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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES (OPECST)
Mercredi 24 novembre 1999
- Présidence de M. Henri Revol, sénateur, président.
Nomination de rapporteurs
M. Henri Revol, sénateur, président, a tout d'abord indiqué que l'office avait été saisi d'une demande d'étude émanant du Bureau de l'Assemblée nationale portant sur les conditions techniques d'implantation du projet de synchrotron " Soleil ". Avant de procéder à la nomination du rapporteur, il a observé que le Bureau de l'Assemblée avait souhaité que le rapport de l'office puisse être établi dans un délai de trois mois. Le président s'est déclaré convaincu que le rapporteur qui serait désigné ferait son possible pour déférer au voeu de l'autorité de saisine, mais a souligné qu'il ne convenait pas que ce type de demande, qui n'était pas prévu par le règlement intérieur de l'office, fasse jurisprudence.
M. René Trégouët, sénateur, a fait part de sa candidature en précisant que celle-ci s'inscrivait dans une démarche scientifique sans conclusion prédéterminée. Il a suggéré d'élargir la saisine aux grands équipements de recherche.
M. Christian Cuvilliez, député, a lui aussi fait part de sa candidature. Il a souligné que le groupe communiste était représenté à l'office depuis très peu de temps, et qu'il souhaitait suivre également une méthode scientifique mettant en perspective tous les termes des différentes alternatives offertes aux chercheurs et les lieux d'implantation.
M. Robert Galley, député, a fait part de son expérience de travail en binôme avec M. Robert Bataille, député, ainsi qu'avec des co-rapporteurs sénateurs. Il a estimé que le projet " Soleil " avait des répercussions techniques et industrielles considérables, et a souhaité la nomination conjointe de deux rapporteurs sur cette étude.
M. Christian Bataille, député, a considéré que ce sujet supposait un très grand investissement de la part des rapporteurs, et qu'une nomination conjointe était, dès lors, opportune.
M. Charles Descours, sénateur, a jugé que le contexte du dossier était passionnel, et qu'il ne voyait, par conséquent, que des avantages à avoir deux rapporteurs de sensibilité différente.
M. Claude Birraux, député, a considéré que la saisine était opportune. Il a, toutefois, mis en garde sur l'éventuelle dérive qui consisterait à saisir l'office chaque fois qu'un ministre devait prendre une décision lourde.
M. Pierre Laffitte, sénateur, a souligné l'intérêt qu'il y aurait à élargir l'étude aux grands équipements. Il a noté que, contrairement aux Etats-Unis, l'Union européenne ne finançait pas les grands équipements, et que cette carence posait un problème de fond qui méritait que les deux Assemblées se saisissent de ce dossier.
M. Jean-Yves Le Déaut, député, Premier vice-président, a observé que les deux candidats étaient également rapporteurs du budget de la recherche dans leur Assemblée respective. Il a partagé les observations du président Revol sur les délais suggérés à l'office pour remettre son rapport, mais il a souhaité que l'étude soit commencée rapidement en soumettant une proposition de nomination de membres composant le comité de pilotage.
M. Henri Revol, sénateur, président, a constaté qu'une unanimité se dégageait en faveur de la nomination de deux rapporteurs. Il a noté que l'élargissement du thème de l'étude à l'analyse des grands équipements ne pouvait être décidé immédiatement, puisqu'elle devait faire l'objet de l'étude de faisabilité qui sera présentée par les rapporteurs.
M. René Trégouët, sénateur, et M. Christian Cuvilliez, député, ont été nommés rapporteurs de l'étude sur les conditions techniques d'implantation du projet de synchrotron " Soleil ".
Audition de M. Bernard Larrouturou, président-directeur général de l'Institut national de recherche en Informatique et en Automatique (INRIA) et de présidents de sociétés issues de l'INRIA
L'office a ensuite procédé à l'audition de M. Bernard Larrouturou, président-directeur général de l'Institut national de recherche en Informatique et en Automatique (INRIA), accompagné de M. Dominique Bolignano, président-directeur général de Trusted Logic, et de M. Yves Peynaud, président-directeur général de I-Pole, sociétés issues de l'INRIA.
M. Henri Revol, sénateur, président, a rappelé en préambule que l'office avait pris l'habitude d'auditionner les responsables des grands organismes de recherche, et que l'INRIA était réputé pour être l'un des plus dynamiques de ces organismes et l'un des plus ouverts sur l'extérieur.
M. Bernard Larrouturou, président-directeur général de l'INRIA, a présenté les principaux axes du plan stratégique de l'Institut qui éclairaient la situation de la recherche française dans le domaine des mathématiques appliquées à l'informatique et aux techniques de communication dans le contexte de la compétition mondiale.
