Mardi 22 novembre 2005
- Présidence de M. Gilbert Barbier, président -
Audition de MM. Yannick Pletan, vice-président des affaires médicales, et Bruno Rivals, directeur des affaires publiques de Pfizer
La mission d'information a tout d'abord procédé à l'audition de MM. Yannick Pletan, vice-président des affaires médicales, et Bruno Rivals, directeur des affaires publiques du laboratoire Pfizer.
S'étonnant que le laboratoire Pfizer soit auditionné à sa demande sans que le bureau de la mission n'ait été préalablement consulté, M. François Autain a demandé que le bureau soit réuni pour discuter des prochaines auditions de la mission et a souhaité que le laboratoire Merck, responsable de la crise du Vioxx, soit également entendu.
M. Yannick Pletan, vice-président des affaires médicales du laboratoire Pfizer, a rappelé que Pfizer est le premier opérateur mondial sur le marché du médicament, le deuxième au niveau européen et sur le plan national, après Sanofi-Aventis, avec 8 % des parts de marché en France. Il emploie 5.000 personnes en France, dont 1.300 délégués médicaux.
Pfizer consacre, chaque année, 6 milliards d'euros à la recherche et au développement. Il emploie 12.000 chercheurs, dont 340 en France (250 dans le centre d'Amboise et 90 en recherche clinique) et 4.000 en Grande-Bretagne. Les autres emplois se répartissent essentiellement entre les Etats-Unis et le Japon. Ces statistiques témoignent de la faible attractivité de la France pour installer des activités de recherche, notamment clinique.
Le coeur de l'activité de Pfizer est constitué des médicaments cardio-vasculaires, en particulier le Tahor, première statine vendue dans le monde et en France. A l'avenir, le laboratoire souhaite développer son activité dans le domaine de la cancérologie et des addictions, en particulier au tabac.
A Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, qui demandait si Pfizer compte investir également dans le traitement de l'alcoologie, M. Yannick Pletan a indiqué que des recherches sont en cours en la matière.
Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, a demandé aux représentants du laboratoire Pfizer quel degré de responsabilité peuvent avoir les élargissements de prescriptions sur les accidents médicamenteux et si les visiteurs médicaux jouent un rôle dans cet élargissement.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a demandé s'il arrive à Pfizer de mettre sur le marché des médicaments pour lesquels un doute subsiste sur les effets indésirables possibles.
M. Yannick Pletan a estimé qu'il n'y a pas de doute sur la justesse de la décision réglementaire prise par les agences sanitaires. Le rapport bénéfices/risques est connu pour 99 % des risques avant la mise sur le marché d'un médicament, même s'il peut évoluer dans le temps. Le risque se définit par son taux de fréquence et la connaissance qu'en ont les professionnels de santé et la population. Les accidents médicamenteux sont le plus souvent liés à des risques connus et sont évitables dans 15 à 80 % des cas, notamment lorsqu'ils résultent d'un accident domestique. Il faut donc travailler sur cet aspect en renforçant le bon usage des médicaments par les professionnels et le grand public pour éviter la survenance des risques connus.
Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, a indiqué que la revue « Prescrire » estime que dans 74 % des visites médicales, les effets indésirables des médicaments sont passés sous silence par les délégués médicaux.
M. Yannick Pletan a considéré que « Prescrire » ne constitue pas une publication scientifique.
M. François Autain a demandé quel groupe de pression se trouve derrière cette revue.
M. Yannick Pletan s'est déclaré incompétent pour répondre à cette question. Il a indiqué que, pour découvrir un risque encouru, l'exposition d'une large population au médicament est nécessaire. Plus la commercialisation de masse est lente, plus ce risque apparaît tardivement et moins la prévention est efficace, notamment quand le médicament est entré dans les usages des praticiens et des patients.
