Table des matières
OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES (OPECST)
Mardi 18 mars 2003
- Présidence de M. Claude Birraux, député, président de l'Office.
La qualité de l'eau et de l'assainissement en France - Examen du rapport
Lors de sa réunion du mardi 18 mars 2003, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a procédé à l'examen du rapport présenté par M. Gérard Miquel, sénateur, sur « la qualité de l'eau et de l'assainissement en France ».
M. Gérard Miquel, sénateur, rapporteur, a rappelé en préambule que le rapport de l'Office faisait suite à une saisine de la commission des finances, de l'économie générale et du plan de l'Assemblée nationale et que la mission qui lui avait été confiée était triple :
- élaborer un document pédagogique destiné aux élus et à leurs équipes. Il ne s'agissait donc pas d'établir de cartes de qualité ni de pointer du doigt telle ou telle région, mais de donner aux élus des références techniques qui leur permettent de répondre aux préoccupations des Français ;
- établir un bilan des politiques publiques de préservation de la qualité de la ressource ;
- ouvrir des pistes de réflexion sur les stratégies de reconquête à mener.
Dans un premier temps, M. Gérard Miquel, sénateur, rapporteur, a présenté son analyse de la qualité de la ressource en eau. Il a rappelé que, dans la nature, toutes les eaux n'étaient pas bonnes à boire et que même l'eau de pluie était chargée en métaux et en pesticides. Il a indiqué que les scientifiques l'avaient mis en garde contre les appréciations hâtives, dans la mesure où la pluie, par son impact sur le transfert ou la dilution des polluants, influence considérablement les mesures de pollutions. Il a noté que la qualité de l'eau devait être appréciée au regard des critères posés par la directive cadre européenne du 23 octobre 2000 qui fixe pour objectif un bon état chimique, écologique et quantitatif des eaux.
M. Gérard Miquel, sénateur, rapporteur, a présenté les différentes origines de la pollution des eaux. Il a estimé que les pollutions industrielles, organiques et chimiques, étaient les mieux identifiées et que l'héritage industriel laissait parfois un champ de ruines écologique qui affecte les eaux souterraines et les eaux de surface, mais que, grâce à une réglementation stricte, une mobilisation efficace et des efforts d'équipement, la pollution d'origine industrielle était globalement maîtrisée.
Concernant les pollutions organiques d'origine domestique liées, pour l'essentiel, aux rejets des eaux usées, le rapporteur a relevé les progrès de l'assainissement et évoqué le rôle des forages individuels dans la pollution des eaux. Il a estimé que des forages mal conçus, mal entretenus, étaient des colonnes directes de pollution des eaux souterraines mettant en contact des nappes polluées avec des nappes qui ne l'étaient pas et que des prélèvements anarchiques pouvaient également provoquer de graves phénomènes d'intrusion marine.
Concernant les pollutions diffuses d'origine agricole, M. Gérard Miquel, sénateur, rapporteur, a rappelé que les nappes et rivières étaient affectées par une contamination de plus en plus fréquente et de plus en plus massive par les nitrates et les pesticides et que les fortes pluies des dernières années contribuaient à aggraver le phénomène dans la mesure où les nitrates, solubles, se retrouvaient dans les nappes.
M. Gérard Miquel, sénateur, rapporteur, s'est inquiété de cette évolution, moins pour des raisons de santé publique que parce que cette dégradation révélait un échec des politiques publiques. Il a considéré en premier lieu que le cadre légal et réglementaire n'était pas adapté. Il a estimé que la loi avait vieilli, dans la mesure où le dispositif des périmètres de protection des captages, conçu il y a quarante ans pour éviter les pollutions accidentelles, était inadapté aux pollutions diffuses, et qu'il était difficile d'en contrôler l'application. Il a estimé que le premier objectif de toute réforme devait être la simplification. Il a fait valoir, en second lieu, que l'organisation de la gestion de l'eau était défaillante, avec, par exemple, plus de 500 services assurant la police de l'eau, que le cadre communal n'était plus adapté à la protection et la gestion de l'eau, et que l'intercommunalité dans le domaine de l'eau n'était qu'un palliatif créant un enchevêtrement inextricable de syndicats. Il a indiqué que la France ne pourrait gagner la bataille de l'eau sans regrouper les acteurs et qu'il n'était pas possible de conjuguer des attentes du XXIe siècle avec des structures et des mentalités du XIXe siècle.
