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DÉLÉGATION À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DU TERRITOIRE

Mardi 3 décembre 2002

- Présidence de M. Jean François-Poncet, président -

Audition de Mme Nicole Commerçon, directeur de recherche au CNRS, professeur à l'université de Lyon II, et de M. Hervé Dupont, secrétaire général du groupe central des grandes opérations d'urbanisme auprès du Premier ministre

La délégation a d'abord procédé à l'audition de Mme Nicole Commerçon, directeur de recherche au CNRS et professeur à l'université de Lyon II.

Mme Nicole Commerçon a indiqué qu'après avoir soutenu une thèse d'Etat sur les villes moyennes en s'appuyant notamment sur l'exemple du « triangle » Dijon-Genève-Lyon, elle avait poursuivi ses travaux de géographe dans le cadre du CNRS en s'intéressant particulièrement aux critères d'internationalisation des villes moyennes, aux flux de migration qui les affectent et à la réorganisation de leurs territoires résultant des politiques de localisation des emplois publics.

En premier lieu, Mme Nicole Commerçon a souligné que la notion de ville moyenne était difficile à cerner ; au plan de la démographie, il s'agit des villes de 20.000 à 100.000 habitants (même si certains experts fixent le haut de la fourchette à 200.000 habitants), qui ne sont pas situées à proximité immédiate des grands espaces urbanisés. Elles assurent, de ce fait, une fonction « généraliste » et constituent une interface entre le monde rural et les grandes métropoles. Au plan économique, elles ont longtemps été caractérisées par la présence d'un tissu industriel traditionnel à fort emploi de main-d'oeuvre d'exécution. Enfin, sociologiquement, elles souffrent parfois d'une connotation de médiocrité que traduisent tout un pan de la littérature française, de même que le désintérêt relatif des historiens et du monde politique à leur égard.

En matière d'aménagement du territoire,Mme Nicole Commerçon a rappelé que les Ve et VIplans avaient accordé une place particulière aux villes moyennes dans la politique de rééquilibrage du territoire face à l'expansion de Paris et de la région parisienne. Dans les années 70, a-t-elle ajouté, un discours, fondé sur la qualité de la vie et la notion de « ville à taille humaine », a conduit l'Etat à aider les villes moyennes à se développer par l'établissement d'une politique contractuelle spécifique. Toutefois, le choc pétrolier de 1975 a brutalement interrompu ce mouvement et les villes moyennes sont passées au second plan aux yeux des aménageurs, au moins jusqu'à ces dernières années.

Mme Nicole Commerçon a ensuite évoqué l'évolution de la situation des villes moyennes depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Elle a ainsi souligné leur croissance démographique pendant les « Trente glorieuses », provoquée, tout d'abord, par un solde migratoire résultant de l'exode rural, puis par un accroissement naturel qui s'est interrompu entre les recensements de 1975 et de 1982.

Ce dynamisme démographique a eu pour conséquences :

- un approfondissement de la différence entre la ville et son environnement rural qui s'est vidé d'une partie importante de sa population ;

- une réorganisation de l'espace urbain, les quartiers se spécialisant selon leurs fonctions ;

- l'apparition de difficultés en termes d'aménagement et de politique foncière (voirie, logements, services collectifs, etc.).

En outre, a-t-elle souligné, les villes moyennes ont eu, au plan sociologique, un rôle de « diffuseur de mode de vie » -Mme Nicole Commerçon relevant, par exemple, que les premiers hypermarchés se sont d'abord installés dans la périphérie des villes moyennes, et non dans celle des grands centres urbains- et de « convertisseur social » puisqu'elles ont fixé dans un cadre urbain des populations modestes et des classes moyennes venues du monde rural, tandis que les élites se renouvelaient de génération en génération par le mouvement conjugué de « l'ascenseur social » et de la fuite vers les métropoles.

Mme Nicole Commerçon a, encore, déclaré que la crise économique des années 70 avait particulièrement affecté les petites industries traditionnelles fortement implantées dans les villes moyennes, et que celles-ci avaient, en conséquence, souffert d'une stagnation démographique dont ont témoigné les recensements de 1982, 1990 et 1999.

Elle a indiqué que ces villes se trouvaient aujourd'hui confrontées à leur « dilution » dans un espace de plus en plus « métropolisé », à un certain renouveau de l'espace rural, à un « changement structurel » dans leur comparaison avec les grandes métropoles (la différence entre villes moyennes et grandes villes, qui était historiquement une différence de degré, étant désormais une différence de nature), et, enfin, à un déficit d'innovation et de main-d'oeuvre de haut niveau.

Elle a estimé que le « renouveau » des villes passait par leur capacité :

- à s'organiser en réseaux afin que des « synergies exogènes » (en matière de spécialisation économique ou de structuration de services) compensent leurs faiblesses « endogènes », et en particulier leur taille limitée ;

- à réaliser une complémentarité avec les grandes agglomérations ;

- à capter l'innovation par une stratégie d'implantation de structures universitaires susceptibles de « requalifier » l'image de la ville, d'élever le niveau local d'éducation et de rénover le tissu local des PME.

Mme Nicole Commerçon a souligné que la « redynamisation » des villes moyennes était rendue difficile par le phénomène de « métropolisation » favorisant les deuxième et troisième couronnes urbaines, la ville moyenne se trouvant au coeur du processus actuel de transition économique, sociale et spatiale du pays.

M. Jean François-Poncet, président, s'est interrogé sur la responsabilité de la politique d'aménagement du territoire dans les évolutions constatées depuis la guerre ainsi que sur les outils que pourraient constituer des dispositifs d'incitation fiscale pour favoriser le développement des villes moyennes.