Il a rappelé que le code de la santé publique attribue aux visiteurs médicaux un rôle de démarchage et de promotion des produits. A cause du caractère de plus en plus complexe des médicaments et des études, les visiteurs médicaux diffusent désormais une information médicale sur les bons usages et les interactions risquées. La Charte de la visite médicale, signée entre Les entreprises du médicament (LEEM) et le comité économique des produits de santé (CEPS), oblige les délégués médicaux à fournir au médecin l'avis de la commission de la transparence et une fiche technique sur les caractéristiques du produit.
M. Gilbert Barbier, président, a demandé quelles sont les conditions de travail des visiteurs médicaux.
M. Yannick Pletan a indiqué que les délégués médicaux sont recrutés à un niveau minimum du bac + 2. Ils bénéficient ensuite d'une formation diplômante de neuf mois, dont trois mois passés sur le terrain. Ils sont embauchés, pour la majorité, sous un régime de contrat à durée indéterminée (CDI). Leur rémunération comprend une part variable en fonction de leurs ventes et de la qualité de l'information diffusée aux médecins. Enfin, leur activité est contrôlée par le pharmacien responsable de l'entreprise.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a interrogé les représentants du laboratoire Pfizer sur le rôle des études post-autorisation de mise sur le marché (AMM) pour la sécurité des patients et sur leur financement par les laboratoires pharmaceutiques.
En ce qui concerne la statine Tahor, M. Yannick Pletan a indiqué que 60.000 patients ont fait l'objet d'essais post-AMM. Les études sont publiées et connues de la communauté scientifique.
M. François Autain a souhaité connaître le montant du budget consacré chaque année par Pfizer, respectivement à la recherche - développement et au marketing.
M. Yannick Pletan a indiqué qu'au niveau mondial, 12 % du budget sont affectés à la recherche et au développement et 10 % au marketing. Il a rappelé que l'industrie pharmaceutique est la première au monde en matière de recherche et de développement.
M. François Autain a demandé quelle a été la somme affectée à la recherche sur la molécule du Tahor.
M. Yannick Pletan a indiqué que 500 à 600 millions d'euros ont été consacrés à cette recherche, en lien avec le laboratoire Parke-Davis, puis 2 à 3 milliards d'euros aux études de morbi-mortalité après la mise sur le marché du médicament.
Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, s'est interrogée sur les dispositifs mis en place en matière de pharmacovigilance pour la sécurité des patients.
M. Yannick Pletan a rappelé que la France est, depuis vingt-cinq ans, très en avance en matière de pharmacovigilance grâce aux déclarations des médecins à l'Afssaps et aux contrôles effectués par les laboratoires. Une forte culture existe sur ce point chez les médecins et les délégués médicaux.
M. François Autain a interrogé les représentants de Pfizer sur les résultats de l'effet CLASS sur le Celebrex.
M. Yannick Pletan a indiqué qu'après la crise ouverte par le retrait du Vioxx, la commission de la transparence a confirmé le service médical rendu par le Celebrex, comme l'ont fait également l'Agence européenne pour l'évaluation des médicaments (EMEA) et la Food and Drug Administration (FDA) américaine. L'AMM a simplement été modifiée pour préciser les précautions d'usage.
Concernant la sanction prise à leur endroit par l'Afssaps, il a indiqué que la commission de la publicité a estimé que le projet de lettre informative de Pfizer destinée aux médecins sur les effets du Celebrex était trop affirmative compte tenu des résultats des études. Or, ces études ne montraient pas, à l'époque, de risque cardio-vasculaire, celui-ci n'ayant été connu que six mois plus tard. Il est apparu dans certains cas d'utilisation à fortes doses par des patients très spécifiques, alors que le Vioxx présentait un risque sur de plus larges cohortes avec une utilisation normale.
Il a estimé que les études post-AMM doivent être développées pour identifier les risques sur des groupes plus importants que lors des essais cliniques.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a demandé pour quelles raisons cette extension des panels n'est pas prévue avant la mise sur le marché des médicaments, afin d'identifier le maximum de risques.
