Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Lutte contre les fraudes sociales et fiscales
PRÉSIDENCE DE M. Didier Mandelli
Mise au point au sujet de votes
Débat organisé à la demande des groupes Les républicains et Union Centriste
Présidence de M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)
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Lutte contre les fraudes sociales et fiscales
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales (projet n° 24, texte de la commission n° 112, rapport n° 111, avis nos 104 et 106).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Mes chers collègues, je vous rappelle que ce scrutin s'effectuera depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l'insérant dans votre terminal de vote. Vous pourrez vous rapprocher des huissiers pour toute difficulté.
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d'un orateur par groupe, l'orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe disposant de trois minutes.
Vote sur l'ensemble
M. le président. La parole est à M. Michel Masset, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et UC.)
M. Michel Masset. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, les fraudes, qu'elles soient fiscales ou sociales, ne relèvent pas simplement d'une gestion chiffrée à l'échelon national : elles ont un impact direct sur notre capacité collective à agir dans l'intérêt général.
À l'heure où les collectivités territoriales – j'en profite pour saluer la présence d'élus locaux dans nos tribunes, alors que se tient cette semaine le congrès des maires de France –, le monde associatif, l'hôpital public, les services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), l'éducation nationale et tant d'autres services publics vont être appelés à faire de nouveaux efforts budgétaires, il nous faut retrouver des marges de manœuvre financières.
Nous débattrons bientôt dans cet hémicycle du projet de loi de finances et de l'opportunité de renforcer la fiscalité. Je me réjouis donc que nous ayons pu discuter en amont de la manière dont nous assurons la perception des taxes déjà existantes.
Ces ressources retrouvées auront un impact sur le budget pour 2027, qui sera sans doute encore plus difficile à élaborer que celui de cette année.
Les ordres de grandeur des fraudes, nous les connaissons : le montant de la fraude fiscale est estimé entre 80 milliards et 100 milliards d'euros par an, contre environ 13 milliards d'euros pour la fraude sociale. Ce déséquilibre n'est pas nouveau.
En 2024, le Gouvernement a recouvré près de 20 milliards d'euros de fraudes détectées, dont près de 3 milliards dans le champ social. Si toutes les fraudes doivent être combattues, je regrette que ce projet de loi se concentre essentiellement sur celles qui représentent les montants les plus faibles.
Pour sa part, le RDSE plaide pour un principe simple : contre les grandes fraudes, il faut de grands moyens.
Le texte a tout de même le mérite de renforcer notre arsenal et notre vigilance collective.
Son titre Ier prévoit un effort inédit afin de fluidifier le travail entre administrations. Il permet une circulation encadrée des données entre les services fiscaux, sociaux et douaniers, en étendant leur accès à plusieurs grands fichiers patrimoniaux. Ces croisements permettront de mieux détecter les dissimulations de ressources et de rendre plus cohérente l'action de l'État dans les territoires. Ils profiteront notamment aux services sociaux dans les départements.
Au-delà des administrations, cette coopération est élargie à des acteurs économiques clés : les établissements bancaires et les organismes de formation.
Ce projet de loi s'attaque aussi aux nouvelles formes de fraude. Le titre II prévoit ainsi des outils ciblés pour les secteurs les plus exposés, à savoir les plateformes proposant des voitures de transport avec chauffeur (VTC) et les transports sanitaires.
Les plateformes devront désormais vérifier la cohérence entre leur chiffre d'affaires, les heures déclarées et la rémunération des chauffeurs. Elles devront également transmettre ces données à la direction générale des finances publiques (DGFiP) et seront intégrées au périmètre Tracfin pour la lutte contre le blanchiment. L'objectif est clair : mettre fin aux trajets fictifs et à la surfacturation en responsabilisant les plateformes.
Notre groupe se félicite aussi des avancées concernant le compte personnel de formation (CPF). Il est inacceptable que des organismes sans existence réelle détournent des fonds publics destinés à la qualification des salariés.
Enfin, l'article 14 instaurant une contribution sociale majorée sur les revenus illicites vient corriger une erreur de droit manifeste. Désormais, un trafiquant ou un fraudeur fiscal ne pourra plus bénéficier de la solidarité nationale.
Cette disposition fait suite aux constats de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, à laquelle j'ai eu l'honneur de participer.
À cet égard, l'article 19, qui autorise désormais le recours aux techniques spéciales d'enquête dans les affaires de fraude fiscale organisée, constitue une avancée majeure. La fraude organisée doit être traitée comme un crime économique à part entière.
Enfin, le texte rehausse certaines sanctions. Les peines pour escroquerie en bande organisée sont alourdies et la confiscation générale du patrimoine devient enfin possible.
Ce projet de loi, mes chers collègues, est indispensable, mais il ne donne pas un blanc-seing à l'administration.
En séance, notre groupe a rappelé son attachement au principe de proportionnalité. Je regrette à cet égard que l'amendement de ma collègue Guylène Pantel, visant à assurer que le recouvrement ne puisse aller jusqu'à priver un allocataire de tout moyen de subsistance, ait été rejeté par notre assemblée. L'État doit être ferme, mais il doit rester juste.
Mes chers collègues, ce texte s'inscrit aussi dans un cadre européen. La directive dite ViDA sur les règles en matière de TVA adaptées à l'ère numérique, adoptée en mars 2025, refonde en profondeur la lutte contre la fraude à la TVA. Elle prévoit l'extension du guichet unique européen dès 2027, la facturation électronique obligatoire des transactions transfrontalières et l'harmonisation des systèmes nationaux d'ici à 2035.
Mesdames, monsieur les ministres, nous le savons, la principale fraude fiscale est la fraude à la TVA : elle représente près de 50 milliards d'euros de pertes annuelles au sein de l'Union européenne. Nous souhaitons que la France plaide pour une accélération du calendrier de mise en œuvre de cette directive au sein du Conseil Affaires économiques et financières (Écofin), en coordination avec nos partenaires de l'espace Schengen et avec le Parquet européen. Nous attendons de l'Europe qu'elle soit capable de lutter efficacement contre la concurrence déloyale et le crime organisé qui gangrène nos territoires.
Mes chers collègues, ce texte ne résoudra pas tout, mais il est attendu. Il nous permet de réaffirmer une exigence morale, celle d'une République garante du contrat social, qui attend de chacun la même loyauté envers la loi. La lutte contre la fraude contribue ainsi à renforcer le consentement à l'impôt.
Pour toutes ces raisons, le groupe du RDSE votera majoritairement en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et des travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Henno. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour féliciter mes collègues rapporteurs pour avis Bernard Delcros et Alain Duffourg, respectivement de la commission des finances et de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, ainsi que ma complice Frédérique Puissat, rapporteur pour la commission des affaires sociales, que je remercie pour son écoute, nos échanges et son sens du partenariat.
Si nous avons un bon texte, et c'en est un, si nous avons musclé la copie du Gouvernement, c'est grâce à cette volonté de coconstruction entre les quatre rapporteurs et leurs commissions respectives.
Je tiens aussi à remercier Alain Milon, vice-président de la commission des affaires sociales. Certes, il est un peu jeune dans le métier, mais il a du potentiel et il progresse très vite … (M. le vice-président de la commission des affaires sociales s'esclaffe. – Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Enfin, je ne peux oublier de saluer Nathalie Goulet, pionnière sur la question de la lutte contre la fraude. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Nathalie Delattre applaudit également). Les pionniers, il leur faut du courage et de la détermination. Merci à elle ! (Mêmes mouvements.)
J'en profite pour dire au Gouvernement qu'il serait bienvenu que la proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment, que notre collègue a déposée avec Raphaël Daubet, soit examinée rapidement et en procédure accélérée par le Parlement.
Mes chers collègues, j'y insiste, ce texte est meilleur et plus musclé grâce au travail du Sénat et de ses commissions.
Notre orientation politique peut se résumer en une phrase : lutter contre toutes les fraudes, d'où qu'elles viennent, de manière impitoyable, partout et tout le temps, pour mieux détecter, plus récupérer et sanctionner plus sévèrement.
Cette volonté s'est traduite par un durcissement des procédures, notamment en matière de fraude fiscale. C'est aujourd'hui un délit, qui, sur l'initiative de Bernard Delcros, sera requalifié en crime si elle est pratiquée en bande organisée. La criminalisation de la fraude est une révolution, qui nous permettra d'être plus efficaces.
Ne nous y trompons pas, la fraude d'aujourd'hui, qu'elle soit fiscale ou sociale, est non plus le fait d'occasionnels, mais celui de réseaux organisés, souvent les mêmes, qui sévissent dans le narcotrafic ou dans le détournement de dispositifs tels que MaPrimeRénov' ou les certificats d'économie d'énergie (CEE). Auparavant, il y eut la fraude à la taxe carbone, dépeinte dans plusieurs films ou séries télévisées.
Cette volonté de lutter contre la fraude s'est aussi traduite par la possibilité donnée aux administrations qui interviennent dans le champ social – les caisses d'allocations familiales (CAF), les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), les conseils départementaux, France Travail et autres –, de disposer des mêmes moyens que le fisc ou la DGFiP. Il s'agit là d'une autre révolution.
Par exemple, ces administrations auront accès aux comptes à l'étranger ou encore au fichier de contrôle des déplacements aériens compilés par les compagnies aériennes pour traquer, par exemple, les entreprises éphémères, très présentes dans les systèmes de fraude. Munies de ces armes nouvelles, elles pourront, nous l'espérons, atteindre les objectifs fixés par le Gouvernement : récupérer 1,5 milliard d'euros de fraude fiscale et de 800 millions d'euros de fraude sociale.
Enfin, je terminerai par dire un mot sur nos débats. Pour être sincère, je n'ai pas toujours compris la gêne exprimée sur certaines travées lorsqu'il était question de traquer et de sanctionner la fraude sociale. Bien sûr, elle n'est pas de même nature que la fraude fiscale et ses montants sont parfois plus modestes. Et encore : selon les chiffres qui nous ont été donnés, sur 17 milliards d'euros de fraude fiscale détectés, 11 milliards sont récupérés ; sur 5 milliards d'euros de fraude sociale détectés, seul un milliard est récupéré. Excusez du peu !
Mes chers collègues, pour nous, je le répète, il est essentiel de traquer toutes les fraudes avec la même détermination, parce que l'intention est de même nature : détourner l'argent public. La victime est aussi la même : c'est le citoyen, le contribuable, le salarié, l'employé, l'ouvrier, qui cotise tous les mois et qui travaille dur.
Mme Cécile Cukierman. Oh, ça va !
M. Olivier Henno. Nous ne pouvons pas avoir la main qui tremble face au fraudeur, au nom de je ne sais quelle culture de l'excuse, qui a fait tant de mal à la société française et a toujours fait progresser les extrémismes et les populismes. (Mme Cécile Cukierman proteste.)
Si le consentement à l'impôt et à la cotisation est fragilisé dans notre pays, c'est précisément parce que nos concitoyens ont trop souvent eu l'impression que les pouvoirs publics étaient trop indulgents avec le tricheur, le profiteur ou le fraudeur. C'est pourquoi nous pouvons être fiers du travail du Sénat sur ce texte.
Pour conclure, je dirai que ce projet de loi de lutte contre les fraudes fiscales et sociales n'est pas la fin de l'histoire, loin de là. J'ai la conviction qu'il y a encore beaucoup de trous dans la raquette. Le monde change très vite du fait des évolutions technologiques ou de l'apparition de techniques ou pratiques nouvelles comme les plateformes ou les cryptomonnaies. Nous devrons sans cesse continuer d'adapter nos législations et nos administrations devront gagner en souplesse pour traquer cette pieuvre qu'est la fraude.
Bref, il faut continuer le combat contre ceux qui détournent le bien commun et la générosité publique à leur seul profit personnel. La lutte contre la fraude sera permanente et éternelle, elle est indispensable et légitime. Comme le disait déjà Montesquieu, la triche, même en petite quantité, finit par tout gâter.
Vous l'aurez compris, monsieur le président, mes chers collègues, le groupe UC votera ce texte avec enthousiasme et fierté. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Marie-Claude Lermytte. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, je ne reviendrai pas de façon exhaustive sur le contenu de ce texte, dont les grandes lignes ont été exposées lors de la discussion générale.
Permettez-moi néanmoins de rappeler que ce projet de loi, grâce aux nombreux apports adoptés en commission, nous donne véritablement les moyens de lutter de manière transversale contre les fraudes sociales et fiscales. Détection, sanctions, recouvrement : l'ensemble de ces volets se trouve renforcé.
Beaucoup de dispositions visent à décloisonner le partage d'informations entre les administrations. Si certains cloisonnements sont légitimes pour garantir la confidentialité de données sensibles, ils illustrent parfois, à l'inverse, la complexité, voire l'absurdité de notre système administratif.
Certaines règles de bon sens ne devraient pas nécessiter l'intervention du législateur. Pourtant, il nous faut aujourd'hui légiférer pour rendre possibles des coopérations évidentes.
Ce décloisonnement, cependant, ne suffira que si nos outils techniques suivent. Le partage d'informations ne peut être efficace que si nos systèmes d'information sont véritablement interopérables, sécurisés et capables de traiter de grands volumes de données. Cela suppose de poursuivre l'investissement dans des infrastructures numériques robustes et de renforcer la formation des agents.
Une administration numérisée, performante et cohérente est indispensable pour lutter contre la fraude. Et c'est bien cette cohérence qui permettra de viser tous les fraudeurs, sans stigmatiser aucun groupe. Employeurs, bénéficiaires de prestations, professionnels de santé : tous ceux qui trichent sont concernés.
Les travaux en commission ont permis d'avancer. Par exemple, les peines encourues par les auteurs de crimes d'escroquerie aux finances publiques en bande organisée sont aggravées. De même, les services préfectoraux auront accès au répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS). Cet accès leur est indispensable au regard du rôle qu'ils jouent dans la vérification des demandes de titres ou de prestations.
La possibilité, pour l'assurance maladie, de refuser un conventionnement, dans des conditions encadrées, aux professionnels impliqués dans un centre fermé pour fraude constitue également un progrès pour prévenir les récidives.
Enfin, l'élargissement des échanges d'informations à l'ensemble des prestations sociales départementales, et non plus aux seules aides liées à l'autonomie, était nécessaire. Les départements versent différentes aides et les risques de fraude sont réels. Nous soutiendrons donc l'intégralité de ces mesures.
Il faut le rappeler, ce projet de loi n'offre pas de moyens humains supplémentaires. Tel n'est d'ailleurs pas son objet. Les ressources nécessaires devront être appréciées lors de l'examen des textes budgétaires.
Nous espérons toutefois qu'il permettra d'augmenter considérablement le montant recouvré en 2023, qui s'élevait à 600 millions d'euros, sur les près de 13 milliards d'euros de fraude estimés.
Au cours de nos travaux, nous avons recueilli de nombreux témoignages, de professionnels de santé, d'agents des CAF ou de simples citoyens. Certains décrivaient des fraudes manifestes qu'il faut sanctionner ; d'autres des situations qu'ils percevaient comme abusives, mais qui ne relèvent pas de la fraude. D'où cette question, essentielle : si toute fraude est un abus, tout abus est-il pour autant une fraude ?
La fraude est le contournement volontaire de la règle, mais parfois, c'est la règle elle-même qui apparaît abusive : trop large, trop floue, ou simplement trop coûteuse pour un système qui n'en a plus les moyens.
Permettez-moi de rappeler un poncif : renforcer la lutte contre la fraude ne doit jamais conduire à ajouter des obstacles pour les usagers et les professionnels de bonne foi. L'efficacité n'est pas l'ennemie de la simplicité, bien au contraire.
Ce que nos concitoyens ressentent comme une injustice s'inscrit parfois strictement dans le cadre du droit. Dans ce cas, ce sont les règles qu'il faut revoir. Quand des règles paraissent injustes ou mettent trop lourdement à contribution notre budget social, c'est tout l'édifice qui s'affaiblit. Et cet édifice, c'est celui qui permet à chaque Français d'être accompagné dans les moments difficiles. Nous devons en assurer la solidité.
Si ce texte renforce la lutte contre les fraudeurs, il ne peut à lui seul corriger les règles qui alimentent un sentiment d'abus. C'est pourquoi nous attendons avec intérêt le débat sur le PLFSS, qui s'ouvrira demain. J'espère que celui-ci permettra enfin de garantir la pérennité de notre modèle social en lui offrant un horizon budgétaire, ainsi qu'un regain d'équité, de justice et de confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Frédérique Puissat. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales – cher Alain –, messieurs les rapporteurs pour avis, permettez-moi d'adresser un clin d'œil tout particulier à mon complice Olivier Henno, avec qui j'ai travaillé matin, midi et soir ces derniers jours (Exclamations amusées.). Nous devions en effet travailler très vite sur un texte que nous avons reçu il y a peu de temps.
Le 30 juin dernier était promulguée la loi contre toutes les fraudes aux aides publiques. Dans la même dynamique, nous sommes désormais saisis d'un nouveau texte visant à lutter encore plus efficacement contre les fraudes sociales et fiscales.
Ce texte majeur était réclamé par le président Darnaud, par le président Wauquiez, par le président Retailleau et par la majorité sénatoriale. Il était surtout attendu par de nombreux Français.
Ce projet de loi, qui a pour objectif d'aller bien plus loin et de frapper plus fort, nous pousse à faire un triste constat : nous partons de bien bas et nous sommes démunis.
En effet, mes chers collègues, lorsque l'on parle de dizaines de milliards d'euros qui s'évaporent chaque année, sans que l'État puisse remettre la main dessus, c'est bien le signe d'une certaine impuissance.
En l'absence d'une administration forte et dotée des outils dont elle a besoin, la fraude a trouvé un terrain particulièrement fertile et s'est ainsi confortablement installée, innovant par ailleurs toujours plus pour déjouer les systèmes de régulation mis en place au fur et à mesure.
Lorsque le projet de loi nous est parvenu, l'encre du Gouvernement n'était pas encore sèche : nous y avons vu un patchwork de mesures qui ne permettaient pas de doter notre administration de la force de frappe espérée. L'intention était bien-là, mais il manquait une ambition à la hauteur des enjeux dont nous avons à traiter.
Mme Anne-Sophie Romagny. C'est vrai !
Mme Frédérique Puissat. Par ses travaux, dans ses commissions respectives, puis en séance publique, le Sénat a humblement tenté d'insuffler cette ambition.
C'est ainsi que nous avons créé de nouveaux canaux d'échanges d'informations entre toutes nos administrations. Nous avons également doté les services de France Travail et des organismes de sécurité sociale d'un accès au fichier des compagnies aériennes, d'un droit de communication auprès des opérateurs de téléphonie ou encore d'un accès aux données de connexion de leurs assurés.
Alors même qu'un large panel de données permettant de détecter une fraude figure dans les registres de ces structures, celles-ci ne sont pas habilitées à les exploiter.
Quelle frustration de se priver d'outils déjà à portée de main ! Quelle frustration de percevoir des faisceaux d'indices qui laissent penser que des personnes peuvent frauder et de ne pas donner aux services les outils nécessaires à la vérification de cette fraude.
Oui, mes chers collègues, un chef d'entreprise qui ne déclare pas un salarié, c'est une fraude ; une plateforme qui distribue abusivement des arrêts de travail moyennant rétribution, c'est une fraude ; des formateurs qui profitent de l'argent public pour faire de l'entrisme au travers de formations réservées aux hommes, c'est une fraude (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) ; un demandeur d'emploi qui déclare habiter en France, mais ne réside pas sur notre territoire, alors qu'il touche l'assurance chômage et est censé rechercher un travail, c'est une fraude ; une entreprise qui se crée, dépose le bilan douze mois après, alors qu'elle a embauché des salariés sur douze mois, qu'ils ont été en arrêt de travail onze mois – cet exemple est véridique –, ce qui leur permet de percevoir l'allocation chômage durant plus de dix-huit mois et de bénéficier de trimestres au titre de la retraite, c'est, vous en conviendrez, une forte suspicion de fraude. (Nouveaux applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Il n'y a pas de petites ou de grandes fraudes : il y a simplement 13 milliards d'euros de fraude que le Parlement a le devoir d'essayer de récupérer.