En réponse, Mme Nicole Commerçon a estimé que les élus n'avaient pu qu'« observer » le mouvement spontané de métropolisation. Elle a, aussi, considéré que la « mondialisation » facilitait le développement des grandes capitales (Paris, Londres...), tandis que « l'européanisation » favorisait plutôt la structuration des réseaux de métropoles. S'agissant des villes moyennes, elle a néanmoins indiqué que les élus locaux avaient joué un rôle de « bâtisseurs » entre 1945 et 1975 pour permettre à leurs communes d'absorber l'exode rural et leur croissance démographique.

Après avoir indiqué que son expérience d'élu confirmait les observations de Mme Nicole Commerçon, M. Claude Saunier a estimé que pour redonner un « dynamisme » à l'espace rural, il était essentiel de maintenir un réseau équilibré de villes moyennes afin d'assurer le maillage du territoire en services et en activités économiques, et de recourir aux dispositifs d'intercommunalité pour en garantir le financement équilibré.

Comparant la situation des villes de son département avec celle de l'espace rural avoisinant, M. Jean François-Poncet, président, s'est interrogé sur les relations de causalité existant en matière de dynamisme et de développement des espaces avant d'avancer l'idée que les aides de l'Etat pourraient être accordées « sous condition », les grandes métropoles devant, pour en bénéficier, se préoccuper du développement économique des villes moyennes environnantes, et lesdites villes devant elles-mêmes diffuser leur « dynamisme » à l'espace rural qui les entoure.

M. Jean François-Poncet, président, a souligné l'importance de l'installation de pôles universitaires dans des villes moyennes, du renforcement du rôle des collectivités locales dans l'aide à la création d'entreprises et de la responsabilité de l'Etat en matière de localisation des centres de recherche en nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), afin de contrarier la « métropolisation » et la concentration urbaine.

Puis la délégation a procédé à l'audition de M. Hervé Dupont, secrétaire général du « groupe central des grandes opérations d'urbanisme » auprès du Premier ministre.

M. Hervé Dupont
a indiqué que les opérations menées par le groupe central des grandes opérations d'urbanisme, depuis trente ans, avaient été notamment la création des villes nouvelles, la restructuration urbaine (La Défense-Nanterre, Euralille à Lille, Euroméditerranée à Marseille) et le développement économique et social (Mantes-la-Jolie, la « Plaine-de-France » entre Saint-Denis et Roissy).

S'agissant du rôle des métropoles en termes d'aménagement du territoire, M. Hervé Dupont a souligné que l'enjeu pour elles était plus le développement de pôles d'excellence, l'accueil de fonctions directionnelles et le renforcement de leurs réseaux de communications et de télécommunications, que l'augmentation de leur population.

Il a, ensuite, indiqué que la restructuration urbaine des grandes villes consistait aujourd'hui en la récupération de friches industrielles situées entre les centres historiques (qui ont été rénovés dans les années 60 et 70) et les zones périurbaines (qui ont bénéficié des opérations d'aménagement périphérique entreprises dans les années 80 et 90), pour une extension des centres-villes sur les zones de proche banlieue en voie de paupérisation.

M. Hervé Dupont a ensuite relevé que, loin de se « densifier », les agglomérations, à l'exception des centres d'affaires, se « desserraient » au contraire sous la double pression d'une évolution économique (les zones logistiques s'éloignant des centres urbains) et d'une demande sociale en équipements et en espaces verts. Il a ainsi relevé que la densité des villes nouvelles était environ dix fois moins importante que celle de Paris, que toutes les constructions nouvelles d'équipements publics dans les villes laissaient une place importante aux espaces, et que les restructurations urbaines s'effectuaient désormais selon un modèle « anglo-saxon » de « connurbation » plutôt que « méditerranéen » de « resserrement » de la ville sur elle-même.

A M. Jean François-Poncet, président, qui l'interrogeait sur la nature des raisons, démographiques ou relatives au niveau des équipements, notamment dans le domaine des transports, qui expliquaient que les métropoles d'équilibre françaises n'étaient pas aussi importantes que leurs homologues allemandes, ou des métropoles telles que Milan ou Barcelone, M. Hervé Dupont a répondu que si ces dernières villes constituaient des exceptions, les grandes villes du Nord de l'Europe devaient leur importance à leur capacité à se constituer en « réseaux de villes complémentaires », en évoquant les agglomérations de la Ruhr ou la « Randstad Holland » d'Amsterdam-Rotterdam-Utrecht-La Haye, dont l'organisation et la spécialisation avaient été pour partie spontanées, et pour partie organisées par la puissance publique.

Revenant sur la différence « conceptuelle » qui a longtemps séparé l'urbanisation de type « méditerranéen », où la ville est essentiellement constituée d'espaces « minéraux » et strictement bordés, et l'urbanisation de type anglo-saxon, où la nature est intimement intégrée à la ville, il a souligné que les évolutions intervenues dans les politiques françaises d'aménagement prendraient du temps à produire des effets à l'échelle historique.

M. Hervé Dupont a, enfin, relevé que l'« homogénéisation culturelle » s'exprimait dans le monde par une métropolisation « extensive », si l'on fait exception des « centres d'affaires » qui demeurent très denses. Il a souligné que la création d'infrastructures de transports rapides favorisait cette « dé-densification » en facilitant la mobilité des populations, en multipliant les choix d'emplois et en « déconnectant » de manière croissante le lieu de travail du lieu de résidence dans un espace urbanisé de plus en plus large.