M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de lindustrie. Monsieur le sénateur Emmanuel Capus, vous me demandez quelles économies nouvelles le Gouvernement pourrait proposer. Le Gouvernement attendra également les économies nouvelles que pourra proposer le Sénat, à la suite de l’Assemblée nationale.

M. Pierre Jean Rochette. Nous en proposerons !

M. Sébastien Martin, ministre délégué. Nous sommes, bien évidemment, attentifs aux débats et aux propositions qui sont formulées.

Permettez-moi néanmoins de nuancer les résultats des sondages dans lesquels les Français se déclarent très favorables à la baisse de la dépense publique. Lorsque cela demeure un principe général, je vous l’accorde ; mais lorsque l’on entre dans les détails, les choses deviennent souvent un peu plus complexes. Nous verrons donc, au fil des échanges, de quelle manière chacune et chacun avancera dans cette direction.

Je souhaite aussi apporter une précision concernant la part de l’emploi public dans l’emploi total. Contrairement à certaines idées reçues, celle-ci est stable, je tiens à le rappeler : elle était de 23 % en 2017, elle est de 22 % aujourd’hui. Ce n’est ni une baisse ni une hausse. Je le souligne, car je sais que nous sommes toutes et tous attachés à la qualité des agents du service public.

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour la réplique.

M. Emmanuel Capus. Je tiens à vous rassurer, monsieur le ministre : le Sénat proposera des économies, en particulier le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

M. le président. La parole est à M. Christian Klinger, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christian Klinger. Monsieur le président, mes chers collègues, pourquoi un tel débat sur la dette publique ? Parce que la situation est alarmante et parce qu’elle devrait être au carrefour de toutes nos préoccupations concernant l’avenir.

Nous faisons face à un double défi. Derrière le mur de dette que nous avons bâti et que nous continuons à élever année après année, émerge la montagne des investissements qu’il sera indispensable d’effectuer pour conserver notre souveraineté et notre capacité à faire société.

Pourquoi la situation de la dette aujourd’hui est-elle alarmante ? Tout d’abord, et ce n’est pas un mystère, parce que le taux d’endettement français est très élevé. Alors que notre dette publique était déjà très – trop ! – importante, la crise sanitaire, puis énergétique, l’a propulsée à des niveaux historiques. Nous sommes aujourd’hui les troisièmes sur l’inquiétant podium européen de l’endettement, après la Grèce et l’Italie.

La politique du « quoi qu’il en coûte » durant la crise sanitaire était justifiée. Mais pendant que nos voisins européens ont fermé les vannes du robinet de la dépense publique, en France, le Mozart de la finance n’a pas modifié sa partition. Il joue toujours la même musique pendant que le bateau coule. Il persiste à répondre à chaque problème par un chèque ; c’est toujours le même refrain.

Ces dépenses exceptionnelles n’expliquent pas à elles seules le niveau d’endettement de la France. Celui-ci est aussi dû à un montant de dépenses publiques très élevé. Non seulement le niveau d’endettement atteint des sommets, mais la trajectoire de la dette française ne semble pas près de fléchir assez rapidement et fortement pour renverser la tendance.

Dans ce contexte, force est de constater que ce mur de dette emporte des conséquences très concrètes pour l’avenir de notre pays et qu’il représente un risque à plusieurs égards.

En premier lieu, il devient de plus en plus coûteux de s’endetter. L’augmentation de la charge de la dette est spectaculaire. Alors qu’elle était de 30 milliards d’euros en 2020, elle est passée à 65 milliards d’euros en 2025 et devrait dépasser les 100 milliards d’euros en 2029. C’est vertigineux. La charge de la dette sera le premier poste de dépense de l’État, largement devant l’éducation nationale.

En second lieu, et c’est là le risque ultime, nous rencontrons des difficultés à emprunter, ce qui revient à abandonner notre capacité à décider pour nous-mêmes : en clair, cela s’appelle la souveraineté. Lorsque les marchés sont réticents à acheter notre dette, il n’y a en général pas d’autre choix que d’augmenter brutalement les impôts ou bien de couper tout aussi brutalement dans les dépenses. Vous le savez aussi bien que moi, une augmentation de 1 % des taux d’intérêt, ce sont 32 milliards d’euros de charge d’intérêts annuelle de plus neuf ans après.

Notre priorité doit être de dégager des marges de manœuvre pour financer les investissements massifs nécessaires aux grandes transitions de demain. Des leviers ou des solutions, j’en vois trois.