Les mesures que nous proposons n'épargnent personne : ni les entreprises pratiquant le travail dissimulé, ni les bénéficiaires de prestations sociales indues, ni les professionnels de santé fraudeurs. Personne !
Lors de nos travaux en commission des affaires sociales, nous avons posé la même question aux acteurs auditionnés ou rencontrés sur le terrain : de quoi avez-vous besoin pour être mieux armés dans la lutte contre la fraude ? C'est bien en partant des réalités rencontrées au quotidien par les agents que nous avons amendé et enrichi ce projet de loi.
Si certaines mesures introduites ont pu susciter des débats – c'est bien logique ! –, à l'instar des moyens donnés à France Travail, je puis vous assurer qu'elles sont directement inspirées par les opérateurs qui souhaitent pouvoir mieux travailler. Nous avons donné suite à leurs demandes, fondées sur leur expérience concrète des contrôles, tout en restant dans un cadre et en adoptant des mesures proportionnées. Il s'agissait en particulier de préserver le principe du contradictoire et les libertés.
Pour conclure, permettez-moi d'évoquer l'exemple de l'Isère, …
M. Damien Michallet. Très bien !
Mme Frédérique Puissat. … département ou a été mis en place une expérimentation : le parquet transmet systématiquement à la CAF et à la CPAM tout jugement concernant des personnes ayant perçu des revenus issus d'activités délinquantes. Il s'agit d'un système qui relève du bon sens, qui est efficace, et que je souhaite vivement, avec le ministre Yannick Neuder et mes collègues Damien Michallet et Michel Savin, voir généralisé sur tout le territoire. C'est ce que nous nous sommes efforcés de faire avec ce texte, notamment à travers l'article 14.
En matière de lutte contre la fraude, nous avons collectivement trop souffert de nous restreindre. J'ose espérer que, grâce à ce projet de loi, tel que nous l'avons enrichi en ces murs, nous allons pouvoir enfin tourner cette page et passer à la vitesse supérieure. Je forme désormais le vœu que nos collègues députés tiennent le cap fixé par le Sénat.
Nous avons su exprimer une ambition forte et les Français, qui ne supportent plus que des milliards d'euros d'argent public s'évaporent sans que l'on puisse les recouvrer, n'accepteraient pas un recul sur la question. Ils seront attentifs, j'en suis convaincue, à ce que contiendra la copie finale qui sortira du Parlement. Ce sont les fraudeurs et non les travailleurs qui doivent payer !
M. Damien Michallet. Très bien !
Mme Frédérique Puissat. Mes chers collègues, vous le savez, le groupe Les Républicains n'a eu de cesse d'appeler le Gouvernement à présenter un texte contre la fraude. Satisfait des mesures votées par le Sénat, il votera donc ce projet de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Dominique Théophile. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous parvenons au terme de l'examen d'un texte important, dont les enjeux vont au-delà des finances publiques.
La fraude, qu'elle soit fiscale ou sociale, altère chaque jour davantage la confiance entre l'État et les citoyens. Dans une période où nos comptes publics sont soumis à de fortes tensions, toute atteinte à cette confiance fragilise un peu plus l'édifice collectif.
Lutter contre la fraude ne relève donc pas seulement de la bonne gestion : c'est aussi réaffirmer la solidité du pacte commun qui fonde notre République.
Dès demain, nous entamerons l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, puis, la semaine prochaine, celui du projet de loi de finances. Le texte que nous examinons aujourd'hui constitue un préalable essentiel et évident à ces deux textes budgétaires. En effet, l'on ne pourrait justifier les efforts qui seront demandés à nos concitoyens si, dans le même temps, certains continuaient de s'exonérer de règles qui s'imposent à tous. La solidarité, pour demeurer légitime, ne peut être sélective.
En 2024, 20 d'euros de fraudes ont été détectés, dont 16 milliards d'euros de fraude fiscale et près de 3 milliards d'euros de fraude sociale. Ces chiffres ne représentent d'ailleurs qu'une fraction des montants réellement en cause.
En matière de lutte contre la fraude, nous avons sans doute manqué de vigilance. Il nous faut donc renforcer nos contrôles, nos procédures et nos moyens d'action. C'est tout l'objet de ce texte, qui a été enrichi par les travaux de la commission et par les apports des différents groupes.
Que ce soit en améliorant nos capacités de détection de la fraude, notamment par une extension du partage d'informations et par un renforcement des moyens d'enquête et de contrôle, ou en adaptant le régime des sanctions à l'évolution des pratiques frauduleuses, ce projet de loi lève un certain nombre de freins rencontrés par les services.
Il prend en compte les comportements abusifs dans tous les domaines, notamment ceux de la santé et de la formation professionnelle.
Le texte issu de cette première lecture, plus ambitieux que sa version initiale, donne aux caisses de sécurité sociale, aux départements ou encore aux opérateurs plus de moyens pour affronter les fraudeurs. Il renforce les moyens et le champ d'action de plusieurs instances, comme l'Office national anti-fraude (Onaf) ou les caisses de sécurité sociale des régimes spéciaux.
Mieux lutter contre la fraude implique avant tout de prendre en considération l'évolution des pratiques frauduleuses. C'est pour s'adapter à ces nouveaux usages que le texte rend notamment possible le contrôle par l'administration fiscale des terminaux de paiement électronique des professionnels ; ainsi, la direction générale des finances publiques (DGFiP) pourra retracer plus facilement les flux illicites reversés sur des comptes à l'étranger.
Le texte instaure également des sanctions en rapport avec ces nouvelles pratiques, en visant notamment les organismes de formation professionnelle frauduleux.
Les sénateurs du groupe RDPI ont également contribué à enrichir le projet de loi, en faisant adopter plusieurs avancées décisives.
Je pense en particulier à l'adoption de notre amendement n° 140 rectifié. L'article additionnel ainsi introduit dans le texte, après l'article 5, autorise l'administration fiscale à communiquer aux organismes d'assurance complémentaire et de retraite supplémentaire les informations nécessaires pour déterminer le taux des contributions sociales à appliquer aux prestations que ces organismes doivent précompter avant de les verser à leurs bénéficiaires. Cette avancée majeure permettra d'améliorer le partage des données entre l'assurance maladie obligatoire et les organismes complémentaires.
Le Sénat a également adopté notre amendement visant à renforcer la lutte contre la fraude aux prestations sociales. Cette clarification garantit l'équité du système et protège les droits de ceux qui en ont réellement besoin.
Nous avons aussi contribué à encadrer plus strictement la transparence immobilière des entités étrangères. Trop longtemps, certains montages opaques ont permis d'échapper aux taxes locales, privant les collectivités de recettes légitimes. Grâce à cette disposition, les biens détenus en France ne seront plus dissimulés derrière des structures étrangères opaques.
Nous avons aussi proposé de renforcer la lutte contre la dissimulation de recettes, car la fraude par omission fragilise les entreprises et prive l'État des moyens d'agir.
Enfin, l'un de nos amendements adoptés avait pour objet de sécuriser l'utilisation du mécénat et des avantages fiscaux destinés aux associations. Notre intention est non pas de contraindre le secteur associatif, mais de préserver sa probité. Je rappelle qu'une niche fiscale n'est légitime que si elle n'est pas dévoyée. Protéger l'intégrité de ces dispositifs, c'est préserver la confiance de nos concitoyens.
Ces avancées assurent à ce texte une cohérence à la hauteur des enjeux. En renforçant notre législation, nous démontrons que nous sommes capables de combattre l'impuissance publique, pour agir vite et avec fermeté contre la fraude.
Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe RDPI votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu'au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, les fraudes sociales et fiscales sont inacceptables, elles minent le consentement à l'impôt de nos concitoyens. Le coût cumulé des fraudes sociales et fiscales, ce n'est pas moins de 110 milliards d'euros !
Imaginons un instant que l'ensemble des responsables d'entreprises, des indépendants, ou encore des professionnels de santé soient tous vertueux, ce qui est déjà le cas de la très grande majorité d'entre eux ; cela permettrait au budget de la Nation de récupérer des sommes allant de 80 milliards à 90 milliards d'euros. Ainsi, on pourrait éviter de se focaliser sur les comportements de certains bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) ou de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), ou encore de réduire les remboursements médicaux, enjeux de santé universels. L'on n'aurait pas à se demander s'il convient ou non que les consultations de psychanalyse soient remboursées par la sécurité sociale !
Si je devais reconnaître un intérêt au texte du Gouvernement, je dirais qu'il souligne en creux tous les enjeux importants qui n'y sont pas abordés.
Je veux ainsi consacrer quelques instants de mon intervention à évoquer les fraudes fiscales organisées par le système bancaire : des milliards d'euros échappent au fisc du fait des montages « CumCum », qui ont donné lieu à un fameux scandale.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Jean-Luc Fichet. Le Crédit Agricole a reconnu avoir fraudé, il doit payer une amende de 88 millions d'euros pour blanchiment aggravé de fraude fiscale,…
Mme Nathalie Goulet. Merci au Sénat !
M. Jean-Luc Fichet. … mais d'autres banques sont aussi sur la sellette. Je veux souligner que, dans la lutte contre les CumCum, le Sénat a joué un rôle moteur.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Jean-François Husson. Unanimement !
M. Jean-Luc Fichet. Le Gouvernement, lui, fait montre de moins d'enthousiasme pour lutter contre ce scandale que pour stigmatiser les bénéficiaires de minima sociaux.
De fait, il aurait été souhaitable de scinder ce projet de loi en deux textes distincts : l'un consacré à la fraude sociale, l'autre à la fraude fiscale ; cela aurait évité le déséquilibre constaté entre les temps consacrés à ces deux fraudes.
En effet, tout au long de la discussion de ce texte, chers collègues de droite, vous n'avez fait que développer les préjugés relatifs à la fraude sociale dans notre pays.
Mme Nathalie Goulet. Pas moi !
M. Jean-Luc Fichet. Je rappelle pourtant que les ménages ne sont pas les principaux responsables de celle-ci : les entreprises et les travailleurs indépendants sont à l'origine de 56 % des fraudes sociales. Le réseau des Urssaf est la première victime de la fraude sociale : près de 6,9 milliards d'euros de cotisations seraient soustraits à nos finances sociales du seul fait du travail dissimulé, qui constitue l'essentiel de la fraude sociale.
Or, sur les travées de droite de notre hémicycle, tout au long des débats, on invoquait de manière lancinante la fraude aux minima sociaux ; rappelons pourtant que celle-ci – votre totem, mes chers collègues ! – n'est évaluée qu'à 1,5 milliard d'euros. Dans le même temps, le taux de non-recours au RSA atteint 34 % : ce sont 3 milliards d'euros qui restent dans les caisses publiques.
Dans le même ordre, il faut à l'évidence lutter contre la fraude à l'AAH, mais elle reste minime, et cette allocation reste l'une des aides sociales les moins réclamées dans notre pays, le taux de non-recours étant de 61 %.
La disproportion de ce projet de loi est indécente : d'un côté, on met l'accent sur les fraudes sociales commises souvent maladroitement par certains allocataires de minima sociaux ; de l'autre, les moyens consacrés à la lutte contre la fraude fiscale restent modestes. Stigmatisation des pauvres d'un côté, protection des plus riches de l'autre !
Tout au long des débats, nous avons tenté de muscler le volet du projet de loi consacré à la fraude fiscale ; ainsi de notre amendement visant à lutter contre la suroptimisation fiscale, ou encore de celui qui portait sur les cabinets de conseil. Dans leur majorité, nos amendements ont été rejetés par la droite sénatoriale.
Je me félicite cependant de l'adoption, contre l'avis du Gouvernement, de notre amendement n° 88, dont l'objet était de rendre automatique l'annulation par l'assurance maladie des cotisations sociales qu'elle a prises en charge au bénéfice de professionnels de santé quand ceux-ci sont reconnus coupables de faits à caractère frauduleux. Nous estimons qu'un professionnel de santé qui a fraudé la sécurité sociale – le patrimoine de celles et ceux qui n'en ont pas – doit être durement sanctionné.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Jean-Luc Fichet. Les sénateurs socialistes, écologistes et républicains auraient vraiment souhaité voter un texte sur la fraude sociale et un autre sur la fraude fiscale. Pour ce faire, il aurait fallu ne pas travailler dans l'urgence, mais prendre le temps nécessaire pour mener les auditions indispensables pour une perception juste et équilibrée de ce qu'est la fraude en France. Nous aurions ainsi pu mettre en place les moyens législatifs et techniques afin de la réduire à néant.
Malheureusement, compte tenu de la manière expédiée et superficielle dont l'examen de ce projet de loi a été mené, nous ne pouvons que nous abstenir sur ce texte. Nous pouvons d'autant moins le soutenir que la droite sénatoriale y a intégré en commission des dispositions aussi scandaleuses que la privation du tiers payant pour les assurés déjà sanctionnés, véritable double peine ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, à l'orée de l'examen de ce projet de loi, tous les groupes de gauche s'étaient joints à notre demande de rejet du texte. Si une telle unité s'est construite, ce n'est pas parce que nous serions indulgents envers la fraude. Non, mes chers collègues : c'est parce que chacun a vu clair dans la manœuvre, parce que chacun a constaté que ce projet de loi est non pas un texte de justice, mais un outil de diversion.
Sous couvert de rigueur morale, vous créez une fausse symétrie entre fraude sociale « et » fraude fiscale, comme si un simple « et » suffisait à effacer les rapports de force et les ordres de grandeur, suffisait à combler l'abîme qui sépare la fraude de survie de la fraude d'organisation du capital.
La fraude qui ruine notre pays – celle des montages fiscaux et des multinationales – n'est quasiment pas traitée.
Alors que 211 milliards d'euros d'aides publiques sont versés chaque année aux grandes entreprises, alors que les dividendes ont flambé de 85 % en six ans, alors que, de 2008 à 2024, 30 000 agents du fisc ont été supprimés, réduisant la capacité de l'État à vérifier que les plus riches paient leur dû, dans le même temps, vous rognez les aides personnelles au logement (APL), vous conditionnez les allocations, vous réduisez, de 6 milliards d'euros en deux ans, les crédits prévus pour l'accompagnement dans l'emploi, vous dévoyez des structures d'accompagnement comme les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) en leur confiant des missions de contrôle ; bref, vous traquez les plus modestes !
Voilà la vérité : les assistés de notre société, ce ne sont pas les allocataires, les chômeurs ou les familles modestes ; ce sont les grandes entreprises et les actionnaires que l'on protège systématiquement. (Exclamations sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
En inversant les responsabilités, ce texte alimente les discours de l'extrême droite ; il fait des travailleurs précaires les boucs émissaires de difficultés qu'ils n'ont pas créées. (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
C'est une justice à deux vitesses, une morale à géométrie variable, une politique de classe qui criminalise les plus fragiles pour masquer les privilèges réels.
Mme Anne-Sophie Romagny. N'importe quoi !
M. Pascal Savoldelli. Ce texte ne renforce pas la lutte contre la fraude : il la détourne, pour imposer une austérité sociale déguisée. Il légitime la stigmatisation des plus faibles, tout en célébrant silencieusement l'assistanat du capital. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)
Vous cherchez à tromper et à diviser les Françaises et les Français. Diviser pour mieux régner : ce vieil adage, vous le maniez pour décrédibiliser tout espoir, toute alternative au néolibéralisme. Sinon, pourquoi auriez-vous rejeté l'intégralité de nos amendements visant à lutter contre la fraude fiscale ? Pourquoi cet avis de sagesse irresponsable du Gouvernement sur les 211 milliards ? Shakespeare prévenait pourtant : « La folie chez les grands ne doit pas rester sans surveillance. »
Mieux vaut, à en croire le Gouvernement et la majorité sénatoriale, que les citoyens s'inquiètent de savoir si leur voisin a touché une aide, plutôt que de se demander pourquoi les multinationales ne paient pas leurs impôts ou pourquoi l'État emprunte des milliards sur les marchés financiers. Mieux vaut faire du bruit autour des allocations et des « fraudeurs du quotidien » : ça occupe les Français, ça détourne leur attention, ça nourrit la suspicion… et ça alimente les discours de l'extrême droite, qui pactise avec le capital !
Pourtant, les chiffres sont clairs : la fraude sociale est estimée à 5,7 milliards d'euros, tandis que la fraude fiscale atteint 100 milliards. Protection sociale ou actionnaires : qui coûte quoi ? Qui sont les vrais assistés ? Vous choisissez délibérément la mauvaise cible !
Si ce texte servait à enfin faire payer les vrais fraudeurs, ce serait autant d'argent disponible pour l'éducation, la santé, les services publics – toutes ces préoccupations qui attendent des réponses. Mais tel n'est pas votre objectif. Ce projet de loi, rédigé à la hâte, en trois semaines, a été conçu pour brouiller les conséquences sociales du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances, pour amortir, ou plutôt mettre sous le tapis, des choix budgétaires qui auraient été trop visibles autrement.
Vous l'avez démontré sur la question des travailleurs de plateformes numériques : au lieu de transposer la directive européenne et d'instaurer une présomption de salariat qui ferait disparaître de facto la fraude sociale dans ce secteur, vous choisissez de laisser les grandes plateformes, comme Uber ou Deliveroo, échapper à leurs obligations.
Pis encore, ce texte alimente un capitalisme de surveillance, transformant l'État social en État liberticide. Sous couvert de lutte contre la fraude, il instaure un contrôle social permanent, algorithmique et discriminatoire.
Pendant qu'on pistera les adresses IP des allocataires, 100 milliards d'euros d'évasion fiscale continueront à s'évaporer chaque année sans contrôle. Ce texte ne touche jamais aux vrais fraudeurs !
M. Fabien Gay. Bravo !
M. Pascal Savoldelli. Les algorithmes permettront de tracer déplacements, communications et habitudes de vie, et d'accéder à des données sensibles – relevés téléphoniques, informations bancaires, PNR (Passenger Name Record) –, tout cela pour suspendre des prestations sur simple soupçon.
Les personnes souffrant d'affections de longue durée (ALD), les bénéficiaires de l'AAH ou de pensions d'invalidité, ou encore celles en arrêt maladie seront sous surveillance constante. Les allocations pourront être suspendues sans jugement, le contradictoire venant après la sanction. La double peine sera autorisée : suspension du tiers payant en cas de fraude ! C'est une inversion totale de la philosophie du droit, une présomption de culpabilité inscrite dans la loi.
Vous n'avez prévu aucune étude d'impact pour ce texte ; et, quand j'ai soulevé la question de l'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), on m'a répondu d'un sourire : oui, la Cnil, c'est bien joli, pour les libertés, on verra après… Pourtant, mes chers collègues, des mesures de ce texte pourraient bien être frappées du sceau de l'inconstitutionnalité !
Partout dans les démocraties néolibérales – aux États-Unis, en Italie, en Argentine et dans bien d'autres pays encore –, nous voyons émerger un nouveau type de pouvoir, un « technofascisme », le fascisme des flux financiers et des données, celui des plateformes numériques qui exploitent des milliers de travailleurs précaires. Les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et autres oligarchies numériques seront ravis de fournir les outils de surveillance des plus modestes. Les dirigeants exploitent toutes les failles légales possibles pour gouverner sans contrôle réel, tout en se présentant comme les défenseurs du peuple. Pardonnez-moi, mais avec ce texte, le Gouvernement s'engage sur le même chemin !