En troisième lieu, le rapporteur a relevé l'échec des interventions publiques, malgré une grande panoplie de moyens (réglementation, plans d'action, opérations volontaires...). Il a toutefois mis en relief quelques succès, notamment dans le cas de la protection des eaux minérales, grâce aux investissements, à la rigueur dans l'application des pratiques agricoles et aux efforts partagés par tous. Il a également noté les premiers résultats encourageants de la mise en oeuvre de l'éco-conditionnalité, qui consiste à subordonner le paiement de primes agricoles européennes au respect de critères environnementaux, en l'espèce à la pose de compteurs sur les lieux d'irrigation.
M. Gérard Miquel, sénateur, rapporteur a évoqué dans un second temps la qualité de l'eau distribuée. Il a considéré que les Français avaient raison de s'inquiéter de la qualité de l'eau distribuée, mais qu'ils s'inquiétaient pour de mauvaises raisons. Il a rappelé que le goût et le calcaire étaient des paramètres de confort, et non des paramètres de santé, et estimé que les nitrates et les pesticides, symboles des peurs alimentaires, ne présentaient pas, aux seuils actuels, de risques majeurs pour la santé publique.
Il a noté, concernant les nitrates, que la valeur de 50 microgrammes par litre avait été fixée en fonction du risque de méthémoglobinémie des nourrissons, mais que cet impact était mis en doute aujourd'hui, et que les seuils applicables aux pesticides dans l'eau, soit 0,1 microgramme par litre, étaient de 10 à 100 fois inférieurs à ceux d'autres pays, de 100 à 100.000 fois inférieurs pour les fruits et légumes, qui représentaient pourtant 90 % des sources d'exposition aux pesticides.
M. Gérard Miquel, sénateur, rapporteur, a cependant évoqué les risques potentiels à long terme : risque cancérigène, risque lié aux métabolites des molécules qui peuvent être plus dangereux que les molécules mères, risque lié aux multiexpositions aux micropolluants à de très faibles doses.
Le rapporteur a considéré que la focalisation sur les nitrates et les pesticides occultait le risque microbiologique qui, lui, était parfaitement identifié, à court terme, et à l'origine de 10 à 30 % des cas de gastroentérite. Il a noté que le risque augmentait avec la turbidité de l'eau et que les mesures de précaution restreignant la consommation d'eau n'étaient que des solutions provisoires qui masquaient les problèmes.
M. Gérard Miquel, sénateur, rapporteur a rappelé l'importance des réseaux de distribution dans lesquels se développent la plupart des risques hydriques liés à la constitution de biofilms pouvant abriter des agents pathogènes. Il a évalué le coût pour remplacer les matériaux anciens à 53 milliards d'euros en 12 ans.
Le rapporteur a regretté que la sécurisation de l'eau soit révélatrice d'une évolution sociale dont les conséquences n'avaient pas été suffisamment analysées.
Il a déploré une certaine dérive vers l'irrationnel et un basculement des solidarités. Il a relevé que les protections étaient destinées aux publics les plus fragiles, connus sous le nom de YOPI's (Young, Old, Pregnant, Immunodéficients), mais qu'elles n'étaient pas accessibles à tous, pour des raisons de coût et de rendement, de telle sorte qu'un clivage grandissait entre l'eau des villes et l'eau des champs.
Dans un troisième temps, M. Gérard Miquel, sénateur, rapporteur, a parlé de la qualité de l'assainissement des eaux usées. Il a exprimé ses craintes sur le plan financier, dans la mesure où les communes ne pourront à la fois protéger la ressource, moderniser les équipements de potabilisation, changer les réseaux, et financer l'assainissement. Il a noté que, une fois les stations d'épuration construites, beaucoup de communes n'avaient pas l'argent nécessaire pour financer les raccordements et que la concurrence possible entre les aides aux communes et les aides aux agriculteurs était très préoccupante.
Il a regretté que l'assainissement collectif ait été favorisé sans soutien parallèle à l'assainissement non collectif et sans que le sort des boues issues des traitements des eaux usées n'ait été réglé, alors même que les boues augmentaient avec la multiplication et le perfectionnement desdits traitements. Il a considéré que les boues hygiénisées, compostées étaient aussi des matières premières secondaires sous-utilisées, mais que leur emploi était freiné par leur classement en déchets.