M. Yannick Pletan a estimé que cette hypothèse ne se pose pas dans le cas du Celebrex, puisque le risque cardio-vasculaire n'a pas été découvert à la suite de la commercialisation du médicament à grande échelle, mais lorsque son utilisation a été testée, en vue d'une extension d'AMM, sur une population souffrant d'une maladie particulière.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a demandé si les experts de l'Afssaps et de la commission de la transparence peuvent véritablement être indépendants par rapport à l'industrie pharmaceutique.
M. Yannick Pletan a considéré, le nombre d'experts étant limité, que ces derniers fréquentent obligatoirement les laboratoires à l'occasion de colloques et de congrès.
M. Gilbert Barbier, président, a demandé si les comptes rendus des débats et des votes des commissions doivent être rendus publics.
M. Yannick Pletan a estimé qu'il s'agit d'un droit du citoyen à l'information.
M. François Autain a fait part d'un article du quotidien « Le Parisien » sur les risques du Celebrex.
M. Yannick Pletan a estimé que le risque est inhérent au médicament, mais que tous les effets indésirables subis par les patients ne sont pas imputables à la prise de médicaments.
Audition de M. Bruno Toussaint, directeur de la revue « Prescrire »
Puis la commission a procédé à l'audition de M. Bruno Toussaint, directeur de la revue « Prescrire ».
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a demandé à M. Bruno Toussaint si, selon lui, la publicité des laboratoires pharmaceutiques a sa place dans les publications médicales.
M. Bruno Toussaint, directeur de « Prescrire », a rappelé que cette revue a été fondée en 1980 et a bénéficié pendant une dizaine d'années d'une subvention du ministère de la santé. Depuis douze ans, elle est exclusivement financée par les abonnements et totalement indépendante de l'industrie pharmaceutique et de l'Etat. « Prescrire » compte aujourd'hui 29.500 abonnés, notamment des médecins et des pharmaciens, mais aussi quelques laboratoires. Si une publication médicale veut être rentable, elle doit accepter d'être pour partie financée par la publicité, même si elle doit alors perdre son indépendance.
Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, s'est interrogée sur le rôle joué par les visiteurs médicaux auprès des praticiens, notamment sur leur responsabilité en matière d'élargissement des prescriptions susceptibles d'entraîner des accidents médicamenteux.
Elle a rappelé que la revue « Prescrire » conteste, à cet égard, le contenu de l'information diffusée aux médecins par les visiteurs médicaux.
M. Bruno Toussaint a indiqué que les résultats de l'enquête de « Prescrire » sur les visites médicales ont été obtenus à partir d'un réseau de médecins volontaires qui décrivent ces visites à la revue. Il a estimé que, l'objectif étant de vendre la plus grande quantité possible de médicaments, les délégués médicaux ne sont pas incités à informer les médecins des effets indésirables et des précautions d'emploi nécessaires.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a considéré que le médecin demeure responsable, malgré tout, du contenu de l'ordonnance qu'il prescrit.
M. Gilbert Barbier, président, a demandé si les laboratoires incitent volontairement leurs visiteurs médicaux à cacher des informations.
M. Bruno Toussaint a estimé que, sans cacher systématiquement des informations, les bénéfices des médicaments sont toujours présentés avant les risques. La Charte de la visite médicale n'a pas modifié les comportements en la matière.
M. Alain Milon a fait part de son expérience de médecin généraliste qui, pendant vingt ans, a reçu des délégués médicaux une fois par semaine. Il a estimé que, la plupart du temps, les risques médicamenteux sont connus des médecins, d'autant que la majorité des médicaments nouveaux sont des génériques : seules 15 à 20 nouvelles molécules sont en effet mises sur le marché chaque année. Pour ces nouvelles molécules, l'information sur les risques est, à son sens, correctement diffusée par les visiteurs médicaux, spontanément ou à la suite d'un questionnement du médecin.