Ce projet est un recul du droit ; il constitue une rupture avec nos principes républicains. Quand l'État adopte les méthodes des grandes plateformes et transforme la solidarité en outil de surveillance, il change de nature. Ces outils n'ont pas leur place dans une démocratie. En jouant, encore et toujours, avec les failles de notre droit, le Gouvernement rend l'illégal légal et le légitime, illégal. La misère devient suspecte, la fraternité est remplacée par la méfiance, la solidarité est toujours plus contrainte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Eh non, mes chers collègues, la République n'est pas un algorithme !
M. le président. Il faut conclure !
M. Pascal Savoldelli. Elle doit protéger, et non pas traquer.
Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, le projet de loi sur lequel nous allons nous prononcer est marqué par une asymétrie entre les catégories de fraudes, une inversion des ordres de grandeur.
Déjà, dans la copie gouvernementale, la fraude fiscale représentait seulement 14 % des articles quand elle compte pour a minima 86 % du montant total de la fraude.
Notre chambre a renforcé ce renversement total des priorités et des attentions, à tel point que notre collègue Silvana Silvani, constatant la place toujours plus centrale donnée à la fraude des assurés dans nos débats, a renoncé à son amendement visant à inverser les mots « sociales » et « fiscales » dans l'intitulé du texte pour respecter les ordres de grandeur réels.
Quant à la fraude sociale, que nous ne minorons aucunement et qui doit être combattue sans réserve, sa composante dominante, à savoir la fraude aux cotisations via le travail dissimulé, est toujours insuffisamment combattue. Le texte a plutôt été orienté vers un durcissement du contrôle des bénéficiaires de prestations sociales, jusqu'à doter France Travail de quasi-prérogatives de police, en lui offrant un accès intrusif à des données de connexion relatives à la vie privée, et ce sur simple présomption de fraude, laquelle serait établie à partir d'indices dits « sérieux ».
Qu'importe que le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) rappelle que « l'essentiel de la fraude sociale trouve son origine dans les pertes associées aux cotisations » : l'essentiel du débat a été consacré à la création de nouveaux outils de surveillance des allocataires du chômage, au risque d'instaurer une surveillance généralisée et une stigmatisation qui alimente le non-recours.
Notons aussi l'asymétrie des contenus des discours et des argumentaires qui nous ont été opposés au fil de l'examen du texte.
Certes, nous avions pu souhaiter deux textes séparés, mais nous apprécions au moins que le texte unique ait permis de mettre en lumière des arguments totalement orthogonaux, notamment de la part des ministres, selon la nature de la fraude dont il est question.
Oui, toute lutte contre la fraude doit être arbitrée au regard des principes de notre État de droit. Mais une analyse sémantique des discussions en séance publique montre que nos propositions de renforcement de l'outillage dont on dispose pour lutter contre la fraude fiscale, ou encore la fraude sociale des employeurs, se sont toujours vu opposer le respect de la présomption d'innocence et du principe de proportionnalité, tel ou tel écueil opérationnel, ou encore le refus d'une prétendue présomption de fraude ou d'une suspicion généralisée.
Ces principes, nous ne les récusons pas, mais reconnaissez qu'ils ne sont jamais pris en considération quand on s'attaque aux assurés ; alors, présomption vaut mesures conservatoires ! Pour eux, il n'est question d'aucun arbitrage entre lutte légitime contre la fraude et respect des libertés individuelles et de la vie privée, car le profil social du chômeur reste en ligne de mire du contrôle.
Quand nous proposons qu'une entreprise condamnée définitivement pour fraude fiscale soit privée de tout avantage fiscal pendant quelques années, le ministre s'alarme de la proportionnalité de la sanction. En revanche, l'article ajouté dans le texte par les rapporteurs qui permettra à France Travail d'accéder aux relevés téléphoniques sur simples indices dits « sérieux » de fraude, et ce avant toute condamnation définitive, ne semble lui poser aucun problème de proportionnalité, alors même que des moyens de contrôle existent déjà !
Quant au risque de surveillance généralisée que le ministre nous oppose, il n'est jamais évoqué pour les assurés.
Quand nous proposons que l'attestation de paiement des cotisations ne soit délivrée qu'après acquittement des cotisations fraudées, le ministre évoque « le souci de ne pas restreindre les droits de l'ensemble des cotisants à cause du comportement abusif d'une minorité » ; les contestations, selon lui, ne signaleraient « pas nécessairement une manœuvre dilatoire ou une intention frauduleuse » ; enfin, il nous invite au « bon équilibre ».
Certes, mais quand nous proposons de garantir la sécurité juridique des demandeurs d'emploi en distinguant clairement les situations où l'intentionnalité est établie, on ne se soucie plus de « bon équilibre » : restreignons les droits de tout le monde pour atteindre une poignée de fraudeurs !
Quand nous proposons de sanctionner les employeurs coupables de fraude aux cotisations sociales, le ministre nous répond : « la notion de présomption de fraude nous paraît fragile, puisque (…) la fraude ne se présume pas et ne peut être démontrée qu'au regard des faits constatés aux cas d'espèce ». Ces arguments n'ont pourtant pas été reconvoqués pour la fraude imputable aux assurés sociaux, quand nous avons examiné un article introduisant un pouvoir de suspension conservatoire sur la seule base d'indices et non de condamnations.
Vous l'aurez compris, lorsqu'il s'agit de l'assuré, il faut de l'automaticité, mais lorsqu'il s'agit de professionnels frauduleux, il faut personnaliser. Lorsqu'il s'agit d'un employeur, il faut veiller à l'équilibre, mais lorsqu'il s'agit de l'assuré, il faut appliquer des mesures conservatoires.
En discussion générale, le ministre Amiel voyait dans ce texte « celui d'une République lucide et déterminée ». Mais une République, un État de droit, se devrait de respecter les préconisations d'instances aussi essentielles que la Défenseure des droits concernant la proportionnalité des mesures ou la préservation des droits et des libertés. Elle devrait veiller à légiférer de façon équilibrée et pertinente, en modulant ses efforts en fonction de l'échelle des fraudes. Enfin, elle aurait respecté l'avis défavorable du Conseil d'État sur un article dont les mesures peineraient à s'articuler avec la garantie d'un niveau de ressources minimal, pourtant essentielle à notre République sociale.
Sans consultation de la Cnil, le Gouvernement aurait dû avoir le courage d'émettre un avis favorable sur la suppression de l'article 28, liberticide, plutôt que de se dédouaner par un avis de sagesse.
Nous déplorons plus largement la pluie d'avis défavorables qu'ont reçus les amendements visant à transposer toutes les recommandations de la Défenseure des droits et à prévenir le risque d'atteinte aux droits fondamentaux. La lutte contre la fraude ne justifiera jamais la privation du droit à des moyens minimaux d'existence ou l'instauration de dispositifs intrusifs disproportionnés irrespectueux de la vie privée.
Nous saluons bien sûr les avancées que comporte le volet fiscal de ce projet de loi, notamment l'échange d'informations désormais possible entre agents des douanes et agents des services fiscaux effectuant des enquêtes judiciaires et des missions de contrôle. De tels progrès auraient pu permettre notre abstention, mais les lignes rouges franchies sur les libertés fondamentales conduisent les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, à ce stade du parcours législatif, à voter majoritairement contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Joshua Hochart, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
M. Joshua Hochart. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, dans nos permanences comme dans nos déplacements, une même inquiétude revient inlassablement : les Français ont le sentiment que l'argent public n'est plus suffisamment protégé. Ils voient des fraudeurs profiter de failles énormes, tandis que ceux qui travaillent dur sont contrôlés pour la moindre erreur.
Cette fracture entre le pays réel et l'action publique nourrit une colère légitime, car la justice sociale commence par l'exemplarité de l'État dans la gestion de chaque euro prélevé.
Le texte qui nous est soumis tente d'apporter des réponses. Il renforce certains contrôles, améliore quelques échanges d'informations et corrige des incohérences administratives.
Ces avancées, personne ici, ou presque, ne les conteste, mais elles restent modestes face à l'ampleur du problème. On s'attaque aux symptômes sans traiter les causes, et tant que ces causes ne seront pas combattues, la fraude restera un business rentable et organisé.
Ce que les Français veulent, c'est une stratégie cohérente et globale, comme celle que le Rassemblement national défend depuis des années.
Nous proposons par exemple de sécuriser l'identité des bénéficiaires, grâce à des dispositifs infalsifiables. Une telle mesure empêcherait immédiatement les usurpations et les identités multiples, qui représentent une part considérable des détournements actuels.
Nous voulons aussi imposer la présence physique du bénéficiaire lors de l'ouverture des droits. Cette simple exigence, de bon sens, permettrait de vérifier l'existence réelle de la personne et de mettre un terme à de nombreuses fraudes documentaires.
M. Mickaël Vallet. Pour les séances au Parlement européen aussi ?
M. Joshua Hochart. Nous estimons également indispensable de contrôler strictement les prestations versées hors de France. Trop de personnes continuent de percevoir des aides alors qu'elles ne résident plus sur notre territoire. En vérifiant régulièrement la résidence effective, nous protégerions la solidarité nationale et nous éviterions que celle-ci ne devienne une ressource exportable.
De même, mettre fin au versement automatique des aides sans contrôle préalable permettrait de prévenir la fraude plutôt que de la constater toujours trop tard, lorsqu'il est devenu difficile de récupérer les sommes perdues.
Enfin, une politique crédible suppose des sanctions réellement dissuasives. Aujourd'hui encore, certains fraudeurs préfèrent payer une amende plutôt que de renoncer à leurs pratiques, tant celles-ci restent profitables. Nous voulons un dispositif aux termes duquel le remboursement serait intégral, les poursuites systématiques et la récidive impossible.
C'est à ce seul prix que l'on pourra restaurer la confiance des Français.
S'il aborde une partie du sujet, ce projet de loi laisse entière la question essentielle : voulons-nous une lutte véritable ou seulement une apparence de lutte ?
Pour notre part, nous pensons que la France mérite une action plus ferme, plus cohérente, plus résolue.
D'ailleurs, c'est précisément parce que ce projet de loi, malgré ses nombreuses insuffisances, va dans la bonne direction que nous voterons en sa faveur, tout en affirmant avec clarté qu'il faudra aller beaucoup plus loin pour protéger réellement l'argent du peuple français. (MM. Aymeric Durox, Stéphane Ravier et Christopher Szczurek applaudissent.)
M. le président. Mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l'article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l'ensemble du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, modifié.
Mes chers collègues, je vous invite à insérer votre carte de vote dans le terminal et à l'y laisser jusqu'au vote.
Si vous disposez d'une délégation de vote, le nom du sénateur pour lequel vous devez voter s'affiche automatiquement sur le terminal en dessous de votre nom. Vous pouvez alors voter pour vous et pour le délégant en sélectionnant le nom correspondant, puis en choisissant une position de vote.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
M. le président. Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 29 :
| Nombre de votants | 341 |
| Nombre de suffrages exprimés | 271 |
| Pour l'adoption | 239 |
| Contre | 32 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP.)
La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie non seulement de votre soutien et de vos encouragements, mais surtout des travaux que vous avez menés ces dernières semaines.
Contrairement à l'idée que l'on s'en fait parfois, la fraude est surtout l'œuvre de très grands réseaux de criminalité organisés et très sophistiqués, qui détournent des centaines de millions d'euros, leur objectif étant de les faire sortir de notre territoire. On est donc loin de la fraude telle que se l'imaginent les Français.
Évidemment, mesdames, messieurs les sénateurs, comme le ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État David Amiel vous l'a indiqué, nous avons pris l'engagement de continuer les travaux d'évaluation de la fraude fiscale, comme de la fraude sociale. Je remercie les rapporteurs, ainsi que ceux d'entre vous qui ont mené ces travaux depuis quelques semaines. La fraude touche autant les finances de l'État, ce qui inclut aussi celles des collectivités, que celles de la sécurité sociale à un moment où nous sommes sous contrainte générale.
Ce projet de loi a été décidé à la suite des annonces du bilan des actions anti-fraude des mois de mars et d'avril derniers. Catherine Vautrin, alors ministre du travail, de la santé, des solidarités, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées, et moi y avons travaillé résolument afin de parvenir à un texte qui appréhende la fraude sociale et la fraude fiscale dans un même périmètre, parce que les deux sont corrélées et qu'il fallait avoir une vision cohérente.
Néanmoins, je tiens à rappeler qu'il n'y a pas là matière à faire peur aux Français. Il ne s'agit pas d'un texte de surveillance : nul dans notre pays ne verra ses droits et ses libertés remis en question par son adoption. Pour autant, ce projet de loi donne corps et force au pacte républicain : si chacun contribue selon ses moyens et reçoit selon ses besoins, il est utile que nul ne puisse entailler ce qui fonde notre unité et nous permet de faire Nation.
La navette parlementaire permettra aux travaux de se poursuivre. Il me semble que ce projet de loi peut aboutir à un compromis, étape nécessaire au compromis plus large que nous devons trouver tant sur le budget de l'État que sur celui de la sécurité sociale.
Enfin, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne doute pas que, si des mesures risquaient de remettre en cause l'État de droit, le Gouvernement saisirait les instances nécessaires pour dissiper tous les doutes. En revanche, la France ne peut pas être une République de l'impunité, une République de la naïveté et encore moins une République de la faiblesse.
Mesdames, messieurs les sénateurs, votre vote nous engage. Notre action sera résolue. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous venez de vous prononcer positivement sur le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, après l'avoir renforcé par vos amendements.
Lors de l'examen du projet de loi la semaine dernière, vous avez soutenu les propositions du Gouvernement, mais vous avez aussi enrichi le texte sur plusieurs points clés et apporté des mesures complémentaires. La copie d'aujourd'hui est ambitieuse et équilibrée.
Je vous remercie de la qualité des échanges que nous avons eus et je salue en particulier l'engagement des rapporteurs Frédérique Puissat et Olivier Henno, comme de l'ensemble des sénateurs mobilisés sur ce texte. Je salue tout particulièrement la ténacité de la sénatrice Nathalie Goulet, qui alerte les gouvernements successifs sur ce sujet depuis plusieurs années. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Nous en sommes convaincus, le combat contre la fraude, qu'elle soit sociale ou fiscale, nécessite la mobilisation de l'ensemble des forces politiques et la coordination de toutes les administrations, et ce pour une raison simple : frauder, c'est voler l'argent des Françaises et des Français, c'est abîmer la promesse de solidarité républicaine qui est au cœur du ministère du travail et des solidarités.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez décidé d'aider les services de l'État qui sont en première ligne dans la lutte contre la fraude. En cet instant, je tiens à leur rendre hommage, à les saluer et à les remercier : chaque jour, l'Urssaf, les caisses de sécurité sociale, les directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités, les autorités régionales de santé, France Travail ou la Caisse des dépôts et consignations sont à pied d'œuvre pour détecter et sanctionner les abus, retrouver la trace de l'argent indu et le recouvrer.
Ces services font face à des pratiques qui évoluent vite et qui prennent des formes variées. Les mécanismes sont de plus en plus sophistiqués et touchent de plus en plus de secteurs. Nous sommes face à de véritables experts et professionnels de la fraude et avons affaire à une fraude organisée.
Aujourd'hui, avec ce texte, qui poursuivra son chemin législatif, le Gouvernement propose de renforcer les outils existants, notamment grâce à la technologie. Il veillera à ce que les mesures mises en place soient proportionnées et respectent la vie privée. Je partage la volonté exprimée au Sénat de l'aider à mieux lutter contre la fraude.
L'objectif n'est pas de stigmatiser les demandeurs d'emploi, pas plus que ceux qui perçoivent des aides et qui bénéficient de droits pour lesquels ils ont cotisé. Je le dis sans ambages : nous ne mettons pas tout le monde sur le même plan.
Pour beaucoup, on le sait, la recherche d'emploi n'est pas un long fleuve tranquille. C'est la raison pour laquelle les services du ministère du travail et des solidarités, en lien avec les opérateurs de l'État, font tout leur possible pour mieux les accompagner dans leur recherche. Pour autant, tout en veillant à ne stigmatiser personne, il ne faut pas être naïf. C'est cet équilibre qu'il nous faut trouver ensemble. Nous veillerons, au cours de la navette parlementaire, à renforcer l'efficacité de nos dispositifs sans affecter la vie privée des demandeurs d'emploi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez enrichi ce texte, apporté des mesures complémentaires afin de renforcer la lutte contre la fraude. Dans le domaine de la formation professionnelle, vous avez donné les moyens pour lutter contre l'entrisme et mieux détecter le travail dissimulé. Je vous en remercie.
Certes, les pratiques frauduleuses restent minoritaires. La grande majorité de nos concitoyens et des entreprises respectent les obligations et les règles. Reste que le préjudice pour la collectivité est tel qu'il faut apporter des réponses concrètes, de court et de moyen terme.
Par ailleurs, il faut convenir que la complexité du système d'aide sociale en France rend ardue la lutte contre la fraude et n'aide pas non plus nos concitoyens dans l'accès à leurs droits. Il faut le simplifier et le rendre plus lisible.
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. La semaine dernière, à l'occasion du congrès des assises des départements de France, le Premier ministre a annoncé que le Gouvernement déposerait prochainement, sans doute au mois de décembre, un projet de loi sur l'aide sociale unique (SU).
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Nous aurons donc rapidement l'occasion d'en reparler. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je salue la forte mobilisation du Sénat sur ce texte, ainsi que la qualité de nos débats. Je remercie à mon tour les rapporteurs avec qui nous avons travaillé de bonne manière.
Vous le savez, ce texte permettra de mieux détecter, de mieux sanctionner, de mieux recouvrer. Certes, la lutte contre la fraude rend possible le recouvrement de milliards d'euros, mais elle renforce surtout le cœur de notre pacte social. C'est là tout l'enjeu de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quarante, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Didier Mandelli.)
PRÉSIDENCE DE M. Didier Mandelli
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
2
Mise au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour une mise au point au sujet de votes.
Mme Christine Lavarde. Lors du scrutin n° 29, portant sur l'ensemble du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, Mmes Lauriane Josende, Alexandra Borchio Fontimp, Viviane Malet et Sylvie Valente Le Hir souhaitaient voter pour.
M. le président. Acte vous est donné de votre mise au point, ma chère collègue. Elle figurera dans l'analyse politique du scrutin concerné.
3
Dette publique
Débat organisé à la demande des groupes Les républicains et Union Centriste
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande des groupes Les Républicains et Union Centriste, sur la dette publique.
Dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l'auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répartie pendant une minute.
Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l'hémicycle.
Dans le débat, la parole est à M. Stéphane Sautarel, pour le groupe Les Républicains, auteur de la demande.
M. Stéphane Sautarel, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette intervention me donne l'occasion de prendre un peu de champ, pour tenter de faire un point lucide, mais constructif, sur la question de la dette publique française.
Nous abordons souvent ce sujet avec fatalisme, alors que l'endettement d'un État n'est ni un tabou ni un mal en soi. Il devient un problème uniquement lorsqu'il traduit une absence de stratégie.
Je rappelle donc d'emblée que l'endettement n'est pas un mal, c'est un outil de souveraineté.
On entend souvent dire que l'État doit gérer ses finances comme un bon père de famille. Certes, l'image est séduisante, mais elle est fausse. Un État n'est pas un ménage. Un État n'a pas à rembourser intégralement sa dette : il la refinance en permanence. Il dispose surtout d'un pouvoir unique, celui de lever l'impôt.
S'endetter n'est donc pas un signe de faiblesse, c'est un levier de puissance, à condition que la dette finance l'avenir.
