM de construire des logements pour les personnes âgées à faibles revenus dans les outre-mer ?

Enfin, comptez-vous renforcer la production de logements très sociaux en généralisant le dispositif LLTS adapté à tous les départements d’outre-mer et en permettant à l’Anah d’aider aussi les propriétaires occupants dans la lutte contre l’habitat indigne ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Madame la présidente, je vous prie de me permettre d’apporter une réponse un peu plus longue à M. Buval, dont la question est très dense.

Tout d’abord, monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur les mesures liées à la crise du logement social et les pistes avancées dans le cadre du projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables.

Je vous informe que nous avons quasiment atteint nos objectifs en matière de production de logements sociaux neufs sur l’ensemble du territoire en 2025 : en effet, d’ici à la fin de l’année, nous devrions dépasser le seuil des 105 000 logements sociaux neufs. De même, nous devrions dépasser largement l’objectif de rénovation de 120 000 à 130 000 logements sociaux, avec plus de 150 000 logements rénovés ; c’est une bonne nouvelle.

En ce qui concerne les solutions envisagées dans le projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables, qui n’a finalement pas pu être examiné en séance publique, je suis d’accord avec vous, il faut encourager la production de logements intermédiaires. C’est une partie intégrante de la solution.

Par ailleurs, il me paraît nécessaire de permettre aux bailleurs d’ajuster, de manière raisonnée, les loyers à la relocation. Cette mesure serait de nature à faciliter la rénovation. En revanche, il faut parvenir à un équilibre, afin que chaque bailleur propose une partie de son parc au loyer le plus accessible possible pour les ménages les plus pauvres. Sans cela, il est évident que les bailleurs ne joueraient pas leur rôle.

Ensuite, vous m’interrogez sur l’élargissement du crédit d’impôt pour permettre aux organismes HLM de construire des logements pour les personnes âgées à faibles revenus dans les outre-mer. Le sujet d’une offre de logement accessible pour ce public est, selon moi, un impératif. J’échangerai sur cette question avec ma collègue Naïma Moutchou, dont vous connaissez l’implication sur les sujets de cette nature.

Nous devons d’autant plus nous pencher sur cette question que le vieillissement de la population constitue un enjeu important, en particulier en Martinique et en Guadeloupe. Nous serons donc au rendez-vous. Je suis disposé à échanger plus longuement avec vous, monsieur le sénateur, pour réfléchir à des solutions. Actuellement, à cause de la ligne budgétaire unique (LBU), il n’est pas possible de bénéficier des aides complémentaires de l’Anah en outre-mer. Là aussi, nous devrons nous pencher sur le sujet.

Vous évoquez, enfin, la production de logements très sociaux et la généralisation du dispositif LLTS adapté à tous les départements d’outre-mer. Ce dispositif d’urgence mis en place en Guyane et à Mayotte doit contribuer à la résorption des bidonvilles. Un décret mettant fin à l’expérimentation et généralisant le dispositif sur le modèle du prêt locatif aidé d’intégration (PLAI) adapté à l’ensemble des départements et régions d’outre-mer (Drom) est en cours de discussion au niveau interministériel.

Les saisines obligatoires, puis le dépôt du texte au Conseil d’État…

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre. … auront lieu prochainement, en vue d’une application pour le début de l’année 2026.

Madame la présidente, je vous remercie pour votre tolérance.

Mme la présidente. Monsieur le ministre, je ne pourrai pas vous permettre de dépasser le temps de réponse pour chaque question.

La parole est à Mme Viviane Artigalas. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Antoinette Guhl applaudit également.)

Mme Viviane Artigalas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour répondre à la crise du logement, les sénatrices et sénateurs socialistes proposent de refonder cette politique, car l’urgence est bien de remettre la question du logement pour tous au cœur du débat public.

En effet, notre pays fait face à la pire crise du logement depuis 1945. Les chiffres l’attestent : 3 millions de ménages sont en attente d’un logement social et ce chiffre continue d’augmenter. Environ 125 000 recours au titre du droit au logement opposable (Dalo) ont été déposés en 2024, un record historique. Enfin, la production de logements sociaux a atteint son plus bas niveau depuis quinze ans : 85 000 logements ont été agréés en 2024, contre 125 000 en 2016.

Les choix qui ont été faits depuis 2017 ne sont pas étrangers à cet état de fait. Je ne citerai que les plus révélateurs : la réduction de loyer de solidarité, qui limite, depuis sa création, les capacités d’investissement des bailleurs sociaux ; le gel des aides personnalisées au logement (APL), qui touche directement les étudiants et les jeunes actifs ; ou encore l’incertitude budgétaire constante qui entoure le fonds national des aides à la pierre, entraînant l’abandon de nombreuses opérations.

En dépit de nos divergences politiques, nous pouvons nous entendre ici sur une vérité simple et évidente : le logement est un droit inaliénable.

Le logement, et surtout le logement social, ce n’est pas qu’un toit et ce n’est pas une charge ; c’est un investissement d’avenir, un levier de développement pour tout un écosystème économique et social. Il permet de créer des emplois et de soutenir l’économie locale et les filières du bâtiment dans nos territoires. De surcroît, l’immobilier a représenté 97 milliards d’euros de recettes pour l’État en 2022.

Il est évident qu’il faut préserver et soutenir tous les types de logement. À ce titre, la question du statut du bailleur privé est importante. Elle figure parmi les propositions du rapport de nos collègues Mickaël Cosson et Marc-Philippe Daubresse, qui suggèrent de permettre aux propriétaires bailleurs d’amortir dans la durée les biens neufs et anciens mis en location nue.

Ce régime fiscal pourrait permettre la mise en location d’environ 90 000 logements par an d’ici à 2030. Pour notre part, nous souhaitons que cet avantage fiscal soit soumis à conditions, afin de favoriser une offre aux loyers abordables.

Toutefois, nous croyons tout particulièrement aux vertus de notre modèle français de logement social. Il est une réponse aux inégalités et permet à des millions de nos concitoyens de se bâtir un avenir.

À ce propos, je dois citer les travaux de la mission d’information sénatoriale sur le logement des jeunes. Pour ces derniers, la première condition d’accès à l’indépendance est de disposer d’un logement autonome.

Les APL sont un levier essentiel à cette fin. Or, pour réaliser, au total, 4 milliards d’euros d’économies, l’État a mis en grande difficulté des millions de jeunes, qu’ils soient étudiants ou actifs. Certes, les APL représentent 19 milliards d’euros de dépenses pour l’État. Mais encore une fois, nous parlons d’investir dans notre jeunesse, donc dans l’avenir de notre pays.

Ainsi, nous souhaitons, entre autres, qu’une réflexion soit lancée pour favoriser l’accession des jeunes à la propriété, car nos dispositifs actuels les ciblent mal. Nous demandons à tout le moins la prorogation de la généralisation du PTZ dans le neuf au-delà de 2027, afin de pouvoir observer ses effets sur les jeunes primo-accédants.

Enfin, ce qui pénalise la construction aujourd’hui, c’est le coût du foncier et ce qui pénalise nos concitoyens, c’est le coût du loyer. Aussi, il nous paraît indispensable de fournir des outils aux élus locaux pour les aider à répondre aux besoins exprimés dans leur commune.

Nous avons défendu de multiples propositions en ce sens : je pense à l’aide aux maires bâtisseurs et à l’expérimentation d’un fonds de réhabilitation du bâti rural ou d’un dispositif de soutien à la réhabilitation du parc de logement social en zone peu dense.

Nous proposons aussi diverses mesures permettant de redonner aux élus locaux une marge de manœuvre fiscale et des réformes pour mieux lutter contre la spéculation foncière. Cela passe par une refonte du régime actuel des plus-values de cessions immobilières, qui favorise la détention longue, et du régime des plus-values de cession de terrains nus devenus constructibles.

Nous demandons aussi la pérennisation du dispositif d’encadrement des loyers, que nous avons réussi à étendre aux outre-mer grâce à la loi expérimentant l’encadrement des loyers et améliorant l’habitat dans les outre-mer qui avait été déposée au Sénat par notre collègue Audrey Bélim.

Enfin, parce que ce sont encore et toujours les plus modestes qui sont pénalisés, j’ai déposé, au nom de mon groupe, une proposition de loi visant à créer une tarification spéciale de l’électricité en faveur des ménages modestes et à interdire les coupures d’électricité toute l’année, qui vise en particulier les locataires HLM.

Monsieur le ministre, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne manque pas de propositions pour répondre à la crise du logement. J’espère que vous les entendrez.

Quelles mesures de relance de la construction de logements, notamment sociaux, envisagez-vous ?

Quel dispositif de lutte contre la cherté et la rareté du foncier et contre les loyers élevés comptez-vous mettre en œuvre ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Antoinette Guhl applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Je vous remercie, madame la sénatrice, de votre esprit constructif et de vos propositions.

Vous avez parfaitement raison : notre politique doit avoir pour objectif le logement pour tous et englober un parcours résidentiel allant de l’hébergement d’urgence jusqu’à la pleine propriété.

Vous avez raison également de dire que le logement, notamment social, est un droit inaliénable. Je l’ai dit ici lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement : sans le logement social dans lequel mon petit frère et moi-même avons grandi, nous n’aurions pas eu le même parcours et je ne serais pas devant vous aujourd’hui. Soyez donc certaine de mon attachement à la question du logement, y compris social.

Vous l’avez dit, nous devons placer le bailleur privé au cœur de nos politiques. Vous avez souligné qu’il serait utile de plafonner les loyers. Cette mesure fait partie des propositions du rapport de Marc-Philippe Daubresse et Mickaël Cosson, qui suggèrent la mise en place de bonus, d’aides et de défiscalisation complémentaire si les loyers sont encadrés.

En tout état de cause, pour ce qui concerne la méthode, c’est vous, dans cet hémicycle, qui ajusterez ces mesures. Pour ma part, je trouve la proposition de Marc-Philippe Daubresse pertinente ; elle permet de répondre, si ce n’est totalement, du moins en partie, à votre attente.

Je manque de temps pour vous exposer plus largement mon ambition pour lutter contre le niveau des loyers et le prix du foncier, mais ces éléments seront au cœur du plan pour le logement, car ils sont essentiels : si le foncier coûte trop cher, in fine, tout est trop cher. Or, lorsque les Français n’arrivent plus à se loger ou que le logement représente une charge financière inacceptable pour les ménages, il ne peut en découler qu’un appauvrissement des familles françaises, que, pour ma part, je ne saurais accepter.

Je vous remercie de votre esprit particulièrement constructif et j’espère vous retrouver prochainement pour poursuivre ce débat.

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.

Mme Viviane Artigalas. Je veux insister sur la nécessité de construire des logements. C’est une politique d’importance pour l’ensemble de la filière économique, créatrice d’emplois et qui rapporte également à l’État. Le rattrapage que nous attendons depuis 2018 doit enfin avoir lieu !

À cet égard, votre ministère a réalisé une étude très intéressante sur les besoins en construction de logements. Nous disposons donc désormais de la base que nous demandions depuis longtemps pour identifier les besoins.

Cette étude a pris pour échelle les bassins d’emploi au sein des territoires. J’ai participé à une table ronde avec la Fédération française du bâtiment (FFB) sur le sujet : il me semble que nous devons tous nous appuyer sur le travail réalisé par votre ministère pour démontrer les besoins en la matière.

Cette étude distingue besoins de logements et de construction. Et dans certains territoires, les chiffres sont les mêmes.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le logement n’est pas un bien comme les autres. Il est même un droit constitutionnel, en vertu des dixième et onzième alinéas du préambule de la Constitution de 1946, selon lesquels la « Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » et « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».

J’ai peur de devoir vous le dire, mais, aujourd’hui, la Nation ne tient pas cet engagement. Monsieur le ministre, nous sommes issus du même département : on y compte à ce jour 110 000 demandeurs de logement.

La Nation facilite même les expulsions, depuis la loi Kasbarian. L’ancien ministre dont elle tient son nom vient de revendiquer le triste record du nombre de familles mises à la rue ! Monsieur le ministre, j’espère que vous n’avez pas l’intention de battre ce record inhumain. Les expulsions ont bondi de 29 % en un an, de 223 % en vingt ans !

Pourtant, à vous entendre, ce que vous tentez d’assurer, c’est la rentabilité des investisseurs. Sous couvert de créer un statut du bailleur privé, vous vous apprêtez à soutenir encore la concentration du patrimoine, alors que 3 % des propriétaires possèdent déjà 50 % du parc privé locatif.

Ce modèle du soutien aux investisseurs est inefficace. Les chiffres sont désastreux et ne font qu’empirer : 12 millions de Français sont fragilisés par la crise du logement, 5 millions de personnes vivent dans des passoires énergétiques et 2,8 millions de demandes de logement social sont en attente. Ces chiffres, vous les connaissez, monsieur le ministre. (M. le ministre opine du chef.) Sans intervention publique, il n’y aura pas de solution. Et pourtant, ce n’est pas le choix que vous faites.

Vous soutenez le rétablissement de la ponction de 200 millions d’euros sur les finances des bailleurs sociaux, alors même que votre prédécesseure avait promis le gel de la RLS, laquelle repart finalement à la hausse dans le projet de budget du Gouvernement. Dont acte !

Vous ne voulez pas lancer la construction nécessaire de 200 000 logements ? Alors, attaquez-vous au moins aux causes ! Citons, parmi celles-ci, les insuffisances du marché du logement et les travers du secteur privé, qui, d’un côté, permet une spéculation à l’origine d’une explosion des prix du foncier et des constructions, et, de l’autre, laisse les loyers atteindre des niveaux de plus en plus inaccessibles par souci de rentabilité !

Tous ceux qui font le procès du logement social commettent une grave erreur, tant sociale que politique.

Prenons la région qui m’est la plus chère, l’Île-de-France : il n’est pas vrai que les plus pauvres soient logés dans le parc social. La réalité, c’est que les plus pauvres vivent dans un parc privé, en partie insalubre, inadapté, et que beaucoup d’entre eux sont exploités par des marchands de sommeil. La réalité, c’est que la crise du logement vient bien du parc privé.

Permettez-moi d’expliquer pourquoi.

Les prix du foncier ont été multipliés par quatre depuis 2000 dans la région Île-de-France. Le prix des logements est 72 % plus élevé qu’en 2000, alors que le revenu disponible par ménage n’a progressé que de 4 %. En vingt-cinq ans, les loyers ont presque doublé dans l’agglomération parisienne.

La situation n’est pas toujours meilleure pour ceux qui sont propriétaires de leur logement, puisque 115 000 copropriétés sont dégradées. Les constructeurs comme les particuliers ont de plus en plus de mal à vendre, à cause de coûts exorbitants, notamment en matière de foncier.

Tout cela est un cercle vicieux : en achetant des logements plus chers, les propriétaires souhaitent ensuite les mettre en location et en répercutent le coût sur les loyers, qui, à force d’augmenter, deviennent inaccessibles.

L’encadrement des loyers a fait ses preuves. Actons sa pérennisation, alors que la fin de son expérimentation est prévue pour novembre 2026.

Monsieur le ministre, entendez-vous encourager la pérennisation de l’encadrement des loyers ?

Comptez-vous également mettre en œuvre un encadrement des prix du foncier, qui, lui aussi, fait ses preuves là où des villes s’en saisissent, notamment au travers de chartes des promoteurs ?

Enfin, allez-vous agir sur le parc privé, dont le dérèglement est à l’origine de la crise du logement ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Pascal Savoldelli, j’ai effectivement le plaisir de vous croiser régulièrement dans ce beau département qu’est le Val-de-Marne.

Même si nous ne sommes pas toujours d’accord, il nous arrive de nous rejoindre sur l’essentiel. C’est notamment le cas lorsque vous rappelez le rôle fondamental du logement dans notre Constitution. Le logement est en effet un droit inaliénable et opposable ; et c’est une chance.

Je le répète : je suis un enfant du parc HLM et, pendant mes dix années de mandat de maire, ma principale préoccupation a été de créer un véritable parcours résidentiel dans ma commune, ce qui impliquait évidemment le soutien à la construction et au logement social.

Je regrette cependant que vous rejetiez le statut du bailleur privé, comme s’il fallait opposer propriétaires et locataires.

Comme l’indiquent Marc-Philippe Daubresse et son coauteur dans leur rapport, l’objectif n’est pas de permettre à de très riches investisseurs d’acquérir des dizaines de logements pour en tirer le maximum de profit. Au contraire, ce statut vise à inciter des familles plus modestes, qui ont un petit bas de laine, à arbitrer en faveur d’un investissement, qui soit rentable, dans la pierre plutôt que dans l’épargne en banque, de manière à loger un maximum de familles.

En effet, un quart des foyers français sont logés dans des biens qui appartiennent à de petits investisseurs. Dans le rapport, il était suggéré de plafonner le nombre de logements concernés par une défiscalisation. Selon moi, cela garantirait que la mesure s’adresse bien aux investisseurs familiaux de petite taille.

Vous avez évoqué les copropriétés dégradées. C’est un enjeu auquel nous devons nous attaquer. Ce sera probablement l’un des sujets clés de la mission de préfiguration qui a été lancée sur la troisième phase de rénovation urbaine, dite Anru 3.

Mme la présidente. Monsieur le ministre, il faut conclure.

M. Vincent Jeanbrun, ministre. Enfin, j’aborde sans dogmatisme dans le débat sur l’encadrement des loyers.

Mme la présidente. Monsieur le ministre, je suis désolée, vous ne pouvez pas dépasser votre temps de parole sur chaque question.

La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la réplique.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le ministre, tâchons d’interpréter fidèlement vos propos ; si je comprends bien, vous êtes disposé à pérenniser l’encadrement des loyers ; est-ce bien cela ? Vous devez me répondre les yeux dans les yeux, c’est oui ou non !

M. Vincent Jeanbrun, ministre. Madame la présidente, ai-je le droit de répondre ?

M. Pascal Savoldelli. C’est une mesure attendue.

Par ailleurs, je vous ai posé trois autres questions auxquelles, même si votre temps de parole est limité, vous n’avez pas répondu.

Tout d’abord, j’espérais vous entendre dire que vous ne teniez pas à entrer en compétition avec l’un de vos prédécesseurs, qui revendique le record du nombre d’expulsions en France. Vous ne m’avez pas répondu, c’est votre choix.

Ensuite, je vous ai interrogé sur l’encadrement des prix du foncier, qui a été expérimenté par certaines communes, et pas que des communes de gauche ; là encore, pas de réponse.

Enfin, je vous ai demandé si vous alliez agir sur le parc privé, au regard de la démonstration que je venais de vous faire : pas de réponse non plus.

Vous l’avez dit vous-même, à juste titre, le logement est une bombe sociale, mais, au regard de votre action depuis votre prise de fonctions, il me semble que vous allumez la mèche… (Applaudissements sur quelques travées du groupe CRCE-K et sur les travées du groupe GEST.)

M. Marc-Philippe Daubresse. Toujours dans la nuance !

Mme la présidente. La parole est à Mme Antoinette Guhl. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Antoinette Guhl. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise du logement est une violence quotidienne. Elle frappe les ménages modestes, les classes moyennes, les jeunes, les familles monoparentales, les travailleurs pauvres, les retraités. Elle enferme, elle empêche, elle fracture.

