Mardi 8 novembre 2005
- Présidence de M. Gilbert Barbier, président -
Audition de M. Alexandre Biosse Duplan et Mme Laure Lechertier, membres du Collectif Europe et Médicament
La mission d'information a tout d'abord procédé à l'audition de M. Alexandre Biosse Duplan, chargé de mission santé à l'UFC-Que choisir (département études et communication), et de Mme Laure Lechertier, responsable du département « politique du médicament » à la Mutualité française, membres du Collectif Europe et Médicament.
Mme Laure Lechertier a présenté le Collectif Europe et Médicament, créé en mars 2002 et rassemblant plus de soixante organismes, originaires de douze Etats membres de l'Union européenne et appartenant à quatre familles principales : les associations de malades, les organisations familiales et de consommateurs, les organismes d'assurance maladie et les organisations de professionnels de la santé. Ce rassemblement de secteurs rarement convergents, inédit dans l'histoire de l'Union européenne, a été conçu suivant l'idée que le médicament n'est pas un produit comme un autre et avec l'ambition d'intervenir sur la politique du médicament au niveau européen pour faire valoir les droits du citoyen dans ce cadre.
Le Collectif a suivi en particulier la préparation de la directive médicaments de mars 2004, s'investissant plus spécialement sur la Direct-to-Consumer Advertising (DTCA), publicité directe des laboratoires pharmaceutiques auprès des patients, dont il a dénoncé les méfaits. Il a obtenu dans ce domaine le rejet des propositions initiales de la Commission européenne, moins grâce à des arguments de principe qu'en mettant en évidence, avec l'aide de l'Association internationale de la mutualité, les implications financières de la publicité directe.
Le Collectif est financé essentiellement par la mutualité, à travers une association de fonctionnement (ACEM) qui perçoit les cotisations des membres adhérents et ne dispose d'aucun pouvoir « politique ». Les laboratoires ne figurent pas au nombre des cotisants.
Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, a sollicité l'opinion du Collectif sur le niveau de pharmacovigilance en France en comparaison des pays voisins et sur la mobilisation des professions de santé dans ce domaine. Elle a demandé s'il convient de s'émouvoir des résultats d'une enquête de la revue Prescrire, montrant que dans 74 % des cas, les effets indésirables des médicaments ne sont pas évoqués par les visiteurs médicaux et que, dans 39 % des cas, ceux-ci incitent les médecins à prescrire, alors que leur rôle est seulement d'informer.
Mme Laure Lechertier a répondu que la pharmacovigilance a pour objet la surveillance du risque d'effets indésirables. Cette activité de veille sanitaire s'exerce sur les médicaments bénéficiant d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) nationale ou communautaire ainsi que sur ceux qui bénéficient d'une autorisation temporaire d'utilisation (ATU) en médecine de ville ou à l'hôpital. Ses objectifs sont la prévention, l'identification, l'évaluation et la correction du risque potentiel. La pharmacovigilance repose sur la notification spontanée des effets par les professionnels de santé. Le système est performant et sa conception a largement inspiré la conception européenne. Il a une dimension régionale : 31 centres régionaux collectent les notifications et les transmettent au niveau national. L'obligation pèse également, sur le titulaire de l'AMM, de déclarer tout effet inattendu ou indésirable grave. Certaines améliorations sont néanmoins nécessaires. On constate notamment une sous-notification des effets indésirables par la médecine de ville. Par ailleurs, le patient est exclu du système, il ne peut déclarer un effet. Il serait souhaitable de lui permettre d'effectuer la notification directe d'un effet en organisant le recueil et le traitement des déclarations des patients. Cela serait utile notamment pour mieux connaître les questions relatives à la qualité de vie liée à l'utilisation des médicaments. Enfin, il faudrait que l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) diffuse l'information qualitative sur les résultats de la pharmacovigilance, avec la possibilité pour le grand public d'accéder à la base de données de pharmacovigilance.
M. Alexandre Biosse Duplan a relevé en outre l'existence d'une sous-déclaration des effets secondaires déjà identifiés. Il serait utile que la déclaration par les usagers soit possible au niveau de l'Agence européenne des médicaments (EMEA). La directive médicaments n'a pas mis en place ce dispositif de déclaration en faveur duquel le Collectif s'était prononcé. Il a aussi insisté sur la nécessité de retraiter les informations venant du terrain, estimant que, sur certaines pathologies lourdes, les informations sur les interactions médicamenteuses sont fournies par les malades eux-mêmes et leur médecin.