Premièrement, il y a la croissance, qui génère des recettes pour l’État. Les économies de la zone euro traversent une phase de ralentissement, la France ne fait pas exception. Il faut cependant continuer à stimuler la croissance des entreprises en les préservant de l’inflation des normes et des surtranspositions, grand sport national.

Deuxièmement, la fiscalité, autrement dit la hausse des impôts, est un autre levier possible, mais la France étant déjà le champion européen des prélèvements obligatoires, qui représentent plus de 45 % du PIB, elle n’a plus de marges de manœuvre.

Troisièmement, il y a la maîtrise de la dépense publique. Nous avons du mal à débattre de cette solution dans notre pays. Or, dans le contexte que je viens de décrire, seules des économies structurelles et pérennes nous permettront de dégager les marges de manœuvre absolument indispensables pour investir dans l’avenir.

L’objectif à atteindre est une dépense publique de meilleure qualité. Nous devons accepter de revoir les dépenses qui ne sont pas efficaces et d’opérer différemment quand cela est possible.

Monsieur le ministre, il est temps de soulever le capot des politiques publiques pour voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. La voiture France est en panne. On peut certes changer le copilote – je pense au Premier ministre –, mais ce n’est pas là que se situe le problème. En revanche, on ne peut pas changer le pilote, c’est-à-dire le Président de la République, dont le contrat constitutionnel court jusqu’en 2027.

Alors, en attendant, monsieur le ministre, en tant que passager de cette voiture, comment allez-vous réparer le moteur pour qu’il tourne à nouveau rond et qu’il fasse avancer la France dans la bonne direction ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de lindustrie. Monsieur le sénateur, un ministre de l’industrie pour s’occuper du moteur, cela tombe plutôt bien !

Je vais m’efforcer de vous rassurer sur notre capacité à emprunter : cette année encore, nous avons eu trois fois plus de propositions que ce que nous avons émis sur les marchés. Cela signifie que la signature de la France demeure crédible, comme cela a été rappelé dans plusieurs interventions. Ainsi, comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur Sautarel, il n’y a pas de risque de crise à la grecque dans notre pays.

Vous avez également rappelé que l’essentiel était de stimuler notre croissance, et je partage totalement cette idée. Pour cela, il est indispensable que nous agissions plus fortement encore à l’échelon européen. Je sais que vous en êtes tous d’accord ici. Il faut des mesures de simplification, comme cela a été demandé. Vous savez que six paquets omnibus de simplification sont engagés, notamment à la demande de la France.

Il faut enfin agir pour renforcer la préférence européenne en faveur de nos industriels. Nous avons visité ensemble le site chimique de BASF à Chalampé, monsieur le sénateur. Vous le savez, il nous faut protéger notre industrie avec des clauses de sauvegarde. C’est le combat que la France a mené et remporté sur l’acier. Nous avons obtenu ce matin des mesures de sauvegarde pour protéger l’industrie européenne des ferro-alliages. Nous continuerons de nous battre pour de telles clauses, contre la concurrence déloyale de la part de pays à bas coût, notamment de la Chine.

M. le président. La parole est à M. Christian Klinger, pour la réplique.

M. Christian Klinger. Je sais qu’en tant que ministre de l’industrie, vous avez tous les outils nécessaires pour réparer la voiture France et faire en sorte qu’elle soit compétitive, belle et rutilante. Prêtez donc votre boîte à vos collègues du Gouvernement, pour que l’on puisse réparer et débosseler ce qui doit l’être !

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Didier Rambaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Rome ne s’est pas faite en un jour ; notre dette publique non plus. Celle-ci est le fruit de choix, d’évolutions et, surtout, de décisions politiques. Toujours est-il que, depuis 1975, le budget de l’État est déficitaire, et ce sans interruption. Les crises traversées par notre pays et leurs conséquences économiques n’ont fait qu’amplifier la trajectoire de notre dette, déjà fortement impactée par les chocs pétroliers de 1974 et 1981.

En 2008, au lendemain de l’effondrement des marchés à Wall Street, notre dette représentait 69 % du PIB. Un an plus tard, celle-ci s’élevait à plus de 84 %, soit une augmentation de quatorze points en un an. De même, en 2020, avant le covid, la dette atteignait 98,2 % du PIB. Un an plus tard, elle culminait à 115 % du PIB, son niveau record. Aujourd’hui encore, la dette avoisine les 113 % du PIB, alors que la moyenne de la zone euro se situe autour de 87 %.