Pendant que les besoins explosent, la production de logements sociaux diminue, la rénovation énergétique ralentit ; mais les prix, eux, s’envolent.

Face à cela, la politique du Gouvernement est – comment le dire poliment et sans colère ? – insuffisante ? indifférente ? Non, je la qualifierai d’absente !

Depuis 2017, la Macronie, souvent soutenue par la droite républicaine, a cassé les bailleurs sociaux, a changé de politique sur la rénovation thermique aussi souvent que de gouvernement et a laissé s’installer une spéculation débridée favorisant une fois de plus les plus riches au détriment des plus pauvres !

M. Daniel Salmon. Tout à fait !

Mme Antoinette Guhl. Alors, à la question posée aujourd’hui – « Quelles réponses apporter à la crise du logement ? » – le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires répond clairement : tout d’abord, il faut remettre le logement social au cœur de l’action publique, c’est une urgence ; ensuite, il faut sortir de la spirale spéculative ; en outre, il faut garantir un réel droit au logement ; enfin, il nous faut prendre soin plus particulièrement de notre jeunesse et de notre planète.

Premièrement, disais-je, nous devons faire du logement social notre priorité. La réduction de loyer de solidarité doit cesser au plus vite, car, en privant les bailleurs sociaux de plus de 1 milliard d’euros par an, ce sont les plus pauvres que vous blessez. À ce titre, le budget 2026 s’annonce encore une fois catastrophique. Vous êtes en train d’assécher les bailleurs sociaux et, ce faisant, c’est toute la chaîne du logement qui s’effondre. Vous qui êtes les rois de l’économie, vous plantez tout un secteur économique, celui du bâtiment.

Deuxièmement, il faut sortir de la spirale spéculative. Au travers des niches fiscales et des locations touristiques, vous détournez les moyens publics : 11 milliards d’euros en douze ans pour trois niches fiscales – le dispositif Censi-Bouvard, les sociétés d’investissements immobiliers cotées (Siic) et les locations meublées non professionnelles (LMNP) –, dont vous faites cadeau aux plus riches alors qu’une telle somme aurait permis de construire au moins 70 000 logements sociaux ! Nous proposons de supprimer ces niches fiscales qui profitent aux 4 % de Français qui détiennent à eux seuls 50 % du parc locatif privé et de basculer les revenus des meublés touristiques vers le régime foncier, de plafonner la location touristique aux seuls propriétaires occupants et de rendre l’encadrement des loyers obligatoire dans toutes les zones tendues.

Troisièmement, il y a urgence à garantir un droit réel au logement. Cela passe, y compris dans les outre-mer, par l’interdiction des expulsions sans relogement, mais aussi par la mise en place d’une véritable garantie universelle des loyers sécurisant locataires et propriétaires, et par un permis de louer renforcé pour lutter contre l’habitat indigne.

Tout cela doit être fait en prêtant une attention particulière à notre jeunesse, comme l’ont rappelé Mmes Berthet et Artigalas. En effet, 70 % des moins de 25 ans logés hors du foyer parental se logent dans le parc privé ; or celui-ci coûte très cher, quand il n’est pas inaccessible dans certaines villes, d’autant que les petites surfaces coûtent encore plus cher au mètre carré. Le logement représente 60 % du budget des jeunes. Et je ne m’étendrai pas sur les offres de co-living à 900 euros par mois pour une chambre de 12 mètres carrés, défiant toute réglementation. Résultat : la jeunesse galère et se retrouve plus précarisée que jamais. Loger la jeunesse, c’est garantir l’avenir du pays. Monsieur le ministre, vous avez été nommé ; maintenant, nous comptons sur vous pour vous atteler à cette question.

Enfin, nous devons réussir la transition écologique. La rénovation énergétique des bâtiments doit être massive, complète et lisible. Nous refusons tout recul sur l’interdiction progressive des passoires thermiques.

Mes chers collègues du groupe Les Républicains, vous nous interrogez sur les réponses que nous voulons apporter à la crise du logement ; je crois vous avoir répondu. Permettez-moi, à présent, de vous présenter celles dont nous ne voulons pas : nous ne voulons pas de rupture avec une conception républicaine du logement ; nous ne voulons pas faire du logement une récompense méritocratique réservée à quelques-uns ; nous ne voulons ni de recul sur le droit ni de marché sans règle ; nous ne voulons pas de jeunesse abandonnée ; et nous ne voulons pas de territoire oublié.

La crise du logement est une bombe sociale, réagissons vite ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Alexandre Basquin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Madame la sénatrice Guhl, j’ai bien entendu vos alertes sur la politique du logement. Sachez que le Gouvernement agit et continuera de le faire de manière déterminée et concrète. En effet, nous partageons votre souci de loger nos concitoyens, particulièrement les jeunes et les publics les plus vulnérables, cela va de soi.

Votre question est pour moi l’occasion de répondre à celle de Pascal Savoldelli sur l’encadrement des loyers. Comme je commençais de le dire, il faut aborder ce sujet sans dogmatisme et laisser le débat se tenir, y compris entre élus locaux.

Cette question a fait l’objet d’évolutions qui dépassent maintenant les clivages politiques classiques. Pour ma part, je suis un défenseur de la liberté, notamment celle, si chère au Sénat, des élus locaux à déterminer leur politique. Cependant, il n’est pas question non plus de faire preuve de dogmatisme sur ce point.

Enfin, je suis particulièrement soucieux de lutter farouchement contre les passoires thermiques. C’est un enjeu tant pour le pouvoir d’achat et le bien-vivre des familles, que pour la transition écologique. Je vous remercie donc de mener ce combat.

Mme la présidente. La parole est à Mme Antoinette Guhl, pour la réplique.

Mme Antoinette Guhl. J’entends votre réponse, monsieur le ministre, mais les chiffres figurant dans le projet de budget pour 2026 parlent d’eux-mêmes, à votre place : vous diminuez de 587 millions d’euros les APL ; vous réduisez la prévention de l’exclusion en privant les associations des moyens d’agir pour assurer l’accompagnement social ; vous laissez s’effondrer le secteur de la rénovation énergétique. Enfin, les crédits consacrés au logement social sont clairement insuffisants. Pour l’instant, vos paroles ne sont absolument pas suivies d’actes !

Nous attendons, sur ce sujet si important dans la vie quotidienne des Français, des actes concrétisant les belles paroles que vous venez de prononcer.

Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Jouve. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)

Mme Mireille Jouve. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le savons, le répétons et le déplorons, le logement représente le premier poste de dépense des Français. Cette charge pèse aujourd’hui lourdement sur le pouvoir d’achat des ménages. Chacun peut en mesurer les effets délétères.

Cette crise, qui ne concerne pas le seul parc social, n’est pas spécifique à une région ou à quelques villes ; elle affecte tous les territoires, urbains ou semi-ruraux.

En 2024, dans les Bouches-du-Rhône, 94 % des 150 000 demandes de logement social étaient sur liste d’attente. Près d’un logement sur dix – 9 % – du parc privé est potentiellement indigne, Marseille concentrant à elle seule près de 40 000 logements dégradés, parfois insalubres, voire dangereux ; dois-je rappeler le drame de la rue d’Aubagne ? Mais ne pensez surtout pas que ces constats se limitent aux Bouches-du-Rhône !

En outre, du fait de la flambée du prix du foncier, l’accès à la propriété dans notre pays est devenu difficile pour les jeunes générations. En 1975, il fallait en moyenne dix années de remboursement pour acquérir un logement ; aujourd’hui, il en faut vingt-trois. Cette situation nourrit un sentiment de déclassement et d’injustice, qui fragilise notre pacte social.

Souvent, dans les débats censés permettre de prendre la mesure de cette crise du logement, certains privilégient une approche technique. C’est une erreur.

Je pense à l’application de l’article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, en vertu duquel le parc de résidences principales doit compter au moins 25 % de logements locatifs sociaux. Si, pour certaines communes, aucune difficulté n’est à relever, tel n’est pas le cas dans les Bouches-du-Rhône, où la rareté et le coût du foncier disponible, ainsi que les contraintes environnementales, la saturation des infrastructures ou encore les refus d’octroi de permis de construire pour des raisons indépendantes de la volonté des municipalités sont sanctionnés par des pénalités qui peuvent atteindre 1,3 million d’euros.

C’est une manière bien commode de se donner bonne conscience, en oubliant que la question du logement est d’abord politique. En effet, derrière cette pénurie de l’offre de logement, parallèle à une panne de la construction, s’additionnent et se chevauchent des politiques publiques éclatées, des dispositifs partiels, des réformes proposées à la va-vite et, enfin, le fameux – autant que funeste – « zéro artificialisation nette ».

Ces injonctions contradictoires incitent certains propriétaires à laisser leur logement vacant. Tout cela a donné naissance à un véritable « maquis », alors que l’État s’est peu à peu désengagé de son rôle de pilote.

Le logement exige une vision d’ensemble, une stratégie cohérente. C’est ce qu’attendent les élus de terrain et les habitants, qui ne comprennent pas comment, dans un pays comme le nôtre, on peut encore manquer de toits.

Les dernières lois de finances ont parfois donné le sentiment d’un État hésitant, qui réduit une année, avant de rétablir partiellement l’année suivante, les crédits du fonds national des aides à la pierre et de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru).

En 2024, la ministre Valérie Létard avait annoncé un nouvel engagement de 116 millions d’euros pour 2026. Il ne faudrait pas que cela se réduise à un effet d’annonce ! Peut-on espérer, monsieur Jeanbrun, que cette enveloppe soit moins éphémère que les gouvernements qui se succèdent depuis quelques mois ?

Enfin, la décision de geler les APL en 2026 soulève de fortes interrogations. Cette mesure, destinée à réaliser 108 millions d’euros d’économies, touchera nécessairement – nous le savons – les plus fragiles. Une véritable politique du logement ne saurait se contenter de ces expédients.

Ma question est simple : dans ce contexte d’incertitude et d’instabilité, comment les acteurs du logement peuvent-ils continuer à remplir leur mission ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Je vous remercie, madame la sénatrice Jouve, de votre intervention, qui me donne l’occasion de dire que je partage votre souci de lutter contre l’habitat indigne, lequel se trouve essentiellement – vous avez eu raison de le rappeler – dans le parc privé.

Vous le savez, le locataire de ce type de logement dispose actuellement d’un recours pour faire geler les APL que perçoit son propriétaire, mais le délai de mise en œuvre de cette procédure est bien trop long ; en le réduisant, nous pourrions collectivement lutter contre l’habitat indigne.

Vous avez évoqué la complexité de notre système, qui ne facilite pas, c’est vrai, la production de logements. Sur ce point, nous avons réussi, avec l’Assemblée nationale et le Sénat, à faire progresser la proposition de loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement, présentée par le député Harold Huwart et actuellement en cours d’examen, qui permettra de mettre en place plusieurs outils très puissants et représentera une grande avancée. Elle devrait – je l’espère – entrer en application dès la fin de ce mois de novembre.

Pour le reste, vous pouvez compter sur ma volonté d’agir concrètement sur ces différents sujets. Je me tiens à votre disposition pour examiner ces questions avec vous.

Vous connaissez la philosophie de cette équipe gouvernementale – et ce rappel vaut pour chacune de vos interventions de ce jour, mesdames, messieurs les sénateurs – : le Gouvernement propose, nous en débattons collectivement et, à la fin, vous tranchez.

Je ne doute donc pas que la question des APL et de leur gel sera débattue dans cet hémicycle, et je fais confiance à la Haute Assemblée, dont la sagesse est connue, pour trouver les meilleurs scénarios et les meilleurs équilibres budgétaires.

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bleunven.

M. Yves Bleunven. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer la clarté des propos de ma collègue Amel Gacquerre sur la rénovation énergétique et le logement social. Je veux aussi remercier Martine Berthet et Viviane Artigalas, qui ont réalisé, avec moi, le rapport d’information intitulé Programmer, adapter, innover : 25 clés pour le logement des jeunes.

Nous ne pouvons aujourd’hui que constater le grave déséquilibre existant entre l’offre et la demande en matière de logement, notamment chez les jeunes actifs. Je souhaite, pour ma part, insister sur deux leviers complémentaires : d’une part, l’offre de logements et, d’autre part, la régulation des coûts de construction. La crise du logement se réglera non pas uniquement via les aides ou la réglementation, mais aussi – et peut-être d’abord – par la capacité à construire davantage, plus vite et à un prix convenable.

Le parcours résidentiel n’est plus aussi binaire qu’auparavant ; il faudra donc inventer les fameux maillons manquants. À cette fin, l’innovation doit être au cœur des enjeux pour introduire plus de souplesse et d’agilité, en multipliant l’offre de logements, afin qu’elle corresponde aux réalités de vie. Nous devons encourager toutes les formes d’habitat innovantes, qu’elles soient modulables, réversibles ou adaptées à l’évolution des besoins.

Tout cela, les élus locaux le savent. C’est pourquoi je plaide pour davantage de confiance envers les collectivités territoriales et pour un droit à l’expérimentation en matière d’urbanisme et de logement. Ces collectivités connaissent leurs besoins, leurs contraintes foncières, leurs équilibres économiques. Nous avons absolument besoin d’une application décentralisée de la politique du logement !

Un autre problème réside dans le coût de la construction, souvent rédhibitoire. Le constat est simple : ces vingt dernières années, le coût du logement a plus que doublé par rapport au revenu disponible. Dès lors, comment pouvons-nous agir ?

Tout d’abord, nous pouvons agir sur le prix du foncier, qui explose véritablement dans certaines zones. Nous devons mieux mobiliser le foncier public, encourager les opérations de requalification urbaine et lutter contre la spéculation. À défaut, nous continuerons à empiler des dispositifs d’aide sans jamais nous attaquer à la racine du mal.

Ensuite, en ce qui concerne l’accumulation des règles, les opérateurs subissent une avalanche de normes, lesquelles sont parfois contradictoires entre elles et souvent trop complexes. Je ne dis pas qu’il faut renoncer à la qualité ou à la performance énergétique – bien au contraire –, mais il faut savoir distinguer la norme utile de la norme inutile, celle qui protège du risque de celle qui alourdit sans raison.

Enfin, je crois qu’il est aujourd’hui nécessaire d’ouvrir un débat sur la transparence des coûts de la chaîne de valeur de la construction. L’indice des coûts des matériaux (ICM) a explosé au moment de la guerre en Ukraine et de la flambée des prix de l’énergie. Aujourd’hui, force est de constater que cet indice n’a que faiblement baissé, ce qui est totalement anormal. La concentration des opérateurs dans une forme oligopolistique peut sans doute expliquer cette situation ; nous en reparlerons sans doute prochainement au sein de la commission des affaires économiques.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, si nous voulons véritablement faire bouger les choses face à cette crise devenue presque ordinaire, malgré son urgence, écoutons ce que les maires ont à nous dire, poussons les collectivités à l’innovation et libérons les coûts de construction ! (Mme Amel Gacquerre applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Monsieur le sénateur, vous m’interpellez sur deux sujets essentiels : le logement des jeunes et la crise du secteur de la construction.

Tout d’abord, je tiens à saluer une nouvelle fois les travaux que vous avez menés, avec Mmes les sénatrices Viviane Artigalas et Martine Berthet, sur le logement des jeunes. Votre rapport met en lumière la situation préoccupante de nombreux jeunes, qui rencontrent des difficultés croissantes pour se loger – il faut le dire et le répéter, car la situation est très grave ! –, quitter le domicile parental et donc devenir autonomes.

Le Gouvernement tout entier partage votre volonté d’agir pour que les jeunes bénéficient d’un véritable parcours résidentiel. Nous croyons, comme vous, en la liberté d’action des collectivités territoriales, auxquelles nous devons donner les moyens d’adapter leurs réponses aux réalités locales. En effet, un étudiant à Rennes ne fait pas face aux mêmes problématiques qu’un jeune actif vivant à Lorient ou à Vannes, par exemple.

J’en viens à un sujet que nous avons à peine abordé ensemble, et que j’ai hâte d’approfondir avec vous. Je soutiens pleinement l’expérimentation de nouvelles formes d’habitat, telles que les petites maisons, ou tiny houses, que vous avez vous-même lancée dans votre territoire ; il me tarde d’en voir les résultats sur place !

De manière générale, nous devons nous autoriser à tester des formes nouvelles d’habitat, qui peuvent être adaptées à certaines problématiques, qu’il s’agisse des petites maisons, des résidences modulaires ou des habitats légers, à condition qu’elles s’intègrent dans le paysage et dans une stratégie d’aménagement local, avec le soutien des municipalités, et selon une logique durable et encadrée.

Vous m’avez alerté, ensuite, sur les coûts de construction. Le temps de parole qui m’est imparti étant révolu, je propose que nous en reparlions au sein de la commission des affaires économiques, car il s’agit d’un sujet majeur. Je pense, comme vous, qu’il serait bon que certains indices redescendent.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Drexler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sabine Drexler. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France traverse une crise du logement inédite par son ampleur. Dans ce contexte, le bâti patrimonial ancien, celui d’avant 1948, constitue un gisement majeur, malheureusement sous-exploité.

Ce parc, largement présent dans nos centres-bourgs et nos villages, représente en effet plusieurs millions de logements actuellement vacants ou sous-occupés. Pourtant, tout dans notre cadre réglementaire tend à le fragiliser : des DPE inadaptés, qui le pénalisent injustement ; des normes techniques qui rendent sa réhabilitation complexe et coûteuse, quand elles ne l’empêchent pas totalement ; des établissements bancaires qui refusent de financer les travaux de rénovation sous prétexte que le classement du DPE serait mauvais, alors que l’évaluation du bâti vernaculaire est – on le sait – inadaptée ; enfin, la mise en œuvre du « zéro artificialisation nette », qui pourrait être une vraie chance pour le bâti patrimonial, mais qui s’accompagne paradoxalement d’une course au foncier constructible – par conséquent, au lieu d’encourager la réutilisation du bâti existant, il pousse à sa démolition…

Cette situation est incohérente. Alors que nous avons un patrimoine bâti ancien permettant de contribuer directement à la production de logements, à la sobriété foncière et à la réduction de l’empreinte carbone du secteur, nous encourageons sa disparition.

Pourtant, réhabiliter ce patrimoine pourrait être un fantastique défi pour nos architectes, qui n’attendent que cela pour débrider leur créativité. Valoriser l’existant plutôt que de construire du neuf et concilier le respect de l’histoire, la préservation des savoir-faire traditionnels avec les usages contemporains de confort, de durabilité et d’innovation leur permettrait de contribuer, à leur niveau, à l’attractivité économique et touristique de nos territoires.

En effet – faut-il le rappeler ? –, le patrimoine bâti contribue directement à l’image de la France. En 2024, ce sont 17 millions de visiteurs qui ont séjourné chez moi, en Alsace, attirés par nos maisons colorées et chaleureuses. Ils y ont laissé 2 milliards d’euros… Alors, je vous le demande, monsieur le ministre, notre pays peut-il se permettre de renoncer à cette manne financière en faisant disparaître l’élément majeur de son attractivité touristique ?

