COM (2000) 51 final  du 09/02/2000

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 07/03/2000
Examen : 29/05/2000 (délégation pour l'Union européenne)


Justice et Affaires intérieures

Assistance judiciaire en matière civile : problèmes rencontrés
par le plaideur transfrontalier

Texte E 1417 - COM (2000) 51 final

(Procédure écrite du 29 mai 2000)

Le document E 1417 est un Livre vert de la Commission sur l'assistance judiciaire en matière civile. Le Conseil européen, réuni à Tampere les 15 et 16 octobre 1999, avait, en effet, invité le Conseil à « établir, sur la base de propositions faites par la Commission, des normes minimales garantissant un niveau approprié d'aide juridique pour les affaires transfrontalières dans l'ensemble de l'Union ». Cette proposition s'inscrit dans la perspective de création d'un « espace de liberté, de sécurité et de justice », dont elle constitue l'un des premiers éléments.

L'objectif de ce Livre vert est d'analyser les obstacles à l'accès effectif à l'assistance judiciaire que peuvent rencontrer les citoyens européens impliqués dans des procédures judiciaires dans un autre Etat membre que le leur. Il présente également certaines propositions de réforme. Son but principal est, cependant, de permettre aux Etats de faire part de leurs réactions, en vue d'une nouvelle proposition de la Commission visant à instaurer des normes minimales garantissant un niveau approprié d'assistance judiciaire. Pour réaliser cet objectif, la Commission invite donc les parties concernées à transmettre leurs réactions avant le 31 mai 2000.

1. Le contexte et le contenu du Livre vert

La libre circulation des personnes, des biens et des services dans l'Union européenne s'accompagne d'une augmentation du nombre potentiel de litiges transfrontaliers. Ceux-ci peuvent concerner aussi bien les grandes entreprises, que les petites entreprises ou des particuliers aux ressources modestes. Par exemple, un particulier peut être impliqué dans un accident à l'étranger ; il peut aussi y acquérir des marchandises qui se révèlent défectueuses ; son conjoint peut avoir quitté le domicile conjugal en emmenant leurs enfants et s'établir dans un autre pays. Il peut donc être obligé d'intenter une action en justice dans le pays où a surgi le litige ou être menacé d'une action en justice dans un autre pays.

Or, depuis quelques années, il est apparu clairement que les personnes impliquées dans des différends dans un autre Etat membre rencontraient de sérieuses difficultés pour accéder à l'assistance judiciaire. En effet, les dispositifs nationaux d'assistance judiciaire sont très différents. Ainsi, dans certains Etats membres, l'assistance judiciaire est réservée aux catégories défavorisées de la population, alors que, dans d'autres, elle est ouverte de façon large. De la même façon, il existe dans certains pays un mécanisme selon lequel l'Etat assure le remboursement aux avocats des frais engagés, alors que, dans d'autres, ce sont les avocats eux-mêmes qui offrent (sur une base volontaire ou obligatoire) des services gratuits ou rémunérés à un taux inférieur à la normale. A cet égard, les difficultés rencontrées par un plaideur transfrontalier ne peuvent être résolues par les conventions internationales existantes, comme les deux conventions de La Haye de 1954 et 1980, ou la convention de Bruxelles de 1968.

Il convient de remarquer ici que l'« assistance judiciaire » est entendue de façon large par le Livre vert.

D'une part, la notion d'« assistance judiciaire » peut recouvrir les cas suivants :

- l'assurance, par un avocat, d'une consultation pré-contentieuse ou de la représentation en justice, gratuite ou moyennant le paiement d'une rémunération modeste ;

- l'exonération partielle ou totale d'autres frais, tels que les droits de procédure ;

- l'assistance financière directe en vue de rembourser les coûts du litige.

D'autre part, l'« assistance judiciaire » peut être demandée à différentes phases de la procédure :

- au stade pré-contentieux ;

- lors d'un procès ;

- pour l'exécution de la décision.

Le requérant d'un Etat membre A nécessitant une assistance judiciaire dans un Etat membre B est confronté à de nombreux obstacles, comme l'obligation de résider ou d'être présent dans l'Etat membre où l'aide est sollicitée, de remplir des conditions liées aux ressources financières du requérant, ou des conditions liées à un examen du bien-fondé de la procédure visée par la demande d'assistance judiciaire. L'absence d'information sur l'accès à l'assistance judiciaire dans d'autres Etats membres ou sur la façon de transmettre les demandes d'assistance judiciaire dans un autre Etat membre peuvent également être un obstacle, de même que le fait que certains régimes nationaux d'aide judiciaire ne tiennent pas compte des difficultés linguistiques et des coûts supplémentaires d'un litige transfrontalier (traductions de documents, double avis juridique, signification d'actes, etc...).

*

Selon la Commission, il importe donc de mener une réflexion, au niveau communautaire, sur les moyens de supprimer toute discrimination à l'encontre des ressortissants communautaires fondées sur la résidence ou la nationalité, et à éliminer, ou à minimiser, les obstacles créés, tant par les coûts supplémentaires dus au caractère transfrontalier du litige, que par la différence entre les régimes nationaux en ce qui concerne les plafonds financiers et l'examen du bien-fondé de la demande.