Depuis, la sonnette d’alarme a été tirée, et c’est tant mieux. Néanmoins, reconnaissons que la dette nous a permis de surmonter des crises, de venir en aide aux entreprises et aux travailleurs, et de sauver collectivement notre économie. Mais, désormais, le besoin de redressement est important. Il y va de la crédibilité financière de notre pays auprès de nos partenaires européens et de ceux qui nous prêtent.

Disons-le, nous avons un déficit plus important que la Grèce, le Portugal, l’Espagne ou l’Italie. Alors que nos voisins s’efforcent de contrôler leurs dépenses, nous devons, nous aussi, respecter les règles communes européennes énoncées dans le traité de Maastricht et le pacte de stabilité.

En 2020, le « quoi qu’il en coûte », que je défendais ici même, à cette tribune, a été assumé par toutes les forces politiques, certains groupes nous ayant même reproché de ne pas en faire assez.

Cette chronologie nous rappelle une chose : la dette n’est pas qu’un stock, elle évolue, elle est notre histoire, quelles que soient les étiquettes des gouvernements. En témoigne l’analyse de Xavier Ragot, directeur de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), dans laquelle il indique que, jusqu’en 2017, les gouvernements de droite ont davantage contribué à l’augmentation de la dette publique que ceux de gauche : de 2,2 points de PIB par an pendant vingt-quatre ans pour les premiers, contre 1,6 point pendant dix-neuf ans pour les seconds. L’ex-majorité présidentielle doit, elle aussi, prendre sa part de responsabilité, mais, de grâce, que chacune et chacun prenne la sienne !

Aujourd’hui, nous sommes à un point de bascule, car l’effet boule de neige risque de renforcer le cercle vicieux. Le coût de la dette excédant l’apport de la croissance, la dette augmente mécaniquement, et ce même avec un déficit constant. Ce qui doit nous inquiéter, c’est non pas la dette en tant que telle, mais l’augmentation de la charge de la dette. En effet, les intérêts de la dette s’élèvent désormais à plus de 70 milliards d’euros, soit presque autant que le budget de l’éducation et plus que celui de la défense.

Le diagnostic est très clair : la charge de la dette est aujourd’hui immense. Et parce qu’elle est immense, elle engendre une perte de crédibilité sur les marchés financiers, ce qui a pour effet d’augmenter mécaniquement les taux et induit des surcoûts pour l’État, les collectivités territoriales, mais aussi pour les entreprises et les ménages. Ce que nous perdons chaque année en intérêts constitue un manque à gagner colossal, un impôt invisible qui pèse sur le présent comme sur l’avenir.

Notre rapport à la dette doit donc changer. Il s’agit non pas de dire qu’elle est mauvaise en soi, mais bien d’en faire une force en l’utilisant pour ce qu’elle est, un outil de financement de l’avenir. Rappelons qu’un euro investi dans les capacités industrielles, dans l’armée, l’éducation ou la transition énergétique rapporte demain en croissance, en emplois, en recettes fiscales et en souveraineté.

Il existe donc des missions pour lesquelles il est souhaitable et responsable de s’endetter. À l’inverse, s’endetter pour financer des dépenses courantes, couvrir des déficits structurels ou maintenir temporairement notre modèle social sans le réformer relève d’un entêtement synonyme d’appauvrissement. La Banque de France l’explique très clairement : il est important que la dette finance des projets d’avenir afin que son roulement soit viable.

Mes chers collègues, distinguons l’endettement justifié, celui qui finance l’avenir, de l’endettement regretté, celui qui ne finance que les affaires courantes et le passé.

Rendre cohérente notre politique d’endettement permettra de faire face à plusieurs difficultés majeures. La première est l’une des plus essentielles : celle de son acceptabilité. Nos concitoyens ne rejettent pas le principe d’une dette si elle est expliquée, ciblée et crédible. Ils l’accepteront si elle sert à financer les générations futures, et non les déficits d’hier. La dette de demain doit être comprise, choisie et maîtrisée.

Cette trajectoire claire est aussi un moyen de respecter nos engagements européens et de rassurer les investisseurs. À ce propos, monsieur le ministre, ne serait-il pas judicieux d’accroître la part de la dette détenue par la Banque centrale européenne (BCE), via des achats réguliers de titres de dette, comme le suggèrent certains économistes ?

