Table des matières
- Mardi 24 novembre 1998
- Audition de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères
- Mercredi 25 novembre 1998
- Nomination de rapporteurs
- Audition de M. François Bujon de l'Estang, ambassadeur de France aux Etats-Unis
- Audition de M. Daniel Valot, directeur général de Total exploration-production
Mardi 24 novembre 1998
- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -
Audition de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères
La commission a entendu le mardi 24 novembre 1998 M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.
M. Hubert Védrine a tout d'abord constaté que, si la phase aiguë de la dernière crise irakienne était dépassée, les éléments de fond de cette crise demeuraient, malgré la volte-face de l'Irak et la reprise de la coopération avec la commission spéciale des Nations unies chargée de contrôler le désarmement irakien. Le ministre des affaires étrangères a rappelé les termes de la résolution 1205 du 5 novembre 1998, qui condamne la décision de l'Irak de cesser de coopérer avec la commission spéciale, "en violation flagrante" de la résolution 687 de 1991, et qui exige que l'Irak "apporte immédiatement une coopération entière et sans condition" à la commission spéciale et à l'Agence internationale de l'énergie atomique. Le ministre des affaires étrangères a estimé que la fermeté et la désapprobation exprimées par la France devaient montrer à l'Irak qu'il n'y avait pas d'autre solution que de reprendre la coopération et que, face à la montée des tensions, la France devait apporter, dans la gestion de la crise irakienne, des éléments de raison et de sens des responsabilités.
M. Hubert Védrine a estimé que l'accord de Wye Plantation avait conduit à une amélioration relative de la situation au Proche-Orient. Il a néanmoins fait valoir que, face aux difficultés que ne manqueraient pas de susciter les négociations à venir, notamment sur les réfugiés et sur Jérusalem, la France allait maintenir un contact étroit avec les Palestiniens, réactiver le dialogue avec Israël et participer aux prochaines étapes du processus de paix. Le ministre des affaires étrangères s'est également interrogé sur la place de l'Europe dans les prochaines phases de négociations, souhaitant que l'Union européenne ne limite pas son rôle à celui de bailleur de fonds pour le développement économique de la région.
Abordant ensuite la situation au Kosovo, M. Hubert Védrine a constaté que la mission d'observation de l'OSCE se mettait en place, tandis que la force de sécurisation basée en Macédoine s'organisait sous commandement français dans le cadre de l'OTAN. Le ministre des affaires étrangères a relevé que, en dépit du blocage du dialogue politique au Kosovo, le retour des réfugiés pouvait être considéré comme un résultat positif des pressions exercées en septembre-octobre 1998. M. Hubert Védrine a estimé souhaitable de donner un nouvel élan aux efforts du groupe de contact, et de tirer parti de la relative accalmie actuelle pour débloquer la situation politique dans les mois à venir.
Le ministre des affaires étrangères a alors commenté l'ordre du jour du prochain sommet des Chefs d'Etat et de Gouvernement d'Afrique et de France, consacré au thème de la sécurité en Afrique. Il a fait observer que ce sommet réunirait un nombre sans précédent de 37 Chefs d'Etat, parmi lesquels il a relevé la présence de représentants de pays anglophones.
Evoquant ensuite les prochaines échéances européennes, le ministre des affaires étrangères a fait valoir que les négociations à venir sur l'Agenda 2000 devraient, dans la mesure du possible, aboutir pendant la présidence allemande, et que l'effort financier devrait être équitablement réparti entre les membres de l'Union européenne et concerner toutes les politiques européennes. M. Hubert Védrine a constaté une volonté partagée de relance du dialogue franco-allemand sur des sujets de fond tels que les négociations relatives à l'Agenda 2000, l'élargissement de l'Union et la réforme institutionnelle. Le ministre des affaires étrangères a relevé un rapprochement sensible entre les positions française et allemande sur les thèmes de l'élargissement et de l'approfondissement. Il a également rappelé une certaine convergence sur les thèmes de la croissance, de l'emploi et de la gestion de l'euro. Le ministre des affaires étrangères a estimé qu'une évolution s'était également manifestée, dans un sens plus réaliste, de la part des pays candidats à l'élargissement, s'agissant notamment de la date effective de leur adhésion.
