Mission commune d'information sur la place et le rôle des femmes dans la vie publique
MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGÉE D'ÉTUDIER LA PLACE ET LE RÔLE DES FEMMES DANS LA VIE PUBLIQUE
AUDITIONS DU 4 FEVRIER 1997
Mardi 4 février 1997 - Présidence de M. Jean-Louis Lorrain, vice-président
La mission commune d'information sur la place et le rôle des femmes dans la vie publique a procédé à l'audition de Mme Michèle Beuzelin et de M. Jean-Jacques Weber, vice-président de l'Association des présidents de conseils généraux (APCG).
Mme Michèle Beuzelin, précisant qu'elle s'exprimerait d'abord au nom de l'APCG avant d'ajouter quelques observations personnelles, a déclaré qu'aux yeux de l'APCG, le plus important dans le débat sur la place des femmes dans la vie publique était le droit des femmes à prendre la parole et à être entendues pour leur valeur et pour leurs compétences. Rappelant que pour obtenir un droit, il importait d'abord de le réclamer, elle a observé que la prise de parole -acte politique par essence- avait toujours été la première arme dans la lutte contre les inégalités.
Tout en estimant que la France était une démocratie inachevée et devait tendre vers une juste mixité, elle a souligné le paradoxe entre, d'un côté, la participation croissante des femmes à la vie professionnelle et l'augmentation de leur niveau de qualification, de l'autre leur sous-représentation manifeste dans les postes de décision. A ce propos, elle a rappelé qu'aucune des 200 plus grandes entreprises françaises n'était dirigée par une femme. Remarquant que la fonction publique offrait aux femmes des conditions plus propices, elle a néanmoins constaté que la proportion de femmes diminuait au fur et à mesure que l'on s'élevait dans la hiérarchie. Elle a fait notamment observer que le secteur de la santé était composé de 76 % de femmes, mais avec 86 % d'infirmières contre seulement 20 % de médecins généralistes ; que dans le secteur de l'éducation, elles représentaient 65 % des enseignants de l'école primaire mais seulement 10 % des professeurs d'université.
Elle a ensuite souligné qu'en matière de participation à la vie politique, la France se situait, toutes élections confondues, au 65e rang mondial et au dernier rang européen, avec par exemple 7,6 % de femmes maires dont une seule dans une ville de plus de 100.000 habitants, ou 11,3 % de conseillers régionaux femmes et une seule région présidée par une femme. Elle a précisé que sur 4.216 conseillers généraux, on ne comptait que 214 femmes, soit 5,7 %, 12 conseils généraux ne comportant aucune femme et un seul étant présidé par une femme.
Examinant les origines de la sous-représentation des femmes dans les instances élues, Mme Michèle Beuzelin s'est déclarée convaincue que cette situation tenait avant tout à un manque de confiance des hommes envers les femmes mais également des femmes en elles-mêmes. Elle a ensuite avancé cinq facteurs d'explication :
- le caractère tardif de la participation des femmes aux élections ;
- le rôle contradictoire de l'Etat providence en France, qui avait apporté un soutien financier significatif aux familles, dispensant les femmes, dans certains milieux, d'un investissement hors du foyer tout en valorisant leur rôle. Mais elle a également jugé que l'Etat providence avait, dans le même temps, permis à d'autres femmes de se libérer de certaines charges familiales en les confiant à d'autres, ce qui leur permettait de s'investir dans la vie professionnelle ou associative. Elle a, à cet égard, noté l'aspiration croissante des femmes, mais également des hommes, à un nouveau partage du travail dans le monde professionnel comme dans les charges familiales, facteur de nature à encourager la participation des femmes à des activités publiques ;
- une conception féminine souvent négative du pouvoir, considéré comme « une idée mal polie » incompatible avec la féminité ;
- les structures institutionnelles et notamment le mode de désignation des candidats par les partis, défavorable aux femmes.
S'exprimant ensuite à titre personnel, Mme Michèle Beuzelin a évoqué son parcours politique d'élue municipale et de conseiller général. Après avoir indiqué qu'elle avait bénéficié pendant toute sa carrière du soutien de son mari, d'une part, de celui de Jean Royer, maire de Tours, qui l'avait fait entrer au conseil municipal, d'autre part, elle s'est déclarée convaincue que pour beaucoup de femmes, l'engagement politique avait dû être autrement plus difficile.
M. Jean-Louis Lorrain, président, a remercié Mme Michèle Beuzelin dont l'intervention lui a paru empreinte de beaucoup de sérénité.
Appelée par M. Philippe Richert, rapporteur, à apporter des précisions sur les notions de démocratie inachevée et de juste mixité, puis à commenter les différentes propositions formulées récemment par l'observatoire de la parité, Mme Michèle Beuzelin a estimé qu'il importait avant tout que la volonté d'une plus juste mixité de la vie politique devienne une cause nationale soutenue tant par les élus que par les citoyens. Initialement réticente à des mesures d'incitation financière pouvant donner l'impression qu'il faudrait payer les partis pour qu'ils acceptent des femmes, elle a indiqué que dans le contexte actuel, elle s'était laissée convaincre que des mesures contraignantes pourraient se justifier à titre provisoire, pendant une dizaine d'années, tout en soulignant que cette position ne reflétait pas celle de l'APCG. Elle a par ailleurs fait valoir qu'une plus grande participation des femmes à la vie politique était de nature à réduire la distance qui séparait aujourd'hui les Français de la classe politique car elles bénéficiaient collectivement d'une image positive.