En ce qui concerne l'enquête de la revue Prescrire, il a jugé de « bonne guerre » que les visiteurs médicaux, rémunérés au volume, vantent les avantages des médicaments sans insister sur les effets secondaires. Par nature, l'informateur médical n'est pas un informateur pertinent.
Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, a regretté que, selon l'enquête, les informations officielles provenant de la commission de la transparence ne soient pas communiquées par les visiteurs médicaux.
M. François Autain a noté que le visiteur médical ne fait pas de l'information, mais de la promotion médicale et que des initiatives, telles que la charte de la visite médicale, ne changent pas la pratique. Il faudrait créer une institution indépendante des laboratoires, capable de rémunérer les visiteurs, devenus des informateurs. Les quelque 850 personnes affectées par la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) à ce type de tâche ne font pas le poids devant les 25.000 visiteurs médicaux.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a demandé l'avis des intervenants sur la qualité des études post-autorisation de mise sur le marché en France.
Mme Laure Lechertier a relevé le caractère lacunaire de ces études. Les données de l'AMM ne permettent pas de mesurer l'impact du médicament sur la population : en effet, les résultats de l'étude de phase 3 ne sont pas extrapolables à la population en général. Il faudrait donc vérifier l'efficacité et la tolérance des médicaments bénéficiaires d'une AMM sur une population beaucoup plus large. Cette exigence est mieux satisfaite au Royaume-Uni et dans les pays nordiques, où les études post AMM sont quasiment systématiques.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a souhaité savoir comment pourrait être effectué le partage entre les résultats testés sur une population limitée et les impondérables tenant aux particularités génétiques ou autres de chaque patient.
M. Alexandre Biosse Duplan a évoqué l'exemple de l'hépatite C pour montrer que l'efficacité des traitements est souvent fonction de données socio-économiques. La « vraie vie », a-t-il indiqué, ne correspond pas à une étude de phase 3. Cette constatation a un sens du point de vue médical mais aussi du point de vue médico-économique, dans la mesure où l'on est en droit d'attendre les meilleurs résultats de médicaments remboursés par l'assurance maladie.
Mme Laure Lechertier a estimé que les résultats expérimentaux doivent être confrontés aux résultas réels d'utilisation compte tenu de l'hétérogénéité des populations.
M. Gilbert Barbier, président, a rappelé la nécessité et la difficulté d'appréhender l'ensemble des facteurs pertinents.
Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, a demandé si les AMM ne sont pas délivrées d'une manière trop libérale, dans la mesure où seulement 5 % des médicaments arrivant sur le marché auraient une valeur ajoutée importante.
M. Alexandre Biosse Duplan a indiqué que le Collectif donne une grande importance à la question de la valeur thérapeutique ajoutée. Une AMM peut être légitimement accordée à un médicament présentant des contraintes identiques à celles d'un autre médicament. Ce qui pose en réalité un problème est la prise en charge de ce médicament par la collectivité, qui n'y a pas intérêt en l'absence de valeur thérapeutique ajoutée.
M. Gilbert Barbier, président, a noté la nécessité d'une concurrence sur le marché des médicaments.
M. François Autain a demandé s'il ne serait pas souhaitable de systématiser les essais comparatifs au niveau de l'AMM, ou de demander au minimum aux laboratoires de produire leurs essais comparatifs.
M. Alexandre Biosse Duplan a approuvé le principe de cette démarche.
Mme Laure Lechertier a précisé qu'il conviendrait de délivrer l'AMM en fonction de la valeur thérapeutique ajoutée.
A une question de M. François Autain évoquant les différences de situation entre les Etats-Unis et l'Europe dans le cas du Vioxx, Mme Laure Lechertier a répondu que les prescriptions de Vioxx sont plus nombreuses aux Etat-Unis, et les dosages, différents.
M. Gilbert Barbier, président, a souhaité connaître la position du Collectif sur l'articulation souhaitable entre l'Afssaps et l'EMEA en ce qui concerne la délivrance des AMM.
