Table des matières
DÉLÉGATION À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DU TERRITOIRE
Mercredi 21 mai 2003
- Présidence de M. Jean François-Poncet, président -
Transports - Financement des infrastructures de transport - Communication
La délégation a procédé à l'audition de M. Jacques Oudin, rapporteur spécial de la commission des finances, sur le financement des infrastructures de transport.
M. Jacques Oudin a d'abord rappelé que le schéma directeur routier national (SRDN), publié en avril 1992, avait eu pour objet de doter la France d'un réseau national de 37.700 kilomètres, dont 9.540 kilomètres d'autoroutes de liaison, en précisant que 85 % de ce dernier réseau avait été réalisé en 2002. Il a ajouté qu'un schéma directeur national des liaisons ferroviaires à grande vitesse, publié au même moment, avait prévu un réseau comportant 4.700 kilomètres de lignes nouvelles à grande vitesse et précisé que 1.550 kilomètres avaient été réalisés en 2002.
Puis M. Jacques Oudin a relevé les principales « adaptations » intervenues entre 1993 et 1997 :
- la réforme des sociétés d'autoroutes, en 1994, avec une recapitalisation de ces sociétés, leur regroupement en pôles géographiques, ainsi que la mise en place de contrats de plan quinquennaux avec l'Etat, permettant une programmation, à moyen terme, des investissements, tout en laissant davantage de liberté tarifaire aux sociétés pour équilibrer leurs comptes ;
- la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995, qui a intégré les objectifs de l'aménagement du territoire dans les orientations de la politique des transports, révisé un certain nombre d'ambitions dans le domaine ferroviaire et fluvial et créé, à l'initiative du Sénat, le fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables (FITTVN), alimenté par une taxe d'aménagement du territoire sur les autoroutes et une taxe hydroélectrique ;
- enfin, la réforme ferroviaire, mise en place par la loi du 13 février 1997, qui a séparé l'exploitation des infrastructures et la gestion et prévu que le financement des nouvelles infrastructures n'interviendrait qu'en cas de taux de rentabilité financière supérieur à 8 %.
Puis M. Jacques Oudin a évoqué le « démantèlement financier » survenu, entre 1997 et 2002, avec notamment la suppression du FITTVN en 2001 et l'abandon de l'« adossement » autoroutier qui avait pourtant permis d'équiper notre pays.
Sur ce point, M. Jacques Oudin a rappelé le contenu de l'avis du Conseil d'Etat, rendu le 16 septembre 1989, et précisé que la pratique de l'adossement restait valable pour les concessions déjà attribuées, d'une part, mais aussi pour les « petits bouts d'autoroute » qui peuvent être la prolongation limitée d'une autoroute existante, la jonction de deux autoroutes ou les petits contournements urbains.
Il a aussi insisté sur la chute des investissements de l'Etat et des sociétés d'autoroutes, au cours de la seconde moitié des années 1990, partiellement compensée par les collectivités territoriales. M. Jacques Oudin a ainsi relevé que les investissements ferroviaires n'avaient représenté que 13 % des investissements en infrastructures en 2000. Il a ajouté que les dépenses consacrées au secteur routier avaient diminué de plus de 14 % sur la période 1996-2000 ; seule, la forte hausse des investissements des collectivités locales (+ 24,2 %) ayant permis de limiter la réduction des programmes.
M. Jacques Oudin a ensuite déclaré que les schémas de services collectifs de transport de voyageurs et de marchandises avaient fait l'objet d'un avis très critique de la part de la Délégation du Sénat à l'aménagement et au développement durable du territoire. Il a jugé que ces schémas se caractérisaient principalement :
- par l'illusion du découplage de la croissance et des transports ;
- par « l'hypothèse » d'un rééquilibrage modal (schéma multimodal volontariste, doublement du fret ferroviaire en 2010) ;
- par la prévision de très nombreux projets ferroviaires à un coût élevé ;
- par l'absence de plan de financement.
Puis M. Jacques Oudin a résumé certaines des conclusions du rapport d'audit commandé par le Gouvernement au Conseil général des ponts et chaussées et à l'Inspection générale des finances :
- les déplacements des personnes et des marchandises devraient augmenter au minimum de moitié et, assez vraisemblablement, des deux tiers entre 1996 et 2020 ;
- le trafic ferroviaire devrait, sur cette même période, progresser de 50 % pour les voyageurs (dans la mesure où le programme de lignes à grande vitesse serait réalisé), les hypothèses demeurant incertaines pour le fret ;
- la route supporte actuellement près de 89 % des déplacements de personnes et 80 % du transport de marchandises.