Une dette est saine lorsqu'elle prépare la croissance future, c'est-à-dire finance la recherche et l'innovation de rupture, l'éducation, la transition écologique, les infrastructures et l'aménagement du territoire. C'est ce qu'ont fait historiquement les États-Unis lors du New Deal ou la France du général de Gaulle : un endettement assumé, mais productif.
À l'inverse, une dette devient malsaine lorsqu'elle finance le fonctionnement courant, les rigidités, la protection sociale ou l'incapacité à réformer. C'est là le cœur du problème français.
Le décrochage français s'explique par le fait que la dette finance trop souvent la dépense, et non l'investissement. La dette française se situe à 115 % du PIB au deuxième trimestre 2025 ; elle devrait atteindre 118 % d'ici à la fin d'année. La dette allemande est à 62 %, la moyenne européenne, à 82 %. Ce décrochage est récent et il est spectaculaire.
En 2007, nous étions sous la moyenne de la zone euro. En 2012, nous étions au niveau. En 2017, nous étions 10 points au-dessus. Aujourd'hui, nous sommes 27 points au-dessus. Ce n'est pas une mauvaise trajectoire : c'est un décrochage structurel.
Entre 2017 et 2025, la dette publique a augmenté de 1 200 milliards d'euros. Nous sommes passés de 2 200 milliards d'euros en 2017 à 3 400 milliards d'euros aujourd'hui. Ces chiffres sont étourdissants.
Nous entrons dans un cycle où la charge de la dette elle-même alimente le déficit. C'est l'effet « boule de neige » – et cet effet va s'amplifier.
La charge de la dette, c'est 60 milliards d'euros l'an prochain ; c'est le troisième budget de l'État après ceux de l'éducation nationale et la défense. (M. Olivier Paccaud s'exclame.) Selon les projections, elle représenterait près de 200 milliards d'euros en 2029,…
M. Olivier Paccaud. Plus que le budget de l'éducation nationale !
M. Stéphane Sautarel. … devenant le premier budget de la Nation.
Cette hausse ne s'explique plus seulement par la crise sanitaire : elle résulte d'un déséquilibre structurel de nos finances. Depuis 2017, nos dépenses publiques augmentent plus vite que notre PIB et cela traduit une difficulté à maîtriser notre modèle social.
La France consacre près de 32 % de son PIB aux dépenses sociales : retraites, santé, prestations. Ce n'est pas en soi un problème – c'est le prix de notre modèle social –, mais le déséquilibre vient du fait que nous nous endettons pour les financer, faute de réformes structurelles : 145 milliards d'euros pour la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) et 89 milliards d'euros de plafond d'endettement pour l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), en 2026.
En d'autres termes, nous empruntons pour maintenir le présent, non pour préparer l'avenir. C'est cela qui mine la soutenabilité de notre dette.
De plus, les investisseurs anticipent désormais une hausse des besoins budgétaires des pays européens, en particulier de l'Allemagne. Cela provoque déjà une hausse du taux à dix ans de la France – autour de +30 points de base mi-septembre –, avec un spread plus défavorable, non seulement vis-à-vis de l'Allemagne, mais aussi désormais de l'Espagne et de l'Italie. Rappelons à ce titre qu'un choc de taux de 1 %, c'est une charge supplémentaire de 30 milliards d'euros à dix ans.
Pourtant, même si elle n'est pas encore rompue, la soutenabilité globale préservée est de plus en plus conditionnelle.
La dette française est considérée par les marchés comme l'un des actifs les plus sûrs de la planète. Nos titres sont liquides, substituables à l'OAT (obligation assimilable du Trésor) allemande, et nous avons innové : inflation indexée, maturités à cinquante ans, obligations vertes... La maturité moyenne de nos obligations est de huit ans, ce qui nous protège des fluctuations de taux à court terme. Il faut le dire, nous bénéficions d'une qualité exceptionnelle d'exécution de la dette par l'Agence France Trésor.
La dette française reste donc attractive, mais ce statut n'est pas éternel et les signaux faibles aujourd'hui sont tous alignés dans le même sens.
Les perspectives de croissance sont faibles – autour de 1,3 % à horizon 2027. Le chômage remonterait au-dessus de 8 %. Surtout, Moody's et Fitch ont déjà placé la perspective de la France en négative.
Pour le dire plus simplement, la confiance demeure encore, mais elle est sous surveillance. Il n'existe à cet égard aucun risque de faillite de la France. Comparer notre situation à celle de la Grèce n'a aucun sens : la France n'a ni un problème de solvabilité ni un problème de liquidité.
Notre dette reste intégralement libellée en euros, dans notre propre monnaie, et nous disposons d'une capacité fiscale exceptionnelle – parfois trop... En d'autres termes, la France ne peut pas faire faillite tant qu'elle conserve la confiance de ses créanciers et sa capacité à lever l'impôt.
D'ailleurs, sur une longue période, la dette française a progressé deux fois moins vite que celle des États-Unis ou du Royaume-Uni. Pour le dire autrement, le problème est non le remboursement de la dette, mais l'accroissement de sa taille en proportion de notre économie.
C'est le ratio dette/PIB et pas son montant brut qui détermine la soutenabilité. Aujourd'hui, c'est ce ratio qui dérive ; il le fait non pas parce que nous empruntons trop, mais parce que notre PIB croît trop lentement.
M. Sébastien Martin, ministre délégué. Exactement !
M. Stéphane Sautarel. Si la dette française se finance aujourd'hui à un taux légèrement supérieur à celui de l'Italie, ce n'est pas parce que les marchés redoutent un défaut français, c'est parce qu'ils lisent dans notre trajectoire un affaissement relatif de notre potentiel de croissance. En effet, les investisseurs distinguent les pays qui s'endettent pour investir, donc pour croître, de ceux qui s'endettent pour différer les réformes.
Et cela se voit ! Les États qui ont su engager leurs transitions structurelles, comme les Pays-Bas ou le Danemark, bénéficient de taux d'intérêt plus faibles. Pourquoi ? Parce que les marchés savent qu'une croissance plus forte stabilise le ratio dette/PIB.
Le PIB par habitant de l'Italie, qui était très en deçà du nôtre il y a dix ans, l'a désormais rattrapé. Rationnellement, les marchés rémunèrent ce différentiel de croissance : ils prêtent moins cher à un pays qui se réforme et investit qu'à un pays qui s'endette sans perspective claire. Cela signifie que nous payons aujourd'hui non pas notre dette passée – encore que –, mais notre manque de réformes.
Le véritable enjeu, c'est donc la réforme intelligente, pas le simple rabot, qui, de plus, semble tenu à l'aveugle. Nous donnons trop souvent le sentiment d'avancer comme un canard sans tête.
Retrouver une stratégie, réformer structurellement, investir intelligemment, cibler la dépense : voilà le seul chemin possible. Je conclurai sur ce point.
L'objectif à moyen terme, inscrit dans le plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT), est clair : revenir à un déficit inférieur à 3 % du PIB à horizon 2029. Cela suppose de dégager un excédent primaire de 0,5 point, soit environ 100 milliards d'euros d'économie en cinq ans. À cette heure, on en semble bien loin.
La question est de savoir non pas seulement combien nous dépensons, mais pourquoi nous dépensons.
Nous devons sortir d'une logique de dépenses indifférenciées pour retrouver une logique d'investissement public ciblé. C'est ce qu'attendent les marchés, c'est ce que comprendront les citoyens : que l'on réduise la dépense improductive, que l'on modernise la sphère publique et que l'on oriente l'effort vers ce qui crée de la valeur à long terme.
Investir mieux, réformer davantage, expliquer plus clairement nos choix : voilà la condition d'un endettement soutenable. La dette publique française n'est pas encore insoutenable.
Prenons garde toutefois, elle est aujourd'hui mal orientée. Nous devons sortir du réflexe moral selon lequel toute dette serait mauvaise, comme du réflexe inverse qui consiste à la banaliser. L'endettement est un instrument de souveraineté économique, à condition qu'il serve à préparer l'avenir. Un État qui s'endette pour repousser les décisions voit, au contraire, sa crédibilité s'éroder.
Il nous appartient collectivement de choisir si la dette doit rester un instrument de puissance ou devenir un facteur de dépendance. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que j'aurai l'occasion d'intervenir plus globalement au cours de ce débat, mais je tenais d'emblée à saluer les propos extrêmement équilibrés de M. le sénateur Sautarel. Il a rappelé que la question de l'endettement n'était pas un mal en soi. On peut s'endetter pour préparer l'avenir, pour investir, pour atteindre les grands enjeux que sont la préservation de la planète, la compétitivité, l'innovation, que sais-je encore.
Nous constatons tous que, depuis des années, notre pays finance via la dette autre chose que de l'investissement. Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2026, comme cela se fait présentement à l'Assemblée nationale, vous serez amenés à examiner la trajectoire que nous proposons. Celle-ci est ambitieuse.
Je compte bien évidemment sur la qualité des débats qui auront lieu au Sénat, pour que cette trajectoire ambitieuse soit confortée et qu'ensemble nous essayions de ramener notre endettement dans des limites tenables pour préparer l'avenir, comme l'a très bien dit M. le sénateur Sautarel.
M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, organiser ce débat avant la discussion budgétaire est une très bonne initiative. Laurent Saint-Martin et moi en avions eu l'idée il y a quelques années lorsque j'étais rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État », avant que cela ne devienne une disposition législative.
Monsieur le ministre, vous le savez, la dette annihile notre liberté d'action. Autant dire que nous sommes menottés, bâillonnés, enduits de goudron et de plumes, celles-là mêmes qui sont perdues par l'État, les entreprises et les contribuables.
Le sujet de la dette est extrêmement large. Stéphane Sautarel a évoqué le bon usage des dépenses. Je parlerai pour ma part de son mauvais usage, notamment de la folie normative.
Les diététiciens disent que nous creusons notre tombe avec notre fourchette. De la même façon, nous creusons nous-mêmes la dette avec les normes !
La multiplication des normes pèse aujourd'hui lourdement sur notre pays. Leur coût est évalué entre 75 milliards et 87 milliards d'euros pour les entreprises, entre 12 milliards et 25 milliards d'euros pour les collectivités, les services publics et les particuliers.
Comme le rappelle Christophe Eoche-Duval, depuis 1969, nous avons empilé trente-sept lois, soixante-six ordonnances, cent soixante-cinq décrets et soixante-huit circulaires destinés, je vous le donne en mille, à la…
M. Sébastien Martin, ministre délégué. ... simplification ! (Sourires.)
Mme Nathalie Goulet. Voilà !
Résultat, le droit positif continue de s'alourdir.
L'inflation normative est désormais mesurée. On constate une augmentation de 47,6 millions du nombre de mots dans les codes, soit une hausse de 84 % en vingt ans : explosent : de 53 % dans le code de la consommation, de 43 % dans le code de l'environnement, de 41 % dans le code de la santé publique, etc. Tout cela pèse sur la dépense et c'est de la mauvaise dépense, comme l'a indiqué Stéphane Sautarel !
Il y a eu les Assises de la simplification : victoire de l'optimisme sur l'expérience, pour reprendre la formule d'Henri VIII lors de son sixième mariage. (Sourires.) Concrètement, cela ne change rien : tout cela est illisible et coûte cher aux collectivités.
Les départements, régions et autres agences de l'eau ne sont pas en reste. Ils réalisent des études pour le moindre projet, qu'ils financent grâce à des subventions, mais c'est de l'argent public, et de l'argent public mal utilisé.
Nous avons perdu l'habitude des lois Balai, issues des travaux du Bureau d'abrogation des lois anciennes et inutiles créé sur l'initiative de notre collègue Vincent Delahaye. C'est bien dommage, parce qu'elles étaient très utiles.
Monsieur le ministre, voilà de très belles économies en perspective. Qui plus est, elles dépendent de nous.
Puisque j'évoque les études, je tiens à revenir sur le recours aux cabinets privés et au rapport fait au nom de la commission d'enquête sur l'influence croissante des cabinets de conseil privé sur les politiques publiques, dont Éliane Assassi était la rapporteure et Arnaud Bazin le président.
Qu'est-ce qui peut bien déranger le Gouvernement pour qu'il n'inscrive pas la proposition de loi issue des travaux de cette commission d'enquête à l'ordre du jour des travaux du Parlement, dont l'adoption permettra que l'on en finisse avec cette affaire et qu'il y ait plus de transparence et plus de contrôle de l'opportunité des saisines des cabinets de conseil ? C'est un mystère que nous n'avons pas encore éclairci.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous ne serez pas étonnés qu'à la suite du vote sur le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales j'aborde de nouveau ces questions.
Évidemment, plus de travail sur la fraude, c'est mieux pour la dette. Les fraudes fiscales s'élèvent à 100 milliards d'euros, les fraudes sociales à une vingtaine de milliards d'euros, les fraudes liées à la criminalité organisée à 50 milliards d'euros. Le recouvrement n'est que de 2 %, je crois que l'on peut faire mieux.
La fraude à la TVA, elle, représente entre 25 et 50 milliards d'euros par an. Monsieur le ministre, cela ne peut pas être uniquement la faute des petits colis ! À un moment donné, il faut, au sein de votre administration, réactiver le logiciel de détection précoce qu'utilisent nos voisins européens. Ce sont des sujets extrêmement importants.
Le Président de la République a convoqué aujourd'hui une réunion sur le narcotrafic. Mais il n'y a pas que le narcotrafic, il faut viser l'ensemble de la criminalité organisée, que nous avons étudiée ici. D'où ma deuxième question, monsieur le ministre : allons-nous reprendre en main la lutte contre le blanchiment ? C'est tout de même un sujet très important.
Et, pour conclure, je voudrais vous dire qu'il faut faire confiance au Sénat. Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas attendre des réponses à vos questions de la part de personnes dont le salaire dépend précisément du fait qu'elles n'en trouvent pas… (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Je pense que nous partageons tous l'énergie de Mme la sénatrice Nathalie Goulet et son aspiration à la simplification. Je suis assez d'accord avec vous, madame le sénateur, quand on engage des démarches de simplification, on aboutit parfois à de la complexification. La simplification passera sans doute essentiellement par des réformes de structure. C'est pourquoi le Premier ministre souhaite engager, notamment avec le Sénat, un débat sur un projet de loi de décentralisation et de réforme de l'État.
À chaque fois, nous évoquons ces sujets au moment du budget, nous en parlons pendant l'examen du texte et, finalement, rien ne se passe. Le Premier ministre souhaite donc fixer un cap clair en la matière.
Par ailleurs, vous avez évoqué la fraude. Le Sénat vient d'examiner le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales. Vous voyez bien que le Gouvernement souhaite voir des progrès, même si, comme vous l'avez également indiqué, il reste encore de la marge.
En ce qui concerne les cabinets de conseil, je vous rappelle que, par une circulaire du 19 janvier 2022, le Gouvernement a précisé les règles et exprimé la volonté d'une véritable rationalisation du recours à ces cabinets.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.
Mme Nathalie Goulet. La circulaire dont vous parlez, signée par Mme de Montchalin, a été publiée le matin même de son audition devant la commission d'enquête ; c'était donc parfaitement opportun.
Mais, monsieur le ministre, il faut tout de même que ce texte soit voté. Il apporte beaucoup, le Sénat y a beaucoup travaillé, il a été adopté à l'unanimité. Il est d'ailleurs issu d'une commission d'enquête totalement transpartisane, ayant réalisé un travail remarquable. Je le répète, il faut vraiment écouter le Sénat. Le nombre de cabinets de conseil auxquels il est fait appel a encore augmenté cette année, ce qui est tout à fait contraire à ce que nous avions souhaité et aux engagements du Gouvernement de l'époque.
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Olivier Bitz applaudit également.)
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la dette est un outil financier comme un autre pour qui se comporte en bon père – ou en bonne mère – de famille. C'est à peu près ce que nous a dit notre collègue Sautarel. C'est aussi ce que vous avez dit, monsieur le ministre. C'est en recourant à la dette que les ménages français peuvent s'acheter un logement, que les boulangers peuvent s'acheter un four, et les entrepreneurs, une machine-outil.
La dette, c'est aussi un outil à destination de la puissance publique, à qui elle permet d'emprunter pour financer les investissements de la Nation. Dès lors que les collectivités territoriales, la sécurité sociale et l'État empruntent pour construire des écoles, pour financer des hôpitaux, pour financer des infrastructures, alors la dette publique est utile.
Malheureusement, nous n'empruntons plus pour financer les projets qui serviront aux générations à venir. La majorité de notre dette sert à financer notre quotidien, notre consommation. La sécurité sociale emprunte pour payer les retraites, l'État, pour payer les fonctionnaires. Notre incapacité collective à ralentir suffisamment le rythme de nos dépenses de fonctionnement nous oblige chaque année à nous endetter davantage. En résumé, nous endettons nos petits-enfants pour financer notre train de vie actuel.
Et chaque année, les amoureux de la dépense publique nous appellent à alourdir la facture. D'aucuns estiment que nous devrions suspendre la réforme des retraites, d'autres nous invitent régulièrement à plus de normes et à plus de fonctionnaires. Ils oublient que les retraites représentent près d'un quart de l'ensemble de la dépense publique et que la France se singularise par son nombre trop élevé de fonctionnaires par actif.
Notre dette a donc explosé depuis 1974, et nous continuons de l'alimenter avec un déficit qui ne parvient pas à passer sous les 3 % – sauf à l'époque, notable, où Édouard Philippe était Premier ministre.
Les chiffres qui figurent dans le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024, que nous examinerons dans quelques jours, ne mentent pas. Ils nous apprennent qu'en 2025, notre déficit s'élèvera à 130 milliards d'euros. C'est douze fois le budget du ministère de la justice. Et tout ça pour quoi ?
Nous n'avons pas construit de nouveaux porte-avions ni rénové nos quartiers prioritaires. Non, nous avons juste vécu une année de plus, et aucun Français n'est capable de dire au nom de quoi nous avons grevé l'avenir de ceux qui viendront après nous.
Notre dette continue de croître. Elle atteint désormais 3 416 milliards d'euros, soit 115,6 % du PIB, et le montant des seuls intérêts qu'elle génère est en passe de devenir le premier budget de l'État. Autant dire qu'il est urgent d'agir. Qu'importe l'absence de majorité à l'Assemblée nationale, qu'importe le réalisme politique de certains, nous devons nous réformer rapidement et avec détermination pour cesser d'alourdir la dette et son cercle vicieux d'intérêts en cascade.
Les moyens d'agir, nous les connaissons, et les Français nous les réclament. Ils sont 82 % à préférer une baisse de la dépense publique à une nouvelle augmentation des impôts. Il faut écouter les Français et massivement diminuer nos dépenses publiques – y compris nos dépenses sociales – avant que le FMI nous y oblige. Il conviendra ensuite de baisser ces impôts qui étouffent l'activité des entreprises et la consommation des ménages. Ces baisses d'impôts permettront de stimuler l'économie, ce qui nous permettra, c'est mécanique, d'augmenter nos recettes fiscales.
Au diptyque que constituent la baisse des dépenses et celle des impôts, nous devrons ajouter une augmentation de l'activité. Ce n'est qu'ainsi que nous évitons la faillite publique qui nous menace.
Mes chers collègues, nous examinerons dans quelques jours le PLF et le PLFSS pour 2026. Certains rêvent de faire de cet exercice un momentum de la gabegie budgétaire. Les économies présentes dans le budget sont insuffisantes, monsieur le ministre, et ma question est donc simple : quelles économies nouvelles le Gouvernement pourrait-il présenter lors de son examen au Sénat ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Vincent Delahaye applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur Emmanuel Capus, vous me demandez quelles économies nouvelles le Gouvernement pourrait proposer. Le Gouvernement attendra également les économies nouvelles que pourra proposer le Sénat, à la suite de l'Assemblée nationale.
