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DÉLÉGATION À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DU TERRITOIRE

Mardi 17 septembre 2002

- Présidence de M. Jean François-Poncet, président -

Audition de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, accompagné de M. Nicolas Jacquet, délégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale

La délégation a procédé à l'audition de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, accompagné de M. Nicolas Jacquet, délégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale.

Après l'intervention de M. Jean François-Poncet, président, qui a rappelé l'intérêt tout particulier que porte traditionnellement le Sénat à l'aménagement du territoire, M. Jean-Paul Delevoye a présenté les trois objectifs de son action, placée sous le signe du développement des territoires et de leurs complémentarités : renforcer l'attractivité économique des territoires, analyser et anticiper les mutations économiques et sociétales pour favoriser l'adaptation des territoires, donner davantage de libertés aux collectivités locales en accompagnant ce mouvement par un approfondissement des solidarités entre les territoires afin d'éviter tout accroissement de la fracture territoriale. Pour garantir l'efficacité de l'effet de levier de l'argent public, des contrats d'objectifs seront institués. A cet égard, le ministre a rappelé les deux premières décisions qu'il a prises pour supprimer les freins aux procédures qui neutralisent l'action publique locale : l'activation et la simplification des procédures d'attribution des fonds structurels européens, accompagnées d'une expérimentation de gestion directe par une région (Alsace), et le réexamen de plusieurs projets d'infrastructures de transport dans l'attente d'un grand débat national, au Parlement notamment, effectué sur le fondement d'une étude prospective et de propositions commandées à la DATAR.

M. Jean-Paul Delevoye a ensuite estimé nécessaire de procéder à une coordination entre les lois Gayssot, Chevènement et Voynet et de les inscrire dans une logique nouvelle de développement, et a assuré que la réflexion sur la téléphonie mobile et le haut débit pour parvenir à la couverture totale du territoire dans les trois ans serait menée en étroite liaison avec les élus locaux. Il a encore préconisé une multiplication des possibilités d'expérimentations accordées aux collectivités locales afin de tester l'efficacité des projets de politiques publiques avant leur généralisation et considéré que la réussite de la décentralisation et d'une politique d'aménagement du territoire impliquant les acteurs locaux passait nécessairement par celle de la réforme de l'Etat.

Se réjouissant que l'état d'esprit et la volonté du Gouvernement rejoignent ceux de la délégation, M. Jean François-Poncet, président, a estimé qu'aucune politique ambitieuse d'aménagement du territoire n'avait été entreprise depuis dix ans. Observant que les financements provenaient essentiellement des fonds structurels européens et des contrats de plan Etat-régions, et relevant que les lois votées sous la précédente législature ne contenaient rien de réellement concret, au contraire de la loi Pasqua, il a estimé nécessaire non pas de réformer l'actuelle législation, mais d'adopter une loi nouvelle, ambitieuse et cohérente, en faveur de l'aménagement du territoire.

Il a ensuite émis le souhait de disposer d'un bilan sur l'état actuel des territoires, qui devrait selon lui démontrer que les évolutions sont plus complexes que la seule « métropolisation » chère à la DATAR et qu'en particulier, l'espace rural connaît aujourd'hui une vocation résidentielle, ce mouvement nouveau ne faisant au demeurant que confirmer celui observé à l'étranger (Grande-Bretagne et USA, notamment).

Un réexamen des postulats sur lesquels est fondée la politique d'aménagement du territoire devrait être ensuite tiré de ce bilan.

Enfin, observant que la décentralisation, si elle n'est pas accompagnée d'une loi de solidarité financière entre les collectivités, conduit inéluctablement à enrichir les plus riches d'entre elles et à appauvrir les autres, M. Jean François-Poncet, président, a appelé à la mise en oeuvre d'une politique ambitieuse en ce domaine qui, compte tenu des échecs des lois Pasqua et Voynet en matière de péréquation, semble devoir passer par l'instauration de mécanismes législatifs impliquant l'Etat.

En conclusion, il a assuré le ministre de la collaboration active de la délégation à la définition d'actions concrètes en faveur de l'aménagement du territoire, et conformes aux ambitions exprimées par le président de la République et par le Premier ministre.

A l'issue de ces interventions, un débat s'est ouvert.

M. Claude Belot a évoqué les difficultés posées à l'organisation des pays et des communautés de communes par la fixation légale des seuils ouvrant droit aux financements, dénonçant le caractère artificiel et donc coûteux de certains regroupements et appelant à laisser aux acteurs locaux la liberté de définir la dimension des structures de coopération en fonction des réalités du terrain. Par ailleurs, fustigeant la complexité rédactionnelle des documents et formulaires propres aux dispositifs de financement, notamment ceux émanant de la DATAR, ainsi que la lourdeur des procédures d'instruction et de contrôle, et relevant qu'elles décourageaient les acteurs locaux, généraient des retards voire des annulations de projets et s'avéraient par conséquent extrêmement coûteuses, il a préconisé un profond effort de simplification.

Observant que, malgré des prélèvements de plus en plus importants, l'Etat investit désormais moitié moins que les collectivités locales alors qu'il investissait deux fois plus qu'elles dans le passé, M. Jacques Oudin a suggéré une nouvelle approche de l'aménagement du territoire de manière à permettre de dégager à nouveau des marges de manoeuvre financières, susceptibles en particulier de favoriser la péréquation. Prenant pour exemple le Japon, il a estimé nécessaire de revenir à une logique de schémas de structures qui rende possible la définition de stratégies à long terme en matière d'investissements en infrastructures de transports, qui à l'évidence sont essentielles pour la structuration économique des territoires.