M. Hubert Védrine a alors rappelé le progrès qu'avait constitué, lors du sommet européen de Pörtschach, l'évolution de la position britannique à l'égard de la défense européenne, même si le contenu précis et les implications profondes de ce "déblocage" méritaient d'être mieux analysés.
Le ministre des affaires étrangères a enfin fait valoir que le prochain Conseil européen de Vienne permettrait, pour l'essentiel, de faire le point des négociations en cours, sans que celles-ci paraissent susceptibles d'aboutir à si brève échéance.
A la suite de l'exposé du ministre, M. Aymeri de Montesquiou a souhaité savoir si l'Union européenne pourrait adopter, à l'avenir, une position commune contre le principe d'une frappe militaire contre l'Irak, qui ne serait pas autorisée par les Nations unies. Il s'est interrogé par ailleurs sur les réactions du Gouvernement français à la suite du refus de l'Italie d'accéder à la demande turque d'extradition d'Abdullah Öcalan.
M. Alain Peyrefitte a demandé des précisions sur l'attitude américaine vis-à-vis des oppositions qui avaient pu se manifester contre une intervention militaire en Irak.
Mme Monique Cerisier Ben Guiga s'est inquiétée du déficit de communication qui pouvait s'observer entre la France et Israël. Elle a par ailleurs attiré l'attention sur les difficultés de circulation que rencontraient les binationaux franco-palestiniens en raison des mesures prises par les autorités israéliennes.
M. Xavier de Villepin, président, a demandé au ministre des précisions sur le rôle qui avait été confié à la CIA dans le cadre de l'accord de Wye Plantation. Il a souligné par ailleurs les risques d'extension du conflit en Afrique centrale. M. Alain Peyrefitte s'est interrogé, à cet égard, sur la présence de Laurent-Désiré Kabila au prochain sommet franco-africain. M. Philippe de Gaulle a alors demandé des précisions sur la situation au Congo-Brazzaville.
M. Christian de La Malène a rappelé l'obligation, pour la France, de maintenir une position ferme sur la nécessité d'une réforme institutionnelle préalable à tout nouvel élargissement.
M. Xavier de Villepin, président, a interrogé le ministre sur les réactions françaises à la suite du rapprochement annoncé des industries aéronautiques allemande et britannique. Il a souhaité obtenir, en outre, des précisions sur les conséquences, pour la relation franco-allemande, de la nouvelle position adoptée par le Gouvernement allemand sur la politique nucléaire.
M. Michel Barnier a souhaité savoir quelle était la position du Chancelier allemand vis-à-vis d'un renforcement de la coopération européenne en matière de défense ; par ailleurs, après avoir noté une certaine dispersion dans les interventions humanitaires européennes organisées à la suite des dégâts causés par le cyclone Mitch en Amérique centrale, il a également souhaité que puisse être examinée la mise en place d'une force européenne d'intervention humanitaire.
