Table des matières
OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES (OPECST)
Mercredi 23 janvier 2002
- Présidence de M. M. Jean-Yves Le Déaut, député, Président de l'Office
Les incidences environnementales et sanitaires des essais nucléaires effectués par la France entre 1960 et 1996 - Examen du rapport
L'Office a procédé à l'examen du rapport sur les incidences environnementales et sanitaires des essais nucléaires effectués par la France et les autres puissances nucléaires (saisine de la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale), présenté parMM. Christian Bataille, député, et Henri Revol, sénateur, rapporteurs,
MM. Christian Bataille, député, et Henri Revol, sénateur, rapporteurs, ont tout d'abord précisé le cadre de leur étude, à partir des termes de la saisine, qui visait l'ensemble des essais effectués par la France de 1960 à 1996, demandant que soient fournis des éléments de comparaison avec toutes les autres puissances nucléaires.
M. Christian Bataille, député, rapporteur, a indiqué qu'il avait déjà été amené à aborder en 1997 un aspect du sujet à travers son rapport sur les déchets nucléaires à haute activité.
M. Henri Revol, sénateur, rapporteur, après quelques précisions sur la radioactivité naturelle et les sources les plus courantes d'exposition à la radioactivité, a traité des essais effectués par la France, en indiquant plus particulièrement que :
- - les tirs atmosphériques du Sahara en 1960 et 1961 ont eu lieu sur la zone de tir proche de Reggane ;
- - l'ensemble des mesures de protection de l'environnement et de la surveillance de celui-ci à travers un réseau de mesures précises des différents milieux naturels a permis de constater que les retombées réelles de ces tirs n'avaient en aucune manière mis en danger la vie et la santé des rares populations des régions concernées ou celles des participants à l'organisation des essais ;
- - la surveillance dosimétrique des personnels a été assurée dès le début et ce, d'une manière particulièrement complète (24 000 personnes de 1960 à 1966) ;
- - lors des 13 essais souterrains, 4 tirs n'ont pas été totalement confinés, dont un seul a été à l'origine d'un substantiel dégagement d'éléments radioactifs sous forme de nuage : le tir Béryl du 1er mai 1962. Neuf personnes ont reçu des équivalents de dose engagée de 600 millisievert (mSv) environ ;
- - 581 personnes (2,5 % de l'ensemble des effectifs civils et militaires), au total, ont reçu une dose cumulée supérieure à 50 mSv, imputable, en quasi-exclusivité, à l'essai Béryl.
Après la première époque, celle des essais sur barges (1966-1967) qui ont été réellement contaminants, les tirs sous ballon captif ont permis, avec un tir à une altitude de 250 à 500 m, d'éviter des retombées immédiates ou locales. D'autre part, l'extrême prudence météorologique a largement contribué à éviter tout accident comparable à celui du tir Bravo (1954) à Bikini, et même tout incident : cela a comporté un coût qui s'est traduit par 18 reports de tir représentant 100 jours d'attente supplémentaires.
Avec les essais souterrains (1975-1996), les seuls risques qui restaient concernaient le sous-sol dont la situation a été exhaustivement expertisée en 1996-1998 par l'Agence Internationale pour l'Energie Atomique (AIEA) et la commission de géomécanique internationale. Les travaux récents viennent conforter les éléments de conclusion réunis précédemment par d'autres spécialistes étrangers et français.
Sur le plan sanitaire est clairement établie l'absence de tout effet du fait des matières radioactives résiduelles sur la santé dans les deux atolls et au-delà de ceux-ci. La stabilité des atolls a été confirmée et les mesures de surveillance géologique déjà mises en oeuvre répondent tout à fait aux besoins.
Enfin, les études épidémiologiques spécifiques menées en Polynésie sur les cancers dans leur ensemble ont noté l'absence de tout effet discernable des essais nucléaires ; toutefois, une incidence plus élevée sur un effectif très faible de cancers de la thyroïde chez les femmes exige une étude complémentaire.
