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DÉLÉGATION À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DU TERRITOIRE

Jeudi 24 octobre 2002

- Présidence de M. Jean François-Poncet, président -

Audition de M. Philippe Perrier-Cornet, directeur de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), directeur du laboratoire « Unité mixte de recherche » de l'INRA-ESA de Dijon

La délégation a procédé à l'audition de M. Philippe Perrier-Cornet, directeur de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), directeur du laboratoire de l'« Unité mixte de recherche » de Dijon sur l'économie et les sociologies rurales.

Après avoir mentionné sa participation aux travaux du groupe de prospective de la DATAR sur les espaces ruraux, du groupe de travail du Commissariat général du Plan sur l'évaluation des politiques rurales, et du groupe interministériel de préparation de la loi rurale, M. Philippe Perrier-Cornet a présenté les grandes tendances actuelles de la mutation de l'espace rural, pour en dégager les possibles perspectives.

Définissant « l'espace rural » comme l'ensemble des espaces de faible densité démographique « à dominante rurale » et des « espaces ruraux périurbains », correspondant à la définition que l'INSEE donne des « aires urbaines », il a souligné, à titre liminaire :

- qu'en raison de la mobilité nouvelle tant des populations que des activités et des emplois, l'espace rural ne saurait désormais être étudié indépendamment des interactions existant entre ville et campagne ;

- que l'espace rural connaissait une multifonctionnalité croissante en termes des projets, d'usages et d'activité, qui pouvait susciter des tensions.

M. Philippe Perrier-Cornet a ainsi décrit plus précisément les trois fonctions aujourd'hui assurées par la campagne :

- la fonction traditionnelle, et quasi-unique jusqu'à la fin des années soixante, de support de l'activité économique et de production de ressources, essentiellement agricoles ;

- la fonction résidentielle (cadre de vie, loisirs, détente), qui s'accélère depuis 1970 (depuis 1975, on constate, entre chaque recensement, que 3 millions d' « urbains » s'installent en milieu rural) et qui tend à devenir prépondérante ;

- la fonction éco-systémique (préservation des ressources naturelles dans une perspective de biodiversité durable, à l'usage des générations futures, et de prévention des catastrophes naturelles), encore ténue mais émergente, et également controversée.

S'agissant des observations tirées du dernier recensement (1999), M. Philippe Perrier-Cornet a souligné :

- l'intensification du mouvement de renaissance rurale, dont témoigne le fait que plus de la moitié des communes rurales (dont la quasi-totalité du rural périurbain) ont gagné de la population en dix ans ;

- et son extensification, plutôt que sa densification, ce qui signifie que la périurbanisation se poursuit plus par l'augmentation de la population des communes situées dans l'espace à dominante rurale (au point que 5 000 communes ont quitté ce groupe entre les deux recensements, pour être désormais classées dans celui des aires urbaines) que par un accroissement de celle des communes déjà périurbaines ; en d'autres termes, les couronnes périphériques des centres urbains s'élargissent.

Il a ajouté que les facteurs de repeuplement de l'espace rural étaient, selon lui, au nombre de quatre. Si le principal d'entre eux est actuellement le phénomène des « navetteurs », ces jeunes actifs de 25 à 35 ans qui travaillent en ville, mais s'installent en famille à la campagne, et effectuent quotidiennement des déplacements domicile/travail sur des distances qui peuvent aller jusqu'à 50 kilomètres (ce qui explique l'importance essentielle des infrastructures de transport comme déterminant de leur choix de vie), M. Philippe Perrier-Cornet a indiqué que trois autres facteurs pouvaient se développer dans les années à venir :

- la migration des retraités, dont le flux est déjà visible et qui devrait fortement s'accroître en stock, ne serait-ce que parce qu'en 2020, un tiers de la population française aura plus de 60 ans ; son intensité dépendra des conditions de l'offre d'équipements et de services de proximité (notamment de soins et de santé), ainsi que d'une logique de transferts de revenus ;

- l'installation de migrants européens, selon un modèle totalement différent de celui des années soixante, où prédominait une main-d'oeuvre urbaine bon marché ; cette donnée nouvelle, bien que limitée au plan global, devient déjà significative dans certains cantons ruraux du Sud-Ouest de la France et devrait se renforcer à mesure de l'intégration européenne et de l'amélioration de l'attractivité française par rapport aux espaces des autres Etats membres ;

- le développement de la bi, voire de la multi-résidentialité (cadres et professions intellectuelles partageant leur temps de travail entre ville et campagne), dont les perspectives, notamment en termes qualitatifs, représentent un facteur non négligeable.