À un moment donné, il faut cesser de se tirer une balle dans le pied en renonçant à nos atouts ! Nos voisins suisses, autrichiens et allemands l’ont bien compris, et ils sont perplexes face à nos règles d’urbanisme qu’ils jugent absurdes, car elles conduisent au saccage patrimonial de notre pays.

La crise du logement peut être, aussi, une véritable opportunité pour la France, mais pour cela il faut très vite revoir ces DPE qui ont fait tellement de dégâts sur le bâti ancien depuis leur mise en œuvre, faciliter l’accès au financement des rénovations adaptées – elles existent ! – et adapter les normes techniques à la réalité de ces constructions.

Monsieur le ministre, nous comptons sur vous !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Vous l’avez dit, madame la sénatrice Drexler, le patrimoine architectural de nos villes et de nos villages est un atout extraordinaire sur l’ensemble du territoire. Il est évidemment fondamental de le préserver, afin qu’il permette d’accueillir les Français, par exemple lorsqu’ils font du tourisme, et les visiteurs étrangers.

Une question se pose à cet égard, que vous avez fort bien soulignée dans votre mission d’information flash sur le patrimoine et la transition écologique, et nous devons faire face à ce défi. Même si je n’ai pas de réponse à vous donner aujourd’hui, je retiens avec beaucoup d’intérêt le point que vous soulevez. Il est urgent que nous puissions en reparler prochainement, afin de poser un diagnostic adapté à ce patrimoine ancien et hautement touristique.

Je me tiens à votre disposition pour y travailler avec vous. Et j’ai hâte de faire du tourisme dans votre belle région ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Drexler, pour la réplique.

Mme Sabine Drexler. Je me tiens également à votre disposition, monsieur le ministre, pour travailler sur ce sujet.

Mme la présidente. La parole est à M. Lucien Stanzione. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Lucien Stanzione. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà un beau sujet : « Quelles réponses apporter à la crise du logement ? » Une question si souvent posée qu’elle en devient presque une tradition républicaine. Et pourtant… Les réponses existent depuis longtemps. Ce ne sont pas les idées qui font défaut ; c’est plutôt – dirons-nous avec indulgence – l’envie de les entendre qui manque.

Chaque automne, le Gouvernement redécouvre la crise du logement. Il s’en émeut, la commente, promet d’y répondre. Puis l’hiver arrive, et les réponses se perdent avec les feuilles mortes. C’est un cycle aussi régulier que les saisons !

Dans le département dont je suis élu, le Vaucluse, la crise n’a rien d’un concept économique : elle se voit et se vit. Les familles attendent pendant des années un logement social, les maires s’épuisent à relancer des projets qui n’aboutissent pas et les villages se vident à mesure que les promesses se remplissent.

En Provence-Alpes-Côte d’Azur, plus de 10 000 nouvelles demandes ont été émises en six mois, ce qui représente une hausse de 5 % au premier semestre 2025. On appelle cela la « tension du marché » mais, sur le terrain, cela s’appelle une détresse.

Ancien dirigeant d’un organisme bailleur social pendant plusieurs années, j’ai connu les contraintes budgétaires, les chantiers que l’on repousse, les opérations que l’on sauve de justesse ou qui n’aboutissent pas, et je sais ce que représente, pour un territoire, un logement qui ne sort pas de terre.

Or que trouve-t-on dans le projet de loi de finances pour 2026 ? Moins d’autorisations d’engagement, moins d’APL, moins de MaPrimeRénov’, mais davantage de RLS, en hausse de 1,3 milliard d’euros. Quant aux aides à la pierre, l’État s’en désengage : la charge est reportée sur les bailleurs sociaux à hauteur de 375 millions d’euros.

On prétend rationaliser, mais c’est une étrange rationalité que de vouloir construire davantage en retirant les briques. Le résultat est connu : les organismes HLM sont étranglés, les chantiers à l’arrêt, les communes rurales privées de levier d’action.

Dans certains départements, un seul bailleur concentre tout le parc locatif social. Les décisions tombent de Paris, les projets s’enlisent, la cohésion s’effrite, peu de choses avancent. Et pendant que l’on parle de cohérence territoriale, nos villages ferment leurs classes et se fragilisent.

À cette politique de contraction budgétaire s’ajoute maintenant l’audace créative de l’amendement dit Labaronne-Attal. Sous prétexte d’accélérer le bail réel solidaire (BRS), on relève les plafonds d’éligibilité jusqu’à couvrir 90 % de la population. L’intention est généreuse, mais l’effet ravageur. En ôtant au dispositif son caractère social, on l’expose à perdre demain la TVA réduite, les prêts bonifiés, les soutiens des collectivités territoriales. À force d’étendre le dispositif sans discernement, on en sape les fondations.

Alors, « quelles réponses apporter ? »

Peut-être d’abord celle-ci : écouter enfin ceux qui, sur le terrain, continuent de loger la République pendant qu’ici on débat.

J’ai connu les budgets contraints, les retards, les décisions absurdes. Mais je n’aurais jamais pensé qu’un gouvernement soit capable de considérer qu’un budget équilibré vaut davantage qu’une famille logée ! Lorsque ce jour arrive, la République n’est plus sociale, elle devient comptable.

Monsieur le ministre, dans un contexte où l’État se retire du financement direct, quelle place entendez-vous réserver au logement social dans la politique d’aménagement du territoire ? Comment comptez-vous rétablir la confiance entre l’État, les bailleurs sociaux et les élus locaux, aujourd’hui lassés des promesses non tenues et des dispositifs instables ?

Enfin, quelle vision défendez-vous pour le bail réel solidaire, afin qu’il demeure un véritable outil d’accession sociale et non un simple produit d’investissement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Je ne peux pas laisser dire que l’État n’est pas aux côtés des bailleurs sociaux.

Certes, des discussions sont en cours à propos de la RLS. Pour autant, en soutenant l’aide à la pierre et la création de logements sociaux, nous serons au rendez-vous pour poser cette brique indispensable, pour reprendre votre mot, que sera le parcours résidentiel des citoyens français.

Mme la présidente. La parole est à M. Lucien Stanzione, pour la réplique.

M. Lucien Stanzione. J’entends bien votre réponse, monsieur le ministre, mais, pour avoir dirigé durant des années un organisme de logements sociaux, je puis vous dire que l’on entend cela tous les ans, tous les ans, tous les ans. Mais les moyens diminuent tous les ans, tous les ans, tous les ans… D’ailleurs, les crédits prévus dans le budget du logement qui s’annonce sont en baisse par rapport à ceux de l’an dernier.

Vos intentions politiques sont élevées, mais il faudra avoir la force de les défendre jusqu’au bout ! Nous vérifierons lors du débat budgétaire qui aura lieu au Sénat si vous disposez des moyens pour imposer vos engagements au Gouvernement. Ces engagements, vous les présentez chaque fois que vous venez ici, et à chacun d’entre nous. Nous verrons ce qu’il en sera dans quinze jours. En attendant, je vous souhaite bon courage ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Lauriane Josende.

Mme Lauriane Josende. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans mon département, les Pyrénées-Orientales, la crise du logement est particulièrement aiguë et singulière.

En effet, ce territoire cumule trois fragilités majeures : une raréfaction du foncier constructible, entre mer, montagne et zones agricoles protégées, qu’aggrave évidemment l’application du ZAN ; une situation sociale marquée par une grande précarité, avec de nombreuses familles en difficulté face au coût du logement et à la faiblesse des revenus – le département est le plus pauvre de France, après la Seine-Saint-Denis – ; enfin, des conditions climatiques de plus en plus extrêmes, avec des sécheresses et des incendies qui s’intensifient sous l’effet du réchauffement climatique.

C’est dans ce contexte qu’un phénomène inquiétant s’enracine : la « cabanisation ». Celle-ci consiste à implanter illégalement des habitations, légères ou permanentes, sans autorisation, sur des terrains non constructibles, souvent en zone agricole ou naturelle, et la plupart du temps dans des endroits à risque.

Un véritable business de ces constructions illégales se développe aujourd’hui, sur fond de crise du logement. Chaque année, une centaine de nouveaux cas de cabanisation sont signalés, et la tendance ne faiblit pas.

Depuis 2015, les services de l’État ont mis en place, sous la houlette du préfet, un dispositif partenarial exemplaire associant l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF), le Parquet et les services d’urbanisme. Ce travail conjoint permet, certes, un meilleur repérage des sites concernés, une mutualisation des procédures et un appui juridique aux communes, mais seules vingt-deux démolitions d’office ont été exécutées depuis 2018.

Si ces initiatives locales montrent qu’il existe une réelle volonté d’agir, les résultats demeurent limités, en raison d’une procédure jugée trop lourde et inefficace par les acteurs concernés ; en effet, sur le terrain, on constate quelques démolitions seulement, qui interviennent dix à quinze ans après les faits.

Il est urgent, monsieur le ministre, d’agir contre ce phénomène, car le sentiment d’impunité met à mal l’autorité de l’État et celle des maires. Sous le regard des professionnels du bâtiment, qui sont en très grande souffrance dans notre département, et celui des honnêtes gens qui respectent les règles d’urbanisme, ces constructions illégales sont en train de devenir une pratique institutionnalisée. La crise du logement ne saurait justifier cela !

Les maires sont désemparés, confrontés à des procédures interminables et à des situations humaines parfois dramatiques. Pendant ce temps, tous ceux qui respectent les règles se découragent de plus en plus. Cette situation sape la crédibilité tant de l’action publique que de la loi, et in fine toute politique du logement dans les Pyrénées-Orientales.

Ce phénomène n’est plus anecdotique. Il nourrit la crise du logement elle-même, mine la cohésion territoriale, fragilise l’agriculture et accroît les risques d’incendie dans un département déjà frappé par la sécheresse et la désertification.

La régulation est également importante et nécessaire pour la protection des biens et des personnes qui subissent cette crise de plein fouet.

Monsieur le ministre, nous avons besoin que vous vous engagiez sur ce sujet !

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Lauriane Josende. Nous avons besoin de modèles et de dispositifs similaires à ceux qui existent dans les outre-mer. Pour faire respecter notre droit, protéger nos habitants et préserver nos territoires, je souhaite que nous puissions y travailler très rapidement et concrètement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Madame la sénatrice Josende, je vous remercie de votre intervention sur ce point, auquel je suis évidemment très sensible. La cabanisation soulève un problème majeur : de nombreux secteurs de votre département sont dégradés par la présence illégale de résidences mobiles de loisirs, de caravanes, de cabanes ou même d’installations en dur, dans des zones agricoles ou naturelles.

Habitat contraint pour certains, terrain de loisirs pour d’autres, ce phénomène menace la sécurité des personnes, la santé des habitants, l’environnement, le foncier agricole et la qualité des paysages. Même si un certain nombre de mesures existent déjà, elles sont évidemment insuffisantes.

C’est pourquoi je suis tout aussi impatient que vous que les dispositions de la proposition de loi Huwart puissent enfin être mises en œuvre. En effet, ce texte prévoit de renforcer franchement les pouvoirs du maire contre les constructions illégales, en augmentant notamment les astreintes et les amendes face à ces constructions.

Madame la sénatrice, dès que le Conseil constitutionnel se sera prononcé et que la loi aura été promulguée, comptez sur moi pour revenir vers vous et examiner ce problème à vos côtés, afin que l’ensemble des préfets, en particulier celui de votre département, puissent mettre en œuvre ces nouvelles dispositions avec la plus grande rapidité, la plus grande fermeté et la plus grande rigueur.

Mme la présidente. La parole est à Mme Lauriane Josende, pour la réplique.

Mme Lauriane Josende. La proposition de loi Huwart comporte une partie des réponses, mais il faut aller plus loin, pour raccourcir les délais de procédure. Il faut également s’assurer qu’il s’agit bien de procédures administratives, afin d’éviter le passage devant le juge civil, notamment lorsqu’il y a urgence, en raison d’un risque d’inondation ou d’incendie avéré, tel que celui qui existe dans les Pyrénées-Orientales.

Un tel dispositif existe déjà en outre-mer ; nous pourrions réfléchir à un dispositif identique pour le territoire métropolitain.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Baptiste Blanc. Répondre à la crise du logement en trois minutes, l’exercice n’est pas évident…

Monsieur le ministre, il n’est plus temps de faire des constats ; nous connaissons tous les problèmes du logement. Ils appellent un véritable électrochoc, que vous avez annoncé via un plan à venir.

Pour ma part, après avoir consulté les acteurs, je vous proposerai cinq mesures simples, pragmatiques, immédiatement applicables.

Premièrement, il conviendrait de solvabiliser les primo-accédants. Intégrons l’inflation dans le calcul des plafonds du PTZ, pour maintenir une juste proportion entre ce dernier et le prix réel des logements. Consolidons les dispositifs efficaces comme l’élargissement du PTZ ou la possibilité de dons familiaux, indispensables à l’accession des jeunes actifs et des ménages modestes.

Deuxièmement, il faudrait favoriser le parcours résidentiel en développant l’accession à prix maîtrisé. Beaucoup de communes expérimentent des dispositifs qui imposent aux promoteurs de céder une part de logements à un prix abordable. Donnons à ces initiatives un cadre juridique clair, avec un prix de vente encadré à 15 % sous le marché, une TVA réduite à 10 % et l’éligibilité au PTZ même pour les non-primo-accédants. C’est une mesure de bon sens, à la fois sociale et responsable.

Troisièmement, nous devons accélérer la construction et construire des logements moins chers. Trop de normes, trop de charges, trop de surenchères techniques font grimper les coûts et bloquent les projets. Il faut donc simplifier.

Commençons déjà par appliquer les plans locaux d’urbanisme (PLU) adoptés ; utilisons les dérogations prévues pour les projets à fort impact social ; assumons la verticalité en fixant aussi des hauteurs minimales pour optimiser le foncier.

Pourquoi ne pas également flécher une part accrue de la taxe d’aménagement vers les communes qui bâtissent ? Plusieurs de nos collègues feront aussi des propositions sur le financement du ZAN, à propos duquel une mission d’information de la commission des finances va prochainement rendre ses conclusions. Marc-Philippe Daubresse, d’autres collègues et moi-même nous sommes également attaqués à la simplification du droit de l’urbanisme, en faisant des propositions en ce sens.

Quatrièmement, nous pourrions encourager encore plus fortement la reconversion des bureaux en logements. Des textes ont été adoptés, mais d’autres mesures sont possibles. Le potentiel est immense, mais les freins économiques demeurent.

Un taux de TVA réduit à 5,5 % sur les ventes issues de reconversion, sans condition de ressources, serait une mesure simple, rapide et efficace. Il serait aussi envisageable d’instaurer un taux réduit de TVA sur les ventes réalisées autour des gares, comme le demandent les aménageurs, mais je n’ai pas le temps de développer davantage cette proposition.

Enfin, Marc-Philippe Daubresse est à l’origine de la cinquième proposition : relancer l’investissement locatif privé. Le statut du bailleur privé ne sera crédible qu’à condition d’être réellement incitatif. Un amortissement de 5 %, comme le préconise le rapport Daubresse-Cosson, me semble indispensable pour redonner confiance et ramener les investisseurs.

Ces mesures ne sont pas forcément d’ordre législatif ; elles sont peut-être réglementaires et relèvent parfois du simple bon sens. Monsieur le ministre, ces recommandations pourraient, tout simplement, être intégrées au futur grand plan que vous avez annoncé, en attendant le Grand Soir de 2027…

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Monsieur le sénateur, je vous remercie des nombreux échanges que nous avons déjà eus : nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises, et vous m’avez déjà fait part de toutes ces propositions pertinentes, qui méritent d’être étudiées de près.

J’y reviendrai dans un instant, avec ces propositions très concrètes et immédiatement applicables pour un certain nombre d’entre elles, vous êtes au cœur de ce que j’appelle le plan logement.

Au fond, l’enjeu n’est pas de créer un projet de loi sur le logement ; je ne suis pas là pour faire adopter un texte qui porte mon nom, cela ne m’intéresse pas. Ce qui importe, c’est de loger dignement les familles, de relancer la construction de logements dans notre pays : tel est l’objectif que nous pouvons viser ensemble.

Ce grand plan a donc vocation à être nourri par des propositions comme les vôtres ou d’autres que nous avons entendues aujourd’hui, ou comme celles qui émanent de plusieurs rapports.

Je vous donne donc d’ores et déjà rendez-vous pour que nous écrivions ensemble ce grand plan, tous ensemble. En tout cas, je vous remercie de la richesse de vos propositions.

M. Jean-Baptiste Blanc. Merci !

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie encore une fois de la qualité de nos échanges, preuve s’il en faut de votre sagesse et de votre rigueur. Pour moi qui suis issu de l’Assemblée nationale, c’était un vrai plaisir de débattre de cet enjeu si important dans ce cénacle, où le fond et la mesure priment la forme et la posture… (Sourires.)

M. Marc-Philippe Daubresse. C’est sûr que l’ambiance n’est pas la même !

M. Vincent Jeanbrun, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous n’avez pas attendu ce gouvernement pour vous saisir de l’urgence que constitue le logement pour notre pays. Uniquement cette année, votre assemblée a ainsi présenté deux rapports et adopté six propositions de loi.

C’est d’autant plus important que nous partageons – nous l’avons entendu – le constat : la France et l’Europe traversent une crise du logement d’une ampleur inédite, la pire depuis longtemps. Il ne s’agit pas seulement d’une crise de l’habitat ; c’est une crise économique, environnementale et surtout sociale, comme l’a exprimé récemment le nouveau commissaire européen à l’énergie et au logement.

Nous en sommes tous convaincus, la difficulté à se loger correctement nourrit un fort sentiment de déclassement. Trop de nos concitoyens le ressentent ; il alimente automatiquement une colère, une frustration, qui bien souvent oriente vers les populistes.

Nous devons donc relever un défi important, d’autant que cette crise du logement repose sur plusieurs facteurs. Ceux-ci sont d’abord conjoncturels, ainsi que cela a été évoqué. Inflation du coût des matériaux, pénurie d’artisans, hausse des taux d’intérêt : tout cela complique considérablement l’accession au logement et à la propriété.

Cela dit, nous aurions tort de considérer que cette crise n’est que conjoncturelle ; elle est également structurelle. L’évolution de nos modes de vie, des parcours résidentiels, de la démographie ainsi que la saturation de notre parc social font partie des éléments qu’il est utile de citer pour répondre à cette crise du logement.

Face à cela, nous n’avons pas le droit à la résignation. Le fatalisme n’est pas une option. Ce gouvernement, sous l’impulsion du Premier ministre Sébastien Lecornu, l’a très bien compris. Celui-ci m’a confié une mission claire : inverser la perspective et bâtir un véritable plan logement, partout et pour tous.

Ce projet suppose de repenser notre approche à la lumière des nouvelles façons d’habiter, de vivre et de travailler. Il suppose aussi de repenser notre méthode. Je vous propose ainsi que nous coconstruisions le plan logement, un peu comme on construit un immeuble, brique après brique, avec l’expertise et le talent de chacun, en ayant deux objectifs en tête : construire bien et pour longtemps.

Ce plan sera donc collectif, construit d’abord avec vous, mesdames, messieurs les parlementaires, avec les élus locaux, les professionnels du secteur, mais également avec les citoyens eux-mêmes.