En réponse aux commissaires, M. Hubert Védrine a apporté les précisions suivantes :
- le recours à la force suppose une décision du Conseil de sécurité ; avant le dénouement de la dernière crise irakienne, les discussions avaient permis d'adopter une résolution approchant de très près une telle autorisation ; une prise de position commune des Européens contre le principe d'une frappe militaire est difficilement concevable ;
- la déception suscitée dans différents milieux américains par la décision du Président Bill Clinton de renoncer à une frappe militaire contre l'Irak a conduit certains à jeter de manière inacceptable le soupçon sur la position française vis-à-vis de l'Irak ;
- s'agissant de la demande d'extradition d'Abdullah Öcalan, l'Italie est confrontée au double écueil de l'impossibilité du renvoi de ce responsable kurde dans un pays où il encourt la peine de mort et de la difficulté d'accorder l'asile politique au chef d'une organisation terroriste responsable de plusieurs attentats ;
- dans le domaine des relations entre Israël et les Palestiniens, il importe de rappeler que le processus de paix et la lutte contre le terrorisme doivent obéir à des logiques distinctes ; la France, pour sa part, a manifesté sa volonté de maintenir une relation confiante avec les autorités israéliennes et le ministre a d'ailleurs invité son homologue israélien à se rendre à Paris afin de poursuivre le dialogue ; par ailleurs, les binationaux franco-palestiniens partagent les difficultés communes à tous les Palestiniens qui souhaitent se déplacer ; quant à la participation de la CIA prévue par les accords de Wye Plantation, elle officialise une présence observée déjà depuis quelques années ;
- les événements en Afrique centrale obéissent avant tout à des stratégies d'ordre régional ; la France n'a aucune intention d'intervenir dans ce conflit, même si elle pourrait appuyer toute initiative en faveur de la paix qui pourrait être souhaitée à l'issue d'éventuels contacts entre les parties concernées lors du sommet franco-africain ; M. Laurent-Désiré Kabila participe à ce sommet en tant que Chef d'Etat en exercice ; la situation du Congo-Brazzaville peut aujourd'hui apparaître plus favorable par contraste avec un environnement régional très incertain ;
- s'agissant des questions européennes, la position française insiste sur la nécessité d'une réforme institutionnelle, dont l'opportunité est d'ailleurs de plus en plus reconnue par nos partenaires ;
- la constitution éventuelle d'un axe entre le Royaume-Uni et l'Allemagne dans le domaine aéronautique constitue, pour la France, une source de préoccupations ; notre pays, très conscient du problème, réfléchit actuellement à différentes options afin de réagir de la manière la plus adaptée à l'initiative des groupes industriels de nos deux partenaires ;
- les nouvelles orientations allemandes dans le domaine de la politique nucléaire risquaient d'affecter les positions que nos deux pays avaient su défendre, conjointement, en matière d'environnement afin de limiter, notamment, l'effet de serre ; l'Allemagne devra en tout état de cause honorer les différents engagements qu'elle a contractés auprès de la France en matière nucléaire ;
- la mise en place d'une force d'intervention humanitaire commune européenne afin de répondre aux situations d'urgence dans le monde constitue une suggestion particulièrement intéressante et mérite un examen approfondi ;
- la position allemande vis-à-vis de la coopération en matière de sécurité et de défense n'a pas marqué, pour l'heure, de véritable évolution ; le Royaume-Uni, quant à lui, a évoqué différentes options dont certaines ouvrent des voies intéressantes ; une clarification apparaît souhaitable dans la perspective d'une éventuelle approche franco-britannique dans ce domaine.
Mercredi 25 novembre 1998
- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -
Nomination de rapporteurs
Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a d'abord procédé à la nomination de rapporteurs. Elle a désigné :
- M. Paul Masson sur les projets de loi n° 60 (1998-1999) autorisant l'approbation d'un accord sous forme d'échange de lettres portant aménagements du titre Ier de la convention de voisinage entre la France et la Principauté de Monaco du 18 mai 1963, et n° 61 (1998-1999) autorisant l'approbation d'un accord sous forme d'échange de lettres relatif à l'application de l'article 7 modifié de la convention de voisinage entre la France et la Principauté de Monaco du 18 mai 1963.
- et M. André Dulait sur le projet de loi n° 62 (1998-1999) autorisant l'adhésion de la République française à la convention sur lesprivilèges et immunités des institutions spécialisées approuvée par l'assemblée générale des Nations unies le 21 novembre 1947.