En ce qui concerne les activités économiques, M. Philippe Perrier-Cornet a relevé trois tendances :

- le rural n'est plus synonyme d'agriculture ; alors que l'espace rural périurbain représente 35 % du territoire, il accueille 46 % des agriculteurs ; à l'inverse, ceux-ci ne représentent plus que 8,5 % des actifs installés dans les espaces à dominante rurale (et 14 % si on extrait les « navetteurs ») et 4 % des actifs vivant dans les aires urbaines (et 8 % si on extrait les « alternants ») ;

- le rural est, et reste, beaucoup plus industriel qu'on ne le croit ; 25 % de l'emploi est industriel en milieu rural, alors que ce taux n'est que de 20 % en milieu urbain ; en outre, l'emploi industriel a tendance à se maintenir dans l'espace rural, alors qu'il diminue globalement dans la structure des emplois depuis de nombreuses années, ceci étant particulièrement vrai pour les secteurs traditionnels en crise, tels que le textile ; enfin, on observe une délocalisation d'activités industrielles vers le milieu rural, en particulier périurbain. Répondant à M. Jean François-Poncet, président, qui l'interrogeait sur les facteurs expliquant ce dernier phénomène, M. Philippe Perrier-Cornet a cité les moindres coûts du travail (estimé à 7 % toutes choses égales par ailleurs) et du foncier, la plus grande stabilité de la main-d'oeuvre, sa proximité et son attachement « affectif » à l'entreprise plus important, ainsi que la logique d'expulsion des activités industrielles des centres urbains pour des raisons foncières, sécuritaires et écologiques ;

- enfin, le rural est « tiré » par l'économie résidentielle (c'est-à-dire le commerce, les services aux personnes, les services publics...) qui, en très forte progression, représente désormais plus de 45 % des emplois ruraux.

S'agissant de la fonction « écologique » de l'espace rural et de la problématique du développement durable,M. Philippe Perrier-Cornet a indiqué que, contrairement aux deux autres fonctions nées des comportements naturels des acteurs locaux, leur émergence résultait très directement d'une volonté politique et de la mise en oeuvre de dispositifs publics à tous les niveaux, national, européen (« Natura 2000 », « zones humides », etc.), voire mondial. Toutefois, relevant que cette préoccupation, qui était désormais intégrée transversalement dans toutes les politiques et activités et non pas limitée à des zones délimitées de préservation des espaces naturels, devait être acceptée par les acteurs locaux pour être efficacement prise en compte, il a souligné que les outils du dialogue entre le « haut » et le « bas » restaient à définir. Or, compte tenu des contraintes de plus en plus fortes que cette fonction fait peser sur le tissu démographique, économique et social, M. Philippe Perrier-Cornet a estimé qu'une telle question méthodologique constituait un enjeu primordial.

Abordant enfin les perspectives ouvertes à l'horizon 2020 par ces transformations structurelles, M. Philippe Perrier-Cornet a distingué quatre scénarii, qui ouvrent des choix différents de politiques publiques d'aménagement :

- le premier scénario est celui de la poursuite de la tendance à la périurbanisation résidentielle, qui conduit à un continuum d'occupation du territoire et à un accroissement significatif de la démographie rurale, l'agriculture devenant une activité résiduelle ; ce scénario est toutefois subordonné à l'absence de toute « crise de la mobilité », consécutive par exemple à une « crise pétrolière », puisque la population « alternante » travaillant à la ville devient prépondérante ; en outre, il est conditionné par l'atténuation de la problématique écologique dans le champ politique et sociétal (puisque la pollution et les coûts énergétiques seraient importants dans cette hypothèse) ;