En premier lieu, il a dressé un constat alarmiste sur la politique de recherche nationale, en considérant que beaucoup de chercheurs et d'institutions n'avaient pas pris la mesure des effets d'Internet. Il a observé qu'il existait encore un débat sémantique en France, au sein de la communauté scientifique, sur le point de savoir si l'informatique était un outil ou une science, et que ce débat n'existait pas aux Etats-Unis, ce qui expliquait peut-être que ce domaine y était en plein essor, et suscitait de nombreuses créations d'emplois. Il a rappelé que cet impact économique et social reposait sur l'innovation technologique qui était, elle-même, fondée sur la recherche. Il a souligné que la recherche en informatique et en techniques de communication était un domaine économique qui avait des liens avec toutes les sciences, notamment la simulation nucléaire, la modélisation économique, la génomique, etc.
En second lieu, le président-directeur général a exposé les enjeux de la formation. Il a observé que la France manquait de capacités d'expertise, et constaté que les collaborations avec le ministère de la défense avaient pratiquement cessé, et que les experts militaires se limitaient aujourd'hui à un travail de veille technologique, mais n'étaient plus toujours à la pointe de la recherche dans le domaine des mathématiques appliquées. Il a rappelé que l'activité de l'INRIA était peu capitalistique, dans la mesure où il n'y avait que très peu de grands équipements industriels, et qu'elle reposait presque exclusivement sur la " matière grise ". Il a souligné que la compétition mondiale sur les individus était croissante, et que les Etats-Unis cherchaient ouvertement à attirer les chercheurs de tous les pays ; il a ajouté, à ce sujet, que le président des Etats-Unis lui-même avait été saisi de ce dossier et, que confronté au constat d'un déficit de plusieurs milliers d'experts en logiciels, il avait décidé d'accorder des visas à des étrangers compétents dans les technologies de l'information. Le président de l'INRIA a également souligné l'importance qu'il y avait à garder des capacités d'attraction en France pour ces personnels de plus en plus recherchés. Il a ajouté que le budget consacré à la recherche appliquée en informatique était trois fois supérieur aux Etats-Unis à ce qu'il est en Europe, et qu'il augmentait de 30 % par an. Mais il a souligné que, malgré ce décalage, l'Europe -et en particulier la France- conservait des atouts très sérieux.
Dans un troisième temps, l'intervenant a évoqué les thèmes de recherche de l'INRIA, concernant notamment le déploiement des réseaux, la sûreté des logiciels, la simulation et les transferts technologiques, afin de faire de l'INRIA un des berceaux de l'innovation dans le domaine des mathématiques appliquées en informatique. Il a ajouté qu'il prenait un grand soin à définir des processus d'évaluation afin de pouvoir arrêter, quand il le fallait, les études peu prometteuses. Il a souligné l'importance qu'il attachait à la création d'entreprises, et indiqué que quarante entreprises avaient été créées par des chercheurs ou avec l'appui de l'INRIA. Il a fait ressortir l'importance de l'association entre des chercheurs qui sont souvent de " purs scientifiques " et des personnalités attirées par la gestion, et regretté que ces deux catégories d'étudiants ne se rencontrent jamais pendant leurs études.
En réponse à M. Charles Descours, sénateur, M. Bernard Larrouturou a précisé que l'Institut comportait en tout 2.000 personnes, toutes origines confondues, dont 1.000 contractuels, 750 fonctionnaires -parmi lesquels 350 chercheurs- et 250 chercheurs d'origine extérieure (Centre national de la recherche scientifique -CNRS- et universités). Il a indiqué que son budget était de l'ordre de cinq cents millions de francs, et que l'Institut était réparti sur cinq sites : Roquencourt, Rennes, Sophia Antipolis, Grenoble et Nancy.
M. Dominique Bolignano, président-directeur général de Trusted Logic, a ensuite présenté sa société, créée au début de cette année avec six salariés. Il a précisé que sa société était le prototype d'une " start-up ", et qu'elle était spécialisée dans les logiciels embarqués -c'est-à-dire mobiles- adaptés aux cartes à puces. Il a noté que le besoin de sécurité était grandissant, que le marché des ordinateurs portables était en pleine explosion et qu'il dépassait, aujourd'hui, le nombre de terminaux fixes. Il a noté que son effectif avait déjà doublé en six mois, et qu'il escomptait un doublement du chiffre d'affaires pendant plusieurs années. Il a relevé que la moitié des personnels de la société venait de l'INRIA, et que l'autre moitié était composée de spécialistes des cartes à puces.
En réponse à une question de M. Pierre Laffitte, sénateur, sur l'utilisation du capital-risque, il a répondu que sa société était relativement atypique, puisqu'elle s'était créée avec un capital social très faible, car le démarrage s'était appuyé sur les contrats avec des partenaires industriels. Il a indiqué qu'il envisageait une implantation aux Etats-Unis, ce qui supposerait un deuxième tour de table auprès des financeurs, et, qu'à cette occasion, il ferait appel au capital-risque.