M. Alexandre Biosse Duplan a indiqué que l'intervention de l'EMEA peut éviter la création de marchés de niches et que l'harmonisation européenne va dans le sens de la sécurité.
Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, a souhaité connaître les propositions du Collectif pour améliorer l'indépendance des experts à l'égard de l'industrie pharmaceutique.
M. Alexandre Biosse Duplan a rappelé le principe de la double expertise, interne et externe, appliqué par l'Afssaps. Les experts cliniciens sont soumis à une obligation de probité, d'indépendance et d'impartialité, mais les experts de l'Afssaps perçoivent une rémunération dérisoire et il faudrait revaloriser leurs vacations.
Mme Laure Lechertier a précisé qu'il faudrait aussi que les évaluations effectuées pour l'Afssaps entrent en ligne de compte pour la progression d'une carrière universitaire. Il conviendrait enfin que, sur un même dossier, des experts appartenant à différentes écoles de pensée scientifique soient consultés.
M. Gilbert Barbier, président, a souhaité savoir si le Collectif demande que les délais d'évaluation accordés aux experts soient allongés.
M. Alexandre Biosse Duplan a estimé que l'essentiel est que les règles de l'expertise soient respectées et les éventuels manquements lourdement sanctionnés.
M. François Autain a observé qu'aucune sanction n'a été prononcée depuis la création de l'Afssaps.
M. Claude Domeizel a demandé s'il existe des informations sur le nombre comparé de médicaments mis sur le marché dans les différents pays d'Europe, ainsi que sur le nombre comparé de visiteurs médicaux.
M. Alexandre Biosse Duplan a répondu qu'une étude de la CNAM indique que 58 % des consultations ne donnent pas lieu à prescription de médicaments en Hollande, contre 10 % en France, ce qui pose à nouveau la question du rôle des visiteurs médicaux.
M. Gérard Dériot a rejeté ce qui peut apparaître comme une mise en cause de la probité des médecins.
A une question de Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, sur la réglementation de la publicité en Europe, Mme Laure Lechertier a répondu que celle-ci est généralement réglementée de façon assez lâche.
A une question de M. Jean-Pierre Michel, souhaitant savoir quelle est la formation des visiteurs médicaux et si leur rôle est simplement de faire la promotion des produits, M. Alexandre Biosse Duplan a répondu que tel est effectivement le cas.
M. François Autain a souhaité avoir l'avis des intervenants sur le projet des entreprises du médicament (LEEM) en matière d'information médicale.
Audition de M. Philippe Even, professeur de médecine
Puis la commission a procédé à l'audition de M. Philippe Even, professeur de médecine.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a souhaité connaître l'opinion du professeur Philippe Even sur le niveau de pharmacovigilance en France par rapport à ses voisins européens et sur la mobilisation des professionnels de santé sur cette question.
M. Philippe Even a estimé satisfaisant le niveau de pharmacovigilance de la France, au regard de la situation de l'Allemagne et de la Grande-Bretagne. Le rapport du Congrès de pharmacovigilance, qui s'est tenu à Bordeaux au mois d'avril 2005, indique que les trente et un centres régionaux de pharmacovigilance fonctionnent correctement : ils ont recueilli près de 20.000 déclarations spontanées sur les effets indésirables de médicaments en 2004, ce qui constitue un taux de retour important pour un total de 50.000 médecins en activité.
Il a regretté que les informations ainsi obtenues ne soient pas publiques. Il a émis des doutes sur l'amélioration de la transparence avec la transposition prochaine de la directive européenne de 2004, rappelant que celle qui prévoit la publicité des votes et des débats des commissions d'experts n'est pas encore appliquée, bien que déjà transposée.
Il a fait valoir que les commissions ne disposent pas des moyens de travailler dans des conditions satisfaisantes. Il a également dénoncé le trop grand nombre d'experts liés à l'industrie pharmaceutique : c'est le cas de 60 % des 1.200 experts auxquels l'Association française de sécurité sanitaire et des produits de santé (Afssaps) fait appel. Parmi eux, 30 % ont plus de cinq contrats en cours avec des laboratoires et 10 % en sont actionnaires. Il s'est étonné, à cet égard, que le rapport d'activité 2003 de l'agence indique que les liens des experts avec l'industrie pharmaceutique constituent un atout dans l'exercice de leurs fonctions.