- le deuxième scénario est exactement opposé : pour des raisons de développement durable, le modèle précédent est stigmatisé pour son coût collectif et un volontarisme politique dégage les moyens pour que la ville se recentre sur elle-même en luttant contre les phénomènes qui l'affectent actuellement, telle l'insécurité ; la dichotomie urbain/rural s'en trouve renforcée, la première couronne périurbaine se densifiant tandis que l'espace à dominante rurale se dépeuple à nouveau ; l'agriculture, grâce en particulier à une réorientation de la politique agricole commune (PAC) se transforme, se modernise et devient hautement technologique, propre et compétitive, pour produire tout en intégrant totalement les préoccupations environnementalistes ; ce scénario contre-tendantiel et volontariste, qui donne le pouvoir politique aux élus des villes et des grandes agglomérations, est toutefois tributaire d'un très important investissement des finances publiques, nationales (politique de rénovation urbaine) et européennes (PAC) ;

- le troisième scénario est proche du précédent, à ceci près que la puissance publique ne dispose pas des moyens de sa politique : ce sont par conséquent les activités marchandes qui, se substituant à l'économie administrée, régulent les flux et déterminent les arbitrages ; dans ce modèle, l'agriculture est affaiblie et ne trouve son salut que dans le cadre d'un marché de la nature (du type lutte contre la pollution) ;

- le quatrième et dernier scénario est celui des « pays et des entrepreneurs ruraux », où l'emploi rejoint l'espace rural grâce à un réseau de PME disséminées se présentant comme une alternative à la grande entreprise concentrée ; le rapprochement de l'emploi et de la résidence résulte de l'implication des élus locaux dans une logique de pays faite pour attirer les activités et les populations ; la « difficulté » de ce modèle tient au renforcement de la concurrence entre les espaces qu'il induit, certains pays gagnant ce que d'autres perdent dans un jeu à somme nulle avec le risque, si aucune intervention régulatrice nationale ne vient remettre en cause les inégalités régionales, de l'irréversibilité de l'appauvrissement de certains territoires.

Après avoir exprimé son plein accord avec l'analyse de l'orateur, soulignant qu'il en constatait quotidiennement la réalité dans son département, M. Jean François-Poncet, président, s'est interrogé sur la notion de « pays » et sur les difficultés de faire collaborer une ville-centre avec sa périphérie dans une démarche de développement, estimant à cet égard plus opportun de favoriser le concept de « pôles ruraux » organisés autour de petits bourgs.

Après avoir relevé que le débat sur les « pays » datait de trente ans et que la loi Voynet, à cet égard, ne rompait avec le passé qu'en introduisant l'incitation à l'association de la ville et de la campagne au nom d'une certaine cohérence du développement, M. Philippe Perrier-Cornet a indiqué, en réponse, qu'une étude était actuellement entreprise pour comparer la logique interne des « pays » créés dans le cadre de la loi Voynet avec celle qui constituait le modèle que voulait instituer cette loi. Si en effet, a-t-il poursuivi, certains « pays » respectent ce modèle, il semble que d'autres se sont créés sur des logiques différentes : les « pays » organisés autour de petits pôles ruraux de cinq à six mille habitants, les « pays de résistance » institués par des communes périurbaines autour et contre la ville-centre, et enfin les « pays multipolaires » qui associent en réalité deux agglomérations moyennes, l'espace rural interstitiel y étant intégré, mais pas décisif, au plan tant économique que politique.

S'agissant des perspectives à l'horizon 2020, M. Jean François-Poncet, président, s'est montré dubitatif quant à la probabilité du deuxième scénario, estimant qu'il ne semblait pas tenir compte du phénomène de l'immigration, particulièrement prégnant en milieu urbain, et qu'il supposait des moyens financiers exorbitants. Il a en revanche considéré que les termes de l'alternative paraissaient se situer entre le premier et le dernier scénarii, relevant que la problématique concernait les rapports entre résidence et emploi. A cet égard, il a exprimé tout son intérêt pour le premier scénario, mais aussi pour le quatrième, qui s'avèrerait peut-être plus conforme à la logique du développement durable.

Puis MM. Jean François-Poncet, président, et Philippe Perrier-Cornet ont abordé tour à tour plusieurs points :

- les exemples américain, italien et néerlandais ;

- le rôle marginal des nouvelles technologies de l'information et de la communication dans le développement de l'emploi dans les espaces ruraux et celui, au contraire déterminant, des services aux personnes ;

- la délocalisation possible à l'étranger des activités industrielles à forte utilisation de main-d'oeuvre pour des raisons de coût salarial ;

- l'alternative coût du foncier/coût des transports dans les choix de localisation résidentielle des Français ;

- la création d'entreprises comme variable du dynamisme économique et de l'emploi en milieu rural.