M. Jacques Oudin a déclaré que l'audit avait été complété par une étude prospective, rendue publique par la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR) au mois d'avril 2003.
Il a estimé qu'il convenait de se garder de trois « erreurs conceptuelles » :
- penser que les trafics vont diminuer ;
- découpler les trafics et la croissance ;
- juger que la France est suffisamment équipée.
En matière routière, M. Jacques Oudin a déclaré que l'audit avait accordé une priorité :
- à l'achèvement du réseau national structurant (grand itinéraire Nord-Sud dans les Alpes, alternatif au couloir rhodanien, et achèvement de la grande liaison Est-Ouest entre Lyon et Bordeaux) ;
- au doublement des grandes liaisons en voie de saturation (Amiens-frontière belge, Thionville-Nancy) ;
- aux contournements des grandes agglomérations dont les rocades sont aujourd'hui en voie d'engorgement.
S'agissant des routes nationales interurbaines, il a retenu comme hypothèse la nécessité d'un aménagement en voie express à 2x2 voies, dès que le niveau de trafic atteint 15.000 véhicules/jours.
Sur les opérations en milieu urbain, l'audit a relevé que les projets étaient « très complexes et particulièrement coûteux ». S'agissant des projets en Île-de-France, il a noté que les opérations paraissaient « durablement paralysées ».
En matière ferroviaire, l'audit a retenu cinq projets :
- le contournement de Nîmes et Montpellier ;
- la ligne du Haut Bugey ;
- la branche Est de la ligne à grande vitesse (LGV) Rhin-Rhône et/ou la LGV Sud Europe Atlantique ;
- la LGV Bretagne-Pays de Loire.
Concernant le projet Lyon-Turin, il a relevé son coût très élevé : huit milliards d'euros pour la partie française, dont au moins cinq milliards d'euros à la charge de l'Etat. Par ailleurs, il n'a retenu ni la ligne pendulaire Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT) ni la dernière branche du TGV-EST.
Concernant le fret ferroviaire, il n'a retenu aucun projet, à l'exception du contournement fret de Lyon, qui « pourrait être nécessaire en fin de période en fonction de l'augmentation du trafic de fret Nord-Sud ».
En ce qui concerne le fret fluvial, M. Jacques Oudin a souligné que l'audit avait plutôt mis l'accent sur l'entretien et la réhabilitation du réseau existant. Le coût du projet Seine-Nord (estimation : 2,6 milliards d'euros) a été jugé trop élevé par rapport à sa rentabilité (2,4 %) tandis que le projet d'écluse de Port 2000 a fait l'objet d'un jugement réservé dans l'attente de l'achèvement des études techniques, socio-économiques et financières du projet et de ses alternatives.
En ce qui concerne les besoins financiers du réseau autoroutier sur la période 2003-2020, l'audit a évalué le coût de l'ensemble des projets « réalisables » à 63 milliards d'euros, dont 23 milliards pourraient être pris en charge par l'Etat.
S'agissant des besoins financiers du réseau ferroviaire, M. Jacques Oudin a précisé que l'audit avait procédé à une double évaluation :
- celle du coût du scénario « techniquement réalisable » : soit 24,8 milliards d'euros, la part de l'Etat se montant à 11,8 milliards d'euros ;
- celle du coût d'un scénario « indicatif » préconisé par l'audit (excluant certains grands projets comme le POLT ou le Lyon-Turin) : soit 18,8 milliards d'euros, dont 13,1 milliards d'euros de subventions publiques et 8,1 milliards de subventions de l'Etat.
Plus globalement, M. Jacques Oudin a relevé que l'Etat devrait mobiliser, compte tenu des projets retenus et des besoins de maintenance, 11 à 15 milliards d'euros supplémentaires sur la période 2003-2020 (de 6,8 à 10 milliards d'euros pour les routes et 4,9 milliards d'euros pour le ferroviaire).