M. Bruno Toussaint a estimé que l'information transmise par les délégués médicaux ne peut, compte tenu de leur fonction même, être équilibrée.
M. François Autain a confirmé cette analyse en indiquant que, durant son expérience professionnelle entre 1964 et 1978, aucune information n'était disponible sur les contre-indications médicamenteuses. Rappelant les propos tenus par l'Afssaps, durant son audition par la mission, sur le risque de considérer la supériorité thérapeutique comme critère de l'AMM, alors que le bénéfice d'un médicament peut se révéler à l'usage, il a demandé quelle fiabilité peut être accordée aux essais pré-AMM actuels.
Prenant pour exemple les différentes statines mises progressivement sur le marché sans supériorité thérapeutique prouvée, M. Bruno Toussaint a estimé que des études comparatives doivent être menées en amont des décisions d'AMM. Cela aurait évité la mise sur le marché du Vioxx, dont on sait aujourd'hui qu'il n'apportait aucun progrès thérapeutique.
Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, a interrogé M. Bruno Toussaint sur la possibilité de disposer d'une expertise indépendante pour les études pré et post-AMM. Elle a demandé si la procédure européenne est plus transparente que celle de l'Afssaps en termes de diffusion des résultats des études.
M. Bruno Toussaint a considéré que l'expertise doit toujours être indépendante de l'industrie pharmaceutique. Pour des maladies rares, il convient alors de faire appel à des experts d'autres pays européens ou de financer des études publiques.
Il a confirmé que les procédures de l'Agence européenne pour l'évaluation des médicaments (EMEA) et de la Food and Drug Administration (FDA) américaine sont plus transparentes que celles de l'Afssaps grâce à la mise à disposition de données sur les médicaments. Il a déploré que la transposition de la directive européenne de 2004 n'ait pas amélioré la politique de l'Agence en la matière.
M. François Autain a demandé s'il est plausible que la commission de la transparence, comme l'a affirmé l'Afssaps lors de son audition, n'ait pas eu à sa disposition l'étude Vigor de 2000 lors de la décision d'AMM du Vioxx et du Celebrex en 2001.
M. Bruno Toussaint a rappelé que la commission de la transparence se prononce à partir de données fournies par les laboratoires.
M. François Autain a souhaité que la commission d'information procède à l'audition du président de la commission de la transparence à l'époque de ces événements. Il a demandé s'il faut apporter du crédit aux propos tenus par les représentants du laboratoire Pfizer devant la mission lorsqu'ils affirment que les risques cardio-vasculaires étaient ignorés au moment de la mise sur le marché du Celebrex.
M. Bruno Toussaint a rappelé que les anti-inflammatoires ont toujours contenu un risque cardio-vasculaire. Tout laissait donc craindre qu'il en serait de même avec le Celebrex. Il aurait fallu, en conséquence, mieux formuler les exigences sur son usage, ce qui n'a pas été fait dans le cas du Vioxx. En outre, l'essai CLASS n'a pas montré un intérêt thérapeutique du Celebrex par rapport à l'Ibuprofène. Il a rappelé que 5 % des séjours hospitaliers sont liés à des effets médicamenteux indésirables.
M. François Autain s'est interrogé sur la possibilité de modifier les critères d'AMM et de mettre en place un financement de l'Afssaps indépendant des laboratoires. Il a demandé si les résultats de l'étude CADEUS sont publiés.
M. Bruno Toussaint a indiqué qu'à sa connaissance, les résultats de cette étude ne sont pas diffusés. Il a confirmé le conflit d'intérêt né du mode de financement de l'Afssaps, qui incite l'Agence à délivrer un nombre important d'AMM. Il a souhaité que l'AMM soit décidée en fonction de la supériorité thérapeutique du médicament, ce qui incitera les firmes à développer la recherche.