OPECST : bulletin
OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES (OPECST)
Mercredi 3 mars 2004
- Présidence de M. Claude Birraux, député, président de l'Office
Conséquences des modes d'appropriation du vivant - Examen du rapport
L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a tout d'abord procédé à l'examen du rapport de M. Alain Claeys, député, sur les conséquences des modes d'appropriation du vivant.
M. Alain Claeys, député, a indiqué que ce rapport fait suite à celui qu'il avait consacré à la brevetabilité du vivant, présenté en décembre 2001 dans le contexte de la révision en février 2002 de la loi « bioéthique » de 1994. Il a rappelé qu'à cette époque une pétition avait été lancée par un certain nombre de parlementaires français et européens, afin de s'opposer aux dispositions de la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques. Il a souligné que l'Assemblée nationale avait alors adopté à l'unanimité un amendement s'opposant à la possibilité de breveter les gènes humains.
Évoquant la méthode suivie pour élaborer ce rapport, il a insisté sur le fait qu'il avait procédé à un grand nombre d'auditions, afin de donner la parole à tous les acteurs impliqués par le sujet de l'étude.
Le rapporteur a ensuite présenté les grandes lignes de son rapport : la première partie est centrée sur les raisons de l'appropriation croissante du vivant ; la deuxième est consacrée aux interrogations face à ce mouvement dans les pays en développement, aux dimensions éthique et sociale et aux aspects économiques ; la troisième partie tente de déterminer les moyens de réguler ce mouvement, aussi bien au niveau européen qu'international.
M. Alain Claeys a souligné que ce mouvement d'appropriation du vivant était fondamental pour les « jeunes pousses » qui se sont développées dans le secteur des biotechnologies après la fin du décryptage du génome humain. En effet, ces entreprises, ne possédant que peu ou pas de capital, ne disposaient que de leurs brevets pour intéresser les détenteurs de capitaux. Elles avaient donc intérêt à ce que des brevets larges puissent être délivrés, c'est-à-dire comprenant le gène et ses applications. La conséquence de cette situation est de rendre dépendante du brevet primaire toute découverte effectuée à partir du gène breveté, même dans des domaines non prévus à l'origine. Il a alors insisté sur les conséquences en matière économique et sociale de cette situation. Enfin, il a rappelé que le changement de la législation américaine au début des années 1980 avait permis de breveter les résultats de la recherche publique. La conséquence a été la multiplication des brevets, au prix du gauchissement des trois critères classiques de la brevetabilité (nouveauté, inventivité, application industrielle) par les trois principaux offices de brevets mondiaux agissant de façon coordonnée. Cette situation donne de plus en plus d'importance au contentieux dans la fixation des normes.
Il a noté que cette évolution montre qu'il y a bien une « galaxie du brevet », dominée par les juristes, et au sein de laquelle les décisions sont prises sans égard pour leurs conséquences économiques et sociales. Après avoir souligné le rôle des offices de brevets, qui ont leurs ressources propres, il a déploré que le Conseil d'administration de l'Office européen des brevets (O.E.B.) ne joue pas son rôle, ce qui justifie sa recommandation que se tienne, au moins une fois par an, une « session ministérielle » de ce Conseil d'administration, qui pourrait donner l'impulsion politique nécessaire à cet organisme.
Le rapporteur a ensuite évoqué le débat scientifique sur les fonctions des gènes en insistant sur les découvertes récentes qui ont montré que l'expression de ces fonctions pouvait être dépendante de leur environnement et qu'il fallait donc en tenir compte en matière d'application des critères de brevetabilité.
Abordant la question de la biodiversité, le rapporteur a souligné l'évolution qui avait eu lieu à ce propos. Après avoir été considérée comme patrimoine commun de l'humanité, les stipulations de la Convention sur la diversité biologique (C.D.B.) reconnaissent maintenant qu'elle est la propriété des États, ce qui entraîne des revendications de leur part, en cas de mise au point d'applications commerciales.
Il a mis l'accent sur la dimension éthique de cette question en évoquant l'importance du problème des banques de données à travers l'expérience islandaise où la gestion de trois banques de données généalogiques, médicales et génétiques a été confiée à une entreprise privée, ce qui pose la question du consentement des personnes concernées.
Il a également montré les conséquences sociales de cette conception du brevet en rappelant la controverse sur les médicaments à la suite de la Conférence de Doha.