Audition de M. François Bujon de l'Estang, ambassadeur de France aux Etats-Unis
Puis la commission, élargie aux membres du groupe d'amitié France-Etats-Unis, a entendu M. François Bujon de l'Estang, ambassadeur de France aux Etats-Unis.
M. François Bujon de l'Estang a tout d'abord souligné la "santé éblouissante" des Etats-Unis aujourd'hui, liée à un cycle de croissance économique sans précédent depuis huit ans. Cette situation très favorable se traduit par un rythme d'innovation et de création d'entreprises sans comparaison au monde. Elle a également permis la création de 17 millions d'emplois depuis 1993, réduisant à 4,5 % le taux de chômage, soit un niveau proche du plein emploi. L'ambassadeur de France aux Etats-Unis a relevé que cette santé économique s'accompagne par ailleurs d'une stabilité sociale remarquable, fondée notamment sur une grande souplesse du marché de l'emploi. M. François Bujon de l'Estang a cependant rappelé que la société américaine est "dure aux faibles" ; si la réforme de l'aide sociale a pu se faire sans tension particulière, c'est qu'elle est intervenue dans un contexte favorable à l'emploi.
L'ambassadeur de France a ensuite insisté sur le "triomphe" du modèle culturel américain, exporté dans le monde entier, et qui est un élément supplémentaire de la grande confiance en soi de la nation américaine. Abordant ensuite le modèle politique américain, M. François Bujon de l'Estang a souligné son originalité liée à la coexistence de deux pouvoirs, législatif et exécutif, placés sur un pied d'égalité, quasiment privés de tout moyen d'action l'un sur l'autre, et en quelque sorte condamnés à la négociation permanente. Ce contexte institutionnel permet le développement d'autres sources de pouvoir : celui de la presse tout d'abord, qui a notamment joué un rôle majeur dans le cadre de l'affaire du Watergate, de l'intervention américaine en Somalie ou de l'affaire Lewinsky, celui des lobbies ensuite, qu'ils soient professionnels ou ethniques.
M. François Bujon de l'Estang a alors décrit les conséquences, sur le plan international, de cette prépondérance américaine, qui présente, à ses yeux, quatre caractéristiques :
- une Amérique très sûre d'elle-même est d'abord tentée de pratiquer un certain prosélytisme, suscitant, par contrecoup, des réactions d'hostilité : intégrisme islamique, défense des valeurs asiatiques, défense de l'exception culturelle, voire promotion de l'identité européenne de sécurité et de défense ... ;
- dans leur souci de lutter contre les fléaux sociaux internationaux, les Etats-Unis s'attachent ensuite à organiser la lutte contre la drogue, le terrorisme ou la prolifération nucléaire. Cela se traduit aussi par la mise en oeuvre de sanctions internationales contre les Etats qui, selon les Américains, y participent, directement ou indirectement ;
- Les Etats-Unis sont par ailleurs soucieux d'organiser le nouvel ordre international de l'après-guerre froide, autour de deux axes principaux : la pacification des zones de tensions (Moyen-Orient, Bosnie-Herzégovine, Kosovo) qu'ils estiment être les seuls à pouvoir assurer ; l'affirmation de l'OTAN comme pivot de l'architecture de paix et de sécurité, qui se traduira sans doute dans le nouveau "concept stratégique" que l'Alliance atlantique adoptera en avril 1999 à Washington à l'occasion de son cinquantième anniversaire. Les Etats-Unis conçoivent l'avenir sur le continent européen dans le cadre d'une "triple couronne" : une OTAN en charge de la sécurité, une Union européenne en charge de la prospérité, enfin une OSCE en charge de propager la bonne conduite démocratique dans la nouvelle Europe ;
- les Etats-Unis procèdent enfin souvent à "l'instrumentalisation" des institutions internationales, en ne leur apportant leur soutien que lorsqu'elles concourent à servir leurs objectifs. M. François Bujon de l'Estang a relevé qu'il y avait peu d'espoir, à court terme, que les Etats-Unis s'acquittent de leur dette de 1,3 milliard de dollars à l'égard de l'Organisation des Nations unies. De même, l'augmentation des contributions nationales au Fonds monétaire international a fait l'objet d'une forte et longue réticence du Congrès.