Puis M. Jacques Oudin a résumé les propositions de l'audit concernant le financement des infrastructures de transport :
- l'augmentation des recettes d'exploitation de Réseau Ferré de France (RFF) de 950 millions d'euros par an ; cela supposant de régler deux questions subsidiaires : le niveau de tarification du fret ferroviaire (qui devrait couvrir les coûts marginaux d'usage) et la tarification des trains express régionaux (qui devraient couvrir les coûts complets d'infrastructure), dans un contexte européen qui s'engage dans cette voie : harmonisation tarifaire, redevance « poids lourds » allemande ;
- l'instauration d'une redevance domaniale kilométrique pour l'utilisation commerciale du domaine public routier. Elle serait prélevée sur les poids lourds circulant sur les autoroutes gratuites et sur les grandes liaisons à caractéristiques autoroutières.
L'audit évalue le rendement d'une telle redevance à 400 millions d'euros par an à compter de 2006 et à 600 millions d'euros en 2020, soit 7,5 milliards d'euros sur la période 2006-2020 ;
- le rapprochement de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) du gazole de celle de l'essence des véhicules légers ; la recette supplémentaire qui en serait attendue s'élèverait à 200 millions d'euros par an ;
- l'augmentation des ressources propres de Voies navigables de France (VNF) en portant progressivement le taux de la taxe hydraulique au plafond réglementaire, ce qui majorerait les recettes de 25 millions d'euros à l'horizon 2007-2008.
Puis M. Jacques Oudin a souligné les propositions qu'il entendait, lui-même, formuler en tant que rapporteur spécial de la commission des finances du Sénat.
Avant toute chose, il a préconisé des comptes de transports clairs, avec le renforcement du rôle de la commission des comptes des transports, ainsi que l'accélération de la mise en oeuvre des missions et programmes prévus par la loi organique du 1er août 2001 sur la réforme budgétaire.
M. Jacques Oudin a ensuite insisté sur deux principes :
- le refus de la hausse des prélèvements obligatoires ;
- la réduction des coûts des modes de fonctionnement du secteur des transports, tous modes confondus, qui représente 75 % des crédits des administrations publiques centrales.
M. Jacques Oudin a encore plaidé pour l'établissement d'une loi de programmation des infrastructures de transport avec un schéma, un plan de financement et un calendrier, la création d'un fonds de financement des transports intermodal avec des ressources affectées (taxe d'aménagement du territoire, dividendes des sociétés d'autoroutes, éventuellement redevance « poids lourds » ...), l'intervention auprès de l'Union européenne pour qu'elle relève sa part de financement (de 10 à 20 %) pour les grands projets d'équipements transfrontaliers, enfin la prise en compte de la décentralisation, avec la mise à péage de nouvelles liaisons par les collectivités locales et un transfert de ressources correspondant aux transferts de charges.
Enfin, M. Jacques Oudin a souligné que des « ressources abondantes » existaient dans le secteur autoroutier :
- l'activité autoroutière concédée progresse ainsi de 7 % par an en moyenne depuis 1989 ;
- 5,8 milliards d'euros de dividendes sont à percevoir sur les sociétés d'autoroutes d'ici à 2020, et de 12 à 19 milliards d'euros d'ici à la fin des concessions (2030) ;
- le changement de régime fiscal permet désormais à l'Etat de percevoir, au titre de l'impôt sur les sociétés, douze milliards d'euros sur la période 2003-2020 et 23 milliards d'euros jusqu'à la fin des concessions ;
- les sociétés d'autoroutes versent la « taxe d'aménagement du territoire », soit 600 millions d'euros par an.
Au total, M. Jacques Oudin a estimé qu'à l'horizon 2030, la « rente autoroutière cumulée » pouvait être évaluée à 67 milliards d'euros au minimum et 74 milliards d'euros au maximum.
Après l'intervention de M. Jean François-Poncet, président, qui a vivement félicité M. Jacques Oudin pour une communication qu'il a jugée tout à la fois exhaustive, précise et pleine d'enseignements, M. Alain Vasselle s'est demandé si la France ne devrait pas imiter l'Allemagne, qui met en place actuellement un régime de taxation des poids lourds avec le système « GPS ».
En réponse, M. Jacques Oudin a confirmé que les « poids lourds » allemands devraient acquitter une redevance d'usage dès le mois de septembre et précisé que l'Autriche serait sur le point d'adopter un système comparable. Il a ajouté que cette taxation -qui présente aussi l'intérêt de « faire payer » le transit- était aujourd'hui très sérieusement envisagée en France. Il a précisé que la réflexion portait aussi sur d'autres moyens de financement, tels qu'un grand emprunt européen.
En conclusion, M. Jean François-Poncet, président, a souligné que la taxation des « poids lourds » n'interviendrait, évidemment, qu'en dehors du réseau autoroutier à péage.