M. Pierre Jean Rochette. Nous en proposerons !
M. Sébastien Martin, ministre délégué. Nous sommes, bien évidemment, attentifs aux débats et aux propositions qui sont formulées.
Permettez-moi néanmoins de nuancer les résultats des sondages dans lesquels les Français se déclarent très favorables à la baisse de la dépense publique. Lorsque cela demeure un principe général, je vous l'accorde ; mais lorsque l'on entre dans les détails, les choses deviennent souvent un peu plus complexes. Nous verrons donc, au fil des échanges, de quelle manière chacune et chacun avancera dans cette direction.
Je souhaite aussi apporter une précision concernant la part de l'emploi public dans l'emploi total. Celle-ci est stable, je tiens à le rappeler : elle était de 23 % en 2017, elle est de 22 % aujourd'hui. Ce n'est ni une baisse ni une hausse. Contrairement à certaines idées reçues, la part de l'emploi public dans l'emploi global reste stable. Je le souligne, car je sais que nous sommes toutes et tous attachés à la qualité des agents du service public.
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour la réplique.
M. Emmanuel Capus. Je tiens à vous rassurer, monsieur le ministre : le Sénat proposera des économies, en particulier le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. le président. La parole est à M. Christian Klinger. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Klinger. Monsieur le président, mes chers collègues, pourquoi un tel débat sur la dette publique ? Parce que la situation est alarmante, et parce qu'elle devrait être au carrefour de toutes nos préoccupations d'avenir.
Nous faisons face à un double défi. Derrière le mur de dette que nous avons bâti et que nous continuons à élever année après année, émerge la montagne des investissements qu'il sera indispensable d'effectuer pour conserver notre souveraineté et notre capacité à faire société.
Pourquoi la situation de la dette aujourd'hui est-elle alarmante ? Tout d'abord, et ce n'est pas un mystère, parce que le taux d'endettement français est très élevé. Alors que notre dette publique était déjà très, trop importante, la crise sanitaire, puis énergétique, l'a propulsée à des niveaux historiques. Nous sommes aujourd'hui les troisièmes sur l'inquiétant podium européen de l'endettement, après la Grèce et l'Italie.
La politique du « quoi qu'il en coûte » durant la crise sanitaire était justifiée. Mais pendant que nos voisins européens ont fermé les vannes du robinet de la dépense publique, en France, le Mozart de la finance n'a pas modifié sa partition. Il joue toujours la même musique pendant que le bateau coule. Il persiste à répondre à chaque problème par un chèque ; c'est toujours le même refrain.
Ces dépenses exceptionnelles n'expliquent pas à elles seules le niveau d'endettement de la France. Celui-ci est aussi dû à un montant de dépenses publiques très élevé. Non seulement le niveau d'endettement atteint des sommets, mais la trajectoire de la dette française ne semble pas près de fléchir assez rapidement et fortement pour renverser la tendance.
Dans ce contexte, force est de constater que ce mur de dette emporte des conséquences très concrètes sur l'avenir de notre pays et qu'il représente un risque à plusieurs égards.
En premier lieu, il devient de plus en plus coûteux de s'endetter. L'augmentation de la charge de la dette est spectaculaire. Alors qu'elle était de 30 milliards d'euros en 2020, elle est passée à 65 milliards d'euros en 2025 et devrait dépasser les 100 milliards d'euros en 2029. C'est vertigineux. La charge de la dette sera le premier poste de dépense de l'État, largement devant l'éducation nationale.
En second lieu, et c'est là le risque ultime, nous rencontrons des difficultés à emprunter, ce qui revient à abandonner notre capacité à décider pour nous-mêmes : en clair, cela s'appelle la souveraineté. Lorsque les marchés sont réticents à acheter notre dette, il n'y a en général pas d'autre choix que d'augmenter brutalement les impôts ou bien de couper tout aussi brutalement dans les dépenses. Vous le savez aussi bien que moi, une augmentation de 1 % des taux d'intérêt, ce sont 32 milliards d'euros de charge d'intérêts annuelle de plus neuf ans après.
Notre priorité doit être de nous dégager des marges de manœuvre pour financer les investissements massifs nécessaires aux grandes transitions de demain. Des leviers ou des solutions, j'en vois trois.
Premièrement, il y a la croissance, qui génère des recettes pour l'État. Les économies de la zone euro traversent une phase de ralentissement, la France ne fait pas exception. Il faut cependant continuer à stimuler la croissance des entreprises en les préservant de l'inflation des normes et des surtranspositions, grand sport national.
Deuxièmement, la fiscalité, autrement dit la hausse des impôts, est un autre levier possible, mais la France étant déjà le champion européen des prélèvements obligatoires, qui représentent plus de 45 % du PIB, elle n'a plus de marges de manœuvre.
Troisièmement, il y a la maîtrise de la dépense publique. Nous avons du mal à débattre de cette solution dans notre pays. Or, dans le contexte que je viens de décrire, seules des économies structurelles et pérennes nous permettront de dégager les marges de manœuvre absolument indispensables pour investir dans l'avenir.
L'objectif à atteindre est une dépense publique de meilleure qualité. Nous devons accepter de revoir les dépenses qui ne sont pas efficaces et d'opérer différemment quand cela est possible.
Monsieur le ministre, il est temps de soulever le capot des politiques publiques pour voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. La voiture France est en panne. On peut certes changer le copilote – je pense au Premier ministre –, mais ce n'est pas là que se situe le problème. En revanche, on ne peut pas changer le pilote, c'est-à-dire le Président de la République, dont le contrat constitutionnel court jusqu'en 2027.
Alors, en attendant, monsieur le ministre, en tant que passager de cette voiture, comment allez-vous réparer le moteur pour qu'il tourne à nouveau rond et qu'il fasse avancer la France dans la bonne direction ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur, un ministre de l'industrie pour s'occuper du moteur, cela tombe plutôt bien !
Je vais m'efforcer de vous rassurer sur notre capacité à emprunter : cette année encore, nous avons eu trois fois plus de propositions que ce que nous émettons sur les marchés. Cela signifie que la signature de la France demeure crédible, comme cela a été rappelé dans plusieurs interventions. Ainsi, comme vous l'avez souligné, monsieur le sénateur Sautarel, il n'y a pas de risque de crise à la grecque dans notre pays.
Vous avez également rappelé que l'essentiel était de stimuler notre croissance, et je partage totalement cette idée. Pour cela, il est indispensable que nous agissions plus fortement encore à l'échelon européen. Je sais que vous en êtes tous d'accord ici. Il faut des mesures de simplification, comme cela a été demandé. Vous savez que six paquets omnibus de simplification sont engagés, notamment à la demande de la France.
Il faut enfin agir pour renforcer la préférence européenne en faveur de nos industriels. Nous avons visité ensemble le site chimique de BASF à Chalampé. Il nous faut protéger notre industrie avec des clauses de sauvegarde. C'est le combat que la France a mené et remporté sur l'acier. Nous avons obtenu ce matin des mesures de sauvegarde pour protéger l'industrie européenne des ferro-alliages. Nous continuerons de nous battre pour de telles clauses, contre la concurrence déloyale de la part de pays à bas coût, notamment de la Chine.
M. le président. La parole est à M. Christian Klinger, pour la réplique.
M. Christian Klinger. Je sais qu'en tant que ministre de l'industrie, vous avez tous les outils nécessaires pour réparer la voiture France et faire en sorte qu'elle soit compétitive, belle et rutilante. Prêtez donc à vos collègues du Gouvernement votre boîte à outils, pour que puisse être réparé et débosselé ce qui doit l'être !
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Didier Rambaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Rome ne s'est pas faite en un jour ; notre dette publique non plus. Celle-ci est le fruit de choix, d'évolutions et, surtout, de décisions politiques. Toujours est-il que, depuis 1975, le budget de l'État est déficitaire, et ce sans interruption. Les crises traversées par notre pays et leurs conséquences économiques n'ont fait qu'amplifier la trajectoire de notre dette, déjà fortement impactée par les chocs pétroliers de 1974 et 1981.
En 2008, au lendemain de l'effondrement des marchés à Wall Street, notre dette représentait 69 % du PIB. Un an plus tard, celle-ci s'élevait à plus de 84 %, soit une augmentation de quatorze points en un an. De même, en 2020, avant le covid, la dette atteignait 98,2 % du PIB. Un an plus tard, elle culminait à 115 % du PIB, son niveau record. Aujourd'hui encore, la dette avoisine les 113 % du PIB, alors que la moyenne de la zone euro se situe autour de 87 %.
Depuis, la sonnette d'alarme a été tirée, et c'est tant mieux. Néanmoins, reconnaissons que la dette nous a permis de surmonter des crises, de venir en aide aux entreprises et aux travailleurs, et de sauver collectivement notre économie. Mais, désormais, le besoin de redressement est important, car il y va de la crédibilité financière de notre pays auprès de nos partenaires européens et de ceux qui nous prêtent.
Disons-le, nous avons un déficit plus important que la Grèce, le Portugal, l'Espagne ou l'Italie. Alors que nos voisins s'efforcent de contrôler leurs dépenses, nous devons, nous aussi, respecter les règles communes européennes énoncées dans le traité de Maastricht et le pacte de stabilité.
En 2020, le « quoi qu'il en coûte », que je défendais ici même, à cette tribune, a été assumé par toutes les forces politiques, au point que certains groupes nous reprochaient de ne pas en faire assez.
Cette chronologie nous rappelle une chose : la dette n'est pas qu'un stock, elle évolue, elle est notre histoire, quelles que soient les étiquettes des gouvernements. En témoigne l'analyse de Xavier Ragot, directeur de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), dans laquelle il indique que, jusqu'en 2017, les gouvernements de droite ont davantage contribué à l'augmentation de la dette publique que ceux de gauche : de 2,2 points de PIB par an pendant vingt-quatre ans pour les premiers, contre 1,6 point pendant dix-neuf ans pour les seconds. L'ex-majorité présidentielle doit, elle aussi, prendre sa part de responsabilité, mais, de grâce, que chacune et chacun prenne la sienne !
Aujourd'hui, nous sommes à un point de bascule, car l'effet boule de neige risque de renforcer le cercle vicieux. Le coût de la dette excédant l'apport de la croissance, la dette augmente mécaniquement, et ce même avec un déficit constant. Ce qui doit nous inquiéter, c'est non pas la dette en tant que telle, mais l'augmentation de la charge de la dette. En effet, les intérêts s'élèvent désormais à plus de 70 milliards d'euros, soit presque autant que le budget de l'éducation et plus que celui de la défense.
Le diagnostic est très clair : la charge de la dette est aujourd'hui immense. Et parce qu'elle est immense, elle engendre une perte de crédibilité sur les marchés financiers, ce qui a pour effet d'augmenter mécaniquement les taux et induit des surcoûts pour l'État, les collectivités territoriales, mais aussi pour les entreprises et les ménages. Ce que nous perdons chaque année en intérêts constitue un manque à gagner colossal, un impôt invisible qui pèse sur le présent comme sur l'avenir.
Notre rapport à la dette doit donc changer. Il s'agit non pas de dire qu'elle est mauvaise en soi, mais bien d'en faire une force en l'utilisant pour ce qu'elle est, un outil de financement de l'avenir. Rappelons qu'un euro investi dans les capacités industrielles, dans l'armée, l'éducation ou la transition énergétique rapporte demain en croissance, en emplois, en recettes fiscales et en souveraineté.
Il existe donc des missions pour lesquelles il est souhaitable et responsable de s'endetter. À l'inverse, s'endetter pour financer des dépenses courantes, couvrir des déficits structurels ou maintenir temporairement notre modèle social sans le réformer relève d'un entêtement synonyme d'appauvrissement. La Banque de France l'explique très clairement : il est important la dette finance des projets d'avenir afin que son roulement soit viable.
Mes chers collègues, distinguons l'endettement justifié, celui qui finance l'avenir, de l'endettement regretté, celui qui ne finance que les affaires courantes et le passé.
Rendre cohérente notre politique d'endettement répond à plusieurs difficultés majeures. La première est l'une des plus essentielles : celle de son acceptabilité. Nos concitoyens ne rejettent pas le principe d'une dette si elle est expliquée, ciblée et crédible. Ils l'accepteront si elle finance les générations futures, et non les déficits d'hier. La dette de demain doit être comprise, choisie et maîtrisée.
Cette trajectoire claire est aussi un moyen de respecter nos engagements européens et de rassurer les investisseurs. À ce propos, monsieur le ministre, ne serait-il pas judicieux d'accroître la part de la dette détenue par la Banque centrale européenne (BCE), via des achats réguliers de titres de dette, comme le suggèrent certains économistes ?
Mes chers collègues, au-delà des ajustements techniques, notre pays doit sortir de sa relation toxique avec la dette. Celle-ci est un outil à notre disposition, mais un outil qui n'a de sens que s'il sert une stratégie. Or, sans stratégie, sans croissance stable, sans réforme et sans une réorientation de la manière dont nous dépensons l'argent public, nous atteindrons de nouveaux records d'endettement. Les records sont faits pour être battus, mais, en la matière, je pense que la France ferait bien de laisser sa place à d'autres. (MM. François Patriat et Emmanuel Capus applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur Rambaud, vous avez rappelé le cadre européen, c'était nécessaire. J'étais hier aux côtés du Premier ministre, qui recevait le commissaire à l'économie et à la productivité, M. Dombrovskis, à qui il a rappelé l'objectif de la France : faire repasser le déficit public sous les 3 %du PIB en 2029. C'est un cadre que nous voulons respecter, car il y va de la crédibilité de la parole de la France en Europe.
Vous me demandez s'il ne serait pas judicieux que la BCE rachète de la dette. Depuis 2022, la BCE ne pratique plus cette politique et a cessé de racheter les dettes des différents États. Cela peut donner lieu à débat, mais le fait est que ce n'est pas la ligne suivie aujourd'hui par la BCE.
Toutefois, pour certains grands programmes ou certains grands projets, il serait en effet intéressant d'envisager une dette européenne, afin de financer ces projets d'envergure et de relancer certaines politiques européennes.
Enfin, je rappelle que la France s'honore, depuis des années, en finançant son effort de défense, ce que n'ont pas fait tous les pays européens. Cet effort pèse dans nos dépenses : dans le PLF pour 2026, il représente 6,7 milliards d'euros supplémentaires. Il est évident que, si nous n'avions pas consenti ces efforts dans nos budgets, année après année, il serait sans doute plus facile de retrouver des trajectoires beaucoup plus raisonnables, comme nous le souhaitons toutes et tous.
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat.
Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « c'est un appel à la lucidité. » Tels furent les mots du ministre de l'économie, Roland Lescure, à l'annonce de la dégradation de la note de la France par l'agence Standard & Poor's.
Très bien, soyons lucides. La lucidité, la vraie, ne consiste pas à regarder le thermomètre, mais à comprendre pourquoi la fièvre monte. Elle impose de se retourner, de juger avec sévérité huit années de macronisme.
Depuis 2017, la dette de la France a bondi de 15 % pour atteindre 3 416 milliards d'euros, soit plus de 1 000 milliards d'euros de dette en plus.
M. François Patriat. Et la crise ? Honteux !
Mme Florence Blatrix Contat. La comparaison européenne est là pour rappeler la réalité. Nos voisins ont subi les mêmes secousses conjoncturelles et ont agi comme nous pour soutenir leur économie. Pourtant, la dette des pays de l'Union européenne a diminué en proportion de leur PIB : de 84 % en 2017, elle est passée à 82 % en 2025. Que s'est-il passé en France ?
Depuis 2017, la part des dépenses publiques dans le PIB est restée stable, alors que les prélèvements obligatoires ont baissé de 2,5 points de PIB. Le creusement du déficit, de 2,4 points, est donc lié aux baisses d'impôts. Sans ces baisses, la France ne serait pas la lanterne rouge de l'Union européenne et aurait déjà atteint son objectif de déficit de 3 %. Elle ne serait pas non plus le troisième pays le plus endetté de l'Union.
Alors, monsieur le ministre, permettez-moi une image. Si vous préparez toujours le même plat, avec les mêmes matières et les mêmes ingrédients, n'espérez pas que le goût change. Ces ingrédients – injustice qui prospère, dette qui enfle, cadeaux fiscaux inefficaces –, les Françaises et les Français n'en veulent plus.
Et puisque le Sénat entamera dans un peu plus d'une semaine le débat sur la partie recettes du projet de loi de finances, les socialistes vous le disent clairement aujourd'hui : nous attendons des ressources nouvelles, pérennes et justes.
Comment expliquer que les 500 plus grandes fortunes françaises, dont le patrimoine a plus que doublé depuis 2017, contribuent proportionnellement toujours aussi peu ? La taxe Zucman n'est pas un totem idéologique, c'est une réponse pragmatique à un problème de soutenabilité de notre dette et de justice sociale.
Pendant que vous défendez les ultrariches, vos alliés d'hier, qui composent la majorité du Sénat, reproduisent à l'Assemblée nationale les mêmes réflexes pavloviens lors du débat budgétaire : ils refusent toute ressource nouvelle et, pis encore, ils amputent les recettes existantes en défiscalisant par exemple les heures supplémentaires, ce qui coûte 1 milliard d'euros à l'État. Pour faire semblant d'équilibrer les comptes, ils agitent toujours les mêmes cache-misère, comme la baisse des crédits de l'aide médicale de l'État (AME) ou la rationalisation des agences de l'État, alors même que les travaux de la commission d'enquête sénatoriale sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État ont montré qu'une telle mesure rapporterait au plus 500 millions d'euros. Bref, on remplace la politique par le slogan, la rigueur par l'incantation, et la vérité des chiffres par la facilité idéologique.
Ajoutons que, aujourd'hui, les freins à l'offre ont laissé place aux freins à la demande. Dans un tel contexte, mener une consolidation budgétaire brutale aurait un effet multiplicateur négatif. L'économie française souffre d'abord d'un manque de consommation, de confiance, non d'un excès de demande. Lorsque la productivité rebondit avec une croissance faible, comme c'est le cas actuellement, c'est non pas une bonne nouvelle, mais une alerte sur les destructions d'emplois à venir.
Monsieur le ministre, nous connaissons le montant de l'effort à réaliser pour stabiliser la dette : il faut trouver environ 120 milliards d'euros. Dans le même temps, nos besoins sont massifs : investissements nécessaires pour atteindre la neutralité carbone, financement de nos services publics – hôpitaux, écoles, transports – ou encore de l'innovation.
Il nous faut donc déterminer collectivement, démocratiquement, une trajectoire budgétaire qui ne casse pas la croissance. Il nous faut aussi choisir, et dire, qui doit porter prioritairement l'effort. C'est une question d'efficacité économique et de justice sociale.
Monsieur le ministre, alors que près de la moitié du dérapage du déficit résulte de vos choix fiscaux, alors que la France prend le risque de casser la croissance et de détruire des emplois sans une trajectoire plus étalée, juste et non récessive, pourquoi persistez-vous à refuser une contribution accrue des plus grandes fortunes, pourtant indispensable pour redresser durablement nos finances publiques et financer nos priorités nationales ? Sur qui allez-vous faire peser les efforts ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Victorin Lurel. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Madame la sénatrice Blatrix Contat, vous dites que les mêmes recettes ont toujours le même goût, mais la recette consistant à toujours augmenter les impôts finit par avoir un mauvais goût de non-croissance … (Exclamations sur les travées du groupe SER.) Je crains que cette recette ne soit pas la bonne si nous voulons que, dans notre pays, les entreprises n'aient pas le sentiment que nous les accablons toujours plus.
Pour ma part, je tire mon chapeau à toutes les entreprises de France, car notre croissance au troisième trimestre a été de 0,5 %. Quant à la production industrielle, elle a crû de 0,8 %. Hier, lors du sommet Choose France , nous avons annoncé plus de 30 milliards d'euros d'investissements des entreprises françaises dans notre pays.