Enfin, la diplomatie américaine est aujourd'hui à la recherche d'un nouveau partenariat stratégique avec la Chine, qui suscite d'ailleurs, a relevé M. François Bujon de l'Estang, une certaine préoccupation en Asie du sud-est et au Japon.
M. François Bujon de l'Estang a alors analysé les conséquences, pour les relations bilatérales franco-américaines, de cette attitude des Etats-Unis sur la scène internationale. L'ambassadeur de France a souligné que la relation franco-américaine reposait sur un certain paradoxe : tout en étant le plus ancien et le plus fidèle allié des Etats-Unis, la France n'hésite pas à exprimer une approche différente des problèmes internationaux. Il en résulte, aux yeux de l'ambassadeur de France, une certaine "volatilité" et parfois une "irritabilité" des relations bilatérales. De même, existe-t-il, dans certains médias des deux pays, une "culture d'hostilité" réciproque qu'il a jugée regrettable. M. François Bujon de l'Estang a reconnu que la France souffre parfois aux Etats-Unis d'une mauvaise image, celle d'un allié peu fiable, comme l'aurait démontré, aux yeux de certains Américains, notre attitude au Kosovo, en Bosnie-Herzégovine ou encore dans les crises successives avec l'Irak. Cette ambiguïté dans les rapports bilatéraux est également liée, pour M. François Bujon de l'Estang, au "profil très élevé" de la politique étrangère que la France entend conduire dans le monde. La vision française d'une Europe comme contrepoids à la puissance des Etats-Unis, sa volonté de bâtir une identité européenne de défense, qui peut être perçue comme concurrente de l'OTAN, sont autant de sources de malentendus aux Etats-Unis.
En conclusion, M. François Bujon de l'Estang a estimé que l'établissement d'une relation plus sereine entre les Etats-Unis et la France doit s'appuyer sur trois lignes de conduite : mieux définir nos priorités pour éviter de multiplier les motifs de différends sur une même période ; savoir faire preuve de souplesse et de pragmatisme ; résister enfin à la tentation de l'opposition systématique, ce qui doit en particulier conduire à accroître les efforts de communication tant à l'égard de la presse américaine que des parlementaires de ce pays.
M. François Bujon de l'Estang a ensuite répondu aux questions des sénateurs.
Après que M. Jean Chérioux eut souligné le rôle que devait jouer le groupe d'amitié France-Etats-Unis pour développer des liens, encore insuffisants entre les parlementaires des deux pays, M. Xavier de Villepin, président, a observé que ces contacts se heurtent parfois à certaines difficultés. M. François Bujon de l'Estang a alors évoqué la relative indifférence, encore trop largement répandue parmi les élus américains, à l'égard des questions internationales. Il a regretté notamment le nombre trop limité des visites de parlementaires américains en Europe.
Il a précisé à l'intention de M. Serge Vinçon que l'évolution des positions allemandes dans le domaine nucléaire, et notamment la demande d'allégement du dispositif nucléaire américain en Allemagne, constitue une source de préoccupation pour les Etats-Unis et pourrait par ailleurs favoriser un rapprochement franco-américain sur cette question.
L'ambassadeur de France à Washington a estimé, en réponse à une demande de M. Louis de Broissia, que la politique étrangère américaine a aussi pour objectif de défendre les intérêts de l'économie américaine, en particulier dans le domaine agricole. Il a cité, à titre d'exemple, la décision de l'administration américaine de ne pas appliquer de sanctions contre le Pakistan et l'Inde qui puissent pénaliser les exportations américaines de céréales dans ces deux pays. Il a souligné par ailleurs, dans le domaine culturel, le rôle joué par le groupe de pression lié à l'industrie cinématographique, afin de favoriser l'exportation de produits culturels américains considérés aux Etats-Unis au même titre que tout autre bien marchand -conception que récuse la France.