En matière économique, il a insisté sur le fait qu'il ne fallait remettre en cause ni la propriété intellectuelle, ni le brevet qui permet de diffuser la connaissance, ce qui est essentiel dans une économie fondée sur l'innovation. Il a cependant noté qu'il n'était absolument pas souhaitable que le brevet, conçu pour des machines, n'en arrive à protéger la connaissance, notamment dans des domaines comme le vivant et le logiciel. Il a fait remarquer que des économistes en arrivent, y compris aux Etats-unis, à estimer que « trop de brevet tue le brevet ». Il a fait mention de sa crainte que le brevet n'accompagne plus l'innovation, mais conduise à constituer des rentes qui seraient autant de freins à la recherche. S'agissant de celle-ci, il a plaidé pour qu'elle puisse continuer à bénéficier, en Europe, d'une exemption au regard des brevets existants, au contraire de ce qui se passe aux Etats-Unis. Il a aussi rappelé que les redevances des brevets ne remplaceront pas le financement public de la recherche, comme le montre la situation des universités américaines.
Abordant les problèmes internationaux, M. Alain Claeys a réaffirmé sa conviction qu'il sera nécessaire de renégocier la directive 98/44/CE compte tenu des ambiguïtés de son article 5. Il a estimé que la solution adoptée à l'initiative du gouvernement lors de la deuxième lecture du projet de loi de révision des lois « bioéthique » tendant à créer des « petits » brevets de produits ne réglera rien, dans la mesure où l'O.E.B. continuera à appliquer les dispositions de la directive, c'est-à-dire de breveter le gène et son application.
Il a ensuite souligné qu'il serait nécessaire de renégocier plusieurs articles (27-1, 27-2 et 30) des Accords sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (A.D.P.I.C.) afin de préciser certaines dispositions.
Enfin il a noté que les problèmes de propriété intellectuelle étaient discutés au sein de deux organisations internationales, l'Organisation mondiale du commerce (O.M.C.) et l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (O.M.P.I.). Il a montré sa préférence pour que ces questions soient abordées plutôt par l'O.M.C. dans la mesure où, là, l'Union européenne vient en tant que telle, au contraire de l'O.M.P.I., où seuls les Etats sont représentés.
Il a ensuite présenté les recommandations du rapport.
Celles concernant plus spécifiquement la France sont axées sur l'organisation d'une réflexion sur les problèmes se posant dans le domaine du brevet, sur les critères de brevetabilité dans les domaines « non tangibles », sur la création d'un système de gestion collective de la propriété intellectuelle en matière de santé humaine et enfin sur l'introduction, dans le Code de la propriété intellectuelle, de dispositions protégeant les contrevenants involontaires contre des poursuites liées, par exemple, à la dissémination accidentelle de graines brevetées.
Les recommandations au niveau européen ont trait à la modification du système de financement de l'O.E.B., à la réforme de la Convention sur la délivrance de brevets européens (C.B.E.), à l'instauration d'une session « ministérielle » annuelle à l'O.E.B. ainsi qu'à la renégociation de l'article 5 de la directive 98/44/CE.
Au niveau international, le rapporteur a recommandé, notamment, une saisine du Conseil des A.D.P.I.C pour que soient interprétés les critères de brevetabilité prévus à l'article 27 - 1, afin d'exclure, d'une part, le vivant humain de la brevetabilité et, d'autre part, ceux de l'article 30 pour prévoir explicitement une exemption en faveur de la recherche fondamentale.
M. Alain Claeys a conclu son intervention en notant que les organismes publics de recherche comme l'I.N.R.A., l'I.N.S.E.R.M. et le C.N.R.S. lui ont paru avoir une attitude réfléchie et constructive sur ces thèmes.
Il a fortement insisté sur la nécessité pour le politique de se saisir de cette question sans remettre en cause ni la propriété intellectuelle, ni le brevet, et de réfléchir aux évolutions qui se sont produites dans ce domaine, dues, notamment, au passage d'une économie fondée sur les biens tangibles à une économie de plus en plus fondée sur la connaissance.
M. Claude Birraux, député, président de l'Office, a posé des questions sur les brevets que l'on peut qualifier de « négatifs », déposés pour se protéger des concurrents, sur les modes de financements des différents offices de brevets, sur les banques de données, les communautés de brevets et sur les moyens de rétribuer la propriété intellectuelle de la recherche publique, en évoquant l'action, dans ce domaine, de l'Université de Louvain-la-Neuve. Il a ensuite fait des propositions pour préciser l'articulation entre l'O.M.C. et l'O.M.P.I. en matière de définition des critères de brevetabilité et souhaité qu'une session parlementaire annuelle soit organisée à l'O.E.B.