Le Premier ministre a souhaité un débat, dans les deux assemblées, sur la question de la justice fiscale. Je ne doute pas qu'à cette occasion, les membres de votre groupe, madame la sénatrice, formuleront des propositions, auxquelles nous seront, naturellement, ouverts.
Cependant, pour reprendre la métaphore précédente, il ne faut pas casser le moteur de la croissance. Or accroître encore la fiscalité pesant sur ceux qui créent la richesse n'est certainement pas la réponse à nos problèmes budgétaires.
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour la réplique.
Mme Florence Blatrix Contat. Vos baisses d'impôt n'ont pas alimenté la croissance, monsieur le ministre, comme en témoigne le rapport de la Cour des comptes. En effet, ce dernier démontre que la suppression de la taxe d'habitation a eu un effet anti-redistributif, du fait du public qu'elle a concerné, sans que l'on voie son effet sur la croissance.
De même, la diminution de 18 milliards d'euros des impôts de production n'a pas eu d'effet réel sur la croissance, qui est restée plutôt plus faible que la moyenne de l'Union européenne. Ainsi, la baisse des impôts n'a pas été un facteur de croissance, d'autant qu'elle s'est accompagnée d'une réduction de la productivité depuis 2019. Il faut donc retrouver un équilibre et des recettes fiscales plus justes, qui ne cassent pas la croissance.
M. le président. La parole est à M. Pierre Barros.
M. Pierre Barros. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la dette publique française, aujourd'hui, c'est environ 3 400 milliards d'euros, la part de l'État correspondant à 80 % de ce passif, contre 20 % pour celle des collectivités.
Cela paraît vertigineux, mais ce chiffre n'a de sens qu'en étant rapporté à deux éléments : d'une part, la capacité de refinancement ; d'autre part, la solvabilité.
Or la France se refinance sans difficulté. Les spécialistes en valeurs du Trésor, soit quinze grandes banques internationales, assurent une demande soutenue de titres français auprès de l'Agence France Trésor. Cette demande des marchés est deux fois supérieure à l'offre. Autrement dit, JP Morgan et Société Générale se concurrencent pour obtenir notre dette. En outre, la maturité moyenne de ces titres est aujourd'hui de huit ans et cent soixante-treize jours ; nous pourrions, en 2026, en émettre pour 300 milliards d'euros, dont la moitié servirait à rembourser les créances arrivant à échéance. C'est à ce rythme que nous refinançons et faisons rouler notre dette.
On comprend, dès lors, qu'aucun État ne rembourse sa dette au sens où un ménage le ferait ; il la gère, il la recycle, il la renouvelle. Ainsi, comme l'a démontré notre ancien collègue Éric Bocquet, la dette publique est, par construction, une dette perpétuelle.
Quant à la charge des intérêts, elle reste contenue à 1,9 % du PIB pour 2026, contre 2,4 % en moyenne depuis l'abandon du circuit du Trésor en 1984. Nous faisons donc bien mieux que la moyenne des pays de l'OCDE, qui atteint, selon les données les plus récentes, 3,3 % du PIB. Notre taux est inférieur à celui du Royaume-Uni, de l'Italie, ou encore des États-Unis.
Enfin, la France, avec un patrimoine public de 4 447 milliards d'euros, est solvable au-delà de tout soupçon : si chaque Français hérite d'environ 55 600 euros de dette, il hérite aussi de 64 800 euros de patrimoine collectif.
En outre, il faut rappeler qu'une part considérable de la dette de l'État – près de la moitié – est détenue par des acteurs français. Autrement dit, cette dette constitue tout autant un passif public qu'un élément du patrimoine national. Plus encore, le premier détenteur de titres de dette publique n'est autre que la Banque de France elle-même, qui, depuis les politiques de rachat d'obligations engagées par la BCE, en détient environ un quart.
Est-ce à dire, mes chers collègues, que notre déficit et notre endettement ne soulèvent aucune question, ne posent aucun problème ? Bien sûr que non.
Il s'agit, non pas de nier la dette, mais d'en comprendre la nature. La dette publique n'est pas en elle-même un problème ; le problème, comme l'ont rappelé plusieurs collègues avant moi, c'est sa financiarisation, la structure de ses détenteurs et l'usage qui en est fait.
Depuis 2017, l'État a émis 1 915 milliards d'euros de titres pour financer les déficits et amortir la dette. Dans le même temps, les seuls intérêts versés aux marchés ont représenté près de 378 milliards d'euros, autant d'argent public redistribué sous forme de rente. Il est temps de rétablir un circuit du Trésor modernisé, en imposant a minima des planchers de détention obligatoire de titres publics aux établissements de crédit.
Surtout, rappelons que, entre 2017 et aujourd'hui, la dette a servi non pas à financer les services publics, mais à compenser les cadeaux fiscaux. En effet, sur la même période, plus de 450 milliards d'euros de recettes ont disparu, dont les deux tiers au bénéfice des grandes entreprises et des ménages les plus aisés. En outre, chaque année, des aides et des exonérations à hauteur de 211 milliards d'euros sont accordées aux entreprises, sans condition ni évaluation. Faites le calcul, mes chers collègues : c'est exactement ce qui alimente le déficit.
La vérité, monsieur le ministre, n'est pas que la dette française est trop élevée ; c'est qu'elle est trop rentable pour ceux qui la détiennent, lesquels sont précisément ceux que vos politiques favorisent.
Monsieur le ministre, la dette n'est pas un fardeau, c'est un choix politique. Le vôtre est de la mettre au service des marchés. Quand la mettrez-vous enfin au service de la collectivité ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Florence Blatrix Contat applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Certes, monsieur le sénateur, la dette n'est pas un fardeau, mais il faut agir pour qu'elle ne le devienne pas. Tel est l'enjeu.
Si la charge de la dette équivaut, aujourd'hui, à 2,2 % de notre PIB, nous voudrions qu'elle reste dans une épure raisonnable. En effet, même avec les mesures de freinage que nous proposons, d'ici à quelques années, ce taux pourrait atteindre 3 %.
Vous avez indiqué, mesdames, messieurs les sénateurs, que le remboursement de la dette ne devait être pas notre mission première. Bien sûr, l'objet de la dette est, avant tout, de financer des investissements.
La dette ne financerait pas les services publics, dites-vous, monsieur Barros ? Malheureusement, aujourd'hui, notre dette, qui devrait servir essentiellement à financer l'investissement, est largement utilisée pour régler des dépenses de financement, c'est-à-dire de service public.
Ne laissons donc pas accroire que l'endettement de la France ne ferait qu'alimenter les marchés financiers. Heureusement, sur ces derniers, nous trouvons des gens qui nous prêtent de l'argent, et le font encore dans des conditions raisonnables. Cependant, si nous n'agissons pas, ce ne sera plus le cas.
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc.
M. Grégory Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à quelques jours de l'examen du projet de loi de finances pour 2026 par notre assemblée, le présent débat, demandé par la majorité sénatoriale, s'apparente à un premier tour de piste.
J'aimerais formuler quelques remarques de fond.
Premièrement, j'insiste à mon tour sur le fait que la dette n'est pas seulement un stock ; il s'agit, tout d'abord, d'un ratio de solvabilité. Ainsi, le niveau de toute dette n'est véritablement critique que si l'on ne peut la rembourser. La question est donc avant tout celle du revenu. Par exemple, un banquier, lorsqu'il prête, ne s'intéresse pas qu'au montant avancé. Il considère aussi les revenus et la crédibilité financière de l'emprunteur. Or, de ce point de vue, la gestion des années 2023 et 2024 s'est avérée déficiente, ce qui a largement été documenté et débattu ici même.
Ainsi, en matière de crédibilité, l'irresponsabilité récente de nos gouvernants a fragilisé notre assise financière. Il convient, très calmement, de le reconnaître et de rappeler que, à l'été 2025, des évènements dignes du théâtre de boulevard – séquences Bayrou, Lecornu I, marquée par un désaccord avec le ministre de l'intérieur, puis Lecornu II – nous ont coûté 0,3 point de croissance. Cela représente un manque à gagner de 10 milliards d'euros pour nos finances publiques. Nous pensons pour notre part que, lorsque l'on est aux manettes, on doit avoir le sens de l'État. Sinon, cela coûte cher !
Ces dysfonctionnements, nous les avons aussi constatés au travers des problèmes liés aux prévisions. Par exemple, ce que nous apprenons sur la TVA nous inquiète. Pourquoi un suivi rigoureux et clair de ce prélèvement fait-il défaut, alors que la presse nous apprend qu'il manquerait, ici ou là, des milliards d'euros, personne ne pouvant dire pourquoi ?
Voilà pourquoi, comme nombre de mes collègues, je plaide pour une révision de notre processus budgétaire, de manière à en accroître la transparence en améliorant le rôle du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), mais aussi en modifiant la date de dépôt du projet de loi de finances. Nous pourrions également envisager un nouveau véhicule financier, le projet de loi de finances d'équilibre, qui permettrait de corriger la trajectoire financière en cours d'année sans forcément rouvrir l'ensemble des questions budgétaires, comme c'est actuellement le cas avec un projet de loi de finances rectificative.
Par ailleurs, nous devons admettre que nos recettes publiques croissent moins vite que l'inflation, d'où une baisse réelle de nos revenus.
Je veux souligner un point trop souvent négligé : le budget de l'État, c'est aussi une question de politique économique. La croissance est fondamentale dans l'analyse du budget. Or, de ce point de vue, le cycle économique s'est retourné.
L'on pouvait ainsi comprendre – ce sera l'enjeu du débat budgétaire – que l'on baisse la fiscalité il y a quelques années, parce qu'il y avait alors un réel problème d'offre et de production en France, même si ce dernier aurait pu être corrigé autrement. Cependant, aujourd'hui, nous sommes dans une autre séquence, puisque la priorité pour notre économie est désormais de résoudre les difficultés liées à la demande.
Voilà pourquoi nous avons un besoin d'investissements massifs dans le logement, le bâtiment, nos infrastructures, l'innovation. Mais pour cela, par souci d'efficacité et d'efficience, il faut pouvoir chercher l'argent dans un secteur pour le réinjecter dans un autre. Il s'agit, non pas de faire appel à la capacité contributive de toutes les entreprises, mais bien de faire en sorte que, lorsqu'il existe des marges de manœuvre chez certains, l'on demande une contribution plus forte de la part de ceux qui peuvent l'acquitter afin, par exemple, de soutenir le logement et les travaux publics, aujourd'hui en difficulté en France.
Pour conclure, je souhaite souligner la schizophrénie de l'État, notamment à l'égard des collectivités territoriales. En effet, l'État demande à ces dernières d'emprunter davantage, notamment face à la dette écologique, tout en coupant leurs finances. Ainsi, nos ratios d'endettement s'alourdissent au regard des critères de Maastricht. Cela pose problème. Cet État schizophrène doit se doter d'une doctrine sur ce point. (M. Philippe Grosvalet applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Vous avez parlé de crédibilité financière, monsieur le sénateur : pour ce qui est de celle de la signature de la France, je rappelle que notre pays a reçu une offre trois fois supérieure aux besoins exprimés.
Tout comme vous, je constate que l'instabilité politique nous a fait perdre 0,3 point de croissance, même si je ne vous rejoins pas forcément sur le diagnostic. Il est évident que, pour lutter contre cette absence de visibilité, l'adoption d'un budget est nécessaire. En effet, je vous rappelle que, à la même période l'année dernière, le gouvernement Barnier chutait, ce qui nous a coûté très cher : 0,3 point de croissance, comme vous l'avez dit, soit entre 9 milliards et 10 milliards d'euros, ce qui est loin d'être négligeable dans la période actuelle.
Sur la TVA, il y a bien un paradoxe : son assiette évolue positivement, mais son produit n'est pas au niveau que nous attendions. Amélie de Montchalin a donc lancé, auprès des services de Bercy, une mission, afin de démêler les faits. Plusieurs points, comme les petits colis et les déclarations, sont à analyser de très près.
Enfin, j'ai du mal à comprendre comment l'on peut, à la fois, déplorer une croissance trop faible et vouloir taxer les entreprises, puisque celles-ci iraient si bien : c'est paradoxal. Il ne me semble pas, pour ma part, que nos entreprises aient les pieds à ce point libres d'entraves qu'elles puissent courir des sprints aussi rapidement que leurs concurrents. Il n'est donc pas nécessaire d'ajouter à leur fardeau.
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc, pour la réplique.
M. Grégory Blanc. Je partage pleinement, monsieur le ministre, votre constat quant à l'importance de la stabilité politique du pays. Quand on ouvre le débat sur les finances publiques et sur la dette, nous voyons bien, les uns et les autres, que la priorité est d'atteindre la stabilité politique, donc de créer les conditions du compromis. C'est tout l'enjeu, si l'on est raisonnable, si l'on est responsable, que de démontrer ce sens du compromis.
Par ailleurs, des entreprises procèdent en ce moment à des rachats massifs d'actions. Elles peuvent le faire parce qu'elles ont de l'argent dans les caisses et parce qu'ont été mises en œuvre des politiques de facilités de crédit, notamment par la banque centrale. Cet argent dans les caisses des entreprises, nous devons être capables de l'utiliser et de le réorienter.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 3 500 milliards d'euros, 1 200 milliards de plus en huit ans ! Emmanuel Macron aura donc été à Mozart ce que Sébastien Delogu est à Molière : au mieux, une imposture ; au pire, une agression. (MM. Stéphane Le Rudulier et Jean-Raymond Hugonet rient.)
Voilà le mur de la dette que nous devons désormais franchir. Voilà l'horizon que nous offrons à nos enfants : des hauteurs vertigineuses, où l'oxygène commence à manquer.
Mais nous sommes en réalité entre quatre murs, les quatre murs d'une détention. En effet, 55 % de la dette publique française est détenue hors de France, sept points de plus en trois ans, l'un des taux les plus élevés de l'OCDE. À ce rythme, nous atteindrons les 60 % d'ici à la fin du second quinquennat Macron. Nous sommes détenus par ceux qui détiennent notre dette. Nous sommes, mes chers collègues, en souveraineté conditionnelle.
Avec une charge de la dette toujours plus importante et des taux d'intérêt supérieurs à ceux de l'Italie, nous dépendons des marchés internationaux et des agences de notation. Or le budget, c'est la souveraineté.
Depuis onze ans que je vous propose d'abattre ce mur de la dette à la tronçonneuse, j'observe que nos hémicycles parlementaires sont devenus des chambres de gestion de la dette, où l'on discute pour savoir à quel rythme il faudrait l'augmenter.
Cette année, le Gouvernement propose un déficit de la sécurité sociale à 17 milliards d'euros, que l'Assemblée nationale a augmenté à 24 milliards ; le Sénat, chambre de la raison, tente de trouver un compromis à 20 milliards supplémentaires.
Si l'on ne rompt pas avec l'accouplement idéologique entre l'assistanat remplaciste de la gauche et le globalisme de la droite, qui soutient Mme von der Leyen, nous finirons la décennie avec une charge de la dette de 100 milliards d'euros par an !
Si nous avions augmenté notre dette au même rythme que nos voisins européens, frappés eux aussi par la guerre en Ukraine, le covid et la crise énergétique, elle serait plus basse de 500 milliards d'euros. Il y a donc bien un problème de gestion de votre part, monsieur le ministre.
Pour sortir de ce cercle vicieux de la mise sous tutelle étrangère, il faut prendre le chemin des économies structurelles, en bousculant les tabous sur lesquels vous êtes assis : rejeter la tentation totalitaire de l'État en réduisant son train de vie, l'administration administrante, les normes, l'élargissement constant de ses compétences à de nouvelles préoccupations sociétales ; supprimer les agences pour en revenir à l'État et aux collectivités de proximité ; cesser l'assistanat migratoire pour revenir à la justice sociale ; revoir notre modèle social pour soutenir la croissance des familles françaises ; et supprimer l'audiovisuel public pour en revenir à la diversité des expressions et à une gestion régalienne des deniers publics.
Au lieu de cela, monsieur le ministre, en 2025, vous rehaussez encore la dette de 150 milliards d'euros, un nouveau sommet qui laisse place au murmure de la tutelle étrangère.
En plus de sa soutenabilité, nous sommes inquiets de la structuration de la dette. Monsieur le ministre, sommes-nous entre les mains de l'Allemagne, du Qatar, de la Chine, de la Russie ou des États-Unis ? Le Parlement doit savoir qui possède notre dette et quelles sont les mesures que vous comptez prendre pour réduire notre dépendance.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Avec emphase, vous avez convoqué Molière, Mozart, même si je ne sais pas à qui vous vous référez exactement…
Je rappelle néanmoins que les trois quarts de notre dette sont détenus par des investisseurs européens auxquels nous sommes, toutes et tous, liés par la force et l'unité de notre monnaie commune. Faire croire que nous sommes fragilisés parce que notre dette ne serait pas détenue dans un coffre-fort purement national est donc, selon moi, une erreur. Au contraire, cela relève d'une stratégie consistant à ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier. D'ailleurs, quelle que soit la personne qui emprunte, elle a intérêt à agir de la sorte. Nous continuerons donc à faire ainsi.
Vous avez affirmé, monsieur le sénateur, que nos taux d'intérêt étaient supérieurs à ceux de l'Italie. Ce n'est pas le cas : ils sont au même niveau.
Quant à la structure de la dette, les trois quarts de celle-ci sont achetés par des investisseurs français ou européens. Dans le détail, les premiers en représentent un quart, la Banque centrale européenne un deuxième quart, et les autres investisseurs européens un troisième. Nous sommes donc bien loin des fantasmes que vous évoquez. Il est nécessaire, dans cette Haute Assemblée caractérisée par sa sagesse et ses débats apaisés, de faire redescendre la température...
M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Raphaël Daubet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est difficile d'y voir clair s'agissant de cette épineuse question de la dette, à la fois dans ce qu'elle révèle de la situation, extrêmement préoccupante, de notre pays, mais aussi dans l'interprétation que l'on en fait et les remèdes que l'on imagine pour y répondre. J'appelle donc, au nom du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, à regarder la réalité en face, avec lucidité et responsabilité, mais aussi à prendre du recul.
Il nous semble que deux approches méritent d'être mises en exergue.
Premièrement, la dette est un piège, qui tient à la réalité du cadre financier, international et européen que nous avons contribué à bâtir. Le système monétaire et financier, qui a jusqu'à présent garanti la stabilité et contenu l'inflation, doit nous pousser à nous interroger, dans un monde en crise où la compétition entre les États, y compris européens, s'exacerbe. Notre construction inachevée montre aujourd'hui certaines limites. Clairement, la monnaie unique européenne exigerait une nouvelle approche de la complémentarité et de la solidarité entre nos économies.
L'enjeu de la souveraineté est souvent mis en avant, parce que la dette est détenue majoritairement par des investisseurs étrangers, et que la charge de la dette, laquelle sera bientôt le premier poste budgétaire de l'État, limitera sévèrement nos capacités d'action. Certes, mais en vérité, la question de notre souveraineté se pose déjà depuis longtemps, puisque nous n'avons d'autre choix que de recourir de manière institutionnalisée aux marchés de capitaux, qui imposent leurs taux. Nous sommes ainsi réduits, chaque année, à être les otages tremblotants des agences de notation, qui font la pluie et le beau temps.
On peut juger que le système s'applique à tous, qu'il apporte une régulation juste et objective à laquelle chacun doit consentir. Mais on peut aussi considérer qu'il nous enferme petit à petit dans une logique d'appauvrissement de l'État au profit des marchés.