M. François Bujon de l'Estang a ensuite précisé à l'intention de M. Xavier de Villepin, président, que Mme Hilary Clinton est devenue une personnalité de premier plan dans la vie politique américaine, même si son éventuelle candidature à l'élection présidentielle relève encore du domaine de la conjecture. Il a observé que l'actuel vice-président des Etats-Unis, M. Al Gore, serait certainement candidat à la prochaine élection présidentielle, même si on ne pouvait exclure une candidature concurrente au sein du camp démocrate ; M. George W. Bush Jr., gouverneur de l'Etat du Texas, apparaît en très bonne position pour devenir le candidat républicain à ces élections.
L'ambassadeur de France à Washington, à la demande de M. Xavier de Villepin, président, a également apporté des précisions sur les conséquences de la crise économique et financière internationale sur l'économie américaine. Il a souligné la bonne résistance de la conjoncture américaine à la première phase, asiatique, de la crise, même si la baisse des exportations américaines vers l'Asie et la défaillance de certains débiteurs dans cette région n'avaient pas été sans effet sur les sociétés américaines. Il a toutefois ajouté que l'extension de la crise à la Russie et surtout à l'Amérique Latine, continent où les banques américaines se trouvaient particulièrement exposées, pourrait affecter plus sérieusement la croissance américaine. M. François Bujon de l'Estang a noté à cet égard que les observateurs s'accordent pour prévoir un ralentissement significatif de l'activité aux Etats-Unis pour 1999 -les pronostics tablant sur une croissance comprise entre 1 et 2 % ; en effet, d'une part, l'environnement extérieur ne sera pas aussi porteur que les années passées, d'autre part, l'investissement des entreprises devrait diminuer, enfin et surtout, la demande des ménages, qui a été jusqu'à présent le principal ressort de la croissance américaine, pourrait se réduire. L'ambassadeur de France a ajouté, sur ce dernier point, que le taux d'épargne des ménages américains se situe à un niveau exceptionnellement faible, alors que leur taux d'endettement apparaît comme l'un des plus élevés des pays occidentaux. M. François Bujon de l'Estang a en outre précisé que la Réserve fédérale américaine dispose encore d'une marge de manoeuvre pour baisser les taux d'intérêt, compte tenu du très bas niveau de l'inflation.
M. Xavier de Villepin, président, a alors rappelé les risques liés à une baisse excessive du dollar sur l'activité des entreprises européennes. Il a souhaité par ailleurs obtenir des précisions sur les réactions américaines à la suite de l'échec des négociations internationales relatives à l'accord multilatéral sur l'investissement (AMI). M. François Bujon de l'Estang a indiqué que la décision de la France de se retirer de ces négociations n'a pas surpris les Etats-Unis dans la mesure où les discussions étaient apparues, dès le départ, mal engagées ; toutefois, les Etats-Unis s'opposeraient sans doute au souhait français de transférer les prochaines discussions sur ce sujet dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Enfin, abordant, à la demande de M. Xavier de Villepin, président, l'attitude des Etats-Unis vis-à-vis de la situation actuelle en Russie, M. François Bujon de l'Estang a évoqué le relatif sentiment d'impuissance éprouvé par Washington et l'opposition américaine à l'octroi d'une aide financière aussi longtemps que de réelles réformes économiques n'auront pas été entreprises. Il a souligné la grande inquiétude que soulèvent les conséquences de l'instabilité en Russie, en particulier dans le domaine nucléaire. Enfin, il a précisé que l'administration américaine n'a pas manifesté de préférence déclarée parmi les candidats possibles aux prochaines élections présidentielles russes.