M. Christian Bataille, député, rapporteur, a ensuite abordé les essais nucléaires effectués par les autres puissances nucléaires, notamment les États-Unis et l'URSS. Il a, tout d'abord, rappelé que les deux rapporteurs s'étaient rendus en Australie, notamment sur le site d'essais de Maralinga. L'accueil courtois et efficace qui leur a été réservé de la part des autorités australiennes a permis de mieux saisir les effets limités des tirs aériens, ceux, plus contaminants, des essais de sécurité, qui ont exigé une importante opération de décontamination des sols entre 1990 et 2000.
Le site du Nevada, où l'on a fait de très nombreux essais mais de faible puissance, a été à l'origine d'une contamination par l'iode 131 qui s'est déposée jusque dans le Montana et dans l'Etat de New-York. Pendant toutes les années cinquante, les retombées calculées par le National Cancer Institute montrent une exposition par le lait qui a sans doute induit un nombre substantiel de cancers de la thyroïde. L'accident du tir Bravo en 1954 à Bikini est par ailleurs à l'origine d'une grave contamination sur plusieurs autres îles des Marshall, sans parler de l'île elle-même dans laquelle les habitants ne sont toujours pas retournés.
En URSS, le site de Semipalatinsk a connu un grand nombre de tirs contaminants de puissance faible ou moyenne qui ont eu des conséquences importantes en bordure du site mais aussi plus lointainement dans l'Altaï par exemple, à plusieurs centaines de kilomètres. Le tir de Totsk (1954), au Sud de l'Oural, contaminant 39 000 habitants et mettant en cause 40 000 soldats, est une illustration révélatrice des pratiques de l'époque.
Mais les essais en Nouvelle-Zemble, extrêmement puissants (dont le tir de 58 mégatonnes d'octobre 1961) semblent avoir été beaucoup moins contaminants, les techniques de tir utilisées ayant été plus adaptées.
Enfin, les « tirs d'activité pacifiques » de génie civil, spécifiquement soviétiques, même si les Américains en ont réalisé quelques uns, dépassent l'imagination par les effets dévastateurs sur l'environnement que certains d'entre eux ont exercés.
Mme Michèle Rivasi, députée, s'est demandé s'il n'était pas gênant d'affirmer que les sites des essais français ne posaient pas problème. Des soldats au Sahara n'ont eu en effet aucun suivi et les dosimètres n'étaient pas donnés systématiquement. Par ailleurs, l'étude de l'AIEA soulève beaucoup de critiques et il est dommage qu'il n'ait pas été fait appel à la CRII-RAD pour apprécier ses résultats.
Mme Michèle Rivasi, députée, a estimé que l'on n'avait pas une connaissance exacte des personnes qui ont participé aux essais ou à leur organisation, au Sahara comme en Polynésie, et souligné que certaines personnes ne peuvent avoir communication de leur dossier médical car le « secret-défense » leur est opposé. Elle a souhaité que le rapport prévoie une recommandation sur ce dernier point.
Les deux rapporteurs ont indiqué qu'ils n'avaient pas eu connaissance de tels cas et que, lors des rencontres qu'il a eues à Tahiti, M. Henri Revol, sénateur, rapporteur, avait demandé sans succès que lui soient signalées de telles difficultés.
M. Serge Poignant, député, a abordé l'une des recommandations visant à mettre fin à la disparité des situations juridiques, les ressortissants du Code des pensions civiles et militaires ne bénéficiant pas de la présomption de causalité pour les affections radio-induites ; il a souligné le caractère politique de la décision qui devrait être prise en ce domaine.
M. Jean-Louis Lorrain, sénateur, a interrogé les rapporteurs sur les études qui auraient pu avoir été menées sur la descendance de personnes irradiées. Ceux-ci lui ont indiqué qu'il n'y en avait pas pour le moment à leur connaissance, à l'exception de celle portant sur les pêcheurs japonais irradiés lors du tir Bravo aux îles Marshall.
L'Office a ensuite adopté le rapport et les recommandations. Une recommandation supplémentaire a été ajoutée à l'initiative de Mme Michèle Rivasi, députée, pour rappeler que la communication du dossier médical au médecin de chaque ressortissant des armées était obligatoire et ne saurait être empêchée par un quelconque « secret défense ».