Selon nous, l'Europe ne doit pas rester au milieu du gué. Elle doit compléter sa politique économique et monétaire par de nouveaux mécanismes pour protéger ses États membres d'un piège qui mettrait en péril, à terme, sa propre existence. Mario Draghi et Enrico Letta défendent une mutualisation accrue des outils d'investissement stratégique et de financement avec l'idée, en creux, d'un trésor européen capable d'émettre de la dette commune. Il nous semble que ces propositions devraient faire l'objet d'un débat.
Deuxièmement, la dette est un symptôme : celui d'une économie malade. Si nous sommes tombés dans son piège et que nous sommes incapables d'enrayer sa progression, c'est qu'elle comble, chaque année, ce que l'économie ne produit plus. Il faut donc considérer la dette à la lumière de notre déficit commercial avant d'incriminer la dépense publique et le modèle social, ou encore de recourir aux recettes fiscales.
Cela n'empêche ni de réduire le train de vie de l'État ni d'ajuster la fiscalité aux besoins de nos politiques publiques ou à l'exigence de justice sociale qui est la nôtre. Mais ne pas voir que la dette, depuis des années, sert à compenser l'effondrement productif français, lié notamment à la désindustrialisation et à la crise agricole, alors qu'elle devrait financer l'investissement public, serait une erreur de diagnostic funeste.
Je le dis clairement : on aura beau réduire les dépenses publiques ou augmenter les impôts, si le déficit commercial persiste, alors le recours à la dette continuera irrémédiablement de s'imposer.
En somme, monsieur le ministre, le seul remède à l'endettement qui nous mine est entre vos mains : il s'agit de la relance d'une véritable politique industrielle. Une politique qui nous permettra de renouer non pas avec la croissance, qui ne signifie pas grand-chose d'intéressant, mais avec le développement de la France, idée beaucoup plus généreuse et humaine, qui contient une dimension de progrès et de prospérité de nature à nous permettre de relever le double défi numérique et écologique.
Une telle ambition exige une politique d'investissement transversale, alliant les domaines de l'énergie, de la formation, de la recherche, publique et privée, du commerce extérieur, mais aussi une politique migratoire. Tout cela doit se faire en repensant notre autonomie stratégique, laquelle doit s'appuyer sur nos outre-mer, ainsi que sur notre politique de coopération et de partenariats internationaux.
Tel est le lien que la dette nous impose de faire entre toutes nos politiques, afin de garantir la cohérence de l'action publique au service d'une ambition simple : la réussite de la France dans un monde de ruptures. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
(M. Alain Marc remplace M. Didier Mandelli au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Alain Marc
vice-président
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Bien évidemment, le ministre de l'industrie que je suis ne peut qu'approuver l'essentiel du propos que vous avez tenu, monsieur le sénateur.
Vous avez mentionné le rapport Draghi, qui doit désormais être la feuille de route de la Commission européenne. En effet, il est évident qu'il faut relancer la compétitivité à l'échelon européen. Vous avez parlé de solidarité européenne : j'y crois beaucoup.
Plus que jamais, la réindustrialisation est la clé, comme vous l'avez dit. Je veux donc immédiatement tordre le cou à l'idée funeste selon laquelle la réindustrialisation, c'est terminé. Certes, le moment est difficile, mais devons-nous déjà passer par pertes et profits les 130 000 emplois industriels de plus créés et les 500 usines supplémentaires ouvertes au cours des dernières années ? Enfin, là où certains tentaient auparavant d'inverser une courbe, la rupture de celle de la chute du nombre d'usines dans notre pays. Nous en recréons, même si la situation est plus difficile cette année.
Comme vous l'avez dit, il faut sans doute une politique européenne bien plus réactive, et qui sorte de la naïveté quant aux agissements de nos concurrents, notamment chinois. Nous devons investir dans la formation, particulièrement dans les territoires où se trouvent les industries, offrir un cadre fiscal stable, financer l'innovation, comme le préconise le rapport Draghi. Enfin, nous devons agir – je le dis devant la chambre des territoires – encore plus en proximité avec les élus locaux. Le ministère a besoin d'eux : nous ne pouvons pas réindustrialiser, depuis Bercy, un pays dans lequel l'industrie est présente partout sur les territoires.
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Alain Chatillon applaudit également.)
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voici un débat essentiel s'il en est : celui qui porte sur la dette !
Quel est le niveau de notre dette aujourd'hui ? Lorsque l'on parle de 3 416 milliards d'euros, personne ne comprend. En revanche, rappeler que ce montant correspond à onze années d'impôts et de taxes, voilà qui est plus parlant…
D'où cette dette vient-elle ? Ne serait-elle issue que de baisses d'impôt non compensées par une diminution des dépenses, comme je l'ai entendu ? Non !
Hélas, la malheureuse dissolution de l'Assemblée nationale de juin 2024 a mis fin aux travaux d'une commission d'enquête fort intéressante sur l'origine de la création de la dette.
Or les auditions menées dans le cadre de la commission d'enquête ont montré que cette dette était certes issue, pour 34 %, de baisses d'impôt non financées, mais qu'elle résultait aussi, en partie, d'augmentations de dépenses. Ainsi, 25 % de la dette aurait pour origine le « quoi qu'il en coûte » et 40 % le déficit de notre système de retraites.
On ne parle jamais du déficit caché des retraites. Or il représente une part importante de notre dette.
Faut-il dès lors continuer, comme on l'entend sur les travées de la gauche, à augmenter la dépense et à rechercher en permanence des impôts nouveaux ? (Protestations sur les travées du groupe SER.) Pardonnez-moi, mais j'entends ce discours : il faudrait continuer à faire ce que l'on fait depuis cinquante ans, c'est-à-dire augmenter la dépense et augmenter les impôts. Nous voyons bien où cela nous mène !
La seule option qui n'ait jamais été tentée jusqu'à présent est celle de la baisse de la dépense. Pourtant, nombre de pays étrangers ont réussi à redresser ainsi leurs finances.
Monsieur le ministre, je ne l'ai pas apporté aujourd'hui malheureusement, mais j'ai un livre à vous offrir. Il s'intitule : Des économies en veux-tu en voilà. (Sourires.) J'y expose le diagnostic de la situation actuelle et la nécessité de faire des économies un peu partout.
J'ai d'ailleurs été déçu de votre réponse à notre collègue Capus, dans laquelle vous appeliez le Parlement à vous faire des propositions. Nous en avons fait un certain nombre ! J'aurais aimé en entendre de votre part. (M. Olivier Paccaud brandit le livre de M. Vincent Delahaye.)
Non seulement le niveau de la dette est déjà très élevé, mais il se produit aujourd'hui un emballement : nous allons emprunter cette année 310 milliards d'euros.
Notre collègue Sautarel distinguait tout à l'heure la bonne dette de la mauvaise dette. Dans ces 310 milliards d'euros, quelle est, selon vous, la part de bonne dette ?
Voilà quelques années, nous nous inquiétions ici même de l'endettement permanent. Les taux étaient alors proches de zéro, voire négatifs, et d'aucuns poussaient à l'endettement. Nous étions alors quelques-uns à alerter sur le fait qu'un retournement aux graves conséquences pouvait se produire. Nous y sommes : les taux d'intérêt sont à 3,5 % alors que notre croissance est à peine de 1 %, ou de 2,5 % en tenant compte de l'inflation.
Monsieur le ministre, à partir de quel niveau de taux d'intérêt pensez-vous qu'un tel emballement nous entraînera dans une spirale infernale non maîtrisable ?
Par ailleurs, plusieurs agences de notation ont dégradé la note de la France. À partir de quelle note pensez-vous que notre pays éprouvera des difficultés à se financer sur les marchés ?
Sans aller jusqu'à parler de faillite, à quel moment devrons-nous nous mettre sous la coupe de la Banque centrale européenne et nous voir imposer des efforts considérables, que nous aimerions ne pas avoir à supporter ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Nous le savons, M. Delahaye est un fin connaisseur de ces questions. Je tâcherai donc d'être modeste dans ma réponse.
Vous l'avez souligné, monsieur le sénateur, une part importante de l'accroissement de notre dette est liée à notre système de protection sociale, qui a besoin d'être réformé. J'ai bien compris que vous faisiez ici référence à la proposition qui a été faite à l'Assemblée nationale de suspendre pendant un an la réforme des retraites. Le débat sur ce sujet se tiendra également dans cet hémicycle et je sais que la majorité sénatoriale a une position toute différente.
Le bon niveau est celui qui permet de voter un budget sans accroître le volume de notre dette. C'est celui qui permet de ramener le déficit sous les 3 % du PIB d'ici à 2029.
Sur les taux d'intérêt, il est compliqué de vous répondre. Souvenez-vous, avant la crise de 2008, on empruntait parfois à 5 % ou 6 %. Nous avons même connu, après la crise, des taux négatifs.
Ce qui compte en réalité, c'est notre capacité à rembourser. Je me méfie des prophéties autoréalisatrices, mais pour l'instant, les agences de notation maintiennent pour la France une note de 16 sur 20. Ce n'est pas si mal, même si nous préférerions tous avoir un 18.
La France n'est pas au bord du gouffre. La trajectoire de nos finances publiques est maîtrisée. Vous avez toutes et tous appelé à la responsabilité. Être responsable, c'est essayer de tenir cette trajectoire qui nous ramènera sous les 3 % de déficit en 2029.
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour la réplique.
M. Vincent Delahaye. Je reconnais que ma question n'était pas simple.
Nous assistons néanmoins à un emballement des intérêts de la dette. Beaucoup d'orateurs ont souligné que ces derniers représenteraient bientôt le premier budget de la France. Ce n'est tout de même pas terrible de donner autant d'argent aux marchés et à ceux qui nous prêtent !
Je le répète, la seule politique qui n'ait jamais été tentée en France est la baisse de la dépense. Pour mener une telle politique, il faut du courage, beaucoup de courage. Aussi, j'espère que les Français feront confiance à des candidats courageux. (M. Victorin Lurel s'exclame.)
La démagogie, c'est facile. Distribuer de l'argent, c'est facile. Faire porter l'effort sur 0,1 % de la population, c'est très facile.
En revanche, réduire la dépense, la maîtriser et faire preuve de rigueur dans la gestion de l'argent public, c'est beaucoup plus difficile. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Baptiste Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parler de dette publique en trois minutes est assez frustrant. Je m'en tiendrai donc à quelques réflexions.
Le débat sur la dette publique reste trop souvent enfermé dans une lecture strictement nationale, alors que notre trajectoire financière dépend désormais directement de celle de l'Union européenne.
Or l'Union européenne entre dans une phase décisive : le remboursement entre 2028 et 2035 de la dette commune émise pour le plan de relance Next Generation EU – 800 milliards d'euros – est un choc de financement inédit, potentiellement absorbant.
Sans ajustement, le risque est clair : le budget européen deviendrait quasi exclusivement un instrument de remboursement, au détriment de nos priorités stratégiques – défense, innovation, climat, numérique, compétitivité. La dette européenne, conçue comme un levier de puissance, pourrait alors se transformer en facteur de paralysie.
Pour éviter cet étau budgétaire, une solution s'impose : faire rouler une partie de cette dette, comme le préconisent de nombreux économistes, dont Mario Draghi.
Il s'agit non pas de renoncer au remboursement, mais d'adopter les pratiques de gestion active qui sont celles des émetteurs souverains matures, en lissant précisément les maturités pour éviter un mur de refinancement et en maintenant un stock de dette stable et liquide. Cette stratégie renforcerait la crédibilité financière de l'Union, ferait émerger un véritable actif sûr européen et donnerait, enfin, de la profondeur à l'union des marchés de capitaux. Surtout, elle permettrait de financer les investissements indispensables à notre souveraineté collective que je viens d'évoquer.
Toutefois, cette capacité d'action commune suppose une exigence de discipline nationale. C'est pourquoi je souhaite soumettre au débat une proposition émanant de la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol), dont je salue les travaux. Il s'agirait d'inscrire dans la Constitution et dans la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf) une règle budgétaire de moyen terme, claire, contraignante et protectrice pour les générations futures.
Le principe est simple. Il consiste en une obligation constitutionnelle d'équilibre hors cycle pour le projet de loi de finances, avec une réduction progressive des déficits. La même règle serait applicable à la sécurité sociale.
Pour les collectivités locales, un mécanisme de surveillance et de traitement de la dette excessive serait mis en place.
Un comité budgétaire indépendant, chargé d'évaluer les hypothèses économiques, serait créé.
En cas de dérapage, la règle prévoirait une obligation d'amortissement dans les lois de finances suivantes. Enfin, des dérogations seraient strictement encadrées.
Ma dernière réflexion, monsieur le ministre, sera plus personnelle. Vous connaissez peut-être mon obsession pour le « zéro artificialisation nette » (ZAN). (Sourires.)
M. Sébastien Martin, ministre délégué. Et pour la dette ! (Rires.)
M. Jean-Baptiste Blanc. En effet ! Cela fait des mois que j'interroge vos prédécesseurs sur les pertes de recettes qui sont imputables à cette mesure de décroissance.
À combien de projets industriels et de projets de logements devons-nous renoncer du fait du ZAN ? Aucun de vos prédécesseurs n'a été en mesure de le dire. Or il me semble que cela a un lien avec le déficit et la dette : nous pourrions avoir plus de recettes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué, pour répondre à cette très bonne question.
M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur Blanc, que je connais bien, a toujours une petite surprise dans sa manche ! (Sourires.)
Sur la question du ZAN, vous savez que le Gouvernement a proposé de sortir les projets industriels du dispositif. Malheureusement, cela s'inscrivait dans le cadre d'un projet de loi de simplification de la vie économique – nous en parlions précédemment – dont le parcours parlementaire est quelque peu chaotique.
Nous réfléchissons donc à la manière de reprendre cette question, mais il est évident que nous devons faire sauter ce verrou afin de ne pas compromettre le développement économique.
Monsieur le sénateur, vous avez développé l'idée d'Europe puissance. J'y souscris. Nous avons construit l'Union européenne comme un grand marché, en lui fixant des règles nécessaires au fonctionnement d'un grand marché. C'est une force que d'en être un, mais l'Europe ne sera pas attractive si, en même temps, elle n'est pas une grande puissance économique et une grande usine.
M. Laurent Duplomb. Il y a de quoi faire !
M. Sébastien Martin, ministre délégué. C'est tout mon combat et vous le partagez, j'en suis convaincu.
Le rapport Draghi que vous avez cité, monsieur le sénateur Blanc, doit être une véritable feuille de route pour la Commission européenne.
Un mouvement semble aujourd'hui engagé : on considère de plus en plus qu'il est nécessaire, finalement, de s'inspirer de ce que font les autres. Nous ne pouvons pas être les seuls à fermer les yeux sur le fait que les États-Unis et la Chine subventionnent massivement leur économie et s'appliquent à eux-mêmes des règles de protection qu'ils comprendraient tout à fait que nous nous appliquions.
Nous sortons donc progressivement de la naïveté, même s'il reste à convaincre certains partenaires européens, qui considèrent les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) comme une sorte de bible. On peut être croyant, mais dans la pratique, il faut parfois savoir s'adapter. Il y va de notre puissance.
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Frédérique Espagnac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet de la dette, qui revient quotidiennement à l'ordre du jour de nos débats, est essentiel pour notre pays.
Permettez-moi tout d'abord de rappeler le contexte. Pour stabiliser la dette, le Gouvernement annonce un effort de 30 milliards d'euros, dont une part considérable repose, une nouvelle fois, sur les collectivités locales. Or, je le rappelle, les finances de ces dernières sont obligatoirement à l'équilibre. Les collectivités respectent la règle d'or : elles ne peuvent pas voter de budget en déficit.
Il faut aussi dire la vérité : depuis près de trente ans, la dette des collectivités est stable, voire en légère diminution. Elle était de 9 % du PIB en 1995, et de 8,9 % en 2023. De plus, elle ne finance que de l'investissement.
La contribution qui est aujourd'hui demandée aux collectivités – entre 4,6 milliards et 8 milliards d'euros – n'est pas un simple ajustement technique. Elle se traduira par un gel prolongé des dotations, des restrictions fiscales, des compensations rabotées. Autant de décisions qui, cumulées, risquent d'affaiblir les finances locales, de freiner l'investissement public et de restreindre toujours davantage l'autonomie financière des collectivités, pourtant garantie par notre Constitution.
Soyons lucides : la dette devient problématique lorsqu'elle ne finance plus l'avenir, mais compromet les capacités d'action de nos territoires. Or les collectivités réalisent 58 % de l'investissement public civil dans notre pays. Réduire leurs marges, c'est ralentir les transitions écologique et numérique, c'est freiner l'économie de proximité, c'est asphyxier la vitalité sociale de nos territoires.
Pourtant, on leur demande aujourd'hui de contribuer largement au-delà de leur poids réel dans la dette publique. Les collectivités ne représentent que 8 % de cette dette, mais on leur demande de fournir plus de 15 % de l'effort budgétaire !
Depuis 2017, l'endettement des collectivités n'a augmenté que de 10 milliards d'euros quand celui de l'État a bondi de 880 milliards d'euros.
Dans le projet de loi de finances pour 2026, les mesures s'accumulent et rendent l'équation tout simplement intenable : baisse de compensation fiscale – plus de 1,3 milliard d'euros en moins –, écrêtement de la TVA – 700 millions d'euros perdus –, hausse des cotisations employeur de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) – 1,3 milliard d'euros –, doublement du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico) – 2 milliards prélevés – et j'en passe.
Tout cela s'ajoute aux 2,2 milliards d'euros de contributions au titre de l'année 2025.
Mes chers collègues, ce n'est plus un effort, c'est un transfert de charges. C'est un désengagement, masqué si l'on peut dire.
Quand l'État transfère des charges sans les compenser, quand il déduit les recettes sans adapter les dotations, il déplace sa dette vers les maires, les présidents de département et de région. Il crée une dette cachée, mais bien réelle, dans les comptes locaux. Au bout du compte, qui en paie le prix ? Nos écoles, nos infrastructures, nos projets d'aménagement et nos associations.
Le débat sur la dette ne peut pas se réduire à un concours de vertu budgétaire. Il doit être un débat de sens, de priorités et de vision pour nos territoires.
Pour notre part, au sein du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous assumons une dette qui prépare l'avenir, qui finance la transition écologique, la santé, l'éducation et les infrastructures essentielles. Nous assumons une dette qui protège et qui permette d'investir. Nous refusons celle qui asphyxie et porte le signe du renoncement.
En 2025, les efforts budgétaires imposés par le Gouvernement ont entraîné une baisse de 12 milliards d'euros de l'investissement local, soit une chute de 16 % par rapport à 2023 !
En 2026, l'impact du nouveau tour de vis sera clairement récessif pour nos territoires : comment soutenir l'économie locale si nos collectivités ne peuvent plus investir ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Madame la sénatrice, il est bien légitime qu'au Sénat l'on défende les collectivités. J'ai bien entendu vos propositions, ainsi que celles qui sont défendues ici d'une manière générale.
Lors du Congrès des régions de France, le Premier ministre s'est montré très ouvert il y a quelques jours – j'étais à ses côtés – sur les efforts qui seront demandés aux collectivités. Un débat extrêmement riche se tiendra donc dans cet hémicycle.
Étant moi-même toujours président – je me suis toutefois mis en retrait depuis ma nomination au Gouvernement – d'une association nationale d'élus locaux, je ne méconnais pas le rôle des collectivités dans l'investissement. Je ne méconnais pas leur rôle dans la réindustrialisation, dans la cohésion nationale et dans la cohésion des territoires.
Je ne doute pas de la richesse des débats à venir, au cours desquels le Gouvernement fera preuve d'ouverture. À la fin des fins, je l'espère, l'esprit de responsabilité partagée l'emportera.
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, pour la réplique.
Mme Frédérique Espagnac. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse responsable. Comme vous l'avez souligné, le Premier ministre a donné quelques signes devant les départements et les régions de France.