Mes chers collègues, au-delà des ajustements techniques, notre pays doit mettre fin à sa relation toxique avec la dette. Celle-ci est un outil à notre disposition, mais un outil qui n’a de sens que s’il sert une stratégie. Or, sans stratégie, sans croissance stable, sans réforme et sans une réorientation de la manière dont nous dépensons l’argent public, nous atteindrons de nouveaux records d’endettement. Les records sont faits pour être battus, mais, en la matière, je pense que la France ferait bien de laisser sa place à d’autres. (MM. François Patriat et Emmanuel Capus applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de lindustrie. Monsieur le sénateur Rambaud, vous avez rappelé le cadre européen, c’était nécessaire. J’étais hier aux côtés du Premier ministre, qui recevait le commissaire européen à l’économie et à la productivité, M. Dombrovskis, à qui il a rappelé l’objectif de la France : faire repasser le déficit public sous les 3 % du PIB en 2029. C’est un cadre que nous voulons respecter, car il y va de la crédibilité de la parole de la France en Europe.

Vous me demandez s’il ne serait pas judicieux que la BCE rachète de la dette. Depuis 2022, la BCE ne pratique plus cette politique et a cessé de racheter les dettes des différents États. Cela peut donner lieu à débat, mais le fait est que ce n’est pas la ligne suivie aujourd’hui par la BCE.

Toutefois, pour certains grands programmes ou certains grands projets, il serait en effet intéressant d’envisager une dette européenne, afin de financer ces projets d’envergure et de relancer certaines politiques européennes.

Enfin, je rappelle que la France s’honore, depuis des années en finançant son effort de défense, ce que n’ont pas fait tous les pays européens. Cet effort pèse dans nos dépenses : dans le PLF pour 2026, il représente 6,7 milliards d’euros supplémentaires. Il est évident que, si nous n’avions pas consenti ces efforts dans nos budgets, année après année, il serait sans doute plus facile de retrouver des trajectoires beaucoup plus raisonnables, comme nous le souhaitons toutes et tous.

M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est « un appel à la lucidité. » Tels furent les mots du ministre de l’économie, Roland Lescure, à l’annonce de la dégradation de la note de la France par l’agence Standard & Poor’s.

Très bien, soyons lucides. La lucidité, la vraie, consiste non pas à regarder le thermomètre, mais à comprendre pourquoi la fièvre monte. Elle impose de se retourner, de juger avec sévérité huit années de macronisme.

Depuis 2017, la dette de la France a bondi de 15 % pour atteindre 3 416 milliards d’euros, soit plus de 1 000 milliards d’euros de dette en plus.

M. François Patriat. Et la crise ? C’est honteux de dire cela !

Mme Florence Blatrix Contat. La comparaison européenne est là pour rappeler la réalité. Nos voisins ont subi les mêmes secousses conjoncturelles et ont agi comme nous pour soutenir leur économie. Pourtant, la dette des pays de l’Union européenne a diminué en proportion de leur PIB : de 84 % en 2017, elle est passée à 82 % en 2025. Que s’est-il passé en France ?

Depuis 2017, la part des dépenses publiques dans le PIB est restée stable, alors que les prélèvements obligatoires ont baissé de 2,5 points de PIB. Le creusement du déficit, de 2,4 points, est donc lié aux baisses d’impôts. Sans ces baisses, la France ne serait pas la lanterne rouge de l’Union européenne et aurait déjà atteint son objectif de déficit de 3 %. Elle ne serait pas non plus le troisième pays le plus endetté de l’Union.

Alors, monsieur le ministre, permettez-moi une image. Si vous préparez toujours le même plat, avec les mêmes ingrédients, n’espérez pas que le goût change. Ces ingrédients – injustice qui prospère, dette qui enfle, cadeaux fiscaux inefficaces –, les Françaises et les Français n’en veulent plus.

Et puisque le Sénat entamera dans un peu plus d’une semaine le débat sur la partie recettes du projet de loi de finances, les socialistes vous le disent clairement aujourd’hui : nous attendons des ressources nouvelles, pérennes et justes.

Comment expliquer que les 500 plus grandes fortunes françaises, dont le patrimoine a plus que doublé depuis 2017, contribuent proportionnellement toujours aussi peu ? La taxe Zucman n’est pas un totem idéologique, c’est une réponse pragmatique à un problème de soutenabilité de notre dette et de justice sociale.

