Travaux de la délégation pour la planification
DÉLÉGATION DU SÉNAT POUR LA PLANIFICATION
Mercredi 3 mars 2004
- Présidence de M. Joël Bourdin, président.
Mondialisation et environnement - Examen du rapport d'information
M. Joël Bourdin, président, a ouvert la séance en évoquant la mémoire de M. Michel Pelchat, décédé, puis a donné la parole à M. Serge Lepeltier, rapporteur.
M. Serge Lepeltier, rapporteur, a indiqué que l'objet du rapport était d'analyser les relations entre mondialisation et environnement.
La première partie du rapport est consacrée à une définition et à un état des lieux de la mondialisation. La mondialisation consiste d'abord en un processus d'intégration des économies, qui est la conséquence de l'accroissement des flux d'échanges. Mais la mondialisation a une seconde dimension, qui réside dans la prise de conscience grandissante de l'existence de « biens publics mondiaux », qui doivent être gérés collectivement, dans l'intérêt de la communauté internationale.
Il a rappelé que l'intégration de l'économie mondiale se manifestait par l'augmentation des flux commerciaux internationaux, qui représentent aujourd'hui 25 % du PIB mondial, contre seulement 8 % en 1950, par la croissance des flux d'investissement, et par le développement spectaculaire des flux financiers. Les transactions sur le marché des changes portent ainsi sur des montants cent fois supérieurs à ceux des échanges de biens et services.
Puis M. Serge Lepeltier, rapporteur, a indiqué qu'en dépit des progrès de la globalisation, l'intégration de l'économie mondiale restait inachevée et très différenciée selon les régions du monde considérées.
En effet, des obstacles aux échanges demeurent, sous forme de barrières tarifaires et non tarifaires. Agrégés, ces obstacles aux échanges équivalent, par exemple, à un droit de douane de 12 % aux frontières de l'Union européenne.
De plus, tous les pays ne participent pas de manière égale aux échanges internationaux. Les pays développés et une quinzaine de pays émergents sont pleinement intégrés dans ces échanges. Dans certaines régions, telles l'Union européenne ou l'Alena, des accords de libre-échange ont été conclus pour approfondir l'intégration des économies considérées. A l'inverse, des dizaines de pays moins avancés n'y participent que marginalement. Ces pays n'étant pas en situation aujourd'hui de participer avec profit à la mondialisation, des regroupements régionaux pourraient être envisagés comme une étape préparatoire à leur insertion dans l'économie mondiale.
M. Serge Lepeltier, rapporteur, a ensuite analysé la notion de « bien public mondial ». Les biens publics mondiaux, tels que la couche d'ozone ou le climat, sont accessibles et utiles à tous les États. Mais chaque Etat, pris individuellement, n'a pas nécessairement intérêt à financer la production ou la préservation de ces biens. La gestion des biens publics mondiaux pose donc un problème de coordination de l'action collective. Une mondialisation équilibrée suppose de compléter la libéralisation des échanges par une action publique internationale centrée sur la gestion des biens publics mondiaux.
Puis il examiné les conséquences de la libéralisation des échanges sur l'environnement. Elle conduit à une plus grande spécialisation internationale, et stimule la croissance de nombreux pays. Ces deux effets ne sont pas sans conséquences sur l'environnement.
La spécialisation internationale ne semble pas particulièrement défavorable à l'environnement. En effet, si des cas de délocalisations pour motif environnemental sont avérés, on n'observe pas aujourd'hui de transfert massif d'activités polluantes vers les pays du Sud. On n'observe pas non plus de recul de la réglementation environnementale en vigueur dans les pays développés. Ce résultat s'explique par plusieurs raisons :
- les secteurs d'activités les plus polluants, tels que la chimie, la métallurgie, ou le raffinage du pétrole, sont aussi des secteurs très capitalistiques pour lesquels les pays développés conservent un avantage comparatif en termes de stock de capital ;
- les firmes multinationales ont tendance à utiliser dans leurs filiales des pays en développement les mêmes procédés de fabrication que dans leur pays d'origine ;
- enfin, les grandes entreprises sont de plus en plus soumises au contrôle vigilant de l'opinion publique et des ONG, ce qui peut les dissuader d'exploiter les écarts de normes environnementales.
M. Serge Lepeltier, rapporteur, a ajouté que l'ouverture aux échanges stimulait la croissance de nombreux pays, même si tous les États ne bénéficient pas également de la mondialisation. Or une croissance plus forte implique plus de pollution et de dégradation du milieu naturel, tout au moins dans un premier temps.
Il a fait valoir que l'élévation du niveau de vie s'accompagnait toutefois d'exigences nouvelles en matière de qualité de l'environnement de la part des citoyens, qui peuvent conduire à un renforcement de la réglementation, et, à long terme, à une amélioration de la qualité de l'environnement.
Mais il a souligné que cette relation positive entre croissance et qualité de l'environnement n'était observée que pour certaines pollutions urbaines très localisées. On ne peut donc s'en remettre à la seule croissance pour préserver l'environnement. Il appartient aux pouvoirs publics de définir des politiques environnementales plus ambitieuses pour éviter qu'un surcroît de croissance ne s'accompagne d'une détérioration de l'environnement. L'effort principal doit être assumé par les pays développés, qui sont, pour le moment, à l'origine de l'essentiel de la pollution.