C'est essentiel pour notre maillage industriel, mais aussi pour les entreprises – petites et moyennes entreprises (PME), très petites entreprises (TPE) – qui, aujourd'hui, dans nos territoires, ne vivent que grâce aux investissements des collectivités locales. Je vous alerte sur les grandes difficultés de certaines d'entre elles : des licenciements sont à venir et leur activité est essentielle dans nos territoires pour préserver l'emploi.
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, inexorablement, la France aborde l'exercice budgétaire 2026 avec un déficit public indécent et une dette accablante supérieure à 115 % du PIB, le tout dans un environnement financier tendu et dans un contexte politique chaotique.
Voilà quelques semaines, les agences de notation Fitch et Standard & Poor's ont altéré la note française, en pointant notamment la dégradation de notre trajectoire d'endettement.
Tant que les taux restent bas, tout va bien ; mais si par malheur ils venaient à augmenter, la charge de la dette augmenterait mécaniquement. Elle atteindrait alors un niveau difficilement soutenable. C'est une véritable bombe à retardement !
Cette situation peu enviable n'a malheureusement rien d'étonnant si l'on considère le clientélisme dans lequel notre pays se complaît depuis tant d'années. Il a d'ailleurs atteint son paroxysme avec la célèbre et populaire devise présidentielle du « quoi qu'il en coûte ». Qu'il survienne un virus, un choc énergétique ou un nuage de sauterelles, l'État est là et nous protège toujours et encore.
Reconnaissons-le honnêtement, même si en France, tout le monde se plaint, on y a pris goût, à cette protection XXL ! Seulement voilà, depuis bien longtemps, elle est devenue totalement incontrôlée, extrêmement coûteuse et n'est plus entièrement financée.
Une telle situation critique devrait appeler, à l'évidence, une réaction budgétaire vigoureuse pour éviter une catastrophe. Eh bien non. En dépit d'un taux de prélèvements obligatoires record, notre addiction reprend le dessus : on nous ressort la machine à taxer et le recours à l'endettement. C'est un véritable suicide collectif !
À partir de là, la suite semble assez claire : l'effort structurel indispensable qu'appellent de leurs vœux de nombreux sénateurs est démocratiquement quasiment impossible à obtenir.
Alors, la politique de l'autruche est de retour et voilà que des esprits brillants échafaudent des stratégies fumeuses, fondées, comme d'habitude, sur des prévisions plus qu'optimistes. Ils viennent nous expliquer, la mine grave, que la situation n'est pas aussi critique qu'on le dit, que la France est trop grosse pour tomber. Too big to fail ! Et pour cause : des titres de dette français sont incorporés dans un très grand nombre de produits financiers et détenus par un très grand nombre de banques, fonds de pension et autres compagnies d'assurance vie.
Un défaut, même partiel, sur la dette française créerait une onde de choc sur le système financier mondial, qui plongerait l'économie mondiale dans une crise dont elle pourrait ne pas se remettre. Personne n'aurait donc vraiment intérêt à ce qu'un défaut souverain français se produise.
C'est peu ou prou, monsieur le ministre, ce que vous nous avez dit. Eh bien mes chers collègues, rappelons-nous ce que nous disaient ces mêmes esprits brillants à la veille du 15 septembre 2008 au sujet de la célèbre et très puissante banque Lehman Brothers. On connaît la suite...
Monsieur le ministre, il ne nous reste plus qu'à ressortir les amulettes ou à croiser les doigts ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur Jean-Raymond Hugonet, je ne sais pas si l'on peut comparer le covid à un nuage de sauterelles ! Souvenons-nous que ce fut une crise à laquelle personne n'était préparé et que la réaction a été d'ampleur, certes, mais qu'elle avait recueilli sur le moment – cela a été rappelé – le soutien de l'ensemble des groupes politiques. Ne mésestimons pas, ne sous-estimons pas cette réaction, qui était nécessaire.
Bien évidemment, je ne juge absolument pas la position de ceux qui pensent que le frein aurait pu être levé plus tôt. À l'époque, nous plaidions tous en faveur d'un soutien fort et massif de l'État pour permettre à notre économie de se maintenir, à nos salariés de bénéficier de mesures de chômage partiel, à nos commerçants, restaurateurs ou hôteliers de percevoir un revenu malgré la fermeture de leur établissement. De nombreuses mesures ont coûté très cher, c'est un fait, mais elles étaient indispensables.
Alors oui, il faut maintenant savoir ralentir ; telle est la trajectoire que s'est fixée le Gouvernement dans le projet de loi de finances pour 2026. Mais non, on ne peut pas comparer un État et Lehman Brothers. On ne peut pas comparer une banque privée qui avait engagé des processus et des procédures frauduleuses appuyées sur des produits financiers qu'elle seule était capable de comprendre, avec un État.
Je partage votre gravité, monsieur le sénateur. Je juge, comme vous, qu'il est nécessaire de prendre la situation au sérieux. Mais je ne suis pas certain que nous puissions comparer un État et Lehman Brothers.
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le ministre, je vous écoute avec beaucoup d'intérêt depuis le début de ce débat.
Vous nous servez les sempiternels confettis de paroles qu'un bon nombre de ministres – nous en avons vu passer 176 depuis que le président Macron est à la tête de ce pays – nous ont déjà servies. À ce même banc, nous avons même vu M. Le Maire venir mentir à la représentation nationale au sujet du processus.
Bien évidemment que tout le monde était favorable à l'idée de soutenir et de défendre le pays en cas de crise. Cela nécessitait toutefois un contrôle – si le rapporteur général était présent, il vous le dirait par le menu – et ce contrôle n'a pas été exercé.
Monsieur le ministre, notre dette ne semble pas trop vous poser de problème, puisque nous sommes un pays riche. Sachez tout de même que des banques comme Lehman Brothers avaient elles-mêmes des stocks de dette française. Elles étaient couvertes par de hautes instances et nous ne l'avons su que lorsque l'État américain les a laissé tomber. Prenez garde, monsieur le ministre !
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 3 400 milliards d'euros, 115 % du PIB, plus de 50 000 euros par Français, contre 3 000 euros en 1990 : la spirale de la dette dévore notre souveraineté, notre capacité d'action et notre avenir.
Rendez-vous compte, en 2025, la France paiera plus de 74 milliards d'euros d'intérêts – j'insiste sur le terme – sur sa dette.
Ces milliards partent dans les poches de créanciers étrangers ou nationaux plutôt que dans les écoles, les hôpitaux ou les routes. La dette et ses intérêts siphonnent désormais une part croissante des ressources de l'État.
Pendant quarante ans, nous avons laissé l'État enfler comme jamais. Nous avons accumulé les administrations, empilé les dispositifs et les normes, multiplié les subventions, ajouté des taxes aux taxes, des impôts aux impôts, élargi les missions de l'État.
Là où les collectivités locales et les communes sont vertueuses, l'État est en faillite. Matignon devrait prendre conseil auprès des maires plutôt qu'auprès du parti socialiste !
Nous avons cru qu'en injectant de la dépense publique partout, nous aurions la prospérité partout. Ce fut une erreur historique, qui a pavé la voie à la ruine nationale.
Aujourd'hui, la dette ne finance plus la modernisation, mais l'immobilisme et le déclassement progressif de notre pays. Elle ne construit plus l'avenir ; elle entretient l'illusion que l'État peut tout résoudre, alors qu'il ne sait même plus se financer lui-même.
Il faut avoir le courage de dire la vérité, celui de regarder en face la machine bureaucratique et de dire « Assez ! ». Il est l'heure de tout changer, de transformer radicalement l'État, de le ramener à ce qu'il doit être : un État régalien, solide, efficace, mais limité et réduit.
C'est maintenant qu'il faut agir, pas demain, pas dans dix ans, pas lorsque les marchés décideront à notre place ou lorsque le FMI s'installera à Bercy.
La dette n'est pas un accident ; elle est la conséquence directe d'un État hypertrophié. La seule réponse efficace est un choc de désendettement, condition d'un pays souverain, respecté et maître de ses choix.
Laisser filer la dette, c'est en effet accepter la servitude. C'est accepter que nos enfants paient demain pour les lâchetés d'aujourd'hui.
Aussi j'aimerais que l'on médite les propos de Thomas Jefferson, pour qui il est immoral de léguer à une génération future les dettes contractées par une génération présente. Refusons ce scénario, refusons la facilité qui conduit au déclin.
La vérité est que la France ne s'en sortira qu'en assumant un choix clair : réduire le périmètre de l'État pour libérer la nation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur, je m'exprimerai dans quelques instants à la tribune ; je vous répondrai donc très brièvement afin d'éviter les redites.
Je tiens à saluer l'esprit d'exigence et de responsabilité auquel vous appelez en matière budgétaire. Il nous permettra d'aboutir, je l'espère dans les toutes prochaines semaines, à l'adoption d'un projet de loi de finances et d'un budget pour notre pays. C'est ce qu'attendent les Françaises et les Français.
Les Françaises et les Français attendent en effet que les positions des uns et des autres convergent vers un compromis. Ils expriment une forme d'angoisse à l'idée de ne pas voir l'aboutissement des débats incessants que nous avons maintenant depuis quelques semaines.
Je remercie l'ensemble des sénatrices et des sénateurs qui se sont exprimés lors de ce débat et je vous rejoins, monsieur le sénateur Le Rudulier : il faut aussi réformer l'État.
C'est d'ailleurs ce qu'envisage le Premier ministre au travers d'un projet de loi, qui sera travaillé bien entendu au Sénat, et qui porte certes sur la décentralisation, mais aussi sur la réforme de l'État.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il me sera certainement difficile, à l'issue de ce débat et des échanges que nous venons d'avoir cet après-midi, d'éviter les redites !
Je voudrais commencer par remercier de nouveau le Sénat d'avoir pris l'initiative d'organiser ce débat, qui fut extrêmement riche et dense. C'était une première pour moi, et j'ai eu grand plaisir à échanger avec chacune et chacun d'entre vous.
Nous partageons tous l'idée selon laquelle la dette représente cette part du passé qui pèse sur notre avenir si nous ne la maîtrisons pas, si nous ne la contrôlons pas et si nous ne retrouvons pas les marges de manœuvre nécessaires pour faire en sorte qu'elle constitue non pas un poids, mais un levier d'action pour financer le futur, les investissements et, finalement, notre croissance.
La dette atteint aujourd'hui 115,6 % du PIB. Ce chiffre est le résultat de crises successives, et particulièrement de la crise liée au covid, durant laquelle nous avons voulu protéger les ménages et les entreprises. C'était nécessaire, mais, bien évidemment, ces choix ont eu un coût qui pèse sur notre capacité à décider de notre avenir.
Dans ce contexte, redresser les finances publiques doit être notre boussole. L'effort engagé l'an dernier produit ses premiers résultats, puisque nous sommes en bonne voie pour ramener le déficit à 5,4 % du PIB, comme cela avait été décidé dans la loi de finances pour 2025.
Mais, soyons honnêtes, notre déficit reste, comme l'ont dit d'ailleurs des orateurs siégeant sur chacune des travées de cet hémicycle, trop élevé par rapport à celui de nos voisins. Cet écart peut avoir des conséquences sur notre souveraineté budgétaire.
C'est pourquoi l'objectif du Gouvernement ne variera pas : il s'agit de faire en sorte que le déficit repasse sous la barre des 3 % du PIB en 2029. La décrue doit commencer dès cette année. Voilà qui est indispensable pour maintenir la crédibilité financière de la France, car l'écart de taux avec l'Allemagne s'est creusé : alors qu'il était de 0,5 %, il s'élève désormais à près de 0,8 %. Nous empruntons plus cher que l'Espagne ou le Portugal, tandis que la charge de la dette pourrait atteindre 80 milliards d'euros en 2028, soit 30 milliards de plus qu'en 2025.
Pour autant, il convient de garder la tête froide, même si nous devons regarder la réalité en face.
Notre économie reste solide. Avec un taux de croissance de plus de 1,1 % de PIB en 2024, la France a fait mieux que les pays de la zone euro en moyenne. Au troisième trimestre 2025, le taux de croissance a été de 0,5 % – un résultat supérieur aux prévisions. Notre inflation, quant à elle, est stabilisée sous les 2 %, et elle devrait le rester en 2026. La politique économique du Gouvernement vise à entretenir cette dynamique.
Je tiens également à rappeler que la France continue de se financer dans de bonnes conditions. Notre stratégie d'émission de dette repose sur la régularité et la prévisibilité. Comme cela a été indiqué à plusieurs reprises au cours de ce débat, la demande des investisseurs reste élevée : elle est en moyenne trois fois supérieure à l'offre. Nous pouvons aussi compter sur un marché diversifié, ce qui limite les risques.
Par ailleurs, depuis 2017, la France est un pays pionnier en matière de financement durable ; cette politique est d'ailleurs aujourd'hui suivie par tous nos partenaires. Par financement durable, j'entends les financements verts, qui permettent de cibler les politiques d'investissement, et les emprunts que nous contractons pour financer la transition écologique.
Néanmoins, nous devons faire face à notre dette.
Tout d'abord, j'espère n'avoir à convaincre personne dans cet hémicycle que ce n'est pas en augmentant la charge qui pèse sur nos entreprises que nous y arriverons. On ne résorbera pas notre endettement en imposant davantage encore nos forces productives !
Dans les débats en cours, j'en appelle donc à la modération fiscale, et je sais pouvoir compter sur le Sénat pour défendre notre industrie et nos emplois.
Ensuite, je le disais, il faut garder la tête froide et se souvenir que les investisseurs ont besoin de prévisibilité. Chaque sursaut, chaque blocage politique alourdit la charge de notre dette. Notre levier fondamental, c'est la stabilité.
Pour conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, la stratégie fixée par le Premier ministre est une stratégie de responsabilité. Elle repose sur quatre piliers : le soutien à notre appareil productif, créateur de richesses ; la maîtrise des dépenses de l'État, en garantissant une contribution juste des collectivités ; le redressement des comptes sociaux, pour faire face aux défis démographiques ; enfin, la simplification et la réduction des normes.
La dette n'est pas une fatalité. Elle doit être envisagée comme un défi que nous devons relever collectivement car, quelles que soient nos positions politiques, nous ne pourrons pas avancer sans avoir traité cette question. La soutenabilité de nos finances publiques conditionne, en effet, directement notre capacité à investir, à produire, à protéger et à décider en toute souveraineté.
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, pour le groupe Union Centriste, auteur de la demande.
M. Michel Canévet, pour le groupe Union Centriste. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les groupes Union Centriste et Les Républicains ont souhaité que nous puissions débattre de la dette publique avant que nous ne commencions l'examen, dès cette semaine, des textes budgétaires, tant le sujet est important.
Je remercie les intervenants des différents groupes politiques qui ont apporté, chacun, un éclairage différent sur ce sujet.
Stéphane Sautarel a rappelé que nous empruntions pour maintenir le présent, et non pour préparer l'avenir.
Emmanuel Capus a souligné que nous endettions nos petits-enfants pour financer notre train de vie actuel.
Christian Klinger a noté que la France occupait la troisième place sur le podium des pays les plus endettés en Europe, après la Grèce et l'Italie.
Didier Rambaud a expliqué que la dette avait servi à surmonter les crises, mais que cela avait des conséquences pour les entreprises et les ménages qui doivent emprunter.
Florence Blatrix Contat a fait observer que la part des dépenses publiques dans le PIB était restée stable, tandis que les prélèvements obligatoires avaient baissé, ce qui se traduit actuellement par un manque de consommation et de confiance.
Pierre Barros a évoqué les 211 milliards d'aides aux entreprises, qui alimenteraient, selon lui, le déficit.
Grégory Blanc a indiqué que la séquence économique que nous connaissons représentait un problème de demande et qu'il convenait de répondre aux inquiétudes en ce qui concerne le logement ou l'innovation, par exemple.
Raphaël Daubet a expliqué qu'il fallait envisager notre endettement à la lumière de notre déficit commercial.
Vincent Delahaye a rappelé que le montant de la dette équivalait à onze années d'impôts et de taxes. Il a souligné qu'il était nécessaire de faire des économies.
Alors que se tient en ce moment le congrès des maires, et donc des élus locaux, à Paris, Frédérique Espagnac a précisé que la dette des collectivités territoriales ne représentait que 8 % de l'ensemble de la dette publique.
Jean-Raymond Hugonet a évoqué les notations des agences Fitch et Standard & Poor's, indiquant aussi que le « quoi qu'il en coûte » constituait sans doute un bon exemple de clientélisme.
Stéphane Le Rudulier a évoqué l'illusion que l'État pourrait tout résoudre.
Pour ma part, je voudrais simplement rappeler que la dette publique s'élève actuellement à 3 400 milliards d'euros. L'endettement lié à l'État représente 80 % du total, celui de la sécurité sociale un petit peu plus de 10 %, et celui des collectivités territoriales un petit peu moins de 10 %.
La France emprunte aujourd'hui à un taux élevé, qui est de 3,5 % pour les obligations à huit ans. Comme cela a été indiqué, notre dette est détenue à hauteur de 45 % par des acteurs français, mais, au sein de la part qui est entre les mains d'acteurs étrangers, le montant constitué par les titres détenus par des acteurs européens est prépondérant.
Si l'on ne fait rien, la charge de la dette s'élèvera, à l'horizon 2030, à 100 milliards d'euros. Or ce montant correspond justement à un déficit de 3 % du PIB, c'est-à-dire que les efforts que nous nous assignons pour respecter nos engagements européens – que chacun songe d'ailleurs à l'ampleur de ceux qu'il va falloir réaliser pour y parvenir ! – serviront uniquement à acquitter la charge de la dette…
Que faut-il faire face à cette situation ?
Certains réclament une hausse des prélèvements obligatoires, mais le niveau de ces derniers, dans notre pays, est déjà extrêmement haut – il figure parmi les plus élevés au monde. Peut-on aller plus loin, sans décourager ceux qui veulent investir ? Nous sommes nombreux à penser que ce n'est pas possible.
Il est donc absolument nécessaire de réduire la dépense publique, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, nous avons pris des engagements européens en ce sens et il importe de les tenir, notamment pour assurer la stabilité de l'euro, sinon notre monnaie risquera d'être en difficulté.
Ensuite, cela nous permettrait de retrouver des marges de manœuvre financières. En effet, pour mener des politiques publiques, il faut disposer de moyens. S'ils sont tous absorbés par la charge de la dette, on ne peut rien faire.
Il convient également de ne pas reporter sur les générations futures nos errements d'aujourd'hui. Ce serait illogique. Nous devons les assumer.
Par ailleurs, monsieur le ministre, je tiens à souligner, dans le prolongement des propos notamment de Nathalie Goulet ou de Jean-Baptiste Blanc, que l'inflation normative constitue un vrai problème. Si nous la réduisions, ainsi que tout ce qui empêche les projets de se concrétiser, nous pourrions relancer l'économie dans notre pays sans que cela coûte un centime : au contraire même, cela rapporterait des recettes à l'État. C'est la voie dans laquelle nous devons nous engager.
J'ajoute en outre, mais d'autres que moi l'ont déjà dit, qu'il est nécessaire d'investir pour réaliser la transition énergétique, la transition écologique, ou pour lutter contre le réchauffement climatique. Il s'agit d'enjeux majeurs.
Comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, il est impératif, pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, d'être attentif à la situation de la dette. Je vous appelle donc à réagir dès l'examen des textes budgétaires !
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la dette publique.
4
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 19 novembre 2025 :
À quinze heures :
Questions d'actualité au Gouvernement.
À seize heures trente :
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026, transmis en application de l'article 47-1, alinéa 2, de la Constitution (texte n° 122, 2025-2026) : discussion générale.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-sept heures cinquante-cinq.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
JEAN-CYRIL MASSERON