Je souhaite évidemment m’appuyer sur tous les travaux, qui sont nombreux, réalisés par les parlementaires. C’est en ayant cela à l’esprit que j’ai proposé, par le biais d’un amendement gouvernemental, de promouvoir le statut du bailleur privé, en m’inspirant des travaux menés par M. le sénateur Daubresse – je le salue une fois de plus – avec le député Mickaël Cosson, ainsi que de ceux que ma prédécesseure Valérie Létard avait amorcés.

Vous le voyez, nos riches échanges permettent déjà de dessiner l’ambition et le cahier des charges du plan logement. Je m’en réjouis et j’ai hâte que nous puissions davantage travailler ensemble.

Du point de vue de la méthode, il nous faudra hiérarchiser deux moments. D’un côté, il faudra définir ce qui relève de l’urgence absolue et que nous devrons traiter immédiatement, durant l’examen du budget pour 2026 : ce sont les mesures à court terme. De l’autre, il y a ce qui s’inscrit dans une vision de moyen et long termes, pour refonder durablement notre politique du logement. Cela aussi, nous aurons à le construire ensemble. Nous ne ferons pas l’un ou l’autre, nous ferons les deux.

Le plan logement intégrera plusieurs axes structurants : mieux adapter l’offre aux besoins qui évoluent ; mieux sécuriser le statut du propriétaire et du locataire ; mieux financer l’acquisition, notamment pour les primo-accédants ; simplifier les normes ; accélérer la nécessaire décentralisation ; et, enfin, trouver un équilibre renouvelé entre logement social, logement intermédiaire et parcours résidentiel.

Tout cela pose les fondations d’un plan ambitieux, mais réaliste, un plan de mobilisation nationale pour le logement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette crise que nous traversons n’est pas une fatalité, c’est un défi. Comme le dirait Jean-Louis Borloo, il ne faut pas gâcher une bonne crise ; nous allons donc relever le défi. Comme souvent dans notre histoire, les défis appellent de l’ambition, du courage, du volontarisme et, je le crois, de l’esprit collectif ; au fond, il s’agit là d’une bonne définition de ce qu’est le Sénat.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Marc-Philippe Daubresse, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le ministre, loin du vacarme de l’Assemblée nationale, que je connais bien pour l’avoir fréquentée, vous avez entendu ici des propos sages, mesurés, concrets, efficaces, tenus dans le respect des uns et des autres, ce qui caractérise le Sénat depuis longtemps.

Il est vrai que, depuis quatre ans, sur toutes les travées de cet hémicycle, nous tirons la sonnette d’alarme en dénonçant le caractère néfaste et parfois irresponsable de certaines politiques gouvernementales – pas toutes – conduites précédemment.

Il a fallu attendre la nomination de Valérie Létard, qui connaît bien le logement, pour que le sujet soit enfin pris en compte et que l’on écoute le Sénat, qui a exposé l’ensemble des problèmes, structurels et non uniquement conjoncturels, qui précipitent et accélèrent cette crise du logement.

Monsieur le ministre, quand j’étais à votre place il y a quelques années, j’ai moi aussi connu une importante crise du logement. Nous réalisions alors à peu près à 230 000 constructions neuves par an – 270 000 seront réalisées à la fin de cette année – et, avec Jean-Louis Borloo, que vous avez cité et que je salue, nous sommes tout de même arrivés au chiffre de 486 000 constructions annuelles. Cela signifie qu’il est possible de redresser une politique !

Encore faut-il pouvoir résister à un certain nombre de tentations, que plusieurs de nos collègues ont soulignées à juste titre. Elles relèvent toutes d’une forme de cécité de Bercy, qui ne raisonne que de manière comptable, sans réfléchir à une logique de croissance et de développement du logement.

Les ventes aux investisseurs privés constituent un vrai sujet, que Cyril Pellevat a évoqué tout à l’heure. Sans reprendre tous les chiffres cités, il n’y aura que 9 000 réservations de logements pour l’investissement privé à la fin de cette année, quand il y en avait environ 54 000, soit six fois plus, il y a cinq ans. Tous les secteurs, l’ancien comme le neuf, sont donc concernés. Nous sommes face à une catastrophe.

J’ai essayé d’en parler avec le Président de la République, avec qui je me suis entretenu il y a trois ans. J’ai eu l’impression d’avoir un mur devant moi. Il ne comprenait pas les ressorts de cette crise, ou ne voulait pas les comprendre, car il est intelligent ; quelque part, il n’aime pas les propriétaires.

Monsieur le ministre, nous comptons donc sur vous et sur le Gouvernement – j’ai bien entendu les propos du Premier ministre, que je connais bien et que j’apprécie – pour engager de toute urgence un plan pour le logement, laquelle implique, comme l’a justement dit notre collègue Dominique Estrosi Sassone, que ce plan soit pluriannuel.

Oui, comme vous l’envisagez, il faut un plan pour le logement pragmatique et coconstruit, sans doute, mais il faut surtout un plan pluriannuel, qui garantisse des financements dans la durée. Sans cela, année après année, la tentation de Bercy – quels que soient les ministres, ce ne sont pas eux que je critique, c’est le système – sera de reprendre d’une main ce qui a été donné par l’autre.

Compte tenu du temps de parole qu’il me reste, je ne donnerai qu’un exemple, celui du statut du bailleur privé locatif, dont beaucoup ont parlé ; je les en remercie. À l’Assemblée nationale, la création de ce statut a fait l’objet d’amendements transpartisans.

Pourquoi est-il important de créer un tel statut, et pourquoi, ainsi que Jean-Baptiste Blanc l’a justement dit, faut-il porter l’amortissement à un niveau important, à 5 % pour le neuf, et à 4 % pour l’ancien ? Parce que, sans cela, nous n’aurons pas l’effet de choc de confiance que vous appelez de vos vœux.

Nos collègues socialistes ont eu raison de le souligner, il ne faut pas non plus tomber dans un excès qui consisterait à favoriser des investisseurs massifs comme Louis Vuitton. Ceux que nous visons, ce sont bien les petits bailleurs privés.

D’ailleurs, 75 % des bailleurs privés possèdent au maximum deux ou trois logements dans leur portefeuille, et non pas dix ou vingt, comme je l’ai entendu çà ou là. Ce ne sont donc pas les rentiers ou les spéculateurs que nous voulons favoriser, c’est la construction de la pierre.

Pourquoi Dominique Estrosi Sassone a-t-elle esquissé tout à l’heure l’idée d’une loi de refondation avec une programmation pluriannuelle, qui manque cruellement à la politique du logement ? Parce qu’il n’y a pas de cap. Cela veut dire qu’il faut baisser, voire supprimer la RLS, ainsi que l’ont voté majoritairement les députés issus de plusieurs bancs de l’Assemblée nationale ; cela veut dire qu’il faut relancer l’accession à la propriété grâce au nouveau PTZ, et éviter tout rétrécissement de la part de Bercy.

Je sais ce qu’est le PTZ, car j’en ai été l’un des pères, même si, comme l’aurait dit un député que Patrick Kanner et moi-même avons bien connu, quand le bébé est beau, il ne manque pas de pères pour le reconnaître. Or les tentatives de rétrécissement du PTZ ont été fréquentes et ont à chaque fois touché les plus vulnérables. Il faut donc évidemment être vigilant sur ce point.

Il faut également en finir avec la décision infondée de la Banque de France d’imposer un taux d’effort plafond pour les accédants à la propriété.

Il faut aussi – je terminerai par ce point – envisager des solutions de reconversion. Le logement, c’est du fiscal, du financement et du foncier. Comme la crise du foncier, plusieurs collègues l’ont indiqué à juste titre, est énorme, il faut enfin songer à convertir en logements des fonciers commerciaux et de bureaux qui existent et qui sont déjà imperméabilisés.

Monsieur le ministre, voilà qui permettrait de recréer de la confiance, comme vous l’avez appelé de vos vœux, dans le respect des contraintes budgétaires. Vous pouvez compter sur le Sénat pour être vigilant et pour vous aider à faire en sorte que cette politique soit orientée non pas par Bercy, mais bien par le ministre du logement. (M. Jean-Baptiste Blanc applaudit.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quelles réponses apporter à la crise du logement ? »

L’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Sylvie Robert.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

5

Fiscalité du travail, fiscalité du capital : quels équilibres ?

Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, le débat sur le thème : « Fiscalité du travail, fiscalité du capital : quels équilibres ? ».

Dans le débat, la parole est à M. Thierry Cozic, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Bernard Buis applaudit également.)

M. Thierry Cozic, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis heureux d’introduire ce débat ô combien important, proposé par le groupe socialiste du Sénat, alors que l’heure du bilan économique tant vanté du macronisme semble arrivée.

Dans un pays où les revenus du capital ont littéralement explosé, avec 100 milliards d’euros de distribution de dividendes et de rachats d’actions enregistrés au CAC40 l’an dernier – au passage, c’est un record historique et européen –, il est grand temps de revenir sur les réformes du capital menées depuis huit ans, quand, dans le même temps, la France a vu exploser le nombre de ses travailleurs pauvres, et de ses pauvres tout court. Près de 10 millions de personnes sont en effet touchées par la pauvreté dans notre pays, un record historique là aussi, inédit depuis l’après-guerre.

Concrètement, le mandat d’Emmanuel Macron a plongé 1,2 million de personnes dans la pauvreté. Mais avant d’entrer dans la politique nationale, il me semble important de prendre du recul et de faire preuve d’un peu de profondeur historique.

Depuis le milieu des années 1960, le niveau de taxation des revenus du capital et du travail a connu des évolutions contrastées. Le niveau moyen de taxation des revenus du capital est ainsi resté relativement stable, alors que le niveau d’imposition sur les revenus du travail a connu une forte augmentation.

Si l’on se concentre sur le cas français, on observe une forte hausse du taux de la taxation sur les sociétés dans les années 1970 – de moins de 20 %, ce dernier est passé à près de 40 % en une décennie –, suivie d’une très forte hausse jusqu’au début des années 1990, puis une chute aboutissant à un niveau historiquement bas, à près de 15 % aujourd’hui.

Le taux de taxation sur les revenus des capitaux a connu des évolutions similaires entre les années 1970 et 1990, même s’il a eu tendance à augmenter depuis le début des années 1990.

Sur la même période, le taux de taxation sur les revenus du travail a augmenté de manière continue entre le milieu des années 1970 et aujourd’hui, tout en restant plus élevé que la moyenne de celui des autres pays développés.

Ces différentes évolutions sont le résultat de changements structurels caractéristiques de l’ensemble des pays développés. Je pense, par exemple, à la mondialisation des échanges commerciaux, à l’adoption de nouvelles technologies ou encore à la déréglementation du marché du travail.

La libéralisation financière, synonyme à la fois de diversification des sources de financement pour les entreprises et d’intensification des transactions financières internationales, a pu contribuer également à réduire le taux moyen d’imposition sur les sociétés et sur les revenus du capital.

Ce mouvement s’est en effet traduit par la montée en puissance de divers investisseurs institutionnels, fonds d’investissement ou fonds de pension, dont le poids relatif varie selon les pays. À titre d’exemple, les fonds d’investissement se sont particulièrement développés en France dès les années 1980, quand les fonds de pension y sont demeurés quasi inexistants.

Or le taux de rentabilité des entreprises, dont dépend la rémunération des investisseurs, augmente avec la baisse du taux de taxation sur les sociétés.

L’effet baissier de la libéralisation financière sur le taux effectif de taxation des sociétés est particulièrement observable dans les pays d’Europe continentale – Allemagne, Belgique, France, Pays-Bas – et d’Europe du Sud – Espagne, Italie –, dans lesquels la montée en puissance des investisseurs institutionnels a été très rapide.

En réalité, la hausse du niveau de taxation sur les revenus du travail traduit simplement le fait que la fiscalité s’est davantage portée sur ces revenus, qui sont par définition moins mobiles.

La tendance à l’œuvre s’explique donc par la libéralisation financière. Elle a fait l’objet de maintes alertes. En 2007, déjà, dans un entretien au Financial Times, Alan Greenspan, ancien président de la Réserve fédérale américaine, observait lui aussi cette « caractéristique très étrange » du capitalisme contemporain : « La part des salaires dans le revenu national aux États-Unis et dans d’autres pays développés atteint, disait-il, un niveau exceptionnellement bas selon les normes historiques. »

De son côté, la Banque des règlements internationaux (BRI), qui regroupe les banquiers centraux de la planète, notait en juillet 2007 : « La part des profits est inhabituellement élevée et la part des salaires inhabituellement basse. L’amplitude de cette évolution et l’éventail des pays concernés n’ont pas de précédent dans les quarante-cinq dernières années » Le phénomène s’est encore accentué depuis lors.

Mais revenons en France, où les politiques de l’offre étaient censées faire ruisseler tous leurs dividendes sur les salaires de nos travailleurs. Il semblerait que cela n’ait pas été le cas, malgré les efforts répétés du Président de la République pour faire baisser, à grands frais, le niveau de taxation pesant sur les grands groupes.

Une étude de l’Insee publiée en septembre dernier a ainsi dressé le bilan de la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, qui a été ramené, rappelons-le, de 33 % en 2016 à 25 % en 2022. La première conséquence directe de cette baisse est la suivante : alors que le bénéfice fiscal des redevables de l’impôt sur les sociétés a augmenté très fortement – + 71 % – sur la période, pour atteindre près de 280 milliards d’euros en 2022, le montant de l’impôt sur les sociétés à acquitter, avant réductions et crédits d’impôt, a lui augmenté dans une bien moindre mesure – + 31 % –, pour atteindre 68 milliards d’euros.

Pis, les entités qui ont le plus bénéficié de cette baisse d’impôt massive lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron sont les plus grands groupes.

L’Insee nous apprend notamment que le taux implicite d’impôt sur les sociétés – ou rapport du montant d’impôt acquitté sur l’excédent net d’exploitation – des grandes entreprises s’est réduit de 5 points sur la période 2016-2022, pour atteindre seulement 14,3 %. C’est beaucoup plus que la réduction dont ont bénéficié les petites et moyennes entreprises (PME), dont le taux implicite d’impôt sur les sociétés « n’a reculé que de 1,7 point, pour s’établir à 21,4 % en 2022 ».

Jamais le capital n’aura été aussi gâté, et les chiffres que je viens de citer résument parfaitement les huit dernières années d’une politique de l’offre inefficace et coûteuse au point d’avoir fait dérailler le déficit du pays à un niveau historique.

M. Vincent Delahaye. Cela n’a rien à voir !

M. Thierry Cozic. Il n’y a pas eu, toutefois, que des perdants dans cette histoire. Au cours des seize dernières années, certains ont vu leur fortune multipliée par six et le capital des 500 personnes les plus riches de France a explosé, quand les revenus de la classe moyenne ont quasiment stagné.

Cet accroissement de la richesse de quelques-uns n’est pas tombé du ciel, pas plus qu’il ne relève de la main invisible du marché ; il découle directement de décisions prises par des responsables publics en chair et en os, l’édiction de règles fiscales favorables au capital ayant produit des effets très concrets.

C’est ainsi que, depuis que le président Macron est au pouvoir, la rémunération des actionnaires a crû de plus de 114 %, quand les dividendes ont progressé de 46 %. De leur côté, les rachats d’actions, qui ne sont, je le rappelle, que des opérations boursières spéculatives, ont bondi de 286 % ! Dans le même temps, le Smic brut a connu une augmentation de 19 % et le salaire moyen brut de 15 %.

Je rappelle aussi que le Gouvernement s’est toujours opposé à une augmentation minime du Smic, qui aurait pourtant permis un choc de demande et entraîné des gains de productivité pour notre pays.

Voici le choix économique qui a été fait depuis huit ans : mener une politique de l’offre qui le dispute souvent à la politique de l’offrande et qui permet d’accroître les marges des entreprises en visant un plein emploi dégradé, le tout au prix d’une baisse de productivité de l’économie, de la précarisation des travailleurs et de la destruction de notre modèle social. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de laction et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de lÉtat. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d’abord de cette invitation à débattre d’un sujet important : l’articulation entre la fiscalité du capital et celle du travail.

La question touche autant aux finances publiques qu’à la nature même de notre contrat social. Elle est certes d’ordre budgétaire, mais elle est aussi et avant tout, j’en suis convaincu, économique, sociale et politique.

Il y a aujourd’hui en France, me semble-t-il, deux grandes urgences.

La première est une urgence sociale : trop de Français ont la perception que le travail ne paie pas ou ne paie plus. L’écart entre le salaire brut et le salaire net, l’insuffisante mobilité salariale ou le poids des dépenses contraintes – en particulier les dépenses de logement et de transport – rognent le pouvoir d’achat des actifs et minent le contrat social, qui repose sur la méritocratie et l’espoir de pouvoir vivre de son travail.

La seconde urgence est économique : dans le monde entier, se produisent une très grande accélération des investissements et, pour reprendre les termes du débat de ce jour, une très grande accélération de la mobilisation du capital.

En réprimant la consommation et en freinant les salaires, la Chine dégage un capital considérable, qu’elle met au service d’une ambition stratégique menaçant d’ailleurs la souveraineté européenne, ainsi que celle de nombreux autres pays. Elle parvient à avoir la mainmise sur de très nombreux secteurs industriels, y compris parmi les plus avancés technologiquement.

À cet égard, la Chine est très loin de ce qu’elle était dans les années 2000. Sa politique économique va bien au-delà de baisses d’impôts ciblées : elle consiste en de véritables subventions en faveur du capital, que celles-ci soient explicites ou implicites.

Je ne m’attarderai pas davantage sur les États-Unis, qui mobilisent, pour investir notamment dans l’intelligence artificielle, des montants de capitaux considérables, surpassant infiniment ceux que l’Europe est en mesure de mobiliser.

Les deux questions – la capacité à mobiliser du capital, d’une part, la nécessité de faire en sorte que le travail paie, de l’autre – sont évidemment liées. Or le lien qui les unit s’appelle la croissance, un sujet dont nous parlons trop peu dans nos débats actuels. Nous vivons en effet dans une sorte de projet de loi de finances perpétuel, qui nous éloigne sans doute du cœur de la question économique, à savoir la productivité et l’emploi.

De fait, si nous avions le taux de productivité des États-Unis ou le taux d’emploi de l’Allemagne, nous n’aurions plus, en réalité, de problème de finances publiques : nous pourrions alors financer le modèle social que nous sommes ici, j’en suis convaincu, une grande majorité à vouloir défendre.

Dès lors, je tire de ce qui précède quatre conclusions pour la France.

La première est évidemment la nécessité de réduire la dépense publique, pour éviter une nouvelle explosion des prélèvements obligatoires.

En effet, si notre structure de prélèvements est globalement proche de celle des pays de la zone euro – nous pourrons entrer dans le détail de cette analyse –, pour la taxation, qu’il s’agisse de celle du capital ou de celle du travail, nous nous situons au sommet de la pyramide des pays européens. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous renvoie sur ce sujet à la très bonne étude de France Stratégie, réalisée par des économistes tout à fait indépendants.

Nous pourrions au moins nous mettre d’accord sur ce constat, dans la mesure où il émane d’économistes indépendants, qui ne sont pas suspects d’une quelconque appartenance politique.