Après avoir estimé que les propos du ministre s'inscrivaient dans la continuité de ceux de ses prédécesseurs quant à la permanence des problèmes et aux amorces de réponse, M. Claude Saunier s'est interrogé sur le devenir des contrats de service, considérant dangereux d'abandonner ces outils qui permettent à l'Etat d'élaborer une stratégie à long terme et de définir ses engagements dans des domaines essentiels.

Puis, déplorant la dégradation dans l'usage des fonds structurels européens résultant de la bureaucratisation des dispositifs, il s'est inquiété de la dévolution de la responsabilité de leur gestion à la région, estimant cette collectivité trop éloignée des réalités locales des projets.

S'agissant de la nécessaire mise en cohérence des différentes lois intéressant l'aménagement du territoire, il a souhaité qu'aucune altération majeure ne soit apportée à des dispositifs qui fonctionnent et auxquels se sont remarquablement adaptés les élus locaux qui, selon lui, ont aujourd'hui besoin de stabilité et de lisibilité. Enfin, il a comme ses collègues jugé indispensable que l'Etat se donne à nouveau les moyens de son ambition et engage des moyens financiers dans des projets structurants.

M. François Gerbaud a demandé au ministre s'il serait envisageable dans l'avenir que les pays regroupent des communes relevant de plusieurs départements, avant de suggérer de faire appel aux financements privés pour accompagner les financements publics et européens, seul moyen selon lui de pouvoir faire face aux besoins considérables générés par la construction d'équipements structurants.

Après avoir approuvé les projets de simplification et d'harmonisation des procédures envisagés par le Gouvernement, M. Jean Pépin a considéré nécessaire d'affecter à nouveau les crédits publics sur les investissements davantage que sur le fonctionnement, et regretté que la technique de l'adossement, très favorable à l'aménagement du territoire, ne puisse plus être utilisée.

Reconnaissant que l'accroissement des tâches de gestion constituait un problème pour l'aménagement du territoire, et singulièrement pour la DATAR, M. Nicolas Jacquet s'est engagé à mener une réflexion sur le rôle et les missions de la DATAR, tout en relevant que cette administration était soumise à des demandes contradictoires. 

Il a ensuite présenté le détail des mesures prises dans le courant de l'été pour activer la consommation des fonds structurels européens, soulignant la célérité des décisions gouvernementales, l'importance des simplifications des procédures, l'implication des différents services de l'Etat et l'intérêt présenté par l'expérimentation menée avec la région Alsace, qui conduit à déléguer l'autorité de gestion combinée à une délégation d'autorité de paiement.

Un débat s'est alors ouvert entre M. Jean-Paul Delevoye, M. Jean François-Poncet, président, et M. Claude Belot sur les collectivités « chefs de file » et leurs rapports avec les représentants locaux de l'Etat, et sur les difficultés de mise en oeuvre administrative au plan local des décisions ministérielles visant à favoriser la consommation des fonds structurels. A cet égard, le ministre, qui a fait établir par la DATAR des indicateurs statistiques mensuels de programmation et d'exécution des crédits, a demandé aux sénateurs de lui faire part des problèmes qu'ils rencontraient sur le terrain et de leurs propositions de simplification des démarches afin de réduire le délai s'écoulant entre la prise de décision politique et sa mise en oeuvre.

Puis, après que M. Nicolas Jacquet, délégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, a souligné les différences de logiques entre les trois lois relatives aux territoires adoptées sous la précédente législature, ce qui rend nécessaire leur mise en cohérence, M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, a considéré que la problématique des relations entre l'Etat et les territoires devait faire l'objet d'une nouvelle démarche qui ne favorise pas l'élargissement et l'urbanisation en toute circonstance, et qui accorde davantage d'attention aux investissements dans une perspective à long terme d'irrigation des territoires et de complémentarité.

A cet égard, il a souligné l'importance de l'étude confiée à la DATAR sur les infrastructures de transport, qui devrait permettre de définir les moyens à mettre en oeuvre pour faire de la France un leader de l'économie logistique. Il a enfin conclu sur l'intérêt qu'il verrait à ce que, de manière formelle ou informelle, la délégation du Sénat à l'aménagement du territoire travaille sur des sujets qui préoccupent ses membres en liaison avec la DATAR, ainsi que l'a suggéré son délégué.

Acceptant cette proposition, M. Jean François-Poncet, président, a évoqué comme thèmes de réflexion complémentaires à ceux précédemment abordés :

- la réactivation des métropoles régionales face à l'excessive concentration francilienne, mentionnant notamment l'importance de la desserte aérienne internationale à cet égard ;

- la mise au point de mécanismes de financement originaux et nouveaux pour favoriser le développement des territoires, en particulier ruraux, à l'instar de ce qu'avait constitué le dispositif fiscal associé aux zones de rénovation rurale, et au besoin en mobilisant des fonds privés ;

- l'attention portée au développement des liaisons nord/sud en raison du dynamisme extraordinaire de la péninsule ibérique.

En conclusion, M. Jean-Paul Delevoye s'est réjoui de pouvoir compter sur l'expérience et la compétence du Sénat en matière d'aménagement du territoire pour articuler de manière cohérente et efficace l'action de l'Etat et celle des collectivités locales au service d'une grande ambition territoriale.