Tout d'abord, en ce qui concerne les obstacles liés à la condition de nationalité ou de résidence pour obtenir le bénéfice de l'assistance judiciaire, la Commission considère que, avant de légiférer dans ce domaine, il serait plus opportun de clarifier les obligations qui incombent aux Etats membres au titre de l'article 12 du traité CE qui interdit toute discrimination fondée sur la nationalité et d'inciter les Etats membres à ratifier la Convention de La Haye de 1980 tendant à faciliter l'accès international à la justice. La Commission invite, par conséquent, les Etats membres à lui faire part de leurs positions sur la stratégie à adopter en la matière, notamment sur la question de l'utilité d'une législation communautaire. Elle souhaite également connaître l'avis des Etats membres sur l'extension de ce principe de non-discrimination aux ressortissants de pays tiers résidant habituellement dans un Etat membre, comme le préconise la Convention de La Haye de 1980.

La Commission propose, ensuite, d'éliminer, ou de réduire, les difficultés en matière de conditions d'éligibilité financière et d'appréciation du bien-fondé de l'affaire. En effet, pour obtenir le bénéfice d'une assistance judiciaire, un requérant doit généralement prouver qu'il remplit les conditions d'éligibilité prévues par la législation de Etat concerné, notamment en ce qui concerne ses moyens financiers et le bien-fondé de l'affaire à propos de laquelle il demande l'assistance judiciaire. Or, les plafonds financiers et la portée de l'examen du bien-fondé de la demande varient considérablement au sein de l'Union européenne. La Commission propose donc d'adapter les conditions d'éligibilité financière pour les plaideurs transfrontaliers en appliquant aux critères de l'Etat où l'affaire est en instance un « coefficient correcteur » ou une « pondération » qui tiendrait compte de la différence du coût de la vie entre les deux pays impliqués. Elle suggère, par ailleurs, que soit assurée une plus grande transparence pour l'examen du bien-fondé des demandes.

Par ailleurs, la Commission s'interroge sur les moyens d'empêcher que les coûts supplémentaires d'une procédure transfrontalière, comme la nécessité de faire appel à deux avocats ou les frais de traduction, n'entravent l'accès à la justice. Elle souhaite également la création d'une base de données, accessible au grand public, répertoriant les professionnels du droit à l'échelle nationale et communautaire pour faciliter la recherche d'un avocat dans l'Etat du litige. Selon le Livre vert, les informations contenues dans cette base pourraient être différentes selon les Etats, compte tenu des différences en matière de déontologie, mais elles s'articuleraient autour du domaine de spécialisation de l'avocat, de son expérience, des langues qu'il maîtrise et de sa disponibilité pour défendre un plaideur bénéficiant de l'assistance judiciaire. Un réseau européen d'avocats pourrait voir le jour, en instituant des correspondants d'un ou plusieurs Etats dans chaque Etat membre.

Le Livre vert s'intéresse, enfin, aux questions liées aux aspects techniques des dispositifs d'aide judiciaire, c'est-à-dire le mode de transmission des demandes d'assistance judiciaire, l'information sur l'aide judiciaire et les autres moyens d'assurer l'accès à la justice.

En premier lieu, la Commission s'interroge sur l'opportunité d'une réglementation communautaire en matière de transmission des demandes d'assistance judiciaire, étant donné l'existence d'un accord européen de 1977, dit « accord de Strasbourg », ratifié par tous les Etats membres de l'Union européenne, à l'exception de l'Allemagne, mais peu appliqué.

En second lieu, la Commission propose de publier une brochure sur l'accès à la justice au niveau européen, qui serait distribuée aux organisations de consommateurs, aux instituts de conseil social et aux barreaux nationaux d'avocats. Elle souhaite également promouvoir la formation de fonctionnaires chargés des systèmes d'assistance judiciaire et soutenir les jeunes avocats binationaux pour qu'ils s'engagent dans cette voie.

En dernier lieu, la Commission recommande la prudence à l'égard des réformes visant à instituer des solutions alternatives à l'assistance judiciaire, comme les honoraires conditionnels au Royaume-Uni ou l'assurance contre les frais de justice en Allemagne et en Suède. En effet, il ne serait pas acceptable, selon la Commission, que les Etats généralisent ces systèmes alors que le Conseil européen vient d'inviter le Conseil à établir des normes minimales garantissant un niveau approprié d'assistance judiciaire.

2. Les questions soulevées par le Livre vert

Si la nécessité d'améliorer l'accès au droit et à la justice des citoyens est bien établie, la proposition E 1417 soulève des objections et des interrogations.

a) Tout d'abord, il est nécessaire de répondre à la question de la Commission sur l'utilité d'une législation communautaire concernant l'assistance judiciaire. Certes, les citoyens des Etats membres connaissent de sérieuses difficultés pour accéder à la justice de leur propre pays et, plus encore, à celle des autres Etats. Mais quelle serait la valeur ajoutée d'une intervention communautaire en la matière et convient-il d'harmoniser les dispositifs nationaux d'assistance judiciaire ?