M. Yves Peynaud, futur président-directeur général de I-Pole, a indiqué que cette société, qui serait créée dans quelques semaines, visait à aider les " start-up " spécialisées dans les technologies de l'information à se développer. Il a relevé que les ingénieurs et les chercheurs avaient très peu d'expérience dans le marketing, et avaient besoin d'une assistance pour définir une stratégie et une politique de vente. En réponse à une question de M. Serge Poignant, député, il a indiqué qu'il y avait environ un millier d'entreprises de ce genre, et que la plupart d'entre elles connaissaient une très vive croissance.
M. Jean-Yves Le Déaut, député, Premier vice-président, a interrogé M. Bernard Larrouturou sur les moyens de l'Institut, notamment sur les contractuels et le développement d'autres sites. Il a demandé des précisions sur le nombre de chercheurs et techniciens français compétents dans les technologies de l'information travaillant aux Etats-Unis, et les moyens de les faire revenir en France, ainsi que sur le développement des compétences de l'INRIA dans le domaine des télécommunications. Il s'est interrogé sur l'articulation de l'Institut avec les équipes travaillant dans le même domaine au CNRS.
M. Pierre Laffitte, sénateur, a insisté sur l'importance du management et suggéré, si le besoin s'en faisait sentir, de recruter des personnes qualifiées à l'étranger. Il a également noté qu'il fallait prêter attention à la phase de croissance des sociétés qu'il a estimée tout aussi déterminante que celle du démarrage.
M. Bernard Larrouturou, président-directeur général de l'INRIA, a confirmé que le ministre chargé de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche avait annoncé, en septembre, son intention de renforcer les moyens de l'INRIA, à travers notamment le recrutement de cinquante contractuels. Il a observé que ce sujet était sensible, dans la mesure où le modèle actuel des instituts de recherche reposait sur la titularisation de fonctionnaires, mais il a considéré que la pression concurrentielle et l'importance des tâches auxquelles il devait faire face ne lui donnaient pas le temps d'engager de grandes réformes de statut. Il a indiqué qu'il envisageait de recruter ces contractuels dans trois types d'activités : l'accueil d'équipes de fonctionnaires en détachement émanant du CNRS ou des corps techniques de l'État, l'accueil de jeunes et l'accueil de chercheurs étrangers rémunérés de façon attractive. Il a estimé que le recrutement de contractuels devait s'accompagner du recrutement parallèle de fonctionnaires. Il a noté, à ce sujet, le paradoxe de l'INRIA qui, bien qu'elle soit une jeune structure, ou plutôt parce qu'elle est une jeune structure, vieillit très vite. Il a indiqué qu'il n'y avait, en effet, pratiquement aucun départ à la retraite prévu avant de nombreuses années, et que, par conséquent, il n'y aurait aucun recrutement de remplacement. Le président de l'INRIA a confirmé que le ministre avait annoncé à l'Assemblée nationale le renforcement des moyens de l'Institut à Rennes, et une éventuelle implantation à Lille. Il a noté, à ce sujet, qu'une création de site sans moyens supplémentaires était source de difficultés de tous ordres et estimé qu'il existait d'autres types d'implantation que les gros laboratoires.
Concernant les télécommunications, l'intervenant a indiqué qu'il y avait une convergence évidente entre l'informatique et les télécommunications, notamment dans les domaines de la sécurité, de la cryptographie et de l'analyse du traitement d'images.
S'agissant de la " fuite des cerveaux " aux Etats-Unis, le président de l'INRIA a annoncé que le chiffre le plus couramment repris était de l'ordre de 40.000 Français, mais qu'il ne connaissait pas de remède pour les faire revenir. Il a considéré, qu'après plusieurs années, ces spécialistes vivaient dans un autre monde, et avaient une image déformée de la France. En toute hypothèse, il a considéré que le retour de ces chercheurs passait certainement par la levée du tabou sur leur rémunération.
En réponse à M. René Trégouët, sénateur, qui s'interrogeait sur les moyens de diffuser l'information scientifique et technique sur les logiciels libres et sur le manque d'experts, M. Bernard Larrouturou a considéré que ce dernier point était capital dans la mesure où la demande d'expertise était croissante, et que les organismes capables d'y répondre étaient de moins en moins nombreux.
Concernant les logiciels libres, le président de l'INRIA a considéré que le débat était aujourd'hui fortement teinté d'idéologie, et qu'il n'était pas possible d'aborder cette question sans que la suprématie tentaculaire de Microsoft ne soit remise en cause, et qu'il était très difficile, dans ces conditions, d'avoir un débat neutre et scientifique, qui serait éminemment souhaitable.