La seconde conclusion est la nécessité d’éviter la notion fourre-tout de capital. Quand on parle de l’épargne des Français – l’autre façon, en réalité, de désigner le capital –, la question clé est en réalité celle de son usage. Malheureusement pour l’Europe, les autres pays, États-Unis et Chine en tête, l’ont très bien compris. Notre priorité doit être d’encourager la réindustrialisation, plutôt que la rente.

C’est précisément pour encourager la réindustrialisation que nous avons lancé, après les réformes de 2018 – nous y reviendrons sans doute longuement au cours du débat –, un mouvement de baisse des impôts de production, dont nous savons qu’ils pèsent de manière disproportionnée sur l’industrie et qu’ils distinguent considérablement la France de ses voisins européens, en particulier de l’Allemagne.

C’est la raison pour laquelle le texte initial du projet de loi de finances pour 2026 prévoit de poursuivre la baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

Lutter contre les rentes, c’est d’abord éviter l’optimisation fiscale abusive. Nous aurons l’occasion d’évoquer demain la question de la lutte contre le blanchiment, dans le cadre de l’examen de la proposition de loi de la sénatrice Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. David Amiel, ministre délégué. Nous aborderons également la question de la lutte contre la fraude lorsque nous examinerons la semaine prochaine dans cet hémicycle le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales.

L’optimisation fiscale, même légale, est une forme de rente dont bénéficient certains contribuables, qui, au fond, manipulent des dispositifs n’ayant pas été conçus pour cela.

C’est la raison pour laquelle le projet de loi de finances initial prévoit la prolongation de la contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR).

C’est la raison pour laquelle un certain nombre de niches fiscales, je n’en doute pas, seront débattues au Sénat, comme elles l’ont été à l’Assemblée nationale.

C’est la raison pour laquelle, enfin, pour lutter contre ce qui est une forme de rente, il est nécessaire de prolonger la taxe sur les rachats d’actions.

La troisième conclusion que je tire, c’est l’impératif de coordination internationale. Monsieur le sénateur, vous avez fait référence à l’instant à la mondialisation. Si nous voulons lutter contre la capacité du capital à se jouer des frontières nationales pour aller là où les taux d’imposition sont les plus bas, nous devons nous coordonner au niveau européen comme au niveau international.

Pendant des années, nous nous sommes entendus dire que cela n’était pas possible. D’aucuns nous soupçonnaient même, parfois, de manœuvres dilatoires. Or la mise en place, dans le cadre de l’OCDE, de l’impôt minimum sur les sociétés et du pilier 2 des règles globales anti-érosion de la base d’imposition sont la démonstration que c’est possible.

En matière de taxation des grandes fortunes, nous devons être capables de mener la révolution que nous avons engagée concernant l’impôt sur les sociétés des plus grandes entreprises et des multinationales.

Les travaux lancés en 2024 par la France dans le cadre du G20 au Brésil intègrent cet objectif, qui fait partie des prochaines grandes conquêtes que nous devons évidemment défendre.

Ma quatrième et dernière conclusion porte sur la nécessité de mener une réflexion sur le financement de notre protection sociale. En France, la protection sociale repose très majoritairement sur le travail. Elle a été construite à une époque où l’intelligence artificielle n’existait pas, où la démographie était galopante et où la mondialisation était balbutiante. Or ce temps est révolu. (Mme Émilienne Poumirol et M. Thomas Dossus sexclament.)

Il faut donc que nous réfléchissions à l’assiette du financement de notre protection sociale, afin d’éviter qu’elle n’écrase toujours davantage le pouvoir d’achat des actifs.

La fiscalité n’est pas seulement une affaire de rendement ou d’efficacité. Elle est peut-être, avant tout, une affaire de confiance. En effet, l’impôt n’est accepté que s’il est compris et il n’est compris que s’il est juste.

M. David Amiel, ministre délégué. Nous devons donc évidemment rendre notre fiscalité plus juste.

Dans cette période d’ajustement budgétaire, un certain nombre d’efforts seront demandés à ceux qui le peuvent. J’ai évoqué la contribution différentielle sur les hauts revenus ; je peux citer également la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises redevables de l’impôt sur les sociétés.

Toutefois, pour être comprise, notre fiscalité doit aussi être stable. Lorsqu’elle change tous les ans, au gré des humeurs ou des débats, elle crée une méfiance très profonde chez les Français et, au fond, sape le consentement à l’impôt.

Il est vrai que nous développons, en France, tous partis politiques confondus, une forme de passion fiscale. Sans doute est-il plus facile d’augmenter ou de baisser un impôt que de s’attaquer au cœur de nos politiques publiques, aux questions de l’école, de la santé, des services publics ou de l’aménagement du territoire… Si nous voulons renforcer le consentement à l’impôt, la stabilité fiscale doit être notre priorité.

Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que les Turcs étaient aux portes de Constantinople, les Byzantins débattaient du sexe des anges.

M. Olivier Paccaud. C’est vrai !

M. Emmanuel Capus. Ce soir, alors que la France craque de partout, que l’hôpital est exsangue et que les collectivités locales sont à l’os, nous débattons des impôts nouveaux que les socialistes voudraient créer. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)

Comme si la frénésie créatrice d’impôts des députés ne suffisait pas, comme si nous n’étions pas déjà les champions du monde des prélèvements et comme si nous étions les seuls au monde à estimer que nous pouvons combler 170 milliards d’euros de déficits en augmentant encore les impôts ! (Mme Émilienne Poumirol sexclame.)

Ce débat est donc à tout le moins décalé, pour ne pas dire lunaire. Il permet toutefois de comprendre que, si la gauche était au pouvoir, il n’y aurait qu’une seule alternative : l’augmentation des impôts ou l’augmentation des impôts. (Sourires sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)

M. Pascal Savoldelli. Ce serait le chaos ! (Sourires sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. Emmanuel Capus. Pourtant, le seul débat que nous devrions avoir aujourd’hui est celui de la baisse de la dépense publique.

Les Français y sont prêts : 82 % d’entre eux déclarent préférer que nous baissions la dépense publique – vous nous y avez d’ailleurs invités, monsieur le ministre –, plutôt que d’augmenter de nouveau les impôts.

Ma question est donc très simple : quelle dépense publique le Gouvernement propose-t-il de baisser, afin de réduire parallèlement les impôts sur le travail, qui sont trop élevés, et les impôts sur le capital, qui sont – vous l’avez-vous-même précisé, monsieur le ministre – les plus élevés du monde, et cela pour, enfin, rendre leur argent aux Français ? (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains. – M. Vincent Delahaye applaudit également. – Mme Émilienne Poumirol sexclame.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de laction et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de lÉtat. Monsieur le sénateur, je partage votre constat, que j’ai en effet partiellement anticipé dans mon intervention. Vous avez raison, la question de la dépense publique devrait être au cœur de nos débats budgétaires.

À cet égard, le Gouvernement a proposé, dans le cadre du projet de loi de finances initial pour 2026, un effort de réduction des dépenses de l’État d’une ampleur inédite en valeur. Ce dernier sera certes extrêmement contraignant pour les ministères, mais il était très important de montrer l’exemple.

Au cours des vingt-cinq à trente dernières années, les principaux postes de dépense publique ayant augmenté considérablement sont les dépenses de retraite, d’une part, et les dépenses d’assurance maladie, d’autre part. (Mme Émilienne Poumirol sexclame.) Cela s’explique assez aisément par le vieillissement de la population.

Si nous voulons maîtriser dans la durée la trajectoire de ces dépenses, nous devons nous attaquer à des dépenses moins prioritaires.

En matière d’assurance maladie, les débats budgétaires autour de la prévention et de la lutte contre la fraude devraient ainsi nous conduire à concentrer les moyens vers les besoins les plus importants, à savoir la modernisation de l’hôpital, la présence médicale sur le terrain ou encore le développement des infirmières en pratique avancée.

Il faut aussi réduire un certain nombre d’autres dépenses médicales. Même si certaines des mesures proposées sont contestées, il est utile d’avoir cette discussion.

Les retraites font également débat depuis de nombreuses années. Il est évident que, à l’avenir, il faudra travailler plus longtemps.

Mme Émilienne Poumirol. Jusqu’à 68 ans ?

M. David Amiel, ministre délégué. Si la dernière réforme est en voie de suspension, c’est en raison de l’absence de consensus politique au Parlement. (M. Pascal Savoldelli ironise.)

J’ai cependant espoir que la conférence qui a été lancée ce matin avec les partenaires sociaux permettra, dans la perspective de la prochaine élection présidentielle, de dégager de grands scénarios sur lesquels les Français pourront se prononcer.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)

M. Jean-Baptiste Blanc. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà un an, les auteurs du rapport Bozio-Wasmer soulignaient que la politique de réduction des cotisations menée depuis les années 1980 avait fait naître un « mur de charges ».

Les dispositifs dégressifs concentrés sur les bas salaires ont conduit à des taux marginaux implicites de 51 %, freinant la progression salariale des classes intermédiaires.

L’empilement ultérieur du revenu de solidarité active (RSA), de la prime d’activité et des aides au logement a accentué ce phénomène. En plus d’être trop concentrés, les allègements de charges ne montent pas assez haut dans l’échelle des salaires.

L’article 18 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 réforme les allègements généraux de cotisations patronales de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2026. Si ces modifications constituent une avancée en matière de simplification, elles restent très modestes en matière de politique salariale : la majeure partie des allègements, par ailleurs plafonnés à trois Smic, est concentrée sur les rémunérations situées autour du Smic, sans véritable incitation à augmenter les salaires intermédiaires.

Monsieur le ministre, la lutte contre la « smicardisation » et les trappes à bas salaires étant une priorité, ma question est la suivante : le Gouvernement entend-il aller plus loin dans la réforme des allègements généraux en rehaussant les cotisations concentrées au niveau du Smic jusqu’à 3,5 Smic ? C’est en effet ainsi que nous pourrons soutenir les salaires intermédiaires et améliorer la compétitivité des entreprises sur les niveaux de rémunération les plus exposés.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de laction et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de lÉtat. Monsieur le sénateur, je vous remercie de faire référence au rapport qui avait été commandé par le Gouvernement à Antoine Bozio et à Étienne Wasmer.

Ce document nous enseigne notamment que les allègements de charges ont permis de créer massivement des emplois et que leur suppression – l’idée surgit parfois dans le débat public – entraînerait une remontée spectaculaire du taux de chômage.

Par ailleurs, on parle souvent des allègements de charges comme d’une dépense publique. Mais, en réalité, il s’agit d’une sorte d’artefact comptable : si le dispositif était présenté différemment, si l’on établissait un barème des taux de cotisation, on aurait simplement le sentiment que les taux sont plus faibles sur les bas salaires et plus élevés sur les hauts salaires.

Il y a donc là parfois une confusion dans le débat public, qui pose d’ailleurs la question d’une réforme systémique des allègements de charges. Certains, à gauche, réfléchissent à la pertinence de rendre ou non les cotisations salariales progressives. Il s’agit d’une piste intéressante, qui pose cependant des difficultés constitutionnelles. Il est important que ce débat ait lieu, du côté tant patronal que salarial.

Enfin, vous avez raison de dire, monsieur le sénateur, que la massification des allègements de charges au niveau du Smic a pu susciter des trappes à bas salaires. Ces allègements ont créé de nombreux emplois, dans un pays où le Smic était plus élevé qu’ailleurs, et c’est tant mieux, évidemment, pour le pouvoir d’achat des travailleurs.

Toutefois, il est difficile de sortir de ces niveaux de rémunération. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 prévoit donc, en effet, une mesure visant à réviser la courbe des allègements de charges et à lutter notamment contre ces effets d’enfermement.

Au-delà, la question doit être traitée, vous l’aurez compris, de manière systémique, dans le cadre d’une réflexion globale sur le pouvoir d’achat, sur la prime d’activité et sur le financement de notre protection sociale.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que vous proposez me permet d’aborder une question non pas nouvelle, mais très actuelle, et pourtant relativement absente des débats budgétaires : celle de la taxation des robots et des applications numériques, y compris l’intelligence artificielle (IA) générative.

Benoît Hamon, alors candidat à l’élection présidentielle, en parlait déjà en 2017. Il proposait de taxer la richesse créée par les robots dans les entreprises françaises, afin de financer notre modèle de protection sociale et de mettre en place sa proposition de revenu universel.

Au-delà du fait d’être favorable ou non au revenu universel, c’est bien la question d’une nouvelle recette dans un marché du travail bouleversé par l’automatisation qui me préoccupe.

Mes chers collègues, pourquoi un salarié paierait-il des cotisations sociales quand un robot qui le remplace n’en paie aucune ? Est-ce justifié, alors qu’un robot nécessitera lui aussi des soins, au travers de mises à jour au cours de son existence ?

Ainsi que le suggérait Michel-Édouard Leclerc en mai dernier, lors d’une interview sur BFM TV, « quand l’IA, quand les ChatGPT ou Mistral remplacent des avocats, des juristes, des professions libérales ou des journalistes, on pourrait imaginer que ces applis paient une part des charges sociales. »

À l’inverse, on peut aussi considérer qu’une nouvelle taxation de ce type pourrait freiner l’innovation source de croissance, selon les principes économiques défendus hier par Joseph Schumpeter et aujourd’hui par Philippe Aghion. Il s’agit ici non pas de freiner l’innovation, mais de répondre à une question d’éthique et de rapport au travail : quelle relation voulons-nous entre l’humanité et les objets technologiques que nous créons et qui, nous l’observons déjà, transformeront nos vies ?

Monsieur le ministre, que pensez-vous de la mise en place d’une telle taxe, dont l’assiette reste à définir ? Grâce à elle, nous pourrions préserver notre modèle social, voire augmenter les revenus du travail humain, sans pour autant nous exonérer d’une réforme de notre système de retraite. La réflexion sur ce sujet ne devrait-elle pas être envisagée par ailleurs à l’échelle européenne, afin de prévenir tout risque d’exil fiscal ?

Je précise que mon intervention est le fruit non pas d’une intelligence artificielle, mais d’un travail participatif mené avec un collaborateur en chair et en os. (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de laction et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de lÉtat. Monsieur le sénateur, vous avez très bien posé les termes d’un débat qui fait rage également parmi les économistes : celui de l’impact sur l’emploi de l’intelligence artificielle et des transformations technologiques.

De la littérature scientifique, je comprends qu’aucun consensus ne se dégage au sujet de l’intelligence artificielle. En ce qui concerne les robots – ceux que l’on voit par exemple dans les usines –, en revanche, les travaux de Philippe Aghion notamment montrent que leur généralisation va de pair avec l’augmentation du nombre des emplois : les robots permettent en effet aux industries de rester compétitives, notamment par rapport aux pays dans lesquels le coût des salaires est faible.

Ce constat vaut par exemple pour l’Allemagne, dont le taux de robotisation des entreprises a été historiquement bien plus élevé que celui de la France et qui affiche néanmoins un taux d’emploi manufacturier bien supérieur au nôtre.

Il faut donc mener la réflexion que vous avez évoquée sur l’assiette du financement de la protection sociale, sans toutefois taxer trop lourdement le capital productif. C’est en effet ce dernier qui tire la productivité, l’innovation, à laquelle vous faisiez référence, ainsi que les salaires.

Je pense que nous devons nous intéresser plutôt aux rentes, au capital qui ne génère pas de croissance. C’est un travail fin, qu’il convient de mener au niveau européen.

L’Union européenne a ainsi mis en place un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) – cela constitue d’ailleurs une grande victoire pour la France. Il s’agit de taxer les importations polluantes en provenance de pays étrangers, ce qui permettra de dégager des ressources au niveau européen.

Se pose aussi évidemment la question de la fiscalité des géants du numérique. La France, qui a mis en place une taxe sur les Gafam, est en avance sur ce point. Il convient de mener une réflexion sur cette question à l’échelon européen.

Tels sont les grands débats qui se dessinent, mais il ne s’agit que d’éléments de prospective, car, pour en revenir à l’intelligence artificielle, nous n’assistons qu’à ses balbutiements. L’irruption de celle-ci nous obligera, à n’en pas douter, à refondre notre fiscalité, tout comme nous devrons également le faire d’ailleurs en raison de la transition écologique.

Nous n’avons pas fait cette distinction jusqu’ici, mais il est évident qu’il faut encourager le « capital vert » au détriment du « capital brun ». Voilà qui doit constituer une piste de réflexion pour ce qui concerne la refonte de la fiscalité du capital.

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Isabelle Briquet. Depuis plusieurs années, le Gouvernement a choisi de baisser les impôts de production, c’est-à-dire de perdre des milliards d’euros de recettes, au nom d’un objectif affiché : améliorer la compétitivité, relancer l’investissement et favoriser l’emploi.

Toutefois, les résultats ne sont pas au rendez-vous. L’Institut des politiques publiques (IPP) l’a confirmé dans une étude récente : on n’observe aucun effet mesurable de cette politique sur l’investissement, l’emploi ou les exportations. Autrement dit, des milliards d’euros ont été dépensés pour un impact économique imperceptible !

Pourtant, malgré ce constat, le Gouvernement poursuit dans la même voie. Le projet de loi de finances pour 2026 prévoit ainsi que la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) continuera d’être réduite – sans doute pour améliorer la santé de nos finances publiques (Sourires sur les travées du groupe SER. – M. Olivier Rietmann sexclame.) –, pour un coût de 1,1 milliard d’euros supplémentaires dès l’an prochain, avant d’être supprimée totalement d’ici à 2028.

Je ne pense pas que l’on puisse dire qu’une politique publique est efficace lorsqu’aucun résultat n’est observé. À l’évidence, le Gouvernement confond politique économique et politique du chèque en blanc. Au final, ce sont non pas les Françaises et les Français qui y gagnent, mais seulement quelques actionnaires du CAC40.

Monsieur le ministre, croyez-vous encore sincèrement à la théorie du ruissellement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de laction et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de lÉtat. Je crois effectivement à la politique de l’offre. J’estime que renforcer l’appareil productif français devrait être une priorité, d’ailleurs transpartisane : lorsque l’on examine ce qui s’est passé dans les pays scandinaves après la crise des années 1990, ou dans d’autres pays européens, on constate que ceux-ci ont obtenu des résultats précisément parce que des politiques en faveur de l’offre y ont été menées, et par différentes majorités.

À cet égard, permettez-moi de vous rappeler que les premiers éléments d’une politique de l’offre ont été mis en place, en réalité, sous le quinquennat de François Hollande.

M. David Amiel, ministre délégué. Le rapport de Louis Gallois sur la compétitivité française date, si ma mémoire est bonne, du début de son mandat. De même, une baisse de la fiscalité sur le travail a été engagée à l’époque, sous la forme d’un crédit d’impôt, tout comme l’a été la réforme du droit du travail, par le biais de la loi El Khomri. (Mmes Frédérique Espagnac et Annie Le Houerou protestent.)

Il est bon d’avoir collectivement un peu de mémoire. Ces politiques ont fait suite au choc terrible que nous avons connu en 2008-2010, qui nous a imposé de redresser la compétitivité de l’économie française sur plusieurs années. Ces politiques de l’offre ont ensuite été poursuivies lors du premier et du second mandat d’Emmanuel Macron.