M. Gérard Miquel, sénateur, rapporteur, a conclu en rappelant l'échec des politiques publiques et l'inadaptation du cadre communal dans la gestion de la ressource en eau. Il a formulé les propositions suivantes :
- fixer l'objectif de réserver 1 % du territoire de chaque département à des « zones de sanctuarisation de la ressource en eau », zones de protection des eaux destinées à préserver la qualité de ressources stratégiques ;
- envisager un recours plus régulier à l'éco-conditionnalité qui consiste à subordonner le paiement de soutiens agricoles au respect de pratiques environnementales destinées à protéger la ressource ;
- faire du département l'échelon central de la gestion de la ressource en eau. Encourager la création de syndicats départementaux de gestion de l'eau sur le modèle des syndicats départementaux des déchets ;
- simplifier :
· la réglementation (en supprimant l'obligation d'inscriptions aux hypothèques pour les périmètres de protection) ;
· la police de l'eau avec une police unique au niveau régional disposant d'antennes départementales (soit 26 services au lieu de 500 services actuellement) ;
· le régime de déclaration/autorisation des prélèvements (en généralisant le système déclaratif en mairie) ;
· la taxation de l'eau en substituant une redevance pollution à taux unique au système actuel inutilement complexe.
M. Claude Birraux, député, président de l'Office, a observé que la détermination des périmètres de protection était très complexe et supposait des études hydrogéologiques poussées. Il a interrogé le rapporteur sur la présence de métaux lourds dans les boues des stations d'épuration, et la possibilité de certification des systèmes d'assainissement non collectifs.
M. Claude Saunier, sénateur, a considéré qu'il y avait dans certains départements une sorte de « connivence politico-économico-administrative » entre les élus, l'Etat et les professions impliquées dans la dégradation de la ressource en eau. Il a estimé que l'Etat avait les moyens de connaître la réalité du terrain et les pratiques agricoles, mais qu'il n'exerçait pas ses responsabilités. Il a jugé qu'aucune amélioration ne serait possible sans volonté politique forte. Il a souligné les incohérences de la réglementation qui limite par exemple l'épandage d'effluents agricoles, en raison des apports en azote, tout en laissant libre l'épandage d'engrais minéraux, qui peuvent doubler la dose d'azote. Il a considéré que même si la profession agricole avait pris conscience de ses responsabilités, les perspectives d'amélioration pourraient largement venir de la pression des consommateurs. Il a partagé l'avis du rapporteur sur la nécessaire simplification des règles et des structures intercommunales. Il a estimé que cet imbroglio était un facteur supplémentaire d'opacité dont tiraient parti les sociétés fermières. Il a insisté sur le rôle nécessaire de l'Etat dans la police de l'eau.
Mme Marie-Christine Blandin, sénateur, a rappelé que le brouillard était encore plus chargé de pesticides que la pluie. Elle a estimé que la poursuite des plans de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA) ne pourrait s'envisager qu'après une évaluation des résultats. Elle a souligné les résultats positifs de certains programmes initiés par les professions agricoles, de type « ferti-mieux », notamment pour récupérer les déchets toxiques. Concernant le plomb, elle a observé que la majorité de la population de sa région n'était pas concernée car l'eau était parfois tellement chargée en calcaire qu'elle n'était pas consommée, et que paradoxalement, la population qui s'était équipée en adoucisseurs d'eau était la plus exposée au plomb.
M. Claude Gatignol, député, a observé que 2 % seulement de l'eau distribuée était utilisée à des fins alimentaires. Il s'est interrogé sur le bien-fondé de l'investissement et de l'utilisation de technologies avancées (type filtre à membrane) pour des usages non alimentaires. Il a interrogé le rapporteur sur l'évolution des contaminations des eaux à l'atrazine.
M. Jean-Claude Etienne, sénateur, a suggéré que la partie du rapport consacrée aux boues de stations d'épuration fasse davantage référence au précédent rapport de M. Gérard Miquel relatif aux métaux lourds. Il s'est interrogé sur le rôle de la luzerne dans la dénitrification naturelle, et sur la répartition des moyens de police de l'eau entre le département et la région.
En réponse aux intervenants, M. Gérard Miquel, sénateur, rapporteur, a précisé que :
- le système d'assainissement non collectif n'avait pas été assez développé et soutenu, alors même qu'il peut éviter des déconvenues prévisibles des systèmes d'assainissement collectifs dans les petites communes ;
- l'évaluation des pesticides était préoccupante, dans la mesure où les métabolites étaient beaucoup moins connus et donc beaucoup moins facilement repérés que les molécules mères, alors qu'ils peuvent être tout aussi dangereux ;
- les perspectives d'évolution des boues devraient distinguer clairement les boues-déchets, chargées en métaux lourds, et les produits valorisables, issus de boues transformées.