Mme Michelle Demessine est convenue que les incitations financières pouvaient avoir une connotation péjorative mais qu'au fond, ces subventions étant prélevées sur des fonds publics alimentés par l'impôt auquel les femmes contribuaient au même titre que les hommes, elle en acceptait le principe. Elle a, par ailleurs, souhaité savoir si l'APCG avait mené une réflexion sur la sous-représentation féminine dans les conseils généraux, étape encore très fermée aux femmes mais pourtant stratégique dans une carrière politique.
Mme Michèle Beuzelin a reconnu que le mandat de conseiller général était particulièrement difficile pour les femmes, aussi bien dans les cantons ruraux dominés par des hommes qu'en milieu urbain, où il était presque impensable de briguer un siège sans avoir au préalable exercé un mandat municipal. Après avoir indiqué qu'à titre personnel, elle estimait qu'une limitation de cumul des mandats pourrait favoriser l'accès des femmes dans les instances élues, elle a indiqué que l'APCG n'avait pas à sa connaissance engagé de réflexion sur ce thème, mais qu'elle entendait bien proposer au président Jean Puech l'organisation d'un débat lors des prochaines assises de l'APCG.
Elle s'est par ailleurs déclarée sceptique sur la formule du « tandem » homme-femme pour les élections au scrutin majoritaire, craignant que les femmes soient systématiquement confinées au poste de suppléant. Elle a d'ailleurs observé que cette formule n'était même pas envisageable pour le mandat de conseiller général, mandat solitaire entre tous puisque les candidats s'y présentaient sans suppléant ni colistiers.
M. Jean-Louis Lorrain, président, a souhaité connaître le point de vue de M. Jean-Jacques Weber sur les raisons du décalage entre l'image très positive des femmes dans l'opinion publique et leur sous-représentation dans la vie politique.
Soucieux de dépasser le débat traditionnel sur la redistribution des postes entre hommes et femmes, M. Jean-Jacques Weber a répondu que le vrai problème n'était pas de savoir s'il y avait un nombre suffisant de femmes élues mais de savoir si leurs préoccupations spécifiques étaient bien prises en compte. Estimant que leurs responsabilités familiales dotaient les femmes d'une sensibilité particulière aux problèmes de la famille, de l'enfance, du logement et aux rythmes de vie, il a jugé avant tout important que le système politique permette de traduire ces préoccupations.
Il a par ailleurs considéré que la situation actuelle n'était pas propre à la France, citant comme exemple le Comité des régions d'Europe avec seulement 20 femmes sur 222 membres.
Il a estimé que les quotas pouvaient apparaître très méprisants pour les femmes, ajoutant qu'à ses yeux, le vrai débat devait se situer avant tout dans les partis politiques.
Il a enfin considéré qu'une évolution des mentalités, notamment sur le plan de l'éducation des jeunes garçons, représentait un préalable à une meilleure participation des femmes à la vie politique. Jugeant que les femmes, par nature, étaient « porteuses de paix et d'équilibre, d'un esprit sain et organisé », il a souhaité qu'elles soient plus présentes dans la vie politique tout en concédant qu'il ne connaissait pas de solution pour atteindre cet objectif.
M. Philippe Richert, rapporteur, a observé que par-delà l'indéniable consensus sur la nécessité d'une meilleure participation des femmes à la vie politique française, deux questions subsistaient : faut-il s'en remettre à l'évolution naturelle de la société ou au contraire accélérer le mouvement vers un équilibre plus juste et, dans le second cas, quels sont les moyens pertinents pour y parvenir ?
Evoquant d'éventuelles modifications du code électoral, M. Jean-Jacques Weber a considéré qu'une limitation plus stricte du cumul des mandats pourrait être envisagée tout en indiquant que cette pratique était entièrement liée au centralisme administratif dont souffrait la France.
Mme Michelle Demessine a fait valoir que la solution passait inévitablement par les partis politiques, dont le rôle déterminant en matière d'investiture était à l'origine de la sous-représentation des femmes. Elle a, par ailleurs, jugé peu vraisemblable que les progrès de la décentralisation puissent conduire à réduire le cumul des mandats.
M. Jean-Louis Lorrain, président, est convenu que l'éventail des solutions envisageables était limité. S'interrogeant, par ailleurs, sur l'attrait des femmes pour le pouvoir, il a observé qu'elles en ressentaient peut-être plus que les hommes toutes les servitudes. Rappelant que l'expression générique « les femmes » était loin de recouvrir une catégorie homogène, il a souhaité que l'on prenne mieux en considération la diversité des origines sociales, géographiques ou intellectuelles des femmes. Après avoir lié la capacité de chacun, homme ou femme, à s'engager dans la vie politique à la possibilité de trouver dans son couple un appui et un réconfort, il a fait observer que dans les grandes villes, plus du tiers des femmes étaient des femmes seules, donc dépourvues de ce soutien.
Mme Michèle Beuzelin a estimé qu'en général les femmes, plus que les hommes, désiraient le pouvoir non pour en jouir mais « pour agir » et pour trouver des solutions concrètes aux difficultés. Elle a toutefois reconnu que la conception des femmes quant à leur carrière était aussi diverse que celle des hommes, certaines femmes ayant ainsi des « carrières d'hommes ». Réfutant que les femmes seules soient plus démunies que d'autres pour entreprendre des carrières politiques, elle a néanmoins considéré, elle aussi, que le couple pouvait compenser la solitude de la vie politique, dominée par une incessante compétition.