M. François Autain a estimé que la position de l'Afssaps s'explique par la croyance en une relation de causalité entre la compétence reconnue d'un médecin et les liens qu'il tisse avec les laboratoires. Il a en outre dénoncé le non-respect de la réglementation en matière de déclaration des conflits d'intérêts par 10 % des experts de l'agence.
M. Philippe Even a indiqué que la Food and Drug Administration (FDA) développe le même argumentaire que l'Afssaps sur cette question. Il a estimé que des experts trop liés à l'industrie pharmaceutique ne peuvent pas être juges et partie, et que de nombreux médecins indépendants méritent, au contraire, d'être intégrés aux procédures d'expertise.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a considéré que certains experts, indépendants ou pas, sont les seuls à être compétents sur des sujets très pointus.
M. Philippe Even a estimé que la compétence n'implique pas forcément l'existence de liens avec des laboratoires. Il a dénoncé les difficultés des commissions de mise sur le marché des médicaments à travailler sereinement. Il leur est, en effet, très difficile de refuser ou de ralentir un dossier du fait des pressions exercées par les laboratoires et par certains experts, et de l'absence d'un véritable contre-pouvoir.
Il a considéré que la situation à l'Afssaps n'est, sur ce point, pas pire que celle constatée à l'Agence européenne pour l'évaluation des médicaments (EMEA) et à la FDA.
Il a souhaité que les essais comparatifs soient rendus obligatoires avant la mise sur le marché d'un médicament pour juger de sa supériorité thérapeutique, rappelant que 90 % des produits autorisés correspondent largement aux caractéristiques de molécules existantes. Il a constaté qu'il est cependant délicat, pour une agence nationale ou l'EMEA, de refuser la mise sur le marché d'un médicament autorisé aux Etats-Unis, comme le montre l'exemple du Prozac.
Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, a interrogé le professeur Philippe Even sur le rôle du progrès thérapeutique, par rapport au respect du principe de précaution, dans les décisions de mise sur le marché.
M. Philippe Even a estimé que ces deux exigences peuvent être respectées en encadrant efficacement les prescriptions et en informant les patients sur les éventuels risques encourus.
Il a considéré que le problème principal réside dans l'élargissement de la prescription sous la pression de certains visiteurs médicaux. Leur nombre atteint 60.000 en France, soit bien plus qu'en Allemagne, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis par rapport au nombre de médecins. Il a ajouté que la supériorité thérapeutique des médicaments doit être mieux prise en compte. Seuls 15 % des médicaments obtiennent le label de nouveau produit par la commission de la transparence. Cette situation sous-optimale a des conséquences lourdes pour la sécurité sociale. Ainsi, le Plavix, qui n'est pas plus efficace que l'aspirine, est dix fois plus utilisé et vingt-cinq fois plus cher.
Rappelant les cas de décès dramatiques dus à la pilule RU 486, Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a demandé s'il existe beaucoup de médicaments d'utilisation courante dont la nocivité est encore inconnue.
M. Philippe Even a reconnu son incapacité à répondre en l'absence de données épidémiologiques connues.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, s'est interrogée sur les moyens d'assurer une véritable indépendance de l'expertise, notamment pour les praticiens hospitaliers et universitaires.
M. Philippe Even a redit sa conviction sur la nécessaire étanchéité complète entre l'expertise et l'industrie pharmaceutique. Il a reconnu que cette exigence est difficile à respecter pour des pathologies très particulières pour lesquelles les médecins sont peu nombreux.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a ajouté que tel peut également être le cas quand des médecins ont conçu eux-mêmes un médicament.
M. François Autain a demandé si la Haute Autorité en santé (HAS) permet d'améliorer l'information sur les médicaments.
S'agissant de la prescription, il s'est inquiété du taux très élevé de prescription des médecins français et du rôle des visiteurs médicaux en la matière : il s'est réjoui, à cet égard, de l'abandon du projet visant à confier l'information des médecins aux seuls visiteurs médicaux.
M. Philippe Even a salué la rigueur et l'honnêteté des membres de la HAS mais a émis des craintes sur son fonctionnement, compte tenu de la faiblesse de ses moyens et du caractère non obligatoire des avis rendus.