Madame la sénatrice, vous avez évoqué des études de l’Institut des politiques publiques, mais encore faut-il les citer intégralement, car celles-ci, tout comme, plus généralement, les travaux qui ont été menés sous l’égide de France Stratégie, montrent deux choses très intéressantes.

Tout d’abord, elles mettent en évidence que les réformes de la fiscalité du capital ne se sont pas accompagnées de coupes budgétaires : l’effet d’assiette – cette dernière a augmenté – a compensé l’effet de taux – celui-ci a baissé. (M. Thomas Dossus sexclame.)

Ensuite, ces études ont souligné, en le mesurant, l’effet sur la création d’entreprises. Nous savons à quel point cet élément est important.

Enfin, il faut examiner aussi les indicateurs macroéconomiques. Ainsi, pour la cinquième année consécutive, notre pays est le plus attractif d’Europe, en dépit du contexte que nous connaissons. Le taux de chômage est historiquement bas.

M. Thierry Cozic. Il remonte !

M. David Amiel, ministre délégué. Et il a fallu remonter la pente après la crise des années 2008-2010.

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet, pour la réplique.

Mme Isabelle Briquet. Monsieur le ministre, selon Eurostat, le taux de chômage en France est remonté, en juillet 2025, à 7,6 %, alors qu’il était de 7,4 % un an plus tôt. Dans le même temps, pourtant, il a continué de baisser dans la zone euro.

Si la baisse des impôts de production constituait vraiment ce levier miracle de la compétitivité et de l’emploi que vous évoquez, monsieur le ministre, expliquez-nous pourquoi la France ne suit pas cette tendance européenne. Quand le chômage remonte, que les inégalités se creusent et que l’État se prive encore de recettes, il me semble que l’on doit parler non plus de compétitivité, mais d’aveuglement budgétaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « Fiscalité du travail, fiscalité du capital : quels équilibres ? ». Tel est le thème de notre débat. Or, monsieur le ministre, j’avoue que j’ai eu du mal à comprendre quelle était votre perception des déséquilibres.

Depuis 2017, les revenus financiers ont progressé deux fois plus vite que le PIB et trois fois plus vite que les salaires. Ce n’est pas un bilan terrible ! En 2025, les dividendes atteignent un record absolu : ils se sont élevés à plus de 30 milliards d’euros au deuxième trimestre. Autrement dit, les revenus du capital s’envolent, pendant que ceux du travail piétinent. Cela fait tout de même réfléchir.

La fiscalité, qui devrait corriger ces déséquilibres, a cessé de jouer son rôle d’amortisseur. Elle a été transformée, depuis 2018, en instrument de reproduction des inégalités. L’instauration de la flat tax a creusé l’écart entre celles et ceux qui vivent de leur travail et ceux qui vivent de leur patrimoine, dans la mesure où le taux marginal d’imposition est de 30 % pour les revenus financiers, contre 45 % pour les revenus du travail.

Il s’agit donc non plus de savoir si cette dynamique existe, mais de connaître la stratégie que l’État adopte. Profitons de cette occasion, monsieur le ministre, pour débattre projet contre projet. Deux lignes s’affrontent, en effet.

Les partisans de la première ligne, que vous avez défendue – cela se respecte – présentent la protection des grandes fortunes comme un signe d’attractivité, alors qu’une partie de ces dernières est le fruit du non-travail. (M. le ministre délégué sourit.) Vous pouvez sourire, monsieur le ministre, mais c’est la vérité : l’argent amassé ne provient pas du travail !

Les partisans de la seconde option en appellent à l’État pour rétablir la progressivité de l’impôt et protéger les revenus du travail.

Pourriez-vous nous préciser votre vision des choses ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de laction et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de lÉtat. Monsieur le sénateur, il faut prendre un peu de recul sur la situation française. En vous écoutant, j’avais l’impression que vous décriviez la situation des États-Unis, ou de certains pays anglo-saxons, où les inégalités de revenus ont explosé.

Mme Émilienne Poumirol. C’est le cas en France aussi !

M. Thierry Cozic. De 15 % !

M. David Amiel, ministre délégué. Non, la France ne se trouve pas du tout dans la même situation. Quand on examine le partage de la valeur ajoutée entre le capital et le travail – puisque c’est le sujet qui nous intéresse aujourd’hui –, sur cinquante ans, on constate qu’il n’a presque pas bougé. Notre situation est très différente de celle qui prévaut aux États-Unis, où, pour le coup, les grandes fortunes et le capital se sont taillé la part du lion depuis les années 1970-1980.

Pourquoi n’est-ce pas le cas en France ? Parce que nous avons un système fiscal très redistributif. L’écart entre les plus riches et les plus pauvres est massivement réduit par notre système de prélèvements, et il est heureux qu’il en soit ainsi.

Nous rencontrons, en France, deux difficultés.

D’une part, les plus importantes des grandes fortunes parviennent à optimiser leur impôt grâce à la constitution de holdings patrimoniales, ce qui leur permet de se soustraire au taux ordinaire d’imposition qui devrait leur être appliqué.

Pourquoi peuvent-elles le faire ? Parce que nos règles, notamment européennes – je pense, par exemple, à la directive mère-fille –, nous empêchent de taxer les holdings de la même manière que le font les Américains. C’est pourquoi nous proposons, dans le projet de loi de finances, de taxer directement ces holdings pour contourner cette difficulté juridique et répondre à cette injustice.

D’autre part, le cœur du malheur français et de l’injustice sociale, c’est l’absence de mobilité sociale. Cela nous renvoie à un débat plus vaste, et nous avons, en effet, une profonde différence d’approche politique sur ce point.

La tragédie française, c’est qu’il faut six générations à un enfant né dans une classe populaire pour rejoindre les classes moyennes – autant dire une éternité ! L’évocation de ce chiffre en devient presque ridicule : cela voudrait dire qu’il faudrait, pour rejoindre les classes moyennes de nos jours, avoir commencé son ascension sociale au début du XIXe siècle…

Le malheur français, c’était aussi le chômage de masse, qui frappait les classes populaires. En effet, ses premières victimes étaient les enfants non pas des cadres et de la bourgeoisie, mais des ouvriers et des employés. Voilà pourquoi une politique économique de création d’emplois est indispensable aussi pour contribuer à la justice sociale.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la réplique.

M. Pascal Savoldelli. En vous écoutant, monsieur le ministre, j’ai cru que j’étais aux États-Unis, même si je ne sais pas si vos propos étaient ceux d’un candidat républicain ou d’un candidat démocrate !

Selon vous, il n’y a pas eu d’accroissement du déséquilibre entre le capital et le travail depuis 2017. Mais l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) a été supprimé, la flat tax instaurée, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises effacée, l’impôt sur les sociétés réduit… Tout cela serait donc sans conséquence ? La charge fiscale a été déplacée du capital vers le travail. Finalement, le montant de l’addition pour les salariés s’élève à 62 milliards d’euros !

M. Thierry Cozic. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain pour ce débat.

Ma question portera également sur l’égalité devant l’impôt. Depuis cinquante ou soixante ans, on assiste, au niveau mondial, à un transfert dans les systèmes fiscaux : la taxation des revenus du capital a baissé de 5 points, tandis que celle des revenus du travail a augmenté de 10 points.

En France, l’Institut des politiques publiques a mis en lumière, voilà deux ans, l’inégalité devant l’impôt, en montrant, dans une étude fameuse, que 99 % des contribuables paient environ 50 % des contributions publiques – tous impôts, taxes et prélèvements obligatoires compris –, quand les 1 % les plus riches n’en paient que 27 %, grâce aux systèmes d’évitement de l’impôt que vous avez évoqués. L’article 3 du projet de loi de finances, que nous allons étudier dans quelques semaines, a d’ailleurs pour objet les holdings.

À gauche, nous privilégions plutôt la création d’un impôt plancher sur la fortune, la fameuse taxe Zucman. Celle-ci a suscité de nombreux débats. On nous a opposé l’argument selon lequel elle entraînerait un exil fiscal des contribuables les plus fortunés, qui pourraient partir si jamais on menaçait de les taxer à hauteur de 2 % de leur capital.

Or, cet été, le Conseil d’analyse économique (CAE) a publié une étude, intitulée Fiscalité du capital : quels sont les effets de lexil fiscal sur léconomie ?, dans laquelle il écrit que l’exil fiscal en cas de hausse de la fiscalité sur les hauts patrimoines serait « relativement modeste et avec un effet marginal sur l’économie française, même en tenant compte du poids important des hauts patrimoines dans l’activité économique et entrepreneuriale ».

Rappelons comment Tocqueville décrivait l’impôt sous l’Ancien Régime : « Du moment que l’impôt avait pour objet, non d’atteindre les plus capables de le payer, mais les plus incapables de s’en défendre, on devait être amené à cette conséquence monstrueuse de l’épargner au riche et d’en charger le pauvre. »

Ma question est donc la suivante : sommes-nous revenus à l’Ancien Régime ? Existe-t-il un niveau d’accumulation du capital à partir duquel il est autorisé de payer moins d’impôts que le reste de la population, au motif que l’on menacerait de quitter le pays ? (Mme Émilienne Poumirol et M. Patrick Kanner applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de laction et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de lÉtat. Monsieur le sénateur, vous avez cité, et vous avez eu raison, les travaux du Conseil d’analyse économique.

En revanche, je vous invite à lire aussi les propos de son président, Xavier Jaravel, sur la taxe Zucman. Dans une tribune, cosignée notamment par Philippe Aghion, prix Nobel d’économie, il estime que les effets comportementaux engendrés par l’instauration de cette taxe, telle qu’elle est proposée par Gabriel Zucman, seraient tels que le rendement espéré de ladite taxe serait divisé par quatre.

Son produit serait donc très inférieur à ce que vous dites. (M. Thomas Dossus proteste.) Cela signifie que les trois quarts de l’effet espéré s’évaporeraient. Telle est la réalité, et cela avant même d’entrer dans l’analyse de l’impact économique que cette taxe pourrait avoir par ailleurs. En tout cas, si l’on cite les travaux du Conseil d’analyse économique, il est important de les citer jusqu’au bout.

Sans doute pouvons-nous nous accorder sur un diagnostic, celui du problème de la taxation des 0,01 % les riches. Mais en ce qui concerne la manière de le traiter, il importe de tirer les leçons du passé.

L’un des grands débats qui animent la scène publique actuellement concerne l’intégration des biens professionnels dans l’assiette fiscale. Nous avons d’ailleurs eu l’occasion de discuter de ce point au sein de cet hémicycle, il y a quelques jours.

Je vous invite à tirer les leçons de l’expérience. Quand l’impôt sur les grandes fortunes a été imaginé, en 1981, il devait, dans sa version initiale, intégrer l’actif professionnel.

Or ce fut une telle catastrophe économique que le gouvernement de Pierre Mauroy a dû suspendre l’application du dispositif à l’automne 1982, avant même qu’il n’entre en vigueur. Nous ne pouvons pourtant pas suspecter ce gouvernement de complaisance à l’égard de la droite – c’était bien avant le tournant de 1983-1984.

De même, l’économie était alors bien moins mondialisée que la nôtre. Rappelons que l’Acte unique européen n’est entré en vigueur que quelques années plus tard. Pourtant, telle est la décision pragmatique qui a été prise à l’époque. Il est important, quarante-cinq ans après, de se souvenir de cette expérience.

Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel. (M. Bernard Buis applaudit.)

Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fiscalité acceptée est une fiscalité équitable. Tel est l’équilibre que nous devons viser. Il s’agit non pas seulement de chiffres, mais aussi de la manière dont nous valorisons le travail, le capital et la solidarité pour tous.

À ce sujet, selon une enquête de la Fondation Jean-Jaurès, 33 % des Français ne sont pas du tout d’accord et 32 % plutôt pas d’accord avec l’affirmation selon laquelle le système fiscal français est juste.

La France fait partie des États qui taxent moins le capital que le travail. Ces chiffres montrent à quel point notre système fiscal mérite d’être repensé. Concrètement, cela signifie que nous devons veiller à ce que le travail ne soit pas surtaxé, à ce que le capital contribue de manière juste à l’effort collectif et à ce que chacun perçoive l’impôt comme un outil de solidarité et non comme une sanction.

Je le dis avec d’autant plus de conviction que, comme épouse d’artisan, j’ai été particulièrement sensibilisée à la situation de celles et ceux qui, comme les artisans, les commerçants ou les petits entrepreneurs, font vivre nos territoires.

Ces professions représentent près de 1,8 million d’actifs, qui représentent environ 6,7 % de l’emploi total selon l’Insee. Elles effectuent un travail concret, souvent exigeant. Pourtant, elles se heurtent à une fiscalité qui est parfois perçue comme déconnectée de leur réalité quotidienne. Si l’on veut restaurer la confiance dans l’impôt, il faut reconnaître la contribution du travail indépendant.

Nous devons aussi penser à l’avenir. Notre pays vieillit ; les actifs seront demain moins nombreux, tandis que les besoins de financement – pour les retraites, la santé, la dépendance – vont croître. Comment le Gouvernement compte-t-il adapter la fiscalité du travail et du capital à cette nouvelle donne démographique, afin de garantir à la fois la justice entre les générations et la soutenabilité des politiques publiques ?

Par ailleurs, quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il de prendre pour mieux accompagner les artisans, les commerçants et les indépendants, dont l’activité est essentielle, singulièrement dans la ruralité, mais qui se heurtent souvent à une fiscalité trop complexe et trop lourde, ainsi qu’à de nombreux obstacles lorsqu’il s’agit d’investir, de se former ou de transmettre leur savoir-faire ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de laction et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de lÉtat. Vous avez abordé, madame la sénatrice, de nombreuses dimensions de la fiscalité. Il s’agit de sujets très importants.

Je commencerai par répondre à la question relative à la fiscalité sur les petites entreprises. Il était très important pour le Gouvernement que, dans un contexte où un effort général est attendu de tous, l’effort demandé aux entreprises se concentre sur les plus grandes d’entre elles. En effet, vous avez raison, nombre de PME, d’artisans, de commerçants, ou d’entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui sont souvent confrontées à la dureté de la concurrence internationale, traversent un moment difficile.

Je n’énumérerai pas l’ensemble des secteurs en difficulté, mais je songe évidemment au secteur du commerce, en raison du bouleversement provoqué par le développement du commerce en ligne, ou à l’industrie, qui subit la vague chinoise, comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire.

C’est la raison pour laquelle la surtaxe de l’impôt sur les sociétés visera uniquement les entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 1 milliard d’euros, avec des seuils d’imposition fixés à plus de 1 milliard d’euros et à plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

C’est aussi la raison pour laquelle, à l’inverse, des baisses d’impôts sont prévues. Je songe en particulier à la baisse de la CVAE, qui bénéficiera aux PME et aux ETI.

Un autre sujet important que vous avez évoqué est celui de la simplification. En effet, l’opacité de notre système mine le consentement à l’impôt.

Notre système fiscal est ainsi construit que les taux d’imposition faciaux sont élevés, mais qu’il existe parallèlement un grand nombre de niches ou de crédits d’impôt pour les contourner. Ce système permet à certains de se livrer à des manœuvres d’optimisation fiscale – nous en avons parlé abondamment –, mais il s’accompagne aussi d’une grande opacité, de beaucoup de difficultés et de nombreux traitements administratifs.

Une bonne réforme fiscale consisterait à réduire le nombre de niches, quitte à baisser les taux des différents impôts. On obtiendrait ainsi davantage de transparence et d’égalité.

Enfin, il est important de continuer à accompagner les entreprises. Nous avons commencé par l’instauration du droit à l’erreur, mais, de manière plus générale, nous devons encore procéder à un mouvement de simplification considérable.

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye. (Mme Nathalie Goulet applaudit.)

M. Vincent Delahaye. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, on entend souvent dire que, en France, les prélèvements pèseraient trop sur le travail et pas assez sur le capital, et qu’il conviendrait de rééquilibrer la situation.

Or ce constat est erroné. D’après l’OCDE, la France reste, en dépit des réformes Macron sur la fiscalité du capital de 2018, l’un des pays où la taxation de ce dernier est la plus élevée. Lorsque l’on tient compte de la superposition des impôts touchant son stock, son rendement et ses différentes mutations, on constate que le capital est non pas sous-taxé, mais au contraire surtaxé.

M. Emmanuel Capus. Très bien !

M. Vincent Delahaye. Le projet de loi de finances pour 2026, s’il est adopté, n’améliorera ni notre situation ni notre rang. Il majore, dans certains cas, le taux d’impôt sur les sociétés jusqu’à pratiquement 34 %, soit 13 points de plus que ce qui est pratiqué en moyenne dans les pays de l’OCDE.

Par le biais de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, le taux d’imposition des revenus des capitaux mobiliers sera propulsé à 37,2 %, soit presque le double du taux pratiqué par l’Espagne socialiste, qui s’élève à 19 %. Ces deux mesures combinées reviennent à taxer un même capital à un taux proche de 60 %.

Voilà qui est suicidaire ! En effet, la surtaxation du capital dissuade la formation de capitaux nouveaux. Moins de capital rime avec une productivité du travail et des salaires réels plus faibles, ou avec un chômage plus élevé si les salaires réels sont rigides.

On le voit, opposer travail et capital n’a économiquement aucun sens. L’épargne et l’investissement ont des retombées positives qui profitent à tous. Les pays qui traitent mieux le capital que nous, c’est-à-dire à peu près tous les pays de la planète, à commencer par nos voisins, l’ont bien compris, hélas à nos dépens.

Ma question est donc simple, monsieur le ministre : votre gouvernement va-t-il rayer d’un trait de plume les réformes de 2018 au nom de la stabilité, mais au détriment de notre prospérité ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de laction et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de lÉtat. Monsieur le sénateur, il ne vous aura pas échappé que le texte proposé par le Gouvernement ne prévoit rien de tout cela ! Il envisage plutôt la poursuite de la baisse des impôts de production.

En ce qui concerne la surtaxe à l’impôt sur les sociétés, les chiffres que vous citez auraient pu être encore plus élevés si vous aviez repris le taux, encore supérieur, que le gouvernement de Michel Barnier prévoyait d’instaurer l’année dernière.

Si la mise en œuvre de cette surtaxe peut se comprendre dans le contexte particulier, à la fois politique et budgétaire, que nous connaissons, celle-ci doit rester temporaire. En effet, il ne faut pas oublier le contexte international dans lequel nous nous trouvons.

J’ai d’ailleurs commencé mon propos liminaire en le rappelant. Nos entreprises industrielles sont confrontées à une concurrence féroce dans les domaines de la sidérurgie, de l’automobile et de la chimie, ainsi que dans bien d’autres secteurs, où elles subissent l’arrivée d’une vague d’importations de produits industriels asiatiques, en particulier chinois, qui déstabilise très profondément notre tissu industriel.

Lorsque nous discutons avec des industriels, qui ne sont en aucun cas des militants politiques, ils nous font simplement part de la réalité du terrain. Or rares sont ceux qui nous demandent d’augmenter les charges et les impôts… Ils nous demandent plutôt le contraire, parce qu’ils n’arrivent plus à dégager les marges nécessaires pour investir et lutter contre la concurrence internationale.