Audition de M. Daniel Valot, directeur général de Total exploration-production
Au cours d'une deuxième séance tenue dans l'après-midi sous la présidence de M. Xavier de Villepin, président, la commission, élargie au groupe d'études de l'énergie, a entendu M. Daniel Valot, directeur général de Total exploration-production.
M. Daniel Valot a tout d'abord présenté les perspectives d'évolution à moyen terme de la part des différentes sources d'énergie dans les approvisionnements mondiaux, en précisant que la part du pétrole demeurerait stable, alors que celle du gaz naturel s'accroîtrait et que celle de l'hydroélectricité et du charbon diminuerait. Il a donné des indications sur la répartition géographique des ressources actuellement connues, tant pour le pétrole que pour le gaz naturel. Il a ajouté que ces estimations devaient être complétées par la prise en compte de productions de type nouveau, jusqu'alors inexploitées, telles que les huiles extra-lourdes présentes au Venezuela et au Canada ou les gisements offshore très profonds, qui ouvrent de nouvelles perspectives d'augmentation de la production.
En ce qui concerne Total, neuvième compagnie pétrolière mondiale, il a exposé les différents aspects de son développement au cours de l'actuelle décennie, notamment, l'expansion de sa capitalisation boursière, qui est passée de 21 milliards de francs en 1990 à 192 milliards de francs à la mi-1998, et la forte augmentation des activités d'exploration-production, qui représentent actuellement un niveau comparable à l'activité de raffinage.
M. Daniel Valot a décrit l'implantation des activités d'exploration-production de Total, en soulignant qu'elle s'était considérablement diversifiée, l'Asie du sud-est, l'Afrique et l'Amérique latine prenant une part croissante aux côtés des activités plus anciennes du Moyen-Orient et de la mer du Nord. Il a considéré que la production de Total, qui s'élevait à environ 600.000 barils/jour en 1990, atteindrait le million de barils/jour en 2000 et 1,25 million de barils/jour en 2005.
M. Daniel Valot a ensuite détaillé les principaux projets d'investissements en cours, en particulier en mer du Nord, au Kazakhstan, en Azerbaïdjan, en Birmanie, en Indonésie, en Iran, au Moyen-Orient, en Angola et en Argentine. Il a également donné des précisions sur le projet SINCOR de production d'huile lourde au Venezuela, dans la ceinture de l'Orénoque, qui représente un investissement de quelque 4 milliards de dollars et qui devrait permettre d'assurer, durant 35 ans, une production d'environ 200.000 barils/jour. A lui seul, a-t-il précisé, ce projet pourrait représenter jusqu'à l'équivalent de 25 % des réserves actuelles de Total. Il a également évoqué les découvertes majeures enregistrées en Angola, ainsi que les perspectives de développement à Abu Dhabi , Dubaï et Oman.
A la suite de cet exposé, M. André Dulait a souhaité connaître les raisons de l'absence de Total au Turkménistan. Il a demandé des précisions sur les conditions d'exploitation des gisements de pétrole de la mer Caspienne et sur l'implication des compagnies françaises dans le domaine de la construction de pipe-lines dans cette région du monde.
M. Daniel Valot a insisté sur le poids des contraintes pesant sur l'exploitation de gaz au Turkménistan, du fait de l'enclavement du pays, des problèmes d'évacuation du gaz, difficilement envisageable au travers de l'Iran, et des litiges de délimitation de frontières entre l'Iran et le Turkménistan. Il a estimé que les perspectives de développement de la production gazière au Turkménistan étaient pour le moment modestes.