A cet égard, il est remarquable que de nombreux textes régissent déjà ce domaine, tant à l'échelon européen, qu'à l'échelon international.

Ainsi, à l'échelon européen, l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales de 1950, qui énonce le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement, pose les conditions précises d'octroi d'assistance judiciaire en matière pénale (paragraphe 3). Cet article a également été interprété par la jurisprudence comme signifiant qu'une assistance judiciaire doit être accordée aux personnes indigentes en matière civile, lorsque les intérêts de la justice l'exigent.

A l'échelon international, il convient de mentionner les deux conventions de La Haye, à savoir la Convention II de mars 1954 relative à la procédure civile et la Convention XXIX, du 25 octobre 1980, tendant à faciliter l'accès international à la justice. La première contient un chapitre sur l'assistance judiciaire gratuite. Elle impose aux Etats (contractants) d'étendre le traitement réservé aux nationaux à ceux des autres Etats. La seconde va au-delà de cette obligation en ce qu'elle exige que les ressortissants des Etats et les personnes ayant leur résidence habituelle dans un Etat (contractant) bénéficient de l'assistance judiciaire devant les tribunaux de chaque Etat dans les mêmes conditions que s'ils étaient eux-mêmes ressortissants de cet Etat ou y résidaient habituellement. En outre, il ne paraît pas nécessaire d'adopter un texte communautaire qui interdit toute discrimination directe ou indirecte dans l'octroi de l'assistance judiciaire, étant donné que l'article 12 du traité CE pose une interdiction générale de toute discrimination.

Ainsi, il existe déjà des obligations internationales et même communautaires régissant le bénéfice de l'assistance judiciaire pour les plaideurs transfrontaliers.

Il serait donc souhaitable d'inciter les trois seuls Etats membres qui ne l'ont pas encore fait (la Grande-Bretagne, la Grèce et l'Irlande) à ratifier la Convention de La Haye de 1980, tendant à faciliter l'accès international à la justice.

Une proposition de recommandation a d'ailleurs été soumise à cet effet par la Commission au Conseil en 1986. Il paraît préférable de faire adopter cette recommandation plutôt que de prendre un nouveau texte.

De la même manière, les aspects techniques de l'assistance judiciaire ont été pris en compte par un accord européen de 1977 sur la transmission des demandes d'assistance judiciaire, dit « accord de Strasbourg », dont la finalité est précisément de faciliter les démarches pour les demandeurs d'assistance judiciaire en instituant une sorte de réseau européen. A ce jour, un seul Etat membre n'a pas ratifié cet accord, l'Allemagne. Avant que l'Union européenne prenne des mesures séparées au niveau de l'Union, il serait souhaitable qu'elle adopte une recommandation pour que l'Allemagne ratifie cet accord.

L'utilité d'une législation communautaire ne paraît donc pas pleinement établie.

b) D'autres points de la proposition soulèvent, quant à eux, des interrogations.

Il en est, ainsi, de la proposition visant à instituer un « coefficient correcteur » pour tenir compte de la différence du niveau de vie entre deux Etats membres lors d'une demande d'assistance judiciaire. Ce système pourrait alourdir des procédures déjà complexes pour une utilité très variable car le coefficient correcteur serait minime dans un grand nombre de cas.

Mais surtout, la proposition visant à instituer une base de données à l'échelle nationale et communautaire répertoriant les professionnels du droit et de désigner des correspondant avocats, soulève des interrogations sur la compatibilité de cette base avec les règles déontologiques.

En revanche, l'idée de publier une brochure à jour sur l'accès à la justice, à destination du grand public et des professionnels, est intéressante. « Le guide d'assistance judiciaire et de conseil juridique dans l'espace économique européen », élaboré par le Professeur D. Watters, en 1995, au nom de la Commission européenne et sous les auspices du Conseil des barreaux de l'Union européenne pourrait servir, à cet égard, de modèle.

Cette publication pourrait certes être utilement complétée par des actions visant à encourager de jeunes avocats à s'engager dans cette direction, même s'il convient de ne pas se faire trop d'illusions sur le résultat d'une telle action, compte tenu du faible intérêt financier de l'assistance judiciaire par rapport aux procédures courantes pour les avocats.

On peut se demander s'il est véritablement nécessaire de bouleverser les systèmes existants d'assistance judiciaire et s'il ne serait pas préférable de se contenter de mesures plus modestes. On peut aussi se demander si des propositions telles que celles que formule la Commission ne sont pas indissociables d'une réflexion sur la profession d'avocat à l'échelle communautaire.

Etant donné que le document E 1417 est un Livre vert visant à susciter le débat, la délégation n'a pas jugé nécessaire d'intervenir plus avant dans l'examen de ce texte.