Je suis toujours très frappé de notre capacité à débattre successivement des sujets, comme s’il n’y avait aucun lien entre eux. Si notre débat de ce soir s’intitulait « Réindustrialisation et investissement productif », et non pas « Fiscalité du travail et fiscalité du capital : quels équilibres ? », je ne doute pas que notre discussion serait complètement différente. Nous parlerions tous de la concurrence déloyale de certains pays, des problèmes de compétitivité, etc. Et nous serions tous d’accord pour dire qu’il faut mettre le paquet sur l’industrie.

Mettons en cohérence nos discours, sans quoi ce sont les industriels et les entreprises, donc les ouvriers qu’ils emploient, qui paieront l’addition.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos PME affrontent aujourd’hui de nombreux défis et subissent une instabilité politique préoccupante. L’imprévisibilité fiscale étouffe la confiance et freine l’investissement. Ces entreprises sont pourtant le socle de l’économie réelle, enracinée dans les territoires, souvent dans l’industrie, cœur battant de notre souveraineté économique.

La part de l’industrie dans la richesse nationale n’est plus que de 14 %, contre près du double il y a trente ans. Ce déclin tient moins à des fermetures spectaculaires d’usines qu’à un mal plus insidieux : le découragement des entrepreneurs et la peur d’investir faute de visibilité.

La fiscalité française demeure l’une des plus lourdes d’Europe, en particulier pour les PME. La suppression progressive de la CVAE constitue une avancée, mais elle doit s’inscrire dans une trajectoire claire et respectée, sans compensation par d’autres prélèvements. Nos chefs d’entreprise attendent non pas des faveurs, mais un cadre fiscal stable et lisible, qui récompense le travail et l’investissement.

La transmission des entreprises constitue également un enjeu majeur. Dans mon département de la Mayenne, de nombreuses PME familiales, patrimoniales, n’ont pas de successeur identifié, et les contraintes fiscales freinent les reprises. Préserver la transmission, c’est préserver des emplois, des savoir-faire et la vitalité de nos territoires.

Certains invoquent la justice fiscale pour taxer toujours davantage, mais la véritable justice, la seule qui soit durable, est de récompenser ceux qui entreprennent et de mieux valoriser le travail d’une façon générale ! Car sans création de richesses, il n’y a pas de solidarité possible.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous garantir la stabilité de notre cadre fiscal, encourager ce capitalisme familial qui fait la force de nos territoires et préserver la transmission des entreprises, plutôt que de les menacer avec de nouveaux alourdissements de la fiscalité des successions ?

Enfin, pouvez-vous éclaircir la position du Gouvernement concernant le pacte Dutreil, si précieux pour les chefs d’entreprise ? (MM. Olivier Rietmann et Emmanuel Capus applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de laction et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de lÉtat. Monsieur le sénateur, vous avez raison de souligner l’importance du pacte Dutreil. Nous parlions à l’instant de la concurrence internationale. Celle-ci concerne évidemment les exportations – ou les importations, selon le point de vue français –, mais elle a aussi pour enjeu la préservation de notre tissu industriel, que nous devons protéger face aux prédations étrangères.

Le pacte Dutreil a été initialement conçu dans cette perspective. Il s’agissait d’éviter que l’application de droits de succession très élevés n’empêche la transmission d’une entreprise familiale aux descendants et n’aboutisse à livrer cette société à l’appétit des fonds d’investissement. À l’époque, d’ailleurs, on pensait beaucoup aux fonds de pension américains, mais sans doute, demain, s’agira-t-il plutôt de fonds issus du Moyen-Orient ou d’Extrême-Orient.

C’est la raison pour laquelle il est vital de préserver le pacte Dutreil, particulièrement dans les années qui viennent, alors que se profile une vague importante de transmissions d’entreprises, notamment d’entreprises de taille intermédiaire.

Certains proposent de réserver le pacte Dutreil aux petites entreprises. C’est absurde, parce que ce sont précisément les ETI qui sont la cible des manœuvres de prédation. C’est la raison pour laquelle, j’y insiste, il faut préserver le pacte Dutreil.

Au cours de nos débats, à l’Assemblée nationale ou au Sénat, nous aurons l’occasion d’apprécier s’il convient d’ajuster tel ou tel paramètre du dispositif, mais le cœur de notre politique doit être de préserver le pacte Dutreil. Celui-ci constitue, comme vous l’avez souligné, un instrument indispensable pour faciliter la transmission des entreprises, mais aussi pour préserver notre souveraineté économique et conserver la maîtrise de nos emplois.

Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Frédérique Espagnac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2023, l’OCDE calculait que, dans la quasi-totalité des pays, les revenus du capital étaient moins taxés que les revenus du travail. En France, la taxation sur les revenus du travail est supérieure de 14 points à celle qui est applicable aux dividendes. La question de la justice fiscale dans notre pays se pose quotidiennement avec prégnance.

Notre système fiscal repose actuellement sur la taxation des plus-values réalisées, c’est-à-dire celles qui résultent d’une cession d’actifs. Cependant, dans un contexte où les patrimoines financiers et immobiliers voient leur valorisation progresser de manière constante, les plus-values dites latentes, c’est-à-dire les gains non encore réalisés, mais constatables sur les actifs détenus, représentent une richesse réelle, qui alimente les inégalités patrimoniales croissantes.

Dans plusieurs pays, comme les États-Unis, à l’occasion de certains débats récents, il a été envisagé de mettre en œuvre une forme de taxation partielle de ces plus-values latentes, notamment pour les contribuables les plus aisés. Parfois, des expérimentations ont même été menées.

Aussi, monsieur le ministre, afin de renforcer l’équité de notre système fiscal, tout en assurant la soutenabilité budgétaire de nos politiques publiques, seriez-vous favorable à l’ouverture d’une réflexion, voire d’une expérimentation, concernant la création d’un dispositif de taxation des plus-values latentes applicable aux très hauts patrimoines ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de laction et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de lÉtat. Madame la sénatrice, je commencerai par répondre sur le constat. Lorsque l’on fait des comparaisons internationales, on observe que la France taxe davantage le travail et le capital que ses voisins européens.

De même, la France a à peu près la même structure de prélèvements obligatoires que ses voisins européens, à une exception près : on taxe davantage le stock de capital. Les pays scandinaves eux-mêmes ont aboli les impôts sur la fortune et les dispositifs similaires… Ces précisions me semblent importantes pour fixer le cadre de notre débat.

Ensuite, concernant votre question, la taxation des plus-values latentes implique de reconstituer toute l’histoire d’un bien au cours de trente, quarante ou cinquante ans… Ainsi, un appartement acheté dans les années 1970 ou 1980 se verrait taxé aujourd’hui sur la plus-value au moment de la succession, après le décès de son propriétaire. Je vous le dis comme je le pense, cela me paraît fou sur le fond et flou techniquement !

La question que vous posez sur la taxation des très hauts patrimoines doit plutôt être abordée sous l’angle du contournement de l’impôt, me semble-t-il. D’ailleurs, nous en avons parlé pour ce qui est de la contribution différentielle sur les hauts revenus et sur la question des holdings.

Il y a d’autres sujets qui, je n’en doute pas, seront évoqués lors de votre débat budgétaire et qui portent sur les différents dispositifs permettant aux très grandes fortunes, parce qu’elles les utilisent massivement, de contourner les impôts de droit commun. À mon sens, c’est la meilleure façon de procéder. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si, à ma connaissance, ce que vous proposez n’a été fait dans aucun autre pays. (Mme Frédérique Espagnac proteste.)

Il faut réussir à s’assurer que les impôts qui sont prévus sont effectivement payés et, quand ils ne le sont pas, corriger les dispositifs qui permettent d’y échapper, sauf, évidemment, quand ceux-ci sont très précisément justifiés.

Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, pour la réplique.

Mme Frédérique Espagnac. Si, monsieur le ministre, cela a été fait ou expérimenté, y compris aux États-Unis. (M. le ministre délégué proteste.)

Le constat est sans appel : 79 % des Français réclament plus de justice fiscale. Ce budget 2026 était l’occasion de donner un cap pour plus de justice fiscale, sociale et environnementale, en dégageant de nouvelles recettes. C’est ce que je propose à l’instant.

On estime que les plus-values latentes des 10 % les plus riches représentent environ 1 300 milliards à 1 500 milliards d’euros. Il s’agit non pas de prendre le capital, mais de le taxer chaque année à 1 % ou à 2 %, ce qui apporterait aujourd’hui 30 milliards d’euros au budget de l’État. Je vous laisse donc y réfléchir, dans cette période où nous recherchons des ressources pour les Français.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le ministre, en écoutant ce débat, il me semble que nous avons rétabli pendant un instant dans cet hémicycle les distinctions entre la droite et la gauche, qui, parfois, n’étaient plus très claires.

M. Thomas Dossus. C’est vrai !

Mme Nathalie Goulet. Ce soir, au moins, c’est clair : le capital, le travail … Cela nous rappelle les discours des ténors d’antan !

Pour ma part, je vais vous parler de succession. L’héritage est-il « ce truc qui vous tombe du ciel », comme l’a affirmé la présidente de l’Assemblée nationale ? Je ne le crois pas. Le travail serait surtaxé, ce qui est vrai, tandis que le capital serait sous-taxé, ce qui est faux.

C’est faux concernant les droits de succession et de donation, puisque seules la Corée du Sud et la Belgique en ont de plus élevés que la France.

C’est faux, surtout, pour ce qui concerne la fiscalité des transmissions en ligne collatérale ou entre non-parents. S’il s’explique par une augmentation des flux, le dynamisme de l’impôt sur l’héritage s’explique aussi par l’application de taux quasi confiscatoires pour les successions et donations en ligne collatérale.

Combiné à des abattements ridicules, un taux unique de 55 % s’applique aux neveux et nièces ; il est porté à 60 % pour les non-parents. Par exemple, une somme de 20 000 euros reçue d’un oncle ou d’une tante sera taxée à 33 %, taux qui s’applique en ligne directe pour une transmission de 2 millions d’euros.

Ma question, monsieur le ministre, est donc la suivante : dans un contexte sociologique et familial profondément transformé, ne faut-il pas éradiquer du système fiscal ces discriminations à l’égard de la parentèle la plus éloignée ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de laction et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de lÉtat. Madame la sénatrice, je trouve légitime de mener une réflexion sur l’adaptation de la fiscalité sur les successions et sur les donations aux évolutions des familles.

Quand j’étais parlementaire, j’avais défendu un amendement visant à permettre précisément de relever les abattements pour les beaux-enfants. Il y a aujourd’hui beaucoup de familles recomposées. Des beaux-pères ou des belles-mères sont en réalité comme des parents pour les beaux-enfants dont ils se sont occupés souvent toute leur vie. Or ils se voient appliquer au moment de la succession des abattements ridicules.

En effet – pardonnez-moi, je n’ai pas en tête le chiffre exact –, cet abattement est de l’ordre de 5 000 euros à peu près, alors que, ne serait-ce que pour un frère ou une sœur, il est déjà de 15 000 euros. Cela fait donc effectivement partie des modernisations importantes qui sont attendues, et il faut que nous ayons une réflexion sur ce sujet.

Il existe ensuite un débat plus général sur la question de la fiscalité des successions. On constate que, désormais, dans la part du patrimoine, le patrimoine hérité est supérieur au patrimoine acquis par une vie de travail. Une des explications tient au contexte économique dans lequel nous sommes : c’est le reflet d’une croissance qui est faible, avec des salaires nets qui sont trop faibles, nous en avons beaucoup parlé.

C’est aussi le reflet des prix de l’immobilier, qui ont énormément augmenté. En effet, quand on parle du patrimoine, c’est bien souvent du patrimoine immobilier qu’il s’agit pour l’immense majorité des Français, car c’est là que leur épargne est investie.

Ce constat doit donc nous amener, si nous avons des marges de manœuvre budgétaires, à concentrer les baisses d’impôt sur le travail. Le fait de ne plus pouvoir acquérir un logement sans être aidé par ses parents est tout de même un affront terrible à la méritocratie. Or, malheureusement, c’est le cas dans des endroits de plus en plus nombreux du pays.

Tous nos efforts doivent donc être consacrés à revaloriser le travail.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, il faut aussi considérer les successions en matière agricole, qui posent un certain nombre de problèmes très sérieux pour les reprises d’exploitation. C’est un sujet sur lequel il faut travailler sereinement, dans la durée.

Mme la présidente. La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Madame la présidente, monsieur le ministre, je rejoins à mon tour le bal… (Sourires.)

Dans ce débat sur la fiscalité du travail et du capital, je voudrais partir d’un élément souvent négligé : le patrimoine, qui constitue le socle du capital et le fruit, dans bien des cas, du travail et de la transmission.

La fiscalité française sur le capital est à la fois lourde et profondément hétérogène.

Lourde, car, selon l’OCDE, les prélèvements sur le capital représentent environ 12 % du PIB en France, contre 9 % en moyenne dans l’Union européenne, alors que la pression fiscale globale atteint déjà 43,8 % du PIB dans notre pays. Au sein du marché unique européen, cette pression doit nous interroger en ce qu’elle illustre la tension entre souveraineté fiscale nationale et liberté de circulation européenne, touchant à la fois aux personnes et aux capitaux.

Hétérogène, ensuite, parce que l’imposition varie fortement selon la nature du capital : plus clémente pour certains supports, comme l’assurance vie ou les plus-values à long terme, mais particulièrement lourde sur le capital productif et entrepreneurial. Cette diversité crée des distorsions profondes dans l’allocation de l’épargne.

Ces constats nous renvoient aux deux principes cardinaux de toute fiscalité que sont la nécessité et l’égalité, aujourd’hui largement fragilisés.

La nécessité, qui veut que l’impôt soit justifié par une dépense publique utile et efficiente, est aujourd’hui mise à mal par une fiscalité trop lourde qui décourage l’investissement productif, celui qui crée des emplois et soutient notre compétitivité. Et l’égalité vacille lorsqu’un patrimoine issu du travail – celui d’un agriculteur, d’un artisan, d’un chef d’entreprise –, est aussi lourdement taxé aujourd’hui.

L’enjeu est donc non pas d’opposer le travail et le capital, mais de restaurer un équilibre entre les deux pour plus de cohérence : il s’agit de reconnaître la valeur du risque et de la création, d’orienter l’épargne vers la production et de replacer le patrimoine au cœur d’une fiscalité plus lisible, plus juste et plus efficace.

Monsieur le ministre, en comparant la France à l’Allemagne et à l’Italie, il apparaît que nous restons champions toutes catégories de l’imposition, et même doubles médaillés d’or sur le patrimoine et la transmission. C’est un record que personne ne nous conteste, mais peut-être pourrions-nous accepter, pour une fois, de descendre de la plus haute marche du podium.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de laction et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de lÉtat. Monsieur le sénateur, nous sommes entrés pour plusieurs années dans une période d’ajustement budgétaire. Il ne s’agit pas d’une surprise, car c’est le cas à la suite de la plupart des grandes crises : c’était le cas après la crise du début des années 1990, après la crise financière de 2008, après la crise de la zone euro de 2010. Et c’est le cas, maintenant, après les crises sanitaire de 2020 et énergétique de 2022.

Il va nous falloir, si l’on en croit les travaux du Conseil d’analyse économique (CAE), dégager sur plusieurs années, j’y insiste, de l’ordre de 110 milliards à 120 milliards d’euros pour stabiliser notre dette en part du PIB. Ce n’est pas une règle qui nous est imposée par l’Europe ou par nous-mêmes ni un quelconque impératif de communication : c’est simplement une réalité mathématique !

La réflexion que nous menons sur la question fiscale doit donc être ciblée, puisque, évidemment, nous ne pourrons pas tout faire. Le débat que vous posez, qui est celui de la réallocation de l’épargne et des priorités, est le bon. C’est, en fait, celui que nous devrions avoir.

Pour ma part, je pense que nous devons parvenir à une forme de préférence productive. En effet, ce qui est devant nous, ce sont les deux urgences que j’évoquais au début : l’urgence sociale, c’est-à-dire faire en sorte que le travail paie ; et l’urgence économique, qui est de défendre notre tissu productif, notre tissu industriel face à la mondialisation et aux bouleversements technologiques.

Nous aurons réussi à traverser cette période d’ajustement budgétaire – je le répète, c’est normal après des crises de cette importance –, si nous parvenons dans le même mouvement à baisser les prélèvements sur les travailleurs et les actifs, sans quoi le contrat social ne tiendra pas, et à diminuer la pression sur les entreprises qui produisent, qui sont aux premières loges de la concurrence internationale – l’industrie est un très bon test à cet égard. Si nous y arrivons, nous aurons réussi quelque chose d’important.

En revanche, si nous fragilisons les actifs et si nous laissons notre tissu industriel être balayé par les concurrents internationaux, je crains que la décennie 2030 ne soit encore plus difficile pour nous.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Le Houerou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Annie Le Houerou. Madame la présidente, monsieur le ministre, la fiscalité du capital est au cœur du débat budgétaire pour 2026. Nos concitoyens demandent plus de justice fiscale.

Les inégalités se creusent, avec presque 10 millions de Français vivant sous le seuil de pauvreté, alors que le montant total des 500 plus grandes fortunes a plus que doublé depuis 2017. Ce montant, évalué alors à 600 milliards d’euros, atteignait 1 200 milliards d’euros en 2023. Ces inégalités croissantes rendent nécessaire la recherche d’une plus juste redistribution des richesses.

La fiscalité du travail et la fiscalité du capital répondent à des logiques différentes. L’une vise le financement des prestations sociales contributives, l’autre tend à taxer la rente et à limiter la concentration des richesses sur quelques-uns pour financer la solidarité nationale.

La redistribution, ainsi que le financement de la protection sociale et de la dette, est assurée de manière disproportionnée par le travail : pour les classes moyennes, le taux d’imposition est de 50 % ; pour les ultra-riches, il est de 26 % selon l’Institut des politiques publiques.

Le capital bénéficie pourtant à une infime proportion de la population. Il est excessivement protégé de l’effort fiscal, massivement abrité derrière des personnes morales, des entreprises, des holdings, sans que le ruissellement vers les classes plus modestes se soit fait sentir.

Par ailleurs, la multiplication des allègements généraux sur le travail, évalués à plus de 60 milliards d’euros, renforce encore cette injustice et accentue le sentiment que le salarié est toujours mis à contribution, au bénéfice de celui qui possède l’outil de travail.

Le système de protection sociale est souvent présenté exclusivement dans sa fonction de redistribution, de charge pour les entreprises. Or le système de sécurité sociale soutient très directement l’activité économique. C’est de l’argent qui circule, qui est dépensé dans des biens de consommation, qui contribue au développement économique dynamique de notre pays et qui ne présente pas de risque récessif pour notre économie.

Monsieur le ministre, quels sont les leviers que votre gouvernement prévoit d’actionner pour mettre fin à l’injustice que constitue cette concentration de richesses inédite, que l’on qualifie désormais de « sécession des ultra-riches » ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de laction et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de lÉtat. Madame la sénatrice, je livrerai tout d’abord un élément de constat : notre fiscalité est massivement redistributive pour 99 % des Français, car l’impôt sur le revenu est très progressif.