S'agissant du pétrole de la mer Caspienne, il a souligné les difficultés d'acheminement des plates-formes de forage et la nécessité, pour les compagnies, de se grouper pour financer la remise en état de plates-formes disponibles sur place, mais très dégradées. Il a relevé les différences d'approche existant sur les différents moyens d'évacuation du pétrole, la voie la plus économique, de Bakou vers la Géorgie, étant contestée en raison de ses incidences sur le transit des pétroliers sur le Bosphore, ce qui conduisait les Turcs à proposer un itinéraire traversant leur territoire jusqu'à Ceyhan. Il a mis en évidence l'intérêt d'une route vers le Sud, qui permettrait d'approvisionner les raffineries de Téhéran, et sur laquelle Total mène des réflexions, tout en considérant qu'il n'y avait pas qu'une seule voie possible, dans la mesure où il serait vraisemblablement utile de construire plusieurs pipelines pour diversifier les circuits d'évacuation.
Il a également considéré que la mer Caspienne ne constituerait pas un nouveau Moyen-Orient, les réserves étant plutôt équivalentes à celles de la mer du Nord.
M. André Ferrand a souhaité connaître l'incidence éventuelle, sur les relations entre Total et l'Azerbaïdjan, de l'adoption, par l'Assemblée Nationale, de la proposition de loi sur le génocide arménien.
M. Daniel Valot a répondu, qu'à sa connaissance, cet événement n'avait pas affecté les relations entre Total et l'Azerbaïdjan. Il a en revanche souligné son très fort impact en Turquie, où Total occupe une position importante en tant que distributeur d'hydrocarbures et de fournisseur de gaz naturel.
M. Michel Barnier, tout en relevant que la position du Parlement français sur le génocide arménien ne saurait exclusivement reposer sur des considérations d'ordre économique et commercial , même si celles-ci devaient être prises en compte, a souhaité savoir si certains projets de pipe-lines traversaient le territoire arménien.
M. Daniel Valot a précisé que tous les projets actuels contournaient le territoire arménien, le seul projet susceptible de traverser l'Arménie étant conditionné au règlement du conflit du Haut-Karabach.
M. Henri Revol a souligné, en évoquant les positions récemment prises par l'Allemagne, le rôle que pourrait continuer à jouer le charbon dans les approvisionnements énergétiques mondiaux.
M. Daniel Valot a alors fait part, à ce sujet, des contraintes résultant du renforcement des préoccupations environnementales.
M. Charles-Henri de Cossé Brissac a souhaité connaître l'état des études sur les carburants de synthèse.
M. Daniel Valot a précisé que des réflexions étaient menées sur la fabrication de carburant à partir du gaz naturel, mais que celle-ci ne pouvait aujourd'hui être compétitive, en raison de coûts d'investissement trop élevés.
M. Xavier de Villepin, président, a ensuite interrogé le directeur général de Total exploration-production sur son appréciation de la situation en Asie, et en particulier en Indonésie, au Venezuela et en Angola.
M. Daniel Valot a considéré que la crise asiatique avait notablement affecté le Japon et surtout la Corée, à qui Total fournit du gaz naturel produit en Indonésie, mais également la Thaïlande qui a dû retarder le démarrage de la centrale électrique qui devait être approvisionnée par le gaz naturel produit par Total en Birmanie. A propos des activités de Total en Birmanie, il a précisé que la justice américaine s'était déclarée incompétente pour juger des questions relatives aux conditions d'emploi, par Total, du personnel local.
Il a fait part de ses inquiétudes sur les difficultés de la transition politique en Indonésie, bien que celles-ci demeurent pour le moment sans incidence sur les conditions de travail des personnels de Total, notamment les personnels expatriés.
En ce qui concerne le Venezuela, il a évoqué les interrogations suscitées par une éventuelle victoire du commandant Chavez à l'élection présidentielle, en particulier quant à son attitude à l'égard des compagnies pétrolières étrangères.
Enfin, il a souligné les conditions de vie difficiles imposées au personnel de Total du fait de la situation politique en Angola, tout en soulignant le rôle clef de ce pays dans lequel Total souhaite devenir opérateur, compte tenu de son potentiel de production.