Le rapporteur a estimé que la profession agricole pouvait utilement s'orienter vers un système qui couplerait la certification et l'éco-conditionnalité. Il a indiqué que les réticences professionnelles fortes, au départ, pouvaient s'estomper à l'expérience, comme ce fut le cas pour les quotas laitiers. Il a considéré que si des quotas avaient été adoptés sur le porc et les volailles, une partie des problèmes liés à l'épandage des rejets d'élevage aurait été réglée.
Il a craint que la pression du consommateur ne se fasse surtout sur la base d'une contestation croissante vis-à-vis de l'alourdissement du prix de l'eau.
A la suite de cet échange, l'Office parlementaire a adopté les conclusions du rapporteur, à l'unanimité des membres présents.
Nanosciences et progrès médical - Examen de l'étude de faisabilité
Puis l'Office a procédé à l'examen de l'étude de faisabilité sur « Nanosciences et progrès médical », présentée par MM. Jean-Louis Lorrain et Daniel Raoul, sénateurs.
M. Jean-Louis Lorrain, sénateur, corapporteur, a souligné l'intérêt des nanobiotechnologies qui, pour la première fois, en janvier 2003, sont apparues dans les axes prioritaires du sixième programme-cadre de recherche et développement de la Commission européenne et qui, combinées au décryptage du génome humain, vont contribuer à modifier considérablement les techniques de diagnostic et de soin.
M. Daniel Raoul, sénateur, corapporteur, a exposé les recherches relatives au diagnostic médical et à son amélioration par les nanosciences en évoquant deux technologies principales :
- les biopuces : les biopuces à ADN (qui permettent d'identifier des séquences de nucléotides grâce au phénomène d'hybridation des bases, et donc d'établir rapidement un diagnostic génétique), les puces à protéines, les « labos-sur-puces » et les puces à cellules ;
- l'imagerie médicale qui pourrait être utilisée, notamment pour les endoscopies, grâce à une caméra intégrée dans une gélule absorbée par le patient.
M. Jean-Louis Lorrain, sénateur, corapporteur, a ensuite évoqué l'utilisation des nanotechnologies pour les soins et la réparation du corps humain.
En ce qui concerne les soins, il a rappelé que la miniaturisation des plaques de criblage des nouvelles molécules testées sur les cibles protéiniques avait permis d'accroître notablement la vitesse de la recherche pharmaceutique, et indiqué que les nanotechnologies contribueraient, par le procédé de l'impression moléculaire (c'est-à-dire la création, dans un matériau de synthèse, de l'image complémentaire d'une molécule-cible), à améliorer considérablement la recherche de nouveaux médicaments, particulièrement lorsque les cibles biologiques visées sont difficiles à isoler.
M. Jean-Louis Lorrain, sénateur, corapporteur, a également fait part des recherches actuellement consacrées aux puces distributrices de médicament que les patients ingèrent et qui, par un système d'activation électrique de membranes obturatrices, permettent une distribution modulable, au plus près de l'organe cible, des médicaments qu'elles contiennent.
Il a ensuite exposé les nouvelles techniques utilisées pour réparer le corps humain :
- les nano-implants (destinés à remplacer les implants métalliques que l'on installe notamment pour réduire les fractures), conçus avec des nanoparticules biologiques afin de se fondre progressivement dans l'organisme ;
- la réparation d'organes sensoriels, par exemple pour les traumatismes du système optique, par l'insertion d'un écran vidéo dans l'oeil ou par l'excitation directe du système nerveux ;
- les neuroprothèses, c'est-à-dire la combinaison de réseaux de microélectrodes implantées dans diverses zones du cortex moteur reliés à une neuropuce située dans le crâne et à une puce implantée dans le bras d'une personne paralysée.
En conclusion, M. Daniel Raoul, sénateur, corapporteur, a rappelé qu'il convenait d'être prudent et de bien distinguer les nanobiotechnologies réalisables des « machines à rêver ou à générer des financements ».
M. Jean-Louis Lorrain, sénateur, corapporteur, a ajouté que l'analyse des nanobiotechnologies, du point de vue de l'éthique, sous-tendrait l'ensemble de l'étude.
A l'unanimité des présents, l'Office a donné son accord pour que MM. Jean-Louis Lorrain et Daniel Raoul, sénateurs, corapporteurs, entreprennent l'étude « Nanosciences et progrès médical ».
Organisme extraparlementaire - Désignation d'un représentant
Enfin, l'Office a renouvelé le mandat de M. Francis Giraud, sénateur, à la Commission de génie génétique.