M. Serge Lepeltier, rapporteur, a rappelé que dans un monde en voie de globalisation, la politique environnementale ne pouvait plus se définir dans le seul cadre national. Des problèmes globaux appellent une réponse concertée. Aussi bien la troisième partie du rapport est-elle consacrée à l'analyse de la gouvernance internationale de l'environnement.
Il a alors présenté les institutions actuellement en charge de la protection de l'environnement à l'échelle internationale, en insistant sur la dispersion et la faiblesse de leurs moyens. Un Programme des Nations unies pour l'environnement a été créé en 1972, mais son financement est limité et précaire. La même observation vaut pour le Fonds pour l'environnement mondial (FEM), qui a été créé en 1990 à l'initiative de la France et de l'Allemagne. Ils coexistent avec environ 200 accords environnementaux multilatéraux, développés sans véritable coordination et de portée variable.
L'Organisation mondiale du commerce est, de son côté, régulièrement amenée à se prononcer sur des mesures de protection de l'environnement auxquelles il est reproché d'entraver la liberté du commerce. Des exceptions aux règles commerciales multilatérales sont prévues pour protéger les animaux, les végétaux, et les ressources naturelles épuisables. Mais l'application qui est faite de ces exceptions est souvent restrictive. Et il n'est pas prévu de solution claire en cas de conflit entre les dispositions d'un accord multilatéral environnemental et les règles de l'OMC.
M. Serge Lepeltier, rapporteur, a donc souhaité que la gouvernance mondiale soit rééquilibrée en faveur de l'environnement. La création d'une Organisation mondiale de l'environnement (OME), dotée de moyens importants et stables, améliorerait considérablement le dispositif international de protection de l'environnement. L'OME développerait les activités actuellement dévolues au PNUE, gérerait le FEM, surveillerait l'application des accords existants et serait un forum permanent de négociation.
De nouveaux accords internationaux devraient également être négociés, afin de s'attaquer aux problèmes de la déforestation et de l'épuisement des ressources halieutiques.
La création d'une « écotaxe internationale » doit également faire l'objet d'analyses approfondies car elle est bonne dans son principe. Cette taxe remplirait deux missions. Elle frapperait les émissions de carbone, qui sont à l'origine du réchauffement climatique, et serait ainsi un outil de lutte contre l'effet de serre. Elle permettrait aussi de prélever des ressources, qui seraient affectées à la gestion des biens publics mondiaux.
Il a exposé ensuite des propositions de réforme de l'OMC. Lorsqu'un litige porté devant l'OMC touche à des questions environnementales, il serait souhaitable que des « experts environnementaux » siègent dans les panels chargés d'arbitrer le différend. Une procédure deconsultation entre l'OMC et le secrétariat des accords environnementaux concernés devrait également être prévue. Enfin, en cas de conflit entre un accord environnemental et les règles de l'OMC, l'objectif de protection de l'environnement devrait prévaloir.
Si des initiatives doivent être prises au niveau multilatéral, l'Union européenne peut aussi apporter sa contribution à la maîtrise de la mondialisation. Elle peut le faire en appliquant dès maintenant le protocole de Kyoto, sans attendre que celui-ci entre officiellement en vigueur. L'orientation retenue pour la réforme de la politique agricole commune en 2003, en tant qu'elle subordonne le versement de subventions au respect de bonnes pratiques écologiques, doit être poursuivie. Comme la mondialisation s'accompagne mécaniquement d'une croissance des transports, il est nécessaire d'investir dans la modernisation des réseaux de transport, essentiellement ferroviaire, notamment dans les nouveaux États membres d'Europe centrale et orientale. Les pays européens devraient également peser au sein de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) pour que soit mise à l'étude une éventuelle taxation du kérosène, actuellement défiscalisé.
M. Serge Lepeltier, rapporteur, a terminé son intervention en évoquant les mesures qu'il était possible de prendre au niveau national. Tout d'abord, les efforts menés pour intégrer les préoccupations environnementales à notre politique d'aide au développement gagneraient à être systématisés et amplifiés. Ensuite, les obligations de transparence imposées aux grandes entreprises concernant leurs pratiques environnementales pourraient être précisées, afin d'éviter certaines pratiques abusives. De manière générale, la prise en compte des enjeux liés à la mondialisation et à l'environnement par toutes les administrations devrait être améliorée, grâce notamment à la création d'un Observatoire national des effets de la mondialisation. Cette instance permettrait d'approfondir notre compréhension du phénomène de la mondialisation, animerait le débat public, et serait un outil d'aide à la décision pour les responsables publics et privés.
M. Joël Bourdin, président, a remercié M. Serge Lepeltier, rapporteur, pour la qualité de son exposé. Il a souligné que ce rapport d'information explorait un sujet peu traité jusqu'ici. Il s'est interrogé sur la faisabilité concrète du projet d'écotaxe internationale, et a demandé quel serait le statut de l'Observatoire national des effets de la mondialisation. Il a ajouté qu'il serait intéressant de défricher tous les champs de réflexion ouverts par le rapporteur.