M. Alain Claeys a acquiescé aux suggestions de M. Claude Birraux et a souligné que la coordination entre les trois principaux offices de brevets reléguait quelque peu la puissance publique en marge de ce domaine. Il a affirmé ensuite sa préférence de voir les problèmes de propriété intellectuelle réglés à l'O.M.C. plutôt qu'à l'O.M.P.I.
Il a indiqué que les banques de données étaient d'ores et déjà en phase de réalisation en citant, outre l'Islande, la situation en Lettonie et en Estonie. Il a insisté sur le fait que l'attention devait être fortement mobilisée par ces dossiers.
Il a estimé que les communautés de brevets devaient être développées, afin qu'il n'existe pas de concurrences inutiles qui pourraient nuire à l'innovation.
Après avoir considéré que l'expression « brevet négatif » semblait assez appropriée pour qualifier les situations de rente susceptibles de se créer, il a réitéré que le financement issu des brevets était marginal pour les organismes publics de recherche, même aux Etats-Unis. Il s'est demandé, de ce point de vue, si les fondations de recherche, en projet en France, auraient une incidence dans ce domaine dans la mesure où il est difficile de faire travailler ensemble le public et le privé.
M. Claude Saunier, sénateur, a estimé que les petites entreprises avaient de la difficulté à financer des demandes de brevet.
M. Alain Claeys, député, a noté que le financement de ces demandes de brevets pourrait être revu. Il a ensuite évoqué le problème des licences, en soulignant que les pouvoirs publics pouvaient accorder des licences d'office. Il a indiqué que l'affaire des médicaments soulevée à la Conférence de Doha avait trouvé une solution en 2003.
M. Daniel Raoul, sénateur, a évoqué la question de la brevetabilité des gènes et de leurs applications.
M. Alain Claeys, député, a indiqué qu'il était favorable aux brevets d'application mais opposé aux brevets de produits, ce qui impliquait de ne pas breveter le gène et l'application, mais l'application seule.
L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a unanimement approuvé les conclusions du rapporteur, compte tenu des suggestions du président Claude Birraux.
La Charte de l'Environnement - Échange de vues
Les membres de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques ont ensuite procédé à un échange de vues sur la Charte de l'environnement.
M. Claude Birraux, président, a rappelé que l'Office avait procédé à une série d'auditions publiques sur ce sujet le 10 avril 2003 à la demande du Président de l'Assemblée nationale. Trois tables rondes avaient été organisées : sur les responsabilités des industriels, la responsabilité de l'homme, la responsabilité des scientifiques, permettant un débat contradictoire, et parfois vif, entre les participants. Il a annoncé qu'il demanderait un temps de parole, en tant que président de l'Office, dans la discussion générale de ce texte, destiné à être adossé à la Constitution. Il a estimé que les problèmes soulevés par ce texte viennent de la difficile complémentarité entre une approche juridique nécessairement formelle et une approche scientifique nécessairement évolutive.
M. Claude Birraux, président, a donné lecture d'une communication de Mme Marie-Christine Blandin, sénateur, excusée, dans laquelle celle-ci souligne l'importance et l'intérêt de la notion du principe de précaution.
Célébration du XXe anniversaire de l'Office
Puis l'Office a procédé à un échange de vues sur la célébration du XXe anniversaire de l'Office, dont la date se trouve fixée au mardi 11 mai prochain.
M. Claude Birraux, président, a souhaité que chacun des membres de l'Office puisse s'impliquer dans le débat prévu sur des grands thèmes scientifiques intéressant le futur.
Saisines de l'Office
Abordant les questions diverses, M. Claude Birraux, président, a fait le point sur les nouvelles saisines de l'Office.
Il a indiqué que l'Office avait été saisi par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, d'une demande d'étude sur le « risque épidémique ». De son côté, le Bureau de l'Assemblée nationale vient de saisir l'Office d'une étude « sur la définition et les implications du concept de voiture propre ».
Il a rappelé que la conférence annuelle des offices parlementaires européens d'évaluation des choix scientifiques (EPTA) aurait lieu cette année les 25 et 26 octobre 2004 sous l'égide du Sénat.
Un débat au cours duquel sont intervenus MM. Christian Bataille, député, Christian Cabal, député, et Daniel Raoul, sénateur, s'est ouvert à propos de la préparation de la prochaine loi d'orientation sur la recherche. M. Claude Birraux, président, a indiqué que l'Office avait été sollicité tant par Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée chargée de la recherche, que par le collectif « Sauvons la recherche ». Il a souligné qu'en tout état de cause, l'Office ne pourrait apporter sa propre contribution qu'après avoir été, le cas échéant, officiellement saisi par les autorités compétentes, c'est-à-dire soit par le bureau de l'une ou l'autre assemblée, soit par une commission spéciale ou permanente.