En ce qui concerne les prescriptions élargies, il a évoqué l'exemple des statines. Ces médicaments ont été autorisés pour prévenir les accidents cardio-vasculaires chez des patients à risque, notamment les grands diabétiques et les hypertendus, soit 300 à 400.000 personnes. Aujourd'hui, les statines sont utilisées de manière préventive par des patients atteints de cholestérol, soit trois à quatre fois plus de personnes, sans effet thérapeutique prouvé et pour un coût pour la sécurité sociale d'un milliard d'euros par an.
M. Gilbert Barbier, président, a souhaité que l'autorisation de mise sur le marché (AMM) soit dissociée de la décision de remboursement.
M. Philippe Even en a convenu mais a fait valoir qu'une telle mesure prête le flanc à la critique de ceux qui dénoncent une médecine « à deux vitesses ».
M. François Autain a demandé s'il paraît normal au professeur Philippe Even qu'un représentant des entreprises du médicament (LEEM) siège à la commission de la transparence à titre consultatif.
M. Philippe Even a considéré que toutes les parties doivent être entendues mais que le représentant du LEEM, très compétent, a souvent trop d'influence sur des experts angéliques ou, au contraire, insuffisamment indépendants.
M. François Autain a demandé si la récente initiative du LEEM de rendre publics les essais cliniques permettra d'améliorer leur lisibilité.
M. Philippe Even a indiqué que cette proposition s'inscrit dans un processus plus large. Les Etats-Unis sont à la veille de mettre en place un registre national des essais cliniques en cours. Le LEEM n'a donc fait que prendre les devants. Il a toutefois considéré que, plus que les essais, ce sont leurs résultats qu'il faut rendre publics.
Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, s'est interrogée sur la légitimité de donner des AMM pour les génériques qui concernent les 835 médicaments considérés inefficaces par la HAS.
M. Philippe Even a estimé que leur coût étant minime pour la sécurité sociale, le maintien du remboursement de ces médicaments et de leur générique ne pose pas de problème. Il convient plutôt de s'intéresser à l'efficacité des médicaments chers.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a demandé si la politique de prescription et l'information des malades à l'hôpital sont satisfaisantes.
Rappelant que les médicaments prescrits à l'hôpital représentent 16 % des dépenses de santé, M. Philippe Even a indiqué que la politique des hôpitaux en la matière ne pose pas de difficulté même si la mobilisation des médecins hospitaliers pour réduire certaines doses de médicaments et durées de traitement doit être poursuivie.
M. François Autain a interpellé le professeur Philippe Even sur le coût prohibitif de la recherche pour les laboratoires, estimé à 800 millions de dollars sur dix ans pour un médicament.
Citant l'ouvrage de Marcia Angel sur cette question, M. Philippe Even a indiqué que ce coût est largement surévalué. Il s'établit, en réalité, à environ 100 millions de dollars.
M. François Autain a demandé si, comme en Grande-Bretagne, on peut parler pour la France d'un système de santé financé par les laboratoires.
M. Philippe Even a indiqué que l'Allemagne et les Etats-Unis se trouvent également dans cette situation de dépendance financière. C'est moins vrai en France, même si les laboratoires contrôlent les leaders d'opinion que sont les journaux médicaux.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a demandé pour quelles raisons, si le coût de la recherche est moins important que prévu, les médicaments pédiatriques sont aussi peu développés.
M. Philippe Even a regretté de ne pas disposer d'éléments de réponse sur ce point.
S'agissant du coût de la recherche, il a précisé qu'il recouvre surtout l'achat du brevet aux chercheurs universitaires. Les laboratoires ne font plus eux-mêmes de recherche pure sur les molécules. Les chercheurs américains vivent de la vente de leurs brevets, ce qui n'est pas le cas en France et nuit au dynamisme de la recherche.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, s'est interrogée sur le peu d'études conduites sur la dangerosité de produits à forte valeur symbolique, comme les pilules contraceptives.
M. Philippe Even a reconnu qu'il est souvent tabou de les étudier.
Audition de M. Marc Girard, expert judiciaire près la cour d'appel de Versailles
Enfin la commission a procédé à l'audition de M. Marc Girard, expert judiciaire près la cour d'appel de Versailles.
M. Marc Girard a estimé que la dénonciation des travers de l'industrie pharmaceutique s'étend progressivement à l'ensemble des professionnels de santé.