M. Jean-Pierre Plancade a noté que la promotion du concept de bien public mondial posait la question de la gouvernance de la mondialisation. Il a approuvé les propos du rapporteur au sujet des transports, qui sont à l'origine d'une part importante de notre consommation énergétique. Puis il s'est demandé si l'on pouvait concevoir un droit « d'ingérence environnementale », à l'instar du droit d'ingérence humanitaire.
M. Gérard Bailly a souhaité savoir si le rapport envisageait la question des biocarburants, et s'il défendait l'usage des voies d'eau comme mode de transport écologique. Il a regretté que l'accent soit parfois trop mis, dans notre société, sur le bien-être animal au détriment des problèmes humains.
M. Joseph Kerguéris s'est dit intéressé par l'idée selon laquelle la responsabilité principale en matière d'environnement reposerait sur les pays développés. Elle va à l'encontre d'une opinion commune qui fait des pays en développement les premiers responsables de la pollution. Il a approuvé la proposition de créer une Organisation mondiale de l'environnement, mais a émis des doutes sur la volonté des Etats-Unis de participer à une telle instance. De même, il apparaît difficile d'obtenir un consensus au sein de l'Union européenne pour une représentation commune à l'OACI ou à l'OMI.
M. Serge Lepeltier, rapporteur, a souligné l'intérêt du concept de bien public mondial. Il invite à concevoir des modes de gestion en commun de certains enjeux globaux, tels que, par exemple, la préservation des forêts humides.
Il a estimé qu'une écotaxe assise sur les émissions de carbone serait techniquement réalisable, mais qu'il paraissait difficile d'obtenir à court terme un consensus autour de cette proposition. Le Président de la République a mis en place un groupe de travail chargé d'examiner différentes possibilités de taxation internationale. Il devrait faire des propositions d'ici quelques mois.
Il a rappelé qu'il avait été nommé parlementaire en mission pour élaborer un projet d'Observatoire national des effets de la mondialisation, et qu'il avait remis son rapport au Premier ministre au mois de janvier. Il a proposé que cet observatoire ait le statut juridique d'une fondation, ce qui lui apporterait une garantie d'indépendance, et rendrait obligatoires de larges partenariats, ainsi qu'un cofinancement public-privé. L'Observatoire aurait pour mission de faire une analyse objective des effets de la mondialisation, et animerait le débat public, grâce aux études commandées aux organismes compétents et financées sur les ressources de la fondation.
Il est ensuite revenu sur l'idée d'un droit « d'ingérence environnementale ». Même si un tel principe n'est pas aujourd'hui d'actualité, il n'est pas exclu que l'on s'oriente à l'avenir vers une telle notion, afin de préserver le patrimoine commun de l'humanité.
Réagissant aux remarques de M. Gérard Bailly, M. Serge Lepeltier, rapporteur, a regretté que l'OMC se préoccupe trop exclusivement de la protection des animaux et des végétaux et néglige d'autres problèmes environnementaux. Il a indiqué que le rapport faisait des propositions en matière de gouvernance mondiale, mais n'avait pu aborder toutes les mesures écologiques qu'il serait souhaitable de prendre.
Il est ensuite revenu sur la responsabilité prééminente des pays développés pour la sauvegarde de l'environnement. Ils doivent promouvoir des technologies respectueuses de l'environnement auprès des grands pays émergents, comme la Chine ou l'Inde, afin d'éviter que ceux-ci ne reproduisent notre mode de développement très polluant. Il a souligné que les responsables de filiales de multinationales avaient tendance à reproduire dans les pays en développement les modes de gestion et de production utilisés au Nord.
Il a insisté ensuite sur le signal politique fort que constituerait la création d'une Organisation mondiale de l'environnement, tout en admettant la réticence des Etats-Unis à s'engager sur cette voie. Pour faire évoluer la position américaine, l'Europe doit elle-même se montrer offensive dans le domaine environnemental, afin d'exercer un effet d'entraînement, notamment par l'intermédiaire des nombreuses firmes américaines présentes en Europe. Il faut aussi compter sur la sensibilité de l'opinion publique américaine aux questions d'environnement, qui n'est pas aujourd'hui relayée au niveau gouvernemental, mais qui pourrait s'exprimer à nouveau après l'élection présidentielle.
Enfin, si une représentation commune de l'Union européenne au sein de l'OACI et de l'OMI apparaît difficile à obtenir, elle augmenterait considérablement notre influence au sein de ces organisations.
M. Joël Bourdin, président, a alors demandé comment l'activité de l'Observatoire de la mondialisation s'articulerait avec les travaux des organismes de recherche existants, plus particulièrement le CEPII (Centre d'études prospectives et d'informations internationales), qui a développé une compétence reconnue dans ce secteur.
M. Serge Lepeltier, rapporteur, a répondu que l'Observatoire serait une structure légère, qui passerait commande d'études auprès d'autres organismes, et coordonnerait la recherche dans ce domaine.
La délégation a ensuite adopté le rapport relatif à la mondialisation et à l'environnement.