Pendant que vous défendez les ultrariches, vos alliés d’hier, qui composent la majorité du Sénat, font preuve à l’Assemblée nationale du même réflexe pavlovien lors du débat budgétaire : ils refusent toute ressource nouvelle et, pis encore, ils amputent les recettes existantes en défiscalisant par exemple les heures supplémentaires, ce qui coûte 1 milliard d’euros à l’État. Pour faire semblant d’équilibrer les comptes, ils agitent toujours les mêmes cache-misère, comme la baisse des crédits de l’aide médicale de l’État (AME) ou la rationalisation des agences de l’État, alors même que les travaux de la commission d’enquête sénatoriale sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l’État ont montré qu’une telle mesure rapporterait au plus 500 millions d’euros. Bref, on remplace la politique par le slogan, la rigueur par l’incantation, et la vérité des chiffres par la facilité idéologique.

Ajoutons que, aujourd’hui, les freins à l’offre ont laissé place aux freins à la demande. Dans un tel contexte, mener une consolidation budgétaire brutale aurait un effet multiplicateur négatif. L’économie française souffre d’abord d’un manque de consommation, de confiance, non d’un excès de demande. Lorsque la productivité rebondit avec une croissance faible, comme c’est le cas actuellement, c’est non pas une bonne nouvelle, mais une alerte sur les destructions d’emplois à venir.

Monsieur le ministre, nous connaissons le montant de l’effort à réaliser pour stabiliser la dette : il faut trouver environ 120 milliards d’euros. Dans le même temps, nos besoins sont massifs : investissements nécessaires pour atteindre la neutralité carbone, financement de nos services publics – hôpitaux, écoles, transports – ou encore de l’innovation.

Il nous faut donc déterminer collectivement, démocratiquement, une trajectoire budgétaire qui ne casse pas la croissance. Il nous faut aussi choisir, et dire, qui doit porter prioritairement l’effort. C’est une question d’efficacité économique et de justice sociale.

Monsieur le ministre, alors que près de la moitié du dérapage du déficit résulte de vos choix fiscaux, alors que la France prend le risque de casser la croissance et de détruire des emplois sans une trajectoire plus étalée, juste et non récessive, pourquoi persistez-vous à refuser une contribution accrue des plus grandes fortunes, pourtant indispensable pour redresser durablement nos finances publiques et financer nos priorités nationales ? Sur qui allez-vous faire peser les efforts ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Victorin Lurel. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de lindustrie. Madame la sénatrice Blatrix Contat, vous dites que les mêmes recettes ont toujours le même goût, mais la recette consistant à toujours augmenter les impôts finit par avoir un mauvais goût de non-croissance … (Exclamations sur les travées du groupe SER.) Je crains que cette recette ne soit pas la bonne si nous voulons que, dans notre pays, les entreprises n’aient pas le sentiment que nous les accablons toujours plus.

Pour ma part, je tire mon chapeau à toutes les entreprises de France, car notre croissance au troisième trimestre a été de 0,5 %. Quant à la production industrielle, elle a crû de 0,8 %. Hier, lors du sommet Choose France , nous avons annoncé plus de 30 milliards d’euros d’investissements des entreprises françaises dans notre pays.

Le Premier ministre a souhaité un débat, dans les deux assemblées, sur la question de la justice fiscale. Je ne doute pas qu’à cette occasion, les membres de votre groupe, madame la sénatrice, formuleront des propositions, auxquelles nous seront, naturellement, ouverts.

Cependant, pour reprendre la métaphore précédente, il ne faut pas casser le moteur de la croissance. Or accroître encore la fiscalité pesant sur ceux qui créent la richesse n’est certainement pas la réponse à nos problèmes budgétaires.

M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour la réplique.

Mme Florence Blatrix Contat. Vos baisses d’impôt n’ont pas alimenté la croissance, monsieur le ministre, comme en témoigne le rapport de la Cour des comptes. En effet, ce dernier démontre que la suppression de la taxe d’habitation a eu un effet anti-redistributif, du fait du public qu’elle a concerné, sans que l’on voie son effet sur la croissance.

De même, la diminution de 18 milliards d’euros des impôts de production n’a pas eu d’effet réel sur la croissance, qui est restée plutôt plus faible que la moyenne de l’Union européenne. Ainsi, la baisse des impôts n’a pas été un facteur de croissance, d’autant qu’elle s’est accompagnée d’une réduction de la productivité depuis 2019.