Le problème que vous mentionnez s’applique tout en haut de la courbe de distribution des richesses. Effectivement, une poignée de personnes ont la capacité de contourner l’impôt sur le revenu ou le prélèvement forfaitaire unique (PFU) par l’utilisation des holdings.

C’est la raison pour laquelle nous proposons dans le PLF initial, qui sera ensuite soumis à vos amendements, de taxer les holdings pour éviter ce contournement. C’est d’ailleurs une mesure que l’on peut retrouver dans d’autres pays, notamment aux États-Unis, que je mentionnais tout à l’heure.

Vous évoquez ensuite la question du financement de la protection sociale. Je constate que la baisse du coût du travail a participé, au cours des trente-cinq dernières années, d’une politique plutôt transpartisane, puisqu’elle a commencé sous le gouvernement d’Édouard Balladur, puis a été amplifiée sous le gouvernement de Lionel Jospin et poursuivie sous les gouvernements de Jacques Chirac, notamment par François Fillon en 2003. Elle a ensuite été encore intensifiée par François Hollande avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE).

Si des gouvernements de droite, de gauche et du centre ont évité de concentrer la fiscalité sur le travail et sur les emplois, c’est précisément parce que nous avions en France un problème de chômage massif. Si nous décidons que seul le travail finance massivement la protection sociale, nous détruisons de l’emploi, des recettes pour la sécurité sociale et, surtout, des espoirs ou des désirs de mobilité sociale chez les Français des classes populaires.

Il y a donc une réflexion à mener, d’abord sur le calcul de ces allègements de charges – nous l’évoquions il y a quelques minutes –, puis sur des assiettes complémentaires de financement de la protection sociale. Il est extrêmement important d’agir en ce sens si nous voulons réduire l’écart entre ce qui est versé par l’employeur et ce qui est touché par le salarié, car s’il y a bien un domaine dans lequel la France se distingue des autres pays, c’est celui-là.

Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Puissat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Frédérique Puissat. Monsieur le ministre, ma question est plus technique et moins politique que celle de mes collègues. Je parle sous contrôle, à distance, de ma collègue Christine Lavarde.

La France finance une partie de son modèle social par des prélèvements sur le capital. La contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) viennent en effet compléter l’impôt sur le revenu dans le cadre du prélèvement forfaitaire unique (PFU).

Or, pour les résidents fiscaux français non affiliés à la sécurité sociale française, la Cour de justice de l’Union européenne interdit d’appliquer la CSG et la CRDS, car ces contributions financent directement notre sécurité sociale nationale. Résultat, ces personnes ne sont aujourd’hui assujetties qu’au prélèvement de solidarité à 7,5 %, soit moins de la moitié du taux de droit commun de 17,2 %.

Avec ma collègue Christine Lavarde, nous avions proposé, lors du dernier examen budgétaire, une réforme visant à relever le prélèvement de solidarité de 7,5 % à 16,2 %, en contrepartie d’un abaissement de la CSG sur le capital de 9,2 % à 0,5 %, de manière à rester conformes au droit européen.

L’effet net était simple : neutralité pour les résidents affiliés en France et alignement vers le taux de droit commun pour les non-affiliés. Quant aux recettes supplémentaires attendues, monsieur le ministre, elles étaient de l’ordre d’un milliard d’euros.

Le ministre de l’époque avait demandé le retrait de l’amendement pour permettre une étude d’impact. Un an plus tard, cette proposition n’a reçu aucune suite. Ma question est donc la suivante : le Gouvernement entend-il enfin mettre à l’étude l’harmonisation du régime applicable aux non-affiliés, afin de rapprocher leur taux effectif du taux de droit commun ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de laction et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de lÉtat. Madame la sénatrice, votre question est précise, et je ne voudrais pas y répondre d’une manière qui ne le soit pas.

J’imagine que vous déposerez de nouveau un amendement similaire dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances, sans doute dès le stade de la commission, et à coup sûr en séance publique. Je vous propose que nous revenions vers vous à ce moment-là, avec une réponse précise à la question de l’étude d’impact. En effet, je ne voudrais pas, ce soir, vous apporter des éléments inexacts.

Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour la réplique.

Mme Frédérique Puissat. Soyez assuré que nous déposerons cet amendement. Mais son sort doit être différent de celui de l’année dernière. Monsieur le ministre, un milliard d’euros, ce n’est pas rien !

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Rietmann.

M. Olivier Rietmann. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite pointer aujourd’hui ce qui me semble être une profonde anomalie, qui devrait, je l’espère, tous nous convaincre d’alléger le coût du travail.

Depuis vingt ans, la part des revenus du travail dans les revenus des ménages français ne cesse de reculer : elle est passée de 57 % en 2000 à 52 % aujourd’hui. Les prestations sociales, elles, sont passées de 25 % à 29 %, soit 595 milliards d’euros, dont 400 milliards d’euros de pensions de retraite.

Autrement dit, notre pays vit de moins en moins de ceux qui travaillent et de plus en plus du travail des autres. Résultat, celui qui travaille a le sentiment d’être le seul à contribuer, sans en retirer de reconnaissance. Ce sentiment d’injustice est bien présent, et il est compréhensible qu’il suscite de la colère.

Songez que 29 millions de Français travaillent pour financer notre modèle social, qui bénéficie aux 17 millions de retraités, aux 2,5 millions de bénéficiaires des minima sociaux et au million et demi de chômeurs indemnisés.

Monsieur le ministre, nous devons dire les choses clairement : notre pays doit non seulement mieux rémunérer le travail, mais aussi travailler davantage, ce qui était d’ailleurs prévu jusqu’à la volte-face du Premier ministre.

J’ai deux questions très simples.

Tout d’abord, comptez-vous engager une refonte fiscale ambitieuse qui redonne toute sa valeur au travail, en allégeant la fiscalité qui pèse aujourd’hui sur les revenus d’activité ?

Ensuite, alors que notre démographie ne joue pas en notre faveur, nous avions su compenser cette réalité par une réforme courageuse du système de retraites. Dès lors, comment pouvez-vous sérieusement justifier la suspension de cette réforme, qui aura pour conséquence directe le découragement de ceux qui produisent ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de laction et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de lÉtat. Monsieur le sénateur, je vous remercie, car votre question permet de mettre le doigt sur le cœur du paradoxe français : nous avons à la fois un taux record de prélèvements obligatoires, une dette très importante et, chez énormément de Français, le sentiment que les services publics sont à l’os.

En fait, tout est vrai : oui, le taux de prélèvements est important ; oui, le déficit l’est tout autant ; oui, nos services publics souffrent – les services publics du quotidien, comme l’éducation nationale et la justice, mais également les armées, fonction majeure de l’État, et bien entendu la santé, en particulier – vous avez eu raison de le rappeler – les hôpitaux, où les besoins d’investissement sont importants, même si des efforts sont engagés depuis plusieurs années.

L’explication de ce paradoxe est claire : à l’évidence, la dépense publique qui augmente massivement est la dépense sociale. Quand on emploie ce terme, cela suscite souvent un malentendu : on peut imaginer que cela recouvre des dépenses de lutte contre la pauvreté. Mais ce qui augmente énormément, ce sont d’abord les dépenses de retraite, puis celles de l’assurance maladie, soit deux types de prestations dont tout un chacun, vous et moi comme tous nos concitoyens, bénéficie ou bénéficiera un jour.

Comme vous, je suis convaincu que notre modèle de protection sociale ne pourra perdurer que si, collectivement, nous travaillons davantage, donc plus longtemps.

Toutefois, vous n’ignorez pas qu’il n’y a plus de majorité à l’Assemblée nationale pour défendre la réforme des retraites qui allait dans ce sens. Devant une telle situation politique, il faut être lucide. C’est pourquoi cette réforme sera suspendue, mais cela ne doit pas nous dispenser de réfléchir à l’avenir, notamment pour que le débat de 2027 repose sur de bonnes bases.

Évidemment, on aura alors des options très différentes, tant par le mode de financement des retraites retenu que par la vision économique. Mais si l’on arrive à construire au moins un cadre de référence commun, afin que l’on puisse partir des mêmes chiffres, du même constat, le débat démocratique qui devra trancher entre ces options pourra être de la meilleure qualité possible.

C’est sur cet enjeu important que les partenaires sociaux, les organisations syndicales comme patronales, sont convenus de travailler ensemble.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Pierre Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Pierre Vogel. Monsieur le ministre, la France constitue aujourd’hui un cas presque unique en Europe.

Elle est le seul pays à cumuler autant d’impôts sur la production : ils atteignent 125 milliards d’euros, soit 4,7 % de notre PIB, contre une moyenne européenne de 2,5 % et seulement 1 % en Allemagne. La fiscalité du travail, au sens large, demeure le principal canal de financement de la protection sociale et de nombreux dispositifs parafiscaux.

Ces impôts qui, comme la CVAE ou la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), ont pour assiette le chiffre d’affaires et la valeur ajoutée s’empilent en cascade à chaque maillon de la chaîne de valeur ; ils pénalisent nos circuits longs, nos exportations industrielles et, finalement, notre production nationale.

À cela s’ajoute, pour près de 50 milliards d’euros, une myriade de prélèvements sur les salaires, dont je ne pourrai citer que quelques-uns : la taxe sur les salaires, le versement mobilité, la taxe d’apprentissage et la contribution supplémentaire à l’apprentissage, la participation des employeurs à l’effort de construction (Peec), la contribution de solidarité pour l’autonomie (CSA), la taxe de solidarité additionnelle (TSA), ou encore la contribution au Fonds national d’aide au logement (Fnal)…

Cette accumulation, incompréhensible pour les entreprises, résulte du millefeuille fiscal français : c’est un empilement sans cohérence ni logique économique.

Ces différentes contributions, souvent déconnectées de la productivité ou du résultat des entreprises assujetties, renchérissent mécaniquement le coût du travail. À la différence des impôts sur les bénéfices, elles sont dues dès le premier euro de salaire versé, indépendamment de la rentabilité de l’entreprise.

Le résultat, nous le connaissons : un coût du travail élevé, des effets de seuil pénalisants, une compétitivité fragilisée et une création d’emplois en berne dans les secteurs intensifs en main-d’œuvre.

Finalement, ces impôts de production ne se justifient ni par l’efficience ni par l’équité. Ils ne constituent qu’une ressource de court terme pour les finances publiques et représentent un frein durable à la compétitivité, à la réindustrialisation et au rebond du travail.

La question n’est pas seulement budgétaire, elle est philosophique : quelle place notre pays veut-il accorder au travail dans la création de richesse ? Nous devons bâtir une fiscalité qui encourage la production, l’emploi et l’investissement.

Aussi, monsieur le ministre, compte tenu de notre objectif partagé de reconquête industrielle, le Gouvernement entend-il engager un mouvement de baisse structurelle et de rationalisation des impôts de production, qui ciblerait prioritairement les taxes sur le chiffre d’affaires et les prélèvements fiscaux sur les salaires ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de laction et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de lÉtat. Monsieur le sénateur, la réponse est simple : oui !

Vous le savez, une baisse des impôts de production a été enclenchée à partir de 2021, à hauteur d’une dizaine de milliards d’euros, et le projet de loi de finances qui vous sera bientôt soumis prévoit, dans sa version initiale, de poursuivre cet effort, en ciblant notamment la CVAE.

Pourquoi avoir choisi la CVAE parmi tous les impôts de production que vous avez mentionnés ? Le débat est récurrent, que ce soit au Parlement ou entre experts sur les chaînes de télévision : quels impôts de production vaut-il mieux cibler ? Nous avons retenu la CVAE, parce que, de tous ces impôts, c’est celui qui frappe le plus l’industrie, alors que la C3S, par exemple, affecte beaucoup plus, en proportion, le secteur de la finance.

Dans le contexte que nous connaissons, celui d’une concurrence industrielle féroce entre pays, et alors que plusieurs secteurs de l’industrie – l’automobile, la chimie, les puces et les semi-conducteurs… – font face, dans toute l’Europe, à une menace existentielle, c’est le bon choix. Ces secteurs de notre industrie peuvent être très rapidement balayés, au vu de la férocité du comportement de leurs compétiteurs internationaux.

Vous avez aussi eu raison de rappeler le décalage massif que l’on observe, concernant de tels impôts, entre la France et d’autres pays similaires, notamment l’Allemagne. Tout n’est certes pas parfait en Allemagne, mais ce pays a tout de même réussi, au cours des vingt dernières années, à défendre son industrie. Cette réussite est, à l’évidence, en partie due à une approche différente des impôts de production.

C’est la raison pour laquelle, malgré le contexte budgétaire tendu, et bien que cette politique ne soit pas forcément la plus populaire, le Gouvernement a choisi de vous proposer de poursuivre la diminution de la CVAE : nous sommes convaincus que, pour l’intérêt général et pour la défense de notre industrie, cette baisse est extrêmement importante.

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voici donc la fin de ce premier round, qui en appelle d’autres, dans quelques semaines dans cet hémicycle.

Ce fut, à cette heure de la soirée, un round à fleurets mouchetés, mais je dois dire, monsieur le ministre, que j’ai apprécié vos réponses très structurées : vous connaissez indéniablement vos sujets, et j’ai même décelé dans vos propos une voix progressiste, qui montre que votre passage au parti socialiste n’aura pas été totalement inutile. (Rires sur les travées du groupe SER. – M. le ministre délégué sourit.)

Mme Frédérique Puissat. C’était donc ça !

M. Patrick Kanner. Naturellement, monsieur le ministre, vous pouvez encore vous améliorer !

Le débat que nous venons de mener touche à l’un des fondements mêmes de notre pacte républicain. Je regrette à cet égard le départ prématuré de nos collègues du groupe Les Républicains.

Mme Frédérique Puissat. Moi, je suis là !

M. Patrick Kanner. Oui, il reste un otage… (Sourires sur les travées du groupe SER.)

Ce débat, disais-je, touche à l’un des fondements de notre pacte républicain : le rapport entre le travail et le capital, entre la valeur produite et la richesse captée. Ce n’est pas un débat technique, mes chers collègues : c’est un débat de civilisation.

Depuis la Révolution industrielle, l’équilibre entre ceux qui produisent et ceux qui possèdent a toujours constitué le socle du pacte social français, même si celui-ci a connu des soubresauts – le dernier en date aura été la crise des gilets jaunes.

Néanmoins, ce modèle de société se fragilise. En effet, désormais, la richesse vient non plus de l’effort, mais toujours plus de la rente. Ce n’est plus le travail qui élève, c’est le capital qui accumule. Pourtant, c’est encore le travail que l’on taxe, que l’on presse et que l’on culpabilise.

On nous avait promis une France moderne, réconciliée, dépassant les clivages. Mais, après huit ans de macronisme, monsieur le ministre, la réalité s’impose : c’est une politique de droite qui a été menée, une politique libérale assumée, au service du capital protégé. Suppression de l’ISF, allègement de la fiscalité du capital, affaiblissement de la progressivité de l’impôt… Pendant ce temps, à rebours du fameux mythe du ruissellement, l’ouvrier, l’infirmière et l’enseignant paient plein tarif.

La droite invoque souvent le bon sens ; cela a encore été le cas tout à l’heure. Mais le bon sens, c’est de comprendre que la justice fiscale est, non pas une punition, mais une exigence de cohésion. Il n’y a pas de société durable lorsque l’effort est toujours demandé aux mêmes. Que l’on ne nous parle plus de mérite ! Il n’y a aucun millionnaire de moins de trente ans. Et aucun, ou presque, ne s’est bâti tout seul : ce sont des héritiers ou des traders, pas des héros.

Oui, il faut repenser notre fiscalité. Et le débat qui se tient ces semaines-ci à l’Assemblée nationale le permet, monsieur le ministre : aussi, faites encore un petit effort pour y parvenir, d’autant que cela vous évitera de redevenir trop vite député – nous vous souhaitons de rester longtemps ministre, tout en vous concédant que cela dépend un peu de nous… (Sourires sur les travées du groupe SER.)

S’il faut, à notre sens, repenser la fiscalité en France, ce n’est pas pour punir la réussite, que nous soutenons : quand nous étions aux affaires, selon la formule consacrée, non seulement nous avons permis ces réussites privées, mais nous avons maîtrisé les comptes de la Nation. Non, s’il faut repenser la fiscalité, c’est d’abord pour redonner sens à l’idée même de République : celle où l’impôt unit, au lieu de diviser.

La droite a rompu avec ce qu’elle fut. Elle oublie trop souvent aujourd’hui, ma chère collègue Frédérique Puissat, ce que fut la droite sociale du général de Gaulle, celle qui savait que la grandeur de la France ne pouvait reposer sur la misère de ses enfants.

Aujourd’hui, nous avons 10 millions de pauvres, nous avons 12 % de smicards dans le monde salarié. Aujourd’hui, la droite a tourné le dos à l’esprit du Conseil national de la Résistance, à cette idée simple et magnifique que la prospérité ne vaut que si elle est partagée, comme d’ailleurs la production de richesses. Voilà ce qu’était le patriotisme fiscal de l’époque !

Désormais, la priorité n’est plus le bien commun ; c’est le rendement du capital. L’économie n’est plus au service de la Nation ; c’est la Nation qui se met au service des marchés. Ce renversement n’est pas neutre : c’est un choix moral, un choix de société.

On nous dit qu’il faut récompenser le risque et protéger la réussite. Mais ce que l’on appelle « modernité », c’est souvent la démission morale d’une époque. En effet, il y a un autre risque que celui que l’on invoque à foison : je pense au risque que prennent les travailleurs précaires, les jeunes sans logement, les soignants à bout, les enseignants désabusés. Quand nous parlons de justice fiscale, nous ne parlons pas de revanche. Nous parlons de responsabilité, nous parlons d’équité, car une République sans équité devient une fiction.

Alors que l’Assemblée nationale examine les textes budgétaires pour 2026, il convient, mes chers collègues, de rappeler que la fiscalité n’est pas qu’une affaire de comptes : elle dit aussi ce que nous voulons être comme société. Or nous n’avons pas honte de la société française ! Oui, elle est redistributrice, elle est protectrice des plus faibles. Tel est notre modèle de société, dont il faut assumer qu’il coûte de l’argent.

Nous, socialistes, défendons une fiscalité du travail plus juste, une contribution du capital plus équitable, un impôt réhabilité comme acte de fraternité républicaine. Cela s’impose, parce qu’il n’y a pas de République forte sans justice fiscale, pas de cohésion sans redistribution, pas de prospérité durable sans solidarité.

C’est ce message que notre groupe a voulu faire passer aujourd’hui, en conscience et en responsabilité. Tel est aussi le sens de notre engagement : redonner au travail la place qu’il mérite, redonner à l’impôt le sens du lien et redonner à la République le souffle de la justice.

Le consentement à l’impôt, la qualité des services publics, l’ascenseur social constituent sans nul doute les fondamentaux d’une République rénovée ; tel était le sens de notre débat de ce soir. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’y avoir contribué, même si nous n’avons pas toujours été d’accord. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Fiscalité du travail, fiscalité du capital : quels équilibres ? ».

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Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 4 novembre 2025 :

À quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures trente et le soir :

Proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment, présentée par Mme Nathalie Goulet et plusieurs de ses collègues (procédure accélérée ; texte de la commission n° 95, 2025-2026).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures cinq.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

JEAN-CYRIL MASSERON