Le débat a été longtemps occulté en France, à la différence des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Il a émergé lors de la crise ouverte par le retrait du Vioxx et intéresse désormais les experts, les journalistes, l'administration et les professionnels de santé.
Il a dénoncé l'inefficacité des verrous de sécurité contre les excès des laboratoires : l'expertise des administrations sanitaires, qu'il juge trop peu indépendantes et compétentes, et le respect des prescriptions.
En élargissant le champ des prescriptions autorisées, l'industrie pharmaceutique a réussi à développer son marché au-delà de la maladie pour intégrer la prévention. Tel est le cas des traitements longs et coûteux contre le cholestérol et les effets négatifs de la ménopause. Il a rappelé, à cet égard, la dépendance des médecins vis-à-vis des visiteurs médicaux en matière d'information.
Il s'est également attaché à démonter le lien de causalité entre la campagne de vaccination contre l'hépatite B de 1994 et la survenance de nombreux cas de sclérose en plaques. Il a notamment dénoncé les pressions du laboratoire Pasteur pour que soit choisi un protocole de vaccination plus lourd et coûteux que celui des autres pays. Le vaccin utilisé n'a en outre jamais reçu d'agrément international, ni de posologie pour les enfants. De fait, l'Afssaps suit actuellement une cohorte de 800 enfants atteints d'une sclérose en plaques, ce qui est extrêmement rare.
En ce qui concerne les experts, il a considéré qu'il faut sanctionner les experts défaillants mais aussi protéger ceux qui témoignent dans des procès ou exercent comme expert judiciaire et sont soumis aux pressions des laboratoires.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a demandé si le principe de précaution doit primer sur le progrès thérapeutique dans les décisions de mise sur le marché.
M. Marc Girard a estimé que la question ne peut se poser en ces termes, considérant, d'une part, que l'innovation est inexistante depuis vingt ans, d'autre part, que le principe de précaution n'existe pas en matière médicale. Il s'agit uniquement du principe de prudence hippocratique.
Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, a demandé quelles sont les évolutions des contentieux liés à des risques médicamenteux.
M. Marc Girard a fait état d'une augmentation dramatique des contentieux. Les juges sont de plus en plus sollicités pour réguler le risque médical. Récemment, soixante-dix décisions ont débouté des associations de victimes du vaccin contre l'hépatite B.
Il a estimé que la justice ne peut toutefois s'exercer sereinement, compte tenu du faible nombre d'experts judiciaires compétents et indépendants et de l'inégalité des moyens entre les victimes et les laboratoires.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, s'est ensuite interrogée sur la possibilité de réserver l'expertise à des médecins indépendants.
M. Marc Girard a indiqué qu'il est difficile, pour l'Afssaps, de trouver des experts indépendants compétents sur des sujets très pointus.
Concernant le risque de sclérose en plaques lié au vaccin contre l'hépatite B, M. François Autain a demandé comment il est possible de prouver un lien de causalité, dont il a rappelé qu'il a été réfuté par la Conférence du consensus en novembre 2004. Il a demandé si une analyse des risques a été effectuée avant le lancement de la campagne de 1994.
M. Marc Girard a indiqué qu'aucune étude n'a été publiée sur le rapport bénéfice/risque de la vaccination. Il a ajouté que l'épidémiologie de l'hépatite B est aujourd'hui inconnue en France : les incertitudes varient de un à sept sur le nombre de personnes atteintes.
On savait que le risque de doubler le nombre de scléroses en plaques - 50.000 cas en 1994 - existait. Il a été assumé, alors que le nombre de cas de complications hépatiques évitées par le vaccin est certainement inférieur à 50.000.
M. François Autain s'est étonné des contradictions de l'administration, qui réfute le lien de causalité entre le vaccin et la sclérose en plaques, mais accepte d'indemniser les victimes aux termes de l'article 3111-9 du code de la santé publique, qui obéit pourtant à une relation de causalité.
Il a demandé, par ailleurs, s'il est exact que l'un des experts ayant participé à l'étude du dossier d'AMM des statines a été rémunéré par Bayer pour étudier ce produit.
M. Marc Girard n'a pas confirmé cette allégation, mais a indiqué que certains experts n'ont pas produit de déclaration d'intérêt.