Il faut donc retrouver un équilibre et des recettes fiscales plus justes, qui ne cassent pas la croissance.

M. le président. La parole est à M. Pierre Barros.

M. Pierre Barros. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la dette publique française, aujourd’hui, c’est environ 3 400 milliards d’euros, la part de l’État correspondant à 80 % de ce passif, contre 20 % pour celle des collectivités.

Cela paraît vertigineux, mais ce chiffre n’a de sens qu’en étant rapporté à deux éléments : d’une part, la capacité de refinancement ; d’autre part, la solvabilité.

Or la France se refinance sans difficulté. Les spécialistes en valeurs du Trésor, soit quinze grandes banques internationales, assurent une demande soutenue de titres français auprès de l’Agence France Trésor. Cette demande des marchés est deux fois supérieure à l’offre. Autrement dit, JP Morgan et Société Générale se concurrencent pour obtenir notre dette. En outre, la maturité moyenne de ces titres est aujourd’hui de huit ans et cent soixante-treize jours ; nous pourrions, en 2026, en émettre pour 300 milliards d’euros, dont la moitié servirait à rembourser les créances arrivant à échéance. C’est à ce rythme que nous refinançons et faisons rouler notre dette.

On comprend, dès lors, qu’aucun État ne rembourse sa dette au sens où un ménage le ferait ; il la gère, il la recycle, il la renouvelle. Ainsi, comme l’a démontré notre ancien collègue Éric Bocquet, la dette publique est, par construction, une dette perpétuelle.

Quant à la charge des intérêts, elle reste contenue à 1,9 % du PIB pour 2026, contre 2,4 % en moyenne depuis l’abandon du circuit du Trésor en 1984. Nous faisons donc bien mieux que la moyenne des pays de l’OCDE, qui atteint, selon les données les plus récentes, 3,3 % du PIB. Notre taux est inférieur à celui du Royaume-Uni, de l’Italie, ou encore des États-Unis.

Enfin, la France, avec un patrimoine public de 4 447 milliards d’euros, est solvable au-delà de tout soupçon : si chaque Français hérite d’environ 55 600 euros de dette, il hérite aussi de 64 800 euros de patrimoine collectif.

En outre, il faut rappeler qu’une part considérable de la dette de l’État – près de la moitié – est détenue par des acteurs français. Autrement dit, cette dette constitue tout autant un passif public qu’un élément du patrimoine national. Plus encore, le premier détenteur de titres de dette publique n’est autre que la Banque de France elle-même, qui, depuis les politiques de rachat d’obligations engagées par la BCE, en détient environ un quart.

Est-ce à dire, mes chers collègues, que notre déficit et notre endettement ne soulèvent aucune question, ne posent aucun problème ? Bien sûr que non.

Il s’agit, non pas de nier la dette, mais d’en comprendre la nature. La dette publique n’est pas en elle-même un problème ; le problème, comme l’ont rappelé plusieurs collègues avant moi, c’est sa financiarisation, la structure de ses détenteurs et l’usage qui en est fait.

Depuis 2017, l’État a émis 1 915 milliards d’euros de titres pour financer les déficits et amortir la dette. Dans le même temps, les seuls intérêts versés aux marchés ont représenté près de 378 milliards d’euros, autant d’argent public redistribué sous forme de rente. Il est temps de rétablir un circuit du Trésor modernisé, en imposant a minima des planchers de détention obligatoire de titres publics aux établissements de crédit.

Surtout, rappelons qu’entre 2017 et aujourd’hui la dette a servi non pas à financer les services publics, mais à compenser les cadeaux fiscaux. En effet, sur la même période, plus de 450 milliards d’euros de recettes ont disparu, dont les deux tiers au bénéfice des grandes entreprises et des ménages les plus aisés. En outre, chaque année, des aides et des exonérations à hauteur de 211 milliards d’euros sont accordées aux entreprises, sans condition ni évaluation. Faites le calcul, mes chers collègues : c’est exactement ce qui alimente le déficit.

La vérité, monsieur le ministre, c’est non pas que la dette française est trop élevée, mais qu’elle est trop rentable pour ceux qui la détiennent, lesquels sont précisément ceux que vos politiques favorisent.

Monsieur le ministre, la dette n’est pas un fardeau, c’est un choix politique. Le vôtre est de la mettre au service des marchés. Quand la mettrez-vous enfin au service de la collectivité ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Florence Blatrix Contat applaudit également.)